Le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré

par Céline Antonin

A l’heure où le débat sur la réforme du marché du travail cristallise les passions en France, l’Italie tire quant à elle les premiers enseignements de la réforme mise en place il y a un an. Il faut dire que la réforme du marché du travail, baptisée Jobs Act, faisait partie des promesses de campagne de Matteo Renzi. Le marché du travail italien souffre en effet de faiblesses chroniques, notamment la segmentation, la dualité entre salariés protégés et non protégés, le fort taux de chômage des jeunes, ou encore l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. D’inspiration sociale-libérale, la réforme de Matteo Renzi prône la flexisécurité, avec l’introduction d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminé et à protection croissante, une baisse des charges sociales sur les entreprises, et une meilleure indemnisation et un accompagnement des chômeurs. Le premier bilan est certes positif en termes de chômage et de créations d’emploi. Cela étant, il faut se garder de tout triomphalisme hâtif, car cette réforme intervient dans des circonstances particulièrement favorables avec le retour de la croissance, le policy mix accommodant, ou encore la stagnation de la population active.

Jobs Act à l’italienne : les points-clefs

Le Jobs Act n’est en réalité que le dernier né d’une série de mesures, adoptées depuis la Loi Fornero de 2012, visant à flexibiliser le marché du travail.  L’acte I du Jobs Act, ou décret-loi Poletti (DL 34/2014), a été adopté le 12 mai 2014, mais est passé relativement inaperçu, car il ciblait essentiellement les CDD et l’apprentissage. Il permettait notamment d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, supprimait les périodes de carences et permettait un renouvellement plus important des CDD, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise[1].

Le véritable changement est intervenu avec l’Acte II du Jobs Act, dont la loi d’habilitation a été adoptée par le Sénat italien le 10 décembre 2014. Les huit décrets d’application, adoptés au premier semestre 2015 comportent quatre points-clefs :

– La suppression de l’article 18 du Code du travail qui permettait une réintégration en cas de licenciement manifestement abusif : l’obligation de réintégration est remplacée par une obligation d’indemnisation plafonnée[2], mais la réintégration reste de mise en cas de licenciement discriminatoire ;

– La création d’une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée et à protection croissante, intermédiaire entre CDD et CDI : le licenciement est facilité pendant les trois premières années suivant l’embauche et des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté du salarié sont mises en place ;

– La suppression de l’usage abusif des contrats de collaboration[3], contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié, concernant environ 200 000 personnes. Ces contrats devront être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques), sauf pour quelques cas restreints ;

– La réforme de l’assurance chômage, avec une extension des dispositifs d’indemnisation. Ainsi, la durée d’indemnisation est portée à deux ans (contre 12 mois auparavant). Quant aux dispositifs d’indemnisation du chômage « technique », ils sont notamment étendus aux apprentis et entreprises de 5 à 15 salariés[4]. Une Agence Nationale pour l’Emploi (ANPAL) avec l’introduction d’un guichet unique, permettant d’articuler la formation et l’emploi, a également été créée.

Notons que seules les mesures relatives à l’expérimentation d’un salaire horaire minimum[5], qui figurent dans la loi d’habilitation de décembre 2014, n’ont pas été abordées.

Parallèlement au Jobs Act, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (équivalent de la taxe professionnelle) pour les personnes employées en CDI a été supprimée, réduisant d’un tiers environ le montant de l’IRAP. Surtout, la Loi de finances pour 2015 supprime les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche. Cette mesure devrait coûter 3,5 Mds d’euros d’ici 2018. La mesure a été prolongée en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans.

Une forte progression de l’emploi et une baisse du taux de chômage

Depuis le début de l’année 2015, on observe une forte progression de l’emploi, en particulier l’emploi à durée indéterminée : entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’actifs occupés a augmenté de 229 000, avec une progression forte du nombre de salariés (+377 000) et un recul du nombre d’indépendants (-148 000).  Parmi les salariés, on note une progression forte du nombre de CDI (+328 000). Ainsi, le nombre de salariés en CDI est revenu à 22,6 millions, aux niveaux de 2009 (graphique 1) ; quant à l’emploi total, s’il ne revient pas encore à son niveau d’avant-crise, la baisse de 2012-2014 est annulée. En revanche, le rythme annuel des créations d’emploi a retrouvé son niveau d’avant-crise, avec une progression de l’ordre de 250 000 par an (graphique 2).

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Outre les nouvelles embauches en CDI, le Jobs Act a conduit à substituer des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, 5,4 millions de nouveaux emplois ont été créés en 2015[6] (+11% par rapport à 2014), principalement à durée indéterminée. Sur les 2,4 millions de CDI créés, on dénombre 1,9 million de nouveaux CDI et 500 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (dont 85 000 contrats d’apprentissage), en forte hausse par rapport à 2014. On constate également une baisse des contrats de collaboration (-45 % entre le troisième trimestre 2014 et le troisième trimestre 2015) et des contrats d’apprentissage (-24,6 %). Signalons également l’augmentation de 4,3 % du nombre de démissions et la réduction de 6,9 % des licenciements.

Cette progression de l’emploi a pour corollaire une baisse marquée du taux de chômage (graphique 3), qui atteint 11,4 % au dernier trimestre 2015 (contre 12,8 % un an auparavant). Cela étant, la baisse du chômage s’explique également par une stagnation de la population active en 2015, à l’inverse des années précédentes marquées par la réforme des retraites.

 

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Des incertitudes demeurent

Matteo Renzi semble avoir gagné son pari. Pourtant, il ne faut pas sur-interpréter cette baisse du chômage. En effet, plusieurs facteurs positifs ont indéniablement contribué à amplifier le phénomène.

On peut tout d’abord relever un effet d’aubaine lié à l’annonce des exonérations de cotisations sociales pour l’embauche en nouveau contrat à durée indéterminée, qui a conduit certaines entreprises à repousser les embauches prévues en 2014 à 2015 (ce qui a eu pour conséquence une hausse du chômage fin 2014). Par ailleurs, une partie de la baisse du chômage est liée à l’effet de substitution des contrats précaires de courte durée par les nouveaux CDI à protection croissante (voir supra). Reste à savoir si les nouvelles flexibilités permises par ces nouveaux contrats seront utilisées dans les trois années qui viennent, et si les ruptures de contrat seront plus nombreuses.

En outre, la stagnation de la population active (graphique 3) a largement amplifié le mouvement de baisse du chômage. Avec l’embellie observée sur le marché de l’emploi, nous anticipons, dans le futur, que la hausse de la population active, amorcée au dernier trimestre de 2015, va se poursuivre en raison d’un effet de flexion[7], qui viendrait amortir l’effet de la création d’emplois en 2016 et 2017.

Par ailleurs, le  Job Act a été adopté dans un contexte de sortie de récession, avec une reprise certes molle (+0,6 % de croissance en 2015), mais néanmoins au-dessus du potentiel de croissance[8]. Le relâchement de la contrainte budgétaire a eu un effet de relance en 2015, qui peut expliquer en partie le reflux du chômage. Quant aux conditions monétaires, elles sont particulièrement favorables, l’Italie étant l’un des principaux bénéficiaires de l’assouplissement quantitatif mis en œuvre par la BCE.

