Climat : Trump souffle le chaud et l’effroi

Par Aurélien Saussay

Donald Trump a donc une nouvelle fois respecté une de ses promesses de campagne. Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris ne semblait pourtant pas acquis.

Des personnalités centrales du lobby pétrolier américain comme le Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, ancien patron d’Exxon-Mobil, son actuel PDG, Darren Woods, ou encore le gouverneur du Texas, principal Etat producteur de pétrole aux Etats-Unis, conseillaient au président de maintenir les Etats-Unis au sein de l’accord – ne serait-ce que pour en influencer l’application.

Ce retrait n’est assurément pas une bonne nouvelle. Il n’en constitue pas pour autant la catastrophe que l’on pourrait redouter.

Sur le plan international, la Chine a tout de suite renouvelé son engagement en remplaçant l’ancien axe sino-américain par une nouvelle alliance climatique sino-européenne.

Malgré l’importance du charbon dans son mix énergétique, la Chine est en effet devenue la première puissance mondiale en matière d’énergie solaire, tant en puissance installée qu’en capacité de production de cellules photovoltaïques. Les dirigeants chinois n’ont aucune intention de tourner le dos à ce virage technologique, qui place leur pays dans une position enviable de leadership technologique et industriel.

Par ailleurs, au-delà de la problématique globale du changement climatique, la réduction de la consommation de charbon est d’abord pour la Chine un enjeu majeur de politique locale.

Les émissions de particules fines générées par ses centrales électriques étouffent ses villes et dégradent très sensiblement la qualité de vie de ses habitants. L’exigence environnementale allant croissant au sein de la population chinoise, il serait impensable de renoncer à poursuivre les efforts visant à réduire la consommation de charbon.

Le leadership combiné de la Chine et de l’Europe devrait suffire à isoler la position de Trump sur la scène internationale, et ne pas remettre en cause la participation des autres principaux pays émetteurs à l’accord. Reste que les Etats-Unis représentent encore à eux seuls 15% des émissions mondiales (contre 30% pour la Chine et 9% pour l’Union Européenne).

Un renoncement complet à toute politique climatique sur le plan domestique aurait des conséquences importantes sur les trajectoires futures d’émissions.

L’annonce, par les gouverneurs des Etats de Californie, New York et Washington de la création d’une Alliance pour le Climat au lendemain même du retrait américain est à cet égard riche d’enseignements.

Tout d’abord il vient confirmer qu’une large part de la politique climatique américaine se décide à l’échelon local (Etat, voire municipalité).

Il révèle ensuite la grande divergence entre Etats face au changement climatique : d’autres Etats côtiers très engagés dans la transition énergétique comme le Massachussetts ou l’Oregon pourraient rejoindre cette Alliance, qui totalisent déjà plus du tiers du PIB américain.

Enfin, il souligne la division profonde du pays sur ce sujet : une enquête récente du Pew Research Center indique que près de 60% des américains souhaitaient un maintien de leur pays au sein de l’Accord de Paris. Trump est en réalité presque aussi isolé à l’intérieur des Etats-Unis qu’à l’international.

Le retrait de l’Accord de Paris est avant tout une décision de politique intérieure pour Trump. Son discours d’annonce, focalisé sur l’industrie du charbon, est destiné principalement à ses électeurs des mines des Appalaches, qui croient leur survie menacée par la transition énergétique.

C’est pourtant bien plus la concurrence du gaz de schistes qui menace à brève échéance l’industrie charbonnière américaine.

La compétitivité nouvelle des énergies renouvelables, même sans subventions, la condamne à plus long terme : le premier producteur d’énergie éolienne aux Etats-Unis est ainsi le Texas, pourtant peu suspect de sympathies environnementalistes.

Donald Trump a donc pris le risque de briser la dynamique internationale de l’Accord de Paris pour tenter de relancer une industrie moribonde – sans grand espoir de succès. Heureusement, son isolement international et domestique devrait limiter la portée de sa décision.




Ce que révèle le programme économique de Donald Trump

par Xavier Ragot

Les élections américaines sont un grand révélateur, au sens photographique du terme, des clichés économiques. Trois perspectives différentes sur ces élections livrent trois éclairages sur l’état de l’économie américaine tout d’abord, sur l’état de la pensée des économistes ensuite, et sur la nature de la relation entre les économistes et les politiques enfin.

Les primaires américaines ont été marquées par la « résistible ascension » de Donald Trump, et l’émergence de Bernie Sanders qui a bousculé Hilary Clinton sur sa gauche sans parvenir à s’imposer.

Le succès de Donald Trump, qui a contourné le parti républicain, repose sur des ressorts politiques qui utilisent une certaine paranoïa quant à la perte d’identité des Etats-Unis face aux concessions économiques faites à la Chine, politiques à l’Iran, militaires en Irak. Le thème du déclassement américain est réel aux Etats-Unis. Le succès de ce thème provient aussi de la réalité de la situation économique des classes moyennes et populaires aux Etats-Unis. Les cicatrices sociales induites par les inégalités aux Etats-Unis, magnifiquement étudiées par Thomas Piketty, se voient dans la rue, tant l’inégalité d’accès au système de santé est réelle (et incompréhensible pour un Européen). Si ce thème des inégalités est l’axe central de la campagne de Bernie Sanders, la colère populaire s’est aussi exprimée dans le camp républicain.

