Le chômage partiel, outil crucial en temps de crise : une évaluation au mois d’avril 2020

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Par Département Analyse et Prévision, rédigé par Céline Antonin et Christine Rifflart

Le marché du travail a été frappé de plein fouet par la chute d’activité générée par la crise de la Covid-19. Dès la mi-mars 2020, les décisions d’urgence sanitaire prises pour endiguer la propagation du virus ont contraint les entreprises à s’ajuster. Les commerces non essentiels et les lieux recevant du public ont dû fermer mais plus largement, c’est l’ensemble des entreprises qui a dû faire face à ce choc d’ampleur inédite. Afin de protéger la structure productive et de soutenir le pouvoir d’achat, les gouvernements européens ont mis en place des mesures ciblées sur le marché du travail, d’ampleur inégalée – même au pire moment de la crise de 2008 – dans le but de mutualiser le coût économique et social de la crise. En particulier, les dispositifs de chômage partiel (ou activité partielle) indemnisant les salariés en cas de réduction temporaire de la durée du travail, permettent de limiter l’impact de la crise sur l’emploi. Sur la base du Policy Brief 69[1] rédigé par le Département Analyse et Prévision de l’OFCE, nous retraçons brièvement les conséquences de cette crise sur l’emploi au cours du mois d’avril et soulignons que l’impact final sur l’emploi salarié apparaît in fine, du moins en Europe, très faible au regard des pertes potentielles d’emplois liées à la crise, notamment grâce au dispositif du chômage partiel. Faute d’un dispositif similaire, les Etats-Unis connaissent de très fortes destructions d’emplois salariés.

La demande de travail s’ajuste instantanément et intégralement à la baisse d’activité…

Le Policy Brief 69 évalue l’impact économique de la pandémie sur l’économie mondiale en avril 2020, et notamment sur le marché du travail. L’analyse est menée sur les 5 grands pays de l’Union Européenne (Allemagne, France, Italie, Espagne et Royaume-Uni) et les Etats-Unis. Etant données la sévérité des mesures de confinement prises dans les différents pays, la chute d’activité aura été un peu moins violente aux Etats-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni – la valeur ajoutée ayant chuté de respectivement 22, 24 et 25 % en avril – qu’en France, en Italie et surtout en Espagne, pays dans lesquels la chute atteindrait respectivement 30 %, 32 % et 36 % sur un mois.

Face à un tel choc, nous supposons que les entreprises réduisent immédiatement leur demande de travail et ce, dans les mêmes proportions que la chute d’activité qu’elles enregistrent. Compte tenu de la structure productive de chacun des pays et d’un contenu en emplois particulièrement fort dans les secteurs directement frappés par les fermetures administratives (commerces, hôtellerie-restauration, loisirs), l’impact total est plus fort sur la demande de travail que sur l’activité, à l’exception de l’Allemagne, mieux protégée du fait de sa spécialisation dans l’industrie manufacturière (tableau). Cette caractéristique allemande rend l’ajustement au sein des entreprises, moins coûteux qu’ailleurs. Dans les 5 autres pays, les pertes potentielles d’emploi sont estimées à entre 30 et 40 % de l’emploi total en avril.

… mais le chômage partiel permet de limiter fortement les destructions d’emplois

Dans ce contexte, les entreprises ont eu massivement recours au mécanisme de chômage partiel pour reporter leurs coûts salariaux sur l’Etat, d’autant que les conditions d’éligibilité sont larges (baisse d’activité liée à la crise, affiliation des salariés au régime de Sécurité sociale). Le taux de prise en charge par l’Etat est variable : il dépend à la fois du taux de remplacement et du plafond de compensation du salaire. Le taux de remplacement est plus ou moins généreux selon les régimes nationaux, et selon que les autorités se situent dans une logique de maintien du pouvoir d’achat ou dans une logique de revenu de subsistance (Italie, Espagne). La France répond à la première logique de maintien du pouvoir d’achat, avec un taux de remplacement d’environ 84 % du salaire net et un plafond de compensation élevé au mois d’avril. L’Italie et l’Espagne se situent davantage dans la seconde logique avec un plafond de compensation faible, de même que l’Allemagne, qui connaît un taux de remplacement faible (60 à 67 % du salaire net). Par ailleurs, se pose en Allemagne le problème des Minijobbers, qui bien qu’étant salariés ne sont pas couverts par l’assurance chômage, et sont donc exclus du dispositif de chômage partiel. Or, d’après nos estimations, 1,5 million de Minijobbers, soit 3,6 % de l’emploi salarié allemand, seraient affectés par les fermetures ou la chute d’activité dans les secteurs où ils travaillent.

Malgré ces imperfections, le mécanisme d’amortisseur du chômage partiel a été une arme efficace pour permettre de sauver, au moins transitoirement, la grande majorité des emplois qui auraient été potentiellement détruits, (graphique). On estime que les pertes effectives d’emplois salariés concerneraient environ 1 % de l’emploi salarié total en France et en Italie et 3 % en Espagne et au Royaume-Uni. L’Allemagne qui rappelons-le, subit une chute d’activité moins forte que les autres pays européens, enregistre des destructions sèches d’emplois plus élevées du fait du poids des Minijobbers : ces derniers représenteraient 80 % des 1,8 million d’emplois salariés perdus.

Le rôle crucial du chômage partiel s’apprécie notamment à l’aune de la situation des Etats-Unis[2]. Le mécanisme de mutualisation du coût du travail n’existant pas (ou peu), il revient aux entreprises de gérer les conséquences de la crise : licencier ou assumer le cout financier de maintenir l’emploi. Selon le Bureau of Labor Statistics, les pertes d’emplois salariés enregistrées pour le mois d’avril atteignent 22,4 millions, soit 14,6 % de l’emploi salarié total. Elles représenteraient 48 % de la baisse de la demande de travail salarié par les entreprises selon nos hypothèses – ce qui suggère une forte rétention de main d’œuvre par les entreprises -, contre 3 % en France et en l’Italie, 8 % en Espagne et au Royaume-Uni, et 19 % en Allemagne (3,4 % hors Minijobs).


[1] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief69.pdf

[2] https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/quelle-information-tirer-des-chiffres-du-chomage-americain-sur-la-reprise/

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