La politique de l’emploi prise à revers dans l’étau budgétaire ?

Par Bruno Coquet

Depuis un an, la croissance économique ralentit et le dynamisme du marché du travail s’atténue. Les créations d’emplois ont continué de progresser vivement en 2022, mais la phase de très forte croissance que nous venons de vivre, entamée en 2015 et à peine mise entre parenthèses durant la crise sanitaire, est en voie de s’achever. Ainsi, depuis le deuxième trimestre 2021 les créations d’emplois sont de moins en moins nombreuses d’un trimestre à l’autre, si bien qu’au dernier trimestre 2022 ce sont seulement 44 000 emplois salariés qui ont été créés, la moins bonne performance depuis fin 2018 si l’on exclut les trois trimestres de confinement.



Lorsqu’un ralentissement des embauches prend forme, ce sont d’abord les groupes les plus à risque sur le marché du travail qui sont affectés, ce qui entraîne généralement un renforcement contracyclique des politiques de l’emploi, afin de contenir la hausse du chômage.

Or, de manière tout à fait inédite, le nombre de bénéficiaires d’un dispositif de politique de l’emploi (sans compter l’activité partielle) n’a jamais été aussi élevé qu’en 2021, alors même que le marché du travail affichait un dynamisme et un niveau inconnus depuis fort longtemps. Après le repli enregistré en 2022, les emplois aidés restent malgré tout à un niveau historiquement très élevé, 5,9% de l’emploi total en 2022 après 7,8% en 2021 soit 1,78 million de bénéficiaires. Un décompte plus large des dispositifs peut même amener le nombre de bénéficiaires à 2,36 millions en 2022, soit 7,9% de l’emploi total après 10,0% en 2021 (Graphique).

L’élévation du stock de bénéficiaires d’un emploi aidé s’explique par des effets de nature différente, principalement rattachés à trois dispositifs : l’aide aux créateurs et repreneurs d’entreprise (ACRE), l’aide à l’emploi des jeunes, l’apprentissage.

Deux dispositifs aux forts effets transitoires sur l’emploi

Les deux premiers dispositifs ont eu un effet transitoire, qui s’est achevé en 2022, et leur stock a rejoint un régime permanent :

  • La hausse du nombre de bénéficiaires de l’aide aux créateurs et repreneurs d’entreprise (ACRE) réformée en 2018, est due à un défaut de calibrage des nouvelles règles qui a eu des effets sur le stock de bénéficiaires jusqu’en 2022. L’aide, généreuse sur un public cible élargi, a suscité un engouement inattendu : on comptait 639 000 bénéficiaires dès la fin 2019 (256 000 fin 2018), alors que la cible visée « à terme » était de 600 000[1]. Le dispositif a été rectifié en urgence dès l’exercice 2020, notamment avec une exonération de cotisations sociales raccourcie à 1 an au lieu de 3. Les entrées se sont réduites de moitié (350 000 sur le 12 derniers mois connus) avec un stock voisin de 300 000, qui devrait désormais rester stable ;
  • Pour prévenir les effets de la crise sanitaire, une aide à l’embauche des jeunes (AEJ) a été active d’août 2020 à mai 2021 pour les embauches des jeunes de moins de 26 ans, en CDD de plus de 3 mois ou en CDI dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ». Avec 492 000 entrées sur cette période, le stock a atteint 262 000 bénéficiaires fin 2020 et 198 000 fin 2021, qui sont tous sortis en 2022. Ce dispositif n’a pas eu d’impact sur l’emploi total des jeunes, mais a déplacé les embauches vers des CDD longs et des CDI en lieu et place d’emplois non-salariés et intérimaires[2]. Toujours dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », les dispositifs classiques d’emplois aidés non-marchands (PEC) et marchands (CUI-CIE) ont aussi été soutenus durant cette période, et prolongés sur un rythme relativement élevé jusqu’au début 2022, au-delà de ce que requerrait la lutte contre les effets de la crise sanitaire, mais assez classiquement en phase avec le cycle électoral.

La contribution de ces dispositifs au stock de bénéficiaires d’emplois aidés semble désormais nulle et stable, du moins tant que les budgets qui leur sont alloués sont eux-mêmes à peu près constants, ce qui est le cas pour le budget 2023.

L’apprentissage : des créations d’emploi difficilement soutenables

Le soutien apporté au développement de l’alternance, en particulier l’apprentissage, est le moteur le plus puissant des entrées en emplois aidés au cours des dernières années : ces contrats représentent un tiers des créations d’emplois depuis la fin 2019, et même trois quarts des emplois créés au dernier trimestre 2022 (39 000 apprentis sur 54 000 emplois au total)[3]. Le nombre d’apprentis est passé de 437 000 fin 2018, à 980 000 fin 2022.

La politique d’apprentissage a été profondément réformée en 2018, le dispositif étant ouvert à un public plus large, avec une simplification des procédures et des aides, et la libération de l’offre de formation. Une réforme structurelle réussie dont les effets positifs ont été très nets dès 2019 (+50 000 apprentis en 1 an) d’autant qu’ils étaient portés par un marché du travail dynamique (les entrées en apprentissage sont corrélées aux cycles de l’emploi marchand).

Mais le véritable boom de l’apprentissage intervient à partir de juillet 2020 quand, dans le cadre du plan de relance consécutif à la crise sanitaire, une aide exceptionnelle d’un montant très élevé (5 000€ pour un mineur, 8 000€ pour un majeur) est allouée à tous les entrants en apprentissage. Elle se substitue pour la première année à l’aide unique créée par la réforme de 2018 dont le principe était d’être réservée à l’embauche des jeunes les plus à risque sur le marché du travail (diplôme inférieur ou égal au bac, mineurs sortis prématurément du système scolaire) car elle favorise leur accès à l’emploi, contrairement aux étudiants du supérieur qui s’insèrent bien et vite en emploi sans qu’il soit besoin de subventionner l’employeur. L’aide, unique comme exceptionnelle, s’ajoute aux exonérations fiscales et sociales dont bénéficient déjà tous les apprentis quel que soit leur profil, ainsi que leurs employeurs.

Cette aide exceptionnelle est d’un niveau inédit pour une aide à l’emploi, car elle couvre 100% du salaire des apprentis de moins de 26 ans, un peu moins au-delà. Extrêmement généreuse et donc coûteuse (4 milliards d’euros pour 2021[4], proche de 5 milliards en 2022), elle a fortement soutenu la création d’emplois et le taux d’emploi des jeunes. Compte tenu de dynamisme du marché du travail, rien ne justifiait de la maintenir au-delà des premiers mois de 2021 (comme pour l’AEJ, cf. ci-dessus). Elle a pourtant été reconduite jusqu’à fin 2022, ce qui explique le rythme toujours élevé des entrées en apprentissage.

Le coût unitaire de l’aide combiné à un public-cible très large a finalement conduit à une révision à la baisse du dispositif pour 2023. L’aide exceptionnelle et l’aide unique sont désormais fusionnées : 6 000€ pour tous sans distinction d’âge ou de niveau de diplôme, et seulement pour la première année de contrat d’apprentissage (au lieu de 3 ans auparavant pour l’aide unique). La baisse de la subvention réduit l’incitation à l’embauche tandis que sa concentration sur la première année de contrat favorise les formations plus courtes[5].

L’impact en 2023 de la réduction de la prime serait fonction des effets qui lui sont attribués :

  • Soit les entrées en apprentissage ont augmenté grâce à la réforme de 2018 et à la politique menée sur le marché du travail, les entrées étant indépendantes de la prime resteraient dynamiques, a minima au niveau des 800 000 prévues par le PLF 2023. Cette hypothèse n’est clairement pas la plus probable ;
  • Soit la prime explique 100% de la hausse des entrées en apprentissage par rapport au niveau atteint en 2019 (369 000 entrées en 2019, 834 000 en 2022) avec une élasticité unitaire[6]. Alors une baisse de 25% de la prime engendrerait une baisse analogue des entrées surnuméraires par rapport à 2019, donc une baisse du nombre de nouveaux contrats d’apprentissage à environ 720 000 entrants en 2023.

La réalité est entre ces deux bornes, mais dans tous les cas, les effets de substitution avec des emplois non subventionnés resteraient très forts.

Du contretemps au dilemme

Le maintien de subventions à l’emploi bien au-delà de ce que nécessitait la lutte contre les effets de la crise sanitaire a soutenu le rythme des créations d’emplois et contribué à la baisse du taux de chômage, des jeunes en particulier. Ces résultats grisants ont-ils conduit à l’imprévoyance ?

Le marché du travail est en train de ralentir. La Banque de France prévoit une hausse du taux de chômage à 7,5% fin 2023 et même 8,1% en 2024 . C’est dans ces phases du cycle que la politique de l’emploi est généralement actionnée, prioritairement pour préserver l’accès à l’emploi des populations les plus à risque de chômage. Mais l’heure n’est plus à l’expansion budgétaire débridée, et partant d’un stock d’emplois aidés et de dépenses encore à très haut niveau, il sera certainement difficile d’accélérer la politique de l’emploi. De facto, le budget 2023 qui prévoit au mieux un maintien des crédits alloués aux différents dispositifs, pourrait entraîner un repli des entrées en contrats aidés, et même une baisse pour l’apprentissage.

La marge de manœuvre la plus évidente serait de réallouer les crédits vers des dispositifs plus efficients, par exemple cesser de subventionner à grand frais l’apprentissage pour les diplômes du supérieur au-delà du droit commun des exonérations fiscales et sociales allouées à ces contrats par la loi de 2018. Mais les dispositifs d’alternance étant clairement sous-dotés dans le PLF 2023, ces moyens n’existent pas en l’état… Le gouvernement est donc confronté à un dilemme dont il est peu probable que l’on puisse sortir sans que la politique de l’emploi ne contribue négativement à la création d’emplois et à élever le taux de chômage en 2023, voire en 2024.


[1] « La progression du nombre de bénéficiaires de l’ACRE, et donc des dépenses associées, a été nettement supérieure aux anticipations du gouvernement, notamment en raison de la forte progression du nombre de micro-entreprises. Cette progression traduit, selon le gouvernement, des effets d’aubaine importants, une partie substantielle des créations de micro-entreprises concernant des activités qui pourraient relever du salariat. Selon les informations communiquées à votre rapporteur par la DGEFP, le coût du dispositif atteindrait, sans mesure nouvelle, 893 millions d’euros en 2020 et 1,4 milliard d’euros en 2022. » (Sénat, Discussion du PLF2020, https://bit.ly/40982cU)

[2] Claire-Lise Dubost (2023) « Les effets sur l’emploi de l’aide à l’embauche des jeunes instaurée en 2020 », Document d’Études, n°166, Dares.

[3] Calcul sur les données de la Note de conjoncture INSEE du 15 mars 2023 et des stock publiés par la Dares.

[4] Source France Compétences.

[5] Et donc une moindre inertie du stock de bénéficiaires.

[6] On ne peut exclure une élasticité supérieure à l’unité, étant donné que les emplois totalement « gratuits » du fait de l’aide sont moins nombreux.




Six mesures d’urgence pour l’emploi et contre la pauvreté

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Pierre Madec

En 2021, malgré le
rebond de l’activité attendu et la mise en œuvre de mesures exceptionnelles
pour l’emploi …

Le quatrième trimestre 2020 a été marqué par un recul de l’activité
économique moins marqué qu’attendu (-1,4% par rapport au troisième trimestre
2020). En conséquence l’ajustement de l’emploi a été largement atténué par
rapport aux destructions d’emplois attendues : 400 000 emplois ont
été détruits entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020. Dans
son dernier exercice de prévision, l’OFCE anticipe une croissance du PIB de 5%
en 2021 en moyenne annuelle[1].
Une partie de ce rebond s’explique par la prise en compte des effets du plan de
relance et notamment des mesures pour l’emploi (contrats aidés, insertion par
l’activité, prime à l’embauche d’un jeune de moins de 25 ans, mesures pour
l’alternance, Garantie Jeune, service civique, formations). Hors activité
partielle, ces mesures auraient contribué à la sauvegarde ou à la création de
75 000 emplois en 2020 et près de 70 000 emplois en 2021[2]
pour un coût de 6,7 milliards d’euros. L’activité partielle a permis la
préservation de 1,4 million d’emplois ETP en 2020 pour un coût budgétaire de
26,5 milliards d’euros. En 2021, 950 000 emplois ETP seraient encore
préservés en moyenne sur l’année pour un coût de 13,4 milliards d’euros, dans
l’hypothèse d’une baisse des taux de prise en charge à partir du troisième
trimestre 2021.



… nous anticipons une
hausse significative du chômage…

Malgré ce rebond et la prise en compte des mesures exceptionnelles
engagées par le gouvernement, l’emploi est attendu en baisse en 2021 par
plusieurs instituts de conjoncture (UNEDIC, Rexecode) ou stable (Banque France). L’OFCE prévoit une progression de
l’emploi en 2021 (+95 000 emplois en moyenne annuelle), mais une
progression plus rapide de la population active du fait du retour sur le marché
du travail de personnes découragées ou empêchées de chercher un emploi pendant
la crise sanitaire. Cela se traduirait par une hausse du chômage dont le taux
pourrait atteindre 8,7% fin 2021.

… qui induira une
hausse de la pauvreté globale…

Cette hausse du chômage va faire monter la pauvreté. Dans une étude menée en 2010 pour l’ONPES, l’OFCE indiquait qu’une hausse de 100 chômeurs pendant une crise
économique conduirait à une augmentation d’environ 43 pauvres au seuil de
pauvreté à 60%  et d’environ 22 ménages
allocataires du RSA-socle 5 ans plus tard.

