Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015t2

Par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite de la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Il s’agit d’un crédit d’impôt qui permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices une somme égale à 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Dans une étude que nous venons de publier (Document de travail OFCE, n° 2015-29), nous utilisons l’information contenue dans les comptes nationaux trimestriels jusqu’au deuxième trimestre 2015 pour 16 branches de l’économie française afin d’obtenir une première analyse des effets du CICE sur l’économie.

Les premiers résultats indiquent que le CICE contribuerait depuis sa mise en place à deux effets significatifs concernant les salaires et l’emploi. Les branches ayant reçu le plus de CICE ont vu une augmentation relative de leurs salaires et davantage de créations ou de sauvegardes d’emplois. Nous trouvons également un effet relatif négatif sur les prix de valeur ajoutée (effet compétitivité-coût) mais cet effet nous semble plus fragile à ce stade, car il nécessite pour être significatif d’exclure trois branches de l’estimation (secteur non marchand, services à la personne, services immobiliers).

Ainsi, selon les résultats de nos estimations sur les 16 branches, pour un montant de CICE équivalent à 1% de la masse salariale, l’emploi d’une branche relativement aux autres branches augmenterait de 0,5% et les salaires augmenteraient de 0,7%. Enfin, à partir des résultats des estimations réalisées simultanément, nous pouvons quantifier ces effets relatifs interbranches, qui seraient de 1,1% pour les salaires et de 120 000 pour l’emploi (création ou sauvegarde).

Mais attention, ces effets relatifs ne doivent pas être interprétés comme un impact macroéconomique global du CICE. Plus précisément, la méthode d’évaluation ne permet ni de déterminer les effets macroéconomiques à moyen et long terme du CICE, ni de donner une répartition précise de son affectation entre hausse des salaires et de l’emploi, baisse des prix et restauration des marges des entreprises. En effet, cette méthode ne prend pas en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE sur l’économie. Or ceux-ci sont de plusieurs ordres : la baisse des prix de valeur ajoutée dans une branche peut se répercuter sur d’autres branches utilisatrices ; les effets positifs du CICE à attendre sur l’activité peuvent se traduire par un surcroît d’emplois et de salaires non mesuré ici (effet de bouclage macroéconomique) ; à contrario, les effets négatifs du financement du CICE via une hausse des impôts et une moindre progression de la dépense publique peuvent peser sur l’activité, l’emploi, les salaires et les prix (effet de financement de la mesure). Plus généralement, l’ensemble des travaux portant sur des données par branche ou microéconomiques ne sera pas à même d’évaluer les effets macroéconomiques du CICE.

Une prochaine étape consistera à intégrer ces élasticités estimées par branche dans des simulations réalisées à l’aide d’un modèle macro-sectoriel de façon à prendre en compte les effets du bouclage macroéconomique, des interdépendances sectorielles et du financement de la mesure. En utilisant le modèle multisectoriel d’équilibre général dynamique ThreeME développé à l’OFCE, et qui intègre notamment des effets tels que ceux du commerce extérieur ou les relations interbranches, il sera possible de présenter les effets macroéconomiques ex post du CICE sur l’emploi, les salaires et les prix, mais aussi sur l’activité économique, les taux de marge, l’investissement et le commerce extérieur.

 

 




Le citoyen doit être le socle de toute politique industrielle, même libérale

par Sarah Guillou

L’objet d’une politique industrielle est d’influencer les spécialisations productives en faveur de secteurs jugés stratégiques pour le bien-être ou la croissance économique. Cela implique de reconnaître que la spécialisation productive a de l’importance en termes de croissance. Mais quels critères permettent de déterminer l’importance de tel ou tel secteur ? L’argument développé par la suite est qu’il n’existe pas de critères solides sans référence aux préférences collectives présentes et futures des citoyens.

Les fondements théoriques justifiant une politique industrielle et démontrant son efficacité sont peu nombreux. De la défense des industries naissantes (List, 1841) au soutien des industries générant des externalités fondamentales pour la croissance, les arguments théoriques définissent des conditions d’exercice très étroites . Le cadre légal international est également très exigu, notamment pour les pays de l’Union européenne dont les instances se préoccupent prioritairement de créer des conditions égales de concurrence pour toutes les entreprises de l’Union et contrôlent tout versement d’aides publiques.

L’espace réduit de la politique industrielle

Dans cet espace réduit, l’exercice d’une politique industrielle a du mal à trouver des raisons d’exister. Bien qu’un mouvement de « normalisation », cher à Dani Rodrick, semble affecter aujourd’hui les études sur la politique industrielle (voir Aghion et al. 2011), celle-ci ne fait toujours pas partie des politiques « normales », au même titre que la politique monétaire, budgétaire, commerciale par exemple. Il s’agit d’une politique exceptionnelle consécutive à des circonstances exceptionnelles. C’est dans la définition de ce qualificatif d’exceptionnel, de sa nature et de sa temporalité, que la politique industrielle met en jeu sa légitimité. Encore récemment, les circonstances exceptionnelles, autant politiques qu’économiques, ont agi fortement comme motif d’une politique industrielle mais elles cachent en fait des politiques de soutien de l’emploi tout en satisfaisant des objectifs électoraux. L’illustrent les entreprises de sauvetages d’usines, des ateliers de lingerie Lejaby à SeaFrance, et les annonces de règlementation des fermetures d’usines en présence d’un repreneur. Bien que ces interventions apportent le bénéfice de réduire l’asymétrie d’information entre les acteurs en proposant des médiations bien souvent utiles, elles ne relèvent pas de la politique industrielle.

