Désocialisation des heures supplémentaires: pouvoir d’achat pour les actifs, perte d’emplois pour l’économie

par Bruno Ducoudré et Éric Heyer

Le gouvernement a annoncé le rétablissement des exonérations de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires effectuées par l’ensemble des salariés, ce qui générerait un gain de pouvoir d’achat pour les ménages d’environ 2 milliards d’euros en année pleine.

Selon le Projet de loi de finances 2019, 8 millions de salariés du secteur privé seraient concernés. Ces derniers effectuent en moyenne 109 heures supplémentaires par an, pour un salaire horaire brut majoré moyen de 17,3 euros. L’exonération de 11,3 % des cotisations salariales générerait un gain de 1,7 milliard d’euros annuel, auquel il faut ajouter 1,2 million de salariés du secteur public, qui bénéficieraient chacun de 160 euros de gain de pouvoir d’achat à l’année, soit près de 200 millions d’euros.

Heyer (2017)[1] avait évalué les effets de la suppression totale des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, pour un montant supérieur à 2 milliards d’euros, mais qui ne portait que sur le champ des salariés du secteur privé. La mesure prévue dans le PLF 2019 touche un champ plus large, mais porte sur un montant d’exonérations plus faible pour les salariés du secteur privé (11,3% contre 20,1% retenus dans Heyer, 2017). Le montant attendu de gain de pouvoir d’achat est donc plus faible, d’autant que l’estimation du montant total d’heures supplémentaires (plus de 800 millions d’après les chiffres indiqués dans le PLF 2019) nous paraît élevé.

Quel volume d’heures supplémentaires annuel ?

Deux sources statistiques peuvent être mobilisées afin d’évaluer le nombre d’heures supplémentaires effectuées dans le secteur privé en France. Avec la mise en place de la loi TEPA et jusqu’à son abrogation en 2012, l’ACOSS a suivi trimestriellement le nombre d’heures supplémentaires exonérées. Au cours des derniers trimestres étudiés par l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires s’élevait en moyenne à 180 millions par trimestre, soit 720 millions en rythme annuel (cf. graphique 1).

Une seconde source existe : à partir de l’enquête ACEMO trimestrielle, la DARES indique depuis 2002, le nombre d’heures supplémentaires déclarées par les salariés à temps complet. Contrairement à la source ACOSS, cette dernière ne couvre que les entreprises de plus de 10 salariés, soit près de 75 % du volume total des heures supplémentaires effectuées. D’après cette source, les salariés à temps complet ont effectué au cours des trois dernières années près de 40 heures supplémentaires en moyenne par an.

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En 2016, selon cette source qui n’inclut pas les entreprises de moins de 10 salariés, cela correspond à un volume annuel de 577 millions d’heures supplémentaires. À champ identique, c’est-à-dire en excluant les entreprises de moins de 10 salariés, au cours de la période 2008-2012 commune aux deux sources, il est notable que l’enquête ACEMO de la DARES surestime le volume annuel d’heures supplémentaires d’environ 10 % par rapport à celui indiqué par l’ACOSS et qui donnait droit à exonération. En tenant compte de cette surestimation et en incorporant un effet « moins de 10 salariés » de 26 % (méthode 1), le volume annuel d’heures supplémentaires dans le secteur privé est estimé à 650 millions en 2016.

Enfin, une autre méthode (méthode 2) consiste à croiser différentes sources pour les effectifs de salariés (Insee, Acoss), les taux de salariés à temps partiel et en forfait jour (Dares, dispositif Acemo) ainsi que le recours aux heures supplémentaires (enquête Ecmoss). Fin juin 2018, on compte 17,6 millions de salariés dans le secteur privé[2], dont 3 millions dans les TPE[3]. Le taux de salariés à temps partiel s’élève à 17,7 % dans les entreprises de 10 salariés et plus[4] et à 28 % dans les entreprises de moins de 10 salariés, ce qui permet d’évaluer à 14,2 millions le nombre de salariés à temps complet dans le secteur privé. Parmi ceux travaillant dans les entreprises de 10 salariés et plus, le taux de salariés dont le temps de travail est décompté sous forme d’un forfait en jours s’élève à 13,7 % (2,2 % des salariés dans les TPE), ce qui laisse 12,5 millions de salariés à temps complet susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires rémunérées.

D’après la Dares, en 2015, 49 % des salariés à temps complet ont effectué des heures supplémentaires, en moyenne 109 heures par an et par salarié qui en effectuent. Cela nous permet d‘évaluer le montant total des heures supplémentaires rémunérées à 670 millions, à partir des données les plus récentes disponibles. Ce chiffrage est très proche du précédent sur la base de comparaisons entre les données de l’Acoss et celles de la Dares.

Si nos deux méthodologies convergent sur le nombre d’heures supplémentaires effectuées, nos résultats s’éloignent significativement du chiffrage retenu dans le PLF 2019.

Un impact positif des exonérations sur le recours aux heures supplémentaires

L’exonération de cotisations sociales salariées sur les heures supplémentaires peut également se traduire par une modification des comportements : les salariés seraient plus enclins à accepter de faire des heures supplémentaires puisque celles-ci sont mieux rémunérées. Sur la base des estimations d’Heyer (2017), et en tenant compte du fait que le taux d’exonération prévue dans le PLF 2019 est plus faible, l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires, en les rendant plus attractives pour les salariés, entraînerait une hausse de 4,3 % de celles-ci, soit 28,5 millions d’heures supplémentaires additionnelles (tableau 1).

Quel gain de pouvoir d’achat en attendre ?

Sur la base d’un salaire horaire brut majoré moyen de 17,3 euros, le gain en pouvoir d’achat pour les salariés du secteur privé s’élèverait plutôt à 1,4 milliard d’euros en année pleine, auxquels il faut ajouter 100 millions d’euros pour les exonérations sur les heures complémentaires[5] et les 200 millions d’euros de gains pour les salariés de la fonction publique. Au total, les gains de pouvoir d’achat à attendre de cette mesure s’élèveraient plutôt à 1,7 milliard d’euros en année pleine et 530 millions pour l’année 2019.

Tab_post1-10Un impact légèrement négatif attendu sur l’emploi

La mesure d’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires peut avoir plusieurs effets de sens inverse sur l’emploi. Le premier effet, qui consiste à inciter les salariés à effectuer plus d’heures supplémentaires, se traduit à court terme par une augmentation de la durée du travail au détriment de l’emploi. A l’inverse, le surplus de pouvoir d’achat reversé aux ménages se traduit par une hausse de la consommation, donc de la production et de l’emploi. Enfin, il faut ajouter l’effet du financement de la mesure, qui vient obérer la demande finale avec un effet plus ou moins important selon la composition de ce financement (économies de dépenses publiques ou hausse des prélèvements obligatoires). Nous supposons, compte tenu des mesures annoncées dans le PLF 2019, que le financement de la mesure se traduirait par des économies sur la dépense publique, réparties de manière uniforme entre les différents grands postes de dépense (investissement public, rémunérations et emplois publics, prestations sociales, transferts sociaux en nature et consommations intermédiaires).

Au final, sans prise en compte du financement de la mesure, l’exonération partielle de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires se traduirait par un effet légèrement négatif sur l’emploi salarié, de -2 000 emplois en 2019 puis -8 000 emplois en 2020 : le pouvoir d’achat redistribué stimule la consommation et le PIB, mais dans le même temps, la hausse de la durée du travail est plus forte, ce qui aboutit à détruire des emplois. Avec prise en compte du financement, l’effet négatif monterait à -12 000 emplois salariés marchands en 2020 et la mesure augmenterait le taux de chômage de 0,1 point.

 

[1] Éric Heyer, 2017, « Quel impact doit-on attendre de l’exonération des heures supplémentaires ? », OFCE policy brief, n° 23, 8 juillet.

[2] Acoss-Stat, n° 274, septembre 2018.

[3] Dares Résultats, n° 001, janvier 2018.

[4] Dares Indicateurs, n° 042, septembre 2018.

[5] Sur la base du nombre de salariés à temps partiel (3,36 millions), d’une part de 38% de salariés à temps partiel effectuant des heures complémentaires, et d’un nombre d’heures annuel moyen de 44, on évalue à 56 millions le nombre d’heures complémentaires effectuées. Sur la base d’une rémunération horaire comparable à celle retenue pour les heures supplémentaires, soit une exonération de 110 millions d’euros en année pleine.




Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?

Par Bruno Coquet

Le marché du travail français est fortement appuyé sur l’assurance chômage, pour de nombreuses raisons : le chômage est élevé, les salariés paient très cher leur assurance, mais aussi parce que la réglementation couvrant bien les salariés titulaires de contrats précaires, certains employeurs sont incités à reporter sur l’assurance chômage les coûts de la flexibilité contractuelle, qui devraient être facturés aux clients ou imputés aux actionnaires.

L’intervention de l’assurance chômage doit donc être ajustée afin de ne pas susciter de telles incitations, qui lui coûtent cher et accroissent le coût du travail. Pour ce faire c’est le coût du travail associé aux comportements coûteux pour l’assureur qui doit être augmenté, cependant que les taxes facturées aux employeurs faisant un usage raisonné des contrats courts devraient baisser.

