Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




PLF 2016 : la longue route vers les 3 %

par Raul Sampognaro

Le Projet de loi de Finances 2016 (PLF 2016) poursuit l’ajustement budgétaire entamé en 2010. Cet ajustement a permis notamment de réduire le déficit public de 3,3 points de PIB en l’espace de cinq ans, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques[1]. La baisse du déficit devrait se poursuivre au cours de la période 2015-2017. Notre dernière prévision table sur un déficit à 3,7 % en 2015 puis à 3,2 % en 2016 et 2,7 % en 2017, année où le déficit passerait en-dessous de la « barre des 3 % ». Cette trajectoire est légèrement plus favorable à celle retenue par le gouvernement[2] dans le PLF 2016 en raison d’une reprise de l’activité que nous attendons un peu plus dynamique. Au final, il se sera écoulé dix ans entre le moment où la France a franchi le seuil des 3 % et le moment où elle serait revenue en-dessous.

Ce nouveau PLF 2016 s’inscrit dans la continuité de la stratégie budgétaire mise en œuvre depuis 2014 : l’effort structurel est réalisé essentiellement sur la dépense publique et cet effort permet la réduction des déficits et de la fiscalité des entreprises.

Depuis 2014 un effort conséquent est réalisé sur la dépense publique. Au cours l’année 2014, la dépense publique hors crédits d’impôts[3] a connu sa progression la plus faible depuis 1959[4] (graphique 1), c’est-à-dire l’année du début des comptes des administrations publiques publiés par l’Insee. Cette stratégie a été renforcée lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques (LPFP) de 2015, qui prévoyait la mise en œuvre d’un plan de 50 milliards d’euros d’économies de dépenses publiques au cours de la période 2015-2017. Le PLF 2016 concrétise cet effort : l’Etat et ses opérateurs réaliseront une économie de 5,1 milliards, les concours financiers de l’Etat envers les collectivités territoriales seraient réduits de 3,5 milliards d’euros et le système de protection sociale devrait contribuer à hauteur de 7,4 milliards d’euros, soit un total d’économies pour l’année 2016 qui s’élève à 16 milliards d’euros. Hors crédits d’impôts, en valeur, la dépense publique devrait augmenter de +1,3 % en 2015, en 2016 et en 2017 (entre 2000 et 2007, elle a augmenté de 4,0 % par an en moyenne). L’effort, mesuré en volume, est encore plus marqué : après la quasi stabilisation attendue pour 2015 (+0,1 %), la dépense publique devrait accélérer progressivement à partir de 2016 (+0,3 % puis +0,6 % en 2017), des rythmes de progression qui restent historiquement faibles. Cette progression de la dépense publique, bien inférieure à la croissance potentielle française marquerait un vrai effort de baisse à long terme du ratio des dépenses publiques sur le PIB.

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En ce qui concerne la fiscalité, les nouvelles mesures mises en œuvre devraient faire reculer les prélèvements obligatoires (PO) de 0,1 point de PIB (soit une baisse de –2,4 milliards d’euros ou de −4,4 milliards si l’effet de la suppression de la prime pour l’emploi est neutralisé[5]). La baisse globale des PO de 2016 resterait proche de celle de 2015 et serait ciblée sur les entreprises, qui bénéficieront toujours de la montée en charge du CICE, du plan investissement et du plan TPE/PME, et des nouvelles mesures du Pacte de responsabilité[6] (tableau 1). En revanche, les nouvelles mesures pesant sur les ménages feraient augmenter leurs prélèvements de 2,1 milliards d’euros[7], en dépit de la baisse de l’IRPP inscrite dans le PLF 2016 car elle serait compensée par des mesures préalablement votées. Enfin, les mesures discrétionnaires connues pour 2017, qui incluent notamment la montée en charge du CICE et les dernières mesures du Pacte de responsabilité, restent ciblées sur les entreprises.