La seule politique industrielle « autorisée », cohérente avec le cadre institutionnel et légal, européen ou américain, est aujourd’hui celle qui respecte les conditions d’intervention de l’Etat dans le fonctionnement économique hérité de la doctrine libérale. On peut souhaiter une redéfinition des règles d’intervention, ce qui en passant, amènerait un peu plus de transparence sur les pratiques des Etats, mais l’ambition de cette note est tout à la fois plus modeste et plus large. Cette note veut montrer que, même dans le cadre minimaliste de la doctrine libérale, la politique industrielle doit se définir à l’appui d’un projet de société qui engage la spécialisation productive de l’économie.

Le principe général de la doctrine libérale est de considérer la concurrence comme le processus le plus efficace d’allocation des richesses. Autrement dit, la concurrence est le meilleur système pour optimiser la création de richesse. En effet, elle est supposée créer l’émulation entre les acteurs qui les incitent à augmenter leur productivité et leurs performances ; permettre l’éviction des activités inefficaces qui gaspillent des ressources alors mal exploitées ; et enfin assurer l’égalité et la liberté des acteurs concernant leur entrée sur les marchés et donc le libre exercice de l’activité économique. La théorie économique libérale n’envisage que des situations très particulières à l’exercice d’une politique industrielle.

Dans ce cadre, l’intervention de l’Etat se justifie (i) pour rétablir les conditions concurrentielles de transparence de l’information ; (ii) pour soutenir l’investissement dans les activités générant des externalités positives comme la R&D ou inversement pour décourager celles générant des externalités négatives comme la pollution ; et (iii) pour soutenir des activités jugées stratégiques. On peut observer qu’il s’agit précisément des trois motifs qui sous-tendent la politique industrielle et de concurrence de l’Union européenne. Il faut surtout remarquer que si les deux dernières justifications appellent bien une politique industrielle, elles requièrent un principe supérieur d’ordre politique qui fait appel aux préférences collectives des générations présentes et futures.

Certes, encourager les externalités qui naissent des dépenses en R&D ne relève pas forcément d’un choix politique. En effet, la logique économique sous-jacente pourrait suffire : les externalités de la R&D correspondent à l’accroissement de productivité pour l’ensemble de la société induite par la diffusion de la connaissance. L’accroissement de la productivité assure un surcroît de croissance qui augmente la création d’emplois et de richesses. C’est bien cet enchaînement économique qui est mis en avant par les instances européennes, parmi elles, la Commission européenne (voir Nuggs-Hansen et Wigger, 2010 ; C.E., 2011), comme il fonde la politique américaine de subvention à la R&D (Ketels, 2007). La décision politique de soutien de la R&D et plus généralement de l’investissement dans le capital humain peut reposer simplement sur la logique économique.

Toute politique qui vise à orienter la spécialisation engage l’avenir de la société

Toutefois cet enchaînement est insuffisant : une fois que l’on a admis un nécessaire soutien à l’investissement dans la R&D, il faut décider de l’orientation des ressources publiques, rares et dont le coût d’opportunité s’élève avec l’accroissement des dettes, vers les investissements jugés les plus opportuns. La définition de la politique industrielle doit se fonder sur un ensemble d’orientations politiques (puis légales) suffisamment précises pour engager les entreprises dans des investissements technologiques dont les rendements sont par nature incertains. Par exemple, les entreprises ne s’orientent pas naturellement vers les technologies propres. Il faut créer les incitations qui les conduiront à s’inscrire dans des trajectoires de développement durable comme le montrent les résultats d’Acemoglu et al. (2011).

En règle générale, toute politique qui vise à orienter la spécialisation engage l’avenir de la société : orienter les processus de production vers le développement durable et le respect de l’environnement est une décision qui assurera la pérennité des ressources, la qualité de vie et l’innovation technologique. Orienter les capitaux vers des technologies stratégiques, comme les biotechnologies, l’espace ou les nanotechnologies, est une nécessité face à la lourdeur des investissements – coûts fixes – qui sont associés à leur développement, dès lors que l’on considère que la maîtrise de ces technologies est indispensable au futur bien-être de la société. Enfin, investir dans le capital humain, préalable à tout politique de soutien de la R&D, est le moyen d’augmenter le niveau et la qualité de vie des individus, de densifier les aptitudes à s’adapter au changement technique, mais aussi d’assurer la solidité et la pérennité de la démocratie (Glaeser et al., 2007).

Certes, l’attachement à une politique de soutien à l’investissement dans la recherche et l’éducation est largement partagé par les dirigeants politiques et repose globalement sur une vision progressiste de la société, une certaine vision du bien-être social en somme. Et de fait, il existe bien un ensemble de mesures répondant à des objectifs de politique de soutien à la R&D : du crédit impôt-recherche aux pôles de compétitivité ; la France est à ce titre souvent considérée comme motrice en termes de mesures de politique industrielle. Mais la finalité invoquée de ces mesures est celle de la compétitivité des entreprises, pas celle de la croissance économique en termes qualitatifs.