Après avoir examiné les moyens que l’assureur doit mettre en regard de ces objectifs, nous proposons une formule de modulation des cotisations d’assurance chômage. Celle-ci tire les leçons de la sur-taxation en vigueur depuis 2013 ; plus générale, notre formule peut modifier de manière significative le coût des contrats très courts, tout en ayant des effets agrégés très modestes (et en particulier nuls sur le coût du travail agrégé) ; son éventuel effet négatif sur les embauches, en particulier dans les TPE/PME peut aisément être contrôlé

1 – Définir précisément l’objectif

1.1 – Règle générale : ne pas taxer, ni plus ni moins

Si l’on veut créer des emplois il est de bon sens de ne pas les taxer, ou plus exactement de minimiser les taxes qui pèsent sur le travail. Cela vaut dès la première heure de travail, quels que soient le niveau de salaire et les caractéristiques du contrat de travail (CDI, CDD, intérim, etc.).

Mais les modalités d’emploi peuvent cependant engendrer des effets indésirables, des transferts de coûts sur d’autres acteurs que les parties au contrat, des « externalités » qui peuvent justifier de prélever des taxes sur le travail : le financement des accidents du travail en constitue un bon exemple, mais aussi l’assurance chômage, la formation professionnelle, etc. Symétriquement le coût de certaines politiques publiques ne devrait pas être déporté vers des ressources qui n’ont rien à voir avec elles : la politique culturelle, dont le régime des intermittents du spectacle est un pilier, constitue un exemple emblématique d’un alourdissement indésirable du coût du travail.

Les systèmes mutualisés qui financent certaines politiques publiques, en particulier les assurances qui s’appuient sur la solidarité interprofessionnelle, ne devraient pas effectuer de la redistribution monétaire ou donner des subventions croisées en différenciant la tarification des assurés : le risque étant aléatoire, la règle est que chacun a l’obligation de s’affilier et paie des contributions identiques pour financer l’indemnisation de ceux pour lesquels le risque se réalise.

Par conséquent il n’existe pas de raison de taxer l’emploi quand il n’engendre pas d’externalités coûteuses, et il serait inique et inefficace de surtaxer certains assurés ou d’en exonérer d’autres.

1.2 – Règle de bonne gestion : décourager ce qui coûte cher

En revanche, dès lors que le comportement des assurés influence la probabilité de survenance des sinistres, ou le montant de l’indemnisation qui s’ensuit, l’assureur doit impérativement contrôler ces comportements qui accroissent ses dépenses (ce qui manifeste l’externalité).

Pour faire face à cette « sélection adverse » l’assureur peut, à court terme, choisir d’augmenter la taxe de droit commun facturée à tous les assurés. Mais cette option n’est pas tenable à long terme car elle encourage de plus en plus d’assurés à adopter les comportements coûteux pour l’assureur, en même temps qu’elle accroît les coûts de ceux dont le comportement est vertueux, car ce sont eux qui financent le surcroît de dépenses.

C’est en particulier le cas pour l’assurance chômage. Le chômage ne résulte pas seulement de causes macroéconomiques, cycles d’activité, ruptures technologiques, saisons, chocs exogènes, etc. Il relève également de choix productifs : ainsi une entreprise peut choisir de répondre à une demande saisonnière en stockant ses produits au fil des mois qui précèdent, quand sa concurrente augmentera sa production au dernier moment grâce à des contrats courts ; une autre peut choisir de répercuter dans son prix de vente le surcoût de l’embauche d’intérimaires pour répondre à une commande sporadique alors que sa concurrente rognera son taux marge pour bénéficier d’un chiffre d’affaires et d’un profit total accrus. Ainsi sur des marchés concurrentiels ce sont in fine les actionnaires ou les clients qui supportent les coûts associés aux choix productifs.

La présence d’une assurance chômage peut modifier ces choix : les entreprises utilisant les technologies de production flexibles qui externalisent le mieux les coûts de production vers le régime d’assurance sont avantagées, soit que leurs marges sont plus élevées, soit que leurs prix de vente plus faibles augmentent leur compétitivité et leur activité. Mais derrière le régime d’assurance chômage, qui paye pour le revenu ces chômeurs ? Une majorité d’entreprises qui n’ont rien à voir avec ces choix, ou – de manière plus problématique – des concurrentes plus vertueuses en termes de stabilité de l’emploi. En aucun cas il n’est optimal que ce soit l’assurance chômage, donc l’ensemble des assurés[1] qui supportent de tels coûts : cela signifie que l’assureur perturbe la concurrence sur le marché des biens dans un sens opposé à ce qu’est sa mission, puisque ce faisant il augmente le chômage et ses propres coûts.

Bien sûr le choix technologique et économique qui fait préférer à l’employeur l’usage de contrats courts ne résulte pas seulement de l’existence d’une assurance chômage. Cependant si l’assureur n’y prend pas garde ces comportements qui augmentent ses dépenses peuvent entraîner sa faillite, surtout si par mégarde il les encourage avec ses propres règles d’affiliation et d’indemnisation, comme c’est le cas de l’Unedic avec les contrats courts.

Une gestion rigoureuse de l’assurance chômage ne doit donc pas exclusivement s’intéresser au contrôle des dépenses. La tarification est un instrument à part entière, indispensable pour contrôler les comportements qui influencent la sinistralité.

2 – Définir précisément l’instrument

Taxer par principe, sans considération du problème que vise à résoudre la taxe, est un risque, pas une solution. La taxe vise à limiter soit le problème, soit ses conséquences, soit les deux.

2.1 – La taxe américaine a pour vocation de contrôler des problèmes américains

Une sur-taxation des entreprises faisant un recours excessif à l’assurance chômage est pratiquée aux Etats-Unis. Cette réglementation est souvent citée en exemple. Mais ce système est spécifique à plusieurs titres, ce qui rend sa transposition aléatoire :

  • Son objectif. Cette formule a été conçue dès la création du régime américain en 1935 pour prémunir l’assureur, et donc la collectivité des assurés[2], contre un danger précis : le recours disproportionné à des suppressions d’emploi temporaires (« licenciements temporaires »), très proches du chômage partiel. C’est d’autant plus nécessaire que le régime d’assurance américain a été construit pour indemniser ce type de fluctuations[3], ce qui exige d’éviter une mutualisation inter-sectorielle excessive (qui implique que les secteurs très cycliques sont financés par ceux qui sont peu cycliques) ainsi qu’une mutualisation intra-sectorielle disproportionnée (les entreprises qui utilisent beaucoup l’assurance chômage sont financées par leurs concurrentes qui l’utilisent peu) ;
  • Son champ d’application. La taxation sous forme d’experience rating est d’autant plus dissuasive qu’elle s’applique à l’ensemble de la masse salariale de l’entreprise dont le compte chez l’assureur est plus déficitaire que la norme établie[4];
  • Ses modalités administratives. Adapté à l’objectif visé cette modulation fonctionne mal car les comptes individuels des entreprises, outre qu’ils engendrent une lourde bureaucratie, nécessitent d’établir des formules de calcul complexes et peu lisibles, au détriment de leur caractère incitatif ;
  • Ses restrictions. L’assiette du salaire assurable sur laquelle porte la taxe est en général trop faible[5] pour que la sanction en termes de coût du travail n’incite à la vertu. En outre si l’expérience rating était « complet », c’est-à-dire que chaque employeur paie la totalité des coûts qu’il engendre pour l’assureur, la mutualisation serait nulle et l’assurance inutile du point de vue des employeurs.

Transposer la formule américaine n’a donc pas de sens car cette modalité est indissociable du système d’assurance de ce pays, structurellement très différent du nôtre, par ses objectifs, ses règles et la manière dont il est financé.

2.2 – Une taxe française doit viser des problèmes français

En France le comportement qui pose problème en ce qu’il coûte cher à l’assurance chômage est la récurrence emploi/chômage associée à l’usage disproportionné des contrats courts.

La durée réduite des contrats de travail engendre des besoins d’indemnisation, qui interfèrent avec la gestion de l’assureur dont l’un des objectifs est de bien sécuriser les titulaires de contrats précaires[6]. L’existence des contrats courts peut évidemment refléter des fluctuations d’activité temporaires – comme aux Etats-Unis –, mais ce qui est problématique en France c’est d’une part leur utilisation structurelle, récurrente, pour couvrir des besoins de production permanents, d’autre part le fait que l’assurance chômage soit instrumentée comme un complément de salaire par des employeurs et/ou des salariés qui maîtrisent bien les règles d’éligibilité et d’indemnisation. Face à cela l’Unedic pourrait moins bien indemniser les chômeurs, mais ce n’est qu’un moyen indirect d’agir sur les causes originelles des dépenses.

