Contrats courts : toutes les taxes ne se valent pas

par Bruno Coquet, OFCE et IZA

Les contrats courts sont utiles au bon fonctionnement de l’économie, mais en France leur développement combiné à leur raccourcissement (graphique 1) coûte cher à l’ensemble des agents économiques, alors même que la minorité d’entreprises qui en font un usage intensif ne supporte qu’une fraction marginale de ce coût.

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L’expérience montre qu’en France l’usage des contrats courts n’a pas été restreint par une réglementation juridique considérée comme particulièrement stricte. Il apparaît raisonnable de penser que si les employeurs utilisent massivement des contrats courts, ce n’est probablement pas parce qu’ils y sont contraints, mais parce qu’ils y ont intérêt. Il devient dès lors clair que c’est sur l’équation économique des entreprises utilisatrices qu’il faudrait chercher à peser, et non sur le droit. La théorie économique incline d’ailleurs à moduler le prix des différents contrats de travail en fonction des externalités qu’ils engendrent.

L’Etat pourrait donc taxer les contrats courts, mais l’intérêt de l’assurance chômage à moduler la tarification de ces contrats est encore plus fort et immédiat. En effet, l’assurance chômage est en première ligne face à ces changements, et ses règles ont beaucoup évolué pour mieux assurer les contrats courts s’y adapter. Mais l’assureur est confronté à un paradoxe : bien assurer les contrats courts crée des subventions croisées qui incitent à leur développement. Un fonctionnement optimal de l’assurance requiert donc aujourd’hui de moduler le prix des contrats de travail.

Différents leviers existent pour tarifer les contrats de travail, mais tous ne se valent pas : l’objectif doit être clair, et l’instrument approprié pour l’atteindre. Tous ne sont pas non plus adaptés aux problèmes français, qui appellent une règle lisible, légère à administrer, applicable à tous les contrats de travail et tous les secteurs (sans exception, y compris public), incitant les employeurs à faire des choix économes des deniers de l’assurance ; la tarification doit être contemporaine des comportements coûteux, mais ni punitive ni symbolique, n’augmentant pas le coût du travail, et ne visant pas à renflouer l’Unedic.

Dans un document de travail de l’OFCE, nous décrivons ces différents instruments de modulation du prix des contrats de travail, leurs avantages et inconvénients, dans l’absolu et par rapport à la situation française. Une taxe modulée par secteurs, et plus encore une taxe modulée par entreprise, apparaissent toutes deux inadaptées à résoudre le problème des contrats courts tel qu’il se présente actuellement en France. Elles pourraient même être contre-productives.

La cotisation dégressive en fonction de la durée du contrat de travail, assortie d’un forfait et d’une franchise, apparaît la formule la plus adaptée pour assurer la survie de l’assurance chômage dans un marché du travail marqué par l’usage croissant de contrats de travail toujours plus courts. Il est souhaitable d’assortir cette formule d’un système de forfait, destiné à réduire les incitations à créer des contrats extrêmement courts, et d’une franchise, destinée à ne pas peser sur le coût du travail des petites entreprises, notamment celles qui sont en forte croissance.

Nos simulations illustrent que des paramètres finement négociés peuvent déboucher sur un équilibre satisfaisant pour toutes les parties prenantes.

Pour en savoir plus : Bruno Coquet, La tarification des contrats courts : objectifs et instruments Sciences Po OFCE Working Paper, n°29, 2017-12-08.




Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?

Par Bruno Coquet

Le marché du travail français est fortement appuyé sur l’assurance chômage, pour de nombreuses raisons : le chômage est élevé, les salariés paient très cher leur assurance, mais aussi parce que la réglementation couvrant bien les salariés titulaires de contrats précaires, certains employeurs sont incités à reporter sur l’assurance chômage les coûts de la flexibilité contractuelle, qui devraient être facturés aux clients ou imputés aux actionnaires.

L’intervention de l’assurance chômage doit donc être ajustée afin de ne pas susciter de telles incitations, qui lui coûtent cher et accroissent le coût du travail. Pour ce faire c’est le coût du travail associé aux comportements coûteux pour l’assureur qui doit être augmenté, cependant que les taxes facturées aux employeurs faisant un usage raisonné des contrats courts devraient baisser.

Après avoir examiné les moyens que l’assureur doit mettre en regard de ces objectifs, nous proposons une formule de modulation des cotisations d’assurance chômage. Celle-ci tire les leçons de la sur-taxation en vigueur depuis 2013 ; plus générale, notre formule peut modifier de manière significative le coût des contrats très courts, tout en ayant des effets agrégés très modestes (et en particulier nuls sur le coût du travail agrégé) ; son éventuel effet négatif sur les embauches, en particulier dans les TPE/PME peut aisément être contrôlé

1 – Définir précisément l’objectif

1.1 – Règle générale : ne pas taxer, ni plus ni moins

Si l’on veut créer des emplois il est de bon sens de ne pas les taxer, ou plus exactement de minimiser les taxes qui pèsent sur le travail. Cela vaut dès la première heure de travail, quels que soient le niveau de salaire et les caractéristiques du contrat de travail (CDI, CDD, intérim, etc.).

Mais les modalités d’emploi peuvent cependant engendrer des effets indésirables, des transferts de coûts sur d’autres acteurs que les parties au contrat, des « externalités » qui peuvent justifier de prélever des taxes sur le travail : le financement des accidents du travail en constitue un bon exemple, mais aussi l’assurance chômage, la formation professionnelle, etc. Symétriquement le coût de certaines politiques publiques ne devrait pas être déporté vers des ressources qui n’ont rien à voir avec elles : la politique culturelle, dont le régime des intermittents du spectacle est un pilier, constitue un exemple emblématique d’un alourdissement indésirable du coût du travail.

Les systèmes mutualisés qui financent certaines politiques publiques, en particulier les assurances qui s’appuient sur la solidarité interprofessionnelle, ne devraient pas effectuer de la redistribution monétaire ou donner des subventions croisées en différenciant la tarification des assurés : le risque étant aléatoire, la règle est que chacun a l’obligation de s’affilier et paie des contributions identiques pour financer l’indemnisation de ceux pour lesquels le risque se réalise.

Par conséquent il n’existe pas de raison de taxer l’emploi quand il n’engendre pas d’externalités coûteuses, et il serait inique et inefficace de surtaxer certains assurés ou d’en exonérer d’autres.

1.2 – Règle de bonne gestion : décourager ce qui coûte cher

En revanche, dès lors que le comportement des assurés influence la probabilité de survenance des sinistres, ou le montant de l’indemnisation qui s’ensuit, l’assureur doit impérativement contrôler ces comportements qui accroissent ses dépenses (ce qui manifeste l’externalité).

Pour faire face à cette « sélection adverse » l’assureur peut, à court terme, choisir d’augmenter la taxe de droit commun facturée à tous les assurés. Mais cette option n’est pas tenable à long terme car elle encourage de plus en plus d’assurés à adopter les comportements coûteux pour l’assureur, en même temps qu’elle accroît les coûts de ceux dont le comportement est vertueux, car ce sont eux qui financent le surcroît de dépenses.

C’est en particulier le cas pour l’assurance chômage. Le chômage ne résulte pas seulement de causes macroéconomiques, cycles d’activité, ruptures technologiques, saisons, chocs exogènes, etc. Il relève également de choix productifs : ainsi une entreprise peut choisir de répondre à une demande saisonnière en stockant ses produits au fil des mois qui précèdent, quand sa concurrente augmentera sa production au dernier moment grâce à des contrats courts ; une autre peut choisir de répercuter dans son prix de vente le surcoût de l’embauche d’intérimaires pour répondre à une commande sporadique alors que sa concurrente rognera son taux marge pour bénéficier d’un chiffre d’affaires et d’un profit total accrus. Ainsi sur des marchés concurrentiels ce sont in fine les actionnaires ou les clients qui supportent les coûts associés aux choix productifs.

