La situation sur le marché du travail en France*

Par Eric Heyer

 

L’économie française fait face à de nombreux déséquilibres dont les deux principaux sont :

– le déficit public qui devrait s’établir fin 2012 à près de 4,5 points de PIB, soit près de 100 milliards d’euros ;

– le déficit d’emplois qui induit un chômage de masse.

Si le premier fait l’objet de toutes les attentions, s’il fut et reste la préoccupation principale pour ne pas dire unique de tous les sommets européens depuis 3 ans et s’inscrit au cœur de la stratégie européenne de sortie de crise, force est malheureusement de reconnaître qu’il n’en est pas de même pour le second. Or, on est en droit de se demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les déficits publics coûte que coûte au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Car depuis le début de la crise qui a débuté en début d’année 2008, l’économie française a détruit plus de 300 000 emplois et le nombre de chômeurs a augmenté de 755 000 au sens du Bureau International du Travail, touchant plus de 2 millions 700 mille Français soit 9,6 % de la population active.

Et ce chiffre sous-estime sans aucun doute la réalité : actuellement l’économie française ne crée que des mini jobs à temps partiel et de durée très faible : au cours du dernier trimestre, 4,5 millions de contrats ont été signés : 3 sur 4 sont des contrats de moins de 1 mois (essentiellement de 1 jour à 1 semaine). Ainsi donc, une personne ayant signé ce type de contrat au cours du mois et étant à la recherche d’un emploi à la fin du même mois n’est pas considérée comme chômeur. Leur prise en compte alourdirait le bilan et enfoncerait un peu plus l’économie française dans un chômage de masse.

Par ailleurs, et cela est plus inquiétant, ces chômeurs vieillissent au chômage – le nombre de chômeurs de longue durée continue à exploser – et ce faisant perdent à la fois en termes de compétence mais aussi en termes financier en sortant de l’indemnisation chômage et en tombant dans les minima sociaux ; dans une étude que nous avons effectué à l’OFCE pour l’Observatoire national sur la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons estimé qu’en France, 100 chômeurs supplémentaires au cours de cette crise entraîneraient une augmentation de 45 pauvres en 2012. Ainsi, même une stabilisation du chômage ne serait pas le signe de l’arrêt de la dégradation de la situation des Français, bien au contraire.

Il est donc urgent d’inverser la tendance sur le front de l’emploi et du chômage.

La façon la plus sûre d’y arriver est de remettre l’économie française sur un sentier de croissance dynamique : rappelons qu’une croissance positive mais faible ne suffit pas pour que l’économie française recommence à créer des emplois : compte tenu des gains de productivité, l’activité dans l’hexagone doit progresser de plus de 1% pour  que s’enclenche la spirale des créations d’emplois. Par ailleurs, eu égard à une démographie toujours dynamique et au report de l’âge légal de la retraite, la population active progresse de 150 000 personnes chaque année. Il faut donc créer plus de 150 000 emplois pour que le chômage commence à baisser en France, ce qui correspond à une croissance supérieure à 1,5 %.

Or compte tenu des politiques d’austérité mises en place en France et chez nos partenaires européens, une telle croissance semble inenvisageable en 2012 et en 2013.

Comment alors empêcher le chômage d’exploser à cet horizon ?

La première solution est de changer la stratégie européenne en définissant, entre autres choses, une austérité « plus tempérée ».

La deuxième solution est d’adopter la stratégie allemande au cours de la crise, c’est-à-dire réduire le temps de travail en recourant massivement au travail à temps partiel et aux dispositifs de chômage partiel. Rappelons que 35 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiels contre 17 % en France et qu’au cours de la crise 1,6 million d’Allemands sont passés dans un dispositif de chômage partiels contre 235 000 en France, ce qui leur a permis de continuer à réduire le chômage pendant la crise.

La dernière solution vise à recourir au traitement social du chômage. Le secteur privé continuant à détruire des emplois, le secteur public compenserait une partie de ces destructions avec la création d’emplois aidés.

Le gouvernement semble s’engager dans cette dernière voie : 100 000 emplois d’avenir devraient voir le jour en 2013 et 50 000 en 2014.

A court terme, et compte tenu de la conjoncture, cette stratégie semble être la plus efficace et la moins onéreuse. Cependant, à moyen terme, elle ne pourra pas remplacer une politique de croissance.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture.

