La reprise s’affirme

par Hervé Péléraux

Avec la publication par l’INSEE d’une croissance du PIB de +0,5 % au troisième trimestre 2017, l’économie française aligne désormais 4 trimestres consécutifs de croissance supérieure à la croissance potentielle (estimée à 1,2 % l’an, soit 0,3 % par trimestre), signant véritablement, depuis la fin de l’année 2016, l’entrée en phase de reprise.

Cette meilleure donne macroéconomique transparaît dans les enquêtes de conjoncture et laissent présager la poursuite du mouvement de reprise engagé au quatrième trimestre 2016. Les enquêtes, qui fournissent une information qualitative sur la perception qu’ont les chefs d’entreprises et les ménages de leur propre situation et des décisions qu’elle sous-tend, se situent nettement au-dessus de leur moyenne de longue période et continuent à progresser (graphique 1).

IMG1_post07-12Donnée par construction sous forme de soldes d’opinions, l’information qualitative issue des enquêtes peut être convertie en une information quantitative. À cette fin, on estime une équation économétrique reliant le taux de croissance trimestriel du PIB et un résumé, utile pour cet objectif, de l’information contenue dans les soldes (pour une présentation de la méthodologie des indicateurs de l’OFCE, voir « L’indicateur avancé pour la zone euro »). L’indicateur, qui présente un profil nettement plus lissé que le taux de croissance du PIB, ne parvient pas à décrire pleinement la volatilité de l’activité et de ce fait ne doit pas être considéré comme un prédicteur au sens strict de la croissance trimestrielle (graphique 2). Par contre, d’un point de vue plus qualitatif, il parvient à décrire assez correctement les phases pendant lesquelles la croissance est, de manière prolongée, supérieure ou inférieure à la croissance moyenne ou de long terme (la constante de régression), proche du concept de croissance potentielle[1]. Dès lors, l’indicateur peut être vu comme un indicateur de retournement du cycle économique.

IMG2_post07-12Le mauvais chiffre de croissance du deuxième trimestre 2016 n’apparaît nullement dans les enquêtes de conjoncture et dans leur conversion en taux de croissance du PIB. L’écart important entre l’estimation et la réalisation, qui pourrait à première vue être considéré comme une défaillance de l’indicateur, est plutôt le signe que la rechute de la croissance au deuxième et au troisième trimestre 2016 a été accidentelle sous l’effet de facteurs ponctuels négatifs (la mauvaise production agricole, la baisse de la fréquentation touristique liée aux attentats, les inondations, les grèves dans les raffineries). Cette rechute ne préfigurait en tout cas pas un retournement durable de l’activité et la croissance a rejoint le rythme estimé par l’indicateur au quatrième trimestre 2016 (+0,5 %) pour reproduire la même performance au premier et au deuxième trimestre 2017 (tableau 1). À partir des données d’enquêtes disponibles jusqu’en décembre, la croissance escomptée par l’indicateur resterait supérieure à +0,5 % au quatrième trimestre 2017 et accélérerait à +0,7 % au premier trimestre 2018. Si ces prévisions se réalisaient, l’économie française aura alors aligné 6 trimestres consécutifs de croissance supérieure ou égale à +0,5 %.

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[1] La croissance de long terme considérée ici n’est pas la croissance potentielle estimée par ses déterminants structurels au moyen d’une fonction de production, mais la moyenne du taux de croissance du PIB sur l’intervalle de temps considéré telle qu’elle ressort de l’estimation avec des régresseurs centrés-réduits. Des ruptures de cette croissance de long terme ont été introduites pour répliquer le ralentissement de la croissance potentielle mis en évidence par d’autres méthodes d’estimation.




Une nouvelle Grande Modération ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2017-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

Dix ans après l’éclatement de la crise financière, pendant l’été 2007, l’économie mondiale semble enfin s’engager sur une trajectoire de croissance plus solide et commune aux pays industrialisés comme à la plupart des pays émergents. Les chiffres du premier semestre 2017 indiquent en effet une accélération de la croissance mondiale, ce qui devrait se traduire par une hausse du PIB de 3,3 % sur l’ensemble de l’année, en hausse de 0,3 point par rapport à l’année précédente. Certes, quelques incertitudes demeurent, sur l’issue du Brexit ou encore la capacité des autorités chinoises à maîtriser le ralentissement de leur économique mais il s’agit d’une forme d’incertitude irréductible et caractéristique du système économique, soumis à des chocs politiques, technologiques, économiques et financiers[1]. Au-delà de ces risques, qu’il ne faut pas sous-estimer, se pose la question de la capacité des économies à réduire les déséquilibres hérités de la crise. Si la croissance actuelle permet de réduire le taux de chômage ou d’améliorer le taux d’emploi, encore faut-il que ce régime soit durable pour retrouver le plein-emploi, réduire les inégalités, favoriser la réduction de la dette.

A cet égard, tous les doutes ne sont pas levés par l’embellie en cours de la situation économique mondiale. Premièrement, les performances de croissance restent modérées au regard de la récession passée et des précédents épisodes de reprise. Depuis 2012, la croissance moyenne de l’économie mondiale s’établit à 3,2 %, soit un niveau inférieur à celui observé dans les années 2000 (graphique). Le sentier de croissance semble plus proche de celui observé dans les années 1980 et 1990. Cette période qualifiée de Grande modération était caractérisée par une moindre volatilité macroéconomique et par un mouvement de désinflation, d’abord dans les pays avancés, puis dans les pays émergents. Ce deuxième élément est aussi un point important de la situation économique mondiale aujourd’hui. En effet, l’accélération de la croissance ne se traduit pas par un regain d’inflation. Cette inflation basse reflète la persistance d’un sous-emploi sur le marché du travail qui freine la croissance des salaires. Elle illustre également les difficultés des banques centrales à (ré-)ancrer les anticipations d’inflation sur leur cible.