Le programme économique de Donald Trump a le charme poétique et inquiétant d’un inventaire à la Prévert. Il est difficile de l’identifier de droite, d’extrême droite ou de gauche, selon les critères européens. Le programme fiscal formel est ici, mais des interventions médiatiques l’ont considérablement « enrichi ». Donald Trump est en faveur de l’investissement dans les infrastructures et dans les dépenses militaires, pour la réduction des impôts, pour une hausse du salaire minimum, pour la fin de l’Obamacare et une totale privatisation de la santé, pour la taxation des riches, pour la réduction de l’immigration notamment provenant du Mexique (construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique), pour une agressivité commerciale envers la Chine accusée de dumping et, plus récemment, pour un défaut partiel sur les dettes publiques américaines. Ce dernier point fait des remous assez profonds chez les républicains. Les Etats-Unis étant un des rares pays au monde à n’avoir jamais fait défaut sur leurs dettes publiques, que le candidat républicain évoque publiquement cette possibilité est un choc.

Sur ce dernier point, l’auteur de ces lignes pense que le défaut sur les dettes publiques est une très mauvaise idée. Cela revient à une taxe non-assumée politiquement et non-maîtrisée avec un effet d’instabilité bancaire additionnelle. Autant assumer une taxe après un débat démocratique. Par ailleurs, pour soulager les dettes publiques, il est toujours possible de faire baisser les taux réels sur les dettes publiques pendant de nombreuses années, ce qui est possible avec une politique monétaire accommodante et sans répression financière (voir ce texte de Blanchard et co-auteurs).

Peu d’économistes défendent ce programme, même sur sa partie la plus strictement économique. Récemment une interprétation assez positive du programme de Donald Trump a été remarquée car émanant d’un économiste reconnu et respecté, Narayana Kocherlakota. Le texte est ici. Avant de préciser les raisons d’un soutien (très relatif) à Trump, il faut revenir sur la trajectoire de Narayana Kocherlakota, afin de penser comment la crise change la pensée des économistes. Kocherlakota est un économiste formé à l’Université de Chicago, et on lui doit des contributions fondamentales et très techniques en théorie financière, théorie monétaire, et en théorie dynamique des finances publiques, qui reposent sur l’application des outils de la théorie des contrats intertemporels. Du très sérieux académique! Kocherlakota a écrit un texte sur l’état de la pensée macroéconomique après la crise qui est très intéressant car reposant sur une vision large d’un chercheur qui ne reconnaît pas sa discipline dans les manuels d’économie (pour ne pas parler des livres grands publics). Kocherlakota est devenu président de la Réserve fédéral de Minneapolis en 2009 (pour quitter ce poste le premier janvier 2016). La FED de Minneapolis est connu comme étant un noyau dur et actif intellectuellement de la pensée « anti-keynésienne », pour aller vite. A ce poste Kocherlakota a vécu une profonde évolution intellectuelle et il a réalisé un tournant keynésien assez radical (Voir ici une contribution théorique originale), qui a entraîné des conflits avec ses collègues. Qu’est-ce qui manquait aux productions académiques de Kocherlakota? Quels sont les faits économiques qui l’ont à ce point déstabilisé?

La réponse à ces questions est évidemment difficile. Cependant, on peut avancer l’idée que ses propres travaux ne permettaient pas de penser l’efficacité des politiques monétaires non-conventionnelles et l’effet des plans de stimulation budgétaire d’Obama. En effet, le gouvernement américain a mené une politique monétaire et budgétaire très keynésienne (baisse d’impôt et création monétaire massive), qui a eu des effets positifs que les modèles de la Fed de Minneapolis ne permettaient pas de penser. L’ingrédient important qui manquait était les rigidités nominales qui donnent un rôle potentiellement important à la demande agrégée. La question des rigidités nominales en macroéconomie n’est pas un détail. J’ai écrit un texte sur le retour de la pensée keynésienne autour de la question des rigidités nominales.

Ainsi, l’indulgence de Kocherlakota pour le programme de Trump n’est pas celle d’un libéral dur, mais au contraire celle d’un keynésien converti, dont la foi semble un peu extrême. Kocherlakota vente la relance keynésienne de Trump par les dépenses publiques, par la baisse des impôts. La seule inquiétude de Kocherlakota est qu’il voudrait être sûr que Trump accepte une inflation plus élevée de l’ordre de 4% plutôt que 2%…

Ainsi, le programme de Trump contribue à brouiller les repères entre politique économique de gauche et de droite. Le thème des inégalités et de l’appauvrissement domine les débats dans les classes moyennes et populaires. Le problème mondial de manque de demande et de sous-emploi préoccupe les économistes sous le nom de stagnation séculaire. L’émergence de Bernie Sanders, le boubiboulga du programme économique de Trump (la violence de ses propos sur l’immigration n’est pas l’objet de ce texte), et à une autre échelle, l’évolution de Kocherlakota, révèlent la difficulté de l’émergence d’un paradigme économique cohérent et assis sur une base sociale large. Le politique (du côté républicain ou démocrate) cherche à tâtons une articulation différente entre l’Etat et le marché, un retour cohérent et efficace de la politique économique (monétaire et budgétaire) pour stabiliser les économies de marché et réduire les inégalités. Ce débat sera identique, mais avec une forme différente du fait de la question européenne, dans les élections présidentielles en France.