En France l’assureur doit donc essayer d’influencer la durée des contrats de travail. La taxe sur les contrats courts ne doit pas être nulle, mais fixée à un niveau optimal pour être dissuasive, sans être excessive ni punitive :

  • Il ne s’agit pas de « taxer les CDD », ou d’exonérer tel ou tel statut, mais de viser la durée effective des contrats : en effet l’assureur observe que 30% des CDI durent moins d’un an, que les ruptures durant la période d’essai représentent près de 2 fois plus d’entrées au chômage que les licenciements économiques, que les contrats d’intérim sont à la fois très courts et très récurrents en indemnisation, etc. Il apparaît donc préférable que l’assureur reste neutre envers le choix du contrat de travail, pour se focaliser sur la conséquence commune des différents statuts possibles, qui est la forte récurrence en indemnisation ;
  • La taxe n’a aucune raison d’être punitive : elle s’applique aux salaires correspondant à des contrats de courte durée, pas à l’ensemble des employeurs qui en font un usage excessif (ce qui serait le cas si la taxe américaine était transposée telle quelle) ;
  • Le but n’est pas de créer une taxe qui finance le « déficit » des contrats courts[7]. Un tel objectif serait en contradiction avec la nature même d’une assurance chômage mutualisée, qui a vocation à financer les prestations versées aux agents qui subissent des risques élevés (contrats précaires) par des contributions sur les agents dont l’exposition au risque est moindre (contrats stables). Dès lors que ces risques ne sont pas « maîtrisés » par les agents, la mutualisation réalisée par l’assurance est un transfert souhaitable, et l’assureur ne doit pas chercher à faire payer aux utilisateurs de contrats courts 100% du coût d’indemnisation qu’ils engendrent, ce qui serait la négation même du principe d’assurance mutualisée.

Une taxe sur les CDD, réduite pour les CDD d’usage, a bien été mise en place en 2013 par l’Unedic[8] (graphique 1). Mais en visant des statuts plutôt que la durée, dotée d’un champ d’application bien plus restreint que celui de ses exceptions, elle ne pouvait évidemment ambitionner d’infléchir l’usage des contrats courts. En outre, en créant des effets de seuil, elle offre à la marge des possibilités d’échapper à la surtaxe. De manière caractéristique on peut observer que cette taxe visant une mauvaise cible (le statut du contrat de travail, en l’occurrence les CDD, mais pas l’intérim et très peu les CDD d’usage) il n’est guère étonnant qu’elle n’ait pas modifié les comportements.

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2.3 – Taxer les contrats courts sans dissuader la création d‘emplois

Trois solutions existent pour taxer le travail : au début du contrat, en cours de contrat, ou à la fin de celui-ci :

  • Taxer l’embauche est évidemment contre-intuitif, mais c’est surtout inapproprié par rapport à l’objectif visé ici par l’assureur, car dans bien des cas le statut du contrat ne permet pas de juger de sa durée effective, ni du destin de la relation employeur/salarié (donc sa durée effective) qui peut se poursuivre bien plus longtemps et sans interruption que ne peut le laisser supposer la durée initiale du contrat ;
  • Taxer à la fin du contrat n’est pas souhaitable dans la mesure où l’employeur est taxé au moment où il doit se séparer du salarié, c’est-à-dire au moment où ses moyens financiers se réduisent ; c’est en outre aléatoire car s’il fait faillite la taxe n’est jamais recouvrée ; cette solution est enfin fortement combattue au motif que les coûts de sortie de l’emploi dissuadent l’embauche ;
  • Taxer en cours de contrat reste donc la meilleure solution. Ce que vise une taxe déportée vers les durées courtes de contrat, c’est de limiter les hautes fréquences de ruptures injustifiées[9].

L’objectif étant de taxer les durées effectivement courtes, en évitant les effets de seuil, une taxe d’autant moins importante que le contrat s’inscrit dans la durée apparaît adaptée au besoin.

Il reste qu’une entreprise jeune et/ou en période de forte expansion de ses effectifs est par nature surexposée à une taxe sur les contrats récemment signés, car ceux-ci représentent une fraction transitoirement élevée de sa masse salariale. Dans ce cas, le coût du travail est effectivement élevé, même si cela est parfaitement compatible avec la fonction de l’assurance chômage[10].

Pour qu’une taxe sur les CDD devienne une taxe à l’embauche il faudrait néanmoins que ces contrats représentent une très forte proportion de la masse salariale de l’entreprise. En moyenne la masse salariale des contrats à « durée limitée » représente environ 11,2% de la masse salariale totale soumise à cotisations Unedic[11]. On peut l’illustrer avec les exemples chiffrés dans les tableaux 1 et 2. Une entreprise ayant une masse salariale de CDD comprise entre 0% et 13,5% de sa masse salariale totale gagnerait à un nouveau barème de cotisation tel que celui proposé dans le graphique 1 : une entreprise de 10 salariés (120 mois ETP par an) qui conclurait dans l’année 15 contrats de 1 mois, taxés au taux le plus élevé ne verrait pas son coût du travail accru par rapport au barème actuel, puisque le taux moyen de cotisation à l’assurance chômage baisserait de 4,33% ex-ante à 4,26% ex-post (tableau 1).

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Ce n’est qu’au-delà de 13,5% que ce nouveau barème commence à être coûteux. Mais même si un employeur utilise des contrats courts dans des proportions très importantes (50% dans les exemples du tableau 2, soit plus de 4 fois le taux moyen observé) l’augmentation du taux de cotisation à l’assurance chômage reste relativement modérée (+1,05% si tous les contrats courts durent 1 mois, +1,6% s’ils ont une durée de 3 mois, et 1,25% s’il s’agit de contrats de 12 mois).

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Différentes solutions peuvent être imaginées pour atténuer l’effet de « taxe à l’embauche » d’une telle modulation des contributions. Par exemple :

  • Offrir un abattement à la base de x euros par entreprise sur les cotisations d’assurance chômage : ainsi l’assureur établit un plancher à la sur-taxation pour les employeurs qui font un usage limité des contrats courts, et comme le montant de l’abattement est défini par entreprise, ce sont les plus petites qui sont les plus favorisées. Un abattement à la base de 400 euros par an et par entreprise permettrait ainsi de neutraliser la plupart des effets d’une surtaxe des contrats courts pour une entreprise en forte croissance ayant les caractéristiques simulées dans le tableau 2 ;
  • Offrir une exonération de la surtaxe pour les x premiers emplois créés chaque année (ou depuis la création de l’entreprise, ou à partir de la date du premier emploi créé), quelle que soit leur durée, ce qui a des effets très proches de la mesure ci-dessus mais en limite le champ aux nouveaux emplois, ce qui est moins coûteux ;
  • Offrir à chaque employeur le choix entre le barème dégressif en fonction de la durée du contrat et une taxation uniforme de toute la masse salariale, comme aujourd’hui. Ce taux uniforme devrait être suffisamment élevé pour ne jamais coûter à l’assureur, ce qui aurait l’avantage de faire ressentir à tous les employeurs concernés combien la taxation uniforme actuelle (4%) peut apparaître élevée à l’immense majorité des employeurs qui n’utilisent pas les contrats courts de manière excessive.

L’avantage d’une exonération forfaitaire par entreprise (et non par emploi) est qu’il est inutile de créer un seuil destiné à la plafonner pour les entreprises les plus grosses dont les moyens sont plus élevés et qui ne sont pas exposées à l’effet de taxe à l’embauche.

L’incitation à l’allongement des contrats que constitue une taxe modulée en fonction de leur durée effective ne doit cependant pas être totalement annulée : entre des TPE concurrentes il n’y a aucune raison que l’assurance chômage favorise celles qui minimisent leurs propres risques en recrutant sur des contrats très courts. L’assureur a tout intérêt à « récompenser » les employeurs qui endosse un risque accru en facturant un coût du travail moindre.

Ces aménagements pourraient être financés par la suppression de l’exonération temporaire de cotisation d’assurance chômage ciblée sur les jeunes embauchés en CDI, instaurée en 2013. Cette disposition s’accompagne d’effets d’aubaine particulièrement élevés et, dans la mesure où elle ne s’adresse pas seulement à des jeunes indemnisés, elle relève d’une politique publique, utile dans la mesure où ces emplois s’avèreraient (très) durables, mais qui n’est pas dans la mission première de l’assureur. En revanche trouver les moyens de réduire l’usage disproportionné des contrats courts sans pour autant nuire à la création d’emploi est parfaitement en adéquation avec l’intérêt et avec la mission de l’assureur.

 

 

[1] Il faut toujours avoir à l’esprit que « les assurés » sont à la fois les entreprises (qui sont ainsi couvertes contre l’externalité que représente le coût du chômage qu’elles pourraient engendrer), et les salariés, qui sont couverts contre la perte de leur revenu.

[2] Aux Etats-Unis seules les entreprises paient des cotisations d’assurance chômage ; les salariés n’y cotisent que dans deux Etats.

[3] Ou tout au plus des fluctuations conjoncturelles courtes comme l’indique la durée maximale des droits (6 mois). Le chômage issu de chocs économiques plus importants (conjoncturels ou structurels) est pris en charge par des dispositifs d’extension de droits financés sur crédits budgétaires des Etats ou de l’Etat fédéral.

[4] Prestations servies excédant de manière importante les contributions payées.

[5] Le minimum légal est de 7000 US$ par an.

[6] A la différence des Etats-Unis les salariés français cotisent à l’Unedic, à hauteur de 37,5% de ses ressources.

[7] 8,77 Md€ par an (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).

[8] Cette mesure a été décidée dans le cadre de l’accord interprofessionnel de janvier 2013 et non dans celui d’une renégociation de la convention d’assurance chômage.

[9] Injustifiées non au regard d’un jugement de valeur, mais en raison du fait que ces surcoûts relèvent de choix productifs qui sur des marchés concurrentiels peuvent et doivent être imputés dans les prix de vente (clients) ou les taux de marge (actionnaires) (cf. ci-dessus).

[10] La théorie montre que la présence d’une assurance chômage favorise la croissance économique entre autres parce qu’elle permet à des entreprises nouvelles d’offrir des emplois risqués, que les salariés acceptent d’autant plus volontiers qu’ils sont bien assurés. Voir par exemple Albrecht & Axell (1984) « An equilibrium model of search unemployment », Journal of Political Economy, Vol.92 n°5. Axell & Lang (1990) « The effect of unemployment compensation in a general equilibrium with search unemployment » Scandinavian Journal of Economics, Vol. 92 n°4.

[11] Calcul sur données Unedic (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).




Fiscalité des ménages et des entreprises : à la recherche d’un consensus

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

De 2010 à 2013, les prélèvements obligatoires en France ont augmenté de 60 milliards d’euros (soit de 3 % du PIB). La France se place au deuxième rang mondial pour le taux de prélèvements obligatoires. Un consensus semble exister pour estimer que la fiscalité française est non seulement lourde mais aussi injuste, compliquée et opaque. À la suite des mouvements de protestation liés à la mise en place de l’écotaxe, et plus généralement, de la hausse d’un sentiment de ras-le-bol fiscal, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a annoncé, le 19 novembre 2013 qu’il mettait en chantier une grande réforme fiscale. En 2014, le gouvernement a organisé des Assises de la fiscalité des entreprises et a mis en place un groupe de travail sur la fiscalité des ménages. Des mesures de baisses d’impôts ou de cotisations sociales ont été annoncées, sans pour autant prendre la forme d’une grande réforme fiscale, leur contrepartie étant des baisses de dépenses publiques non précisées.

Quels devraient être les contours d’une grande réforme de la fiscalité française ? Peut-on dégager des consensus entre économistes ? Peut-on faire la part de choix politiques qui appartiennent aux citoyens (comme le degré de progressivité de l’impôt, son caractère familial ou individuel), de choix de stratégie macroéconomique (la politique de l’offre versus celle de la demande), de débats plus techniques (Existe-t-il un double dividende ecologie/emploi ? Faut-il privilégier l’impôt unique ou maintenir de nombreux impôts incitatifs ?) ?

L’ensemble de ces questions fait débat au sein de la société mais aussi entre économistes. Aussi, dans le cadre de sa mission d’animation du débat public en économie, l’OFCE a-t-il organisé le 20 mai 2014 une conférence de consensus pour faire dialoguer économistes et fiscalistes et chercher à dégager des points d’accords et expliciter les désaccords. La Note de l’OFCE (n°45 du 26 septembre 2014) publie le compte-rendu des débats de  cette journée. Le premier a porté sur la fiscalité des entreprises, qu’il faut sans doute rendre moins  lourde et moins compliquée. Le deuxième sur la fiscalité écologique, qui doit impérativement monter en puissance. Le troisième sur la fiscalité des ménages dont la complexité actuelle masque l’importante redistributivité, de sorte qu‘une réforme simplificatrice serait utile, même si elle ne peut se traduire par des changements importants dans le degré de progressivité de l’impôt. Enfin, le dernier débat a exploré les enjeux de la fiscalité des revenus du capital  dont le rôle redistributif limite fortement les possibilités d’ajustement.




Après la décision du Conseil constitutionnel, l’impossible fusion RSA-PPE

Par Henri Sterdyniak

En juin 2014, le gouvernement avait fait voter par le parlement une nouvelle disposition prévoyant la dégressivité des cotisations sociales salariés, afin d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés à bas salaires. Ainsi, un salarié payé au SMIC aurait bénéficié d’une réduction de 3 points de cotisations, soit un gain de 43 euros par mois, correspondant à une hausse de 4% de son salaire net. La ristourne devait ensuite diminuer avec le niveau de salaire horaire pour s’annuler à 1,3 fois le SMIC. Le 6 août 2014, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer cette disposition. Cette censure est bienvenue pour trois raisons.

Comme le fait remarquer le Conseil constitutionnel, les cotisations salariés financent des prestations de retraites ou de remplacement, d’assurances sociales, réservées aux personnes ayant cotisé, et qui dépendent des cotisations versées. La mesure aurait brisé la logique contributive du système puisque des salariés auraient ainsi eu la possibilité de percevoir des droits sans avoir pleinement cotisé[1]. Le Conseil constitutionnel souligne la spécificité des cotisations sociales contributives et rappelle ainsi un principe sain de notre système de sécurité sociale. Il faut cependant remarquer que le Conseil constitutionnel ne s’était pas opposé aux mesures d’exonérations de cotisations sociales employeurs portant sur les cotisations retraite dont la logique est également contributive. Par contre, les exonérations de cotisations maladie ou famille sont plus légitimes puisque ces cotisations n’ouvrent pas de droits individuels. Mais, il n’est jamais trop tard pour corriger ses oublis.

La nouvelle mesure prévue par le gouvernement aboutissait une nouvelle fois à réduire les ressources propres de la Sécurité sociale. Les exonérations de cotisations sociales sont devenues la plus grande arme contre le chômage au détriment de l’objet même des cotisations : financer la Sécurité sociale. Certes, l’Etat aurait compensé ces exonérations, mais la Sécurité sociale aurait dépendu encore plus de transferts publics d’autant que cette mesure s’ajoutait, pour les seules années 2013 et 2014, à l’extension des réductions de cotisations sociales employeurs et aux transferts des ressources issues de la fiscalisation des majorations familiales de retraite et de la baisse du quotient familial.

Enfin, cette exonération aurait introduit une nouvelle complication pour les fiches de paie. Celles-ci comportent déjà une vingtaine de lignes de cotisations. De plus, les employeurs doivent calculer des exonérations de cotisations employeurs dégressives de 28 points au niveau du SMIC jusqu’à 1,6 fois celui-ci, auxquelles s’ajoute le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) de 6 % pour les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. A partir de 2016, les cotisations familiales seront abaissées de 1,8 point pour les salaires inférieurs à 3,5 fois le SMIC. Fallait-il rajouter une nouvelle dégressivité, avec un nouveau plafond, de 1,3 fois le SMIC ?

Malgré cette censure, le gouvernement ne renonce pas à son objectif. Ainsi, dans un article du Monde daté du 21 août 2014, le Président François Hollande a-t-il annoncé une réforme « qui fusionnera la Prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu de solidarité active (RSA) pour favoriser la reprise du travail et améliorer la situation des travailleurs précaires ». Une telle réforme permettrait-elle de remplir l’objectif du président ? Pour répondre à cette question, il est utile de revenir sur les dispositifs existants.

L’état des lieux

La France a mis en place un système particulièrement compliqué qui vise deux objectifs en partie contradictoires : aider les familles pauvres et inciter les travailleurs non-qualifiés à travailler.

L’aide aux ménages les plus pauvres comprend le RSA (un revenu minimum familialisé), la PPE (une allocation individualisée visant à inciter à l’emploi), les allocations-logement (une allocation familialisée) et des prestations familiales sous conditions de ressources (complément familial, allocation de rentrée scolaire). Malgré les efforts de Martin Hirsch, son promoteur, le RSA n’englobe pas la PPE et les allocations-logement. Il se compose d’une allocation de base : le RSA-socle (un revenu minimum, qui dépend de la composition familiale), qui est réduit de 38  euros pour 100 euros de revenu d’activité. Le RSA est versé mensuellement sur la base d’une déclaration trimestrielle de revenu. La PPE est, elle, versée automatiquement sur la base de la déclaration d’impôt sur le revenu, avec un an de décalage. Le RSA s’impute sur la PPE, de sorte qu’un ménage qui ne demande pas le RSA touche automatiquement la PPE.

Trois dispositifs visent spécifiquement à inciter à l’emploi les travailleurs à bas-salaires : les exonérations de cotisations employeurs qui diminuent le coût du travail au niveau du SMIC ; la PPE et le RSA qui augmentent le gain à l’emploi des travailleurs non-qualifiés.

Un célibataire payé au SMIC a droit à la PPE, mais pas au RSA (tableau 1). Il coûte 1 671 euros à son entreprise (pour 35 heures de travail) ; son salaire supporte 540 euros de cotisations, chômage ou retraite, représentant des salaires différés ; il reçoit un transfert net de 140 euros (PPE + allocation logement – CSG-CRDS –  cotisations maladie et famille) ; son revenu disponible est de 1 271 euros. Il ne supporte donc aucune charge fiscale nette ; son assurance maladie lui est offerte. Les exonérations de cotisations employeurs sont supérieures aux cotisations non-contributives. En jouant de l’ensemble des dispositifs existants, il est possible de dissocier le niveau de vie assuré aux travailleurs au SMIC du coût de leur travail.