… notamment chez les
jeunes 

La crise sanitaire et économique débutée en 2020 touche plus
particulièrement certains groupes, et notamment les jeunes. Le fait que les
jeunes soient plus touchés par le chômage n’est pas une surprise : ils
sont plus souvent en intérim et CDD et dans les crises, ces contrats ne sont
souvent pas renouvelés. Ils peuvent aussi être victimes du manque d’embauches.
La part de jeunes dans le halo du chômage a aussi légèrement augmenté sur 1 an
(de 4,5 à 4,7%).

Une typologie des
jeunes en difficulté
 

La situation des 18-24 ans (on compte 5,2 millions de personnes âgées
de 18 à 24 ans[3])
est particulièrement préoccupante à plusieurs titres :

  1. Soit parce qu’ils éprouvent des difficultés à s’insérer dans l’emploi
    à la sortie des études ;
  2. Soit parce qu’ils sont exposés aux destructions d’emplois, et n’ont
    pas forcément de revenus de remplacement (étudiants qui travaillent pour
    financer leurs études, jeunes actifs qui perdent leur emploi).

Il est possible alors de distinguer 3 catégories de jeunes en
difficulté :

Catégorie 1 : cohorte de jeunes qui
arrivent sur le marché du travail au moment d’une crise économique
(750 000 jeunes chaque année)

Des travaux récents menés à l’OFCE rappellent que les premières années de
vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus
en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très
dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les
trajectoires professionnelles des jeunes sortant du système éducatif. Bien
entendu, une distinction doit être faite entre jeunes diplômés et non diplômés.
Pour la première catégorie, cela se traduit par un accès à l’emploi en CDI plus
tardif et moins fréquent tandis que pour la seconde, cela implique une très
nette dégradation de leur insertion sur le marché du travail.

Catégorie 2 : Jeunes actifs, ayant
terminé leurs études, qui ont perdu leur emploi et sans revenu de remplacement
(de 50 000[4] à 435 000
[5]

Les jeunes actifs en emploi
(930 000) sont particulièrement exposés au choc entraîné par la crise sanitaire :
210 000 sont en CDD ou en contrats saisonniers. Parmi ces contrats
« précaires », 90 000 jeunes (30%) sont employés dans l’un des
secteurs les plus touchés par la crise (hébergement, restauration, culture,
transport, habillement, …). Parmi les « CDI », ce sont plus de
225 000 jeunes qui travaillent dans l’un des secteurs les plus touchés
soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée indéterminée. Enfin, sur le
million d’actifs (en emploi ou non) âgé de 18-24 ans, près de 300 000
jeunes étaient en cours d’étude un an auparavant.

En 2020, l’ajustement de l’emploi salarié s’est concentré sur l’emploi
temporaire (CDD et intérim). Les 15-24 ans sont largement surreprésentés dans
l’emploi temporaire : s’ils comptaient pour 12% de l’emploi salarié en
2018 (hors fonctionnaires et assimilés), 40% des emplois temporaires étaient
occupés par des salariés appartenant à cette tranche d’âge (54% dans le
commerce, 45% dans l’hébergement-restauration).

En 2021, l’ajustement de l’emploi ne serait plus concentré sur les
contrats courts mais aussi sur des contrats à durée indéterminée. Or, d’après
les mouvements de main-d’œuvre au troisième trimestre 2020, ce sont les
salariés de moins de 30 ans qui sont les plus concernés par les licenciements
économiques du fait d’une moindre ancienneté.

Catégorie 3 : Jeunes actifs,
étudiants, en contrat court non renouvelé et sans revenu de remplacement (250 000)
;

Selon l’enquête ENRJ, menée par la DREES en 2014, ce sont 250 000
jeunes qui cumulent études et emploi à temps partiel ou à temps plein. Or, aujourd’hui
la protection sociale couvre très mal la catégorie des 18-24 ans. Ainsi, plus
de 8 jeunes sur 10 au chômage ne perçoivent aucune allocation chômage. Le fait
que les moins de 25 ans ne puissent pas accéder aux minima sociaux fait peser
un risque lourd de très forte précarisation sur cette population du fait de la
crise économique.

 

Face à cette diversité
de situation, nous proposons six mesures d’urgence

Parmi les six mesures, trois sont non ciblées et trois sont ciblées
sur les jeunes

Trois mesures non ciblées sur les jeunes

  1. Reporter la baisse du taux de prise en
    charge de l’activité partielle par l’État et l’Unedic
    à la fin de la crise sanitaire
    permettrait de préserver un maximum d’emplois en 2021. Au cours de l’années
    2020, à l’instar d’un grand nombre de pays européens, la France a utilisé
    l’activité partielle comme principal instrument de sauvegarde de l’emploi face
    à la pandémie de la Covid-19. En préservant le capital humain dans les
    entreprises ainsi que le revenu des salariés et en socialisant son coût, ce
    dispositif était parfaitement adapté à la situation rencontrée l’année dernière
    et favorisera une reprise de l’activité une fois les mesures prophylactiques
    levées. Or il est prévu une baisse des taux de prise en charge de l’activité
    partielle à compter du 1er juillet 2021 (dès le 1er mai
    pour les secteurs non protégés). Nous estimons à 13,5 milliards d’euros le
    montant nécessaire à la prise en charge de l’indemnisation de l’activité
    partielle par l’État et l’Unedic en 2021 si le dispositif est maintenu dans ses
    contours actuels et à prévision d’emploi inchangée. Mais baisser le taux de
    prise en charge alors que les mesures prophylactiques ne sont pas toutes levées
    pourrait se traduire par des destructions d’emplois en 2021. Certes, si ce
    dispositif est parfaitement adapté à une période courte en temps de crise, son
    maintien pendant une période longue et dans tous les secteurs y compris dans
    ceux qui connaissent une nette amélioration de leur conjoncture pourrait
    engendrer des effets plus négatifs (effet d’aubaine, mauvaise réallocation de
    la main-d’œuvre…). En outre, si le dispositif d’aide à la formation du Fonds
    national de l’emploi – FNE-Formation – a été renforcé afin d’accompagner
    les entreprises en activité partielle, le maintien pendant une période longue
    de l’activité partielle peut entraîner une déqualification d’une partie de la
    main-d’œuvre ou ralentir le parcours des salariés désireux de se reconvertir.
    Si le maintien dans l’emploi est assuré par l’activité partielle, ce statut
    peut enrayer l’accès à une formation qualifiante ou la mise en place de mesures
    d’accompagnement par rapport au statut de demandeur d’emploi. Autoriser l’accès
    des salariés en activité partielle à l’accompagnement proposé par Pole Emploi
    pour les demandeurs d’emploi de catégorie D ou E permettrait de répondre en
    partie à cette potentielle demande d’accompagnement.
  2. Mettre en place un moratoire sur la
    réforme de l’Assurance chômage
    tant que la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son
    niveau qui prévalait avant la crise (taux de chômage à 7% ou difficultés de
    recrutement à leur niveau de 2019).
  3. Prévoir une enveloppe de contrats aidés
    additionnels pour les personnes de plus de 25 ans ayant perdu leur emploi en
    2020.
     L’idée que,
    durant cette crise économique, l’État puisse devenir « Employeur en
    dernier ressort » permettrait d’éviter toute augmentation du chômage qui
    laisserait des traces durables dans l’économie. Sur la base de notre dernière
    prévision, cela correspond à la création de 500 000 emplois aidés fin 2021
    à déployer dans le secteur du CARE notamment (soutien scolaire, portage de repas
    à domicile pour les personnes âgées, logistique de la gestion de l’épidémie,
    …). Ces 500 000 contrats aidés à temps plein pris en charge à 50% par l’État
    (soit un coût annuel par contrat de 9 328 euros) représenteraient un coût
    annuel de 4,7 milliards d’euros.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait à près de 18,5 milliards
d’euros annuel (0,8% du PIB).

Trois mesures ciblées pour les jeunes

  1. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 1, nous proposons de renforcer le plan « 1
    jeune 1 solution »
    . Le plan actuel offre 1,3 million de « solutions » ciblées
    sur les jeunes de moins de 26 ans, pour un afflux cumulé de 1,5 million de
    jeunes sur 2020-2021. Pour faire face à cet afflux arrivant sur le marché du
    travail ou tombant dans l’inactivité en 2021, nous proposons une augmentation
    de 200 000 du volume de contrats aidés PEC ciblés sur les moins de 26 ans, pour
    un coût de 2,5 milliards d’euros annuels. Un premier pas a déjà été fait en
    augmentant les entrées prévues dans le dispositif de la Garantie Jeunes en 2021
    et en repoussant la fin des aides à l’embauche de jeunes de moins de 26 ans,
    mais cela ne garantit pas une solution aux 1,5 million de jeunes arrivant sur
    le marché du travail en 2020 et 2021. Ce plan pourra ainsi faire davantage de
    place aux emplois aidés pour « les jeunes décrocheurs » : en
    France, environ 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire
    sans formation ni qualification et viennent alourdir le nombre de
    « décrocheurs sans emploi ne suivant ni études ni formation ». Cette
    catégorie, désignée par l’acronyme NEET, représente près de 2 millions de
    jeunes dont la moitié serait sans aucun diplôme: si l’on veut réellement le
    combattre, il est urgent de mettre en place une stratégie dans laquelle les
    emplois aidés ont un rôle important à court terme : ce dispositif des
    emplois aidés doit être ciblé sur les personnes les plus en difficulté (NEET),
    ce qui permettra de réduire les effets d’aubaine, de diminuer les effets
    d’enfermement dans ce type de contrat et d’augmenter les gains d’employabilité.
    Par ailleurs, ces contrats doivent être d’une durée longue (au moins
    2 ans), dans le secteur non marchand, être associés à un volet de
    formation important, ciblés sur un métier d’avenir et peu éloignés des emplois
    auxquels le bénéficiaire est susceptible de postuler ultérieurement. En effet, une étude de
    terrain menée en 2017
    a mis en avant l’intérêt des chefs d’entreprises du secteur privé
    pour des jeunes ayant effectué une formation certifiante dans un contrat aidé
    dans le secteur non marchand.
  2. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 2, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (435 000 jeunes au maximum)
    . Cette aide interviendrait
    en complément des revenus que certains pourraient toucher via les plans
    d’accompagnement vers l’emploi. Elle nous paraît nécessaire au minimum tant que
    la situation sur le marché du travail n’est pas revenue à son niveau qui
    prévalait avant la crise. Le coût maximum de cette mesure s’élèverait ainsi à
    240 millions d’euros par mois au maximum.
  3. Pour les jeunes
    appartenant à la catégorie 3, nous proposons de leur verser
    une aide temporaire allant jusqu’à 560
    euros par mois (250 000 jeunes)
    . Cette aide interviendrait en
    complément des prestations d’allocation chômage dont ils pourraient bénéficier.
    Le coût estimé approche 140 millions d’euros par versement au maximum. Ce
    versement devrait intervenir mensuellement tant que la situation sur le marché
    du travail n’est pas revenue à son niveau qui prévalait avant la crise.

Le coût total de ces 3 mesures s’élèverait au maximum à 7 milliards
d’euros annuel (0,3% du PIB).


[1] Cf OFCE Policy Brief n°89 : « Perspectives
économiques 2021-2022 : résumé des prévisions du 14 avril 2021
 », Eric
Heyer, Xavier Timbeau, Christophe Blot, Céline Antonin, Magali Dauvin, Bruno
Ducoudré, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Catherine Mathieu Christine Rifflart,
Raul Sampognaro, Mathieu Plane, Pierre Madec, Hervé Péléraux, 14 avril 2021.

[2] Hors effet de l’extension de la prime à l’embauche
d’un jeune au-delà du 31 janvier 2021.

[3] Parmi eux, 1,6 million vivent dans un ménage qui n’est
pas celui leurs parents. Parmi eux, 350 000 sont étudiants, 140 000 sont
chômeurs, dont 84 000 ne perçoivent pas d’allocation chômage, 160 000 sont
inactifs, et 930 000 sont en emploi au sens du BIT.

[4] Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie
A, B ou C et âgés de moins de 25 ans a augmenté de 50 000 entre le quatrième
trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020.

[5] Les 435 000 se
décomposent en : 210 000 en CDD ou en contrat saisonniers (8% de
moins d’1 mois, 15% entre 1 et 3 mois, 25% entre 3 et 6 mois et 30% entre 6
mois et 1 ans) ; 225 000 jeunes en CDI qui travaillent dans l’un des
secteurs les plus touchés soit près de 40% des 18-24 ans en contrat à durée
indéterminé.




Crise sanitaire, chômage, inégalités territoriales

par Bruno Coquet

Au printemps 2020, l’activité économique et le marché
du travail se sont figés dans l’ensemble du pays. Dans ce premier temps de la
crise, les nuances entre secteurs, et surtout entre territoires ont été
reléguées au second plan. Puis, tout au long de l’année 2020, le déconfinement,
les restrictions ciblées, les couvre-feux, le deuxième confinement, les
activités partiellement ou totalement mises à l’arrêt selon qu’elles étaient considérées
plus ou moins « essentielles », le tout parfois combiné à la
saisonnalité de l’offre ou de la demande, ont introduit de la complexité et une
grande hétérogénéité des effets de la crise sanitaire.



La situation de différents publics, en particulier les
jeunes, et l’arrêt de l’activité et des embauches dans des secteurs les plus
impactés focalisent l’attention et les craintes. Les déclinaisons territoriales
de la crise suscitent nettement moins d’intérêt[1].
Pourtant de fortes inégalités territoriales commencent à prendre forme sur le
marché du travail : d’un côté la mesure biaisée du chômage BIT tend à
niveler les différences entre régions, et celles-ci apparaissent ni plus ni
moins différenciées que dans un cycle conjoncturel ordinaire ; d’un autre
côté, les déclarations d’embauches à l’Acoss et les inscriptions à Pôle Emploi dessinent
un tableau beaucoup plus hétérogène entre régions et entre départements. La
situation la plus préoccupante est celle de l’Île-de-France qui représentait 23% de l’emploi salarié
et 17% des chômeurs en 2019, mais concentre 30% de la baisse de l’emploi et 40%
de la chute des embauches, et 32% à la hausse des DEFM en France en 2020.