La présence d’une assurance chômage peut modifier ces choix : les entreprises utilisant les technologies de production flexibles qui externalisent le mieux les coûts de production vers le régime d’assurance sont avantagées, soit que leurs marges sont plus élevées, soit que leurs prix de vente plus faibles augmentent leur compétitivité et leur activité. Mais derrière le régime d’assurance chômage, qui paye pour le revenu ces chômeurs ? Une majorité d’entreprises qui n’ont rien à voir avec ces choix, ou – de manière plus problématique – des concurrentes plus vertueuses en termes de stabilité de l’emploi. En aucun cas il n’est optimal que ce soit l’assurance chômage, donc l’ensemble des assurés[1] qui supportent de tels coûts : cela signifie que l’assureur perturbe la concurrence sur le marché des biens dans un sens opposé à ce qu’est sa mission, puisque ce faisant il augmente le chômage et ses propres coûts.

Bien sûr le choix technologique et économique qui fait préférer à l’employeur l’usage de contrats courts ne résulte pas seulement de l’existence d’une assurance chômage. Cependant si l’assureur n’y prend pas garde ces comportements qui augmentent ses dépenses peuvent entraîner sa faillite, surtout si par mégarde il les encourage avec ses propres règles d’affiliation et d’indemnisation, comme c’est le cas de l’Unedic avec les contrats courts.

Une gestion rigoureuse de l’assurance chômage ne doit donc pas exclusivement s’intéresser au contrôle des dépenses. La tarification est un instrument à part entière, indispensable pour contrôler les comportements qui influencent la sinistralité.

2 – Définir précisément l’instrument

Taxer par principe, sans considération du problème que vise à résoudre la taxe, est un risque, pas une solution. La taxe vise à limiter soit le problème, soit ses conséquences, soit les deux.

2.1 – La taxe américaine a pour vocation de contrôler des problèmes américains

Une sur-taxation des entreprises faisant un recours excessif à l’assurance chômage est pratiquée aux Etats-Unis. Cette réglementation est souvent citée en exemple. Mais ce système est spécifique à plusieurs titres, ce qui rend sa transposition aléatoire :

  • Son objectif. Cette formule a été conçue dès la création du régime américain en 1935 pour prémunir l’assureur, et donc la collectivité des assurés[2], contre un danger précis : le recours disproportionné à des suppressions d’emploi temporaires (« licenciements temporaires »), très proches du chômage partiel. C’est d’autant plus nécessaire que le régime d’assurance américain a été construit pour indemniser ce type de fluctuations[3], ce qui exige d’éviter une mutualisation inter-sectorielle excessive (qui implique que les secteurs très cycliques sont financés par ceux qui sont peu cycliques) ainsi qu’une mutualisation intra-sectorielle disproportionnée (les entreprises qui utilisent beaucoup l’assurance chômage sont financées par leurs concurrentes qui l’utilisent peu) ;
  • Son champ d’application. La taxation sous forme d’experience rating est d’autant plus dissuasive qu’elle s’applique à l’ensemble de la masse salariale de l’entreprise dont le compte chez l’assureur est plus déficitaire que la norme établie[4];
  • Ses modalités administratives. Adapté à l’objectif visé cette modulation fonctionne mal car les comptes individuels des entreprises, outre qu’ils engendrent une lourde bureaucratie, nécessitent d’établir des formules de calcul complexes et peu lisibles, au détriment de leur caractère incitatif ;
  • Ses restrictions. L’assiette du salaire assurable sur laquelle porte la taxe est en général trop faible[5] pour que la sanction en termes de coût du travail n’incite à la vertu. En outre si l’expérience rating était « complet », c’est-à-dire que chaque employeur paie la totalité des coûts qu’il engendre pour l’assureur, la mutualisation serait nulle et l’assurance inutile du point de vue des employeurs.

Transposer la formule américaine n’a donc pas de sens car cette modalité est indissociable du système d’assurance de ce pays, structurellement très différent du nôtre, par ses objectifs, ses règles et la manière dont il est financé.

2.2 – Une taxe française doit viser des problèmes français

En France le comportement qui pose problème en ce qu’il coûte cher à l’assurance chômage est la récurrence emploi/chômage associée à l’usage disproportionné des contrats courts.

La durée réduite des contrats de travail engendre des besoins d’indemnisation, qui interfèrent avec la gestion de l’assureur dont l’un des objectifs est de bien sécuriser les titulaires de contrats précaires[6]. L’existence des contrats courts peut évidemment refléter des fluctuations d’activité temporaires – comme aux Etats-Unis –, mais ce qui est problématique en France c’est d’une part leur utilisation structurelle, récurrente, pour couvrir des besoins de production permanents, d’autre part le fait que l’assurance chômage soit instrumentée comme un complément de salaire par des employeurs et/ou des salariés qui maîtrisent bien les règles d’éligibilité et d’indemnisation. Face à cela l’Unedic pourrait moins bien indemniser les chômeurs, mais ce n’est qu’un moyen indirect d’agir sur les causes originelles des dépenses.

En France l’assureur doit donc essayer d’influencer la durée des contrats de travail. La taxe sur les contrats courts ne doit pas être nulle, mais fixée à un niveau optimal pour être dissuasive, sans être excessive ni punitive :

  • Il ne s’agit pas de « taxer les CDD », ou d’exonérer tel ou tel statut, mais de viser la durée effective des contrats : en effet l’assureur observe que 30% des CDI durent moins d’un an, que les ruptures durant la période d’essai représentent près de 2 fois plus d’entrées au chômage que les licenciements économiques, que les contrats d’intérim sont à la fois très courts et très récurrents en indemnisation, etc. Il apparaît donc préférable que l’assureur reste neutre envers le choix du contrat de travail, pour se focaliser sur la conséquence commune des différents statuts possibles, qui est la forte récurrence en indemnisation ;
  • La taxe n’a aucune raison d’être punitive : elle s’applique aux salaires correspondant à des contrats de courte durée, pas à l’ensemble des employeurs qui en font un usage excessif (ce qui serait le cas si la taxe américaine était transposée telle quelle) ;
  • Le but n’est pas de créer une taxe qui finance le « déficit » des contrats courts[7]. Un tel objectif serait en contradiction avec la nature même d’une assurance chômage mutualisée, qui a vocation à financer les prestations versées aux agents qui subissent des risques élevés (contrats précaires) par des contributions sur les agents dont l’exposition au risque est moindre (contrats stables). Dès lors que ces risques ne sont pas « maîtrisés » par les agents, la mutualisation réalisée par l’assurance est un transfert souhaitable, et l’assureur ne doit pas chercher à faire payer aux utilisateurs de contrats courts 100% du coût d’indemnisation qu’ils engendrent, ce qui serait la négation même du principe d’assurance mutualisée.

Une taxe sur les CDD, réduite pour les CDD d’usage, a bien été mise en place en 2013 par l’Unedic[8] (graphique 1). Mais en visant des statuts plutôt que la durée, dotée d’un champ d’application bien plus restreint que celui de ses exceptions, elle ne pouvait évidemment ambitionner d’infléchir l’usage des contrats courts. En outre, en créant des effets de seuil, elle offre à la marge des possibilités d’échapper à la surtaxe. De manière caractéristique on peut observer que cette taxe visant une mauvaise cible (le statut du contrat de travail, en l’occurrence les CDD, mais pas l’intérim et très peu les CDD d’usage) il n’est guère étonnant qu’elle n’ait pas modifié les comportements.

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2.3 – Taxer les contrats courts sans dissuader la création d‘emplois

Trois solutions existent pour taxer le travail : au début du contrat, en cours de contrat, ou à la fin de celui-ci :

  • Taxer l’embauche est évidemment contre-intuitif, mais c’est surtout inapproprié par rapport à l’objectif visé ici par l’assureur, car dans bien des cas le statut du contrat ne permet pas de juger de sa durée effective, ni du destin de la relation employeur/salarié (donc sa durée effective) qui peut se poursuivre bien plus longtemps et sans interruption que ne peut le laisser supposer la durée initiale du contrat ;
  • Taxer à la fin du contrat n’est pas souhaitable dans la mesure où l’employeur est taxé au moment où il doit se séparer du salarié, c’est-à-dire au moment où ses moyens financiers se réduisent ; c’est en outre aléatoire car s’il fait faillite la taxe n’est jamais recouvrée ; cette solution est enfin fortement combattue au motif que les coûts de sortie de l’emploi dissuadent l’embauche ;
  • Taxer en cours de contrat reste donc la meilleure solution. Ce que vise une taxe déportée vers les durées courtes de contrat, c’est de limiter les hautes fréquences de ruptures injustifiées[9].