Par contre, une famille mono-active (tableau 2) bénéficie du RSA tant que les revenus salariaux du ménage ne dépassent pas 1,65 fois le SMIC (tableau 2). Le RSA augmente les revenus des ménages les plus pauvres, il accroît les gains à l’emploi du premier actif, mais réduit un peu celui du deuxième (tableau 3). La PPE bénéficie à des familles bi-actives qui sont au-delà du seuil de pauvreté (défini comme 60 % du revenu médian).

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Les limites du système actuel

L’allègement des cotisations employeurs ; la PPE et le RSA créent une catégorie de salariés mal payés, dont les hausses de salaires sont très coûteuses pour l’employeur et peu rentables pour le salarié. Une hausse de 10 % du salaire d’un travailleur au SMIC (145 euros) coûte 242 euros à l’entreprise et rapporte 53 euros au salarié. Les entreprises sont incitées à créer des emplois non-qualifiés spécifiques, sans possibilité d’évolution pour les salariés, coincés dans une trappe à bas salaires. La réduction des cotisations sur les bas salaires ne favorise pas l’emploi de travailleurs qualifiés qui connaissent eux aussi un certain chômage. Les emplois créés ne correspondent pas à la qualification croissante des jeunes. Il serait donc nécessaire de revoir la cohérence de l’ensemble du dispositif. Pour autant, la persistance d’une masse importante de travailleurs non-qualifiés et la volonté de ne pas faire baisser le niveau de vie des travailleurs pauvres ne permettent guère actuellement de prendre le risque de supprimer les dispositifs existants.

Le calcul de la PPE est compliqué ; son versement intervient avec une année de retard, de sorte que son effet incitatif est sans doute très faible. Cette prime bénéficie à des salariés au-delà du seuil de pauvreté plutôt qu’aux familles les plus pauvres. En même temps, sa suppression diminuerait de 6% le niveau de vie des smicards, ce qui n’est pas envisageable.

Le taux de non-recours du RSA-activité est très important (de l’ordre de 68 %)[2]. Les travailleurs à bas salaires refusent d’être soumis à un suivi permanent pour toucher une prestation d’un montant relativement réduit. En raison de l’effet de stigmatisation dont sont victimes les titulaires du RSA, ils ne veulent pas être confondus avec des bénéficiaires du RSA-socle.

Le RSA fournit une allocation de l’ordre de 110 euros par enfant aux familles avec 1 ou 2 enfants au niveau du SMIC, allocation qui comble un manque de notre système, qui était peu généreux pour les familles de travailleurs pauvres. Mais cette allocation n’est pas versée aux familles de chômeurs. Il faudrait verser ces 110 euros sous forme d’un complément familial à toutes les familles pauvres avec 1 ou 2 enfants (celles à 3 enfants et plus ayant déjà un complément familial et des allocations plus généreuses) quelle que soit l’origine des revenus.

Le RSA n’est pas versé aux jeunes de moins de 25 ans alors que ceux-ci ont des difficultés particulières d’insertion.

Que faire ?

La France ayant déjà un grand nombre d’allocations et de prélèvements, il est possible de cibler précisément la mesure selon l’objectif visé. Plusieurs mesures sont envisageables :

Augmenter les prestations familiales

Si l’objectif est d’augmenter le pouvoir d’achat des familles pauvres, le plus simple est d’augmenter nettement les prestations familiales et l’allocation logement. Au contraire, le gouvernement a décidé de suspendre leur indexation en 2014 ou en 2015, leur infligeant ainsi des pertes de pouvoir d’achat, heureusement limitées par la faiblesse de l’inflation. Mais, la doctrine dominante aujourd’hui est qu’il faut inciter à l’emploi, donc augmenter les salaires nets plutôt que les prestations.

Baisser l’impôt sur le revenu

Les familles pauvres ne payant pas d’impôt sur le revenu, une baisse de celui-ci ne peut les concerner.

Rendre la CSG progressive

Comme le montre le tableau 1, un travailleur au SMIC paie 114 euros de CSG-CRDS et reçoit 79 euros de PPE. Ne pourrait-on compenser la suppression de la PPE en rendant la CSG progressive, ce qui permettrait d’exonérer les travailleurs au SMIC et d’augmenter le salaire perçu chaque mois par les smicards ? Avec justesse, le Conseil constitutionnel considère que tout impôt progressif doit être familialisé et doit prendre en compte l’ensemble des revenus de la famille. Une vraie progressivité de la CSG est donc pratiquement impossible à mettre en œuvre puisque les employeurs et organismes financiers devraient connaître la situation familiale de leurs salariés ou clients et l’ensemble de leurs revenus, donc refaire chacun le travail du fisc. Cela n’aurait de sens que dans le cadre d’une fusion CSG-IR, qui n’est pas envisageable à court terme.

Aussi, ne peut-on envisager qu’une progressivité réduite. Chacun aurait droit à un abattement de l’ordre de 1 445 euros par mois sur le montant de revenu soumis à la CSG-CRDS ; le conjoint sans ressources propres pourrait transmettre son droit à abattement à l’autre conjoint ; les enfants à charge donneraient droit à un abattement de moitié. En contrepartie, la PPE serait supprimée ; les retraités et les chômeurs pourraient être soumis à la même CSG que les salariés. Mais le coût de l’abattement serait énorme et il faudrait en contrepartie faire passer à 15% le taux de la CSG sur les revenus supérieurs à l’abattement. Il faut donc abandonner cette piste.

La fusion de la PPE et du RSA

La fusion de la PPE et du RSA est la piste proposée par le Président de la République. Mais, le diable est dans les détails : comment réaliser cette fusion ?

En 2013, le rapport du député Christophe Sirugue avait proposé une réforme consistant à créer une Prime d’activité qui remplacerait le RSA-activité et la PPE (voir l’analyse critique de Guillaume Allègre : Faut-il remplacer le RSA-activité et la PPE par une Prime d’activité ? Réflexions autour du rapport Sirugue, 2013) Mais, comme le RSA-socle persisterait, les familles à très bas salaires devraient solliciter deux allocations : le RSA-socle et la Prime d’activité. Le système serait compliqué pour elles. Le barème de la prime d’activité prévu dans le rapport Sirugue était arbitraire, avec des pentes et un pic à 0,7 SMIC qui n’avaient aucune justification. Le système était ainsi plus compliqué et plus arbitraire que celui du RSA et n’apportait pas d’améliorations fortes par rapport au système existant. La mesure proposée était coûteuse pour les familles mono-actives (certaines perdaient 10% de revenus). Le risque était que la prime d’activité souffre du même taux de non-recours que la PPA et que certaines familles perdent la PPE sans vouloir recourir à la Prime d’activité[3].

Une fusion qui aboutirait à une prestation familialisée versée par la CAF ferait courir le risque d’un taux élevé de non-recours et ferait des perdants parmi les ménages bi-actifs avec enfants. Une fusion qui aboutirait à une allocation versée sur la fiche de paie ne prendrait pas en compte les enfants et le conjoint, nuirait aux travailleurs à temps partiel et poserait des questions de cohérence avec le RSA socle.

Bref, la fusion est une piste délicate (sinon impossible) à mettre en œuvre.

Augmenter le SMIC[4]

Si l’objectif est d’augmenter le niveau de vie des salariés à bas salaires, la mesure évidente est d’augmenter le SMIC. Une hausse d’environ 10% permettrait de supprimer la PPE et de fournir aux smicards une hausse de revenu équivalente à celle qu’aurait procurée la mesure censurée par le Conseil constitutionnel. Certes, on renoncerait à aider spécifiquement les emplois à temps partiel, comme le fait la PPE, mais cette aide spécifique est trop compliquée pour avoir le moindre effet incitatif. Une hausse du salaire net est sans doute préférable.

Il faut cependant souligner qu’une augmentation du SMIC ne bénéficierait pas assez aux familles pauvres avec un ou deux enfants, en particulier aux familles de chômeurs, Il faudrait alors aider spécifiquement les familles de travailleurs pauvres (entre le RSA-socle et 2 fois le SMIC), en introduisant un complément familial de l’ordre de 80 euros pour un enfant, de 160 euros pour deux enfants

Le RSA-activité doit être maintenu, puisqu’il permet que toute activité se traduise effectivement par une hausse du revenu disponible mais son rôle serait réduit et, grâce à l’extension du complément familial, le non-recours aurait moins de conséquences pour les familles avec enfants.

Par ailleurs, il  faudrait créer une allocation d’insertion, du montant du RSA, pour les jeunes à la recherche d’un emploi, n’ayant pas de droit à l’indemnité chômage, allocation soumise à des cotisations retraites.

Reste que, dans la situation actuelle, où la baisse du coût du travail est un des axes majeurs de la politique gouvernementale, on ne peut augmenter le coût du travail non-qualifié, de sorte que deux modalités sont possibles.

Soit, la compensation pour les employeurs se fait par une hausse des exonérations de cotisations sur les bas-salaires (qui devraient passer de 28 à 34,6%), ce qui n’introduit pas un dispositif supplémentaire. Mais, les exonérations de cotisations employeurs porteront sur des cotisations contributives, ce qui pourrait susciter l’ire du Conseil constitutionnel.

