Politique monétaire : l’histoire sans fin

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par Christophe Blot et Christine Rifflart

Les banques centrales disposent-elles encore de marges de manœuvre pour contrer les pressions déflationnistes aux Etats-Unis et éviter à la zone euro de sombrer dans une nouvelle crise financière comparable à celle de 2008 ?

Malgré la baisse des taux directeurs des banques centrales à des niveaux planchers compris entre 0 et 0,5 % (1 % pour la BCE avant les deux hausses de 0,25 % en avril et juillet dernier), les politiques monétaires sont restées sans effet sur les conditions de financement des agents privés. Pourtant, depuis le début de l’été, les mauvaises nouvelles s’enchaînent de part et d’autre de l’Atlantique et nourrissent un pessimisme accru. La crise de confiance dans la zone euro accroît le risque de blocage et l’absence de reprise du crédit aux Etats-Unis, du fait notamment de taux privés qui peinent à baisser, montre que la trappe à liquidité qui s’est mise en place à la suite de la crise financière de 2008 n’est toujours pas refermée. Cette situation alimente la crise de liquidité que l’on peut observer sur les marchés interbancaires à travers les spreads (graphique 1) et les enquêtes auprès des banques. Même si elles n’ont pas encore atteint les sommets observés lors de la faillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis, de telles tensions illustrent les craintes sur la fragilité des banques européennes du fait de leur exposition aux dettes des Etats membres de la zone euro et montrent combien la situation en matière de dette souveraine pèse sur la stabilité du système bancaire européen.

La trappe à liquidité renvoie à une situation où le taux d’intérêt atteint un niveau plancher et où la politique monétaire ne parvient plus à stimuler l’économie par le recours aux instruments conventionnels. L’image de la trappe correspond à l’idée que toute monnaie supplémentaire émise par la banque centrale est immédiatement absorbée – comme si elle tombait dans une trappe – par une demande de monnaie qui devient infiniment élastique au taux d’intérêt. Monnaie et titres deviennent parfaitement substituables. Pour contrer cet effet, les banques centrales peuvent recourir aux mesures dites non conventionnelles. Par des programmes d’achats de créances publiques ou privées, elles tentent d’avoir une prise directe sur la structure par terme des taux d’intérêt. Elles fournissent en quantité abondante de liquidités au système bancaire afin d’encourager le crédit. Elles peuvent également chercher à influencer les anticipations d’inflation et de taux d’intérêt futurs. Une hausse de l’inflation anticipée permet de réduire le taux d’intérêt réel ex-ante. De même, l’engagement sur une politique de taux faibles à un horizon long peut redonner confiance aux agents privés et les inciter à consommer et investir.

Consciente des risques encourues, la BCE a décidé, à l’issue du Conseil des Gouverneurs qui s’est tenu le 6 octobre 2011, de reconduire des opérations exceptionnelles de refinancement à long terme et de lancer un second programme d’achats d’obligations sécurisées. Ces annonces rejoignent celle de la Banque d’Angleterre le même jour (voir le compte rendu de la réunion du 6 octobre 2011) prévoyant une nouvelle vague d’achats d’obligations publiques pour un montant de 75 milliards de livres sterling. De son côté, la Banque du Japon continue également de relever régulièrement son plafond d’achats de titres qui atteint désormais 15 000 milliards de yens (soit 3,1 % du PIB).

Pour autant, ces mesures sont loin des actions menées par la Réserve fédérale pour faire pression sur les marchés financiers. Première à avoir rassuré les marchés sur le maintien du taux des Fonds fédéraux entre 0 et 0,25 % aussi longtemps que nécessaire, elle a complété son action sur les anticipations de taux courts futurs en annonçant le 9 août qu’elle maintiendrait à ce niveau au moins jusqu’à la mi 2013. Mais surtout, un nouveau programme d’achat de titres a été lancé le 21 septembre 2011 (dit QE3) (voir le compte rendu). Le plan prévoit l’achat, d’ici juin 2012, de 400 milliards de dollars de titres du Trésor ayant une durée de vie restante entre 6 et 30 ans contre des titres ayant une durée de vie restante inférieure à 3 ans.

Cette action, destinée à peser sur les taux des marchés financiers, s’inscrit dans une politique initiée dés le début de l’année 2009, et visant d’abord les taux hypothécaires (via les MBS), puis l’ensemble de la chaîne de taux privés. En achetant des titres publics de différentes maturités sur le marché secondaire, la Réserve fédérale espère peser suffisamment sur les volumes pour réduire les rendements offerts et conduire les investisseurs à reporter leurs achats vers des titres plus longs, et plus risqués. Pour être efficaces, ces achats doivent être de grande ampleur. C’est pourquoi la Fed n’a pas hésité à accroître son bilan et acheter depuis 2008, l’équivalent de 7,4 % du PIB en titres publics. La Banque du Japon et la Banque d’Angleterre, qui détenaient un portefeuille de titres publics déjà élevé en 2008, ont acquis, malgré tout, pendant la crise l’équivalent de 4,6 % et 2,2 % du PIB de titres publics supplémentaires. La BCE ne s’est pas mise dans cette position. En intervenant sur les marchés pour acheter des titres grecs ou italiens, la BCE a avant tout cherché à préserver la stabilité financière eu égard à la forte exposition du système bancaire européen sur les titres de dette souveraine et à assurer, dans l’attente d’une solution pérenne, la viabilité de la zone euro. Cette position prudente, voire trop prudente, lui donne donc l’opportunité d’amplifier, à l’image des autres banques centrales, sa politique d’achat de titres afin de peser plus largement sur les taux d’intérêt publics à long terme de l’ensemble de la zone euro (graphique 2).

Si tel était le cas, cette stratégie permettrait également une meilleure coordination des politiques économiques. L’évolution des taux d’intérêt à long terme conditionne l’efficacité de la politique budgétaire, en réduisant d’une part les effets d’éviction financière et en assurant la soutenabilité des trajectoires de dette publique qui dépend crucialement de l’écart entre le taux de croissance du PIB et le taux d’intérêt. De fait, ces mesures d’assouplissement quantitatives aux Etats-Unis et au Japon accompagnent la mise en œuvre de nouveaux plans de relance budgétaire. Si le gouvernement britannique a fait le choix d’une forte restriction budgétaire, il bénéficie malgré tout des actions entreprises par la Banque d’Angleterre pour atténuer l’impact récessif des plans d’austérité. Comparativement à ses homologues, la zone euro dispose donc de marges de manœuvre à la fois en termes de baisses des taux d’intérêt (après les deux hausses à contre-pied d’avril et juillet derniers) mais également afin d’améliorer la coordination entre politiques monétaire et budgétaire.

Ce texte fait référence à une étude sur la politique monétaire jointe à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE.