L’Europe est morte. Vive l’Europe !

par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

Le choix des Britanniques du Brexit ne fait que renforcer la logique politique qui s’impose. D’un côté, les peuples veulent être consultés, de l’autre, l’Europe est sommée de changer. François Hollande juge que « le vote du Royaume-Uni met l’Europe à l’épreuve » ; Alain Juppé estime « qu’il faut écrire une nouvelle page, un nouveau chapitre de l’histoire de l’Europe » ; les leaders du Front National, mais pas eux seulement, appellent à un référendum sur l’appartenance de la France à l’UE et à l’euro. Partout en Europe, le débat s’engage sur les mêmes termes.

Nous écrivions il y a quelques jours, sur le site de la fondation Terranova : «  Le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne va induire un choc plus politique qu’économique. Il sera en effet difficile de contenir les demandes de consultation similaire. Répondre à ces demandes par « plus d’Europe » ne fera qu’alimenter la distance entre les peuples et la construction européenne. Penser que des référendums pourraient au contraire légitimer le statu quo serait également une erreur. Nous proposons de répondre au besoin démocratique non pas par un « quitte ou double » mais par un processus d’appropriation démocratique qui permette de légitimer la construction européenne et d’en imaginer les évolutions futures ».

Instruire cette méthode d’appropriation démocratique de l’Europe et de la zone euro est nécessaire. Des référendums « pour ou contre » n’y parviendront pas. Le saut fédéral est un repoussoir pour probablement une grande majorité des Européens. Mais pour autant, il existe une chose publique en Europe. Articuler les lieux actuels de la démocratie que sont les Etats membres de l’UE avec la nécessité, pour certains sujets, d’une légitimité supranationale est l’alternative à l’invention du citoyen européen. Mais c’est la méthode qui compte. Et tous les leviers de la démocratie participative, de grands débats nationaux et transnationaux en passant par des jurys citoyens, doivent être mobilisés pour faire le bilan de l’Europe telle qu’elle est et proposer les réformes qui la rendront plus démocratique. Ceci peut déboucher concrètement sur des avancées comme un parlement de la zone euro ou une extension du pouvoir du Parlement européen. Au-delà, c’est aussi le moyen d’inverser la tendance à la décomposition de l’Europe.

 




Sauver la Grèce par la démocratie

par Maxime Parodi, @MaximeParodi, Thomas Piketty (Directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris) et Xavier Timbeau @XTimbeau

Cette tribune a été publiée dans Le Monde daté du mercredi 10 juin 2015.

Le feuilleton grec emplit les journaux depuis l’élection au pouvoir de Syriza, le 25 janvier 2015. Pris dans le nœud coulant de ses créances, le gouvernement grec défend sa position avec comme menace la sortie de la Grèce de la zone euro. Tout est bloqué aujourd’hui, comme si rien n’avait avancé, sauf que la gestion et la trésorerie publiques grecques sont disloquées et que l’économie grecque s’est effondrée. Fuite des dépôts bancaires, incertitude quant à l’avenir monétaire et aux mesures qui seront prises expliquent que plus personne ne puisse vraiment se projeter dans le futur.

Quant aux autres Européens, ils s’interrogent sur ce qui a conduit à cette situation. L’incomplétude institutionnelle de la zone euro a été diagnostiquée et on propose (comme prochainement le rapport des 5 présidents au sommet européen du 25 juin) de renforcer la construction de la zone euro. Mais ce qui se profile à ce stade n’est guère satisfaisant. Mais ce qui se profile n’est pas à la hauteur de l’enjeu européen. Continuer de proposer plus de technocratie avec un vernis démocratique ne ferait que répéter les recettes qui ont fabriqué ce désastre.

Prenons donc le problème dans l’autre sens en donnant à la démocratie européenne une chance d’émerger. Confions à un organe représentatif des parlements nationaux de la zone euro, c’est-à-dire un embryon d’une véritable chambre parlementaire de la zone euro, la résolution de la question de la dette grecque. L’assemblée arbitrerait le conflit entre les créanciers et le gouvernement grec, en déplaçant le débat et les décisions vers les questions importantes : quelle est la responsabilité des jeunes générations quant à la dette de leurs aînés ? Quid du droit des créanciers ? Comment ont été réduites les autres dettes publiques importantes dans l’histoire, et quelles leçons peut-on en tirer pour l’avenir ? Que vaut la sauvegarde de l’euro dans cette affaire ? Comment empêcher que demain de nouvelles accumulations de dettes insoutenables ne se produisent ?

En étant légitimé par une assemblée solennelle et qui en sera la gardienne, l’accord qui serait trouvé ne risquerait pas, une nouvelle fois, d’être dénoncé demain. Puisqu’il s’agit de résoudre une question de dette, et également pour éviter qu’un accord soit obtenu par la force il faudra, d’une part, suspendre les créances de la Grèce le temps qu’il faudra (disons une année au vu du chantier qui s’annonce). Cette procédure de bon sens est appliquée dans tous les cas de résolution de dette privée dans presque tous les pays du monde. Cela demandera d’isoler le FMI de la discussion en laissant la Grèce rembourser cette institution. D’autre part, il faudra évacuer la possibilité de la sortie de la Grèce de la zone euro. En acceptant le principe de la négociation, la Grèce et les autres pays européens s’interdiraient cette option et s’engageraient à accepter les termes de l’accord trouvé. L’embryon d’assemblée aurait la possibilité d’en réexaminer les conditions périodiquement pour suivre les contingences de l’économie grecque. C’est en pratique ce qui est fait aujourd’hui, mais ce serait là explicité et légitimé.

Les institutions techniques (la Commission, la BCE) continueraient d’instruire et d’appuyer les réformes envisagées. Elles informeraient l’assemblée et répondraient devant elle. L’assemblée serait un organe identifié pour, le cas échéant, arbitrer des conflits. Rien n’empêche non plus d’introduire dans le jeu le Conseil européen ou le Parlement. Mais en clarifiant la légitimité, on ouvrirait la porte à une solution à la fois plus constructive envers la Grèce et les autres pays lourdement endettés et plus juste envers les contribuables de la zone euro. On expérimenterait un schéma de résolution des défauts souverains à l’intérieur de la zone euro en bâtissant une union politique. En se rappelant une chose : l’Europe s’est reconstruite à partir des années 1950 en investissant dans l’avenir et en oubliant les dettes du passé, notamment celles de l’Allemagne.

Au-delà, cette assemblée serait compétente pour établir un fonds commun des dettes de la zone euro, engager une restructuration d’ensemble et fixer des règles démocratiques encadrant à l’avenir le choix du niveau commun de déficit et d’investissement public, dans l’esprit des propositions faites dans le Manifeste pour une union politique de l’euro, par exemple. De quoi sortir du bricolage qui secoue notre zone euro aujourd’hui.