Les données disponibles ne permettent pas encore
d’expliquer précisément ces différences. Notamment il n’y a pas de régularité
directement évidente, ni avec la situation sanitaire ou ni avec la
spécialisation des territoires. L’approche simplement descriptive retenue ici
permet cependant déjà d’identifier des problèmes, et fournit des éléments pertinents
pour prioriser et orienter les interventions publiques en adéquation avec la situation
spécifique du marché du travail au niveau territorial.

Taux de chômage :
biaisé et peu différencié

Le taux de chômage au sens du BIT est connu jusqu’au quatrième
trimestre 2020, où il atteignait 8,0%, légèrement inférieur à son niveau de fin
2019 (8,1%). Mais l’Insee explique parfaitement les perturbations techniques et
comportementales de tous ordres que subit cet indicateur[2],
qui font apparaître son évolution en contrepoint de la chute d’activité
observée.

Les séries complémentaires au sens du BIT (halo, sous-emploi)
donnent une vision plus précise de la complexité contemporaine des situations
d’emplois. Mais, même en incluant ces populations (hors activité partielle) les
différents concepts issus de l’enquête emploi fin 2020 à sont un niveau
équivalent à celui de la fin 2019, avant la crise (graphique 1), cependant que
l’emploi est en baisse et les DEFM en hausse donnent une image plus contrastée
de la réalité.

Au niveau régional les taux de chômage ne sont pour le
moment connus que jusqu’au troisième trimestre 2020, période durant laquelle
une partie des difficultés de mesure étaient moindres en raison de l’important
relâchement des restrictions pesant sur l’activité. En outre les séries
complémentaires que publie l’Insee (halo, sous-emploi) ne sont pas encore
disponibles au niveau régional.

Si l’on met de côté les départements d’outre-mer qui
connaissent une baisse très significative de leur taux de chômage, les régions
métropolitaines enregistrent une hausse plutôt modérée de celui-ci : en
effet, au-delà de la chute observée au niveau national en T2 et du rebond en
T3, les évolutions régionales ne sont pas inhabituelles, et même relativement
homogènes entre régions compte tenu de l’aspect difficilement lisible, de la
situation sanitaire et de ses conséquences. Autour de la moyenne nationale de
+0,9 point (révisée à +1,0 pt en février 2021), l’augmentation dépasse 1 point
en Corse (+1,4 pt), Île-de-France (+1,3 pt), Pays de Loire et Provence Alpes Côte -d’Azur
(+1,1 pt) ; à l’opposé, la hausse est inférieure à 0,8 point dans les
régions Centre Val de Loire (+0,5 pt) et Bourgogne Franche-Comté (+0,7 pt).

Les informations disponibles sont cependant encore
insuffisantes pour déterminer si les écarts observés entre régions proviennent
de biais plus ou moins importants de l’indicateur ou d’une réalité
effectivement différente.

Emploi : recul
modéré, concentré sur quelques régions

Si on se réfère aux destructions d’emplois qui
devraient suivre une contraction de l’activité telle que celle observée en
2020, la situation de l’emploi apparaît presque figée par les mesures de
soutien, puisque la chute de l’emploi salarié marchand n’a été que de
-360 000 emplois à la fin 2020 par rapport à la fin 2019. En miroir, le
recours à l’activité partielle dans les régions est conforme à ce que peut laisser
attendre le poids de chaque région dans l’emploi salarié total (graphique 3).

Les données régionales ne sont disponibles que pour
les trois premiers trimestres 2020. Trois régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est), qui représentaient
43% de l’emploi total fin 2019 expliquent à elles seules la moitié de la baisse
de l’emploi jusqu’en octobre 2020 ; si on leur ajoute la région Provence
Alpes-Côte-d’Azur, ces 4 régions qui pèsent la moitié de l’emploi expliquent
60% de sa baisse. Même si elles ont un poids plus modeste, les régions Bourgogne-Franche-Comté
et Corse ont à leur échelle une forte contribution à la baisse de l’emploi (respectivement-5,5%
et -0,9%), soit environ 1,5 fois leur poids dans l’emploi salarié du pays (3,8%
et 0,5%). À
l’opposé les régions de la Bretagne et des Hauts de France pèsent à elles deux
12,8% de l’emploi salarié mais seulement 7,3% de la baisse observée en 2020 (graphiques
3 et 4).

Les dynamiques d’emploi sont donc très hétérogènes au
niveau régional, malgré l’inertie relative du marché du travail national. Il est
cependant difficile, en première approche, de faire un lien direct entre l’incidence
de l’épidémie et ces résultats dans chaque territoire, comme le montrent par
exemple la Bretagne peu touchée et les Hauts-de-France très touchés par les
contaminations. Il est possible que cette différenciation entre régions puisse
résulter de la combinaison de mesures sanitaires homogènes au niveau national
et de spécialisations sectorielles de chaque territoire.

La dynamique de l’emploi intérimaire est assez
analogue à celle de l’emploi total : après l’effondrement généralisé
d’avril 2020, la reprise coïncide avec une dispersion régionale significative.
Proportionnellement, l’Île-de-France est ici encore la région la plus affectée : à
fin novembre 2020, l’emploi intérimaire est 18% inférieur à son niveau moyen de
2019. À
l’opposé en Martinique les emplois en intérim sont 20% plus nombreux que
l’année précédente. L’emploi intérimaire a retrouvé une bonne dynamique en
Corse, contrastant avec l’évolution de l’emploi salarié en général (graphique
5).

La mise sous cloche de l’économie a évidemment une
incidence très différenciée sur les stocks (emploi, chômage) et les flux
(embauches, fins de contrats et licenciements) : si le stock d’emplois
présente une chute modérée relativement à la baisse d’activité, les flux
d’embauches atteignent quant à eux un étiage du fait de la mise à l’arrêt de
certains secteurs fortement utilisateurs de contrats courts, des  effets de l’activité partielle, et par
l’affaiblissement des flux de sorties (démissions, licenciements, etc.) et donc
d’entrées en contrats longs. Les emplois courts, directement soumis aux
fluctuations d’offre et de demande sans que les mesures anti-crise ne les
protègent sont en effet beaucoup plus volatils que l’emploi salarié total.

Au regard des flux d’embauches, les régions les plus
affectées sont celles dont l’emploi chute le plus fortement. L’Île-de-France connaît l’évolution la plus défavorable, et c’est
même la seule région qui enregistre une baisse des flux d’embauches au-delà de
la moyenne nationale, tant pour les CDD de moins de 1 mois (-39,2%) que pour
les contrats plus longs (-23,5%) (graphique 6). La spécialisation productive
des régions explique certainement une partie de ces différences : par
exemple, en Île-de-France 63% des emplois sont dans les secteurs du « tertiaire
marchand » (49% pour l’ensemble du pays), qui comprend des activités très
impactées par la crise (restaurants, tourisme, activités culturelles,
événementiel… où la baisse des embauches dépasse parfois 30% au niveau
national, voire 40% pour les contrats de moins de 1 mois) ; en revanche, la
région Auvergne-Rhône-Alpes où le tertiaire marchand est également important
(49% de l’emploi) subit aussi très fortement la crise alors que sa
spécialisation plutôt industrielle (16% de l’emploi salarié pour 12,4% au
niveau national) aurait pu mieux la prémunir si on la compare par exemple aux
Hauts de France. Toujours au titre d’effets de composition on peut également
supputer que les départements d’outre-mer ont bénéficié de la forte proportion
d’emploi non-marchand dans leurs économies, comprise entre 40 et 45% et dépasse
même 51% pour la Guyane, contre une moyenne nationale de 32%.

On pourrait multiplier les exemples contradictoires,
qui montrent surtout qu’il est prématuré sur la base de ces seules données
d’expliquer les différences territoriales d’évolution des flux de main-d’œuvre
et d’emploi durant la crise. Pour ce faire, une analyse économétrique plus
poussée doit être conduite.

La chute des offres d’emploi collectées par Pôle
Emploi est plus marquée que celle des DUE mais elle confirme une hétérogénéité
régionale dont l’ampleur et la distribution sont pratiquement similaires
(graphique 7).

Inscriptions à Pôle
Emploi : forte hétérogénéité territoriale

La ventilation régionale des inscriptions à Pôle
Emploi est connue jusqu’au quatrième trimestre 2020, donc plus récente que les
données d’emploi et de chômage observées ci-dessus.

Ces inscriptions auprès de Pôle Emploi donnent une
image encore bien plus contrastée que les précédents de l’impact territorial de
la crise. L’Île-de-France connaît la plus forte progression des DEFMabc (+84 000, soit +8,6%
en 1 an), devant Rhône-Alpes-Auvergne (+38 000, +6,1%) (graphique 8). La
contribution de ces deux régions à la hausse totale des DEFMabc (respectivement
+ 32,3% et +14,7%) est près de deux fois plus forte que leur poids dans le
total des DEFMabc fin 2019. Enfin, quatre régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Grand-Est) qui
représentaient 43% du total des DEFMabc à la fin 2019 expliquent deux tiers de
la hausse des inscriptions à Pôle Emploi.

Toutes les autres régions ont une contribution à la croissance
des DEFMabc moins que proportionnelle à leur poids dans cet indicateur fin
2019. La Corse et les départements ultramarins enregistrent une diminution des
DEFMabc, cohérente avec l’évolution du taux de chômage outre-mer, bien que cette
évolution soit plutôt surprenante pour la Corse. L’évolution des DEFMabc dans
les Hauts-de-France, région où le chômage est historiquement à un niveau élevé
et qui a durement subi la crise sanitaire, est particulièrement modérée, et
même la plus faible après la Corse et l’outre-mer.

Au niveau départemental l’hétérogénéité des territoires
en est encore plus marquée. On note que Paris concentrait en 2019 3,5% des
DEFMabc mais contribue à 5,5% de leur hausse en 2020, alors que le département
des Bouches du Rhône, dont le poids dans les DEFMabc était identique à celui de
Paris, contribue pour seulement 1,9% à la hausse de 2020. Le contraste est
encore plus fort avec le département du Nord qui comptait 4,5% des DEFMabc en
2019 mais ne contribue que pour 1,6% à la hausse de ces catégories de demandeurs
d’emploi en 2020 (graphique 9). Les départements d’Île-de-France ont tous une contribution deux fois plus élevée à la
hausse des DEFMabc en 2020 que ne l’était leur poids dans cet indicateur
l’année précédente. D’une dimension moindre, le Tarn-et-Garonne a une
contribution plus de 3 fois plus élevée (1,7%) à la hausse de 2020 que son
poids dans les DEFMabc en 2019 (0,5%). Enfin on note que les départements
limitrophes de la Suisse (Haute-Savoie, Ain, Doubs) ont une contribution très
forte à la hausse des DEFMabc consécutive à la crise sanitaire.

Si l’on détaille les évolutions du chômage des jeunes
au niveau départemental, on observe également une très forte hétérogénéité, et
si la situation est très problématique dans certaines régions du pays, elle s’est
aussi très peu dégradée dans d’autres, y compris dans des territoires
habituellement fragiles (Pas-de-Calais, Nord) sans que le lien avec la
situation sanitaire soit clair (graphique 10).

De manière générale les départements pour lesquels la
contribution à la hausse des DEFMabc était la plus forte sont tout de même
aussi ceux qui contribuent le plus à la hausse des DEFMabc des moins de 25 ans
en 2020. Quelques départements apparaissent cependant ici avec une situation
plus dégradée : Haute-Garonne, Loire-Atlantique, Gironde, et à un degré
moindre Alpes-Maritimes et Bas-Rhin qui ont en commun d’avoir une très grosse
agglomération pour préfecture. Le Nord, et dans une moindre mesure les Bouches-du-Rhône
sont dans la situation opposée, ainsi que des territoires traditionnellement
industriels comme la Seine-Maritime ou le Pas-de-Calais.

La situation des seniors de plus de 50 ans ne s’est
pas moins dégradée que celle des jeunes, mais elle est beaucoup plus homogène
au niveau régional et départemental.

***

Le rapprochement de ces différentes sources montre que
les marchés du travail des régions et des départements subissent très
diversement les conséquences de la crise sanitaire qui frappe la France. Cette
situation est en partie liée à la spécialisation sectorielle, à la structure
d’âge de la population, à l’intensité de l’épidémie dans chaque territoire,
mais pas seulement. En outre les régions habituellement les plus touchées dans
les cycles d’activité usuels, ceux où le taux de chômage est élevé (en
particulier celui des publics fragiles) ne sont pas cette fois-ci les plus
affectées, comme le montre le cas de l’Île-de-France, territoire le plus affecté par la crise en 2020,
quel que soit l’indicateur retenu.

Ces données donnent déjà des informations très utiles
pour cibler et calibrer au mieux les dispositifs d’urgence et de relance. Mais
il est nécessaire d’approfondir l’analyse, notamment pour comprendre les
raisons de cette différenciation inhabituelle, et éventuellement anticiper si
des mesures de soutien complémentaires – et lesquelles – seront nécessaires
lorsque l’économie reprendra son cours, une fois les restrictions sanitaires
levées.


[1]
Un travail en ce sens a été réalisé en juin 2020, juste après le premier
confinement, par Bouvart C., Dherbécourt C., Le Hir B. (2020) « Vulnérabilité
économique des zones d’emploi face à la crise », France Stratégie.
Le rapport du Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux
entreprises a également publié en février 2021 un rapport « Statistiques
sur le recours aux dispositifs de mars à septembre 2020 », qui analyse
certains aspects, notamment l’utilisation de l’activité partielle durant le
premier confinement.