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La stratégie budgétaire décrite ci-dessus cherchant à réduire simultanément les déficits publics structurels et la fiscalité des entreprises, financée par la maîtrise de la dépense publique et la hausse des prélèvements sur les ménages pèsera sur la croissance. L’ajustement structurel est estimé, selon nos calculs, à 0,5 point de PIB pour l’année 2015 et à 0,3 point pour les années 2016 et 2017. Cet ajustement pénalise d’autant plus la croissance que les politiques d’offre n’auront un impact positif qu’à moyen et à long terme. Leur effet sera modeste à court terme, alors que la baisse des dépenses publiques et la hausse des prélèvements sur les ménages ont un impact plus rapide sur le PIB et plutôt élevé à court terme, notamment dans un contexte où l’activité reste morose[8]. Ainsi, au total, la politique budgétaire amputerait la croissance du PIB de 0,4 point en 2016 et en 2017 (tableau 2).

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Notre prévision a été finalisée fin-septembre avant les attentats du 13 novembre et du discours de F. Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, où il a prononcé « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Sur la base de notre prévision et des annonces réalisées depuis le 13 novembre, il apparaît a priori que les cibles de déficit nominal seraient toujours conformes aux engagements européens de la France. En outre, les nouvelles dépenses liées à la réponse faite aux attentats de novembre seraient exclues du calcul de déficit dans le cadre de la procédure de déficit excessif. Pour rappel, les augmentations de dépenses liées à des événements extraordinaires, non contrôlés par le gouvernement, rentrent dans le cadre des flexibilités existantes dans l’application des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Dans ce contexte, la France devrait sortir de la procédure de déficit excessif à l’horizon 2017, conformément à la recommandation du Conseil du 10 mars 2015.

 


[1] La réduction du déficit structurel est en fait plus marquée, de 4,3 points de PIB.

[2] Selon le gouvernement ; le déficit public baisserait de 0,1 point de PIB en 2015 (3,8 % du PIB), de 0,5 point en 2016 (3,3 %) et de 0,6 point en 2017.

[3] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques par la base 2010 des comptes nationaux. Afin, de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ces derniers seront analysés comme une composante de la fiscalité.

[4] Elle a augmenté de 0,9 % en valeur et de seulement 0,3 % en volume (déflaté par les prix du PIB).

[5] La fusion de la PPE et du RSA se traduit par une hausse de l’IR de 2 milliards (hausse des PO), compensée à l’identique par une hausse de la prime d’activité qui, elle, est comptabilisée en dépenses. Cette mesure est donc neutre sur le revenu des ménages.

[6] Avec notamment l’extension de la baisse des cotisations sociales employeurs, la poursuite de la baisse de la C3S  et l’élimination de la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés.

[7] Ce chiffre neutralise l’impact de la fusion de la PPE et du RSA.

[8] Voir Creel, Heyer et Plane (2011), « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011.