Ces réserves ayant été émises, il est néanmoins indéniable que la baisse des cotisations a eu un impact positif. Le rapport de l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) de février 2016 montre que sur les 2,4 millions de ces nouveaux CDI créés en 2015, 1,4 million ont bénéficié des exonérations de cotisations employeurs, soit quasiment deux nouveaux CDI sur trois. Par ailleurs, la baisse des contrats précaires au profit de contrats à durée indéterminée, même s’ils sont moins protégés qu’avant, est plutôt un signe encourageant pour l’accès à l’emploi pérenne de populations qui en étaient traditionnellement éloignées (indépendants, contrats de collaboration).

Le principal regret que l’on peut avoir face à cette réforme est l’absence d’un volet dédié explicitement à la formation professionnelle, alors que c’est l’un des principaux points faibles du marché du travail italien. Au sein de l’UE, le pays détient le triste record du nombre de jeunes (15-24 ans) qui ne sont ni en emploi, ni à l’école, ni en formation. Par ailleurs, la formation de la main-d’œuvre est insuffisante et l’investissement en recherche et développement est faible, ce qui se traduit par une faible productivité. Il est légitime de vouloir agir sur le coût du travail et la dualité du marché du travail, mais cela ne peut suffire à résoudre la question de la productivité et de l’inadéquation de la main-d’œuvre. Par conséquent, Matteo Renzi serait bien inspiré de prévoir un acte III de la réforme de l’emploi pour enfin sortir le pays de la stagnation.

 

[1] voir C. Antonin, Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur, Note de l’OFCE n°48.

[2] L’indemnité économique est déterminée par un barème en fonction de l’ancienneté du salarié. Elle équivaut  à deux mois du dernier salaire par année d’ancienneté, pour un total qui ne peut être inférieur à 4 mois de salaire et plafonné à 24 mensualités.

[3] « Statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination mais « coordonnés » avec l’entreprise et créateur de certains droits sociaux. Il s’agit de travailleurs indépendants mais qui, dans les faits, dépendent d’une seule entreprise cliente (qui exerce des pouvoirs de direction limités, par exemple en matière d’organisation du travail et de temps de travail)», E. Prouet, Contrat de travail, les réformes italiennes, France Stratégie, La Note d’Analyse, n°30, mai 2015.

[4] D’autres mesures concernant le chômage technique sont également prévues, notamment le fait que le chômage technique d’un salarié ne peut dépasser 80 % du total des heures travaillées. En outre, la durée maximale pendant laquelle une entreprise peut avoir recours au chômage technique est au maximum de 24 mois sur cinq années glissantes.

[5] Il n’y a pas de salaire minimum généralisé en Italie, mais des salaires minima fixés au niveau des branches, comme c’était le cas en Allemagne avant 2015.

[6] Ce chiffre de 5,4 millions représente les créations brutes d’emploi, tous types d’emplois confondus (en cumulant notamment tous les CDD à très court terme), et sans tenir compte des destructions d’emplois. Si l’on considère le chiffre des créations nettes d’emploi, on retient le chiffre de 229 000 entre janvier 2015 et janvier 2016.

[7] Quand le chômage augmente, les personnes en âge de travailler sont découragées de se présenter sur le marché du travail. À l’inverse, lorsque l’emploi redémarre, certains sont incités à revenir sur le marché du travail, ce qui ralentit la baisse du chômage ; c’est ce phénomène que l’on appelle l’effet de flexion.

[8]  « La croissance tendancielle de productivité du travail est faible en Italie ; par conséquent, la croissance de la production permet de créer davantage d’emplois en Italie qu’en France par exemple, où la productivité du travail est plus forte ».




Grèce : un accord, encore et encore

par Céline Antonin, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau, Sébastien Villemot

… La même nuit que la nuit d’avant
Les mêmes endroits deux fois trop grands
T’avances comme dans des couloirs
Tu t’arranges pour éviter les miroirs
Mais ça continue encore et encore …

Francis Cabrel, Encore et encore, 1985.

À quelques heures d’un sommet européen exceptionnel sur la Grèce, un accord pourrait être signé et permettrait de clore le second plan d’aide à la Grèce, débloquant la dernière tranche de 7,2 milliards d’euros. La Grèce pourrait alors faire face aux échéances de la fin juin auprès du FMI (1,6 Mds d’euros), puis de celles de juillet et août auprès de la BCE (6,6 Mds d’euros) et à nouveau auprès du FMI (0,45 Mds d’euros). A la fin du mois d’août, la dette de la Grèce auprès du FMI pourrait augmenter de presque 1,5 Mds d’euros, puisque le FMI contribue à hauteur de 3,5 Mds d’euros à la tranche de 7,2 Mds d’euros.

Jusqu’au mois de septembre, la Grèce doit rembourser un total de 8,6 Mds d’euros et, jusqu’à la fin de l’année, presque 12 Mds d’euros, soit des besoins qui excèdent les 7,2 Mds d’euros sur lesquels porte la négociation avec le Groupe de Bruxelles (i.e. l’ex troïka). À cet effet, le fonds hellénique de stabilité financière (HFSF) pourrait être mobilisé, à hauteur d’environ 10 Mds d’euros, mais il ne serait plus disponible pour recapitaliser les banques.

Si un accord est signé, il risque fort d’être difficile à tenir. En premier lieu, la Grèce va devoir faire face à la panique bancaire (bank run) en cours (le calme apparent devant les agences bancaires n’a pas empêché que plus de 6 Mds d’euros soient retirés la semaine dernière d’après le Financial Times). Or, même si un accord peut écarter pour un temps le scénario de la sortie de la Grèce de la zone euro, la perspective de taxes exceptionnelles ou d’une réforme fiscale peut dissuader le retour des fonds vers les établissements grecs. Par ailleurs, l’accord devrait inclure un excédent primaire de 1 % du PIB d’ici à la fin de l’année 2015. Or les informations sur l’exécution budgétaire jusqu’au mois de mai 2015 (publiées le 18 juin 2015) montrent que les recettes continuent d’être inférieures à la projection initiale (− 1 Mds d’euros), traduisant une situation conjoncturelle très dégradée depuis le début de l’année 2015. Certes, ces moindres rentrées fiscales sont plus que compensées par la baisse des dépenses (presque 2 Mds). Mais il s’agit-là d’une comptabilité de caisse. Le bulletin mensuel d’avril 2015, publié le 8 juin 2015, fait apparaître des arriérés de paiement du gouvernement central en hausse de 1,1 Mds d’euros depuis le début de l’année 2015. Il paraît presque impossible qu’en six mois, même avec une excellente saison touristique, le gouvernement grec rattrape ce retard et affiche, en comptabilité de droits constatés, un surplus primaire de 1,8 Mds d’euros. Un nouveau resserrement budgétaire pénaliserait une activité déjà en berne et pourrait être d’autant plus inefficace que les acteurs seraient fortement incités à sous-déclarer leurs impôts dans un contexte où l’accès à la liquidité sera particulièrement difficile. Le gouvernement grec pourra jouer sur la collecte de l’impôt, mais introduire un nouveau plan d’austérité serait politiquement et économiquement suicidaire. La discussion d’un troisième plan d’aide devra certainement être lancée, en incluant en particulier une négociation sur l’allègement de la dette grecque et des contreparties à cet allègement.

L’accord qui pourrait être trouvé dans les prochains jours risque d’être très fragile. Retrouver un peu de croissance en Grèce suppose d’abord de faire à nouveau fonctionner le financement de l’économie et de retrouver un peu de confiance. Cela supposerait aussi de traiter les questions de la Grèce en profondeur et de trouver un accord pérenne, sur plusieurs années, dont les étapes à court terme doivent absolument être adaptées à la situation présente de la Grèce. Nous avions, dans notre étude spéciale « La Grèce sur la corde raide », analysé les conditions macroéconomiques de la soutenabilité de la dette grecque. Plus que jamais la Grèce est sur la corde raide. Et la zone euro avec elle.




