Prendre la crise par les sentiments (du marché)

par Anne-Laure Delatte

Les facteurs fondamentaux seuls ne peuvent pas expliquer la crise européenne. Un nouveau document de travail de l’OFCE montre l’incidence  des croyances  de marché pendant cette crise. Dans cette étude, nous cherchons où se forment les sentiments de marché et par quels canaux ils se transmettent. Qu’est-ce qui  fait basculer le marché de l’optimisme au pessimisme ? Nos résultats indiquent : 1) qu’il y a une forte dynamique auto-réalisatrice dans la crise européenne : la peur du défaut est justement ce qui conduit au défaut ;  2) le petit marché des dérivés de crédit, les Crédit Default Swaps, ces instruments d’assurance utilisés pour se protéger contre le risque de défaut d’un emprunteur, est le  premier catalyseur des sentiments du marché. Ce résultat devrait inquiéter au plus haut point les politiques en charge de la régulation financière car le marché des CDS est opaque et concentré, deux caractéristiques favorables aux comportements abusifs.

 

Quel rôle les investisseurs jouent-ils pendant une crise ? Si des ventes massives de titres révèlent les faiblesses d’un modèle économique, alors il serait dangereux de les limiter : ce serait tuer le messager. Mais si ces ventes massives sont déclenchées par un soudain retournement du sentiment de marché, un mouvement de panique, une méfiance des investisseurs à l’égard d’un Etat, alors il est utile de comprendre comment se forment les croyances de marché, pour pouvoir mieux  les maîtriser le moment venu.

Pour répondre à cette question dans le contexte de la crise européenne, nous nous sommes inspirés des travaux portant sur la crise du système monétaire européen de 1992-93, qui présente de nombreux points communs avec la situation actuelle. Les investisseurs doutaient alors de la crédibilité du système monétaire européen  et le mettaient à l’épreuve en spéculant contre les devises européennes (sic). La livre sterling, la lire, la peseta, etc. furent attaquées tour à tour et les gouvernements durent lâcher du lest en dévaluant leur monnaie nationale. Cette crise a, dans un premier temps, posé une énigme aux économistes qui n’arrivaient pas expliquer le lien entre les attaques spéculatives et les facteurs fondamentaux : d’une part tous les pays attaqués ne souffraient pas des mêmes maux ; d’autre part alors que la situation économique se détériorait progressivement, pourquoi les investisseurs décidaient-ils soudainement de s’en prendre à une devise et pas une autre ? Enfin pourquoi ces attaques étaient-elles couronnées de succès ? La réponse était que la spéculation n’était pas déterminée uniquement par la situation économique (dite fondamentale) mais qu’elle était auto-réalisatrice.

Il pourrait bien en être de même aujourd’hui  Si c’est le cas, la crise en Espagne, par exemple, trouverait ses racines dans les croyances des investisseurs : à partir de 2011 l’Espagne a été désignée comme le maillon faible de la zone euro, les investisseurs ont alors vendu leurs titres espagnols et fait grimper les  taux d’emprunt. Les paiements d’intérêts ont plombé les comptes publics et la dette a dérapé. Le déficit public espagnol sera plus important en 2012 qu’en 2011 malgré des efforts d’austérité considérables. La crise est auto-réalisatrice dans la mesure où elle valide a posteriori les croyances des investisseurs.

Comment le prouver ? Comment tester la présence de dynamique auto-réalisatrice pendant la crise européenne ? Notre proposition est la suivante : les croyances du marché sont une variable déterminante si, pour la même situation économique, les investisseurs exigent un taux d’intérêt différent : quand le marché est optimiste, l’écart de taux d’intérêt entre l’Allemagne et l’Espagne est plus bas que quand le marché est pessimiste.

Nos estimations confirment cette hypothèse pour un panel constitué de la Grèce, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne et le  Portugal: sans une modification notable de la situation économique, les écarts de taux d’intérêt ont augmenté soudainement à la suite d’un changement dans les croyances de marché.

La question suivante est de savoir où se forment ces croyances du marché. Nous avons testé plusieurs hypothèses.  Finalement le marché des Credit Default Swaps (CDSs) joue ce rôle de catalyseur des sentiments de marché. Les CDS sont des produits d’assurance conçus par des banques à l’origine pour s’assurer contre l’éventualité de défaut d’un emprunteur. Un investisseur qui détient des obligations peut se protéger contre le non remboursement du titre à échéance en achetant des CDS : il verse alors une prime régulière au vendeur qui s’engage à lui racheter ses obligations si l’emprunteur fait faillite. Toutefois, rapidement, le produit d’assurance est devenu un instrument de spéculation : une grande majorité des opérateurs qui achètent des CDS ne sont pas propriétaires d’une obligation associée (sous-jacente dans le jargon financier). En réalité ils s’en servent pour parier sur le défaut de l’emprunteur. C’est comme si les habitants d’une rue assuraient tous la même maison, sans y habiter, et espéraient qu’un incendie ait lieu.