Or, la sélection des technologies prometteuses et l’investissement dans les spécialisations du futur appellent une préséance du politique qui doit se prononcer sur l’avenir technologique de la société, qu’il s’agisse de sa protection, de sa sécurité, de sa santé ou de son environnement. Au final, une politique industrielle, même libérale, présuppose des choix politiques qui satisfont une vision sociétale. C’est au nom de cette vision sociétale que les dépenses associées à la politique industrielle peuvent se justifier. Les motifs liés aux mécanismes économiques définissent les contraintes. Les choix politiques doivent définir l’ambition. La révélation des préférences collectives lors des processus électoraux à venir exige que soit exprimé le plus clairement possible le projet technologique du politique.

Références :
Acemoglu, D. et Aghion, P., Bursztyn, L. et Hemous, D. (2011), “The environnement and directed technical change”, MIT WP, June 28, 60 pages.
Aghion, P., M. Dewatripont, L. Du, A. Harrison & P. Legros (2011), “Industrial Policy and Competition”, CEPR Discussion Paper Series No.8691, June 28.
Buch-Hansen, H. et Wigger, A. (2010), “Revisiting 50 years of market-making: The Neoliberal transformation of European competition policy”, Review of International Political Economy 17(1), 20-44.
Commission Européenne (2011), Industrial policy : Reinforcing competitiveness, COM (2011) (642).
Glaeser, E.L., Ponzetto, G. et Shleifer, A. (2007), “Why does democracy need education?”, Journal of Economic Growth 12(2),77.
List, F. (1841) National System of Political Economy, New York & London: Garland Publishing, Inc., 1974, pp. 70-82.
Rodrik, D. (2008) Normalizing Industrial Policy, Commission on Growth and Development Working Paper No.3
Ketels, C.H.M. (2007), “Industrial policy in the United States”, Journal of Industry Competition and Trade 7,147-167.
Pack, H. and K. Saggi, 2006. “Is There a Case for Industrial Policy? A Critical Survey” The World Bank Research Observer, 21:267–297 www-wds.worldbank.org/…/436150PUB00BOX0327375B01PUBLI




“Acheter français” : du slogan à la réalité

par Jean-Luc Gaffard, Sarah Guillou, Lionel Nesta

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

La campagne électorale donne du poids aux propositions simplistes. Il en est ainsi du slogan  « acheter français » qui fait écho à la nécessité de réindustrialiser la France. Quoi de plus simple, en effet, pour y parvenir que de convaincre les résidents d’acheter les produits de leur propre pays en proposant de mettre à leur disposition un label reconnu. C’est, en outre, davantage politiquement correct que de prôner d’entrée de jeu le retour au protectionnisme. L’emploi est censé y gagner en même temps que la balance du commerce extérieur. A y regarder de plus près, non seulement il est difficile d’identifier l’origine géographique des productions, mais même si cela était possible, la préférence dont elles seraient l’objet pourrait bien se conclure en pertes d’emplois.  La solution ainsi préconisée pour répondre à l’exigence de ré-industrialisation ne fait que marquer le refus d’envisager le fond du problème.

Peut-on vraiment définir ce que signifie « acheter français » ? Est-ce acheter les produits d’entreprises françaises ? Ou bien n’est-ce pas plutôt acheter des produits fabriqués en France par une entreprise étrangère au lieu d’acheter des produits fabriqués à l’étranger par des entreprises françaises. A cette seule observation, on voit bien qu’il n’est pas si facile de détecter le  « made in France ». La vraie difficulté tient au fait que les biens finals fabriqués sur le territoire national incorporent le plus souvent des biens intermédiaires fabriqués à l’étranger. Il peut même arriver que les composants d’un produit final soient fabriqués par un concurrent d’un autre pays. L’exemple de l’iphone est emblématique de cette fragmentation. Faut-il alors s’interdire d’acheter des biens intermédiaires dans des pays à bas salaires alors qu’ils permettent de produire des biens finals à meilleur coût et de mieux les exporter en devenant plus compétitifs en termes de prix ? Ceux qui en arriveraient à le penser ne devraient plus donner l’industrie allemande en exemple quand on sait le poids croissant des biens intermédiaires importés dans la fabrication des biens finals qu’elle exporte (OCDE, Measuring Globalisation: OECD Economic Globalisation Indicators 2010 p. 212).

Imaginons, cependant, des consommateurs nationaux capables de détecter les produits à fort contenu en emplois et prêts à se sacrifier dans un élan de patriotisme économique. Les sondages ne nous disent-ils pas que plus des deux tiers des ménages seraient prêts à débourser plus pour acheter des produits français ? Outre que l’on peut douter du passage à l’acte, il serait hasardeux d’ignorer le coût d’opportunité d’un tel choix. Acheter plus cher des produits parce qu’ils sont français réduit le pouvoir d’achat. D’autres biens et services ne seront pas achetés ou le seront à moindre prix à l’étranger. Le bilan pour l’emploi est pour le moins incertain.