[2]
Cf. Note d’éclairage jointe à la publication (https://www.insee.fr/fr/statistiques/5044459)




Espagne : derrière la crise économique et sociale, des opportunités à saisir

par Christine Rifflart

Marquée par une crise sanitaire
que les autorités peinent à contrôler et une récession économique en 2020 qui
apparaît comme l’une des plus violentes au niveau mondial (le PIB a chuté de 11
% sur l’année selon l’INE), l’Espagne est durement frappée par la crise de la
Covid-19[1].
Le taux de chômage a atteint 16,1 % à la fin de l’année dernière, soit une
hausse de 2,3 points sur un an malgré la mise en place des mesures d’activité
partielle. Le déficit public pourrait dépasser 10 % du PIB en 2020 et la dette
publique s’approcher de 120 % selon les prévisions de janvier 2021 de la Banque
d’Espagne. L’Europe a mis en place des plans de soutien de grande ampleur aux
pays sinistrés, et à ce titre l’Espagne sera le pays le plus aidé au niveau
communautaire puisqu’il bénéficiera d’au moins 140 milliards d’euros dont 80 (soit
6,4 % du PIB 2019) sous forme de transferts directs à travers le programme NextGenerationEU. Cette aide intervient
dans un contexte politique particulier, marqué par les aspirations
progressistes d’un gouvernement de coalition (PSOE-Unidas Podemos) en place
depuis tout juste un an et qui jusqu’à aujourd’hui continue d’afficher sa
solidité. Les engagements pris en décembre 2019 entre les 2 partis dans un
document conjoint ‘Coalicion Progresista – Un nuevo acuerdo
para Espana

sont aujourd’hui inscrits dans le plan de relance envoyé à la
Commission tandis que les premières mesures des réformes annoncées figurent
dans le budget 2021. Derrière une situation sanitaire et économique difficile,
le gouvernement espagnol pourrait donc saisir l’opportunité de cette crise pour
restructurer le pays en profondeur en bénéficiant des fonds européens et faire
passer certaines des réformes sociales annoncées dans le Pacte PSOE-UP. Il faut
dire que les besoins sont importants. En 2018, le taux de pauvreté était de
19,3 % chez les jeunes et 10,2 % chez les plus de 65 ans (contre respectivement
11,7 % et 4,2 % en France). En dépit d’une croissance proche de 3 % l’an en
moyenne sur la période 2015-2019, le taux de chômage est resté à un niveau très
élevé (14,1 % en 2019) et la productivité du travail reste inférieure de près
de 25 % à celle de la France. Les disparités régionales sont très marquées et
l’investissement, notamment public, insuffisant. Un nouveau tournant pourrait
être amorcé en Espagne au cours des prochaines années. Les mesures annoncées répondent
aux aspirations ambitieuses du gouvernement en matière de croissance, d’emploi
et d‘équité sociale. Le risque est probablement davantage du côté de la solidité
du gouvernement et de sa capacité politique à la mettre en œuvre.



Le budget 2021, le
premier depuis juillet 2018 !

Après deux années sans vote de
budget sinon un budget 2018 prorogé 2 fois et amendé à coups de décrets-lois,
le gouvernement espagnol est parvenu à se doter d’un budget 2021 en respectant un
calendrier irréprochable. Envoyé à Bruxelles le 10 octobre 2020, validé le 3
décembre par le Congrès des députés (chambre basse) et le 22 décembre par le
Sénat, le projet de loi de finances a été adopté en moins de 3 mois. Pourtant,
rien n’était acquis. Les dernières élections législatives de novembre 2019 (les
quatrièmes en 4 ans) n’ayant pas dessiné de majorité absolue au Parlement pour
le parti socialiste PSOE arrivé en tête, ni même pour les 2 premiers partis réunis
PSOE-UP (155 députés sur 350), le gouvernement de coalition de Pedro Sanchez a
dû chercher le soutien des petits partis indépendantistes et régionalistes pour
l’adoption de son budget. Après trois mois de négociations sur la base de
plusieurs milliers d’amendements, une large majorité est obtenue. Sur les 350
députés du Congrès, 188 issus de 11 formations politiques différentes ont voté
favorablement (155 de PSOE-UP, 13 de l’ERC et 6 du PNV). Il faut dire qu’un échec
politique aurait été mal venu tant les besoins et les attentes sont élevés et
les opportunités favorables.

Des financements européens
pour mener à bien la modernisation de l’appareil productif inscrite dans le
Pacte PSOE-UP de décembre 2019

Selon la Ministre des Finances
espagnole[2],
l’Espagne devrait recevoir sur la période 2021-2023, 79,8 milliards d’euros de
subventions européennes au titre du programme NextGenerationEU. Ce montant est supérieur de plus de 10 milliards
à ce qui avait été annoncé par la Commission au printemps 2020 (69,4 milliards,
soit une révision de 14,9 %) en raison de prévisions de croissance 2020 réalisées
à l’automne dernier plus pessimistes que celles réalisées six mois plus tôt, et
du passage en prix courants du montant exprimé initialement aux prix de 2018. La
révision concerne la dotation de la Facilité pour la Reprise et la Résilience
(FRR) qui passe de 59,2 milliards à 69,5 milliards, la subvention liée au
programme REACT EU demeurant à 10,3
milliards. L’Espagne devient donc le principal pays récipiendaire des fonds européens.
Il devance désormais l’Italie qui devrait recevoir 79,6 milliards (contre 76,1
milliards initialement annoncés), soit 4,4 % du PIB 2019, 2 points de moins que
l’Espagne. La dotation est garantie à hauteur de 70 % sur 2021-2022 (46,6
milliards)[3].
Le solde sur 2023 devra être réévalué en juin 2022 en fonction de la conjoncture
et la situation des finances publiques au regard des règles du PSC qui seront probablement
rétablies à cette date.

Pour bénéficier des fonds
européens, l’Espagne doit présenter, comme chacun de ses partenaires, son Plan
National de Reprise, de Transformation et de Résilience visant à stimuler la
croissance à court terme par l’investissement et la consommation[4],
et favoriser une « économie plus
durable, plus résiliente et préparée aux défis à venir »
, selon les
termes de la Commission. À terme, l’objectif du gouvernement est de relever la
croissance potentielle de 0,4-0,5 point pour atteindre plus de 2% par an d’ici
2030.

Alors que le taux d’absorption
des fonds européens est traditionnellement faible en Espagne, le gouvernement
souhaite cette fois accélérer largement les démarches. Aussi, dès le 20 janvier
(pour une date limite fixée au 30 avril), le gouvernement a déposé à Bruxelles
les 30 fiches du plan de relance présentant les projets d’investissements et
les lignes directrices des réformes envisagées dans le domaine de la fiscalité,
du marché du travail et des retraites, et destinés à assurer la transition du
pays. Il envisagerait même d’anticiper le déblocage des fonds de la FRR (prévu après
deux mois d’examen du plan de relance par la Commission) en finançant les
investissements par de la dette. Il faut dire que les besoins sont immenses
dans ce tissu productif marqué par l’importance des PME. Fin 2019, 53,5 % des
entreprises étaient le fait d’autoentrepreneurs, 40 % avaient entre 1 et 9
salariés et 5,5 %, entre 10 et 49 salariés, l’ensemble représentant la moitié
des emplois. Selon les intentions du gouvernement :

  • 37 % des fonds sont destinés à la transition
    écologique (250 000 nouveaux véhicules achetés d’ici à 2023, installation
    de 100 000 bornes de recharge, transformation du système électrique pour
    100 % d’énergie renouvelable en 2050, réhabilitation de plus de 500 00
    logements pour une meilleure efficience énergétique) ;
  • 34 % à la transformation numérique (avec un taux
    de couverture de 80 % de la population dont 75 % par la 5G, développement du
    télétravail pour plus de 150 000 emplois publics, formation pour plus de
    2,5 millions de PME, …) ;
  • 30 % pour la Recherche-Développement,
    l’éducation et formation, l’inclusion sociale et territoriale.

Les grandes lignes des réformes ont
donc également été érigées. La nouvelle orientation de la réforme fiscale,
visant à une plus forte progressivité et davantage redistributivité[5],
est déjà inscrite dans le budget 2021 (voir plus loin). Les réformes sur le marché
du travail, encore très dual, et sur les retraites n’ayant pas encore été
débattues au Parlement ni avec les partenaires sociaux, elles restent à l’état
de principes qui devraient toutefois satisfaire les services européens.
Concernant la réforme du marché du travail, les principales mesures présentées visent
la généralisation de l’usage des CDI et le durcissement du recours aux CDD, le
renforcement de la flexibilité du temps de travail comme alternative aux CDD et
aux licenciements, la modification des politiques actives de l’emploi, la
remise en cause de la réforme de 2012 concernant les négociations collectives, un
programme d’emploi ciblé sur les jeunes (2021-2027) et la modernisation du
service publique de l’emploi (SEPE). La réforme concernant les retraites est
moins avancée, le sujet donnant lieu à davantage de tensions entre partenaires.
Ainsi, le gouvernement n’a pas inscrit dans le plan envoyé à Bruxelles sa
proposition de faire passer de 25 à 35 ans la durée de cotisations pour le
calcul des retraites.

Mais surtout, ce Plan National de Reprise, de Transformation
et de Résilience
présenté à la Commission européenne et qui devrait donner
lieu au déblocage des fonds européens reprend exactement les termes inscrits
dans le Pacte Coalicion Progresista – Un nuevo acuerdo
para Espana
signé en décembre 2019 entre les deux partis de la
coalition au pouvoir PSOE et UP-Podemos. Les premiers chapitres du document
insistent sur l’importance d’investir dans la transformation numérique, la
transition écologique, la R&D, la formation pour moderniser l’économie
espagnole et créer des emplois de qualité. Les subventions européennes
constituent une opportunité immense pour financer ce projet de transformation
de la structure productive espagnole, par le gouvernement de gauche.

Les mesures sociales inscrites
dans le Pacte financées par la hausse de la fiscalité

Au-delà des projets
d’investissements inscrits dans le plan de relance et financés par les fonds
européens, le gouvernement a amorcé dans son budget 2021 la réforme fiscale présentée
dans le Pacte et destinée à financer les mesures sociales annoncées ou déjà
prises. Comme on l’a dit, l’absence de majorité au Congrès des députés et au
Sénat a ouvert le champ aux négociations avec les petits partis indépendantistes
et régionalistes, et donc aux concessions pour obtenir le soutien des voix. Toutes
les mesures n’ont pas pu passer[6].
Au final, la réforme devrait rapporter à l’État 7,7 milliards d’euros[7],
soit 1,4 milliard de moins que ce qui avait été annoncé dans le PLF envoyé à
Bruxelles. Si l’on rajoute le maintien à 0 % de la TVA sur les masques
chirurgicaux, ce sont 3 milliards qui manquent pour respecter l’engagement de
déficit.

La réforme fiscale 2021 est
principalement concentrée sur les grandes entreprises et les hauts revenus.
Elle inclut :

  • La baisse
    de 100 % à 95 % de l’exonération d’impôt sur les sociétés sur les dividendes et
    plus values reçus des filiales à l’étranger
    . Les 5% non exonérés sont
    désormais imposés au taux général de 25% (30% dans le cas des banques et des
    compagnies pétrolières). Cette mesure exclut pour trois ans les PME (entreprises
    dont le chiffre d’affaires est inférieur à 40 millions) (gain attendu de 1 520
    millions d’euros). Par ailleurs, l’État instaure un seuil minimum de l’impôt
    sur les SOCIMI (équivalent aux sociétés d’investissements immobiliers cotées -SIICs-
    en France) à 15 % (+ 25 millions) ;
  • La hausse
    de 2 points de l’IRPP
    sur les revenus supérieurs à 300 000 € et de 3
    points sur les revenus de l’épargne supérieurs à 200 000 € (le taux passe
    de 23 à 26 %) (gains 490 millions). Cette mesure devrait concerner les 36 200
    particuliers aux revenus les plus élevés (soit 0,07 % des contributeurs selon
    le Ministère)[8] ;
  • La baisse de 8 000 à 2 000 euros du seuil
    d’exonération de l’IRPP sur les placements individuels en fonds de pension privés (+ 580 millions) et le relèvement de 8 000
    à 10 000 euros du seuil d’incitation pour les entreprises ;
  • La taxe sur les primes d’assurance passe de 6 à
    8 % (+507 millions d’euros) ;
  • La hausse de la TVA sur les boissons sucrées et édulcorées, hors produits laitiers de
    10 à 21% (le gain attendu est passé de 360 millions) ;
  •  L’introduction d’un impôt sur les transactions
    financières pour les entreprises ayant un capital supérieur à 1 milliard
    d’euros, de 0,2 % (taxe Tobin) ainsi
    que d’une taxe sur l’économie numérique de 3 % (taxe GAFA). Ces taxes devraient rapporter respectivement 850 et 968
    millions d’euros. Adoptées en 2020, elles sont entrées en vigueur le 16 janvier
    dernier ;
  • La fiscalité
    verte
    se met en place avec la création d’un impôt sur les plastiques à
    usage unique (+ 491 millions) combinée à d’autres mesures (impôts sur les déchets,
    …) (+ 861 millions) ;
  • Enfin, des mesures de lutte contre la fraude fiscale sont engagées pour un gain attendu
    de 828 millions.

Ces recettes fiscales supplémentaires
sont destinées à couvrir les dépenses sociales, notamment le Revenu Minimum Vital introduit en juin
2020 pour réduire la pauvreté et favoriser l’insertion sur le marché du travail.
Environ 850 000 familles sont concernées (2,3 millions de personnes, 17 %
de la population). Le montant de l’aide est compris entre 462 euros par mois pour
une personne vivant seule et 1 015 euros pour une famille. Les retraites et
salaires des fonctionnaires seront revalorisés de 0,9 %, les prestations non
contributives de 1,8 % et l’indicateur de référence utilisé pour déterminer
l’éligibilité à de nombreuses prestations sociales (IPREM) de 5% (il était gelé
depuis 2017). L’autre mesure phare concerne l’aide à la dépendance dotée de 600 millions supplémentaires et l’éducation. Par contre, l’objectif de
porter le salaire minimum (SMI) à 60 % du salaire moyen à la fin de la
législature (entre 1100 e 1200 € par mois en 2023) est momentanément suspendu.
Après la hausse de 20 % en 2020, le SMI demeure donc à 950 euros par mois sur
14 mois. Les salaires des membres de l’exécutif sont gelés cette année.