Or nos résultats indiquent que c’est justement sur ce marché que se forment les croyances des investisseurs vis-à-vis de la dette d’un pays souverain. Dans un environnement rempli d’incertitudes et d’informations incomplètes, le marché des CDSs transmet un signal qui conduit les investisseurs à penser que d’autres investisseurs « savent quelque chose ». A situation économique égale, nos estimations indiquent que les investisseurs exigent un taux d’intérêt plus élevé quand les primes de CDS grimpent.

Pour résumer, certains pays européens sont soumis à des dynamiques spéculatives auto-réalisatrices. Un petit marché d’assurance joue un rôle déstabilisant car les investisseurs croient en l’information qu’il transmet. C’est inquiétant pour deux raisons. D’une part, nous l’avons dit, cet instrument, le CDS, est devenu un pur produit de spéculation. D’autre part, c’est un marché non réglementé, opaque et concentré. Autrement dit, tout pour favoriser des comportements abusifs… 90% des transactions sont réalisées entre les 15 plus grandes banques du monde (JP Morgan, Goldman Sachs, Deutsche Bank, etc.).  et ces transactions se font de gré à gré, c’est-à-dire pas sur un marché organisé. Difficile de surveiller ce qui s’y tracte dans ces conditions….

Deux voies de réforme ont été adoptées en Europe cette année. D’une part l’interdiction d’acheter des CDS si on ne détient pas l’obligation sous-jacente. La loi entrera en vigueur en novembre 2012 dans toute l’Union européenne. D’autre part, l’obligation de passer par un marché organisé pour donner de la transparence aux transactions. Malheureusement aucune de ces deux réformes n’est satisfaisante. Pourquoi ? La réponse au prochain post….




Italie : le défi de Mario Monti

par Céline Antonin

Dès son arrivée au pouvoir, le 12 novembre 2011, l’objectif de Mario Monti était explicite et s’articulait autour du triptyque : rigueur budgétaire, croissance et équité. Réussira-t-il à relever le défi ?

Mario Monti a succédé à Silvio Berlusconi alors que la défiance des investisseurs vis-à-vis de l’Italie ne cessait de croître, comme en attestaient le creusement de l’écart de taux obligataire avec l’Allemagne et la forte augmentation des prix des CDS.

 


Pour remplir son premier objectif de rigueur budgétaire, l’une des premières mesures du gouvernement a été l’adoption d’un plan d’austérité en décembre 2011, chiffré à 63 milliards d’euros sur 3 ans. Ce plan, le troisième de l’année, portant le nom évocateur de Salva Italia (Sauver l’Italie), a pour but de revenir à un quasi-équilibre des finances publiques dès 2013 (voir « Italie : le pari de Mario Monti »).

Quant au deuxième objectif, celui de restaurer la croissance et de renforcer la compétitivité du pays, il apparaît dans le plan « Croissance de l’Italie » (Cresci Italia) adopté par le Conseil des ministres le 20 janvier 2012 dans des conditions houleuses. Outre une simplification des procédures administratives (procédures d’appels d’offre, création d’entreprises, passage au numérique, …) et des libéralisations dans les professions réglementées, l’énergie, les transports, et les assurances, ce plan prévoit des réformes complémentaires, concernant notamment la flexibilité du marché du travail. Autant les mesures de rigueur ont été adoptées facilement, autant ce deuxième plan a été assez mal accueilli, notamment les discussions autour des modifications de l’article 18 du Code du travail qui confère aux employés et aux ouvriers dans les entreprises de plus de quinze salariés une protection contre les licenciements.

Enfin, sur le plan de l’équité, les progrès sont encore timides, notamment en matière de lutte contre l’évasion fiscale et contre l’économie souterraine.

La population sait que les mesures seront douloureuses : le quotidien économique Il Sole 24 Ore a ainsi annoncé que l’augmentation annuelle des impôts pour une famille moyenne vivant en Lombardie atteindrait 1 500 euros par an, et presque 2 000 euros pour une famille du Latium. Pourtant la population italienne a jusqu’à présent fait montre d’un grand sens de l’intérêt national, acceptant avec résignation la cure d’assainissement budgétaire. Quant aux marchés financiers, ils ont dans un premier temps relâché la pression sur le pays, l’écart de taux publics à long terme avec l’Allemagne passant de 530 à 280 points de base entre début janvier et mi-mars 2012. L’action de Mario Monti n’est pas la seule explication : grâce au rachat de titres obligataires fin 2011 et aux deux opérations de refinancement du système bancaire à 3 ans (LTRO) pour un montant total de 1 000 milliards d’euros, dont ont largement profité les banques italiennes, la BCE a activement participé à cette détente des taux. En outre, la réussite du plan d’échange de la dette grecque avec les créanciers privés a également contribué à détendre les taux.