L’objectif étant de taxer les durées effectivement courtes, en évitant les effets de seuil, une taxe d’autant moins importante que le contrat s’inscrit dans la durée apparaît adaptée au besoin.

Il reste qu’une entreprise jeune et/ou en période de forte expansion de ses effectifs est par nature surexposée à une taxe sur les contrats récemment signés, car ceux-ci représentent une fraction transitoirement élevée de sa masse salariale. Dans ce cas, le coût du travail est effectivement élevé, même si cela est parfaitement compatible avec la fonction de l’assurance chômage[10].

Pour qu’une taxe sur les CDD devienne une taxe à l’embauche il faudrait néanmoins que ces contrats représentent une très forte proportion de la masse salariale de l’entreprise. En moyenne la masse salariale des contrats à « durée limitée » représente environ 11,2% de la masse salariale totale soumise à cotisations Unedic[11]. On peut l’illustrer avec les exemples chiffrés dans les tableaux 1 et 2. Une entreprise ayant une masse salariale de CDD comprise entre 0% et 13,5% de sa masse salariale totale gagnerait à un nouveau barème de cotisation tel que celui proposé dans le graphique 1 : une entreprise de 10 salariés (120 mois ETP par an) qui conclurait dans l’année 15 contrats de 1 mois, taxés au taux le plus élevé ne verrait pas son coût du travail accru par rapport au barème actuel, puisque le taux moyen de cotisation à l’assurance chômage baisserait de 4,33% ex-ante à 4,26% ex-post (tableau 1).

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Ce n’est qu’au-delà de 13,5% que ce nouveau barème commence à être coûteux. Mais même si un employeur utilise des contrats courts dans des proportions très importantes (50% dans les exemples du tableau 2, soit plus de 4 fois le taux moyen observé) l’augmentation du taux de cotisation à l’assurance chômage reste relativement modérée (+1,05% si tous les contrats courts durent 1 mois, +1,6% s’ils ont une durée de 3 mois, et 1,25% s’il s’agit de contrats de 12 mois).

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Différentes solutions peuvent être imaginées pour atténuer l’effet de « taxe à l’embauche » d’une telle modulation des contributions. Par exemple :

  • Offrir un abattement à la base de x euros par entreprise sur les cotisations d’assurance chômage : ainsi l’assureur établit un plancher à la sur-taxation pour les employeurs qui font un usage limité des contrats courts, et comme le montant de l’abattement est défini par entreprise, ce sont les plus petites qui sont les plus favorisées. Un abattement à la base de 400 euros par an et par entreprise permettrait ainsi de neutraliser la plupart des effets d’une surtaxe des contrats courts pour une entreprise en forte croissance ayant les caractéristiques simulées dans le tableau 2 ;
  • Offrir une exonération de la surtaxe pour les x premiers emplois créés chaque année (ou depuis la création de l’entreprise, ou à partir de la date du premier emploi créé), quelle que soit leur durée, ce qui a des effets très proches de la mesure ci-dessus mais en limite le champ aux nouveaux emplois, ce qui est moins coûteux ;
  • Offrir à chaque employeur le choix entre le barème dégressif en fonction de la durée du contrat et une taxation uniforme de toute la masse salariale, comme aujourd’hui. Ce taux uniforme devrait être suffisamment élevé pour ne jamais coûter à l’assureur, ce qui aurait l’avantage de faire ressentir à tous les employeurs concernés combien la taxation uniforme actuelle (4%) peut apparaître élevée à l’immense majorité des employeurs qui n’utilisent pas les contrats courts de manière excessive.

L’avantage d’une exonération forfaitaire par entreprise (et non par emploi) est qu’il est inutile de créer un seuil destiné à la plafonner pour les entreprises les plus grosses dont les moyens sont plus élevés et qui ne sont pas exposées à l’effet de taxe à l’embauche.

L’incitation à l’allongement des contrats que constitue une taxe modulée en fonction de leur durée effective ne doit cependant pas être totalement annulée : entre des TPE concurrentes il n’y a aucune raison que l’assurance chômage favorise celles qui minimisent leurs propres risques en recrutant sur des contrats très courts. L’assureur a tout intérêt à « récompenser » les employeurs qui endosse un risque accru en facturant un coût du travail moindre.

Ces aménagements pourraient être financés par la suppression de l’exonération temporaire de cotisation d’assurance chômage ciblée sur les jeunes embauchés en CDI, instaurée en 2013. Cette disposition s’accompagne d’effets d’aubaine particulièrement élevés et, dans la mesure où elle ne s’adresse pas seulement à des jeunes indemnisés, elle relève d’une politique publique, utile dans la mesure où ces emplois s’avèreraient (très) durables, mais qui n’est pas dans la mission première de l’assureur. En revanche trouver les moyens de réduire l’usage disproportionné des contrats courts sans pour autant nuire à la création d’emploi est parfaitement en adéquation avec l’intérêt et avec la mission de l’assureur.

 

 

[1] Il faut toujours avoir à l’esprit que « les assurés » sont à la fois les entreprises (qui sont ainsi couvertes contre l’externalité que représente le coût du chômage qu’elles pourraient engendrer), et les salariés, qui sont couverts contre la perte de leur revenu.

[2] Aux Etats-Unis seules les entreprises paient des cotisations d’assurance chômage ; les salariés n’y cotisent que dans deux Etats.

[3] Ou tout au plus des fluctuations conjoncturelles courtes comme l’indique la durée maximale des droits (6 mois). Le chômage issu de chocs économiques plus importants (conjoncturels ou structurels) est pris en charge par des dispositifs d’extension de droits financés sur crédits budgétaires des Etats ou de l’Etat fédéral.

[4] Prestations servies excédant de manière importante les contributions payées.

[5] Le minimum légal est de 7000 US$ par an.

[6] A la différence des Etats-Unis les salariés français cotisent à l’Unedic, à hauteur de 37,5% de ses ressources.

[7] 8,77 Md€ par an (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).

[8] Cette mesure a été décidée dans le cadre de l’accord interprofessionnel de janvier 2013 et non dans celui d’une renégociation de la convention d’assurance chômage.

[9] Injustifiées non au regard d’un jugement de valeur, mais en raison du fait que ces surcoûts relèvent de choix productifs qui sur des marchés concurrentiels peuvent et doivent être imputés dans les prix de vente (clients) ou les taux de marge (actionnaires) (cf. ci-dessus).

[10] La théorie montre que la présence d’une assurance chômage favorise la croissance économique entre autres parce qu’elle permet à des entreprises nouvelles d’offrir des emplois risqués, que les salariés acceptent d’autant plus volontiers qu’ils sont bien assurés. Voir par exemple Albrecht & Axell (1984) « An equilibrium model of search unemployment », Journal of Political Economy, Vol.92 n°5. Axell & Lang (1990) « The effect of unemployment compensation in a general equilibrium with search unemployment » Scandinavian Journal of Economics, Vol. 92 n°4.

[11] Calcul sur données Unedic (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).




La dévaluation fiscale française ou quand l’Achille français s’évertue à rattraper la tortue allemande

par Sarah Guillou

Dans les années 1980, dans le cadre du mécanisme de change du SME, la France avait à plusieurs reprises procédé à des réalignements monétaires assimilables à des dévaluations – en 1981, en 1982, en 1983 puis en 1986. L’Allemagne de son côté adoptait une rigoureuse – déjà ! – stratégie de désinflation compétitive qui, disait-on alors, conduisait à discipliner ses entreprises qui ne pouvaient compter sur des avantages temporaires obtenus par la dévaluation monétaire rendant les produits exportés compétitifs. Elles étaient contraintes de procéder aux investissements qui construisaient leur compétitivité hors-prix future. Ce qu’elles ont fait …

La France, au même moment, récoltait de ses dévaluations une inflation importée et les entreprises connaissaient une moindre incitation à investir dans la compétitivité hors-prix. L’arrimage au deutsche mark puis l’Union monétaire furent alors présentés comme les moyens de sortir la France de cette stratégie sans fin de dévaluation inflationniste. Avec retard, la France finissait par se ranger à la stratégie de désinflation compétitive allemande et par renoncer à la dévaluation monétaire. Les années 1990 furent celles de la stratégie du franc fort.

