Notre système de santé est-il en péril ? Réformer le remboursement des soins (3/4)

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par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le troisième, ici présenté, le problème du remboursement des soins, des soins de longue durée et de la hausse des dépassements d’honoraires.

Actuellement le remboursement des soins par la Sécurité sociale varie en fonction de la gravité de la maladie : les soins de longue durée, qui correspondent à des affections de gravité élevée, sont pris en charge à 100 % alors que les remboursements des soins courants ont tendance à diminuer du fait de  l’existence et de la hausse de forfaits divers non remboursés. S’ajoute à cette évolution structurelle la hausse des dépassements d’honoraires non remboursés qui réduisent la part des dépenses financée par la Sécurité sociale.  Il en résulte que la prise en charge des soins courants par l’assurance maladie est limitée à 56,2 % alors que le taux de remboursement des malades atteints d’affections de longue durée (ALD) est de 84,8 % pour les soins de ville[1]. Cette situation a de multiples conséquences fâcheuses : elle peut entraîner un renoncement à certains soins courants avec des conséquences négatives sur la prévention des affections plus graves ; elle renchérit le coût des assurances complémentaires qui paradoxalement sont taxées pour alimenter l’assurance obligatoire au motif de la forte prise en charge publique des ALD. Enfin elle donne à la définition du champ des ALD un rôle central alors qu’il n’est pas très facile à délimiter puisqu’il faut mêler la mesure du « degré » de gravité et celle du coût des traitements pour définir la liste des affections ouvrant droit à un remboursement complet. La question des affections multiples et de leur prise en charge simultanée par l’assurance maladie au titre des soins courants ou des ALD constitue d’autre part un casse-tête bureaucratique  générateur d’incertitude et de dépenses de gestion et de contrôle peu utiles.

C’est pourquoi certains proposent de remplacer le système des ALD par la mise en place d’un bouclier sanitaire qui permettrait la prise en charge à 100 % de l’ensemble des dépenses dépassant un certain seuil annuel. Au-delà d’un certain seuil de dépenses non remboursées (correspondant par exemple au niveau actuel  du « reste à charge » moyen après remboursement de l’assurance maladie obligatoire, soit environ 500 euros par an en 2008[2]) la prise en charge par la Sécurité sociale deviendrait intégrale. Un tel système assurerait mécaniquement la prise en charge des dépenses les plus importantes associées aux maladies graves sans nécessiter le détour actuel par les ALD.

On peut aussi imaginer moduler le seuil de dépenses non remboursées en fonction du revenu (Briet et Fragonard, 2007) ou le taux de remboursement ou les deux. Cette possibilité est généralement évoquée pour limiter la hausse des dépenses remboursées. Elle pose la question habituelle du soutien des plus favorisés aux assurances sociales alors qu’ils auraient intérêt à se rallier à la mutualisation du risque santé dans le cadre d’assurances privées à cotisations proportionnelles aux risques plutôt qu’aux revenus.

La mise en place d’un système de bouclier sanitaire pose aussi la question du rôle des assurances complémentaires. Historiquement ces assurances « complétaient » la couverture publique par la prise en charge de dépenses écartées totalement ou quasi intégralement du panier de soins remboursées par l’assurance de base (appareils dentaires, montures de lunettes, optique sophistiquée, chambres « seul » à l’hôpital, etc.). Elles interviennent aujourd’hui de plus en plus comme des assurances « supplémentaires » qui viennent compléter l’assurance publique pour le remboursement de l’ensemble des dépenses de santé (prise en charge du ticket modérateur, remboursement partiel des dépassements d’honoraires).  Le passage à un système de bouclier sanitaire limiterait leur champ d’action au remboursement des dépenses en deçà du seuil. On imagine souvent que les assurances complémentaires, si elles sortaient de leur rôle actuel de co-payeur aveugle des dépenses de soins, pourraient jouer un rôle actif de promotion de la prévention en proposant par exemple une modulation des cotisations en fonction des comportements des assurés[3]. Mais quel serait leur intérêt si le bouclier venait limiter leur engagement au-delà du seuil non pris en charge par l’assurance publique ? Même dans le cas du maintien d’un « reste à charge » non négligeable au-delà du seuil du fait des dépassements d’honoraires par exemple, elles resteraient certainement relativement passives et la situation serait peu modifiée par rapport à celle d’aujourd’hui  qui les écarte de l’essentiel de la prise en charge des maladies graves et coûteuses.

Dès lors un système dans lequel l’assurance publique assure seule la prise en charge d’un panier de soins clairement délimité est sans doute préférable : il faudrait pour cela que le bouclier sanitaire soit croissant avec le revenu, les ménages les plus pauvres étant pris en charge à 100 % au premier euro. Si les ménages aisés décidaient de s’auto-assurer pour les dépenses en deçà du seuil (ce qui est vraisemblable si celui-ci est inférieur à 1000 € par an), les complémentaires pourraient se retirer pratiquement intégralement du champ des remboursements des dépenses de soins courants. Par contre, elles pourraient se consacrer à la prise en charge des dépenses hors champ de l’assurance maladie publique, soit en pratique les dépenses de prothèses dentaire et d’optique correctrice. Dans ces domaines elles pourraient intervenir plus activement qu’aujourd’hui pour structurer l’offre de soins et d’appareillage. Leur rôle de payeur principal dans ces secteurs justifierait qu’on leur délègue la responsabilité de traiter avec les professions concernées.  Cette solution impliquerait toutefois qu’un système de prise en charge publique vienne aider les plus pauvres à accéder aux soins non pris en charge par l’assurance publique (sous une forme proche de l’actuelle CMU qui devrait toutefois être étendue et rendue plus progressive). Il n’existe donc pas de solution simple à la question de l’articulation entre assurance publique et assurance privée complémentaire.

Il faut aussi évoquer la fusion des deux systèmes, en pratique l’absorption du privé par le public, qui aurait l’avantage de simplifier l’ensemble du dispositif mais laisserait partiellement irrésolue la question de la définition du panier de soins pris en charge. Il est fort probable qu’à la marge du système des assurances complémentaires se réinstallent pour prendre en charge les dépenses annexes non couvertes par le système public du fait de leur caractère jugé non indispensable et de confort. Le remboursement des dépenses de santé doit donc certainement rester mixte, mais il est urgent de reconsidérer la frontière entre privé et public sinon la tendance à privilégier la baisse de la prise en charge publique se renforcera au détriment de la rationalisation du système et de  l’équité dans la prise en charge des dépenses de santé.


 


[1] En 2008. Il s’agit d’un taux de prise en charge hors optique. Avec l’optique le taux de prise en charge par l’assurance maladie tombe à 51.3 % (Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, décembre 2011).

[2] HCAAM, 2011 (op.cit.)

[3] La prise en compte des comportements des assurés n’est pas aisée. Au-delà du recours aux examens préventifs qui peut être relativement facilement mesuré, les autres comportements de prévention sont difficilement vérifiables. Il existe d’autre part un risque, inhérent à l’assurance privée, d’écrémage de la population par les assureurs : pour attirer les « bonnes » clientèles on assure la prise en charge de dépenses caractéristiques des populations à plus faible risque (par exemple le recours aux médecines « douces »), et on rejette celles qui présentent le plus de risque sur la base de questionnaires médicaux détaillés.