Pétrole : du carbone pour la croissance

Par Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay

Ce texte renvoie à l’étude spéciale du même nom qui accompagne les Perspectives 2015-2016 pour la zone euro et reste du monde

La chute du prix du Brent de 50 % entre l’été 2014 et janvier 2015 et son maintien à un bas niveau au cours des mois suivants est une bonne nouvelle pour les économies importatrices de pétrole. Dans un contexte de faible croissance, ces évolutions se traduisent par un transfert de richesse au bénéfice des pays importateurs nets via la balance commerciale, ce qui stimule la croissance et alimente la reprise. La baisse du prix des produits pétroliers augmente le pouvoir d’achat des ménages, accélère la consommation et donc l’investissement, dans un contexte où les coûts de production des entreprises sont réduits. Les exportations sont plus dynamiques, le surcroît de demande en provenance des autres économies importatrices de pétrole étant supérieur au ralentissement enregistré du côté des économies exportatrices.

Cependant, cette baisse des prix n’est pas neutre pour l’environnement. En effet, un faible prix du pétrole réduit l’attractivité des modes de transport et de production pauvres en carbone et pourrait bien ralentir la transition énergétique ainsi que la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ce contre-choc pétrolier n’aura toutefois des effets favorables sur la croissance des pays importateurs nets de pétrole que s’il est durable. A l’horizon de 2016, l’excès d’offre sur le marché pétrolier, alimenté par le développement passé de la production de pétrole de schiste aux États-Unis et le laisser faire de l’OPEP, se tassera. La production de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis, dont la rentabilité n’est plus assurée en deçà de 60 dollars le baril, devra s’ajuster à la baisse des prix mais le repli, attendu à partir du deuxième semestre 2015, sera insuffisant pour ramener les cours vers leur niveau d’avant le choc. Le prix du pétrole Brent pourrait rester autour de 55 dollars le baril avant d’amorcer à la fin de l’année 2015 une remontée vers 65 dollars un an plus tard. Les prix devraient rester donc inférieurs aux niveaux de 2013-début 2014, et malgré la tendance haussière à prévoir, l’impact à court terme restera positif sur la croissance.

Pour mesurer l’impact de ce choc sur l’économie française, nous disposons de deux modèles macroéconométriques e-mod.fr et ThreeMe grâce auxquels nous réalisons différents exercices de simulations. Ces modèles nous permettent également d’évaluer l’impact macroéconomique et les transferts d’activité d’un secteur à un autre ainsi que l’impact environnemental d’une consommation accrue d’hydrocarbures. Les résultats sont présentés en détail dans l’étude spéciale. Il ressort qu’une baisse de 20 dollars du prix du pétrole entraîne, pour l’économie française, un surcroît de croissance de 0,2 point de PIB la première année et de 0,1 point de PIB la deuxième, mais  s’accompagne d’un coût environnemental non négligeable. Ainsi, au terme de 5 ans, cette baisse conduirait à un surcroît d’émissions de GES de 2,94 MtCO2, soit près d’1% du total des émissions françaises en 2013. Ce volume représente pour la France près de 4% de l’objectif européen de réduction des émissions de 20% par rapport à leur niveau de 1990.

En adaptant le modèle français e-mod.fr aux caractéristiques de consommation, d’importations et de production d’hydrocarbures, les simulations sont étendues aux grandes économies développées (Allemagne, Italie, Espagne, Etats-Unis et Royaume-Uni). A l’exception des États-Unis, l’impact positif du contre-choc pétrolier est significatif et assez proche pour tous les pays, l’Espagne étant celui qui en bénéficie un peu plus en raison d’une intensité pétrolière plus élevée. Au final, en considérant les variations passées et prévues des prix du pétrole (hors effet taux de change), le surcroît de croissance attendu en moyenne dans les grands pays de la zone euro serait de 0,6 point en 2015 et de 0,1 point en 2016. Aux Etats-Unis, les effets positifs sont en partie contrebalancés par la crise que traverse l’activité de production de pétrole non-conventionnel[1]. L’impact sur le PIB serait positif en 2015 (de 0,3 point) et négatif en 2016 (de 0,2 point). Il en ressort que si la baisse du prix du pétrole est bien un choc positif pour la croissance économique mondiale, cela n’est malheureusement pas le cas pour l’environnement…

 


[1] Voir le Post L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du pétrole de schiste, d’Aurélien Saussay, du 29 avril sur le site de l’OFCE.




La Grèce sur la corde raide

par Céline Antonin, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau et Sébastien Villemot

Ce texte résumé l’étude spéciale : « La Grèce sur la corde raide ».

Depuis le début de l’année 2015, une forte pression s’exerce sur le nouveau gouvernement grec. Alors qu’il est en pleine négociation en vue d’une restructuration de sa dette, il doit faire face à une succession d’échéances de remboursement. Le 12 mai 2015, 750 millions d’euros ont pu être remboursés au FMI en puisant sur les réserves internationales du pays, signe que les contraintes de liquidité deviennent de plus en plus prégnantes comme l’atteste la lettre envoyé par A. Tsipras à C. Lagarde quelques jours avant l’échéance. Le répit sera de courte durée : en juin, le pays doit encore rembourser au FMI un total de 1,5 milliard d’euros. Ces deux premières échéances ne sont qu’un prélude au « mur de la dette » auquel devra faire face le gouvernement pendant l’été puisqu’il devra honorer un remboursement de 6,5 milliards d’euros à la BCE.

Jusqu’à présent, la Grèce a payé en dépit des difficultés et de la suspension du programme d’aide négocié avec les institutions (ex-troïka). Ainsi les 7,2 milliards d’euros de déboursements sont bloqués depuis février 2015 et la Grèce doit trouver un accord avec l’ex-troïka avant le 30 juin si elle veut pouvoir bénéficier de cette manne financière, faute de quoi les échéances auprès de la BCE et du FMI conduiraient la Grèce au défaut de paiement.

Outre les remboursements extérieurs de la Grèce, le pays doit également honorer ses dépenses courantes (salaires des fonctionnaires, pensions de retraite). Or, les nouvelles sur le front budgétaire ne sont pas très encourageantes (voir State Budget Execution Monthly Bulletin, March 2015) : sur les trois premiers mois de l’année, les recettes courantes sont inférieures de près de 600 millions d’euros aux projections. Seule l’utilisation de fonds européens préalablement versés, combinée à la baisse comptable des dépenses (qui sont inférieures de 1,5 milliard d’euros aux prévisions) ont permis au gouvernement grec de dégager un excédent de 1,7 milliard d’euros et d’honorer ses échéances. Ainsi, par des opérations comptables, le gouvernement grec a vraisemblablement transféré sa dette soit vers des organismes publics soit vers ses fournisseurs, confirmant ainsi le fort poids des contraintes de liquidité qui pèsent sur l’État. Les données préliminaires à l’issue du mois d’avril (à prendre avec prudence car elles ne sont ni définitives ni consolidées pour l’ensemble des administrations publiques) semblent néanmoins nuancer le constat. Fin avril, les rentrées fiscales auraient retrouvé leur niveau attendu, mais la capacité du gouvernement à générer les liquidités pour éviter le défaut de paiement s’expliquerait par un coup de frein sur la dépense publique à travers les opérations comptables décrites ci-dessus. Ces manipulations comptables ne sont que des mesures d’urgence et il est grand temps, 6 ans après le déclenchement de la crise grecque, de mettre fin au psychodrame et de trouver enfin une solution pérenne aux problèmes budgétaires de la Grèce.