Aujourd’hui, les termes du débat semblent inversés, bien que la position de la France soit toujours celle d’Achille qui court après la tortue allemande. Une nouvelle forme de dévaluation compétitive a la cote : pas celle du taux de change, car l’euro s’inscrit dans un mécanisme de marché qui détermine sa valeur, mais celle qui passe par une baisse du coût du travail supporté par les entreprises, financé en partie par une hausse de la TVA. On parle alors de dévaluation fiscale. Ainsi, P. Aghion, G. Cette et E. Cohen dans « Changer de Modèle » la défendent au motif qu’il faudrait « penser autrement »[1]. Le gouvernement s’y attache également à travers le Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et ses projets de diminution des cotisations sociales incluses dans le Pacte de stabilité 2015-2017.

En quoi une baisse du coût du travail est-elle assimilable à une dévaluation, dite « fiscale » ? Pour rappel, une dévaluation monétaire se traduit par une baisse des prix domestiques relativement aux prix étrangers parce que la valeur de la monnaie domestique est diminuée relativement à une unité de monnaie étrangère. Une dévaluation de l’euro, si elle était possible, ce serait un montant d’euros plus élevé pour acheter un dollar et donc, en conséquence, une voiture européenne à 10 000 euros verrait sa contrepartie en dollars plus faible et deviendrait plus attractive pour un acheteur américain détenant toujours la même somme en dollars dans son portefeuille. Plus généralement, une dévaluation assure que le coût de production des entreprises domestiques devient moins cher relativement à leurs concurrentes étrangères et les premières disposent alors d’un avantage de coût et d’un accroissement de compétitivité. D’où le terme de dévaluation compétitive.

En baissant le coût du travail à la charge des entreprises, on suppose que cela baissera les prix des produits exportés (et des produits et services incorporés) – et ceci alors même que le coût du travail ne couvre pas la totalité du coût de production. En augmentant la TVA sur l’ensemble des produits, le prix des produits importés de leur côté augmente. L’effet dévaluation – c’est-à-dire la baisse du prix domestique par rapport au prix étranger – ne se produira que si le prix du concurrent reste constant. Donc, à condition qu’il ne procède pas à la même politique au même moment ! Par ailleurs cela aura vraiment un impact sur la compétitivité si le différentiel de prix, préexistant à la politique de dévaluation fiscale,  est plus que compensé par la baisse du coût du travail.

À cela s’ajoutent deux interrogations. Tout d’abord, on ne connaît pas l’élasticité des prix au coût du travail. En d’autres termes, on ne sait pas dans quelle mesure les entreprises répercutent la baisse des charges patronales sur les prix. Ensuite, les études sur le marché du travail montrent que les salaires ont une élasticité positive au coût du travail. Autrement dit, à moyen terme et surtout pour les salaires élevés, la baisse des charges sociales pesant sur les salaires se traduira par une hausse des salaires.

Des effets de moyen terme sont alors mobilisés pour défendre la politique de dévaluation fiscale. La baisse des charges patronales redonne des marges de manœuvre dans un premier temps, ou plutôt de trésorerie, pour conduire les entreprises à investir, dans un second temps, justement grâce au rétablissement de leurs marges. Au passage, cet effet exclut le précédent – c’est-à-dire la baisse des prix – ou sera maximum si la baisse des prix ne se produit pas. Il est cependant possible que les marges dégagées soient un effet secondaire de la baisse des prix qui augmente les ventes, tout en augmentant le profit unitaire dans une structure de coût à rendements d’échelle croissants, même si cela ne concerne que peu d’entreprises. Supposons à présent que les marges dégagées se traduisent par des investissements. Cela peut améliorer leur compétitivité hors-prix (la qualité intrinsèque des produits) dans le futur. Ce second aspect de la dévaluation fiscale est souvent mis en avant en parallèle avec le constat que les entreprises françaises, et l’industrie manufacturière en particulier, souffrent de conditions fiscale et réglementaire handicapantes dans la concurrence internationale et souffrent d’un déficit de qualité de leurs produits. Mais ici les analyses macroéconomiques ne peuvent plus être mobilisées et on connaît beaucoup moins bien les ressorts microéconomiques en termes de compétitivité hors-prix de l’impact de la baisse des charges.

Terminons à présent avec ses effets attendus à plus long terme. Comme le soulignent en note de bas de page Aghion et alii page 58, les effets de la dévaluation fiscale sont temporaires. En effet, comme la dévaluation monétaire, la dévaluation fiscale conduira à une augmentation des salaires en raison du mécanisme précisé plus haut. Par ailleurs, si le financement de cette baisse des charges se traduit par une baisse du pouvoir d’achat des ménages en raison de la hausse de la TVA, ceux-ci pourraient également exiger une hausse de leurs salaires nominaux. La baisse des prix relatifs gagnée dans un premier temps sera annulée à long terme par la hausse des salaires. Les auteurs pourraient argumenter de la quasi-déflation européenne pour évincer cet effet collatéral de la dévaluation. Ils défendent plutôt l’intervalle qui redonnera du souffle aux entreprises. En fait, les auteurs défendent ce qui ne relève pas de l’effet direct de la dévaluation mais de son effet indirect sur le niveau d’investissement grâce à l’augmentation des marges.

Or, c’est d’ailleurs sans doute l’objectif du CICE puisqu’il vise l’impôt et non les charges patronales directement, au contraire du pacte de responsabilité dont l’objectif est prioritairement l’emploi. En accordant un crédit d’impôt, le CICE cherche à dégager des marges pour l’investissement afin de conquérir une compétitivité hors-prix. Le problème est que l’amélioration de la compétitivité n’a rien d’assurée (voir Guillou et Treibich, Note de l’OFCE, n° 41 du 19 juin 2014 sur le CICE et la compétitivité) et que le double objectif de ce crédit d’impôt (emploi et compétitivité) compliquera la décision des entreprises.

Pour reprendre la suggestion faite par Aghion et alii, le souvenir des dévaluations compétitives françaises des années 1980 peut nous conduire à « penser vraiment autrement », c’est-à-dire à cesser d’appliquer des politiques que les autres ont déjà appliquées. Penser autrement consisterait à anticiper la concurrence du futur plutôt qu’à répliquer une politique que les autres pays ont engagée, ce qui n’est évidemment pas si simple. Et l’intérêt de l’ouvrage de Aghion et alii est d’embrasser un ensemble de réformes qui, simultanément, pourraient bien engager la France dans une autre trajectoire. Mais entamer une dévaluation fiscale alors que tous les pays européens vont potentiellement le faire ou l’ont déjà fait sera largement insuffisant, voire dangereux si elle génère une course au « moins-disant social ». Elle ne se justifie que parce que l’intégration européenne exige un certain alignement des conditions de coût des entreprises, donc en raison de la concurrence fiscale. Un train de retard fiscal dans un marché européen intégré est très coûteux, certes, mais l’Achille français ne rattrapera pas la tortue allemande partie en avance sur le terrain de la compétitivité avec l’arme de la dévaluation fiscale.

Une meilleure stratégie serait de prendre un train d’avance. Il faut anticiper, à défaut de pouvoir harmoniser les conditions fiscales des entreprises. L’Allemagne a anticipé la concurrence des pays émergents et a procédé à la TVA sociale ou dévaluation fiscale. Une politique qui changerait de « modèle » devrait anticiper la concurrence de demain en Europe et dans le monde. Or, cette concurrence ne se fera pas sur le coût du travail. Preuve en sont les orientations des pays à faible coût relatif du travail qui substituent de plus en plus de capital au travail. Ainsi la Chine est devenue déjà le plus gros acheteur mondial de robots industriels (Financial Times, 1er Juin 2014). La concurrence future se construira autour de la poursuite de deux tendances déjà en place : la division des processus de production accélérée par les possibilités technologiques et le remplacement du travail par la technologie. L’essentiel de la valeur ajoutée se concentrera en amont de la production, dans la conception et/ou en aval dans les services associés. Autrement dit, il faut aussi que le gouvernement s’intéresse au coût du capital, notamment en termes de coût d’opportunité de l’investissement.