Ce même effort de patriotisme économique, s’il devait se concrétiser, constituerait une forme d’attachement de la clientèle à certains types de produits, en l’occurrence désignés par leur lieu de fabrication, qui aurait pour effet de réduire l’intensité de la concurrence. Il pourrait conduire les entreprises concernées à s’exonérer des efforts nécessaires pour améliorer leur compétitivité-prix ou hors-prix. Pourquoi, en effet, devraient-elles investir dans des projets d’investissements coûteux et risqués, alors qu’elles auraient une clientèle assurée ? Il y a fort à parier qu’elles ne le feront pas ou peu. L’économie nationale pourrait alors se trouver enfermée dans une trappe à faible niveau technologique et donc à faible croissance aux conséquences évidemment dommageables pour l’emploi à moyen et long terme. Elle se serait privée des moyens d’innover et d’accroître la compétitivité de ses produits.

Enfin, il est vraisemblable que la volonté d’acheter français bénéficierait à des produits qui viendraient se substituer à des produits fabriqués ailleurs en Europe plutôt qu’à des produits fabriqués dans les pays émergents, soit parce que ces derniers ne sont plus fabriqués en France, soit parce que les différences de prix à l’ avantage de ces derniers restent rédhibitoires. Au final, les délocalisations vers les pays à bas salaires et les pertes d’emplois correspondantes ne seraient pas évitées. De plus, le caractère non coopératif du point de vue européen de cette mesure pourrait entraîner un comportement réciproque des partenaires européens dommageable aux exportations et à l’emploi.

Le slogan « acheter français » masque le refus de voir dans la récession un phénomène global qui appelle une réponse globale à l’échelle européenne, mais aussi le refus d’envisager une politique industrielle volontariste impliquant d’être au fait des réalités de l’offre comme de celles de la demande.

Il n’est pas question ici de se voiler la face. La France subit une désindustrialisation qui menace sa capacité de croissance. Mais qui peut nier que le phénomène s’est accéléré avec la crise et que cette accélération va s’amplifier quand l’austérité budgétaire généralisée et les restrictions de crédit bancaire affaibliront un peu plus la demande intérieure et plus largement européenne pour les biens de consommation durables ? Il y a clairement urgence à soutenir cette demande sauf à accepter que tout un pan de l’industrie en France comme ailleurs en Europe soit détruit sans espoir de retour, avec à la clé des disparités encore accrues entre pays et une exacerbation des conflits d’intérêts.

Est-ce à dire que l’on tiendrait là la solution ? Certes non ; il ne suffit pas de soutenir la demande et une politique industrielle, visant à renforcer l’offre, est également nécessaire. Il s’agit ni de protéger les productions nationales, ni de favoriser la conquête des marchés extérieurs à coups de concurrence fiscale ou sociale, mais de stimuler des investissements visant à la maîtrise de la production de nouveaux biens et services, les seuls à même de créer des emplois stables. Plutôt que de tenter de s’appuyer sur des slogans improbables, l’objectif devrait être de consolider une offre dont l’avantage tient à la qualité des services fournis en matière de conception, de sécurité, de fiabilité, et qui soit en adéquation avec ce que sont réellement les préférences des consommateurs français et européens.




AAA, AA+ : RAS ?

par Jérôme Creel

La perte du AAA de la France le vendredi 13 janvier 2012 est un événement historique. Elle pose trois questions : fallait-il renforcer l’austérité budgétaire à l’automne 2011 ? Pourquoi l’Allemagne a-t-elle été singularisée ? Que faire désormais ?

La perte du AAA pour les obligations d’Etat françaises n’est pas surprenante, loin s’en faut. La crise des dettes publiques qui secoue la zone euro depuis plus de deux ans – elle a démarré à l’automne 2009 – n’a pas pu être gérée convenablement car elle est survenue en période de récession, à un moment où tous les Etats membres européens avaient les yeux rivés sur leurs propres difficultés économiques. Sans réponse concertée, passant par une solidarité immédiate et des garanties mutuelles octroyées par les Etats membres de la zone euro sur l’ensemble des dettes publiques de la zone, avec le soutien de la Banque centrale européenne (cf. Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, ici), la contagion prévisible a eu lieu. Les erreurs objectives de finances publiques commises par les gouvernements grecs successifs, puis les errements des banques irlandaises ont produit une crise européenne systémique.

En mettant en œuvre, tous en même temps, des politiques d’austérité budgétaire, les gouvernements européens n’ont fait qu’amplifier les difficultés économiques : la stagnation économique, voire la récession, sont désormais au programme de la zone euro (cf. Xavier Timbeau et al., ici). La dégradation des notations souveraines dans la zone euro était donc attendue. Elle pose cependant trois questions.