Enfin, se pose la question du potentiel de croissance. Malgré les nombreuses incertitudes sur la mesure du potentiel de croissance, de nombreuses estimations convergent pour indiquer une croissance de long terme plus faible principalement du fait d’un ralentissement de la productivité tendancielle. Soulignons néanmoins que les méthodes utilisées pour déterminer ce sentier de croissance conduisent parfois à prolonger les tendances récentes et peuvent dès lors devenir auto-réalisatrices si elles conduisent les agents privés et publics à réduire leurs dépenses par anticipation de ce ralentissement de la croissance. Inversement, accroître la croissance future suppose des investissements privés et publics. Les politiques économiques doivent donc continuer à jouer un rôle moteur pour accompagner la reprise et créer les conditions de la croissance future.

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[1] Voir OFCE (2017) : La routine de l’incertitude.




Le casse-tête potentiel de la mesure des économies en dépenses publiques

par Raul Sampognaro

Depuis 2009, le déficit budgétaire français s’est réduit de 3,3 points de PIB, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques. Cette amélioration s’explique par la politique de restriction budgétaire mise en œuvre. Entre 2010 et 2013, l’essentiel de l’effort de consolidation s’expliquait par la hausse de la fiscalité, mais depuis 2014, l’effort passe essentiellement par les économies en dépenses publiques. En 2014 la dépense publique hors crédits d’impôts[1] a connu sa progression la plus faible depuis 1959 − année du début des comptes nationaux publiés par l’Insee : en valeur, la dépense hors crédits d’impôts a augmenté de 0,9 % et de seulement 0,3 % en volume (déflatée par les prix du PIB). A première vue, il peut apparaître contre-intuitif de parler d’économies en dépenses, alors que celles-ci sont en hausse croissante. Toutefois, leur progression est bien inférieure à la croissance potentielle, ce qui marque un vrai effort de réduction à long terme du ratio des dépenses sur le PIB. En effet, la formule usuellement utilisée pour calculer l’effort en dépenses dépend de l’hypothèse retenue sur la croissance potentielle : Formule_post09-11_500 Pour comprendre pourquoi la mesure de l’effort en dépenses publiques est dépendante de la croissance potentielle, il faut comprendre la notion de soutenabilité de la dette qui lui est sous-jacente. La définition théorique de la soutenabilité de la dette est consensuelle : la dette publique serait soutenable si le stock de dette actuel pouvait être remboursé par le flux futur anticipé des revenus nets de l’Etat[2]. Si ce concept est clair, son application concrète est plus difficile. Dans la pratique, la politique budgétaire est jugée soutenable si elle permet de stabiliser le ratio de la dette publique par rapport au PIB, à un niveau jugé conforme au  maintien du refinancement de marché. Ainsi, l’évolution de la dépense publique conforme à cet objectif devrait permettre de stabiliser la part de la dépense publique dans le PIB à long terme. Toutefois, comme la dépense publique répond essentiellement à des besoins sociaux indépendants de la conjoncture (en dehors de certaines prestations sociales comme l’assurance chômage), il ne peut pas être assuré, ni souhaitable, de stabiliser sa part dans le PIB à tout moment (ce qui impliquerait une évolution égale à celle de PIB). Pour éviter cet écueil, l’évolution en valeur des dépenses publiques est comparée au taux de croissance nominal du PIB potentiel[3] (dépendant du taux de croissance potentiel et de l’évolution annuelle du déflateur du PIB). Une croissance de la dépense publique supérieure (respectivement inférieure) au potentiel implique une impulsion positive (négative) car cela induit à long terme une hausse (baisse) du ratio des dépenses publiques sur le PIB. Si l’application de ce concept semble aisée, la croissance potentielle est par essence non observable et incertaine car très dépendante des hypothèses réalisées sur les variables démographiques et l’évolution future de la productivité. Dans le PLF 2016, le gouvernement a revu à la hausse ses hypothèses de croissance potentielle pour les années 2016 et 2017 (qui serait de +1,5 % au lieu de +1,3 % comme retenu lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques en décembre 2014). Cette révision est justifiée par la prise en compte des réformes structurelles mises en place, notamment lors du vote de la Loi Macron. Celle-ci serait la deuxième révision du potentiel depuis avril 2014 quand il l’estimait à +1,6 % (Programme de stabilité 2014-2017). Le gouvernement n’est pas le seul à revoir de façon répétée son évaluation du potentiel de croissance. Lors de la publication de ses dernières prévisions[4], la Commission a revu son évaluation de la croissance potentielle alors que sa dernière évaluation datait du mois de mai[5]. Il semble difficile de voir quelle nouvelle information a pu modifier son évaluation. Ces révisions récurrentes rendent difficile le débat économique en général[6] et brouillent le débat budgétaire. Ainsi à partir d’un jeu d’hypothèses de finances publiques identique, la mesure des économies en dépenses, et a fortiori de l’ajustement structurel, dépendra de la croissance potentielle retenue (tableau). Sous une hypothèse de croissance de la dépense publique (hors crédits d’impôts) en valeur de +1,3 % en 2016 et en 2017, l’ampleur de l’effort en dépenses aurait été évalué à 0,7 point en octobre 2015 (avec les hypothèses de potentiel du PLF 2016) ou à 0,6 point en décembre 2014 (LPFP 2014-2019). tabpost0911 Si les écarts identifiés ci-dessus semblent faibles, ils peuvent avoir des conséquences non négligeables sur l’application des règles budgétaires, ce qui peut amener les différents acteurs à agir sur leurs hypothèses dans le but de modifier l’effort affiché[7]. Alors que cette notion devrait orienter la vision de la trajectoire future des économies européennes, le débat est détourné. Les révisions récurrentes de la croissance potentielle focalisent les débats sur les aspects les plus techniques alors même que la méthode d’estimation de la croissance potentielle est incertaine par définition et n’est même pas consensuelle parmi les économistes. Ainsi, le semestre européen, qui devrait être le cadre de discussion et de coordination entre les Etats membres pour déterminer la politique économique qui s’adapte le mieux au contexte macroéconomique, pour la France ou pour l’ensemble de la zone euro, s’est perdu dans des débats techniques sans intérêt particulier.