Au final, après de longues années
d’instabilité politique, on peut espérer que le gouvernement de coalition en
place continue de trouver les ententes nécessaires au sein des différentes
formations politiques espagnoles pour profiter des opportunités favorables et
ouvrir des perspectives nouvelles et constructives, dans un contexte
particulièrement difficile.


[1] Pour une
analyse plus fine de la crise, on pourra se reporter au Policy
Brief OFCE de Hervé Péléraux et Sabine Le
Bayon : « Croissance mondiale confinée en 2020 », n° 82 du 14
janvier 2021
.

[2]
L’information doit être validée par le Parlement européen au cours des
prochaines semaines.

[3] Nous ne
disposons pas de la répartition des nouveaux montants sur 2021 et 2022. Nous
savons par contre que sur les 69,437 milliards prévus initialement sur la
période 2021-2023, l’État devait recevoir 26,634 milliards en 2021 dont 2,436
milliards du fonds REACT EU, destinés
à l’achat de vaccins. Sur les 26,634 milliards reçus, l’État reversait 10,8 milliards
aux régions qui doivent recevoir par ailleurs 8 milliards de REACT EU pour renforcer leurs systèmes
sanitaire et éducatif.

[4] Sur la
base d’un multiplicateur moyen de 1,2, le gouvernement a estimé dans le Projet
de loi de finances envoyé à Bruxelles l’impact du plan de relance sur la
croissance à 2,5 points en 2021. Sous des hypothèses moins favorables (rythme
d’absorption plutôt lent des fonds européens passés, complexité dans la gestion
au niveau des régions, …), la Banque d’Espagne l’estime en janvier 2021 à entre
1 et 1,6 point.

[5] En 2018,
le rapport entre le revenu moyen des 20 % les plus riches et celui des 20 % les
plus pauvres est de 5,9 en Espagne contre 4,6 en France selon l’OCDE.

[6] Ainsi,
la hausse de l’impôt sur les institutions privées scolaires et de santé a été
retoquée avant même d’être présentée au Congrès des députés et la hausse de la
fiscalité sur le diesel (+3,8 centimes par litre à 34,5 cts contre 40,07 sur
l’essence) a dû être abandonnée. Ces mesures devaient rapporter respectivement
967 et 500 millions d’euros.

[7] En
concept de caisse, les recettes passent de 6,847 à 5,635 milliards en 2021 et de
2,323 à 2,135 milliards en 2022.

[8] La
mesure marque un recul assez net par rapport aux engagements du Pacte. En effet
était prévue une hausse de 2 points de l’IRPP sur les revenus > 130 000
€ et de 4 points sur les revenus >300 000 €, et de 4 points sur les revenus
de l’épargne > 140 000 €. Une hausse d’1 point sur l’ISF était inscrite
pour les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros.




Le recours au chômage partiel dans la crise

par Bruno Ducoudré

Face à l’urgence de la crise
sanitaire et pour aider les entreprises à faire face aux conséquences des
mesures de confinement et de fermeture administrative des commerces non
essentiels, le gouvernement a largement étendu le dispositif de chômage
partiel : ouverture du dispositif à des salariés auparavant non éligibles
(VRP, journalistes pigistes, …) et prise en charge de l’indemnité de chômage
partiel jusqu’à 4,5 smic horaire, rétroactivité et extension des délais de
dépôt des demandes. Où en-est-on du recours à ce dispositif par les
entreprises ?



Depuis le début du mois d’avril,
la Dares (le service statistique du Ministère du Travail) publie chaque semaine
un ensemble
de données
portant notamment sur les demandes d’autorisation des
entreprises à recourir au chômage partiel pour leurs salariés.

Nous comparons dans le graphique
1 ci-dessous les demandes reportées par la Dares au 14 avril 2020 à notre estimation
du nombre potentiel de salariés concernés par le chômage partiel
. Les
chiffres rapportés par la Dares sont généralement supérieurs à notre évaluation.
Globalement, au 14 avril 2020 la Dares comptabilisait 8,7 millions de salariés
concernés par une demande d’autorisation de recours au dispositif (graphique 1).
Nous estimons à 6,5 millions le nombre de salariés potentiellement concernés
par le chômage partiel (avant application d’un taux de recours), compte tenu de
la chute d’activité estimée, de la possibilité de recourir au télétravail et de
l’existence du dispositif de garde d’enfant. Ces différences proviennent pour
une large part de raisons d’ordre méthodologique.

Les effectifs reportés par la
Dares peuvent être supérieurs à notre évaluation du nombre de salariés
effectivement concernés par le chômage partiel :

  • Nous faisons l’hypothèse que les heures demandées le sont au prorata du temps de travail moyen par salarié dans la branche. Dans notre cas de figure, si une entreprise réduit de 50% l’activité, cela entraîne 50% des emplois de l’entreprise en chômage partiel. Par contre, dans le cas des chiffres reportés par la Dares, d’autres combinaisons sont possibles : si une entreprise fait face à une réduction de 50% de son activité, elle peut mettre 50% de ses salariés au chômage partiel pour 1 mois ou, par exemple, mettre 100% de ses salariés en chômage partiel la moitié du mois ;
  • Compte tenu du niveau élevé d’incertitude, les entreprises peuvent anticiper un recours futur au dispositif pour des salariés qu’elles ne placent pas pour le moment en chômage partiel. La demande porte sur plusieurs mois et peut aller jusqu’à 1 600 heures de chômage partiel autorisées par salarié ;
  • Il peut aussi exister des effets d’aubaine : des entreprises profiteraient du dispositif pour faire travailler leurs salariés tout en bénéficiant du chômage partiel.

Les heures demandées en
autorisation de chômage partiel par les entreprises (graphique 2) sont aussi
plus élevées que le nombre d’heures retenu dans notre estimation, qui portent
sur un mois de confinement :

  • Dans les faits, tous les effectifs ne sont pas à temps complet : les heures demandées pour les salariés à temps partiel donnent la possibilité d’étaler dans le temps les heures demandées. Ainsi 151,67 heures autorisées correspondent à un mois de chômage partiel pour un salarié à temps plein mais à deux mois pour un salarié travaillant habituellement à temps partiel 50% ;
  • Les volumes d’heures demandées portent sur plusieurs mois potentiellement, puisque le plafond d’heures s’élève à 1 600h par an et par salarié. Le nombre d’heures moyen demandé par salarié s’élève à 425 heures ;
  • Les entreprises peuvent anticiper/ne pas connaître parfaitement dans quelle mesure elles auront besoin de recourir au dispositif dans les mois à venir ;
  • Il existe généralement un écart entre le volume d’heures autorisées et le volume d’heures consommées (le recours effectif au dispositif). En 2008, seulement 50% des heures autorisées ont été consommées (graphique 3). Cela peut également signifier que les entreprises font une demande pour certains salariés qui ne seront pas mis in fine au chômage partiel.

D’un côté les chiffres reportés par la Dares portent donc sur des demandes d’autorisation et non des heures (et des salariés) effectivement déclarées en chômage partiel. Elles constituent donc un maximum potentiel et non un nombre effectif de salariés en chômage partiel.  Notre estimation porte sur un nombre de salariés qui seraient potentiellement concernés par le chômage partiel, auquel nous appliquons ensuite un taux de recours moyen de 75% de la part des entreprises[1], compte tenu de notre évaluation de l’impact sur la valeur ajoutée sectorielle des chocs affectant l’économie. Elle peut sous-estimer le nombre de salariés concernés dès lors qu’une partie des salariés est mise en chômage partiel pour une part seulement des heures travaillées mensuelles.

La Dares a également publié les
résultats d’une enquête
auprès des entreprises
de 10 salariés ou plus du secteur privé non
agricole, et portant sur leur situation et les conditions d’emploi de la main-
d’œuvre à fin mars. Les résultats de cette enquête nous renseignent sur le
recours effectif des entreprises au chômage partiel. Nous comparons dans le
graphique 4 le pourcentage de salariés au chômage partiel d’après cette enquête
au pourcentage de salariés concernés calculé à partir de notre évaluation avec
un taux de recours effectif de 75% (soit 5,3 millions de salariés). L’enquête
Acemo porte sur un champ de 15 millions de salariés. Sur ces 15 millions de
salariés, 3,7 millions de salariés étaient effectivement en situation de
chômage partiel la semaine du 23 mars 2020. Si des écarts existent au niveau
sectoriel, ils peuvent provenir pour partie du fait que l’enquête n’inclut pas
les TPE de moins de 10 salariés. Au niveau agrégé, notre estimation de salariés
effectivement en chômage partiel, compte tenu d’un taux de recours de 75% au
dispositif, est très proche : 22,5% de salariés estimés en chômage partiel
en période de confinement contre 24,7% de salariés en chômage partiel en
moyenne la semaine du 23 mars selon l’enquête Acemo.

In fine, il apparaît que le recours des entreprises au chômage partiel est massif durant le confinement, ce qui limite les destructions d’emplois[2] qui pourraient approcher 460 000 au premier mois du confinement. Nous estimons le coût du dispositif à 11,9 milliards d’euros d’indemnités prises en charge par les administrations publiques auxquels s’ajoutent 7,4 milliards d’euros de cotisations sociales perdues par mois de confinement.

Les destructions d’emplois se
concentrent dès lors massivement sur les salariés les moins protégés : ceux
en transition entre deux emplois et ceux en contrats de travail à durée très
courte (CDD de moins d’un mois, missions d’intérim). D’après l’enquête de la
Dares, 11% des entreprises ont diminué leurs effectifs, le plus souvent par le
non renouvellement de CDD (48,5% des entreprises ayant diminué leurs effectifs)
et/ou l’annulation ou le report d’embauches prévues (51,3% des entreprises
ayant diminué leurs effectifs).


[1] Nous
supposons que le taux de recours moyen effectif des branches au chômage partiel
est de 75%. Il est de 100% pour les salariés des branches concernées par les
fermetures administratives. Cf. Policy Brief n°65 pour un detail de la
liste des secteurs impactés par l’arrêté du 15 mars 2020.

[2] Pour
mémoire, au plus fort de la crise financière, 430 000 emplois avaient été
détruits du troisième trimestre 2008 au deuxième trimestre 2009 inclus, pour
une baisse du PIB de 3,1% entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième
trimestre 2009.




Entrée des jeunes dans la vie active : quelles évolutions de leurs trajectoires professionnelles ces vingt dernières années ?

Par Xavier Joutard

Les premières années de vie active sont un moment clé pour la carrière professionnelle, d’autant plus en période de récession. Démarrer sa carrière dans un contexte économique très dégradé peut induire des stigmates persistants et impacter durablement les trajectoires professionnelles des jeunes sortant pour la première fois du système éducatif.



Cela peut concerner la « Génération
de 2010 », c’est-à-dire les jeunes sortis du système de formation en 2010.
Ces jeunes sont entrés sur un marché du travail ayant subi la Grande récession
de 2008. Moins de 3 ans après, ils ont été confrontés à une nouvelle crise, celle
des dettes souveraines européennes, et ont ensuite continué à évoluer sur un
marché du travail très dégradé.

De plus, cette génération, davantage
diplômée que les précédentes, se retrouve au cœur de transformations plus
structurelles du marché du travail : évolution des pratiques de recrutement
avec l’explosion des embauches sur contrats courts, nouvelles vagues
d’innovations technologiques liées à la numérisation et l’intelligence
artificielle, tertiarisation croissante des activités économiques, etc. 

Par rapport aux jeunes de la
« génération de 1998 », ayant eu la chance de s’insérer dans une
conjoncture plus favorable, quels résultats peut-on mettre en avant en
comparant leurs trajectoires professionnelles, au cours de leurs premières
années sur le marché du travail ? Peut-on observer des différences selon
le genre et les niveaux de formation ?

Un accès à l’emploi à durée
indéterminée plus tardif et moins fréquent pour les jeunes hommes les moins
diplômés de 2010

À l’aide des enquêtes Génération du Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), on a reconstitué et comparé les trajectoires d’insertion de jeunes sur leurs 7 premières années d’activité : ces enquêtes permettent en effet de suivre des jeunes d’une même génération, sortant de formation initiale la même année et interrogés à 3 reprises, (3, 5 et 7 ans après leur sortie).  L’insertion des jeunes sortant du système éducatif sur le marché du travail s’est dégradée en vingt ans. Particulièrement pour les jeunes hommes sortant de formation initiale sans diplôme ou avec un seul diplôme du secondaire. Sept ans après leur entrée sur le marché du travail, seule une minorité des jeunes les moins qualifiés – disposant au mieux du baccalauréat – de la génération 2010 ont un emploi à durée indéterminée à temps complet (47 %, soit 20 points de moins qu’il y a 12 ans, cf. aires bleues des graphiques 1). Et le délai d’accession à un tel emploi s’est fortement rallongé :  il faut près de 5 ans en moyenne pour obtenir un premier CDI à temps complet pour un jeune homme peu ou non qualifié entré sur le marché du travail en 2010. Pour génération 1998, ce délai était de 2 à 3 ans (32 mois, cf. tableau I-1).