 




Quelle politique de l’emploi dans la crise ?

par Marion Cochard

(Point de vue paru sur le site lemonde.fr, ici)

Après une accalmie d’une année seulement, les chiffres du chômage sont repartis à la hausse depuis avril 2011. On voit se remettre en place l’enchaînement récessif de 2008 : gel des embauches, non-reconduction des contrats d’intérim et des CDD, puis licenciements économiques en fin d’année. En cause bien sûr, le retournement conjoncturel en cours, qui intervient alors que les marges des entreprises françaises sont encore dégradées par le choc de 2008-2009, et particulièrement dans l’industrie. Les entreprises fragilisées n’ont plus aujourd’hui la capacité d’amortir cette rechute comme elles l’avaient fait il y a 4 ans. L’économie française devrait retomber en récession dès le quatrième trimestre 2011, et nous prévoyons une chute de l’activité de 0,2% en 2012. Quand on sait qu’une croissance annuelle de 1,1% est nécessaire pour commencer à créer des emplois, la reprise des destructions d’emplois paraît inévitable. Si l’on ajoute à ce sombre constat une population active toujours dynamique, le nombre de chômeurs franchirait la barre des 3 millions d’ici la fin de l’année.

A l’aube d’un sommet social sous tension, quelles sont donc les options qui permettraient d’amortir l’impact de crise sur le marché du travail ? Dans l’urgence de la crise, le gouvernement dispose de deux principaux leviers très réactifs et peu coûteux : le chômage partiel et les emplois aidés dans le secteur non marchand.

Le chômage partiel, d’abord, permet d’amortir les difficultés conjoncturelles rencontrées par les entreprises et de conserver les compétences au sein de l’entreprise. Il existe des marges importantes pour élargir le dispositif. A titre de comparaison, la durée maximale d’indemnisation au titre du chômage partiel a été portée à 24 mois en 2009 en Allemagne, contre 12 mois en France. En outre, la prise en charge de l’Etat, nettement supérieure en Allemagne, explique en partie le large usage qui y en a été fait : le chômage partiel y a touché 1,5 millions de personnes au pire de la crise, contre 266 000 en France. Une telle orientation pèserait par ailleurs très peu sur les finances publiques, car aux 610 millions d’euros déboursés par l’Etats au titre du chômage partiel en 2009, on peut opposer les indemnités chômage économisées, et la préservation du capital humain.

Mais le chômage partiel profite avant tout aux emplois industriels stables. Or, les premières victimes de la crise sont précisément les emplois précaires et les jeunes. C’est à ces catégories de population que s’adressent les emplois aidés. Là aussi, le gouvernement dispose de marges de manœuvre puisque depuis fin 2010, 70 000 contrats aidés non-marchands ont été détruits –et 300 000 depuis le début des années 2000- et que le dispositif n’est pas très coûteux. La création de 200 000 emplois aidés coûterait ainsi 1 milliard d’euros à l’Etat, à comparer au manque à gagner de 4,5 milliards lié à la défiscalisation des heures supplémentaires, en contradiction avec la logique du chômage partiel. Ciblés sur les catégories de chômeurs les plus éloignées de l’emploi – chômeurs de longue durée, peu qualifiés… – ces dispositifs permettraient de réduire le risque d’éloignement du marché du travail.

Pour autant, si ces outils doivent être mobilisés dans l’immédiat, ils n’en demeurent pas moins des dispositifs de court terme. Le chômage partiel reste circonscrit aux secteurs industriels à 80%, et pour des recours de courte durée. Si la situation économique demeure dégradée, on sait que le dispositif ne fait que retarder les licenciements. De même, les emplois aidés n’ont pas vocation à être pérennisés. Ce sont des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel, qui visent la réinsertion sur le marché du travail mais ne doivent pas constituer une perspective durable.

L’enjeu majeur est donc celui du diagnostic de la situation économique actuelle. En concentrant les négociations sur la question du chômage partiel et de l’emploi aidé, le gouvernement semble faire le pari d’une reprise rapide. Pourtant, c’est bien la conjonction des plans de rigueur à l’échelle européenne qui pèsera sur la croissance dans les années à venir. Et cette politique de réduction des déficits publics, qui coûtera 1,4 point de croissance à la France en 2012, devrait perdurer au moins en 2013. Difficile, dans ces conditions, d’espérer sortir assez rapidement de l’enlisement pour éviter la catastrophe sociale qui s’annonce. A moins d’envisager une nouvelle baisse pérenne du temps de travail et des créations d’emplois publics, la meilleure politique de l’emploi reste l’activité. C’est donc avant tout la question de la gouvernance macro-économique qui se pose aujourd’hui, en France comme dans l’ensemble de la zone euro.




Hausse du chômage : ce n’est qu’un début…

par Marion Cochard

BNP Paribas, Areva, Peugeot-Citroën, … alors que le marché du travail porte encore les stigmates de la crise économique et financière de 2008-2009, une série d’annonces de plans sociaux a repris depuis l’automne. Si ces plans ne sont que la partie émergée de l’iceberg, les chiffres du chômage pour le troisième trimestre confirment que la détente observée en 2010 n’aura été qu’une accalmie passagère. Cette estimation fait état d’une hausse de 37 000 chômeurs sur le trimestre ;  ainsi le taux de chômage remonte à 9,3% de la population contre 9,1% au deuxième trimestre.