  1. Fallait-il renforcer l’austérité ? Mathieu Plane (voir ici), dans son commentaire sur le plan d’austérité français supplémentaire de 7 milliards d’euros, annoncé en novembre 2011, pointait déjà du doigt la course perdue au AAA. Les effets sur la croissance de cette austérité étaient objectivement incompatibles avec l’objectif d’assainissement budgétaire annoncé : cet argument ne peut pas avoir été négligé par Standard & Poor’s.
  2. Pourquoi l’agence S&P a-t-elle singularisé l’Allemagne et la Slovaquie, seules économies de la zone euro à n’avoir pas été dégradées vendredi 13 janvier ? Si leurs liens commerciaux sont indéniables (cf. Sandrine Levasseur, 2010, ici), ce qui peut justifier de les associer, ces deux économies, et surtout l’Allemagne, trouvent leurs principaux débouchés dans la zone euro. La décélération de la croissance dans la zone euro, hors Allemagne, ne sera certainement pas sans conséquence outre-Rhin (cf. Sabine Le Bayon, ici). On voit donc mal comment la contagion de la crise pourrait s’arrêter aux frontières de l’Allemagne et de la Slovaquie. On peut même interpréter la récente souscription d’obligations publiques allemandes à 6 mois, à un taux d’intérêt nominal négatif, comme le signe d’une extrême défiance à l’égard des banques commerciales allemandes. La fragilité de cette économie, dans la zone euro, n’est pas moindre que celle de la France.
  3. Que faire désormais, en France par exemple ? La perte du AAA témoigne à la fois de perspectives négatives sur l’état des finances publiques et sur la croissance économique. Si l’Allemagne n’est pas dégradée, peut-être est-ce parce que sa stratégie non coopérative passée a été jugée efficace par S&P. Le principe de fixation d’une TVA sociale peut donc être envisagée comme un moyen de rattrapage de la compétitivité française par rapport à l’Allemagne, comme le souligne Jacques Le Cacheux (ici) : si les Allemands l’ont fait, pourquoi pas nous, désormais ? Cela permettrait d’augmenter les recettes fiscales, en renversant l’avantage de compétitivité au profit des entreprises résidentes françaises. Après qu’une telle mesure aura été prise, si elle l’est, l’Allemagne et la France se retrouveront sur un même pied d’égalité. Ces deux pays, et les autres Etats membres de la zone euro, pourront alors sainement envisager une politique coopérative de relance européenne. Politique industrielle (cf. Sarah Guillou et Lionel Nesta, ici), politique sociale, politique climatique et énergétique ambitieuse (cf. Eloi Laurent, ici), politique financière par l’instauration d’une taxe commune sur les transactions financières dont le produit servirait à éviter désormais que les banques privées soient renflouées par les contribuables, ce qui libérerait des marges de manœuvre pour les trois premières politiques : telles sont quelques options possibles. Leur contour reste certes à définir, mais réclamer qu’elles soient mises en œuvre d’urgence est devenue une nécessité.



TVA « sociale », antisociale ?

par Jacques Le Cacheux

Evoquée à nouveau par le Président de la République le 31 décembre lors de ses vœux, la perspective d’instaurer une « TVA sociale » fait, une nouvelle fois, polémique. Alors que le MEDEF a inclus cette mesure dans une série de propositions de modification de la fiscalité destinée à redonner à la France de la compétitivité, la gauche y est majoritairement opposée, voyant dans cette « TVA sociale » un oxymore, une mesure antisociale, vouée à amputer le pouvoir d’achat des consommateurs et frappant de manière disproportionnée et injuste les plus modestes d’entre eux. Mais de quoi parle-t-on et quelle est, du point de vue de la fiscalité sur la consommation, la situation de la France par rapport à celle, notamment, de ses principaux partenaires européens ?

La proposition d’instaurer une « TVA sociale »est, en réalité, la combinaison de deux mesures : augmenter la TVA, et affecter le surcroît de recettes publiques ainsi obtenu au financement de la protection sociale, en abaissant – en principe d’un même montant – les cotisations sociales. Les modalités de ces deux opérations peuvent, elles-mêmes, être très diverses : la hausse de la TVA peut concerner le taux normal (aujourd’hui à 19,6%), le taux réduit (aujourd’hui à 5,5%, mais récemment augmenté à 7% pour une série de produits et services), la création d’un taux intermédiaire, le passage au taux normal de certains produits ou services actuellement au taux réduit, etc. ; la baisse des cotisations sociales peut viser les cotisations patronales ou les cotisations salariés, être uniforme ou ciblée sur les bas salaires, etc. Autant de choix politiques possibles, dont les impacts distributifs ne sont pas les mêmes.

La France est aujourd’hui l’un des pays de l’UE dans lequel le taux implicite de taxation de la consommation est le plus bas (Eurostat). Son taux normal de TVA, ramené à 19,6% en 2000 après avoir été porté à 20,6% en 1995 pour contribuer au respect des critères de Maastricht alors que la récession de 1993 avait gravement creusé le déficit budgétaire, est désormais un peu inférieur à celui que pratiquent la plupart de nos partenaires, la dégradation actuelle des finances publiques ayant incité plusieurs pays européens à augmenter récemment leur taux normal de TVA. Le taux réduit, à 5,5%, était, jusqu’à l’augmentation décidée en décembre 2011 sur certains produits et services, le plus bas de l’UE.

Que peut-on attendre d’une TVA sociale ? Envisageons successivement les effets sur la compétitivité et ceux sur le pouvoir d’achat et distinguons les deux volets de l’opération. Une augmentation de la TVA a un effet bénéfique sur la compétitivité des entreprises françaises, parce qu’elle accroît le prix des importations sans grever les exportations, qui sont assujetties à la TVA du pays de destination. En cela, une augmentation de la TVA est bien équivalente à une dévaluation. Dans la mesure où la majorité de nos échanges commerciaux est réalisée avec nos partenaires européens au sein du marché unique européen, on peut considérer qu’il s’agit là d’une politique non coopérative. Certes, mais si tous nos partenaires recourent à ce type de dévaluation « interne » à la zone euro – rappelons que l’Allemagne a augmenté de 16% à 19% son taux normal de TVA en 2007 –, et que nous ne le faisons pas, cela équivaut à une appréciation réelle de « l’euro français ». Il serait sans doute préférable de viser une meilleure coordination fiscale en Europe, et de tendre vers des taux plus uniformes. Mais les circonstances ne s’y prêtent guère, et la menace d’une hausse de la TVA peut être un moyen d’inciter notre principal partenaire à plus de coopération sur ce dossier.