Le casse-tête potentiel de la mesure des économies en dépenses publiques

par Raul Sampognaro

Depuis 2009, le déficit budgétaire français s’est réduit de 3,3 points de PIB, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques. Cette amélioration s’explique par la politique de restriction budgétaire mise en œuvre. Entre 2010 et 2013, l’essentiel de l’effort de consolidation s’expliquait par la hausse de la fiscalité, mais depuis 2014, l’effort passe essentiellement par les économies en dépenses publiques. En 2014 la dépense publique hors crédits d’impôts[1] a connu sa progression la plus faible depuis 1959 − année du début des comptes nationaux publiés par l’Insee : en valeur, la dépense hors crédits d’impôts a augmenté de 0,9 % et de seulement 0,3 % en volume (déflatée par les prix du PIB). A première vue, il peut apparaître contre-intuitif de parler d’économies en dépenses, alors que celles-ci sont en hausse croissante. Toutefois, leur progression est bien inférieure à la croissance potentielle, ce qui marque un vrai effort de réduction à long terme du ratio des dépenses sur le PIB. En effet, la formule usuellement utilisée pour calculer l’effort en dépenses dépend de l’hypothèse retenue sur la croissance potentielle : Formule_post09-11_500 Pour comprendre pourquoi la mesure de l’effort en dépenses publiques est dépendante de la croissance potentielle, il faut comprendre la notion de soutenabilité de la dette qui lui est sous-jacente. La définition théorique de la soutenabilité de la dette est consensuelle : la dette publique serait soutenable si le stock de dette actuel pouvait être remboursé par le flux futur anticipé des revenus nets de l’Etat[2]. Si ce concept est clair, son application concrète est plus difficile. Dans la pratique, la politique budgétaire est jugée soutenable si elle permet de stabiliser le ratio de la dette publique par rapport au PIB, à un niveau jugé conforme au  maintien du refinancement de marché. Ainsi, l’évolution de la dépense publique conforme à cet objectif devrait permettre de stabiliser la part de la dépense publique dans le PIB à long terme. Toutefois, comme la dépense publique répond essentiellement à des besoins sociaux indépendants de la conjoncture (en dehors de certaines prestations sociales comme l’assurance chômage), il ne peut pas être assuré, ni souhaitable, de stabiliser sa part dans le PIB à tout moment (ce qui impliquerait une évolution égale à celle de PIB). Pour éviter cet écueil, l’évolution en valeur des dépenses publiques est comparée au taux de croissance nominal du PIB potentiel[3] (dépendant du taux de croissance potentiel et de l’évolution annuelle du déflateur du PIB). Une croissance de la dépense publique supérieure (respectivement inférieure) au potentiel implique une impulsion positive (négative) car cela induit à long terme une hausse (baisse) du ratio des dépenses publiques sur le PIB. Si l’application de ce concept semble aisée, la croissance potentielle est par essence non observable et incertaine car très dépendante des hypothèses réalisées sur les variables démographiques et l’évolution future de la productivité. Dans le PLF 2016, le gouvernement a revu à la hausse ses hypothèses de croissance potentielle pour les années 2016 et 2017 (qui serait de +1,5 % au lieu de +1,3 % comme retenu lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques en décembre 2014). Cette révision est justifiée par la prise en compte des réformes structurelles mises en place, notamment lors du vote de la Loi Macron. Celle-ci serait la deuxième révision du potentiel depuis avril 2014 quand il l’estimait à +1,6 % (Programme de stabilité 2014-2017). Le gouvernement n’est pas le seul à revoir de façon répétée son évaluation du potentiel de croissance. Lors de la publication de ses dernières prévisions[4], la Commission a revu son évaluation de la croissance potentielle alors que sa dernière évaluation datait du mois de mai[5]. Il semble difficile de voir quelle nouvelle information a pu modifier son évaluation. Ces révisions récurrentes rendent difficile le débat économique en général[6] et brouillent le débat budgétaire. Ainsi à partir d’un jeu d’hypothèses de finances publiques identique, la mesure des économies en dépenses, et a fortiori de l’ajustement structurel, dépendra de la croissance potentielle retenue (tableau). Sous une hypothèse de croissance de la dépense publique (hors crédits d’impôts) en valeur de +1,3 % en 2016 et en 2017, l’ampleur de l’effort en dépenses aurait été évalué à 0,7 point en octobre 2015 (avec les hypothèses de potentiel du PLF 2016) ou à 0,6 point en décembre 2014 (LPFP 2014-2019). tabpost0911 Si les écarts identifiés ci-dessus semblent faibles, ils peuvent avoir des conséquences non négligeables sur l’application des règles budgétaires, ce qui peut amener les différents acteurs à agir sur leurs hypothèses dans le but de modifier l’effort affiché[7]. Alors que cette notion devrait orienter la vision de la trajectoire future des économies européennes, le débat est détourné. Les révisions récurrentes de la croissance potentielle focalisent les débats sur les aspects les plus techniques alors même que la méthode d’estimation de la croissance potentielle est incertaine par définition et n’est même pas consensuelle parmi les économistes. Ainsi, le semestre européen, qui devrait être le cadre de discussion et de coordination entre les Etats membres pour déterminer la politique économique qui s’adapte le mieux au contexte macroéconomique, pour la France ou pour l’ensemble de la zone euro, s’est perdu dans des débats techniques sans intérêt particulier.

 