Soit, la hausse du SMIC se fait par une PPE figurant sur la fiche de paie, celle-ci étant explicitement reconnue comme prime, ce qui implique que le taux de prélèvement obligatoire augmentera, mais aussi que le Conseil constitutionnel ne pourra s’y opposer, avec l’inconvénient que la prime sera dégressive avec le niveau du salaire horaire, donc représentera une charge administrative supplémentaire pour les entreprises.

On le voit, il n’y a pas de solutions simples.

 

 


[1] Le Conseil écrit :  «  un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ; que, dès lors, le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d’un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l’objet des cotisations salariales de sécurité sociale ».

[2] Selon P.  Domingo et M. Pucci, 2012, « Le non-recours au revenu de solidarité active et ses motifs », annexe n° 1 du rapport du Comité national d’évaluation du Rsa.

[3] Le Rapport sur la fiscalité des ménages de François Auvigne et Dominique Lefebvre, 2014, pointe lui-aussi les déficiences du projet.

[4] C’est déjà la stratégie préconisée par Allègre (2014).




Quelle réforme pour les allégements de charges sociales?

Par Mathieu Bunel, Céline Emond, Yannick L’Horty

 

Plus de 20 milliards d’euros sont dépensés chaque année par l’Etat pour compenser les exonérations générales de cotisations sociales, ce qui en fait la première des politiques pour l’emploi en France, tant en termes de masse budgétaire que d’effectifs concernés, avec plus d’un salarié sur deux qui bénéficie des baisses de cotisations sociales. En ces temps de fortes tensions budgétaires et de montée inexorable du chômage, on peut s’interroger sur la soutenabilité d’un tel dispositif dont le barème, unifié par la réforme Fillon de 2003, consiste en une réduction dégressive avec le niveau du salaire jusqu’à s’éteindre à 1,6 Smic. Cette réduction est de 26 points de cotisations au niveau du Smic (28 points pour les entreprises de moins de 20 salariés).

Dans notre article publié dans la Revue de l’OFCE (Varia, n° 126, 2012), nous proposons d’évaluer à l’aide des données les plus récentes et les plus adaptées à cet exercice les effets d’une suppression totale des exonérations générales et de plusieurs réformes partielles des barèmes d’exonérations de cotisations sociales. Selon nous, la suppression pure et simple de l’ensemble des exonérations générales conduirait à une destruction de l’ordre de 500 000 emplois. Nous explorons également les effets de réaménagement des barèmes d’exonération en balayant un grand nombre de possibilités affectant les différents paramètres qui définissent le dispositif d’exonération. Dans tous les cas, une réduction du montant des exonérations aurait des effets négatifs sur l’emploi mais l’ampleur des pertes d’emplois varierait du simple au double selon les modalités de la réforme envisagée. Pour obtenir l’effet le moins négatif, il faudrait que les réductions d’exonération épargnent les secteurs d’activité les plus intenses en main-d’œuvre, ce qui revient à privilégier les barèmes d’exonération les plus ciblés sur les bas salaires. Tant que l’objectif est bien d’améliorer les chiffres du chômage, il importe de concentrer les exonérations sur les plus bas salaires et partant, d’avantager les secteurs les plus riches en main-d’œuvre.

Pour autant, une exonération trop concentrée au voisinage du Smic augmente le coût pour les employeurs des hausses de salaire, ce qui n’est favorable ni au pouvoir d’achat ni à la qualité des emplois qui conditionnent l’emploi de demain. Un nouvel équilibre peut toujours être recherché, pour répondre à l’urgence budgétaire, mais pour être pérenne, il doit être favorable à l’emploi d’aujourd’hui sans négliger celui de demain.




Remplacer la PPE par un allègement de cotisations sociales salariales sur les bas salaires

Guillaume Allègre

Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remplacer la Prime pour l’emploi (PPE) par un allègement de cotisations sociales salariales sur les salaires compris entre 1 et 1,3 Smic. L’allègement de cotisations pèserait 4 milliards d’euros et bénéficierait à 7 millions de travailleurs modestes. Le gain annoncé (un peu moins de 1 000 euros par an) serait nécessairement dégressif. La suppression de la PPE (2,8 milliards d’euros selon le Projet de loi de finances 2012, p. 76) serait complétée par une hausse des prélèvements sur les revenus financiers.

Cette proposition ressemble fort à la proposition initiale du gouvernement Jospin en 2000 prévoyant un abattement sur la Cotisation sociale généralisée (CSG) des revenus du travail en dessous de 1,4 Smic. Cette réforme, adoptée par le Parlement, avait été censurée par le Conseil constitutionnel car la baisse de la CSG accordée aux revenus modestes ne dépendait que des salaires individuels et non pas de la situation familiale. La CSG étant assimilé à un impôt, le Conseil avait jugé que sa progressivité devait tenir compte de la faculté contributive du contribuable et donc de ses charges familiales. Afin de répondre à cette censure, le gouvernement Jospin a créé un nouvel instrument, la Prime pour l’emploi, ayant les mêmes propriétés que l’abattement de CSG, mais dont le calcul dépend, en très faible partie, de la situation familiale (plafond de ressources élevé au niveau du foyer, et majoration résiduelle pour enfant). Mais contrairement à un abattement de CSG, l’effet de la PPE n’apparaît pas sur la fiche de paie : la prime est calculée à partir des déclarations d’impôt sur le revenu et réduit l’impôt dû par les foyers ; les foyers ne payant pas d’impôt reçoivent un chèque du Trésor. Par conséquent, la Prime pour l’emploi est perçue avec un décalage d’un an. La Prime pour l’emploi, votée sous le gouvernement Jospin, a été augmentée sous les gouvernements Raffarin et Villepin. En 2008, son poids était de 4,5 milliards d’euros (PLF 2010, p. 53). Un salarié à temps plein au Smic touchait alors 1 040 euros par an. Elle a ensuite été gelée par le gouvernement Fillon et son poids est passé de 4,4 à 2,8 milliards d’euros entre 2008 et 2012, soit une baisse d’1,7 milliards d’euros sous l’effet à la fois du gel et de la déductibilité du RSA-activité des primes versées de PPE. En 2012, un salarié à temps plein au Smic ne touche plus que 825 euros annuels. De plus, l’absence de coup de pouce au Smic a fortement réduit le nombre de foyers éligibles au taux plein (ainsi que le nombre de salariés éligibles au taux plein des allègements de cotisations patronales). Cet effet s’ajoute à l’effet de la hausse du chômage qui réduit le nombre de salariés éligibles. Un dispositif de 4 milliards, dont le gain maximal serait d’un peu moins de 1 000 euros, pèserait un peu moins que la PPE en 2008. Si l’on rajoute le coût du RSA-activité (1,6 milliards en 2012) et que l’on tient compte du coût des dispositifs antérieurs d’intéressement au RMI et à l’API (600 millions), on conclut que ces divers dispositifs de soutien aux salariés modestes pèseraient 5,6 milliards en 2012 contre 5,1 milliards en 2008, soit une augmentation à peine supérieure à l’inflation : les nouvelles politiques proposées depuis 2008 sont essentiellement financées par redéploiement d’instruments bénéficiant aux mêmes publics.

Le remplacement de la Prime pour l’emploi par un allègement de cotisations serait une avancée en termes administratifs puisque les pouvoirs publics cesseraient de prélever une cotisation pour reverser un crédit d’impôt plus faible aux mêmes personnes 6 à 12 mois plus tard. Le bénéfice de l’allègement de cotisations serait immédiat et fortement lié à l’emploi. Le fait que les salariés modestes sont des contributeurs et non des bénéficiaires de l’aide sociale serait clarifié. Les propositions de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu (dont la PPE est un élément) poursuivent exactement le même objectif. Cette réforme pose tout de même plusieurs questions. Comment réagirait le Conseil constitutionnel s’il était saisi ? Les salariés travaillant à temps partiel bénéficient aujourd’hui d’une majoration de Prime pour l’emploi ; serait-elle reconduite ?




TVA « sociale », antisociale ?

par Jacques Le Cacheux

Evoquée à nouveau par le Président de la République le 31 décembre lors de ses vœux, la perspective d’instaurer une « TVA sociale » fait, une nouvelle fois, polémique. Alors que le MEDEF a inclus cette mesure dans une série de propositions de modification de la fiscalité destinée à redonner à la France de la compétitivité, la gauche y est majoritairement opposée, voyant dans cette « TVA sociale » un oxymore, une mesure antisociale, vouée à amputer le pouvoir d’achat des consommateurs et frappant de manière disproportionnée et injuste les plus modestes d’entre eux. Mais de quoi parle-t-on et quelle est, du point de vue de la fiscalité sur la consommation, la situation de la France par rapport à celle, notamment, de ses principaux partenaires européens ?