La question du coût du travail est le problème de l’emploi des moins qualifiés (évidemment absolument important en soi), mais n’est pas au cœur de la question de la compétitivité. A s’efforcer de régler les problèmes du présent, le coût du travail, on risque de manquer les investissements qui assureront le futur. La France cessera-t-elle d’être l’Achille qui court après la tortue allemande ? Une des façons de résoudre le paradoxe de Xénon serait d’inventer un gouvernement qui s’inscrive dans la continuité. A défaut, il nous faut rompre avec une stratégie de rattrapage et opter pour un « modèle » plus conquérant.

 


[1] C’est précisément le titre du premier chapitre du livre de P. Aghion, G. Cette et E. Cohen, Changer de modèle, Ed. Odile Jacob, 2014.




L’obligation de résultat du pacte de responsabilité

Par Xavier Timbeau, @XTimbeau, OFCE

Ce texte a été publié dans la rubrique “Rebonds” de Libération du 28 février 2014.

Politique d’offre ou de demande ? Ce débat nous renvoie des décennies en arrière lorsque les tenants de la politique de l’offre, Ronald Reagan et Margaret Thatcher, voulaient mettre au placard les pratiques keynésiennes. A propos du pacte de responsabilité, le débat est sans objet. Le diagnostic est bien que les entreprises souffrent d’un taux de marge si faible qu’il en compromet leur survie. Que les pertes depuis les années 2000 de parts de marché ne peuvent pas s’expliquer par le seul passage à une société post-industrielle. Vouloir par n’importe quel moyen rehausser les marges des entreprises est donc une priorité. Mais la restauration des marges des entreprises ne sera pas la condition suffisante pour qu’elles se remettent sur une trajectoire de productivité croissante, garantissant leur compétitivité dans le moyen terme. Se remettre sur cette trajectoire passe par de nombreuses réformes allant d’un meilleur système éducatif à une fiscalité stable et la plus neutre possible en passant sur le jeu des effets d’agglomération et de spécialisation. Coordonner les projets de chacun autour d’une stratégie globale, réalisant la transition énergétique est aussi un instrument puissant. Mais sur tout cela, le pacte de responsabilité restera silencieux.

Pour être clair, le pacte de responsabilité vise une amélioration de la situation des entreprises, qui permet de compenser en partie la chute de l’activité qui résulte de la crise de 2008 et des pertes de compétitivité que l’économie française enregistre face à ses partenaires en déflation (dont l’Espagne) ou par la hausse de l’euro. S’il est financé par des impôts ou des baisses de dépenses, ce sera une dévaluation fiscale, qui fera payer aux consommateurs, aux salariés ou aux bénéficiaires des prestations sociales la baisse des coûts des entreprises. Lorsque la baisse de coût des entreprises est plutôt ciblée sur les bas salaires on peut attendre de l’ordre de 130 000 emplois créés à 5 ans en prenant en compte le financement (voir par exemple l’article d’Heyer et Plane dans la revue de l’OFCE n°126).  Les contreparties, l’adhésion des syndicats ou du Medef, la mobilisation de tous autour d’un diagnostic sombre et commun ne feront pas la révolution que certains attendent, mais participent à la solution.

Bien sûr, une dévaluation fiscale alors que les pays d’Europe du Sud flirtent avec la déflation et où chacun court après l’équilibre de sa balance courante, y compris en freinant la demande interne, ne conduira pas la zone euro vers la sortie de la crise mais l’enfermera dans la stagnation longue. La dévaluation fiscale n’est pas la bonne politique pour l’Europe. Mais pour la France, tant que l’Europe n’a pas d’autre voie que le suicide collectif, la dévaluation fiscale est la réponse logique.

130 000 emplois, ce n’est pas suffisant pour inverser la courbe du chômage. C’est même dérisoire face à plus d’un million de chômeurs supplémentaires depuis 2008. Mais le pacte de responsabilité peut être autre chose qu’une dévaluation fiscale. L’obligation de résultat, à savoir réduire le chômage, ne laisse pas beaucoup de choix. Pour que le pacte de responsabilité s’accompagne d’une réduction significative du chômage, la clef est de ne pas le financer. Le marché à proposer à nos partenaires est celui d’un laxisme relatif sur notre trajectoire de déficit public en échange de réformes qui semblent structurelles à tout le monde. Réduction de la dépense publique, fiscalité favorable aux entreprises, priorité aux enjeux de compétitivité sont autant de gages qui libèrent une marge de manœuvre.

Les engagements budgétaires de la France auprès de Bruxelles sont de réduire le déficit structurel de 50 milliards. Si l’on applique cet effort budgétaire jusqu’en 2017, nous amputerons de presque 1 point la croissance chaque année et le chômage ne baissera pratiquement pas d’ici à 2017. En fait, seul le déficit public serait réduit, à 1,2 point de PIB, ouvrant une dynamique très favorable après 2017, puisque la dette publique baissera sans restriction budgétaire supplémentaire et donc sans entraver la baisse du chômage. Situation confortable s’il en est pour le successeur de François Hollande qui pourra même en profiter pour baisser les impôts des plus riches. En associant baisse des impôts, baisse du chômage et baisse de la dette publique, ce qui restera est que le ou la «  magicienne » aura succédé au « malhabile ».

En revanche, en utilisant la marge de manœuvre de 50 milliards d’euros, c’est-à-dire en renonçant à réduire de 50 milliards le déficit structurel, le résultat serait tout autre. A partir de simulations réalisées à l’OFCE, il apparaît que la baisse du chômage pourrait être d’ici à 2017 de presque 2 points. Certes, le déficit structurel serait inchangé, mais le déficit public, celui que l’on voit, serait sur une trajectoire de baisse : il arriverait en 2017 à un peu plus de 2 points de PIB (contre 4,2% à la fin de l’année 2013), mettant la dette publique dans la zone de diminution du ratio dette sur PIB. Le bilan à la veille de l’élection présidentielle serait plus avantageux et le scrutin plus ouvert.

Pour mobiliser cette marge de manœuvre, il faut convaincre nos partenaires (et la Commission européenne) de la radicalité de la situation. Les résultats des élections européennes seront probablement là pour le rappeler et rendre claire à tous l’obligation de résultat.

Reagan a eu la grande habilité de chercher du côté de la politique budgétaire le moteur de sa politique de l’offre. Il a créé ainsi une mythologie selon laquelle baisser l’impôt des plus riches est bon pour la croissance, avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui sur les inégalités. Thatcher a cru jusqu’au bout que la réduction de la dette publique était la bonne politique. Elle n’a fait que préparer le terrain à Tony Blair quelques années plus tard. C’est ainsi que les cycles politiques se font, sur les résultats. C’est ainsi aussi que les responsabilités s’engagent, sur les conséquences longues des choix que l’on fait.




Pas de “TVA sociale” mais une “CSG sociale” ?

par Jacques Le Cacheux

La dégradation de l’emploi et du solde des échanges extérieurs de la France incite à une réflexion sur la compétitivité des entreprises françaises. Mais comment rétablir cette compétitivité ? Est-ce un problème de coût du travail, comme l’affirme avec insistance le MEDEF ? Ou ce facteur n’entre-t-il finalement que pour une faible part dans l’explication de ces médiocres performances ?En choisissant, au printemps dernier, l’option de la « TVA sociale » – augmentation de 1,6 point du taux normal de TVA et affectation du surcroît de recettes à une baisse des cotisations sociales patronales, de l’ordre de 13 milliards d’euros, ciblée sur les salaires compris entre 1,3 et 1,6 SMIC –, le précédent gouvernement avait clairement privilégié la stratégie de baisse – modérée – du coût de la main-d’œuvre. En décidant de revenir sur cette hausse de TVA, qu’il considère injuste, le gouvernement actuel semble indiquer que l’allègement du coût du travail n’est pas sa priorité. Dans le même temps, pourtant, le discours du Président de la République en ouverture de la Conférence sociale ouvre la voie à une réflexion sur le financement de la protection sociale, suggérant ainsi que la question de l’allègement du coût du travail n’est pas close, mais que l’instrument préféré pourrait être la Contribution sociale généralisée (CSG). Sans craindre le pléonasme, certains évoquent désormais une « CSG sociale » !