[1] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques sur la base 2010 des comptes nationaux. Afin de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ils seront pris en compte comme une composante de la fiscalité.
[2] Cette définition est acceptée tant par la littérature académique (voir par exemple D’Erasmo P., Mendoza E. et Zhang J., 2015, “What is a Sustainable Public Debt?”, NBER WP, n° 21574, septembre 2015, ou par les organisations internationales (voir FMI, 2012, « Assessing Sustainability »).
[3] Il peut aussi être comparé à une évolution tendancielle de la dépense publique qui, elle, peut tenir compte des évolutions des besoins auxquels la dépense répond.
[4] La Commission européenne table sur une croissance de 1,1 % en 2015, de 1,4 % en 2016 et de 1,7 % en 2017 en France.
[5] L’évaluation a changé à la deuxième décimale.
[6] Pour ce débat voir H. Sterdyniak, 2015, « Faut-il encore utiliser le concept de croissance potentielle ? », Revue de l’OFCE, n° 142, octobre 2015.
[7] Les révisions de la croissance potentielle peuvent avoir un impact sur la montée en charge des procédures. Ces révisions ne peuvent pas entraîner des sanctions. Au stade des sanctions seulement, l’hypothèse de croissance potentielle de la Commission, réalisée au moment de la recommandation du Conseil, est utilisée dans les débats. Toutefois, il est probable qu’une divergence d’appréciation sur une variable non observable puisse générer du frottement dans la procédure, réduire la probabilité de sanctions et rendre les règles moins crédibles.



L’instabilité financière nuit-elle réellement aux performances économiques ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Quel lien pouvons-nous établir entre le degré de financiarisation des économies (entendu comme le ratio des crédits accordés aux agents privés sur le PIB), l’instabilité financière et les performances économiques (généralement le PIB par habitant) dans l’Union européenne (UE) ? C’est à cette question que nous entendons apporter des éléments de réponse à travers les résultats tirés d’un récent document de travail[1].

Dans la littérature économique, deux grandes visions s’affrontent. D’un côté, une optique héritée de Schumpeter rappelle la nécessité pour les entrepreneurs d’accéder à des sources de crédit afin de financer leurs innovations. Le secteur financier est dès lors perçu comme un préalable à l’activité innovatrice et comme un facilitateur des performances économiques. D’un autre côté, le développement financier est vu comme le résultat ou la conséquence du développement économique. Ce dernier implique une demande accrue de services financiers de la part des ménages et des entreprises. Il existe donc une source d’endogénéité dans les liens entre développement financier et économique puisque l’un est susceptible d’entraîner l’autre, et vice versa.

Jusqu’à récemment, les analyses tentant de départager et de quantifier ces causalités montraient un lien positif et significatif allant du degré de financiarisation des économies aux performances économiques (Ang, 2008). La crise financière internationale est cependant venue relativiser ces conclusions. En particulier, Arcand et al. (2012) montrent que les effets d’une financiarisation accrue deviennent négatifs au-delà d’un certain seuil[2]. La relation entre financiarisation et performance économique peut être représentée par une courbe en cloche : positive au début puis, à partir de seuils oscillant entre 80 et 100% du ratio crédits/PIB, progressivement nulle voire négative.

Contrairement à d’autres travaux qui incluent des pays avancés et des pays émergents, voire en développement, notre étude se focalise sur les Etats membres de l’UE de 1998 à 2011. L’intérêt de cet échantillon est que nous incluons uniquement des économies dont les systèmes financiers sont développés, ou pour le moins, avancés dans leur niveau de développement[3]. Par ailleurs, il s’agit d’un espace politique relativement homogène qui autorise la mise en place de régulations financières communes. Nous reprenons la méthodologie de Beck & Levine (2004) qui, à l’aide d’un panel et de variables instrumentales, permet de résoudre les problèmes d’endogénéité évoqués précédemment. Les performances économiques sont expliquées par les variables usuelles de la théorie de la croissance endogène, à savoir le PIB par tête initial, l’accumulation du capital humain à travers la moyenne des années d’enseignement, les dépenses publiques, l’ouverture commerciale et l’inflation. De plus, nous incluons les variables de financiarisation précédemment évoquées. Nous montrons ainsi que, contrairement aux résultats usuels de la littérature, le degré de financiarisation des économies n’a pas d’effets positifs sur les performances économiques mesurées par le PIB par tête, la consommation des ménages, l’investissement des entreprises ou encore le revenu disponible. Dans la plupart des cas, l’effet de la financiarisation n’est pas différent de zéro, et quand il l’est, le coefficient a un signe négatif. Difficile alors de prétendre que développement financier et économique vont de pair dans ces économies !

De plus, nous avons inclus dans ces estimations différentes variables quantifiant l’instabilité financière afin de vérifier si les résultats précédemment évoqués ne provenaient pas uniquement des effets de la crise. Ces variables d’instabilité financière (Z-score[4], CISS[5], taux de créances douteuses, volatilité des indices boursiers et un indice reflétant les caractéristiques microéconomiques des banques européennes) apparaissent la plupart du temps comme ayant un impact significatif et négatif sur les performances économiques. Parallèlement, les variables mesurant le degré de financiarisation des économies n’ont pas d’effets manifestes sur les performances.