La proposition d’instaurer une « TVA sociale »est, en réalité, la combinaison de deux mesures : augmenter la TVA, et affecter le surcroît de recettes publiques ainsi obtenu au financement de la protection sociale, en abaissant – en principe d’un même montant – les cotisations sociales. Les modalités de ces deux opérations peuvent, elles-mêmes, être très diverses : la hausse de la TVA peut concerner le taux normal (aujourd’hui à 19,6%), le taux réduit (aujourd’hui à 5,5%, mais récemment augmenté à 7% pour une série de produits et services), la création d’un taux intermédiaire, le passage au taux normal de certains produits ou services actuellement au taux réduit, etc. ; la baisse des cotisations sociales peut viser les cotisations patronales ou les cotisations salariés, être uniforme ou ciblée sur les bas salaires, etc. Autant de choix politiques possibles, dont les impacts distributifs ne sont pas les mêmes.

La France est aujourd’hui l’un des pays de l’UE dans lequel le taux implicite de taxation de la consommation est le plus bas (Eurostat). Son taux normal de TVA, ramené à 19,6% en 2000 après avoir été porté à 20,6% en 1995 pour contribuer au respect des critères de Maastricht alors que la récession de 1993 avait gravement creusé le déficit budgétaire, est désormais un peu inférieur à celui que pratiquent la plupart de nos partenaires, la dégradation actuelle des finances publiques ayant incité plusieurs pays européens à augmenter récemment leur taux normal de TVA. Le taux réduit, à 5,5%, était, jusqu’à l’augmentation décidée en décembre 2011 sur certains produits et services, le plus bas de l’UE.

Que peut-on attendre d’une TVA sociale ? Envisageons successivement les effets sur la compétitivité et ceux sur le pouvoir d’achat et distinguons les deux volets de l’opération. Une augmentation de la TVA a un effet bénéfique sur la compétitivité des entreprises françaises, parce qu’elle accroît le prix des importations sans grever les exportations, qui sont assujetties à la TVA du pays de destination. En cela, une augmentation de la TVA est bien équivalente à une dévaluation. Dans la mesure où la majorité de nos échanges commerciaux est réalisée avec nos partenaires européens au sein du marché unique européen, on peut considérer qu’il s’agit là d’une politique non coopérative. Certes, mais si tous nos partenaires recourent à ce type de dévaluation « interne » à la zone euro – rappelons que l’Allemagne a augmenté de 16% à 19% son taux normal de TVA en 2007 –, et que nous ne le faisons pas, cela équivaut à une appréciation réelle de « l’euro français ». Il serait sans doute préférable de viser une meilleure coordination fiscale en Europe, et de tendre vers des taux plus uniformes. Mais les circonstances ne s’y prêtent guère, et la menace d’une hausse de la TVA peut être un moyen d’inciter notre principal partenaire à plus de coopération sur ce dossier.

L’affectation des recettes obtenues à une réduction des cotisations sociales n’aura, quant à elle, d’effets bénéfiques additionnels sur la compétitivité que si elle engendre effectivement une baisse du coût de la main-d’œuvre pour les entreprises installées en France. Cela serait le cas si la réduction concerne les cotisations patronales, mais ne le serait pas si l’on abaisse les cotisations salariés.

Peut-on attendre un effet bénéfique sur l’emploi ? Oui, grâce à l’effet compétitivité au moins, mais qui en tout état de causes sera faible, sauf à imaginer une augmentation massive des taux de TVA. Celui de la baisse du coût du travail est moins clair, car les cotisations sociales patronales son déjà nulles ou faibles sur les bas salaires, qui constituent précisément, selon les études disponibles, les catégories de salariés pour lesquelles la demande est sensible au coût.

La baisse du pouvoir d’achat des ménages français ne risque-t-elle pas, en réduisant la consommation intérieure, d’annuler ces gains potentiels ? En partie peut-être, mais rien n’est moins sûr. En effet, l’augmentation de la TVA ne sera probablement pas intégralement et instantanément répercutée dans les prix de vente : dans le cas de l’Allemagne en 2007, la hausse des prix a été relativement faible et étalée dans le temps – ce qui signifie que ce sont les marges des producteurs ou des distributeurs qui absorbent une part de la hausse, l’effet bénéfique sur les entreprises s’en trouvant alors un peu réduit — ; en France, des travaux empiriques sur la hausse de 1995 montrent qu’elle n’a pas non plus été intégralement et immédiatement répercutée dans les prix ; et on se souvient, bien que l’on ne puisse s’attendre à une symétrie des effets, que la baisse de la TVA dans la restauration n’avait été que très peu répercutée dans les prix.

La hausse de la TVA serait-elle « antisociale », en frappant de manière disproportionnée les ménages les plus modestes ? Non ! Il faut en effet rappeler que les minima sociaux, le SMIC et les pensions de retraite sont indexés sur l’indice des prix à la consommation. Dès lors, sauf à imaginer que l’on gèle ces indexations – ce que le gouvernement vient de faire pour certaines allocations –, le pouvoir d’achat des bas revenus ne sera pas affecté, et seuls les salariés au dessus du SMIC et les revenus de l’épargne souffriraient d’une baisse de pouvoir d’achat si les prix à la consommation répercutaient la hausse de la TVA. Encore faut-il ajouter que, s’il y a un effet bénéfique sur l’emploi, certains chômeurs trouveront un emploi et la masse des salaires distribués augmentera, de sorte que l’effet dépressif sur la consommation souvent invoqué par les opposants à cette mesure ne saurait être que mineur, voire inexistant.

En bref, la TVA « sociale » ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. Comme pour toute réforme de la fiscalité, il ne faut certes pas en attendre le remède miracle contre le chômage, ni même un redressement massif de nos comptes extérieurs, même si elle participerait à l’amélioration de notre compétitivité-prix. Mais le rééquilibrage de nos prélèvements obligatoires, pour les faire porter davantage sur la consommation et moins sur le coût du travail doit être un objectif. Taxer la consommation est une bonne manière de procurer des ressources aux finances publiques dans un contexte de mondialisation, et la TVA, invention française adoptée par presque tous les pays, est une modalité commode de le faire, et de pratiquer, sans le dire, un forme de protectionnisme en détaxant les exportations. La TVA n’est, en revanche, pas un bon instrument de redistribution, car le recours à un taux réduit sur les produits de consommation courante profite finalement autant ou plus aux plus aisés qu’aux plus démunis, comme l’ont compris la plupart de partenaires européens, chez qui le taux réduit est soit inexistant (comme au Danemark) soit substantiellement plus élevé que chez nous (souvent à 10 ou 12%). Il est souhaitable de rendre le système fiscal français plus juste, mais il faut pour cela utiliser les instruments qui ont le pouvoir redistributif le plus fort et le mieux ciblé : les prélèvements directs – impôt sur le revenu, CSG, taxe d’habitation –, les transferts sociaux, voire certaines dépenses publiques (éducation, santé notamment). Ce qui manque au projet de TVA « sociale », c’est de s’inscrire dans une perspective globale de réforme fiscale qui redonne de la cohérence et de la justice à l’ensemble des prélèvements obligatoires.




Financement de la protection sociale : à la recherche d’une réforme miracle…

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Peut-on réformer le financement de la protection sociale pour renforcer la compétitivité des entreprises, sans nuire au pouvoir d’achat des ménages et des retraités ? La réponse est non, et nous expliquons ici pourquoi.

La France est le pays du monde où les cotisations sociales sont les plus fortes. Ceci s’explique par la générosité de son système de protection sociale. Le salarié français n’a pas à épargner pour sa retraite et sa santé. Il reçoit des prestations famille et chômage relativement généreuses. A revenu disponible donné, son salaire net peut ainsi être plus faible que dans les pays où il doit financer sa santé et sa retraite (ce qui compense la hausse  du coût salarial induit par les cotisations sociales employeurs). Depuis 1984, la part des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée a assez nettement diminué de sorte qu’on ne peut guère les accuser d’être responsables des pertes récentes de compétitivité de l’économie française.

Depuis 40 ans, le financement de la Sécurité sociale a donné lieu à de nombreuses études. Des réformes importantes ont été engagées : déplafonnement des cotisations ;  allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires ; suppression des cotisations maladie des salariés et création de la CSG ; mise en place de prélèvements sociaux sur les revenus du capital et du forfait social sur les rémunérations extra-salariales. En  2006-2007, le débat a rebondi : le remplacement de points de cotisations employeurs par une Contribution sur la Valeur Ajoutée (CVA), par une TVA sociale ou par une hausse de la CSG a été envisagé puis écarté, à la suite de plusieurs rapports administratifs.

Pour l’avenir, on peut rendre totalement indépendantes les questions de protection sociale et de compétitivité des entreprises en décidant que les éventuelles futures hausses de ressources porteront sur les cotisations sociales salariés (retraites) ou la CSG (maladie, famille) [1].

Les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite, allocation maladie de remplacement) reposent sur une logique contributive : les droits et les montants dépendent des cotisations versées. Ils doivent donc obligatoirement être financés par les revenus d’activité des personnes couvertes. Comment justifier que les personnes ayant eu de plus forts revenus reçoivent plus de prestations, sinon que par le fait qu’elles ont acquis ce droit par leurs cotisations ? Les cotisations salariés ne financent aujourd’hui que de telles prestations, ce qui rend impossible leur remplacement par des impôts (comme la CSG). Il ne serait, en effet, pas légitime de faire payer des cotisations chômage ou retraite aux retraités ou aux revenus du capital des ménages, puisque ces cotisations n’ouvriraient pas de droit.