1 – Coût du travail : la France a-t-elle un problème ?

Le coût de la main-d’œuvre est-il plus élevé en France que chez nos partenaires, notamment au sein de la zone euro ? Le diagnostic n’est, en réalité, pas aisé, et les avis divergent. Selon les données publiées par Eurostat, et qui concernent l’ensemble du secteur marchand, le coût horaire de la main-d’œuvre atteignait, en 2011, 34,20 euros en France, soit près de 7 euros de plus que la moyenne des pays de la zone euro. En Allemagne, il n’était que de 30,1 euros, mais dépassait 39 euros en Belgique. Pourtant, cet indicateur ne renseigne guère sur la compétitivité-coût, puisqu’il faut prendre en compte les différences de productivité de la main-d’œuvre. C’est donc habituellement sur la base du coût unitaire de main-d’œuvre – ou coût salarial unitaire, c’est-à-dire le coût de main-d’œuvre par unité produite – que l’on compare les compétitivités ; mais on ne dispose pas de mesure fiable des niveaux relatifs, de sorte qu’il faut se contenter d’indice et de variations.

En se référant toujours aux données fournies par Eurostat, on peut se faire une idée de l’évolution relative des positions compétitives des différents pays européens. Pour tenir compte d’éventuels effets des variations de change entre les monnaies, l’indicateur de compétitivité-coût retenu ici est le taux de change effectif réel, calculé sur la base des coût salariaux unitaires, qui pondère les coûts relatifs des partenaires commerciaux en fonction de leur part dans les échanges extérieurs du pays considéré : une hausse de cet indice mesure donc une perte de compétitivité des entreprises du pays. Plusieurs mesures sont disponibles, couvrant des champs géographiques ou sectoriels différents.

Si l’on se penche d’abord sur les compétitivités relatives au sein de la zone euro, où, par définition, il n’y a pas d’effet de change (Graphiques 1 et 2), le message est ambigu : pour l’ensemble de l’économie, les évolutions de la compétitivité française sont très voisines de celles de l’Allemagne, depuis le lancement de la monnaie unique, l’une et l’autre tendant à améliorer leur compétitivité-coût par rapport à leurs partenaires de la zone. Certes l’Allemagne faisait un peu mieux jusqu’en 2008 ; mais la récession de 2009 y a si fortement ralenti la productivité de la main-d’œuvre – du fait notamment d’un recours massif au chômage partiel – que les gains relatifs par rapport à la France s’en sont trouvés pratiquement effacés.

Source : Eurostat.

Pourtant, l’indicateur se référant à la seule industrie manufacturière délivre un message bien différent (graphique 2) : en moyenne depuis le lancement de l’euro, la compétitivité-coût de l’industrie française par rapport à ses partenaires de la zone s’est sensiblement maintenue, se dégradant très légèrement sur la période ; mais dans le même temps, l’industrie allemande a, quant à elle, très substantiellement amélioré la sienne – de près de 20%.

Source : Eurostat.

Si l’on se penche, maintenant, sur la compétitivité-coût française vis-à-vis des pays tiers, hors zone euro, les évolutions sont, de manière peu surprenante, dominées par les variations du taux de change externe de l’euro : l’appréciation réelle de la monnaie européenne depuis 2000 a dégradé la compétitivité-coût des économies française et allemande dans des proportions comparables (graphique 3). Mais dans l’industrie (graphique 4), la modération salariale allemande a permis de limiter la dégradation à un peu plus de 10 % entre 2000 et 2011, tandis que, sur la même période, la dégradation subie par l’industrie française est voisine de 25 % ; elle a même dépassé 40 % pendant la période où le taux de change de l’euro battait des records (été 2008).

Il est difficile, dans ces conditions, de nier la dégradation de la position compétitive de l’économie française et, singulièrement, de son industrie. Certes, la dépréciation récente de l’euro lui permet de réduire un peu les pertes de compétitivité subies au cours des années antérieures ; mais elle ne modifie pas les positions relatives au sein de la zone euro, qui concentre environ 2/3 du commerce extérieur de ses membres.

Source : Eurostat.

Au contraire, la stratégie compétitive de l’Allemagne – notamment grâce à une politique soutenue de modération salariale, mais aussi à des choix de restructuration industrielle et de spécialisation – se reflète dans la progression spectaculaire de son taux d’ouverture commerciale (graphique 5) : proche de celui de la France en 1995, il a doublé en Allemagne, alors qu’il est demeuré sensiblement constant en France.

Source : Eurostat.

2 – Une réforme fiscale pour alléger le coût du travail

Le coût de la main-d’œuvre n’est sans doute pas le seul facteur de dégradation de la compétitivité de l’économie française et, notamment, de son industrie ; mais ses évolutions comparées à celles observées chez nos principaux partenaires, et singulièrement en Allemagne, suggèrent qu’elles contribuent aux mauvaises performances enregistrées ces dernières années tant en matière d’emploi que de commerce extérieur. Il apparaît donc légitime de s’interroger sur les moyens de l’alléger, en particulier en réformant le financement de la protection sociale, qui en constitue une composante importante. D’où le débat sur la baisse des cotisations patronales, et sa compensation par la hausse d’un autre prélèvement : TVA ou CSG ?

Beaucoup de choses ont été dites sur les avantages et les inconvénients de chacune des deux options[1]. Mais quelques éléments de comparaison des évolutions récentes permettront sans doute d’éclairer ce débat. En premier lieu, le poids respectif de la fiscalité pesant sur la consommation et sur les revenus du travail a connu, au cours des dernières années, des évolutions sensibles en France et en Allemagne (graphiques 6 et 7) : tandis que le taux implicite d’imposition de la consommation n’a cessé de se réduire en France depuis la fin des années 1990, sous l’effet de la baisse d’un point du taux normal de TVA et de mesures sectorielles (restauration et travaux dans les logements anciens), il a augmenté en Allemagne du fait de la hausse de 3 points du taux normal de TVA en 2007 ; dans le même temps, le taux implicite d’imposition du travail est demeuré assez stable, à un niveau élevé, en France, tandis qu’il se réduisait en Allemagne.

Source : Eurostat.

Et cette réduction a été obtenue en partie grâce à une baisse significative – environ 1 point de PIB – des cotisations sociales employeurs, qui sont, au contraire, restées à un niveau élevé en France (graphique 8).

Dans ces conditions, des marges de manœuvre semblent exister du côté de la fiscalité pesant sur la consommation, ce qui avait incité le précédent gouvernement à opter pour un alourdissement de la TVA, compensé par une réduction de cotisations sociales employeurs, que l’actuelle majorité vient d’abroger.

Parmi les défauts d’une hausse de la TVA, deux caractéristiques ont été mises en exergue dans les débats récents. En premier lieu, une telle hausse est, de fait, une « dévaluation fiscale », qui peut dès lors être considérée comme non coopérative et inamicale par nos partenaires au sein de la zone euro, d’où proviennent plus de la moitié de nos importations. Bien sûr, mais de leur côté, presque tous nos partenaires n’ont pas hésité à augmenter la TVA ces dernières années, et certains prévoient même de l’alourdir encore ; la France a donc, effectivement subi les « dévaluations fiscales » de ses voisins. Bien sûr, une stratégie européenne coordonnée serait préférable ; mais la France doit-elle décider de subir seule les coûts économiques de l’absence d’une telle coopération ?

Source : Eurostat.

En second lieu, les détracteurs de la hausse de la TVA pointent son caractère « injuste » et les risques d’amputation du pouvoir d’achat, donc de freinage de la croissance. Mais, comme le soulignait la précédente note sur ce thème, la hausse des prix résultant d’une augmentation du taux de TVA devrait être très limitée et, dans l’éventualité d’une hausse, les procédures d’indexation des minima sociaux, du SMIC et des retraites sont telles que les catégories disposant des revenus les plus modestes ne devraient pas subir de baisse de pouvoir d’achat. Sauf, bien sûr, si le gouvernement envisageait de suspendre les mécanismes d’indexation, ce qui constituerait une manière particulièrement opaque de rogner la générosité de la protection sociale et le salaire minimum.