La situation n’en demeure pas moins fragile et volatile : il a suffi que l’Espagne montre des signes de faiblesse budgétaire pour que l’Italie pâtisse de la méfiance, que l’écart de taux publics à long terme avec l’Allemagne se creuse à nouveau, atteignant 400 points de base début mai 2012 et que les primes sur CDS se remettent à progresser (graphique).

Quelles sont donc les perspectives pour les deux années à venir ? Après une récession entamée en 2011, avec deux trimestres de croissance négative, l’Italie devrait connaître une année 2012 difficile, avec une forte contraction du PIB de 1,7 %, conséquence des trois plans de rigueur votés en 2011. Cet effet se poursuivrait en 2013, avec une nouvelle contraction du PIB de -0,9 %[1]. En l’absence de mesure de rigueur supplémentaire, elle réduirait son déficit, mais moins qu’escompté en raison de l’effet multiplicateur : le déficit atteindrait 2,8 % du PIB en 2012, et 1,7 % en 2013, soit un rythme de réduction des déficits inférieur à son engagement qui prévoit de revenir à l’équilibre en 2013.


[1] Le FMI donne une prévision plus pessimiste pour 2012, avec -1,9 % de croissance en 2012 et plus optimiste pour 2013, avec -0,3 %.




The financial markets: Sword of Damocles of the presidential election

By Céline Antonin

Although some of the candidates may deny it, the financial risk linked to the fiscal crisis in the euro zone is the guest of honour at the presidential campaign. As proof that this is a sensitive issue, the launch in mid-April of a new financial product on French debt crystallized concerns. It must be said that this took place in a very particular context: the Greek default showed that the bankruptcy of a euro zone country had become possible. Despite the budgetary firewalls in place since May 2010 (including the European Financial Stability Fund), some of France’s neighbours are facing a lack of confidence from the financial markets, which is undermining their ability to meet their commitments and ensure the fiscal sustainability of their government debt, the most worrying example to date being Spain. What tools are available to speculators to attack a country like France, and what should be feared in the aftermath of the presidential election?

The tool used most frequently for speculation on a country’s public debt is the Credit Default Swap, or CDS. This contract provides insurance against a credit event, and in particular against a State’s default (see the “Technical functioning of CDS” annex for more detail). Only institutional investors, mainly banks, insurance companies and hedge funds, have direct access to the CDS market on sovereign States [1].

Credit default swaps are used not only for coverage, but also as an excellent means of speculation. One criticism made of the CDS is that the buyer of the protection has no obligation to hold any credit exposure to the reference entity, i.e. one can buy CDS without holding the underlying asset (“naked” purchase/sale). In June 2011, the CDS market represented an outstanding notional amount of 32,400 billion dollars. Given the magnitude of this figure, the European Union finally adopted a Regulation establishing a framework for short-selling: it prohibits in particular the naked CDS on the sovereign debt of European States, but this will take effect only on 1 November 2012.

The FOAT: new instrument for speculation on French debt?

This new financial instrument, introduced by Eurex on April 16 [2], is a futures contract, that is to say an agreement between two parties to buy or sell a specific asset at a future date at a price fixed in advance. The specific asset in this case is the French Treasury OAT bond, with a long residual maturity (between 8.5 and 10.5 years) and a coupon of 6%, ​​and it has a face value of 100,000 euros. Should we worry about the launch of this new contract on the eve of the presidential election? Not when you consider that the launch of the FOAT addresses the gap in yields between German and French bonds that has arisen since the recent deterioration of France’s sovereign rating: previously, as German and French bond yields were closely correlated, the FOAT on German bonds allowed coverage of both German and French bond risks. After the gap in yields between the two countries widened, Eurex decided to create a specific futures contract for French bonds. Italy witnessed this same phenomenon: in September 2009, Eurex also launched three futures contracts on Italian government bonds [3]. In addition, Eurex is a private market under German law, and is much more transparent than the OTC market on which CDS are traded. Note that the FOAT launch was not very successful: on the day it was launched, only 2,581 futures contracts were traded on French bonds, against 1,242,000 on German bonds and 13,671 on Italian bonds [4].