 


[1] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques sur la base 2010 des comptes nationaux. Afin de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ils seront pris en compte comme une composante de la fiscalité.
[2] Cette définition est acceptée tant par la littérature académique (voir par exemple D’Erasmo P., Mendoza E. et Zhang J., 2015, “What is a Sustainable Public Debt?”, NBER WP, n° 21574, septembre 2015, ou par les organisations internationales (voir FMI, 2012, « Assessing Sustainability »).
[3] Il peut aussi être comparé à une évolution tendancielle de la dépense publique qui, elle, peut tenir compte des évolutions des besoins auxquels la dépense répond.
[4] La Commission européenne table sur une croissance de 1,1 % en 2015, de 1,4 % en 2016 et de 1,7 % en 2017 en France.
[5] L’évaluation a changé à la deuxième décimale.
[6] Pour ce débat voir H. Sterdyniak, 2015, « Faut-il encore utiliser le concept de croissance potentielle ? », Revue de l’OFCE, n° 142, octobre 2015.
[7] Les révisions de la croissance potentielle peuvent avoir un impact sur la montée en charge des procédures. Ces révisions ne peuvent pas entraîner des sanctions. Au stade des sanctions seulement, l’hypothèse de croissance potentielle de la Commission, réalisée au moment de la recommandation du Conseil, est utilisée dans les débats. Toutefois, il est probable qu’une divergence d’appréciation sur une variable non observable puisse générer du frottement dans la procédure, réduire la probabilité de sanctions et rendre les règles moins crédibles.



Le ralentissement de la croissance : du côté de l’offre ?

par Jérôme Creel et Xavier Ragot

La faiblesse de la reprise en 2014 et 2015 nécessite une réflexion structurelle sur l’état du tissu productif en France. En effet, l’analyse de la dynamique de l’investissement, de la balance commerciale, des gains de productivité ou du taux de marge des entreprises, et dans une moindre mesure de leur accès au crédit, indique l’existence de tendances inquiétantes depuis le début des années 2000. De plus, la persistance de la crise conduit inéluctablement à la question de l’érosion du tissu productif français depuis 2007 du fait de la faible croissance, du faible investissement et du nombre élevé de faillites.

Les contributions rassemblées dans la Revue de l’OFCE n°142 ont une double ambition : celle de mettre les entreprises et les secteurs au cœur de la réflexion sur les tenants et les aboutissants du ralentissement actuel de la croissance, et celle de questionner le bien-fondé des analyses théoriques sur la croissance future à l’aune des situations française et européenne. De ces contributions, neuf conclusions se dégagent :

1) La croissance potentielle, notion qui vise à mesurer les capacités productives d’une économie à moyen terme, a fléchi en France depuis la crise. Si le niveau de croissance potentielle sur longue période est élevé, de l’ordre de 1,8 %, la croissance potentielle fléchit depuis la crise de l’ordre de 0,4 point, selon la nouvelle mesure donnée par Eric Heyer et Xavier Timbeau.

2) La question centrale consiste à savoir si ce ralentissement est transitoire ou permanent. Cette question est importante pour les prévisions de croissance mais aussi pour les engagements européens de la France, qui dépendent de la croissance potentielle. Une conclusion importante de ce numéro est qu’une très grande partie de ce ralentissement est transitoire et liée à la politique économique menée en France. Comme le montrent Bruno Ducoudré et Mathieu Plane, le faible niveau d’investissement et d’emploi peut s’expliquer par l’environnement macroéconomique et, notamment, par la faiblesse actuelle de l’activité. Le comportement des entreprises ne semble pas avoir changé dans la crise. L’analyse de Ducoudré et Plane montre, par ailleurs, que les déterminants de l’investissement sont différents à court et à long terme. Une hausse de 1 % de l’activité économique augmente l’investissement de 1,4 % après un trimestre alors qu’une hausse de 1 % du taux de marge n’a qu’un impact très faible à cet horizon. Cependant à long terme (10 ans), une hausse de 1 % de l’activité augmente l’investissement de l’ordre de 1 %, alors qu’une hausse de 1 % du taux de marge augmente l’investissement de 2%. Ainsi, le soutien à l’investissement passe par un soutien à l’activité économique à court terme, tandis que le rétablissement des marges aura un effet de long terme.

3) Le tissu productif français va mettre du temps à se rétablir des effets de la crise du fait de trois puissants freins : la faiblesse de l’investissement, certes, mais aussi la baisse de la qualité de l’investissement et enfin la désorganisation productive consécutive à la mauvaise allocation du capital durant la crise, y compris dans sa dimension territoriale. Sarah Guillou et Lionel Nesta montrent que le faible niveau d’investissement, parce qu’il ne permet pas de monter en gamme, génère moins de progrès technique depuis la crise. Ensuite, Jean-Luc Gaffard et Lionel Nesta montrent que la convergence des territoires s’est ralentie depuis la crise et que l’activité a plutôt décru dans les territoires les plus productifs.

4) La notion de croissance potentielle sort profondément fragilisée de la crise comme outil de pilotage macroéconomique. Les révisions continues (quelles que soient les méthodes) de la croissance potentielle rendent dangereuse l’idée d’un pilotage européen en fonction de règles, comme le montre Henri Sterdyniak. Il faut donc retrouver une politique économique européenne qui assume son caractère discrétionnaire. En outre, une politique budgétaire plus contingente aux conditions macroéconomiques et financières, doit être mieux coordonnée avec la question climatique, comme l’argumentent Jérôme Creel et Eloi Laurent.