La CSG est-elle plus « juste » ? On fait volontiers valoir qu’avec son assiette large – la quasi-totalité des revenus –, elle frappe les revenus du patrimoine. Mais elle frappe aussi tous les bas revenus, qu’ils soient du travail, de remplacement, ou de retraite, dès le premier euro, car elle est proportionnelle : pour les détenteurs de revenus modestes, elle pèsera donc plus lourdement sur le pouvoir d’achat que la hausse de la TVA.

On peut souhaiter, malgré tout, privilégier la CSG, instrument de prélèvement à assiette large qui permet de faire contribuer l’ensemble des revenus au financement de la protection sociale : c’était, dès le départ, sa justification et sa raison d’être. Mais dans ce cas, le souci de justice exigerait que l’on accompagne cette montée en puissance d’une réforme fiscale plus ambitieuse, qui redonne une véritable progressivité à l’ensemble de prélèvements directs et, si possible, aux transferts sociaux sous condition de ressources.

Alléger le coût du travail en transférant la charge d’une partie du financement de la protection sociale vers des prélèvements autres que les cotisations sociales apparaît souhaitable et possible, tout en rendant le système fiscal français plus juste. Pour ce faire, il convient de compenser la baisse des cotisations sociales, patronales, mais aussi éventuellement salariés, par un alourdissement des prélèvements pesant sur la consommation et sur les activités polluantes, afin de modifier résolument les prix relatifs, donc les incitations qui pèsent sur les entreprises et les ménages dans leurs choix de techniques de production et d’emploi et dans leurs choix de consommation ; et de conduire en même temps une réforme de la fiscalité directe qui permette de compenser les effets négatifs de ces modifications sur le pouvoir d’achat des détenteurs de revenus modestes et de rendre l’ensemble des prélèvements directs plus progressifs. Alourdir la CSG sans conduire cette grande réforme[2] serait léser ces catégories.

 

 

 


[1] Voir notamment, J. Le Cacheux, 2012a, « La TVA « sociale », antisociale ? », Blog de l’OFCE, 6 janvier, et E. Heyer, M. Plane et X. Timbeau, 2012, « Impact économique de la « quasi TVA sociale ». Simulations macroéconomiques et effets sectoriels », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale », mars.

[2] Pour une exposition plus précise des principes d’une telle réforme, voir J. Le Cacheux, 2012b, « Soutenabilité et justice économique. Finalités et moyens d’une réforme fiscale », Débats et politiques, Revue de l’OFCE, n°122, sous la direction de G. Allègre et M. Plane, « Réforme fiscale ».

 




Le coup de pouce au smic va-t-il détruire des emplois ?

par Eric Heyer et Mathieu Plane

Le 26 juin, le gouvernement Ayrault a annoncé une hausse du SMIC de 2 %. Cette augmentation discrétionnaire, qui a pris effet au 1er juillet 2012, n’est pas un coup de pouce permanent de 2 % car il intègre en partie un à-valoir sur la prochaine hausse légale prévue le 1er janvier 2013. Avec une revalorisation automatique prévue à 1,4 % en janvier 2013, le coup de pouce permanent serait donc de 0,6 %. Dans une note détaillée de l’OFCE (n°22 du 17 juillet 2012), nous montrons qu’un coup de pouce permanent de 0,6 % détruirait finalement très peu d’emplois (1 400 postes) mais augmenterait légèrement le déficit public de 0,01 point de PIB.

Le financement de cette mesure entraînerait des pertes d’emplois supplémentaires : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois seraient finalement comprises entre 1 900 et 2 800 postes (tableau 1).

Des effets complexes sur le coût du travail…

Le SMIC, à l’instar des autres salaires, a un statut ambivalent : il peut être considéré comme une variable de demande si l’on se place du côté des salariés mais constitue une variable d’offre pour l’entrepreneur. Par conséquent, une hausse du SMIC correspond à un choc de demande favorable pour les salariés et à un choc d’offre défavorable pour les chefs d’entreprise hors effet allègement de charges.

Dans un contexte de faible diffusion[1], ces deux effets de sens inverse ne se compensent pas :

  1. l’aspect « soutien de la demande » se limite aux seuls salariés proches du SMIC. Ceux-ci ont certes une propension marginale à consommer forte – le taux d’épargne n’augmente pas avec cette mesure – mais le nombre restreint de bénéficiaires limite les effets sur la consommation des ménages au niveau macroéconomique. Le supplément de revenu lié à cette augmentation du SMIC génèrerait 6 900 emplois ;
  2. L’aspect « hausse du coût du travail » est fortement destructeur d’emplois : l’élasticité de l’emploi au coût du travail étant décroissante[2] avec le salaire, la faible diffusion du SMIC sur les autres salaires augmentera peu le coût du travail au niveau macroéconomique mais, étant concentrée sur les bas salaires, l’élasticité moyenne sera forte (0,9). La hausse du coût du travail liée à la hausse du SMIC détruirait 26 000 emplois

Au total, selon notre simulation, une hausse de 0,6 % du SMIC, hors effet liés aux baisses de charges, entraînerait une destruction de 8 700 emplois au cours de la première année (tableau 2).  Ce résultat, intermédiaire, se situe dans la fourchette basse de celui observé par Francis Kramartz qui l’évalue entre 15 000 et 25 000 postes détruits pour une hausse du SMIC de 1% (soit entre 9 000 et 15 000 pour un coup de pouce de 0,6 %).

Mais cette estimation ne prend pas en compte les baisses de charges supplémentaires liées à la hausse du SMIC et à sa diffusion sur les autres salaires. Les salaires n’étant pas indexés sur le SMIC, un coup de pouce ne se répercute donc pas automatiquement sur la grille des salaires. Des travaux récents réalisés sur le sujet[3] et dont une synthèse est présentée dans le rapport du groupe d’experts sur le SMIC de décembre 2011, concluent à une faible diffusion du SMIC. Selon notre estimation, une hausse de 1 % du SMIC entraînerait une hausse moyenne des salaires de l’ensemble du secteur marchand de seulement 0,1 %. Or, les allègements de charges liés à la hausse du SMIC sont d’autant plus forts que la diffusion est faible. Plus la baisse du salaire relatif (en pourcentage du SMIC) est importante, plus le taux moyen d’allègement de charges augmente en raison du profil dégressif des allègements de cotisations sociales patronales.

Une augmentation du SMIC de 0,6 % entraîne ex ante une hausse du coût du travail de 0,4 % pour le 1er décile de salaire mais une baisse de 0,2 % pour le 2e décile et une diminution de 0,1 % pour les salaires allant du 3e au 5e décile. Au-delà du 6e décile, les effets sur le coût du travail sont nuls. Par ce mécanisme, pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, l’augmentation des allégements de charges serait supérieure au supplément de salaires versé par l’employeur, ce qui entraînerait une baisse du coût du travail pour ces catégories.

Au final, la baisse du coût du travail liée au supplément d’allègements de charges permettrait la création de 7 300 emplois.  Au total, comme le résume le tableau 2, à l’horizon d’1 an, l’effet d’une hausse de 0,6 % du SMIC détruirait 1 400 emplois et dégraderait de 0,012 point de PIB les finances publiques.

 

…avec des effets différenciés selon la pyramide des salaires

Une hausse de 0,6 % du SMIC conduirait à détruire 4 700 emplois au niveau du SMIC mais à en créer 2 000 pour les salaires du 2e décile, 900 pour ceux du 3e décile et environ 500 au-delà.


[1] L’effet de diffusion rend compte de l’impact d’une hausse du SMIC sur la grille des salaires. Une faible diffusion a pour conséquence un écrasement de l’échelle des salaires.

[2] Selon la DGTPE, l’élasticité de l’emploi au coût du travail (DGTPE, annexes Rapport Besson, 2007) passe de 1,2 au niveau du SMIC à 0,3 pour les salaires à 1,4 SMIC puis est constante au-delà.