L’affectation des recettes obtenues à une réduction des cotisations sociales n’aura, quant à elle, d’effets bénéfiques additionnels sur la compétitivité que si elle engendre effectivement une baisse du coût de la main-d’œuvre pour les entreprises installées en France. Cela serait le cas si la réduction concerne les cotisations patronales, mais ne le serait pas si l’on abaisse les cotisations salariés.

Peut-on attendre un effet bénéfique sur l’emploi ? Oui, grâce à l’effet compétitivité au moins, mais qui en tout état de causes sera faible, sauf à imaginer une augmentation massive des taux de TVA. Celui de la baisse du coût du travail est moins clair, car les cotisations sociales patronales son déjà nulles ou faibles sur les bas salaires, qui constituent précisément, selon les études disponibles, les catégories de salariés pour lesquelles la demande est sensible au coût.

La baisse du pouvoir d’achat des ménages français ne risque-t-elle pas, en réduisant la consommation intérieure, d’annuler ces gains potentiels ? En partie peut-être, mais rien n’est moins sûr. En effet, l’augmentation de la TVA ne sera probablement pas intégralement et instantanément répercutée dans les prix de vente : dans le cas de l’Allemagne en 2007, la hausse des prix a été relativement faible et étalée dans le temps – ce qui signifie que ce sont les marges des producteurs ou des distributeurs qui absorbent une part de la hausse, l’effet bénéfique sur les entreprises s’en trouvant alors un peu réduit — ; en France, des travaux empiriques sur la hausse de 1995 montrent qu’elle n’a pas non plus été intégralement et immédiatement répercutée dans les prix ; et on se souvient, bien que l’on ne puisse s’attendre à une symétrie des effets, que la baisse de la TVA dans la restauration n’avait été que très peu répercutée dans les prix.

La hausse de la TVA serait-elle « antisociale », en frappant de manière disproportionnée les ménages les plus modestes ? Non ! Il faut en effet rappeler que les minima sociaux, le SMIC et les pensions de retraite sont indexés sur l’indice des prix à la consommation. Dès lors, sauf à imaginer que l’on gèle ces indexations – ce que le gouvernement vient de faire pour certaines allocations –, le pouvoir d’achat des bas revenus ne sera pas affecté, et seuls les salariés au dessus du SMIC et les revenus de l’épargne souffriraient d’une baisse de pouvoir d’achat si les prix à la consommation répercutaient la hausse de la TVA. Encore faut-il ajouter que, s’il y a un effet bénéfique sur l’emploi, certains chômeurs trouveront un emploi et la masse des salaires distribués augmentera, de sorte que l’effet dépressif sur la consommation souvent invoqué par les opposants à cette mesure ne saurait être que mineur, voire inexistant.

En bref, la TVA « sociale » ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. Comme pour toute réforme de la fiscalité, il ne faut certes pas en attendre le remède miracle contre le chômage, ni même un redressement massif de nos comptes extérieurs, même si elle participerait à l’amélioration de notre compétitivité-prix. Mais le rééquilibrage de nos prélèvements obligatoires, pour les faire porter davantage sur la consommation et moins sur le coût du travail doit être un objectif. Taxer la consommation est une bonne manière de procurer des ressources aux finances publiques dans un contexte de mondialisation, et la TVA, invention française adoptée par presque tous les pays, est une modalité commode de le faire, et de pratiquer, sans le dire, un forme de protectionnisme en détaxant les exportations. La TVA n’est, en revanche, pas un bon instrument de redistribution, car le recours à un taux réduit sur les produits de consommation courante profite finalement autant ou plus aux plus aisés qu’aux plus démunis, comme l’ont compris la plupart de partenaires européens, chez qui le taux réduit est soit inexistant (comme au Danemark) soit substantiellement plus élevé que chez nous (souvent à 10 ou 12%). Il est souhaitable de rendre le système fiscal français plus juste, mais il faut pour cela utiliser les instruments qui ont le pouvoir redistributif le plus fort et le mieux ciblé : les prélèvements directs – impôt sur le revenu, CSG, taxe d’habitation –, les transferts sociaux, voire certaines dépenses publiques (éducation, santé notamment). Ce qui manque au projet de TVA « sociale », c’est de s’inscrire dans une perspective globale de réforme fiscale qui redonne de la cohérence et de la justice à l’ensemble des prélèvements obligatoires.




De Trichet à Draghi : bilan et perspectives

par Christophe Blot et Eric Heyer

Au cours des huit années passées à la tête de la BCE, nous avons connu deux J-C. Trichet (JCT), l’un dogmatique, l’autre pragmatique. Quel sera le visage de son successeur l’Italien Mario Draghi, confronté dès son entrée en fonction à une crise sans précédent de la zone euro ?