Even if, as with the CDS, the primary function of the FOAT is to hedge against risk, it can also become an instrument for speculation, including via short selling. While speculation on French debt was previously limited to large investors, with an average notional amount of 15 billion euros per CDS [5], the notional amount of the new FOAT contract is 100,000 euros, which will attract more investors into the market for French debt. If speculators bet on a decline in the sustainability of France’s public finances, then the price of futures contracts on the OAT bonds will fall, which will amplify market movements and result in higher interest rates on OAT contracts.

The not so rosy future?

It is difficult to predict how the financial markets will behave in the wake of the French presidential election. Studying what has happened in other euro zone countries is not very informative, due to each one’s specific situation. The country most “comparable” to France would undoubtedly be Italy. However, the appointment of Mario Monti in November 2011 took place in an unusual context, where the formation of a technocratic government was specifically intended to restore market confidence through a strenuous effort to reduce the deficit, with Italy also benefitting from the ECB’s accommodative policy.

The French budgetary configuration is different, as the financial imperative appears only in the background. The candidates of the two major parties both advocate the need to restore a balanced budget. Their timetables are different (2016 for Nicolas Sarkozy’s UMP, 2017 for François Hollande’s PS), as are the means for achieving this: for Sarkozy, the focus will be more on restraint in public spending (0.4% growth per year between 2013 and 2016, against 1.1% for the PS), while Hollande emphasizes growth in revenue, with an increase in the tax burden of 1.8% between 2012 and 2017 (against 1% for the UMP).

But this is not the heart of the matter. What is striking, beyond the need to reduce public deficits in the euro zone countries, is the fact that our destinies are inextricably linked. As is shown by the graph on changes in bond yields in the euro zone (Figure 2), when the euro zone is weakened, all the countries suffer an impact on their risk premium relative to the United States and the United Kingdom, although to varying degrees. It is therefore unrealistic to think about France’s budget strategy and growth strategy outside of a European framework. What will prevent the financial markets from speculating on a country’s debt is building a Europe that is fiscally strong, has strict rules, and is supported by active monetary policy. This construction is taking place, but it is far from complete: the EFSF does not have sufficient firepower to help countries in difficulty; the growth strategy at the European level agreed at the summit of 2 March 2012 needs to be more comprehensive; and the ECB needs to pursue an active policy, like the Fed, which specifically requires a revision of its statutes. As was pointed out by Standard and Poor’s when it announced the downgrade of the French sovereign rating last December, what will be watched closely by the financial markets is the fiscal consistency of the euro zone. On 6 May 2012, what attitude will the next President then take vis-à-vis the construction of the budget and how able will he be to assert his position in the euro zone – this will determine the future attitude of the financial markets, not only vis-à-vis France, but also vis-à-vis every euro zone country.

Annex: Technical functioning of Credit Default Swaps

The contract buyer acquires the right to sell a benchmark bond at its face value (called the “principal”) in case of a credit event. The buyer of the CDS pays the seller the agreed amounts at regular intervals, until maturity of the CDS or the occurrence of the credit event. The swap is then unwound, either by delivery of the underlying instrument, or in cash. If the contract terms provide for physical settlement, the buyer of the CDS delivers the bonds to the seller in exchange for their nominal value. If the CDS is settled in cash, the CDS seller pays the buyer the difference between the nominal amount of the buyer’s bonds and the listed value of the bonds after the credit event (recovery value), in the knowledge that in this case the buyer of the CDS retains its defaulted bonds. In most cases, the recovery value is determined by a formal auction process organized by the ISDA (International Swaps and Derivatives Association). The annual premium that the bank will pay to the insurance company for the right to coverage is called the CDS spread and constitutes the value listed on the market: the higher the risk of default, the more the CDS spread increases (Figure 1). In reality, as the banks are both the buyers and sellers of protection, the spread is usually presented as a range: a bank can offer a range from 90 to 100 basis points on the risk of a French default. It is thus ready to buy protection against the risk of default by paying 90 basis points on the principal but it demands 100 to provide that protection.

To illustrate this, consider the following example. On 7 May 2012, a bank (buyer) signs a CDS on a principal of 10 million euros for five years with an insurance company (seller). The bank agrees to pay 90 basis points (spread) to protect against a default by the French State. If France does not default, the bank will receive nothing at maturity, but will pay 90,000 euros annually every 7 May for the years 2012-2017. Suppose that the credit event occurs on 1 October 2015. If the contract specifies delivery of the underlying asset, the buyer has the right to deliver its French bonds with a par value of 10 million euros and in exchange will receive 10 million euros in cash. If a cash settlement is expected, and if the French bonds are now listed only at 40 euros, then the insurance company will pay the bank 10 million minus 4 million = 6 million euros.


[1] Individuals can play on the markets for corporate CDS via trackers (collective investment in transferable securities that replicates the performance of a market index).