5) La notion de stagnation séculaire, c’est-à-dire un affaiblissement durable de la croissance donne lieu à d’intenses débats. Deux visions de la stagnation séculaire sont débattues. La première, celle de Robert Gordon, insiste sur l’épuisement du progrès technique. La seconde, dans la continuité des analyses de Larry Summers, insiste sur la possibilité d’un déficit permanent de demande. Jérôme Creel et Eloi Laurent montrent les limites de l’analyse de Robert Gordon pour la France ; en particulier, la démographie française est plus un avantage qu’un frein à la croissance française. Gilles Le Garrec et Vincent Touzé montrent la possibilité d’un déficit durable de demande, qui pèse sur l’accumulation du capital, du fait de l’impuissance de la Banque centrale à baisser encore ses taux d’intérêt. Dans un tel environnement, un soutien à la demande est nécessaire pour sortir d’un mauvais équilibre d’inflation basse et de chômage élevé, qui conduit à une perception négative du potentiel de croissance. Changer les anticipations peut demander des politiques de stimulation de l’activité économique de grande ampleur, tout comme l’acceptation d’une inflation durablement élevée.

6) Ainsi, les analyses présentées ici reconnaissent les profondes difficultés du tissu productif en France et recommandent une meilleure  coordination des politiques publiques. Il faut un soutien rapide à la demande afin de rétablir l’investissement, puis une politique continue et progressive de rétablissement des marges des entreprises exposées à la concurrence internationale. Pas de choc de compétitivité donc, mais un soutien aux entreprises qui prenne en compte le profil temporel de l’investissement productif, selon Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno.

7) A plus long terme, une partie du problème français qualifiée d’offre est le résultat des désajustements européens, notamment de la divergence des salaires entre les grandes économies européennes. La divergence entre la France et l’Allemagne est impressionnante depuis le milieu des années 1990. Mathilde Le Moigne et Xavier Ragot montrent que la modération salariale allemande est une singularité parmi les pays européens. Ils proposent une quantification de l’effet de cette modération salariale sur le commerce extérieur et l’activité économique en France. La modération salariale allemande contribue à une hausse de plus de 2 points du taux de chômage français. La politique de l’offre porte un autre nom : celui de politique de reconvergence européenne.

8) La modernisation profonde du tissu productif reposera sur des espaces de coopération, d’apprentissage collectif et de collaboration permettant de la créativité rendue possible par les nouvelles technologies. Ces espaces doivent reconnaître l’importance des actifs intangibles, qui sont si difficiles à valoriser. Dans des économies dont la population active vieillit, les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle doivent engendrer une amélioration du potentiel de productivité, selon Sandrine Levasseur. Il faut aussi renforcer la coopération au sein de deux espaces : l’entreprise et le territoire. Au sein de l’entreprise, une gouvernance partenariale doit permettre de limiter les tendances financières court-termistes. Au sein des territoires, la définition de systèmes territoriaux d’innovation doit être l’enjeu d’une politique industrielle moderne, selon Michel Aglietta et Xavier Ragot.

9) Pour conclure, ce n’est pas tant le niveau de la production qui inquiète que l’inéquitable répartition des fruits de la croissance, si faible soit-elle, comme le montre Guillaume Allègre. Le consensus naissant à propos de l’impact négatif des inégalités sur la croissance économique ne doit pas masquer le vrai débat, qui ne porte pas uniquement sur les écarts de revenus, mais aussi sur ce que ces revenus permettent de consommer, donc sur l’accès à des biens et services de qualité égale. La question essentielle devient alors celle du contenu de la production, avant celle de sa croissance.




L’infinie maladresse du budget français

par Xavier Timbeau, @XTimbeau

C’est entendu, dans le projet de budget communiqué à la Commission européenne le 15 octobre 2014, la France ne respecte pas les règles de la gouvernance européenne et les engagements antérieurs négociés dans le cadre du Semestre européen. Alors que la France est en procédure de déficit excessif, la Commission européenne n’a pas a priori d’autre choix que de rejeter le budget français parce qu’elle  est la gardienne des traités. Si la Commission ne refusait pas le budget français, qui s’écarte très significativement, au moins en apparence, de nos engagements antérieurs, alors aucun budget ne pourrait jamais être rejeté.

Rappelons que la France, et son Président actuel, ont ratifié le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Croissance (« TSCG », entré en vigueur en octobre 2012), qui avait été adopté par les chefs d’Etats en mars 2012. Il avait été question pendant la campagne présidentielle de 2012 de le renégocier (ce qui avait suscité l’espoir des pays du sud de l’Europe), mais l’urgence de la crise des dettes souveraines en Europe, entre autres, en a décidé autrement. La France a implémenté les dispositions de ce traité dans la loi organique n°2012-1403, mettant en place par exemple le Haut Conseil des Finances Publiques et définissant un schéma pluriannuel de suivi de la trajectoire des finances publiques à partir des soldes structurels (c’est-à-dire corrigés des effets de la conjoncture).

Tout semble donc indiquer que la France a accepté le cadre très contraignant que le TSCG et le 2-pack renforcent et qui avait été établi par le 6-pack (5 règlements et une directive, datés de 2011, qui renforcent le Pacte de Stabilité et de Croissance et qui en précisent le calendrier et les paramètres). La bonne volonté de la France a d’ailleurs été manifeste lors de la communication, en octobre 2013, d’un projet de budget 2014 et d’un programme de stabilité en avril 2014 plus que conformes. C’est dans une conférence de presse en septembre 2014 que le gouvernement français a annoncé que l’objectif de réduction de déficit pour 2015 ne serait pas tenu. Faible croissance et très faible inflation sont les arguments avancés alors pour une sérieuse révision de la situation économique présentée comme un discours de vérité. Le même cas s’était présenté en 2013, l’objectif nominal d’alors ayant été fixé en sous-estimant les multiplicateurs budgétaires. Cependant le calendrier et l’ampleur des ajustements avaient été respectés et un délai, de fait, accordé.