Une moindre dégradation de l’insertion des jeunes les plus qualifiés sur le marché du travail

Les jeunes plus qualifiés ayant
obtenu un diplôme du supérieur semblent moins impactés par des conditions
économiques dégradées en début de carrière : les taux d’insertion dans
l’emploi stable – CDI à temps partiel et complet – à horizon de 7 ans restent
toujours élevés pour les sortants de la génération 2010 : 77 % pour
les jeunes hommes et 71 % pour les jeunes femmes (cf. graphiques 3-B et
4-B). En revanche, ils mettent davantage de temps pour accéder au premier
emploi à durée indéterminée : 8 à 10 mois en moyenne de plus que la
génération 1998 (cf. tableau I-2). De plus, ils traversent plus souvent une
période de précarité, qui se traduit par un passage plus fréquent par un
contrat à durée déterminée au cours des 7 premières années de vie active :
68% (56%) des jeunes femmes (hommes) sont passées au moins une fois par un CDD
entre 2010 et 2017, soit une progression de 4 points par rapport à la
génération de 1998.

 Des analyses du Céreq ont également montré que les perspectives d’évolution de carrière et de salaire ont été dégradées pour les jeunes les plus qualifiés : plus grande difficulté à accéder au statut de cadre (Epiphane et al., 2019), progression des taux de déclassement professionnel (Di Paola et Moullet, 2018) et moindre « rentabilité » de leur diplôme avec des salaires inférieurs (Barret et Dupray, 2019).

Des trajectoires professionnelles devenues très proches entre les hommes et les femmes les moins qualifiés

Les trajectoires d’insertion s’étant
fortement dégradées pour les jeunes hommes les moins qualifiés, elles se sont
par conséquent très nettement rapprochées de celles des jeunes femmes les moins
qualifiées. Elles sont même aujourd’hui quasi-identiques selon le genre (cf.
graphiques 1-B et 2-B), alors que les jeunes femmes de la génération 1998
subissaient un taux d’emploi en CDI plus de 20 points inférieurs à celui de
leurs homologues masculins. Une différence subsiste toutefois entre les
genres : la part des CDI à temps partiels chez les jeunes femmes peu ou
non qualifiées (« aire jaune » dans les graphiques) reste largement
supérieure à celle des jeunes hommes.

En revanche, parmi les jeunes
diplômés les plus qualifiés, les écarts hommes-femmes restent marqués. 75 % des
jeunes hommes bénéficient de CDI à temps plein, après 7 ans d’expérience sur le
marché, contre 60 % des jeunes femmes, soit 15 points de plus. De plus, les
durées d’accès à un premier emploi de ce type sont plus longues de 8 mois pour
les jeunes femmes.

Références complémentaires :

Altonji J. G., Kahn L. B. et J. D.
Speer, 2016, « Cashier or Consultant? Entry Labor Market Conditions, Field of Study, and Career
Success », Journal of Labor Economics, 34(1), pp. 361-401.

Barret C.  et A. Dupray, 2019, « Que gagne-t-on à
se former ? Zoom sur 20 ans d’évolution des salaires en début de vie active », Céreq
Bref,
n° 372.

Couprie H. et X. Joutard, 2017,
« La place des emplois atypiques dans les trajectoires d’entrée dans la
vie active : évolutions depuis une décennie », Revue Française
d’Economie
, volume XXXII, pp. 59-93.

Couprie H. et X. Joutard, 2020, « Atypical
Employment and Prospects of Young Men and Women on the Labor Market in a Crisis
Context », mimeo.

Di Paola, V. et S. Moullet, 2018,
« Le déclassement, un phénomène enraciné »   dans « 20 ans d’insertion professionnelle
des jeunes, entre permanences et évolutions
 » coordonné par T.
Couppié, A. Dupray, D. Epiphane et V. Mora, Céreq Essentiels.  

Epiphane D., Mazari Z., Olaria M.
et E. Sulzer, 2019, « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une
génération plus diplômée », Céreq Bref, n° 382.




Évolution de l’emploi : quel niveau pour les cycles de productivité par branche ?

par Bruno Ducoudré

L’emploi salarié dans les branches marchandes (17,3 millions d’emplois au premier semestre 2019) représente environ 65% de l’emploi total, et sa progression contribue (848 000 emplois créés depuis le dernier trimestre 2014) largement à la baisse du chômage observée depuis 2015. La bonne compréhension des évolutions conjoncturelles de l’emploi salarié dans le secteur marchand nécessite de distinguer les tendances de long terme qui l’affectent (gains de productivité tendanciels, évolution de la durée du travail, coût du travail) des fluctuations conjoncturelles de l’activité.Ces deux dimensions peuvent par ailleurs varier selon les branches d’activité, les branches étant plus ou moins sensibles à la conjoncture internationale ; les cycles de production peuvent également être plus longs dans la construction que dans les autres branches.

Dans une étude récente[1], nous procédons à une analyse tendance/cycle de productivité pour l’économie française en décomposant les demandes de travail par grande branche marchande (industrie, construction, services marchands). À partir d’une estimation économétrique des demandes de travail par branche, nous cherchons à mesurer les tendances de productivité, leur évolution et les cycles de productivité.

Il s’agit d’une part de caractériser le ralentissement de la productivité pour la France et de mettre en évidence la contribution des branches à ce ralentissement[2]. Le ralentissement de la productivité peut provenir de deux effets : 1. un effet provenant du ralentissement partagé par l’ensemble des branches ; 2. un effet de composition : dès lors que les gains de productivité sont plus élevés dans l’industrie, mais que ce secteur voit sa part dans l’emploi et sa VA diminuer au cours du temps[3], les gains de productivité des branches marchandes prises dans leur ensemble diminuent, toutes choses égales par ailleurs. Conformément à la littérature théorique et empirique existante (Duarte et Restuccia, 2010), les gains de productivité sont attendus plus élevés dans l’industrie, là où les tâches routinières conduisent au remplacement des emplois par les machines et où les innovations de produits, managériales et organisationnelles permettent des gains de productivité plus élevés relativement aux autres secteurs. Les estimations indiquent une tendance de productivité croissante à un rythme de 0,9 % par an sur la période récente (1,9 % par an dans l’industrie, 0,8 % dans les services et 0,1 % dans la construction ; graphique 1). Cette tendance a ralenti depuis le début des années 1980. Ce ralentissement des gains de productivité tendanciels s’observe principalement dans l’industrie. Conjugué à la baisse de la part de l’industrie dans l’emploi, cela explique 90 % de la baisse du taux de croissance de la productivité tendancielle depuis les années 1980.

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D’autre part, la méthode permet d’affiner le diagnostic conjoncturel sur l’emploi par branche. De fait, les comportements de demande de travail peuvent différer selon les branches. Ces divergences portent notamment sur le type de main-d’œuvre (travail qualifié/non qualifié) et la sensibilité au coût du travail, ou sur les modalités d’ajustement de la main-d’œuvre aux variations de l’activité (délais d’ajustement, ajustements internes via la modulation de la durée du travail ou ajustement externe via la modification du stock d’emplois). Les cycles d’activité peuvent aussi être de durées et d’ampleurs différentes selon les branches, selon qu’elles sont plus ou moins exposées à la conjoncture internationale ou qu’elles connaissent des spécificités propres, les cycles d’activité dans la construction pouvant être plus longs. Ainsi, à court terme, l’emploi est essentiellement déterminé par les variations de l’activité économique mais l’ajustement est progressif. L’impact de la croissance sur l’emploi est amorti par le comportement des entreprises, conduisant à un cycle de productivité : si les entreprises adaptent très rapidement le volume d’emplois temporaires (CDD courts, intérim) à la conjoncture, elles n’ajustent pas immédiatement leurs effectifs stables aux besoins de la production. Elles préfèrent recourir à la flexibilité interne, en ajustant les rémunérations salariales variables et le temps de travail via les heures supplémentaires, les congés imposés ou le chômage partiel. Les entreprises ne vont ajuster leurs effectifs que si le rebond ou le creux conjoncturel se montre durable. C’est pourquoi la productivité du travail accélère lors des phases de reprise et ralentit lors des ralentissements conjoncturels. La modification du rythme de croissance a donc des effets retardés sur l’emploi, et la croissance de la productivité du travail fluctue à court terme.

Les résultats montrent que le cycle de productivité présente des fluctuations plus importantes dans le secteur de la construction. Le calcul des délais moyens d’ajustement (DMA) de l’emploi à la demande indique un délai d’ajustement de 5,6 trimestres pour cette branche. Le cycle fluctue beaucoup moins pour l’industrie et les services, indiquant une vitesse d’ajustement de l’emploi à l’activité économique plus rapide pour ces deux branches, ce que confirment les délais moyens d’ajustement à la demande (respectivement 4,4 et 4,1 trimestres). Globalement, au quatrième trimestre 2018 les estimations indiquent que le cycle de productivité serait légèrement positif dans les services (+0,2 %), ce qui signifie que le secteur des services est globalement en sous-effectif. Autrement dit, une fermeture du cycle de productivité dans les services se traduirait, toutes choses égales par ailleurs, par une hausse de l’emploi de 0,2 % dans les services. Le cycle de productivité serait plus largement positif dans l’industrie (+0,8 %) tandis qu’il continuerait de se creuser dans la construction (-1,6 % ; graphique 2). Au niveau du secteur marchand non agricole (SMNA), le cycle de productivité serait refermé au quatrième trimestre 2018 (Graphique 3).

 

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[1] B. Ducoudré, « Tendances et cycles de productivité par grande branche marchande pour l’économie française », Revue de l’OFCE, n° 162, avril 2019.

[2] Les économies développées sont confrontées à un ralentissement tendanciel des gains de productivité (Bergeaud, Cette et Lecat, 2016 ; Cette, Fernald et Mojon, 2016 ; Ducoudré et Heyer, 2017). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce ralentissement – déclin de l’investissement, mauvaise allocation des facteurs, qualité du travail dégradée, moindre diffusion des technologies entre les entreprises à la frontière de la productivité et les autres, phénomènes de « winner-takes all ».

[3] Du fait des décisions de localisation / délocalisation de la production des firmes à l’étranger, d’une demande intérieure atone, d’un transfert d’une partie l’activité et des emplois des branches industrielles vers les branches des services ou encore de pertes de parts de marché à l’exportation ou sur le marché intérieur face à la concurrence étrangère.

 

Bibliographie

Bergeaud A., Cette G. et Lecat R., 2016, « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », Review of Income and Wealth, vol. 62, n° 3, pp. 420‑444.

Cette G., Fernald J. et Mojon B., 2016, « The pre-Great Recession slowdown in productivity », European Economic Review, vol. 88, pp. 3‑20.

Duarte M. et Restuccia D., 2010, « The role of the structural transformation in aggregate productivity », The Quarterly Journal of Economics, vol. 125, n° 1, pp. 129‑173.

Ducoudré B., « Tendances et cycles de productivité par grande branche marchande pour l’économie française », Revue de l’OFCE, n° 162, avril 2019.

Ducoudré B. et Heyer É., 2017, « Quel nouveau sentier de croissance de la productivité du travail ? Une analyse pour six grands pays développés », Revue de l’OFCE, vol. 152, n° 3.




Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage

par Bruno Coquet et Eric Heyer

L’OFCE et la Délégation du Sénat pour les entreprises ont récemment publié un rapport ayant trait à l’opportunité et aux moyens de réguler l’usage des contrats courts. La première partie dessine le cadre économique et dresse un bilan du développement des contrats courts en France au cours des trente dernières années, puis met en évidence les déterminants de leur usage croissant. La seconde partie tire les conséquences de cette segmentation du marché du travail du point de vue de l’assurance chômage, et montre qu’il est nécessaire de réguler l’usage des contrats courts avec des instruments économiques, respectueux des mécanismes de marché. Ces travaux éclairent les nouvelles négociations des règles de l’assurance chômage engagées par les partenaires sociaux, à la demande du gouvernement.

Contrats courts : nécessaires, mais pas à n’importe-quel prix

Le recours aux contrats courts a fortement progressé : aujourd’hui près de 40 millions de CDD de moins de 1 mois et de missions d’intérim sont conclus chaque année dans notre pays, deux fois plus qu’en 2000, et des contrats plus en plus courts. Et ce phénomène transcende les statuts juridiques car il concerne aussi les CDI souvent rompus très vite et même le secteur public.

Les contrats courts sont pour les employeurs un moyen de réduire l’incertitude inhérente à l’activité économique. Ils favorisent donc le bon fonctionnement de l’économie de marché, dans la limite où ils ne permettent pas de s’affranchir de certains principes essentiels : l’agent qui supporte un risque doit être rémunéré en conséquence, les coûts de production doivent être facturés aux clients et la compétitivité ne peut pas structurellement reposer sur la détérioration des conditions sociales. L’usage des contrats courts doit aussi créer de la valeur, de l’emploi et des revenus, car il ne serait sinon qu’un moyen de saupoudrer la quantité existante de travail sur un nombre accru d’actifs, donc un partage du travail d’un genre particulier, sans compensation salariale mais avec des exonérations de charges, et de plus en plus de salariés gagnant trop peu pour vivre de leur travail.

L’usage des contrats courts stimulé par la baisse du coût du travail

Notre analyse économétrique confirme l’usage contra-cyclique des contrats courts, leur sensibilité à l’environnement juridique et met en évidence un lien étroit entre l’essor des contrats courts et les politiques de baisse des cotisations sociales ciblées sur les bas salaires. En revanche, à l’aune de nos résultats, la formule de taxation des contrats courts mise en place de 2013 à 2017 serait restée sans effet.

Les contrats courts coûtent cher à tous les agents, exceptés aux employeurs qui les utilisent et leurs clients. Si leur usage ne doit pas être bridé par principe, la théorie économique ne justifie pas qu’il soit débridé, en particulier si ces contrats courts sont toujours plus courts, dans des activités pérennes où la demande est stable, voire en expansion régulière et soutenue, si bien que les employeurs qui n’utilisent pas ces contrats sont moins compétitifs.