[2] The Eurex was created in 1997 by the merger of the German futures market, Deutsche Termin-Borse (DTB), and the futures market in Zurich, the Swiss Options and Financial Futures Exchange (SOFFEX), to compete with the LIFFE. It belongs to Deutsche Börse and dominates the market for long-term financial futures.

[3] In September 2009 for bonds with long residual maturities (8.5 to 11 years), October 2010 for bonds with short residual maturities (2 to 3.25 years) and July 2011 for bonds with average residual maturities (4.5 to 6 years).

[4] Note that this comparison is biased due to the fact that there are 4 types of futures contracts on German debt, 3 on Italian debt and only 1 on French debt.

[5] Weekly data provided by the DTCC for the week of 9 to 13 April 2012 on CDS on French sovereign debt: the outstanding notional amount came to 1,435 billion dollars, with 6822 contracts traded.

 

 




Les marchés financiers, épée de Damoclès de l’élection présidentielle

par Céline Antonin

Même si certains candidats s’en défendent, le risque financier lié à la crise budgétaire en zone euro est l’invité d’honneur de la campagne présidentielle. Preuve que la question est sensible, le lancement d’un nouveau produit financier sur la dette française, mi-avril, a cristallisé les tensions. Il faut dire que le contexte est particulier : le défaut grec a montré que la faillite d’un pays de la zone euro était devenue possible. Malgré les pare-feux budgétaires mis en place depuis mai 2010 (notamment le Fonds européen de stabilité financière), certains pays voisins de la France font face à une défiance des marchés financiers, fragilisant leur capacité à tenir leurs engagements budgétaires et à assurer la soutenabilité de leur dette publique, l’exemple le plus préoccupant en date étant l’Espagne. Quels sont les instruments dont disposent les spéculateurs pour attaquer un pays comme la France et que faut-il craindre au lendemain de l’élection présidentielle ?

 

L’outil le plus utilisé pour spéculer contre la dette publique d’un pays est le swap de défaut (ou CDS, Credit Default Swap). Ce contrat procure une assurance contre un événement de crédit et notamment le défaut d’un Etat (voir en annexe “Fonctionnement technique des CDS” in fine). Seuls les investisseurs institutionnels, principalement les banques, assurances et hedge funds, ont accès directement au marché des CDS sur les Etats souverains[1].

 

Les CDS n’ont pas seulement un rôle de couverture, ils sont également un moyen privilégié de spéculation. L’une des critiques vis-à-vis des CDS vient du fait que l’acheteur de protection n’a aucune obligation de détenir une exposition crédit à l’entité de référence, autrement dit on peut acheter des CDS sans détenir l’obligation sous-jacente (achat/vente à nu). En juin 2011, le marché des CDS représentait 32 400 milliards de dollars d’encours notionnel. Devant l’ampleur de ces chiffres, l’Union européenne a finalement adopté un règlement portant sur l’encadrement des ventes à découvert : il interdit notamment les CDS à nu sur la dette souveraine des Etats européens, mais ne sera applicable qu’à partir du 1er novembre 2012.

 

Le FOAT, nouvel instrument de spéculation sur la dette française ?

Ce nouvel instrument financier, mis en place le 16 avril par Eurex[2], est un contrat futures, c’est-à-dire un accord entre deux parties pour acheter ou vendre un actif spécifique à une date future et à un prix fixé à l’avance. L’actif spécifique est en l’occurrence une obligation assimilable du Trésor français (OAT), de maturité restante longue (comprise entre 8,5 et 10,5 années), avec un coupon de 6 % et pour un montant nominal de 100 000 euros. Doit-on s’inquiéter du lancement de ce nouveau contrat, à la veille de l’élection présidentielle ? Non si l’on considère que le lancement du FOAT répond au décrochage entre taux obligataires allemands et français, intervenu depuis la récente dégradation de la note souveraine française : auparavant, les taux obligataires allemands et français étant étroitement corrélés, le FOAT sur les obligations allemandes permettait une couverture du risque sur les obligations allemandes et françaises. A la suite du creusement de l’écart de taux entre les deux pays, Eurex a décidé de créer un contrat futures spécifique pour les obligations françaises. Le même phénomène s’est produit pour l’Italie : depuis septembre 2009, l’Eurex a également lancé trois contrats futures sur les titres de dette obligataire italienne[3]. En outre, l’Eurex est un marché organisé privé de droit allemand, beaucoup plus transparent que le marché de gré à gré sur lequel s’échangent les CDS. Notons que le lancement du FOAT n’a pas connu beaucoup de succès : le jour de son lancement, il s’est échangé seulement 2 581 contrats futures sur les obligations françaises, contre 1 242 000 sur les obligations allemandes et 13 671 sur les obligations italiennes[4].