Par contre, les prestations universelles (famille, maladie) devraient être financées par l’impôt. Pour des raisons historiques, ce principe n’est pas respecté en France où elles restent, en partie, financées par des cotisations employeurs. En novembre 2011, le Medef a relancé le débat. Son objectif récurrent est de faire diminuer les cotisations employeurs, famille et maladie, pour augmenter le profit et la compétitivité des entreprises françaises. Mais, ceci suppose de faire payer les ménages, ce que le Medef cherche à masquer.

Quatre projets sont sur la table. Les deux premiers, que le Medef récuse, n’amélioreraient pas la compétitivité globale des entreprises, mais pourraient favoriser l’emploi. Les deux autres supposent une baisse des revenus des ménages.

Instaurer une CVA consisterait à changer l’assiette des cotisations sociales de façon à taxer l’ensemble de la valeur ajoutée, donc aussi les machines au lieu de taxer seulement l’emploi. Les entreprises seraient incitées à ralentir la substitution du capital au travail ; les entreprises de main d’œuvre ne seraient plus défavorisées par rapport aux entreprises plus capitalistiques. Cette mesure a été rejetée en 2006 ; on lui a reproché de surtaxer l’industrie, de nuire à l’innovation. Mais les innovations qui consistent à remplacer des emplois par des machines sont-elles justifiées en situation de chômage de masse ?

La taxe carbone pourrait être utilisée pour réduire les cotisations employeurs. Ainsi, les entreprises seraient-elles incitées à utiliser moins d’énergie et plus de travail. Ceci ferait courir le risque de provoquer la délocalisation d’industries fortement émettrices de carbone. C’est une mesure nécessaire à terme, mais il faudra l’instaurer dans le cadre de l’UE et de l’OMC. Cette substitution suppose d’utiliser les ressources dégagées par l’instauration d’une taxe carbone pour réduire le coût du travail et non pour indemniser les ménages et les entreprises les plus frappés par la taxe ou pour financer les investissements en économies d’énergie en France ou dans les pays émergents (comme il est envisagé dans les négociations internationales).

Augmenter les taux de TVA et baisser les cotisations sociales employeurs (la TVA sociale) se traduiraient par une hausse des prix à la consommation. Même si les prix des produits français vendus en France restaient fixes (la hausse de la TVA compensant la baisse des cotisations que les entreprises répercuteraient en totalité), les prix des produits importés augmenteraient pour les consommateurs (en raison de la hausse de la TVA). La réforme ne serait pas payée par nos fournisseurs étrangers, mais bien par les ménages français qui devraient payer plus cher les produits importés. Au final, soit les salaires et les prestations augmenteraient à la suite de ces hausses de prix, ce qui ferait progressivement disparaître les gains immédiats de compétitivité ; soit, il faudrait bloquer salaires et prestations et imposer aux salariés et aux retraités d’accepter une baisse de pouvoir d’achat au nom de la compétitivité. Dans ce deuxième cas, les gains de compétitivité seraient durables, mais ils seraient obtenus au prix de pertes de pouvoir d’achat des ménages.

La mesure la plus transparente serait de baisser les cotisations employeurs et d’augmenter simultanément la CSG du même montant en disant clairement aux Français : « Acceptez des pertes de pouvoir d’achat pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises ». La hausse de la CSG devrait porter sur tous les revenus. On ne peut frapper spécifiquement les revenus du capital (qui viennent déjà d’être touchés par la hausse du prélèvement libératoire de 19 à 24%) ou les retraités (qui ne bénéficient pas de hausses de pouvoir d’achat). Mais comment garantir que les entreprises augmenteraient bien l’investissement et l’emploi en France ? La hausse de l’investissement et le gain en commerce extérieur compenseraient-ils la baisse inéluctable de la consommation ? Si elle était généralisée, cette politique de dévaluation déguisée, à l’allemande, nuirait à la demande et donc à la production, de la zone Euro. Chaque pays doit-il se lancer dans une stratégie d’exportation de son chômage ?

Le Medef[2] propose deux mesures. Une baisse de 4,5 points des cotisations salariés (en négligeant que ces cotisations financent des prestations contributives) serait compensée par une hausse de la CSG (qui devrait être de 3 points). La hausse de 2 % des salaires nets serait payée par une baisse de 5% des revenus du capital des ménages et de 3,3% des retraites (qui supporteraient les 2/3 du coût de la mesure)[3]. Une baisse de 7,5 points des cotisations employeurs serait compensée par une hausse de 5 points de la TVA ; la Medef précise que les entreprises seraient libres d’utiliser cette baisse pour réduire leurs prix, améliorer leurs marges ou augmenter les salaires. Par contre, il oublie que cette mesure sera fortement inflationniste, en tout état de cause du fait de la hausse du prix des importations et d’autant plus que les entreprises françaises augmenteraient leurs marges ou les salaires. Cette inflation diminuera le pouvoir d’achat des ménages, ce qu’il faudra compenser par des hausses de salaires et de retraites qui annuleront les gains de compétitivité.

On l’aura compris, il n’existe pas de réforme miracle du financement qui améliorerait la compétitivité des entreprises françaises sans dégrader le pouvoir d’achat des ménages.


 [1]Il serait aussi souhaitable de supprimer les niches sociales : faire passer de 8 à 30% le forfait social, qui frappe les éléments extra-salariaux des rémunérations, comme la participation, l’intéressement (ce qui rapporterait 4 milliards d’euros), taxer à la CSG les loyers implicites (8 milliards), mettre fin aux exonérations des heures supplémentaires (6 milliards) fourniraient 18 milliards de recettes à la Sécurité sociale.

[2] Nous discutons ici le troisième scénario  du « nouveau pacte fiscal et social pour la compétitivité de la France » proposé par le MEDEF le 15 novembre 2011 (http://www.medef.com/nc/medef-tv/actualites/detail/article/le-nouveau-pacte-fiscal-et-social-pour-la-competitivite-de-la-france.html).

[3] Cette première mesure n’a aucun effet sur la compétitivité des entreprises ; son objectif est de compenser la baisse du pouvoir d’achat des salariés qu’induirait la seconde, mais ceci se ferait au détriment des retraités qui subiraient une double peine : hausse de la CSG et inflation.




Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ?

par Eric Heyer

Parmi les mesures du plan d’économies annoncé le 24 août 2011 par le Premier ministre François Fillon, figure une modification du dispositif  de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales[1] en vigueur en France depuis le 1er octobre 2007. A cette occasion il nous semble intéressant de revenir sur les principales conclusions de différents travaux effectués à l’OFCE sur ce dispositif.

1 – Dans un article à paraître dans l’Oxford Review of Economic Policy[2], il est montré que ce dispositif aurait un impact différent sur l’économie selon la conjoncture en vigueur au moment de son application.

  • Dans un contexte économique favorable, la hausse de la durée du travail incitée par la baisse du coût du travail et la suppression des charges salariales semble appropriée. Certes celle-ci n’est pas financée (dégradation du déficit public) et son financement par une hausse des prélèvements en change radicalement la nature mais sans remettre toutefois en cause l’impact positif sur l’emploi et le chômage.
  • En revanche, cette mesure est mal adaptée à une situation conjoncturelle dégradée comme celle que connaît actuellement de l’économie française. Dans une telle conjoncture de chômage de masse, une augmentation de 1% de  la durée du travail a une incidence négative sur l’emploi (-58 000 à 5 ans et -87 000 à 10 ans). Le taux de chômage augmente légèrement (0,2 point à 5 ans, 0,3 point à 10 ans). Cette mesure a un impact faible sur la croissance (0,2 point à 5 ans et 0,3 point à 10 ans) et n’est pas financé : le déficit se dégraderait de 0,5 point à 5 ans (0,4 point à 10 ans).

2 – Cela corrobore les résultats d’une étude récente publiée dans Economie et Statistique[3]. Menée sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, les auteurs estiment qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 500 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les ¾ seraient des emplois intérimaires.

Ainsi, dans un contexte de grave crise économique, il semblerait que l’incitation à travailler plus ait nui à l’emploi, et notamment à l’emploi intérimaire.

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[1] Le gouvernement a décidé de réintégrer les heures supplémentaires dans le barème des allégements généraux de charges en maintenant les avantages fiscaux et sociaux spécifiques. Concrètement, cette mesure ne changera rien pour les salariés : la rémunération nette ne sera pas réduite et l’imposition ne sera pas alourdie. Quant aux employeurs, ils continueront à bénéficier des exonérations de charges au titre des heures supplémentaires déclarées mais verront leurs allégements de charges rabotés sur les bas salaires. Elle entrera en vigueur le 1er janvier prochain et générera d’après le gouvernement 600 millions d’euros de recettes de cotisations supplémentaires.

[2] Heyer É. (2011), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle : the case of taxe reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, à paraître.

[3] Cochard M., G. Cornilleau et É. Heyer (2011) : « Les marchés du travail dans la crise », Economie et Statistiques, n°438-440, juin.