Donc, jusqu’à la conférence de presse, la mécanique du traité n’était pas mise en difficulté majeure. Une des innovations du TSCG est en effet de ne plus viser un objectif nominal (3%) mais de s’attacher à l’effort structurel. Si la conjoncture est plus mauvaise que prévue, alors, l’objectif nominal de déficit n’est pas rempli (ce qui est le cas). Dans ce cas, l’objectif est l’effort structurel. Dans le programme de stabilité 2014-2017 d’avril 2014, l’effort structurel annoncé (page 13) est de 0,8 point de PIB en 2015 de réduction du déficit structurel après 0,8 en 2014. La procédure de déficit excessif (précisée également dans un vade-mecum de la Commission) exige au minimum un effort structurel de 0,5 point du PIB et demande une documentation précise des moyens d’y parvenir.

C’est ici que le projet de budget 2015 matérialise l’infraction au traité. L’effort en 2014 n’est plus que de 0,1 point et est annoncé à 0,2 point en 2015. Ces chiffres sont ainsi inacceptables par la Commission. Comment expliquer cette modification provocatrice ? Plusieurs éléments y concourent. Le premier est une modification de la norme de comptabilisation du CICE qui conduit à inscrire en 2015 les dépenses générées en 2015 et payées en 2016. Au moment où le CICE monte en charge, c’est 0,2 point de PIB en moins dans l’effort budgétaire français. Le second est une modification de l’hypothèse de croissance potentielle. Au lieu de 1,5% de croissance potentielle dans le programme de stabilité 2014-2017, celle-ci est supposée être de 1,2% sur la période 2014-2017. A méthode constante, l’effort en 2014 aurait été de 0,5 point du PIB et de 0,6 point en 2015. La différence avec le programme de stabilité d’avril 2014 s’explique par la révision à la baisse de l’inflation et par quelques modifications sur les mesures. La nouvelle présentation du même budget, avec une modification marginale du contexte économique, est celle d’une absence d’effort structurel. Non seulement l’objectif nominal ne sera pas atteint, mais en plus l’effort structurel de 2014 et de 2015 est abandonné. Et ce, à politique inchangée ! Pire, ce projet de budget laisse entendre que l’objectif nominal n’est pas atteint parce que l’effort structurel n’a pas été réalisé en 2014 et ne le sera pas en 2015.

Pourtant le gouvernement plaide les circonstances exceptionnelles. Pourquoi avoir modifié les hypothèses de croissance potentielle et n’avoir pas conservé la norme comptable antérieure pour présenter le projet de budget français 2015 ? Un effort de 0,6 point du PIB en 2015 au lieu d’un effort précédemment annoncé de 0,8 point du PIB n’aurait pas posé de problème à la Commission, qui aurait relevé des hypothèses trop hautes de croissance potentielle (comme d’ailleurs dans ses remarques sur le projet de budget 2014, que le Conseil n’a pas retenu en novembre 2013). Il aurait été simple de répondre que l’on ne change pas des hypothèses de croissance potentielle tous les 6 mois et que c’est d’ailleurs l’objet de ce concept et la raison de son introduction dans les traités et les règles européennes : éviter la pro-cyclicité des politiques budgétaires, éviter de faire plus de restriction budgétaire au moment où les mauvaises nouvelles s’amoncellent. Il aurait été acquis que la Commission a une appréciation plus basse que la France, mais la croissance potentielle est non observée et son évaluation repose sur de nombreuses hypothèses. Ainsi, il n’est pas précisé dans les traités ou les règlements si l’on considère une croissance potentielle à court terme ou à moyen terme. Or la Commission estime (dans le 2012 Ageing Report) que la croissance potentielle à moyen terme de la France est de 1,7% par an (en moyenne de 2010 à 2060) et de 1,4% en 2015. Et surtout, rien n’oblige la France à adopter l’hypothèse de la Commission. Le règlement EU 473/2011 demande que les hypothèses soient explicitées et qu’éventuellement des opinions extérieures soient demandées. La loi organique 2012-043 énonce que « Un rapport annexé au projet de Loi de programmation des finances publiques et donnant lieu à approbation du Parlement présente : (…) 9° Les modalités de calcul de l’effort structurel mentionné à l’article 1er, la répartition de cet effort entre chacun des sous-secteurs des administrations publiques et les éléments permettant d’établir la correspondance entre la notion d’effort structurel et celle de solde structurel ; 10° Les hypothèses de produit intérieur brut potentiel retenues pour la programmation des finances publiques. Le rapport présente et justifie les différences éventuelles par rapport aux estimations de la Commission européenne » ce qui donne bien la mainmise sur l’hypothèse de croissance potentielle au gouvernement et pose le parlement souverain en dernier juge.

Fallait-il faire une opération vérité sur la croissance potentielle et modifier significativement cette hypothèse cruciale dans la présentation du budget ? Fallait-il que l’opération vérité conduise à présenter comme presque neutre un budget dans lequel on effectue un choix lourd et coûteux de politique (financer la compétitivité des entreprises par la baisse des dépenses publiques et la hausse des prélèvements sur les ménages) ? L’hypothèse de la Commission est-elle plus pertinente parce qu’elle a été continûment révisée tous les 6 mois depuis maintenant 5 ans ? Ne pouvait-on pas expliquer que l’ambitieux programme de réformes structurelles du gouvernement français contribuerait lui-même à relever le potentiel dans le futur (à moins qu’il n’y croie pas) ? Le CICE et le pacte de responsabilité ne sont-ils pas le gage de la vitalité retrouvée d’un tissu productif au point que cela se traduise par plus de croissance potentielle ? Ne fallait-il pas plutôt suivre les avis des auteurs d’un rapport pour le CAE sur la croissance potentielle qui ne se sont pas risqués à en produire une nouvelle estimation ? N’est-ce pas sur le sujet de la croissance qu’il fallait engager le dialogue (constructif et technique, dans des cénacles discrets) avec la Commission plutôt que d’afficher une infraction manifeste aux règles européennes ? Dans le projet de Loi de finance 2015 il est écrit (page 5) : « la trajectoire retient, par prudence, une croissance potentielle révisée à la baisse par rapport à la précédente loi de programmation, en reprenant la dernière estimation de croissance potentielle de la Commission européenne (printemps 2014) ». Quelle est cette sorte de prudence qui ressemble à une bourde aux conséquences terribles ? Est-ce le désordre dans le gouvernement à la fin du mois d’août 2014 qui a permis les circonstances de cette infinie maladresse ?