Même si, comme pour les CDS, la fonction première du FOAT est la couverture contre le risque, il peut également devenir un instrument de spéculation, notamment via les ventes à découvert. Alors que la spéculation sur la dette française était réservée aux gros investisseurs, avec un montant notionnel moyen de 15 milliards d’euros par CDS[5], le montant notionnel du nouveau contrat FOAT est de 100 000 euros, ce qui drainera davantage d’investisseurs sur le marché de la dette française. Si les spéculateurs parient sur une dégradation de la soutenabilité des finances publiques, alors le prix des contrats futures sur les OAT baissera, ce qui amplifiera les mouvements de marché et provoquera la hausse des taux sur les contrats OAT.

Des lendemains qui déchantent ?

Il est difficile de prévoir l’attitude des marchés financiers au lendemain des résultats des élections présidentielles françaises. L’étude de ce qui se passe dans d’autres pays de la zone euro nous renseigne peu, en raison des situations spécifiques dans chacun d’entre eux. Le pays le plus « comparable » à la France serait sans doute l’Italie. Or, la nomination de Mario Monti en novembre 2011 s’inscrivait dans un contexte particulier, où la constitution d’un gouvernement technique avait précisément pour but de restaurer la confiance des marchés en réduisant le déficit à marches forcées, l’Italie bénéficiant également de la politique accommodante de la BCE. La configuration budgétaire française est différente, l’impératif financier n’apparaissant qu’au second plan. Les candidats des deux grands partis mettent néanmoins en avant la nécessité de revenir à l’équilibre budgétaire. Le calendrier diffère (2016 pour l’UMP, 2017 pour le PS), ainsi que les moyens d’y parvenir : pour Nicolas Sarkozy, les efforts budgétaires porteront davantage sur une modération des dépenses publiques (0,4 % par an entre 2013 et 2016, contre 1,1 % pour le PS), alors que François Hollande met l’accent sur la hausse des recettes, avec une augmentation du taux de prélèvements obligatoires de 1,8 % entre 2012 et 2017 (contre 1 % pour l’UMP).

Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui frappe, au-delà de l’impératif de réduction des déficits publics dans les pays de la zone euro, c’est le fait que nos destins soient inextricablement liés. Comme le montre le graphique d’évolution des taux d’intérêt obligataires en zone euro (graphique 2), lorsque la zone euro est affaiblie, c’est l’ensemble des pays qui en subissent les conséquences sur leur prime de risque par rapport aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, bien qu’à des degrés divers. Il est donc irréaliste de penser la stratégie budgétaire et la stratégie de croissance française en dehors du cadre européen. Ce qui empêchera les marchés financiers de spéculer sur la dette d’un pays, c’est la constitution d’une Europe budgétaire forte et dotée de règles strictes, assistée d’une politique monétaire active. Cette construction est en marche mais elle est loin d’être aboutie : le FESF n’a pas une force de frappe suffisante pour aider les pays en difficulté, la stratégie de croissance à l’échelle européenne, décidée au sommet du 2 mars 2012, demande à être approfondie, et la BCE doit mener une politique active, à l’instar de la Fed, ce qui exige notamment une révision de ses statuts. Comme l’a rappelé l’agence Standard and Poor’s lorsqu’elle a annoncé la dégradation de la note française en décembre dernier, c’est avant tout la cohésion budgétaire en zone euro qui sera regardée de près par les marchés financiers. Le 6 mai 2012, ce sera donc davantage l’attitude du prochain Président vis-à-vis de cette construction budgétaire et sa capacité à faire valoir sa position au sein de la zone euro qui détermineront l’attitude future des marchés financiers, non seulement vis-à-vis de la France, mais également vis-à-vis de chacun des pays de la zone euro.


Annexe : Fonctionnement technique des CDS

L’acheteur du contrat acquiert le droit de vendre une obligation de référence à sa valeur nominale (qualifiée de « principal ») en cas d’événement de crédit. L’acheteur du CDS paie au vendeur des montants convenus, à intervalles réguliers, jusqu’à l’échéance du CDS, ou à la survenance de l’événement de crédit. Le swap est alors dénoué, soit par livraison du sous-jacent, soit en cash. Si les termes du contrat prévoient un règlement physique, l’acheteur du CDS livre les obligations au vendeur en échange de leur valeur nominale. Si le CDS est dénoué en cash, le vendeur du CDS rembourse à l’acheteur la différence entre le montant nominal des obligations de l’acheteur et le montant des obligations cotées à la suite de l’événement de crédit (valeur de recouvrement), sachant que dans ce cas, l’acheteur du CDS conserve ses obligations décotées. Dans la plupart des cas, la valeur de recouvrement est déterminée officiellement par un processus d’enchère organisé par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association). La prime annuelle que versera la banque à la compagnie d’assurance pour avoir le droit à une couverture s’appelle le spread du CDS et constitue la valeur cotée sur le marché : plus le risque de défaut est élevé, plus le spread des CDS augmente (graphique 1). En réalité, les banques étant à la fois des acheteurs et des vendeurs de protection, le spread est généralement présenté comme une fourchette : une banque peut proposer une fourchette 90-100 points de base sur le risque de défaut de la France. Elle est donc prête à acheter une protection contre le risque de défaut en payant 90 points de base sur le principal, mais elle en exige 100 pour fournir cette protection.