L’assurance chômage confrontée aux contrats courts

Les contrats courts ont modifié la nature de l’emploi et du chômage, exposant l’assurance à une forte récurrence en indemnisation, en particulier sous forme de réembauches. Même si l’État doit agir en ajustant ses propres instruments lorsqu’il stimule les contrats courts, la bonne gestion commande à l’assureur d’adopter une tarification servant ses propres objectifs, plutôt que d’attendre des mesures imposées de l’extérieur, qui embrasseraient probablement d’autres objectifs que l’optimalité de l’assurance chômage.

Dans une assurance mutualisée, il est normal et sain que les chômeurs issus d’emplois instables soient surreprésentés et génèrent un déficit d’exploitation, compensé par un excédent des contrats stables : cela montre que les risques effectifs sont bien couverts. Mais le risque de chômage n’est assurable que s’il ne résulte pas de la volonté des assurés. Assurer du chômage temporaire, c’est-à-dire compléter les revenus du travail de contrats courts choisis, et assurer le chômage involontaire sont donc deux objectifs bien différents que l’assureur devrait traiter avec deux caisses dédiées, car leurs logiques de financement sont différentes. En France, l’assureur poursuit ces deux objectifs avec une seule caisse et un ensemble unique de règles : le prix de l’assurance est donc le seul levier qu’il peut moduler pour réguler les comportements indésirables. Cela n’a rien d’hérétique : il s’agit simplement d’inciter les employeurs à internaliser le coût du chômage temporaire engendré par la technologie et l’organisation de la production. Si l’assureur ne le fait pas, il devra restreindre les droits communs qui sont sa raison d’être, pour financer du chômage temporaire, ce qui peut précipiter sa faillite.

Une régulation économique raisonnée

Jusqu’à présent la France a sans succès privilégié une régulation juridique des contrats courts, qui laisse accroire à de fortes rigidités de leur usage, alors que celui-ci est en réalité très flexible. Or, le ressort fondamental des contrats courts n’est pas juridique mais économique : les employeurs y ont recours non pas parce que le Code du travail le prévoit, mais parce qu’ils en tirent un avantage économique. Du point de vue de la théorie économique et du bon fonctionnement de l’économie de marché, ce levier de contrôle économique est inexplicablement sous-utilisé. Le contexte actuel plaide sans ambiguïté pour un rééquilibrage en faveur de cette régulation économique, en l’occurrence une tarification comportementale des employeurs.

Il ne s’agit pas de taxer, mais de tarifer, de fixer un prix d’équilibre du contrat d’assurance, qui minimise son coût et maximise son efficacité. Cette tarification doit, autant que possible, être contemporaine du comportement qui la justifie, simple, lisible, ni excessive ni symbolique, inciter et non punir. Elle ne doit pas viser à financer le « déficit » des contrats courts, ni renflouer l’Unedic, mais supprimer les subventions croisées payées par les employeurs de salariés en contrats longs qui bénéficient aux employeurs de salariés précaires, pour réguler les comportements de certains employeurs dans certains secteurs.

Nous préconisons une troïka d’instruments qui vont en ce sens :

– Une tarification dégressive avec l’ancienneté dans le contrat de travail. Indépendante du statut, laissant l’employeur libre de ses choix, contemporaine du comportement coûteux, elle diminue le coût du travail d’une immense majorité d’employeurs ;

– Un système de franchise, peu coûteux, permettant d’épargner les petites entreprises et les entreprises en forte croissance, et celles utilisant peu les contrats courts ;

– Une contribution forfaitaire, car la rotation très rapide de contrats très courts suggère que le coût de transaction n’est pas dissuasif pour l’employeur.

La nature et l’ampleur du problème des contrats courts, dont les bénéfices sont aujourd’hui localisés sur un nombre réduit d’agents tandis que les coûts sont supportés par une majorité, impliquent que de telles solutions feraient plus de gagnants que de perdants.

Cette troïka doit évidemment aller de pair avec des lois applicables et appliquées, notamment pour les CDD d’usage. Une révision des conditions d’indemnisation qui peuvent de leur côté favoriser l’usage de l’assurance aux fins d’indemniser du chômage temporaire (salaire de référence servant à calculer l’allocation et taux de remplacement) doit également être conduite en cohérence avec la tarification des contrats courts.




Italie : l’horizon semble s’éclaircir

Par Céline Antonin

Avec une progression de 0,4 % au troisième trimestre 2017 (tableau infra), la croissance italienne semble avoir retrouvé des couleurs et profite de la reprise généralisée en zone euro. L’amélioration de la croissance est liée à plusieurs facteurs : d’abord, la poursuite de la fermeture de l’écart de production (output gap) qui s’était fortement dégradé après la double récession (2008-2009 puis 2012-2013). En outre, la politique budgétaire expansionniste en 2017 (+0,3 point d’impulsion budgétaire), essentiellement ciblée sur les entreprises, et le dynamisme de la consommation portée par la croissance de l’emploi et la hausse des salaires expliquent cette bonne performance. Par ailleurs, l’emploi progresse, sous l’effet de la baisse de cotisations sociales amorcée en 2015 et d’une amélioration de la croissance en 2016 et 2017.

Malgré cette embellie, l’Italie reste le malade de la zone euro : le PIB en volume y est toujours inférieur de plus de 6 % à son niveau d’avant-crise, et la reprise y est moins soutenue que chez ses partenaires de la zone euro. Par ailleurs, la dette publique, supérieure à 130 %, n’a pas encore amorcé sa décrue, la croissance potentielle reste atone (0,4 % en 2017), et le secteur bancaire demeure fragile, comme en témoignent les récentes recapitalisations bancaires, notamment le sauvetage de la banque Monte dei Paschi di Sienna (voir infra).

En 2018-2019, la croissance devrait rester au-dessus du potentiel mais décélérer. En effet, la politique budgétaire serait neutre et la croissance, essentiellement tirée par la demande interne. La baisse du chômage sera lente, avec l’arrivée à terme des dispositifs de soutien à l’emploi en 2017 et le retour de la productivité sur sa tendance[1] à l’horizon de la prévision (voir OFCE, La nouvelle grande modération, p. 71). Par ailleurs, le secteur bancaire poursuivra sa longue et difficile restructuration, ce qui pèsera sur l’octroi de crédit bancaire.

Au troisième trimestre 2017, la contribution de la demande intérieure à la croissance (consommation et investissement) a atteint 0,8 point, mais le déstockage massif a atténué cet effet sur la croissance (-0,6 point). La FBCF a bondi de 3 % au troisième trimestre 2017, retrouvant son niveau de 2012, grâce à une forte progression du secteur productif (machines, équipement et transport). Autre pilier de la demande intérieure, la consommation privée a crû, en moyenne, de 0,4 % par trimestre entre le premier trimestre 2015 et le troisième trimestre 2017, grâce à la baisse du chômage et à la baisse de l’épargne de précaution. Les conditions de crédit se sont légèrement améliorées grâce à la politique d’assouplissement quantitatif menée par la BCE, même si le canal de transmission de la politique monétaire pâtit des difficultés auxquelles le secteur bancaire est actuellement confronté.

Le nombre de personnes en emploi est passé à 23 millions au deuxième trimestre 2017, retrouvant le niveau d’avant-crise, tandis que le taux de chômage recule lentement, en raison de l’augmentation soutenue de la population active[2]. Il y a eu indéniablement des créations d’emplois entre 2014 et 2017 (environ 700 000 emplois créés, dont 450 000 en CDI), essentiellement liées aux baisses de charges sur les nouvelles embauches en 2015 et 2016, et à la reprise de la croissance. D’ailleurs, d’après les chiffres de l’INPS, les nouvelles embauches en CDI (entre janvier-septembre 2016 et janvier-septembre 2017) ont diminué (-3,1 %), de même que les transformations de CDD en CDI (-10,2 %), alors que les nouvelles embauches en CDD ont explosé (+27,3 %) : cela montre que ce sont surtout les contrats précaires qui contribuent actuellement à la croissance de l’emploi. A partir de 2018, on s’attend à une baisse du rythme de création d’emplois en raison de la fin des mesures d’exonération de cotisations patronales (qui ont représenté un total de 3 milliards d’euros), et du ralentissement de la croissance économique. En prévision, on inscrit une baisse très lente du chômage : l’emploi devrait progresser moins vite en 2018 et 2019, mais la croissance de la population active ralentirait également, en raison d’un effet de flexion lié à l’essoufflement des créations d’emploi et au départ à la retraite des générations issues du baby boom.

Le cycle de productivité italien demeure très dégradé, malgré la révision à la baisse de la tendance de productivité (-1,0 % pour la période 2015-2019). Les mesures de baisse des cotisations sociales sur la période 2015-2016 auraient permis l’enrichissement de la croissance en emplois, à hauteur de 27 000 emplois par trimestre (en extrapolant les estimations de Sestito et Viviano, Banque d’Italie). Nous avons fait l’hypothèse d’une fermeture du cycle de productivité à l’horizon de la prévision, avec une accélération de la productivité en 2018 et 2019[3].

Par ailleurs, le taux d’investissement productif s’est fortement redressé au troisième trimestre 2017 : il devrait rester dynamique en 2018 et 2019, notamment grâce au suramortissement accéléré, au programme d’assouplissement quantitatif de la BCE et à l’apurement de la situation des banques qui permet une meilleure transmission de la politique monétaire (graphique 1). Par ailleurs, le montant des prêts irrécouvrables (sofferenze) a amorcé une forte baisse de 30 milliards d’euros entre janvier et octobre, soit deux points de PIB (graphique 2). Elle est liée à la restructuration progressive des bilans bancaires, et à la reprise économique dans certains secteurs, notamment dans le secteur de la construction qui représente 43 % des prêts irrécouvrables au sein des entreprises.

Graphe1_post19-12Graphe2_post19-12En 2017, c’est la demande interne qui tire la croissance ; la contribution du commerce extérieur a été nulle en raison du dynamisme des importations et de l’absence d’amélioration de la compétitivité prix. Nous anticipons une contribution nulle du commerce extérieur pour 2018, légèrement positive en 2019 grâce à une amélioration de la compétitivité (tableau).

Soutien de la croissance, la politique budgétaire a été expansionniste en 2017, avec une impulsion de +0,3 point. Elle a bénéficié essentiellement aux entreprises : soutien au monde agricole, suramortissement, réduction du taux d’imposition sur les sociétés (IRES) de 27,5 à 24% en 2017, renforcement du crédit impôt recherche, … En 2018, il ne devrait pas y avoir d’augmentation notoire de la fiscalité, et les dépenses devraient peu augmenter (0,3 %). Les dépenses publiques supplémentaires atteindraient 3,8 milliards d’euros : bonus jeunes (mesures pour l’emploi des jeunes), prolongation du suramortissement dans l’industrie, renouvellement des contrats dans la fonction publique ou encore lutte contre la pauvreté. Côté recettes, le gouvernement a exclu une hausse de TVA qui rapporterait 15,7 milliards d’euros ; l’ajustement viendra donc d’une moindre réduction du déficit, et de la hausse des recettes (5 milliards d’euros prévus). Pour augmenter les recettes, le gouvernement compte notamment sur la lutte contre l’évasion fiscale (rapatriement, recouvrement de la TVA avec facturation électronique), et sur la mise en place d’une web tax sur grandes entreprises du Net.

Un secteur bancaire en pleine convalescence

La dégradation de la situation des entreprises, en particulier des petites et moyennes entreprises, a conduit depuis 2009, à une forte augmentation des prêts non performants. Depuis 2016, la situation du secteur bancaire italien s’est quelque peu améliorée, avec une rentabilité (return on equity) de 9,3 % en juin 2017 contre 1,5 % en septembre 2016. La rentabilité est supérieure à la moyenne européenne (7 % en juin 2017) et place le pays devant l’Allemagne (3,0 %) et la France (7,2%). Par ailleurs, fin juin 2017, le ratio des créances douteuses rapporté au total des prêts atteint 16,4 % (8,4 % net des provisions), dont 10,4 % pour les prêts irrécouvrables (graphique 3). Les banques se délestent à une vitesse croissante de ces derniers, auprès d’acteurs variés (fonds spéculatifs anglo-saxons, doBank, fonds Atlante et Atlante 2, …). Ainsi, entre 2013 et 2016, la part des prêts irrécouvrables qui étaient honorés dans l’année est passée de 6 à 9 %. Globalement, le montant des créances douteuses a baissé de 25 milliards d’euros entre 2016 et juin 2017 pour atteindre 324 milliards d’euros, dont 9 milliards proviennent de la liquidation des banques vénitiennes (Banca Popolare di Vicenza et Veneto banca). Cette amélioration montre l’adoption croissante par les banques de politiques de management actif des créances douteuses. En outre, la réforme de 2015 sur la saisie des biens a permis une réduction de la durée des procédures.

Graphe3_post19-12Pour faire face aux difficultés du secteur bancaire italien, le gouvernement a mis en œuvre différentes réformes. Tout d’abord, il s’est attelé à accélérer l’apurement des créances douteuses et à réformer le droit des faillites. Le décret-loi 119/2016 introduit le « pacte martial » (« patto marciano »), permettant de transférer au créditeur un bien immobilier en garantie (autre que la résidence principale du débiteur) ; ce dernier pourra être vendu par le créancier si le défaut dure plus de 6 mois. D’autres règles visent à accélérer les procédures : l’utilisation des technologies numériques pour l’audition des parties, l’établissement d’un registre numérique des procédures de faillites en cours, la réduction des délais d’opposition lors d’une procédure, l’obligation pour le juge d’ordonner un paiement provisoire pour des montants non contestés, la simplification du transfert de propriété, etc.

Par ailleurs, le gouvernement a instauré, en avril 2016, un système de garantie publique (GACS, Garanzia Cartolarizzazione Sofferenze) couvrant les créances douteuses, pour une durée de 18 mois (extensible 18 mois supplémentaires). Pour bénéficier de cette garantie, la créance douteuse doit être titrisée et rachetée par un véhicule de titrisation ; ce dernier émet alors un titre adossé à la créance (« asset backed security »), dont la tranche senior est garantie par le Trésor italien.

