Dispositif Scellier : un bilan contrasté pour un coût élevé

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par Sandrine Levasseur

La réaction du « lobby immobilier » à la suite de la suppression du dispositif Scellier au 31 décembre 2012 a été vive. Cette suppression constitue une première – et nécessaire –  étape vers une remise à plat plus générale de toute la politique du logement dont le financement et l’efficacité posent question. Retour sur les aspects positifs et négatifs du « Scellier ». Instauré en 2009, ce dispositif qui succédait à d’autres amortissements du même type (Robien, Borloo, Périssol, etc.) consistait en une réduction d’impôt pour tout acquéreur d’un logement neuf disposé à le mettre en location. Le taux de réduction d’impôt, initialement de 25 % du prix de revient d’un logement (dans la limite d’un investissement de 300 000 euros), a été successivement abaissé à 22 % pour 2011 puis à 14 % pour 2012. Tandis qu’il ne fait pas de doute que le dispositif Scellier a soutenu ces dernières années toute la filière « logement » (de la construction jusqu’à la vente) et a permis d’accroître l’offre de logements (toujours insuffisante), on peut s’interroger sur le coût fiscal d’un tel dispositif.

Rendre à César ce qui est à César : les aspects positifs du dispositif « Scellier »

• L’amortissement Scellier a été un profond adjuvant pour le secteur de la construction et de l’immobilier, notamment au plus fort de la crise. En 2009, selon le Rapport de la Commission des finances, environ 65 000 logements ont bénéficié de l’amortissement Scellier, ce qui a représenté deux-tiers des ventes de logements neufs. En 2010, 77 500 logements ont été concernés, soit plus de 70 % des ventes dans le neuf. A la fin septembre 2011, on estimait à 75 000 le nombre de « Scellier » depuis le début de l’année. Rappelons qu’en 2010 le secteur du bâtiment a généré à lui tout seul 6,3 % du PIB français et employé 7,5 % des effectifs salariés du secteur marchand. C’est sans compter la valeur ajoutée et les emplois dans le secteur des services immobiliers. Il est clair que sans le soutien du « Scellier », la crise économique en France – et ses conséquences sur l’emploi – aurait été plus profonde :

• Dans les zones tendues, là où il y a un manque structurel de logements, les constructions de logements « Scellier » ont clairement permis d’accroître l’offre de logements, en quantité mais aussi en qualité ;

• L’amortissement Scellier a soutenu la construction de logements « verts », puisque la réduction d’impôts était d’autant plus avantageuse que les logements achetés respectaient les normes environnementales (normes BBC) ;

• Il a été ouvert à tous les contribuables alors que le dispositif Robien n’était intéressant que pour les personnes relevant des tranches d’imposition élevées. De ce point de vue, le dispositif Scellier a été plus équitable que les précédents amortissements.

Pour autant, il y a aussi des aspects négatifs associés au dispositif « Scellier ».

Les aspects négatifs du dispositif « Scellier »

Il y a eu, tout d’abord, le problème de la localisation des logements « Scellier », certes aujourd’hui résolu par la mise en place d’une carte des risques locatifs et l’abaissement des plafonds de loyer. Rappelons qu’initialement, le Scellier s’appliquait à tout logement neuf mis en location indépendamment de sa localisation (hors zone C, c’est-à-dire les communes situées dans des agglomérations de moins de 50 000 habitants), le propriétaire-contribuable n’ayant « qu’à louer » en respectant le plafond de loyer fixé par la loi en fonction des zones. Présenté par certains réseaux de commercialisation comme un outil de défiscalisation pur et simple, l’amortissement Scellier s’est traduit dans certains cas par la construction de logements dans des zones où les marchés locatifs étaient inexistants, provoquant gâchis et … dépit des propriétaires n’ayant pas trouvé de locataires ou alors pour un loyer bien inférieur à celui fixé par la loi. En 2011, 170 communes ont alors été classées en risques locatifs par les pouvoirs publics y interdisant ainsi la construction de « Scellier ». En outre, dans certaines zones, les plafonds de loyers ont été abaissés (entre 14 et 26 %) de façon à être davantage en adéquation avec les réalités du marché locatif. Si le problème de la localisation est maintenant résolu, on peut toutefois s’étonner (et déplorer) que la cartographie des investissements locatifs n’ait pas fait l’objet d’un suivi plus tôt et plus régulier. Aujourd’hui, environ 35 % des logements Scellier sont situés dans des zones à risques locatifs et, essentiellement des logements de type F2 ou F3 sont concernés.