A titre d’illustration, on peut considérer l’exemple suivant. Le 7 mai 2012, une banque (acheteuse) signe un CDS sur un principal de 10 millions d’euros pour 5 ans avec une compagnie d’assurance (vendeuse). La banque s’engage à payer 90 points de base (spread) pour se protéger contre le défaut de l’Etat français. Si la France ne fait pas défaut, la banque ne recevra rien à l’échéance, mais paiera chaque année 90 000 euros chaque 7 mai des années 2012 à 2017. Supposons qu’un événement de crédit survienne le 1er octobre 2015. Si le contrat spécifie la livraison du sous-jacent, l’acheteur a le droit de livrer ses 10 millions d’euros de nominal d’obligations françaises et recevra en échange 10 millions d’euros en cash. S’il est prévu un dénouement en cash, et si les obligations françaises ne sont plus cotées qu’à 40 euros, alors la compagnie d’assurance versera 10 000 000-4 000 000 = 6 millions d’euros à la banque.



[1] Les particuliers pouvent jouer sur les marchés de CDS d’entreprise via les trackers (placements collectifs en valeurs mobilières qui répliquent la performance d’un indice boursier).

[2] L’Eurex a été créé en 1997 par la fusion du marché à terme allemand, la Deutsche Termin-Börse (DTB), et le marché à terme de Zurich, le Swiss Options and Financial Futures Exchange (SOFFEX), entre autres pour concurrencer le LIFFE. Il appartient à Deutsche Börse et domine le marché des contrats de taux à long terme.

[3] En septembre 2009 pour les obligations à maturité restante longue (8,5 à 11 ans), octobre 2010 pour les obligations à maturité restante courte (2 à 3,25 ans) et juillet 2011 pour les obligations à maturité restante moyenne (4,5 à 6 ans).

[4] Notons que cette comparaison est biaisée du fait qu’il existe 4 contrats futures sur la dette allemande, 3 sur la dette italienne, et seulement 1 sur la dette française.

[5] Données hebdomadaires fournies par la DTCC pour la semaine du  9 au 13 avril 2012 sur les CDS souverains sur la dette française : le notionnel brut atteint 1 435 milliards de dollars et 6822 contrats ont été échangés.

 




Retour en enfer ?

par Xavier Timbeau

A propos des perspectives de l’économie mondiale pour 2011-2012

Si la Grèce venait à faire défaut, même partiellement, sur sa dette souveraine, il pourrait se produire un évènement de nature au moins aussi grave que celui qui a suivi la chute de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.

Le choc initial, une fraction (60% ?) des 350 milliards d’euros de dette publique grecque, frapperait directement les agents qui détiennent cette dette. Quelques centaines de milliards d’euro (210 M€ ?) seraient inscrits en moins au bilan de ménages ou de banques grecs, mais aussi d’agents économiques d’autres pays européens. Il faudrait alors recapitaliser le système bancaire européen (quelques dizaines de milliards d’euros), probablement quelques assureurs ou fonds de pension (on ne sait pas combien) et espérer que le reste, c’est-à-dire les pertes financières des ménages se limiteraient à un simple effet richesse.

La Grèce ne serait pas sortie d’affaire pour autant, puisque son déficit primaire (hors charge d’intérêt) sera en 2011 supérieur à 2,5 % de son PIB. Même dans le cas d’un défaut partiel sur sa dette souveraine, la Grèce serait probablement exclue des marchés financiers et devrait à nouveau réduire, brutalement, son déficit public, à moins que le FESF ne s’y substitue. Mais tout comme dans l’enchaînement qui a conduit de la faillite de la 5eme banque d’affaire américaine à la plus grande crise financière, bancaire et économique de l’après-guerre, l’affaire ne s’arrêterait pas là (nous décrivons ce scénario en détail dans notre analyse de la conjoncture d’octobre 2011).