Ces différents résultats suggèrent qu’il est certainement illusoire d’attendre un impact positif d’un accroissement supplémentaire du degré de financiarisation des économies européennes. Il est vraisemblable que les systèmes bancaires et financiers européens ont atteint une taille critique au-delà de laquelle aucune amélioration des performances économiques ne saurait être attendue. Au contraire, des effets négatifs sont susceptibles de se faire sentir du fait d’un excès d’instabilité financière que participerait à engendrer un secteur financier devenu trop grand et dont les innovations sont insuffisamment ou mal réglementées.

Les conclusions de cette étude suggèrent plusieurs recommandations de politique économique. L‘argument des lobbys bancaires selon lequel réglementer leur taille aurait un impact négatif sur la croissance n’est absolument pas étayé par nos résultats, bien au contraire. De plus, nous montrons que l’instabilité financière est coûteuse. Il est important de la prévenir. Cela passe très certainement par une meilleure définition des normes micro- et macroprudentielles et une supervision effective des banques européennes. L’union bancaire, en cours d’avènement, le permettra-t-elle ? Nombreux sont ceux qui en doutent, tels des économistes de Bruegel, du Financial Times ou de l’OFCE.

 

 

 


[1] Creel Jérôme, Paul Hubert et Fabien Labondance, Financial stability and economic performance, Document de travail de l’OFCE, 2013-24. Cette étude a bénéficié d’un financement au titre du 7e PCRD de l’Union européenne (2007-2013) n°266800 (FESSUD).

[2] Nous évoquions ce travail dans un précédent post.

[3] Au-delà du ratio des crédits accordés aux agents privés sur le PIB, le degré de financiarisation est également appréhendé par le turnover ratio qui permet de mesurer le degré de liquidité des marchés financiers. Il s’agit du rapport de la valeur totale des actions échangées sur la capitalisation totale.

[4] Indice mesurant la stabilité des banques via leur profitabilité, le ratio de capital et la volatilité de leur résultat net.

[5] Indice de risque systémique calculé par la BCE et englobant cinq composantes des systèmes financiers: le secteur bancaire, celui des institutions financières non bancaires, les marchés monétaires, les marchés des titres (actions et obligations) et les marchés des changes.




Les projets fiscaux de François Hollande

par Henri Sterdyniak

 

La réforme fiscale est un des thèmes importants du programme de François Hollande. L’objectif affiché est d’aller vers une fiscalité plus juste, pesant plus sur les grandes entreprises, le système financier et les ménages aisés, moins sur les PME et les classes moyennes, en revenant sur les réductions d’impôt que le Président Sarkozy (et même le Président Chirac) ont effectuées depuis 10 ans, en particulier sur la loi TEPA. En même temps, il s’agit d’augmenter le taux de prélèvements obligatoires (TPO) pour réduire le déficit public, en limitant la pression sur les dépenses publiques (puisque François Hollande reprend les objectifs du précédent gouvernement en matière de réduction du déficit). Augmenter les impôts sur les plus riches, les banques, les grandes entreprises devrait permettre de limiter l’impact de cette réduction du déficit public sur la demande. 

Cependant, si le gouvernement Fillon a effectivement réduit les prélèvements obligatoires de 2007 à 2010, il les a fortement augmentés en 2011 et 2012 (tableau 1), en particulier sur les revenus du capital (tableau 2). Il va être difficile d’aller au-delà. D’ailleurs, le Rapport préparatoire au débat d’orientation des finances publiques de juillet 2012 ne prévoit qu’une hausse de 44,8 % à 46,5 % durant le quinquennat (soit 1,7 point de PIB, environ 35 milliards d’euros), sachant que la Loi de finances rectificative (LFR) de juillet 2012 comporte déjà des hausses à hauteur de 19 milliards d’euros (en année pleine). Le gouvernement doit marcher sur une crête étroite entre les préoccupations de justice sociale et celles de préservation de la demande des ménages, celles de compétitivité des entreprises et de santé financière des banques et le risque d’évasion à l’étranger des plus riches.