Notre étude « la Grèce : sur la corde raide » s’interroge sur la meilleure solution pour résoudre durablement la crise de l’endettement en Grèce et les potentielles conséquences d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Nous concluons que le scénario le plus raisonnable est celui d’une restructuration avec réduction significative de la valeur présente de la dette publique (qui serait portée à 100 % du PIB grec). Lui seul permet de diminuer sensiblement la probabilité de sortie de l’euro, ce qui est non seulement dans l’intérêt de la Grèce mais également de la zone euro dans son ensemble. En outre, ce scénario diminuerait l’ampleur de la dévaluation interne nécessaire pour stabiliser la position extérieure grecque.

Si l’Eurogroupe refusait la restructuration de la dette grecque, un nouveau programme d’aide devrait alors être accordé afin d’interrompre la crise de confiance en cours et d’assurer le financement des besoins de trésorerie de l’État grec au cours des prochaines années. D’après nos calculs, cette solution nécessiterait un troisième plan d’aide autour de 95 milliards d’euros et son succès resterait tributaire des surplus budgétaires primaires conséquents (de l’ordre de 4 à 5% du PIB grec) que la Grèce devra produire au cours des prochaines décennies. L’expérience historique montre que le maintien d’un tel surplus pendant une période aussi longue ne peut pas être garanti, du fait des contraintes politiques, rendant un tel engagement peu crédible. Ainsi, un nouveau programme d’aide ne permettrait pas d’éliminer le risque d’une nouvelle crise de financement de l’État grec au cours des années à venir.

Pour le dire autrement, le remboursement intégral de la dette grecque repose sur la fiction d’un excédent budgétaire maintenu pendant plusieurs décennies. Se résoudre à la sortie de la Grèce de la zone euro induirait une perte significative de la créance que le monde (principalement l’Europe) détient à la fois sur le secteur public grec (250 milliards d’euros) et sur le secteur privé (également de l’ordre de 250 milliards d’euros). À cette perte facile à quantifier s’ajouteraient les conséquences financières, économiques, politiques et géopolitiques de la sortie de la Grèce de la zone euro ou de l’Union Européenne. Le choix peut paraître facile, puisqu’un abandon de 200 milliards d’euros de créances sur l’État grec permettrait de sortir une bonne fois pour toute du psychodrame. Reste que l’impasse politique est grande et qu’il est difficile d’abandonner 200 milliards d’euros sans de très fortes contreparties et sans évoquer la question de l’aléa moral, qui peut notamment pousser d’autres pays de la zone euro à demander des restructurations d’ampleur de leur dette publique.




Le Sisyphe grec et sa dette publique : vers la fin du calvaire ?

par Céline Antonin

Après son incapacité à élire un nouveau Président à la majorité qualifiée, le Parlement grec a été dissous, en attendant des élections législatives anticipées qui doivent se tenir le 25 janvier 2015. Le parti de la gauche radicale, Syriza, fait la course en tête dans les sondages d’opinion, devançant le parti « Nouvelle Démocratie » du Premier ministre sortant, Anthony Samaras. S’il recueille l’enthousiasme de la population, le programme économique de Syriza attise les craintes des bailleurs de la troïka (FMI, BCE et UE), en particulier sur trois sujets : la potentielle sortie du pays de la zone euro, la mise en place d’une relance budgétaire et un défaut souverain partiel. Ce dernier sujet sera le principal enjeu post-électoral.

Le véritable enjeu de l’élection : la restructuration de la dette publique grecque

La crainte d’une potentielle sortie de la Grèce de la zone euro (le fameux « Grexit ») doit être relativisée. La situation est différente de ce qu’elle était au moment de la crise des dettes souveraines, lorsque les différentiels de taux obligataires faisaient craindre un phénomène de contagion et un éclatement de la zone euro. En outre, Syriza n’est pas en faveur d’une sortie de l’euro, et personne ne peut y contraindre le pays dans la mesure où cela n’est prévu par aucun texte. Enfin, les conséquences d’une telle décision sur les autres membres pouvant être lourdes, une sortie du pays de la zone euro n’interviendrait qu’en dernier recours.

Syriza appelle de ses vœux la fin de l’austérité et une relance budgétaire d’un montant de 11 milliards d’euros avec relèvement du salaire minimum à son niveau antérieur, revalorisation des retraites, réembauche de fonctionnaires et augmentation des dépenses publiques. Un compromis avec la troïka peut-il être trouvé ? Rien n’est moins sûr, et il est quasi certain que Syriza devra revoir ses ambitions  à la baisse. Certes, le déficit grec s’est réduit. Le pays est en léger excédent primaire en 2014, et devrait poursuivre sa consolidation budgétaire en 2015-2016. Mais la Grèce doit continuer à emprunter pour financer les intérêts de la dette, pour rembourser ou renouveler la dette arrivée à maturité, et pour rembourser les prêts octroyés par le FMI. Pour cela, elle doit surtout compter sur l’aide extérieure. A partir du deuxième semestre de 2015, elle fera face à un trou de financement d’un montant de 12,5 milliards d’euros (19,6 milliards d’euros si elle n’obtient pas l’aide du FMI). Par ailleurs, les banques grecques, encore fragiles[1], restent très dépendantes de l’accès au programme Emergency Liquidity Assistance (ELA) de la BCE qui leur permet d’obtenir des liquidités d’urgence auprès de la Banque de Grèce. Si la Grèce refuse les réformes, un bras de fer risque de s’engager avec la troïka. La BCE a déjà menacé le pays de lui couper l’accès à la liquidité. En outre, la troïka reste le principal créancier de la Grèce, qui dispose néanmoins d’un nouvel atout : dans la mesure où elle n’emprunte plus que pour rembourser sa dette, et non pour financer son déficit budgétaire, elle pourrait menacer ses créanciers d’un défaut de paiement unilatéral, même si c’est un jeu dangereux qui la priverait de l’accès au financement de marché pendant de longues années.

C’est justement cette question de la restructuration de la dette grecque et d’un défaut partiel, mise en avant par Syriza, qui apparaît comme l’un des principaux enjeux postélectoraux. Aléxis Tsípras souhaite l’effacement d’une partie de la dette publique, un moratoire sur le paiement des intérêts et des remboursements conditionnés aux performances économiques du pays. D’après les prévisions de la Commission et du FMI, le ratio d’endettement public en Grèce devrait passer de 175 % en 2013 à 128 % du PIB en 2020. Cependant, les hypothèses sous-jacentes à ce scénario manquent de réalisme : croissance nominale supérieure à 3 % en 2015, excédent primaire de 4,5 % du PIB entre 2016 et 2019, … Etant donné l’ampleur de la dette publique grecque en 2013 et son profil d’amortissement (avec des remboursements atteignant 13 milliards d’euros en 2019 et jusqu’à 18 milliards d’euros en 2039[2]), une nouvelle restructuration semble inéluctable.