L’argument majeur contre le dispositif Scellier (ou tout autre amortissement de ce type) est clairement son coût fiscal, et ce d’autant plus qu’il court sur un certain nombre d’années (par exemple, 9 ans pour le Scellier standard). Ainsi, l’impact budgétaire du dispositif Robien (410 millions d’euros en 2010) ne s’éteindra qu’en 2016 alors qu’il n’est plus en vigueur depuis décembre 2008. Il faudra y ajouter le coût du dispositif Scellier qui, pour une extinction à la fin 2012, continuera malgré tout à peser sur le budget de l’Etat jusqu’en 2021. Selon le Rapport de la Commission des finances, le coût budgétaire du dispositif Scellier a été de 120 millions en 2010 et s’élèvera à 300 millions en 2011. Au total, sur 9 ans, les logements Scellier acquis en 2009 coûteront 3,4 milliards d’euros au budget de l’Etat tandis que ceux acquis en 2010 et 2011 coûteront respectivement 3,9 et 2 milliards d’euros. Notons que le coût de 2 milliards d’euros pour la « génération 2011 » est clairement sous-estimé puisque l’évaluation par la Commission des finances repose sur une anticipation sous-évaluée du nombre de logements Scellier réalisés au regard des dernières données disponibles (47 100 anticipés pour l’ensemble de l’année contre 75 000 réalisés à la fin septembre 2011). A titre de comparaison, la subvention de l’Etat en faveur des organismes de logement social s’est élevée à 1,45 milliard d’euros en 2010, contribuant ainsi au financement de 147 000 logements sociaux. Si logements Scellier et sociaux ne sont pas totalement comparables (et interchangeables), la mise en parallèle du coût budgétaire des uns et des autres interpelle la politique du logement. Et son financement.

Que faire ?

Au vu du coût budgétaire du dispositif Scellier, sa suppression nous semble bien fondée, et ce d’autant plus que la politique du logement de ces vingt dernières années a été plutôt favorable aux propriétaires-bailleurs. Soulignons, en effet, que les propriétaires-bailleurs ont aussi bénéficié indirectement des politiques d’allocation logement en faveur des locataires puisque l’on estime que 50 à 80 % du montant des allocations versées aux locataires ont en fait été répercutés dans les loyers, et donc au bénéfice des propriétaires.

La suppression du dispositif Scellier pose toutefois deux problèmes : celui de l’activité de la filière « construction » et celui du manque structurel de logements. De fait, il y a peu d’espoir que le recentrage du PTZ (prêt à taux 0) sur le logement neuf compense à lui tout seul la baisse de construction due à la suppression du Scellier. Alors, comment résoudre simultanément les deux problèmes ? La poursuite de l’effort en faveur du logement social, amorcé depuis quelques années, nous semble être la meilleure solution pour maintenir à la fois un niveau suffisant de construction et répondre (en partie) aux besoins en logements non satisfaits. Le logement social permettrait en outre de réduire la « cherté » du logement pour les classes sociales les plus modestes. Le coût pour le budget de l’Etat de 60 000 logements sociaux supplémentaires (60 000 étant le nombre annuel moyen de logements ayant bénéficié d’amortissement à l’investissement locatif depuis 15 ans) est estimé à 448 millions d’euros, payable « une fois pour toute ». C’est peu comparé au coût pour l’Etat d’une génération de logements Scellier.

Une politique davantage orientée vers le logement social ne permettra pas pour autant de faire l’économie d’une réflexion plus large sur le logement, ne serait-ce que pour le seul financement du logement social : drainage des fonds sur livrets A, accession sociale à la propriété, politique des loyers, « 1 % logement », politique foncière des collectivités locales, gestion du parc locatif …