Ces chiffres s’inscrivent dans la suite logique des indicateurs qui alimentent, depuis la mi-2011, le scénario d’une nouvelle rechute du marché du travail. Depuis avril 2011, on a assisté d’abord à un retournement de l’intérim, dont la forte baisse au troisième trimestre est préoccupante si l’on voit dans l’emploi intérimaire un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi marchand. Par ailleurs, après 4 mois de baisse, le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégories A enregistrés à Pôle emploi a de nouveau bondi de 145 800 personnes entre avril et octobre 2011. Au final, tous les indicateurs vont dans le sens de ce que nous inscrivions dans notre précédente prévision, à savoir une reprise du mouvement de hausse du chômage, au moins jusqu’à la fin 2012 (cf. Tableau). Car à cet horizon au moins, tous les facteurs se conjugueront pour venir alimenter la masse des chômeurs.

En cause en premier lieu, bien sûr, le ralentissement de l’activité économique, qui se traduira nécessairement par de nouvelles destructions d’emplois, dans des entreprises qui demeurent très affaiblies par la récession passée. Si les chiffres du troisième trimestre ont montré une résistance de l’activité (avec une croissance du PIB de 0,4%), les enquêtes actuelles ne prêtent guère à l’optimisme pour les trimestres à venir. Mais au-delà de ce contexte économique morose, la politique économique a joué un rôle majeur dans l’évolution du chômage, comme en atteste l’explosion du chômage des seniors. Car la reprise des destructions d’emplois est d’autant plus douloureuse qu’elle intervient dans un contexte de population active dynamique. Outre la croissance démographique, c’est surtout la suppression des dispositifs de retraits d’activité anticipés des seniors et l’impact de la réforme des retraites entrée en application en juillet 2011 qui sont la cause de la hausse du chômage. Ces réformes impliquent une forte hausse de l’activité des seniors. Elles expliquent en partie la hausse du chômage enregistrée ce trimestre, et viendront encore gonfler la population active de 130 000 personnes en 2011 et 120 000 en 2012. Les seniors en sont les premières victimes : le nombre de demandeurs d’emplois de plus de 50 ans a augmenté de 70 % au cours des 3 dernières années, contre 35 % pour l’ensemble de la population. Après une année de répit, la situation du marché du travail aborde donc une nouvelle phase critique qui se traduira progressivement par une reprise du chômage de longue durée et son lot de conséquences sociales à mesure que les chômeurs perdront leurs droits à indemnisation. Et cet enlisement s’annonce durable dans la mesure où les efforts de consolidation budgétaire s’inscrivent dans le moyen terme et où la hausse de l’activité des seniors perdurera au moins jusqu’en 2017.

Pour faire face à la reprise du chômage, le gouvernement dispose aujourd’hui de deux leviers principaux : l’extension du chômage partiel et la réactivation du traitement social du chômage. L’assouplissement des règles du chômage partiel semble d’ores et déjà sur les rails. Mais cela ne saurait suffire puisque le dispositif concerne le secteur de l’industrie à 90% et profite essentiellement aux emplois stables. Or, ce sont précisément les emplois d’intérimaires et les CDD qui se trouvent aux premières loges de ce retournement conjoncturel. Reste donc la possibilité d’un recours accru aux emplois aidés dans le secteur marchand, pour faire face au risque d’éloignement du marché du travail de certaines catégories de la population. Mais le gouvernement semble pour l’instant écarter cette option. Car si dans la première phase de la crise – entre 2008 et 2010 –, le nombre de contrats aidés dans le secteur non marchand a augmenté d’un peu plus de 80 000, celui de l’année 2011 se situe à ce jour bien en-deçà de l’objectif de stabilité affiché par le gouvernement, et cela devrait perdurer en 2012. Ainsi la politique de l’emploi a plutôt amplifié la hausse du chômage en 2011. En effet, les rallonges budgétaires successives votées dans le courant de l’année 2011 ne devraient pas être maintenues dans un contexte de resserrement de la politique budgétaire, et les destructions de contrats aidés viendraient donc s’ajouter à la baisse de l’emploi marchand. Dans ce contexte, l’expérimentation en 2012 de nouveaux contrats aidés de 7h par semaine – soit 3 fois moins que les contrats actuels – pourrait cependant annoncer la direction qu’est tenté de prendre le gouvernement : des contrats très faiblement rémunérés, dont l’efficacité en matière d’insertion sera probablement extrêmement réduite, mais dont le coût sera divisé par 3. La généralisation de ce type de contrats permettrait donc, à budget constant, de limiter sensiblement la hausse du chômage. Quoi qu’il en soit, l’expérimentation de ce type d’emplois aidés devrait être limitée à 10 000 contrats en 2012 : en l’absence d’annonces du gouvernement, nous tablons à l’heure actuelle sur une baisse du nombre de contrats aidés à cet horizon. Le taux de chômage atteindrait ainsi 10,5 % de la population active fin 2012.