Une dette publique essentiellement détenue par les pays membres de la zone euro

Depuis le déclenchement de la crise grecque à l’automne 2009, la composition de la dette publique grecque a bien changé. Alors qu’en 2010, la dette publique était détenue par les investisseurs financiers, le bilan est bien différent début 2015[3]. Après deux plans d’aide (en 2010 et 2012) et une restructuration de la dette publique détenue par le secteur privé en mars 2012 (plan Private Sector Involvement), 75 % de la dette publique est aujourd’hui constituée par des prêts (tableau 1). A eux seuls, le FMI, la BCE, les banques centrales nationales et les pays de la zone euro détiennent 80 % de la dette publique grecque.

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A contrario, depuis le plan de restructuration de mars 2012, les banques européennes ont fortement réduit leur exposition à la dette publique grecque (tableau 2). En outre, leurs niveaux de capitalisation ont augmenté depuis 2010, notamment avec la mise en place progressive de la réforme Bâle 3. Les banques ont donc une marge d’absorption en cas de défaut partiel de la Grèce.

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Etant donné que plus de la moitié de la dette publique grecque est détenue par les pays membres de la zone euro, sa renégociation ne peut se faire qu’en concertation avec ces derniers.

Quelles solutions pour restructurer la dette ?

Les pays européens ont déjà fait plusieurs concessions pour aider la Grèce à assurer le service de sa dette :

– la maturité des prêts a été augmentée et le taux d’intérêt des prêts accordés par le FESF a été réduit. Pour le premier programme d’aide (prêts bilatéraux), la maturité initiale était 2026 (avec un moratoire jusqu’en 2019) et le taux d’intérêt était indexé sur l’Euribor 3 mois majoré d’une prime de risque de 300 points de base. En 2012, cette prime de risque a été ramenée à 50 points de base et la maturité a été étendue de 15 ans, jusqu’en 2041 ;

– les profits réalisés par la BCE et les banques centrales nationales sur les obligations qu’elles détiennent ont été restituées à la Grèce ;

– le paiement des intérêts sur les prêts du FESF ont été différés de 10 ans.

Des solutions comparables aux solutions passées peuvent être mises en œuvre. La dette pourrait être rééchelonnée. En effet, le taux pratiqué sur les prêts du premier plan d’aide (taux Euribor 3 mois + 50 points de base) étant globalement supérieur au coût de financement des pays européens, il pourrait être abaissé. Et la durée des prêts du premier et du second plan d’aide pourrait être encore allongée de 10 ans, jusqu’en 2051. D’après le think tank Bruegel, ces deux mesures combinées permettraient de réduire le montant des remboursements de la Grèce de 31,7 milliards d’euros.

Cependant, ces mesures paraissent limitées pour résoudre la question de l’endettement grec : elles ne font que repousser le problème. D’autres mesures sont nécessaires pour soulager la Grèce du poids de son endettement public. Les pays de la zone euro étant les principaux exposés à la dette grecque, ils ont intérêt à trouver un compromis, car en cas de défaut unilatéral, c’est le contribuable de chaque pays européen qui sera mis à contribution.

Du côté du FMI, il ne faut pas attendre d’effacement de dette. L’institution est en effet créancier prioritaire en cas de défaut d’un pays, et prêteur en dernier ressort ; depuis sa création, elle n’a jamais effacé de dette. Par conséquent, c’est avec les membres de la zone euro, principaux créanciers de la Grèce, qu’un défaut partiel devrait être négocié. D’un côté, la Grèce peut brandir la menace d’un défaut unilatéral non concerté, engendrant des pertes pour ses créanciers. De l’autre, elle n’a pas intérêt à s’aliéner les membres de la zone euro et la BCE, qui ont été ses principaux soutiens depuis qu’elle est en crise. Un défaut brutal la priverait de l’accès au financement de marché pendant de longues années ; même si la Grèce a retrouvé un excédent primaire, la situation est instable et elle a encore besoin d’un financement externe, ne serait-ce que pour honorer les remboursements du FMI. Une solution serait que les pays de la zone euro acceptent une décote sur la valeur nominale des titres de dette publique qu’ils détiennent, comme ce fut le cas pour les investisseurs privés en mars 2012.

Pour conclure, la Grèce est confrontée à plusieurs défis. Dans le court terme, l’urgence est d’arriver à trouver des sources de financement pour traverser l’année 2015. Pour cela, elle devra composer avec la troïka, et notamment la BCE, dont l’action est cruciale. Cette dernière a prévenu la Grèce qu’en cas d’échec des négociations, elle pourrait lui couper l’accès à la liquidité. Par ailleurs, le 22 janvier 2015, la BCE doit prendre la décision très attendue de mettre en œuvre un assouplissement quantitatif ; l’enjeu est de savoir si la BCE acceptera le rachat de bons du Trésor grecs. A plus long terme, la question de la restructuration de la dette se posera inévitablement, quel que soit le vainqueur des urnes. La restructuration devrait cependant être plus facile avec les créanciers publics qu’avec les banques privées, si tant est que la Grèce donne, de son côté, des gages de confiance à ses partenaires européens.

 


[1] Voir les résultats des tests de résistance publiés par la BCE le 26 octobre 2014

[2]Voir Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n°75, septembre 2014, tableau 6.

[3] Pour une comparaison avec la situation en juin 2012, voir Céline Antonin, « Retour à la drachme : un drame insurmontable ? », Note de l’OFCE n°20, juin 2012.




Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur

Par Céline Antonin

Alors que Matteo Renzi avait bénéficié d’un relatif « état de grâce » depuis son élection en février 2014, le vote de la réforme contestée sur le marché du travail (le Jobs Act) par le Sénat, début décembre, a donné lieu à un mouvement de grève générale, une première depuis son arrivée au pouvoir. Est-ce la fin de la lune de miel entre Matteo Renzi et le peuple italien ? Certes, alors que son arrivée au pouvoir avait suscité une vague d’espoir, le premier bilan est décevant. Les réformes passent mal alors même que l’Italie connaît sa troisième année consécutive de récession (-0,2 % de croissance prévue pour 2014) et qu’elle doit affronter les critiques de la Commission européenne sur son incapacité à réduire son déficit structurel. Cette réforme, d’inspiration libérale, vise à introduire un régime de flexi-sécurité. La mesure qui cristallise toutes les passions est la suppression de l’article 18 du Code du travail, permettant la réintégration en cas de licenciement abusif.

Dans la dernière Note de l’OFCE (n° 48, 16 décembre 2014) nous étudions la réforme du marché du travail en cours en Italie, un enjeu de taille en raison de la segmentation du marché du travail, du taux de chômage des jeunes élevé et de l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. Pour légitime qu’elle soit, la réforme du Jobs Act semble trop partielle pour pouvoir produire de véritables effets. A court terme, la priorité de l’Italie doit être mise sur l’investissement. Seule la poursuite d’une politique monétaire expansionniste, la poursuite de l’Union bancaire et une politique d’investissement public ambitieuse pourront permettre au pays de normaliser l’accès au financement bancaire et de retrouver de la croissance. Une fois ces conditions réunies se pose la question d’une réforme structurelle du marché du travail ; cette réforme doit être couplée avec celle du marché des produits pour permettre à l’Italie de restaurer sa productivité et d’améliorer durablement sa croissance potentielle.




Europe bancaire : l’Union fait-elle la force ?

par Céline Antonin et Vincent Touzé

Depuis le 4 novembre 2014, la Banque centrale européenne est devenue le superviseur unique des banques de la zone euro. Il s’agit de la première étape de l’Union bancaire.