 

Les mesures de hausses d’impôt déjà prises ou annoncées par le nouveau gouvernement représentent 20 milliards d’euros en année pleine (voir tableau 3). Elles ont permis de rendre notre système fiscal plus juste, en augmentant la taxation des revenus du capital, en supprimant des niches fiscales ou sociales injustifiées, en luttant contre l’optimisation fiscale, en augmentant la taxation des successions. Seule la suppression des exonérations des heures supplémentaires touche les classes populaires et moyennes et risque d’avoir un effet important sur la consommation, mais ces exonérations constituaient une niche fiscale et sociale économiquement contestable et brisaient l’universalité de la CSG.

Toutefois, le rétablissement du barème antérieur de l’ISF, mais sans bouclier fiscal, aboutit à des prélèvements importants sur certains ménages que le Conseil constitutionnel n’a accepté qu’à titre temporaire : l’ISF devra être repensé. Du point de vue de l’équité fiscale, il  serait souhaitable qu’il frappe ceux qui échappent à l’IR : les propriétaires de l’appartement qu’ils habitent et  les bénéficiaires de plus-values non-réalisées.

Le taux de l’IR à 45 % est élevé ; s’appliquant à des revenus salariaux qui ont déjà été soumis à la CSG et aux cotisations maladie et famille, la taxation globale s’élève à 60 %, niveau qui n’existe qu’en Belgique et en Suède. Le taux de 75% est lui exorbitant par rapport aux taux étrangers. Il marque une volonté politique de lutter contre l’étirement de la hiérarchie salariale et contre des salaires jugés exorbitants comme ceux de certains chefs d’entreprise et de traders. Une réforme alternative serait de sanctionner, par une taxe spécifique, les entreprises qui distribuent des revenus supérieurs à un certain niveau (20 fois le salaire minimum dans leur entreprise) et de demander que ces revenus soient explicitement autorisés par l’assemblée des actionnaires. Ceci serait cohérent avec la décision déjà prise par le gouvernement de plafonner à ce niveau (environ 450 000 euros par an) le salaire des dirigeants des entreprises publiques. L’objectif n’est pas tant de rapporter de l’argent aux finances publiques que de décourager fortement les entreprises de verser des rémunérations excessives.

Reste une quinzaine de milliards d’euros à trouver pour satisfaire aux objectifs fiscaux du quinquennat, parmi un ensemble de mesures envisageables qui pourrait rapporter jusqu’à 40 milliards d’euros, frappant surtout les ménages.

Ces mesures poseront toutes des questions d’acceptabilité par les personnes concernées, que ce soit les retraités, les fonctionnaires, les non-salariés. Leur impact sur la consommation risque d’être important. Imposer à la CSG-CRDS les loyers fictifs des propriétaires-occupants pourrait rapporter plus de 10 milliards d’euros mais serait très impopulaire. Remettre en cause certaines avantages fiscaux des revenus du capital (exonération des PEA et de l’assurance-vie, l’abattement forfaitaire sur les dividendes) pourrait rapporter 2 milliards d’euros. La remise en cause de la TVA à taux réduit des hôtels, cafés, restaurants rapporterait à elle seule 5 milliards d’euros. Faut-il procéder par petites touches, au risque d’accumuler les mécontentements ? Faut-il une grande réforme abolissant toutes les niches fiscales afin de revoir à la baisse les taux du barème ?

En ce qui concerne les entreprises, le gouvernement a renoncé à remettre en cause le crédit impôt-recherche ou les exonérations de cotisations sociales employeurs. La hausse de la taxation des plus-values à long terme sur les titres de participation, une remise en cause de la déductibilité des charges d’intérêt à l’IS et la lutte contre l’optimisation fiscale pourraient rapporter 5 milliards d’euros, prélevés surtout sur les grandes entreprises.

Faut-il ajouter à l’objectif de réduire le déficit public celui de donner un choc de compétitivité aux entreprises, soit 40 milliards d’euros de réduction de cotisations employeurs, qu’il faudrait là aussi prélever sur les ménages par une hausse de 3,5 points de la CSG, au risque de peser lourdement sur la consommation ? La stratégie la plus prudente serait sans doute de retarder l’objectif de réduction du déficit et de consacrer certains des  gains obtenus par l’alourdissement de la fiscalité sur les ménages aisés à la réduction des cotisations employeurs.