Il est impossible de justifier la présentation faite : la Commission réprimandera la France, qui ne réagira pas, sûre de son droit (et comme l’a déjà annoncé son gouvernement). La Commission devra alors monter l’échelle des sanctions et il est peu probable que le Conseil l’arrête en route, d’autant que les décisions y seront prises à la majorité qualifiée inversée. Le French bashing prendra un nouveau tour et ceci ne fera apparaître que l’inutilité du processus, puisque la France ne changera rien à sa trajectoire de finances publiques. Cela dépréciera la parole et l’influence française au moment où s’élabore l’initiative d’un plan d’investissement de 300 milliards d’euros qui n’est voulu que par la France et la Pologne (d’après la rumeur), au risque de faire capoter une des rares initiatives qui pouvait nous faire sortir de la crise.

En laissant la fureur feutrée de la technocratie exprimer son mécontentement envers la France, c’est la fragilité de la « gouvernance européenne » qui sera révélée. Or celle-ci ne repose que sur la dénonciation de la France et la pression par les pairs qu’elle implique. La France peut être mise à l’amende, mais ni le Conseil ni la Commission ne disposent d’instruments pour « forcer » la France à satisfaire aux exigences du traité. C’est toute la faiblesse de cette « gouvernance européenne » puisqu’elle ne fonctionne que si les Etats membres se plient volontairement aux règles. Elle n’a donc de gouvernance que le nom, mais elle est pourtant la clef de voûte de la sortie de la crise des dettes souveraines. La Banque centrale européenne est intervenue, à l’été 2012, parce que la gouvernance renforcée des finances publiques devait résoudre le problème de passager clandestin. Les (nombreux) détracteurs de l’intervention de la Banque centrale européenne ont largement dénoncé l’hypocrisie du traité, qui ne garantit rien puisqu’il repose sur la discipline consentie des Etats membres. L’infraction française, l’impuissance de la Commission et du Conseil constitueront une démonstration de cette faiblesse, au point que l’on peut craindre que le château de cartes ne s’effondre.

La France pourrait revoir son projet de budget et ajouter des mesures, qui dans la nouvelle méthode comptable et avec une hypothèse plus basse de potentiel, lui permettent de tenir son engagement d’effort structurel d’avril 2014. Ce scénario est très improbable et c’est une bonne chose (voir le post d’Henri Sterdyniak). Improbable, parce que les presque 2 points de TVA à taux plein nécessaires pour arriver à un effort de 0,8% du PIB (et donc sans compenser le retard pris en 2014) ne seraient pas votés par le Parlement français. Bonne chose, parce qu’ils auraient induit une récession (ou un sérieux ralentissement) en France et une montée du chômage totalement inacceptables pour simplement sauver la face de la Commission et appliquer avec diligence les textes européens.

Il aurait été bien plus habile de s’en tenir aux hypothèses (et méthodes) du programme de stabilité 2014. Le Haut Conseil aurait protesté, la Commission aurait querellé mais les règles de la gouvernance européenne auraient été sauves. On dit que les statistiques sont la forme la plus avancée du mensonge. Entre deux mensonges, autant choisir le moins stupide.