[3] Aeberhardt R, P. Givord et C. Marbot (2012), « Spillover effect of the minimum wage in France: An unconditional quantile regression approach », Document de travail de l’INSEE, n° G 2012 / 07 et Goarant C, L. Muller (2012), « Les effets des hausses du Smic sur les salaires mensuels dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2009 », document de travail de la DARES .




Un coup de pouce au SMIC ou au RSA ?

par Guillaume Allègre

Le gouvernement s’est engagé à un coup de pouce exceptionnel et « raisonné » pour le SMIC puis à une indexation fonction de la croissance et non plus seulement du pouvoir d’achat des ouvriers. Dans Les Echos, Martin Hirsch plaide lui pour un coup de pouce au RSA plutôt qu’au SMIC. Il convient de ne pas opposer travailleurs pauvres, auxquels le RSA s’adresse, et bas salaires : les politiques de redistribution doivent s’attaquer aux inégalités tout au long de l’échelle des revenus et pas seulement à la pauvreté.

En termes de réduction des inégalités, il existe plusieurs stratégies ; une première stratégie vise à réduire les inégalités individuelles de salaires ; une autre vise à réduire les inégalités de niveau de vie entre ménages, niveau auquel les individus sont supposés solidaires. Ces deux stratégies ont, chacune, leur légitimité. Le RSA activité et le SMIC ne sont ainsi pas substituables (voir aussi « le SMIC ou le RSA ? »). Contrairement au RSA, la lutte contre la pauvreté n’est pas l’objectif  du SMIC. Le SMIC a pour objectif « d’assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles une participation au développement économique de la nation ». Un SMIC élevé a pour effet de réduire les inégalités dans toute la partie basse de l’échelle des salaires, les hausses du salaire minimum se diffusant jusqu’à deux SMIC. Depuis le développement du chômage, des emplois précaires et à temps partiels, les salariés au SMIC à temps plein ne sont certes pas les plus pauvres, mais ils sont loin d’être aisés. Le SMIC réduit l’écart de revenus entre la classe populaire et la classe moyenne, ce qui est un objectif en soi (même si ceci peut-être mal perçu par une partie de la classe moyenne : par construction, la réduction des inégalités ne contente pas tout le monde). Surtout, il n’est pas équivalent de recevoir un salaire élevé ou de recevoir un salaire faible complété par une prestation sociale ciblée. Les prestations n’ouvrent pas de droits à la retraite ou au chômage. En termes de dignité, le niveau du SMIC représente la valeur qu’une société donne au travail. Les prestations sociales ciblées sur les plus pauvres mettent les individus concernés dans une position d’assistés, ce qui a des conséquences en termes de représentations (individuelles et collectives). Le travail étant effectué par des individus, il n’est pas illégitime de vouloir réduire les inégalités entre salariés et pas seulement entre ménages de salariés.

La proposition de coup de pouce au RSA est ambigüe car le terme RSA désigne à la fois un minimum social qui bénéficie à des chômeurs et inactifs (RSA ‘socle’, anciennement RMI et API) et un complément de revenus pour travailleurs pauvres (RSA ‘activité’). Si la proposition de coup de pouce ne concerne que le RSA activité, elle est incohérente avec l’objectif de cibler les foyers les plus défavorisés. Si, au contraire, elle concerne l’ensemble du RSA, ce qui serait légitime, il convient alors d’être plus explicite et d’assumer qu’elle bénéficiera principalement à des chômeurs et inactifs[1]. En mars 2012, il y avait en effet 1,59 million de bénéficiaires du RSA socle seul, et 689 000 du RSA activité (France entière) : seul un tiers des allocataires du RSA bénéficie de la partie activité.

La mise en place du RSA activité s’est soldée, jusqu’à présent, par deux échecs (« Les échecs du RSA ») : selon le rapport final du Comité national d’évaluation, les effets sur l’emploi ne sont pas discernables et la réduction de la pauvreté est fortement limitée à cause d’un important non-recours à la partie complément de revenus. Passons rapidement sur le premier point puisque les effets incitatifs du RSA ne sont plus mis en avant. Le problème principal d’un coup de pouce au RSA activité est bien le non-recours : dans le rapport, il est estimé, pour la partie RSA activité seul à 68% en décembre 2010[2]. Et ce n’est pas qu’une question de montée en charge : entre décembre 2010 et mars 2012, le nombre de bénéficiaires du RSA activité seul a très peu augmenté, passant de 446 000 à 447 000 en France métropolitaine. Lier l’éligibilité au RSA activité à la fois aux revenus d’activité et aux charges familiales et mêler dans un même instrument des bénéficiaires d’un minimum social et des travailleurs pauvres, parfois très bien intégrés au marché du travail, pose problème à la fois en termes de mauvaise évaluation de l’éligibilité à la prestation et de stigmatisation. Deux causes de non-recours au RSA activité sont ainsi soulignées: la connaissance insuffisante du dispositif d’une part et le non-recours volontaire d’autre part : 42% des non-recourants qui n’excluent pas d’être éligibles, déclarent qu’ils n’ont pas déposé de demande parce qu’ils « se débrouillent autrement financièrement », 30% n’ont pas déposé de demande parce que ils n’ont « pas envie de dépendre de l’aide sociale, de devoir quelque chose à l’Etat » (p.61). Une meilleure information ne serait donc pas suffisante pour régler le problème du non-recours. Au contraire, l’augmentation du SMIC a le grand avantage de bénéficier automatiquement aux personnes concernées sans crainte de stigmatisation puisqu’il s’agit de revenus du travail.

Contrairement au RSA, l’augmentation du SMIC brut augmente le coût du travail. Toutefois, il existe plusieurs stratégies permettant d’augmenter le SMIC net sans effet sur le coût du travail : l’augmentation peut être compensée par une baisse des cotisations sociales employeurs. On peut aussi alléger les cotisations sociales salariales sur les bas salaires. Mais, cette proposition risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel, qui en 2000 avait retoqué l’exonération de CSG sur les bas salaires au motif que la progressivité de la CSG ne se serait alors pas appuyée sur la faculté contributive des ménages[3]. Enfin, une réforme de plus grande ampleur visant à fusionner la CSG et l’impôt sur le revenu permettrait de réduire l’imposition sur les bas salaires et d’augmenter ainsi le Smic net. L’intégration de la Prime pour l’emploi permettrait aussi de faire apparaître directement les sommes concernées sur la feuille de paie.

La lutte contre les inégalités ne doit évidemment pas s’arrêter aux inégalités de salaires entre salariés à temps-plein. Il convient de s’attaquer au temps partiel subi, en donnant des droits de passage au temps-plein aux salarié-e-s et/ou en rendant le temps partiel plus coûteux par une réduction du taux d’allégement général de cotisations patronales.

Fondamentalement, il n’y a pas de raison de vouloir faire fluctuer le niveau du RSA socle par rapport au SMIC. Or, du fait de l’indexation du RSA socle  sur les prix, son niveau a beaucoup baissé relativement au SMIC depuis le début des années 1990 (voir Périvier, 2007). Il serait donc légitime de revaloriser significativement le RSA socle (quitte à réduire le taux de cumul du RSA activité) et de l’indexer sur le niveau du SMIC. Ceci résoudrait définitivement la question du coup de pouce au SMIC ou au RSA.


[1] On voit ici que la ‘simplification’, qui a consisté à fusionner deux instruments en un seul, ne facilite pas le débat public

[2] Ce non-recours est partiellement expliqué par le fait que pour une partie des personnes éligibles (environ un tiers), les gains potentiels sont très faibles voire nuls du fait de la déduction des sommes versées au titre du RSA activité de la Prime pour l’emploi due. Mais le non-recours reste élevé même en prenant comme référence les gagnants potentiels (et non toutes les personnes éligibles).

[3] Décision n° 2000−437 DC du 19 décembre 2000 : « Considérant que, s’il est loisible au législateur de modifier l’assiette de la contribution sociale généralisée afin d’alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes, c’est à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l’égalité entre ces contribuables ; que la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l’article 13 de la Déclaration de 1789  »