Dans les cinq premières années, période d’avant-crise, nous avons connu JCT le dogmatique : banquier central très appliqué, il a respecté à la lettre le mandat qui lui avait été confié, à savoir de maintenir l’inflation proche de 2 %. A l’aune de cet unique critère, considéré comme essentiel par les Allemands, le bilan de JCT est bon puisque qu’au cours de cette période l’inflation moyenne en zone euro fut de 2,1 %. Mais plusieurs critiques peuvent être formulées à l’encontre de son action post-crise : la première réside dans le fait qu’en voulant incarner la monnaie unique et la rendre crédible, JCT a choisi de la rendre « forte » – ce qui est différent de « stable ». Il n’a donc rien mis en place pour piloter le taux de change et s’est satisfait de voir l’euro passer de 1,10 dollar en 2003 à près de 1,50 dollar fin 2007, soit une appréciation de 37 %. Ce dogme de l’euro fort, de la désinflation compétitive, l’a certes aidé à contenir l’inflation mais au détriment de la compétitivité et de la croissance européenne. Une interprétation moins stricte de la stabilité des prix aurait accru l’attention de la BCE portée au taux de change de l’euro, ce qui aurait favorisé le dynamisme de la croissance et de l’emploi dans la zone euro. Ainsi, entre 2003 et 2007, la croissance annuelle moyenne en zone euro aura été 0,6 point inférieure à celle enregistrée aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (2,1 % contre 2,7 %) et le taux de chômage a été supérieur de plus de 3 points (8,4 % en zone euro contre 5,1 % aux E. U. et au R. U.) avec des performances d’inflation comparables. La seconde critique est en lien avec une interprétation stricte de sa politique de lutte contre l’inflation et qui a conduit JCT a une grave erreur de jugement : à l’été 2008, quelques semaines avant la faillite de Lehman Brothers, alors que l’économie américaine était déjà entrée en récession et que les craintes pour l’Europe s’accentuaient, la BCE a décidé une augmentation des taux d’intérêts, par crainte d’un regain de tensions inflationnistes alimenté par les prix des matières premières énergétiques et alimentaires. Or, à l’évidence il n’était pas très lucide de redouter des tensions inflationnistes au moment où l’économie mondiale se préparait à sombrer dans la plus grande crise depuis les années 1930.

Pendant les trois dernières années, période de crise, ce fut JCT le pragmatique : en l’absence de gouvernance européenne, JCT a été un pilier de la réaction européenne face à la crise en discutant d’égal à égal avec des chefs d’Etats et en œuvrant significativement au sauvetage du système financier. A cet égard, et contrairement aux quatre années précédentes, il a pris certaines libertés par rapport au mandat et aux statuts de la BCE en agissant de façon non conventionnelle, notamment au moment de la crise des dettes souveraines. Mais en actionnant des hausses des taux directeurs depuis le début de l’année dans un contexte de chômage de masse et de nette sous-utilisation des capacités de production en zone euro, JCT le pragmatique a commis la même erreur d’interprétation que JCT le dogmatique trois ans auparavant : le regain d’inflation n’étant pas lié à un risque de surchauffe de l’économie européenne mais trouvant son origine dans l’augmentation des prix des matières premières alimentaires et énergétiques, les hausses des taux n’ont aucune incidence sur celui-ci mais, en revanche, fragilisent un peu plus la croissance européenne.

De fait, la BCE a rapidement révisé son diagnostic laissant ainsi la porte ouverte à une baisse rapide des taux d’intérêt. Il est d’ailleurs probable que Jean-Claude Trichet aurait agi plus rapidement s’il n’avait pas été à la fin de son mandat. Ce faisant il a évité d’enfermer son successeur dans un scénario donné, lui laissant donc toutes les possibilités dans ses premiers pas à la tête de la BCE. Mario Draghi a d’ailleurs rapidement mis fin au suspense sur ses intentions puisqu’une baisse des taux d’un quart de point a été annoncée dès sa première réunion le 3 novembre. S’il a bien pris soin de rappeler que la BCE ne s’engageait pas sur les décisions futures, le contexte macroéconomique et financier amène à anticiper au moins une baisse des taux supplémentaire.

Pourtant si la question de la politique des taux d’intérêt est un élément central de la politique monétaire et donc du mandat de Mario Draghi, les défis qui s’ouvrent à lui dépassent largement cet enjeu. Dans le contexte de crise de la zone euro, le programme d’achats de titres de la BCE est au cœur de toutes les attentions et pose la question du rôle de la BCE dans la gouvernance européenne. Cette question recouvre de fait de multiples enjeux cruciaux et interdépendants : le rôle de prêteur en dernier ressort, la coordination entre politique budgétaire et politique monétaire ainsi que les compétences de la BCE en matière de stabilité financière.