De l’austérité à la stagnation

Par Xavier Timbeau

Depuis 2010, la Commission européenne publie chaque année une « revue annuelle de la croissance », Annual Growth Survey en anglais, pour alimenter le semestre européen pendant lequel les gouvernements et les parlements des Etats membres, la Commission, la société civile doivent discuter et élaborer les stratégies économiques des différents pays européens. Il nous a paru important de participer à ce débat en publiant au même moment que la Commission une revue indépendante annuelle de croissance (indepedent Annual Growth Survey ou iAGS) en collaboration avec l’IMK, institut allemand et l’ECLM, institut danois. Ainsi, dans l’iAGS 2014, nous évaluons le coût de l’austérité menée depuis 2011. Menée alors que les multiplicateurs budgétaires étaient très élevés, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, cette politique d’austérité a été suivie simultanément par la plupart des pays de la zone euro. Il en a résulté un PIB amputé de 3,2% en zone euro pour 2013. Une stratégie alternative, aboutissant aux mêmes ratios de dette sur PIB dans 20 ans (soit 60% dans la plupart des pays) aurait été possible en ne cherchant pas à réduire les déficits publics à court terme, lorsque les multiplicateurs sont élevés. La baisse du chômage, le rétablissement des bilans des agents ou encore la sortie de la trappe à liquidité sont les conditions pour que les multiplicateurs budgétaires soient à nouveau bas. Un ajustement réduit mais continu, stratégie tout aussi rigoureuse sur le plan budgétaire mais plus adaptée à la situation économique, aurait permis de bénéficier de 2,3% points de PIB en plus en 2013, soit bien plus que dans la situation d’austérité brutale dans laquelle nous sommes. Ainsi, il n’y aurait pas eu de récession en 2012 ou en 2013 pour la zone euro dans son ensemble (voir le graphique ci-dessous : PIB en millions d’euros).   IMG_Post-9-12 Il est souvent avancé que la situation des finances publiques des pays de la zone euro ne laissait pas de choix. En particulier, la pression des marchés a été telle que certains pays ont craint, comme la Grèce par exemple, de perdre l’accès aux financements privés de leur dette publique. Les montants en jeu et une situation de déficit primaire sont avancés pour justifier cette stratégie brutale afin de convaincre à la fois les marchés et les partenaires européens. Pourtant, la crise des dettes souveraines, et donc la pression des marchés, s’est achevée dès lors que la Banque centrale européenne a annoncé qu’aucun pays ne quitterait l’euro, puis a mis en place un instrument, l’OMT (Outright Monetary Transaction) qui permet, sous condition, de racheter des titres de dette publique des pays de la zone euro et donc d’intervenir pour contrer la défiance des marchés (voir une analyse ici). Dès lors, ce qui compte, c’est la soutenabilité de la dette publique à moyen terme et non plus la démonstration dans l’urgence que l’on peut faire accepter n’importe quelle politique aux populations. Or cette soutenabilité nécessite une politique d’ajustement continu (parce que les déficits sont élevés) et modéré (parce que les politiques budgétaires ont un impact majeur sur l’activité). En choisissant la voie dure de l’austérité, nous avons payé le prix fort de l’incohérence institutionnelle de la zone euro que la crise a révélée. Dans l’iAGS 2014, nous pointons d’autres coûts que la perte d’activité due à cette austérité. D’une part, les inégalités augmentent et la pauvreté ancrée, c’est-à-dire mesurée à partir des revenus médians de 2008, s’accroît de façon considérable dans les pays les plus touchés par la récession. Le niveau élevé du chômage entraîne certains pays (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) dans la déflation salariale. Cette déflation salariale se traduira par des gains de compétitivité-coût mais, en retour, conduira leurs partenaires à s’engager aussi sur la voie de la déflation salariale ou de la dévaluation fiscale. Au total, l’ajustement des taux de change effectifs ne se produira pas, ou à un rythme si lent que ce sont les effets de la déflation qui domineront, d’autant que l’appréciation de l’euro ruinera les espoirs d’une compétitivité accrue par rapport au reste du monde. L’effet principal de la déflation salariale sera un alourdissement réel (ou rapporté au revenu) de la dette privée et publique. Cela remettra au centre de l’actualité les défauts massifs, publics comme privés, ainsi que les risques d’éclatement de la zone euro. Pour autant, on peut sortir du piège de la déflation. Des pistes sont développées et chiffrées dans l’iAGS 2014. En réduisant les écarts de taux souverains, on peut donner une marge de manœuvre importante aux pays en crise. La continuation de l’action de la BCE, mais aussi un engagement crédible des Etats membres pour stabiliser leurs finances publiques en sont les leviers. L’investissement public a été réduit de plus de 2 points de PIB potentiel depuis 2007. Ré-investir dans le futur est une nécessité, d’autant que les infrastructures non entretenues coûteront très cher à reconstruire si on les laisse s’effondrer. Mais c’est aussi un moyen de stimuler l’activité sans compromettre la discipline budgétaire, puisque celle-ci doit être appréciée non pas par l’évolution de la dette brute mais par celle de la dette nette. Enfin, le salaire minimum doit être utilisé comme instrument de coordination. Nos simulations montrent qu’il y a là un moyen de freiner les processus déflationnistes et de résorber les déséquilibres courants si les pays en excédent s’engagent à ce que leur salaire minimum augmente plus vite en termes réel que leur productivité et qu’au contraire dans les pays en déficit, le salaire minimum augmente moins vite que la productivité. Une telle règle, qui respecterait à la fois les pratiques nationales en matière de négociation salariale, ainsi que les niveaux de productivité ou les spécificités des marchés du travail, permettrait de réduire graduellement les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro.




Quel impact de la politique budgétaire sur la croissance française?

par Eric Heyer

La bonne grille d’analyse de l’économie française est celle d’une grande économie peu ouverte et non pas celle d’une petite économie ouverte : elle est dans une situation conjoncturelle encore fortement dégradée et loin de sa position d’équilibre (chômage de masse, existence de surcapacités de production), avec des pays européens qui adoptent la même orientation de politique budgétaire.  Dans ces conditions, tout laisse conclure que les multiplicateurs budgétaires sont élevés. Ainsi, le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique :  les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1. 

A la suite d’une profonde récession, la méthode la plus adaptée à un exercice de prévision de l’activité à court terme (2 ans) consiste à évaluer le retour (vitesse et ampleur) spontané de l’économie vers son niveau d’équilibre ou potentiel mais aussi et surtout à quantifier l’impact de chocs exogènes (prix des matières premières, politique économique…) sur cette trajectoire spontanée.

Lors de notre dernière prévision, nous signalions que le potentiel de rebond de l’économie française est important : celui-ci correspondrait à une croissance spontanée de près de 4 % l’an au cours des années 2011 et 2012, permettant de rattraper, 4 ans après le début de la crise,  l’écart de production observé au cours de celle-ci.

Deux chocs exogènes freineront ce retour au potentiel. Le premier est lié à l’envolée des prix des matières premières : absorbé principalement par les ménages, ce choc pèsera sur leur pouvoir d’achat et limitera leurs dépenses. Ce mécanisme, également à l’œuvre dans les autres pays occidentaux, provoquera un ralentissement de leur économie et donc de leur demande adressée à la France. En cumulé, ce choc de pouvoir d’achat diminuera  d’1 point la croissance de l’économie française au cours de la période 2011-2012. Le second est lié à la politique budgétaire : à partir de 2011, les grands (et petits) pays développés, face à la montée de leur dette et au creusement de leur déficit public, vont mettre en place des politiques de restrictions budgétaires. La généralisation de cette stratégie portera un coup de frein à la croissance économique,  évaluée à  2,8 points de PIB au cours des années 2011-2012.

Si l’évaluation d’un choc de pouvoir d’achat est relativement consensuelle, il n’en va pas de même pour l’incidence de la politique budgétaire sur l’activité.

Quelle valeur du multiplicateur budgétaire ?

Depuis la Grande Dépression, la pensée économique se partage autour de l’évaluation de l’impact de la politique budgétaire. Dans l’histoire de la pensée économique, deux grandes écoles théoriques s’opposent sur l’impact attendu à court terme d’une politique budgétaire sur l’activité économique ((A long terme, l’efficacité d’une politique budgétaire disparaît. )). D’un côté, l’école dite « keynésienne » considère qu’une augmentation d’un point de PIB des dépenses publiques (ou d’une baisse équivalente des impôts) doit donner lieu à une augmentation du PIB de plus d’un pourcent : on parle alors strictement d’effet multiplicateur keynésien. De l’autre, il existe une série d’arguments théoriques qui mettent en cause les capacités de la politique budgétaire à engendrer une augmentation plus que proportionnelle du PIB. Dans cette école, il faut alors distinguer ceux qui concluent en faveur d’un multiplicateur budgétaire positif (quoiqu’inférieur à l’unité) de ceux qui concluent en faveur d’un multiplicateur budgétaire négatif ; dans ce dernier cas, on parlera strictement de multiplicateurs budgétaires anti-keynésiens.

