France : croissance hors taxes

par Bruno Ducoudré , Éric Heyer, Hervé Péléraux, Mathieu Plane

Ce texte résume les Perspectives 2014-2015 pour l’économie française

Début 2011, la France était l’un des rares pays développés à avoir retrouvé son niveau de PIB d’avant-crise. La croissance économique dépassait les 2 %, atteignant même les 3 % en glissement annuel au premier trimestre 2011. Depuis, la donne a changé : la dynamique de reprise s’est interrompue et l’activité connaît une croissance, certes positive, mais proche de zéro (graphique 1). Quatre types de chocs rendent compte de l’extinction en 2011 de la phase de reprise post-récession.  Déjà malmenée par l’austérité et la dégradation des conditions de crédit, la croissance a également été freinée par les fluctuations du prix du pétrole et par celles de la compétitivité-prix, en 2012, sous l’effet de la déflation salariale des pays concurrents de la France, et en 2013 sous l’effet de l’appréciation de l’euro (tableau 1).

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En 2014, l’amélioration attendue sur le front de l’activité ne se produira pas : le stimulus lié au relâchement progressif de l’austérité sera compensé par le puissant frein que constitue l’importante appréciation de l’euro observée jusqu’au milieu de l’année ainsi que par l’effondrement de l’investissement en logement des ménages. La croissance devrait, à l’instar des deux années précédentes, s’établir à 0,4 % ne permettant ni au chômage d’inverser sa tendance haussière ni au déficit public de se résorber significativement. Pire, contrairement aux années antérieures et après une baisse régulière de plus de 3 points de PIB depuis 2009, le déficit public devrait à nouveau se creuser légèrement et atteindre 4,5 % du PIB (tableaux 1 et 2).

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En 2015, la croissance retrouvera un peu de vigueur, +1,1 %, grâce à l’atténuation des facteurs négatifs qui ont étouffé la croissance depuis 2010, les conditions de crédit et la politique d’austérité. Par ailleurs, l’effet de la compétitivité-prix, un facteur qui aura joué très négativement en 2014, va s’inverser. En premier lieu, sous l’effet de la dépréciation de l’euro, mais aussi par la montée en puissance du CICE, dont le but premier est d’obtenir des baisses de prix à l’exportation. Mais avec une hausse du PIB de 1,1 % l’année prochaine, le sentier d’expansion restera encore très éloigné de celui qui prévaut habituellement en période de sortie de crise (+2,4 %). L’écart de production ne se refermant pas, cette croissance anticipée ne peut être qualifiée de reprise. Les entreprises profiteront de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettra de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 9,9 % fin 2015. Il s’élèverait à 10,3 % pour la France entière. La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Celui-ci devrait s’établir à 4,3 % du PIB en 2015, s’écartant significativement de sa trajectoire de retour à 3 %.

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Afin de parvenir à respecter les engagements d’efforts structurels et de déficits nominaux, le gouvernement pourrait décider de voter des efforts supplémentaires de 8 milliards d’euros. Ceux-ci pourraient correspondre à une hausse de 1,2 point du taux normal de TVA. Si tel était le cas, le PIB ne croîtrait plus que de 0,8 % l’année prochaine et le déficit ne se réduirait que de 0,2 point de PIB par rapport à notre scénario central (tableau 3).

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France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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France : la hausse du chômage conjoncturel se poursuit

par Bruno Ducoudré

La Grande Récession, débutée en 2008, s’est traduite par une montée continue et inexorable du chômage en France, de 3,1 points entre le point bas atteint au premier trimestre 2008 (7,1 % en France métropolitaine) et le pic du quatrième trimestre 2012. Le taux de chômage atteint désormais un niveau proche des niveaux record atteints à la fin des années 1990. Cette hausse peut être décomposée en une variation du taux de chômage conjoncturel liée à l’insuffisance de la croissance économique, et en une variation du taux de chômage structurel. Or ce dernier donne une information sur la mesure de l’output gap, information cruciale pour la mesure du déficit structurel. En conséquence, les choix de politique budgétaire portant sur la restauration de l’équilibre des finances publiques nécessitent d’établir un diagnostic sur la nature du chômage additionnel dû à la crise. Autrement dit, la crise a-t-elle engendré principalement du chômage conjoncturel ou du chômage structurel ?

L’étude du NAIRU[1] peut être un moyen d’établir un diagnostic sur le caractère structurel ou conjoncturel du chômage. Partant d’une estimation de la boucle prix-salaires, nous nous proposons dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française de revenir sur l’évaluation du niveau du taux de chômage d’équilibre (TCE) au moyen d’une estimation récursive du NAIRU depuis 1995, afin d’identifier la part du chômage conjoncturel.

Premièrement, notre estimation du TCE rend bien compte de l’absence de réelles tensions inflationnistes depuis 1995. En effet, le taux de chômage effectif est constamment supérieur au TCE sur cette période (graphique 1). Or entre 1995 et 2012, l’inflation sous-jacente oscille entre 0 et 2 %. Elle atteint 2% en 2002 et en 2008, moments où le taux de chômage effectif se rapproche du TCE, sans que cela traduise une réelle tension inflationniste. En 2012 la hausse du taux de chômage a creusé l’écart avec le taux de chômage d’équilibre et fut accompagnée d’un ralentissement de l’inflation sous-jacente qui est repassée sous 1% en fin d’année.

Deuxièmement, le NAIRU est estimé à 7,2 % en moyenne sur la période 2000-2012, avec un taux d’inflation moyen de 1,9 % sur la période. Il s’élèverait en moyenne à 7,7 % sur la période 2008-2012 (tableau 1), et à 7,8 % en 2012 (graphique 1).

Troisièmement, ces estimations montrent aussi que le NAIRU aurait augmenté de 0,9 point depuis le début de la crise. Cette hausse permet donc tout au plus d’expliquer 30 % de la hausse du taux de chômage depuis 2008, le reste provenant d’une hausse du chômage conjoncturel. La composante conjoncturelle du chômage représenterait dès lors 2,1 points de chômage en 2012. Cette évolution de l’écart entre le taux de chômage effectif et le taux de chômage d’équilibre est par ailleurs cohérente avec l’inflation sous-jacente, qui diminue depuis 2009. Compte-tenu de notre prévision de chômage, cet écart augmenterait de 1,5 point pour s’établir à 3,6 % en 2014 en moyenne annuelle.

Les estimations du taux de chômage d’équilibre indiquent que l’écart avec le taux de chômage effectif s’est donc creusé au cours de la crise. Ainsi, la part du chômage conjoncturel a augmenté, et cette augmentation du chômage conjoncturel explique environ 70 % de la hausse du taux de chômage depuis 2008. Elle confirme notre diagnostic d’un output gap élevé pour l’économie française en 2012, et qui continuera à se creuser à l’horizon 2014 avec la poursuite de la politique d’austérité budgétaire conjuguée à un multiplicateur budgétaire élevé.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2013-2014, disponible sur le site de l’OFCE.


[1] Le NAIRU (Non-accelerating inflation rate of unemployment) est le taux de chômage pour lequel le taux d’inflation reste stable. Au-delà, l’inflation ralentit, ce qui permet à terme une hausse de l’emploi et une baisse du chômage. En deçà, le mécanisme inverse conduit à une hausse de l’inflation, à des réductions d’emplois et à un retour du chômage à son niveau d’équilibre.