La crise économique et financière, qui a débuté en 2007, a révélé des fragilités européennes :

–           Les marchés bancaires nationaux, en apparence compartimentés, se sont révélés fortement interdépendants, en témoigne un niveau élevé de propagation-contamination ;

–           Les réponses nationales de soutien aux banques ont souvent manqué de coordination ;

–           Le soutien des Etats au système bancaire, dans un contexte d’endettement public élevé, a conduit à une forte corrélation entre risque bancaire et risque souverain ;

–           L’absence de mécanismes de transfert budgétaire a fortement limité la solidarité européenne.

En 2012, l’idée de l’Union bancaire est née d’une triple nécessité : briser le lien entre crise bancaire et dette souveraine en permettant une recapitalisation directe des banques en difficulté par le Mécanisme européen de stabilité ; prévenir les paniques bancaires ; éviter la fragmentation des marchés bancaires en zone euro.

L’Union bancaire s’organise autour de trois piliers : un mécanisme de supervision unique (MSU), un mécanisme de résolution unique (MRU) avec un fonds de résolution et une logique de renflouement interne des banques (bail-in), ainsi qu’un système unique de garantie des dépôts avec un fonds de garantie.

L’Union bancaire offre des solutions nouvelles. Toutefois, elle laisse des zones d’ombre et la solidarité européenne née de l’Union bancaire pourrait être insuffisante pour répondre à des chocs majeurs.

La dernière Note de l’OFCE (n° 46 du 18 novembre 2014) retrace le contexte qui a présidé à la mise en place de cette Union bancaire et dresse un bilan des avantages et limites d’une telle avancée de l’Europe bancaire.  Cette note a été réalisée dans le cadre de l’étude spéciale intitulée « Comment lutter contre la fragmentation du système bancaire de la zone euro ? », Revue de l’OFCE, n° 136 (2014).

 




Evolution de la fiscalité en Europe entre 2000 et 2012 : Quelques éléments d’analyse

par Céline Antonin, Félix de Liège et Vincent Touzé

 

L’Europe fiscale se caractérise par une très grande diversité reflétant les choix d’Etats souverains aux destins différenciés. Depuis le traité de Rome, les Etats-membres ont toujours refusé le transfert de compétences nationales en matière fiscale, à l’exception d’une coordination a minima sur la TVA. Le risque est donc grand en Europe que se développent des stratégies fiscales non coopératives, chacun cherchant à améliorer sa performance économique aux dépens des autres. Deux logiques concourent à de telles stratégies agressives : une logique de compétitivité (ou de dévaluation fiscale) visant à réduire la pression fiscale sur les entreprises pour améliorer leur compétitivité-prix d’une part ; une logique d’attractivité fiscale, visant à attirer sur le territoire national les facteurs de production les plus rares d’autre part. Sur un plan macroéconomique, mettre en évidence séparément ces deux logiques est un exercice difficile. Toutefois, une manière de comprendre comment les Etats européens ont amélioré leur position peut consister à observer la façon dont la pression fiscale sur les entreprises a évolué, par rapport à celle portant sur les ménages.

La note de l’OFCE n°44 dresse un portrait de l’évolution des taux de prélèvements obligatoires (TPO) en Europe. Elle s’appuie sur les statistiques Tendances de la fiscalité, publiées conjointement par Eurostat et la direction Fiscalité et union douanière de la Commission européenne. Ces statistiques ont l’avantage d’offrir des données harmonisées sur les taux de prélèvement, avec une ventilation selon l’assiette fiscale (capital, travail, consommation) et selon le type d’agent payeur (ménage, entreprise, entrepreneur individuel). Nous étudions la période 2000-2012 : il est certes toujours difficile de séparer l’évolution tendancielle de la fiscalité des ajustements conjoncturels, en particulier lorsque la contrainte budgétaire est plus serrée. Néanmoins, on peut supposer que la période 2000-2012 est suffisamment longue pour dégager des changements de nature structurelle.

A partir de ces données, nous mettons d’abord en évidence une évolution contrastée de la pression fiscale au sein de l’Union européenne, qui peut se décomposer en quatre phases : deux phases haussières (entre 2004 et 2006 et depuis 2010), et deux phases baissières (avant 2004 et de 2006 à 2010), notamment en lien avec les facteurs conjoncturels. Au-delà de cette tendance commune, nous observons au sein des pays d’Europe des stratégies d’ajustement non-convergentes entre la fiscalité des ménages et celle frappant les entreprises (voir graphique). Nous nous intéressons ensuite aux éventuelles substitutions fiscales entre charges patronales et consommation, et entre charges patronales et charges salariales.

Sur la période 2000-2012, il paraît difficile de parler de concurrence fiscale à un niveau global même si on observe une légère baisse du TPO moyen au sein de l’Union européenne et des évolutions très singulières dans ce sens pour certains pays. S’il est sûr que des pays ont réduit le poids de la fiscalité sur les entreprises (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne, Irlande, Suède, etc.), d’autres l’ont sans conteste alourdi (Autriche Belgique, France, Italie, etc.). Toutefois, à long terme, il paraît peu vraisemblable qu’une telle diversité fiscale soit tenable. A l’heure où l’intégration européenne se renforce, une plus grande harmonisation fiscale semble plus que jamais nécessaire.

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Zone euro : Reprise ou déflation ?

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro

La zone euro va-t-elle s’engager sur la voie de la reprise ou s’enfoncera-t-elle dans une spirale déflationniste ? Les derniers indicateurs macroéconomiques émettent des signaux contradictoires à ce sujet. Le retour de la croissance se confirme avec trois trimestres consécutifs de progression du PIB. Cependant, le niveau du chômage dans la zone euro se maintient à un niveau historiquement élevé (11,9 % pour le mois de février 2014), ce qui alimente des pressions déflationnistes, confirmées par les derniers chiffres d’inflation (0,5 % en glissement annuel pour le mois de mars 2014). Si ce recul de l’inflation tient en partie à l’évolution des prix de l’énergie, il reste que l’inflation sous-jacente a glissé sous le seuil de 1 % (graphique 1). Dans ces conditions, un retournement des anticipations d’inflation ne peut être exclu, ce qui ne manquerait pas de pousser la zone euro en déflation. La BCE s’inquiète de cette situation depuis plusieurs semaines et se dit prête à agir (voir ici). Cependant, aucune piste concrète quant à la façon d’assouplir la politique monétaire et d’éviter l’ancrage des anticipations sur une trajectoire déflationniste n’a été définie.

Après un recul du PIB de 0,4 % en 2013, la croissance redeviendra positive dans la zone euro : 1,3 % en 2014 puis 1,6 % 2015. Pour autant, à ce rythme de croissance, la plupart des pays de la zone euro garderont un écart de production ouvert, reflétant l’idée que la zone euro se trouve sur une trajectoire de sortie de crise ralentie. En effet, bien que les efforts de réduction des déficits vont s’atténuer, les politiques budgétaires seront encore pro-cycliques. En outre, les conditions de financement vont continuer à s’améliorer. La fin de la crise des dettes souveraines, notamment grâce aux annonces de la BCE de juillet et de septembre 2012[1], a permis de réduire les primes de risques sur le marché des obligations d’Etat. L’impact de cette réduction des taux longs de marché s’est en partie répercuté sur les taux d’intérêt bancaires et les conditions d’offre de crédits sont globalement moins restrictives qu’elles ne l’étaient entre le début de l’année 2012 et la mi-2013. Mais il reste que cette croissance sera insuffisante pour enclencher une véritable dynamique de reprise débouchant sur une réduction rapide et significative du chômage. Il ne baisserait en effet que très modérément passant de 11,9 % au premier trimestre 2014 à 11,3 % en fin d’année 2015. Alors que l’Allemagne serait dans une situation de quasi plein-emploi,  le chômage de masse en Espagne et dans les autres pays du sud de l’Europe perdurerait (graphique 2). Le chômage se stabiliserait en Italie et continuerait d’augmenter en France.