De nombreux travaux empiriques ont tenté de trancher ce débat théorique. Une revue de la littérature sur ce sujet nous enseigne  que le multiplicateur budgétaire est toujours positif et que sa valeur serait d’autant plus élevé que :

  1. Les politiques budgétaires sont synchrones dans les pays partenaires ;
  2. L’instrument utilisé est centré sur les dépenses publiques plutôt que sur la fiscalité (Haavelmo (1945) (( Haavelmo T. (1945), “Multiplier effects of a balanced budget”, Econometrica, vol. 13, n°4, octobre, pp. 311-318.));
  3. La politique monétaire est inefficace (FMI (2010) ((FMI (2010), “Recovery, Risk, and Rebalancing”World Economic Outlook, chapitre 3, octobre. ));

Dans un article récentl’OFCE à mis en avant un 4e facteur, lié à la situation conjoncturelle : le multiplicateur serait d’autant plus élevé que l’économie se situe en bas de cycle.

Que pouvons-nous dire dans le contexte économique actuel ?

La mise en place de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens (critère 1), centrées sur la réduction des dépenses publiques (critère 2) et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » (critère 3) décrit un contexte de multiplicateur élevé.

Seule l’hypothèse selon laquelle la crise économique ne s’est pas contentée de provoquer une chute de la production mais a également pu avoir un fort impact sur le potentiel économique des économies de la zone pourrait rendre la stratégie actuelle de consolidation budgétaire optimale (critère 4): sous cette hypothèse, la hausse du chômage structurel serait identique à celle du chômage observé et les multiplicateurs budgétaires seraient faibles à court terme et nuls à long terme.

Si en revanche le potentiel de croissance des économies n’a pas été significativement modifié au cours de cette crise, alors l’efficacité apparente de cette stratégie budgétaire disparaîtrait et viendrait conforter les 3 premiers critères, renforçant son caractère austère.

Sur ce point crucial, la forte stimulation due aux politiques économiques rend plus hypothétique l’évaluation de la nouvelle trajectoire potentielle de l’économie et complexifie le choix de la politique de sortie de crise et du tempo de sa mise en place. Pour autant, la violence du choc initial permet, semble-t-il, de lever toute ambiguïté dans le cas des pays développés : même à considérer que cette crise ait eu un impact puissant sur la croissance potentielle de l’économie, cela ne permettrait toutefois pas d’annuler les surcapacités engendrées par celle-ci et accumulées depuis trois ans.

Tableau 1. Quel autre scénario de sortie de crise ? Le cas d’une politique budgétaire neutre en lieu et place de la politique d’austérité annoncée.
Résumé de l’impact d’une politique budgétaire neutre  sur le taux de chômage et les finances publiques
En  écart de point de % par rapport au scénario central
2011 2012
PIB 1,7 1,1
Solde des APU (en point de PIB) -0,6 -0,6
Taux de chômage -0,9 -1,5
Sources : INSEE ; calculs OFCE e-mod.fr.

Il est également possible d’enrichir cette analyse en l’abordant cette fois sous l’angle du chômage et non plus sous celui de la production : depuis le début de cette crise, le chômage a connu une hausse aussi brutale que spectaculaire en passant de 7,2 % en début d’année 2008 à 9,3 fin 2010. Cette hausse du chômage ne peut pas être considérée comme une hausse du chômage d’équilibre: au cours de la période, il n’y pas eu de modifications notables des institutions ou des pratiques sur le marché du travail, déterminants principaux du chômage d’équilibre. Certes, à court terme, le chômage d’équilibre a pu être modifié par une mauvaise allocation sectorielle des ressources en capital ou en main-d’œuvre. De la réallocation peut également découler une baisse de productivité. Mais, en tout état de cause, rien ne permet de conclure à une hausse durable du chômage d’équilibre. Ainsi, la situation actuelle est bien une situation de sous emploi involontaire par rapport à celle que l’on pourrait avoir, sans inflation, avec la pleine utilisation de la main-d’œuvre disponible.

Dans ces conditions tout laisse conclure que les multiplicateurs sont élevés : la situation conjoncturelle est encore fortement dégradée et loin de sa position d’équilibre (chômage de masse, existence de surcapacités de production) ; la politique monétaire peine à mordre ; et tous les pays développés sont dans la même configuration et vont donc conduire la même politique.

La bonne grille d’analyse théorique est alors celle d’une grande économie peu ouverte et non pas celle d’une petite économie ouverte.  Ainsi, le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique :  les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1.

Une simulation de politique budgétaire neutre indique que le choix de consolidation budgétaire proposé par les pays développés va empêcher l’enclenchement d’un enchaînement vertueux : sans elle, la croissance dans l’hexagone aurait été supérieure de 1,7 point en 2011 et de 1,1 point en 2012 (tableau 1). Cela aurait permis au taux de chômage d’entamer une décrue significative (-1,5 point), pour finalement s’établir à 7,8 % en 2012, niveau proche de celui qui prévalait avant la crise. Le déficit des APU aurait bénéficié également de ce surcroît d’activité : celui-ci se serait réduit, certes moins que dans le cas de la politique d’austérité annoncée (5 points de PIB), en atteignant 5,6 points de PIB en 2012 (tableau 1). En élevant le taux de chômage de 1,5 point par rapport à la situation de référence, à savoir celle sans politique budgétaire restrictive, le coût d’une réduction de 0,6 point de PIB du déficit des APU apparaît extrêmement élevé.