La crise actuelle illustre les difficultés inhérentes au fonctionnement d’une union monétaire sans union budgétaire puisque, de fait, cela revient pour tout membre de l’Union à s’endetter dans une monnaie qu’il ne contrôle pas. Même si en temps normal les opérations de politique monétaire aux Etats-Unis conduisent la Réserve fédérale à détenir des titres publics,  – principalement de court terme – la crise a conduit la Banque centrale américaine à amplifier ses achats de titres et à modifier la structure de son bilan en achetant des obligations publiques sur les marchés secondaires. La Banque d’Angleterre a mené des actions similaires en achetant près de 200 milliards de livres de titres obligataires publics[1]. Quant à la Banque du Japon, elle a amplifié ces mesures non conventionnelles qui étaient déjà mises en place pour lutter contre la déflation qui sévit dans l’Archipel depuis la fin des années 1990. Ce faisant, ces banques centrales ont fait pression sur la baisse sur les taux d’intérêt à long terme et elles ont garanti la liquidité de ces marchés, se portant implicitement prêteuses en dernier ressort. Si la BCE s’est également engagée sur ce terrain en achetant plus de 170 milliards d’euros de titres publics (italiens, grecs, portugais et irlandais), l’ampleur du programme d’achat d’actifs (2,1 % de l’ensemble de la dette publique totale des pays de la zone euro) reste inférieur à celui mis en œuvre par la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre qui détiennent respectivement plus de 10,5 % et 16 % de la dette publique émise par leur gouvernement. Surtout, la BCE a pris soin de préciser que ce programme était temporaire, d’un montant limité et destiné à restaurer l’efficacité de la politique monétaire. Dans une tribune récente, Paul de Grauwe compare la stratégie de la BCE à celle d’un chef des armées partant à la guerre tout en déclarant qu’il n’utiliserait jamais tout son potentiel militaire et qu’il rapatrierait les troupes le plus tôt possible, c’est-à-dire sans s’assurer que la victoire finale serait acquise. Une telle stratégie est nécessairement vouée à l’échec. Seul un engagement illimité pourrait mettre fin à la contagion qui frappe les pays de la zone euro en proie à des difficultés budgétaires. Et seule une banque centrale, par la création monétaire, peut offrir une telle garantie. Pourtant, jusqu’ici, les pays européens ont écarté cette voie lors du sommet du 25 octobre tandis que Mario Draghi n’a fait que réitérer la stratégie de la BCE lors de sa première conférence de presse ajoutant même qu’il ne pensait pas qu’un prêteur en dernier ressort soit la solution à la crise que traverse la zone euro. La dimension du FESF restant insuffisante pour enrayer la contagion, tout porte à croire que le rôle de la BCE sera de nouveau au centre des débats. Il faut alors espérer que Mario Draghi et les membres du Conseil des gouverneurs sauront faire preuve de plus de pragmatisme à cette occasion. Il est urgent de reconnaître le rôle de prêteur en dernier ressort de la BCE en faisant de la stabilité financière de la zone euro un objectif explicite de politique monétaire.

Par ailleurs, au-delà du rôle de prêteur en dernier ressort, c’est plus généralement la question de la coordination des politiques économiques qui doit être reposée. L’articulation du policy-mix est en effet un élément central des performances en matière de croissance. Aux Etats-Unis, la complémentarité entre politique monétaire et budgétaire est aujourd’hui évidente puisqu’en faisant pression sur les taux longs, la Réserve fédérale met en œuvre une politique qui assure la soutenabilité de la politique budgétaire en même temps qu’elle favorise son impact sur la croissance. La principale critique à l’égard d’une telle politique souligne qu’elle remettrait en cause l’indépendance de la Banque centrale. Pour autant, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que la Réserve fédérale aurait abandonné la conduite de la politique monétaire au profit du gouvernement. La question ne se pose pas puisque la Banque centrale américaine, comme le gouvernement, poursuivent les mêmes objectifs : croissance, emploi, stabilité des prix et stabilité financière[2]. Ces objectifs sont interdépendants et la zone euro ne pourra retrouver le chemin de la croissance qu’à la condition que les autorités de décisions rament dans la même direction.

Si tous ces enjeux ne sont pas uniquement du ressort de Mario Draghi – une réforme du Traité pourrait renforcer et légitimer ses décisions –, sa position sera néanmoins déterminante. La crise de la zone euro appelle des décisions urgentes et révèlera très rapidement les ambitions et les capacités de son nouveau président.


[1] La BoE vient cependant d’annoncer que son programme d’achat de titres serait progressivement porté à 275 milliards de livres.

[2] Voir « La Fed, la BCE et le double mandat ».




Compétitivité des territoires et stratégies de localisation des entreprises : les heurts de la mondialisation

par Jean-Luc Gaffard

La France comme d’autres pays développés connaît une dégradation de sa compétitivité qui se traduit par un déficit croissant de ses échanges extérieurs et des délocalisations. Comme d’autres pays développés, elle fait face à un double défi : celui lancé par les pays émergents qui bénéficient de larges avantages de coût et celui lancé par des pays développés au premier rang desquels l’Allemagne dont les entreprises pallient l’atonie de leur demande interne en conquérant des marchés extérieurs.

Dans une note du blog, nous montrons que la théorie du commerce international et la théorie de la localisation, mais aussi l’expérience, nous enseignent que la restauration de la compétitivité française suppose que davantage d’entreprises s’engagent plus intensément dans la R&D et dans l’internationalisation de leurs activités en exportant plus et en investissant et en externalisant davantage à l’extérieur. Le succès de cette stratégie reste toutefois étroitement subordonné à la capacité des pays développés à relancer de manière coordonnée leurs demandes internes respectives, gage de l’obtention de gains mutuels et équitables.