Il serait alors démontré que les titres publics de la zone euro ne sont plus des titres sûrs. N’étant plus sûrs, ces titres souverains seraient moins recherchés et ne serviraient plus de valeur refuge comme ils le sont aujourd’hui. Le taux d’intérêt souverain deviendrait plus élevé, mesure supposée du risque qu’il y aurait à en détenir désormais. Plus le pays serait susceptible de suivre la Grèce dans le défaut, plus son taux s’envolerait. Partant de niveaux de dettes publiques égales au PIB – conséquences en partie de la phase I de la grande récession de 2008 – la hausse des taux creuserait les déficits publics plus qu’ils ne le sont. Elle accroîtrait le risque de défaut, jusqu’à le provoquer.  Les pays qui le peuvent tenteraient d’échapper à ce cercle vicieux par une vertu budgétaire encore plus exemplaire.

Tout ceci conduirait à de nouvelles moins-values pour les imprudents qui auraient acquis des titres souverains portugais, espagnols, irlandais ou italiens. Au lieu de quelques centaines de milliards d’euros perdus sur la dette publique grecque, ce sont là quelques milliers de milliards d’euros de moins-values qui appelleraient à la fois de sérieuses recapitalisations du secteur bancaire européen (on évoque jusqu’à 300 milliards d’euros) et une perte de richesse des ménages européens qui devrait se traduire par un sérieux ralentissement de leur consommation. Combiné à l’effet des restrictions budgétaires impliquées par l’arrêt du financement des déficits publics, par les restrictions  budgétaires dans les pays « vertueux », la phase II de la récession ferait passer la phase I pour une aimable plaisanterie.

Un plan audacieux de recapitalisation vigoureuse des banques européennes, de refinancement à long terme de la Grèce et de vertu budgétaire affichée et partagée par les Etats membres de l’Union Européenne pourrait retarder le scénario du pire pendant quelques mois. On pourrait ainsi entretenir l’illusion que les titres publics sont sûrs, à l’exception de ceux émis par la Grèce. Mais, lorsqu’on s’apercevra que les engagements budgétaires de certains étaient optimistes et avaient sous-estimé les possibilités d’une nouvelle mauvaise fortune, qu’elle soit tombée du ciel ou simplement la conséquence des plans de restrictions sur l’activité en Europe et donc sur les recettes fiscales, alors, la certitude de la sûreté des titres publics s’effondrera à nouveau. Et aux exceptions, on ajoutera le Portugal à la Grèce. Mais l’exception devenant règle, la digue cèdera à nouveau et plus facilement à chaque nouveau pays. L’Allemagne sera le dernier pays à faire défaut, triste consolation pour avoir été le plus vertueux, ce que les marchés financiers semblent anticiper par des CDS à plus de 70/10 000 sur les titres souverains allemands.

Pour éviter ce scénario du pire, il nous reste peu de solutions. Quatre principes doivent être suivis. Le premier est qu’il ne faut aucun défaut sur des titres souverains. La Banque Centrale Européenne (BCE) multiplie les déclarations dans ce sens, à juste titre. En second lieu, la Grèce doit payer sa dette publique. C’est à la fois pour des raisons morales (personne ne doit payer à la place des grecs), pour des raisons économiques (la perte sur les titres souverains grecs est une perte pour quelqu’un) mais aussi parce que les grecs le peuvent. Leur économie connaît depuis 2008 une récession comme peu d’économies développées en ont traversé, l’ajustement budgétaire sera brutal, mais les ménages ou institutions grecs détiennent un patrimoine important. De plus, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la Grèce a un potentiel de recettes à la hauteur de sa dette publique. Il est, en revanche, indispensable que la dette publique grecque puisse être financée à un taux suffisamment bas pour que l’effet boule de neige, démultiplié dans la récession, ne l’emporte sur le reste. En troisième lieu, et c’est là que les choses se compliquent, les titres de dette publique doivent être des actifs parfaitement liquides. Pour ce faire, il faut une institution qui peut acquérir, sans aucune limite, les dettes publiques lorsque cela s’impose. La BCE peut techniquement remplir ce rôle, comme le font aujourd’hui toutes les grandes banques centrales (FED, BoE, BoJ). La BCE le fait depuis quelques mois, même si le montant des titres qu’elle détient reste faible (voir « L’histoire sans fin » dans notre dossier de prévision). Mais pour avoir un dispositif crédible, il faut en démultiplier les moyens, en assumer le fonctionnement et s’attacher au quatrième point : la stratégie budgétaire à moyen terme. Car, en effet, pour que les titres publics soient sûrs, il faut qu’ils soient non seulement liquides mais aussi solvables. Les règles d’or constitutionnelles répondent maladroitement à cette nécessité. Il reste à inventer une meilleure approche, applicable dans la structure institutionnelle actuelle de l’Europe, pour assurer la solvabilité dans le moyen terme des finances publiques des Etats membres.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE et dans la revue de l’OFCE n°119.