En avril 2016 a également été mis en place le fonds d’investissement « Atlante », reposant sur des capitaux publics et privés, afin de recapitaliser les banques italiennes en difficulté et de racheter les créances douteuses.

Principal facteur d’inquiétude depuis 2016, le cas de la banque Monte dei Paschi di Sienna (MPS, cinquième banque du pays) est riche d’enseignements. L’Etat a dû intervenir, en urgence, à la suite de l’échec du plan de recapitalisation privé fin 2016, en introduisant un dispositif de soutien financier public pour les banques en difficulté, en accord avec la Commission européenne et la BCE. Le proposition du gouvernement « Salva Risparmio »[4] du 23 décembre 2016, convertie en loi le 16 février 2017, a répondu à cet objectif. La recapitalisation de précaution de MPS a été approuvé par la Commission le 4 juillet 2017[5], pour un montant de 8,1 milliards d’euros. L’Etat italien a augmenté sa participation au capital de la banque à hauteur de 3,9 milliards d’euros d’une part, d’autre part 4,5 milliards d’obligations subordonnées de la banque ont été converties en actions. L’Etat devrait par ailleurs racheter 1,5 Md d’euros d’actions issues de la conversion forcée des obligations détenues par les particuliers (soit au total 5,4 milliards d’euros injectés par l’Etat, et une participation de 70 % au capital de MPS). Par ailleurs, MPS va céder 26,1 Mds d’euros de créances douteuses à un véhicule spécial de titrisation, et la banque sera restructurée.

Par ailleurs, les banques vénitiennes Banca Popolare di Vicenza et Veneto banca (15e et 16e banques du pays en termes de fonds propres) ont été mises en liquidation le 25 juin 2017, selon une procédure d’insolvabilité « nationale », en dehors du cadre prévu par la directive européenne BRRD[6]. La banque Intesa Sanpaolo a été sélectionnée pour reprendre, pour un euro symbolique, les actifs et passifs des deux banques, à l’exception de leurs créances douteuses et de leurs passifs subordonnés. L’Etat italien interviendra au capital d’Intesa Sanpaolo à hauteur de 4,8 milliards d’euros afin de maintenir ses ratios prudentiels inchangés et pourrait accorder jusqu’à 12 milliards d’euros de garanties publiques.

Ainsi, le secteur bancaire italien est en pleine recomposition et le processus d’apurement des créances douteuses est en cours. Cela étant, ce processus devrait prendre du temps ; or la BCE semble vouloir durcir les règles. Début octobre 2017, la BCE a dévoilé des propositions demandant aux banques de couvrir intégralement la portion non garantie des créances douteuses au bout de deux ans au plus tard, tandis que la portion sécurisée de ces créances devrait être couverte au bout de sept ans au plus tard. Ces propositions ne s’appliqueraient qu’aux nouvelles créances douteuses. Le parlement italien et le gouvernement italien ont réagi à ces annonces, mettant en garde contre le risque d’une crise du crédit. Même si, pour l’heure, il ne s’agit que de propositions, cela montre que l’apurement rapide des créances douteuses en Italie doit être une priorité, et que le gouvernement doit garder ce cap.

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[1] Estimée selon un modèle avec ruptures de tendance, nous estimons la tendance de productivité à -1,0 % pour la période 2015-2019, en raison de l’enrichissement de la croissance en emplois.

[2] Cette hausse de la population active s’explique par un taux de participation des seniors (55-64 ans) en hausse, lié au recul de l’âge minimal de départ à la retraite. Il est également dû à une participation accrue des femmes au marché du travail, sous l’effet du Jobs Act (extension du congé de maternité, télétravail, mesures financières pour concilier vie professionnelle et familiale, budget de 100 millions d’euros pour la création de services de garde d’enfants, …).

[3] La croissance de la productivité par tête dans l’emploi salarié marchand passerait de -0,7 % en 2017 à 0,3 % en 2018 et 0,6 % en 2019.

[4] Le décret-loi « Salva Risparmio » prévoit la création d’un fonds doté de 20 milliards d’euros pour soutenir le secteur bancaire. Il permet les recapitalisations de précaution de banques par l’Etat, fournit des garanties sur les nouvelles émissions de dette bancaire et permet d’obtenir des liquidités de la banque centrale dans le cadre de l’ELA (Emergency Liquidity Assistance). Il protège également les épargnants en prévoyant la possibilité du rachat par l’Etat des obligations subordonnées converties en actions préalablement à l’intervention publique.

[5] Parlement européen, The precautionary precaution of Monte dei Paschi di Sienna

[6] Pour davantage de détails, on pourra se reporter à la note de Thomas Humblot, Italie : liquidation de Veneto Banca et de Banca Popolare di Vicenza, juillet 2017




Fin de partie pour les contrats aidés

par Bruno Ducoudré

L’été 2017 a été marqué, sur le plan des politiques de l’emploi, par un changement de stratégie majeur du nouveau gouvernement par rapport au précédent quinquennat. La nouvelle politique de l’emploi donne désormais la priorité à la formation et à l’accompagnement des jeunes NEET (Not in Education, Employment or Training – ni en étude, emploi, ou stage) et des chômeurs les plus éloignés du marché du travail, et délaisse les contrats aidés comme outil de traitement du chômage. Cette nouvelle stratégie s’est opérée en deux temps. Premièrement le gouvernement a annoncé cet été qu’il n’y aurait pas de rallonge pour les contrats aidés au deuxième semestre et que le nombre de contrats prévus pour 2018 serait en forte baisse par rapport aux années précédentes.Puis le Plan Investissement Compétences (PIC), prévoyant notamment 15 milliards d’euros dédiés à la formation professionnelle sur cinq ans, a été présenté à la presse le 25 septembre. Dans ce billet, nous précisons quel devrait être l’effet de la baisse des contrats aidés sur l’emploi à partir du deuxième semestre 2017, effet pris en compte dans le dernier exercice de prévision de l’Ofce d’octobre 2017 pour 2017-2019.

La baisse programmée des contrats aidés

Le quinquennat précédent a été marqué par une progression des contrats aidés, avec notamment la création des Emplois d’avenir et l’allongement de la durée des Contrats uniques d’insertion – Contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) (graphique 1). Ainsi, en 2013-2014, face à la dégradation du marché du travail, 380 000 contrats aidés dans le secteur non-marchand avaient été signés en moyenne chaque année (360 000 en moyenne sur 2012-2016). La montée en charge des emplois d’avenir, dont la durée moyenne était de 2 ans, ainsi que l’allongement de la durée des CUI-CAE avec pour objectif une durée moyenne des contrats de 10,5 mois contre 7 mois en 2012, avaient permis une forte progression du stock d‘emplois en contrat aidé. Le pic des contrats aidés a été atteint au deuxième trimestre 2016, que l’on considère les contrats aidés dans le non-marchand seuls (307 000 en stock) ou que l’on inclut l’Insertion par l’activité économique (IAE) et les contrats aidés du secteur marchand (540 000 en stock). Par la suite, le nombre d’emplois en contrat aidé a légèrement diminué, avec la baisse entamée du stock des Emplois d’avenir pour le secteur non-marchand et des Contrats uniques d’insertion – Contrats initiative emploi (CUI-CIE) dans le secteur marchand. Au deuxième trimestre 2017, on comptait 476 000 contrats aidés en France métropolitaine, dont 292 000 dans le secteur non-marchand, 135 000 dans l’IAE et 49 000 dans le secteur marchand.

L’été 2017 a marqué une rupture brutale avec les années précédentes. Alors que 280 000 contrats aidés ont été votés dans la Loi de finances 2018, une partie importante de l’enveloppe annuelle a été consommée sur le premier semestre. Une rallonge conséquente (généralement votée en Loi de finances rectificative) aurait donc été nécessaire pour stabiliser le stock de contrats aidés atteint à la fin juin 2017. Le gouvernement en a décidé autrement avec une rallonge de 30 000 contrats aidés, ciblés uniquement sur le secteur non-marchand, actant ainsi une baisse rapide du stock de contrats aidés dans ce secteur (-50 000 contrats aidés en stock prévus au second semestre 2017) et la fin des entrées en contrats aidés dans le secteur marchand.

Graphe_post12-12Cette forte baisse des contrats aidés se prolongera en 2018. Cela se traduit dans le Projet de loi de finance (PLF) pour 2018 par 200 000 contrats aidés prévus exclusivement dans le secteur non-marchand sous la forme de CUI-CAE dont la durée serait de 10,2 mois en moyenne, avec un taux de prise en charge par l’État qui baisserait à 50% contre environ 70% en 2017 (Tableau 1). Les Emplois d’avenir marchands et non-marchands disparaîtront ainsi que les CUI-CIE. Pour 2019, nous avons fait l’hypothèse de maintien du stock de CUI-CAE à son niveau prévu fin 2018. Par ailleurs, et à contre-courant de la baisse prévue sur les autres types de contrats aidés, les dispositifs d’insertion par l’activité économique bénéficieraient d’une rallonge de 10 000 contrats en 2018, que nous avons maintenue pour 2019.

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Des effets négatifs à court terme sur l’emploi

Compte tenu de ces éléments, le stock de contrats aidés baisserait fortement entre la fin 2017 et la fin 2019 (cf. graphique 1 et Tableau 1 : –86 000 contrats aidés non-marchands, –123 000 contrats aidés y compris secteur marchand et IAE). L’effet cumulé sur 2017-2019 de la baisse du stock de contrats aidés conduirait à réduire le nombre d’emplois de 86 000. Cet effet négatif s’explique principalement par le faible effet d’aubaine des contrats aidés non-marchands contrairement au secteur marchand (0,3 retenu pour les CUI-CAE, 0,4 pour les Emplois d’avenir, 0,84 pour les CUI-CIE et 0,75 pour les Emplois d’avenir du secteur marchand)[1].

Concernant l’alternance, en attendant la réforme à venir, le gouvernement a fixé pour 2018 un objectif de hausse de 2% du nombre d’entrées en apprentissage et nous avons retenu une hypothèse de stabilisation du stock de contrats de professionnalisation en prévision. L’effet sur l’emploi serait négligeable en prévision (+2 000 emplois cumulés entre 2017 et 2019).

Les autres dispositifs d’emplois aidés voient la fin de l’exonération de cotisation chômage sur les embauches de jeunes en CDI à compter du 1er octobre 2017 (entrée en vigueur de la nouvelle convention d’assurance chômage de l’Unedic) ainsi que la suppression du contrat de génération dès 2018. L’aide aux chômeurs créateurs d’entreprise serait en revanche étendue progressivement à partir de 2019[2]. Nous avons inscrit 200 000 bénéficiaires supplémentaires en 2019. Enfin, nous avons stabilisé en prévision les bénéficiaires de l’accompagnement des restructurations, ainsi que les dispositifs ciblés sur les territoires. Ces derniers devraient être toutefois rediscutés en 2019 avec l’allègement supplémentaire de cotisations sociales au niveau du SMIC[3]. Au total, les politiques de l’emploi, via les contrats aidés et les autres dispositifs d’emplois aidés, contribueraient négativement à l’évolution de l’emploi total pour –98 000 emplois sur la période 2017-2019. Ce chiffrage indiqué dans le tableau 1 ne tient toutefois pas compte d’un possible effet de l’extension de l’Accre (Aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise) sur l’emploi[4], ni de l’effet positif attendu du Plan d’investissement compétences sur l’amélioration de l’employabilité des jeunes et des chômeurs de longue durée : compte tenu de la montée en charge des formations et de la Garantie jeunes, et de l’effet attendu sur le retour à l’emploi de ces dispositifs[5], le Plan d’investissement compétences pourrait contribuer positivement à l’emploi en 2018-2019 (+54 000 emplois).

La nouvelle orientation des politiques de l’emploi devrait donc avoir un effet négatif à court terme sur l’emploi total, l’effet négatif de la forte baisse des contrats aidés entre le deuxième semestre 2017 et la fin d’année 2018 n’étant que partiellement compensé par la montée en charge progressive de Plan d’investissement compétences.

 

[1] Pour plus de détails, voir « Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », Dares Analyses, n° 21, mars 2017.

[2] Suivant le PLF 2018, l’exonération de cotisations sociales « Aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise » (ACCRE) sera étendue dès 2019 à l’ensemble des travailleurs indépendants qui créent ou reprennent une activité, pour un coût de 200 millions d’euros » et pourrait bénéficier à terme à 350 000 créateurs ou repreneurs d’entreprise supplémentaires.

[3] Les allègements supplémentaires rendraient ces dispositifs non incitatifs.

[4] Cet effet pourrait toutefois être négligeable. Cf. Redor, D., « L’aide à la création d’entreprises a-t-elle un impact sur leur survie ? Une évaluation pour quatre cohortes d’entreprises créées par des chômeurs en France », Économie et Statistique, n° 493, 2017.

[5] L’effet de la formation sur l’emploi est calculé en appliquant une élasticité de retour à l’emploi de 0,07 sur le différentiel d’entrées en formation par rapport aux entrées constatées en 2015 (660 000 entrées). Cf. Card, D., Kluve, J., & Weber, A. (2017), « What works? A meta analysis of recent active labor market program evaluations », Journal of the European Economic Association, jvx028. L’effet de la Garantie jeunes sur l’emploi est calculé en retenant un impact de 9 % sur le taux d’emploi durable (CDI et CDD de 6 mois et plus hors emplois aidés) sur le nombre de jeunes entrant dans le dispositif chaque année. Cf. Tableau 2.2, p. 22 dans Dares, 2016 : « Premiers résultats d’évaluation statistique de l’impact de la Garantie jeunes – Annexe 5 », novembre.