Or, cette situation de sous-emploi est la source du risque déflationniste. Elle pèse sur la dynamique des salaires et contribue à la faiblesse de l’inflation sous-jacente. Celle-ci est en effet nulle en Espagne en mars 2013 et négative en Grèce et au Portugal. Pour l’ensemble de la zone euro, nous n’anticipons pas à court terme de déflation, mais la faiblesse de la croissance accroît la probabilité que les anticipations des agents privés ne s’ancrent sur un tel scénario.

La situation de la zone euro rappelle celle du Japon au cours des années 2000. Le pays est entré en déflation en 1999[2] après la récession liée à la crise asiatique. Ensuite, malgré une croissance moyenne de 1,4 % entre 2000 et 2006, les prix ne sont pas repartis à la hausse et la Banque centrale n’a pas trouvé les moyens de sortir de ce piège malgré des politiques monétaires expansionnistes. C’est précisément cette dynamique qui menace la zone euro aujourd’hui et tous les moyens qui permettront de l’éviter (politique monétaire, politique budgétaire et coordination des politiques salariales[3]) doivent être mobilisés.

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[1] En juillet, le Président de la BCE, Mario Draghi, déclarait en effet que la BCE sauverait l’euro « quoi qu’il en coûte ». En septembre, la BCE annonçait la création d’une nouvelle opération (l’OMT, voir le post de Jérôme Creel et de Xavier Timbeau) lui donnant la possibilité d’acheter sans limite des titres de dette souveraine.

[2] Il faut mentionner un premier passage en déflation en 1995 après trois années de croissance atone.

[3] Tous ces éléments sont détaillés dans le précédent rapport iAGS (2014).




Réglementation des activités financières des banques européennes : un quatrième pilier pour l’Union bancaire

par Céline Antonin, Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

Sous l’impulsion du Commissaire européen Michel Barnier, la Commission européenne a proposé le 29 janvier 2014 un nouveau règlement visant à limiter et encadrer la pratique d’activités de marché pour les banques de taille systémique, c’est-à-dire les fameuses “too big to fail“.

Réglementer les activités pour compte propre : un besoin né de la crise

En raison de la responsabilité particulière des banques dans la crise économique et financière de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour exiger une réglementation plus stricte des activités financières des banques. Cette exigence a donné naissance à deux approches, l’interdiction ou la séparation.

Aux Etats-Unis, la “Volker rule“, adoptée fin 2013, interdit aux banques toutes les activités de marché pour compte propre ainsi que les prises de participation supérieures à 3% dans les hedge funds. Cependant, les banques peuvent maintenir leurs activités de tenue de marché et  de couverture. Bien évidemment, cette règle n’interdit pas aux banques d’investir leurs fonds propres dans des actifs financiers (actions, obligations publiques et privées). L’objectif de la règle est d’éviter que la banque ne spécule contre ses clients et de limiter au maximum l’utilisation des effets de levier qui ont coûté très cher au système financier (la banque utilisant l’argent de ses clients pour spéculer pour son compte propre).

L’approche européenne est basée sur le Rapport Vickers (2011) pour le Royaume-Uni et le Rapport Liikanen (2012) pour l’Union européenne. Ces rapports préconisent une certaine séparation entre l’activité bancaire classique pour compte de tiers (gestion de l’épargne, offre de crédits, opérations simples de couverture) et les activités de marché pour compte propre ou comportant des risques importants, mais les activités peuvent être maintenues dans un holding commun. Le Rapport Vickers propose d’isoler les activités de banque classique dans une structure séparée. Au contraire, selon le Rapport Liikanen, ce sont  les activités pour compte propre et les activités financières importantes qui doivent être isolées dans une entité juridique distincte.

L’idée de séparer les activités bancaires n’est pas nouvelle. Par le passé, de nombreux pays ont eu recours à des lois de séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires (Glass Steagall Act en 1933 aux États-Unis, loi bancaire de 1945 en France) avant de les supprimer dans les années 1980, convaincus de la supériorité du modèle de « banque universelle », qui permet à une même banque d’offrir toute la gamme des services financiers aux particuliers (crédits, dépôts, placements financiers simples ou complexes) et surtout aux entreprises (crédits, couvertures, émissions de titres, tenues du marché des titres). La crise a montré deux défauts du modèle : les pertes réalisées par le banquier sur ses activités en compte propre ou sur ses activités du marché lui font perdre des fonds propres, remettent en cause ses activités de crédit et obligent les Etats à venir à son secours pour éviter un asséchement du crédit bancaire. La banque universelle, assurée d’être secourue par l’Etat, assise sur une masse de dépôts, manque de vigilance sur ses activités pour compte propre (comme l’ont montré les affaires Kerviel, Picano-Nacci, Dexia).

Un projet de règlement européen ambitieux

Ce projet de réforme bancaire intervient dans une situation déjà compliquée pour plusieurs raisons :

1)      La réglementation Bâle 3, en cours d’adoption, impose déjà des règles très strictes sur la qualité des contreparties des fonds propres. Les activités spéculatives doivent être couvertes par des fonds propres importants.

2)      L’Union bancaire, en cours d’élaboration, prévoit qu’en cas de crise, les créanciers et les titulaires de dépôts importants pourraient être mis à contribution pour sauver la banque (principe de bail in) en cas de faillite, de sorte que les contribuables ne seraient pas mis à contribution (fin du bail out). Mais des doutes existent sur la crédibilité de ce mécanisme qui risque d’entraîner un effet domino en cas de faillite d’une banque systémique.

3)      Certains pays européens ont devancé la réforme en adoptant dès 2013 soit une loi de séparation (en France et en Allemagne), soit une loi d’interdiction (Belgique). Au Royaume-Uni, une loi de séparation inspirée du Rapport Vickers (2011) devrait être adoptée au Parlement début 2014.

Le projet de règlement présenté le 29 janvier dernier est plus exigeant que le Rapport Liikanen. Comme la « Volker rule » américaine, il interdit la spéculation pour compte propre via l’achat d’instruments financiers et de matières premières, ainsi que l’investissement dans les hedge funds (ce qui permet d’empêcher les banques de contourner la régulation en prêtant aux hedge funds tout en détenant des parts importantes de ces hedge funds, profitant ainsi de leur effet de levier).

Par ailleurs, en sus de cette interdiction, le législateur européen se donne la possibilité d’imposer une séparation dans une filiale autonome pour les opérations qui seraient jugées trop risquées, c’est-à-dire qui entraîneraient des prises de position trop importantes. Le but est de remédier à la porosité de la frontière entre trading pour compte propre et compte de tiers, les banquiers pouvant prendre des risques pour eux-mêmes en ne couvrant pas les positions demandées par leurs clients. Avec ce nouveau règlement, le législateur espère alors qu’en cas de crise bancaire, le soutien public apporté aux banques ne se fera qu’au profit des déposants, et non des banquiers, et par conséquent avec un coût global plus réduit.

Par rapport à la règlementation française, ce projet de règlement est plus contraignant que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013. En effet, la loi française prévoit seulement le cantonnement juridique de certaines activités en compte propre et des activités à fort effet de levier dans une filiale financée de manière autonome ; l’interdiction stricte ne concerne que les activités de trading haute fréquence et la spéculation sur les dérivés de matières premières agricoles. La loi française permet de nombreuses exceptions : fourniture de services aux clients, activité de tenue de marché, gestion de trésorerie, opérations d’investissement ou de couverture par l’établissement de ses propres risques. Dans le projet de règlement, en revanche, l’interdiction est plus large puisqu’elle concerne tout le trading en compte propre. De plus, le projet de règlement interdit l’investissement dans les hedge funds, alors que la loi française l’autorise à condition que ces activités soient cantonnées.

Le projet de règlement ne concerne toutefois que les banques de taille systémique, soit une trentaine sur les 8 000 que compte l’Union européenne, représentant 65 % des actifs bancaires européens. Il ne sera pas discuté avant l’élection du nouveau Parlement et la mise en place d’une nouvelle Commission.

Une réforme qui ne fait pas consensus

La réforme proposée par Michel Barnier a déjà suscité de fortes critiques de certains pays membres et des milieux bancaires. Certaines expriment le reproche d’intervenir dans un domaine où il n’est pas compétent, ce qui montre bien la complexité actuelle de la législation du système bancaire européen.

La France, l’Allemagne, la Belgique peuvent lui dire : « De quoi vous mêlez-vous ? Nous avons déjà fait notre réforme bancaire ». Mais la logique de l’Union bancaire est que les mêmes lois s’appliquent partout. Ces pays ont choisi de faire une réforme bancaire a minima pour préempter le contenu de la loi européenne. Ce n’est guère un comportement acceptable au niveau européen. Reste cependant le cas du Royaume-Uni (auquel le projet Barnier ouvre une porte de sortie : le règlement ne s’appliquerait pas aux pays dont la législation serait plus contraignante).

L’Union bancaire prévoit que c’est la BCE qui supervise les grandes banques européennes et que c’est l’Agence Bancaire Européenne qui fixe les réglementations et les règles de la supervision. On peut donc reprocher à la Commission d’intervenir dans un domaine qui n’est plus le sien. En sens inverse, la crise a bien montré que les affaires bancaires ne concernaient pas que les banques. Il est légitime que les instances politiques (Commission, Conseil, Parlement) interviennent en la matière.

Le projet rencontre deux reproches contradictoires. L’un est de ne pas organiser une véritable séparation des banques de détail et des banques de marché. Dans cette optique, les banques de détail se seraient vues confier des missions précises (collecte et gestion des dépôts, gestion de l’épargne liquide et de l’épargne sans risque, crédits aux collectivités locales, aux ménages et aux entreprises) ; elles n’auraient pas eu le droit de se livrer à des activités spéculatives ou à des activités de marché et de prêter aux spéculateurs (fonds spéculatifs, montage d’opération LBO). Ces banques auraient totalement bénéficié de la garantie publique. En revanche, des banques de marché ou des banques d’affaires se seraient livrées sans garantie publique aux interventions sur les marchés et aux opérations de haut-de-bilan. Comme ces opérations sont risquées, l’absence de garantie publique les aurait conduites à devoir immobiliser beaucoup de fonds propres, à supporter un coût élevé pour attirer des capitaux. Ceci aurait réduit la rentabilité et donc le développement des activités de couverture comme des activités spéculatives. Une entreprise qui aurait eu besoin d’une opération de couverture aurait dû la faire effectuer par une banque de marché et non par sa banque ordinaire, donc à un coût plus élevé. En sens inverse, ceci aurait réduit le risque que les banques entraînent leurs clients (banques ou entreprises) dans des placements ou des opérations risquées. Cette réforme aurait fortement accru la transparence des activités financières, au prix d’une réduction de l’importance des banques et des marchés financiers. Michel Barnier n’a pas osé aller jusqu’au bout de la logique de séparation. Il reste dans la logique des banques universelles qui utilisent leur taille massive en tant que banques de dépôt pour fournir des services d’intermédiaires financiers à leurs clients (émission de titres, couverture de risques, placement sur les marchés, …), pour intervenir sur les marchés (tenue des marchés de changes, de titres publics ou privés), pour garantir des activités spéculatives.

A contrario, la réforme se heurte à une vive opposition des milieux bancaires qui auraient préféré le statu quo. Ainsi, Christian Noyer, membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, a-t-il jugé ces propositions « irresponsables », comme si la BCE avait fait preuve de responsabilité avant 2007 en ne mettant pas en garde contre le développement incontrôlé des activités financières des banques.

La Fédération bancaire européenne (FBE) comme la Fédération bancaire française (FBF) demandent à ce que le modèle de banque universelle soit préservé. Les banques critiquent l’obligation de filialiser les opérations de tenue de marché (y compris pour les dettes des entreprises). Selon la FBF, ce règlement « conduirait à un renchérissement considérable de cette opération », ce « qui aurait un impact négatif sur le coût de financement des dettes des entreprises et des services de couvertures de leurs risques ». Toutefois, cette obligation pourrait être levée si les banques prouvent que leurs interventions sur les marchés ne leur font prendre aucun risque. Ainsi, les banques pourraient continuer à jouer un rôle de teneur de marché à condition de se fixer des limites strictes quant à leurs positions propres ; elles pourraient fournir des opérations de couverture simples, en se couvrant elles-mêmes.

Un quatrième pilier pour l’Union bancaire ?

Certes, les banques européennes ont raison de faire remarquer que cette réforme s’ajoute à la mise en place du MSU (Mécanisme de surveillance unique), du MRU (Mécanisme de résolution unique), de l’opération d’évaluation des banques par la BCE (lancée en novembre 2013). L’ensemble manque de cohésion ; un calendrier raisonné aurait dû être mis en place.

Cependant, la séparation préconisée par le projet Barnier crédibilise l’Union bancaire et ses trois piliers (MSU, MRU et garantie des dépôts). Ainsi, ce projet contribue-t-il à la convergence réglementaire bancaire, tant d’un point de vue fonctionnel que prudentiel. La mise en place d’un cadre homogène simplifie le contrôle du superviseur européen dans le cadre du MSU (la BCE devra contrôler les activités normales des banques et veiller à ce que les activités spéculatives ne les perturbent pas). La séparation préconisée par le projet Barnier crédibilise le MRU ; il n’y aura plus de banque trop grosse pour être mise en faillite, les pertes des banques de marché ne se répercuteront pas sur les activités de crédit des banques de dépôt et ne seront pas prises en charge par le contribuable. En réduisant les risques de faillite des banques de dépôt, il diminue le risque de mise en œuvre d’un plan de sauvetage coûteux pour les épargnants (bail-in) comme celui de l’activation de la garantie des dépôts. En ce sens, ce projet de règlement apparaît comme le quatrième pilier de l’Union bancaire.

Pour en savoir plus :

Antonin C. et V .Touzé V. (2013), Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ?, Blog de l’OFCE, 22 février 2013.

Avaro M. et H. Sterdyniak H. (2012), L’union bancaire : une solution à la crise de l’euro ?, Blog de l’OFCE, 12 septembre 2012.

Gaffard J.-L. et J.-P. Pollin (2013), La séparation des activités bancaires est-elle inutile?, Blog de l’OFCE, 19 novembre 2013.