Les nouvelles inégalités du travail. Pourquoi l’emploi se polarise

par Gregory Verdugo

Qu’est-ce que la polarisation des emplois ?

Au long des trois dernières décennies, le travail a pris un nouveau tournant. Si l’après Seconde Guerre mondiale a vu les inégalités de salaire reculer, depuis les années 1980, les écarts se creusent continûment. Les écarts de salaire augmentent tout le long de la distribution, à la fois entre les bas et moyens ou entre les moyens et hauts salaires. Dans d’autres pays comme la France où les inégalités de salaires restent stables, c’est le risque de chômage et de précarisation qui frappe toujours davantage les moins qualifiés.

A cet essor des inégalités s’ajoute un grand chamboulement de la composition des emplois. Pour étudier l’évolution de la qualité des emplois, les économistes Alan Manning de la London School of Economics et Maarten Goos et Anna Salomons de l’Université d’Utrecht ont exploré les données très riches de l’Enquête européenne sur les forces de travail pour 16 pays européens sur la période 1993 à 2010[1]. À partir du salaire moyen observé dans l’emploi au début de cette période, ils distinguent trois grandes catégories : les emplois peu qualifiés, les emplois intermédiaires et les emplois très qualifiés.

Alan Manning et ses co-auteurs calculent comment évolue la part de ces trois groupes dans l’emploi total. Leurs résultats, présentés dans le graphique 1, indiquent que, dans la plupart des pays, l’emploi se polarise, c’est-à-dire que la part des emplois intermédiaires est en forte baisse au profit d’une hausse des emplois soit peu qualifiés, soit très qualifiés. La baisse des emplois intermédiaires est conséquente : en France, avec une chute de 8 points, l’emploi intermédiaire se réduit de 47% à 39% entre 1993 et 2010. En comparaison, sa part recule de 12 points en Espagne, 11 points au Royaume-Uni, 10 points en Suède et au Danemark, 6 points en Allemagne et 5 points au Portugal.

Si la part des professions intermédiaires se contracte, les parts des emplois peu qualifiés et très qualifiés sont en nette expansion. En France, ces deux groupes augmentent de manière parfaitement symétrique, d’environ 4%. Ainsi, pour deux emplois intermédiaires qui disparaissent, à la fois un emploi qualifié et peu qualifié supplémentaire est créé. Notons que par rapport à la Belgique (+9%), au Danemark (+8%) ou la Finlande (+12%), la progression de la part des emplois qualifiés est plus modérée en France ; elle est proche de celle de l’Allemagne, l’Autriche ou la Norvège.

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Gagnants et perdants de la révolution informatique

Ce grand bouleversement du marché du travail s’explique d’abord par la nature du changement technologique récent, l’informatique, qui a révolutionné l’organisation des entreprises. Les ordinateurs fonctionnant en suivant des procédures et règles explicites préalablement programmées, ils se sont avérés très doués pour effectuer des tâches dites « routinières » qui caractérisaient le travail humain dans les emplois intermédiaires. Un ordinateur peut commander un robot dans l’industrie, établir des feuilles de paye, ou distribuer de l’argent. En raison de leur efficacité et leur faible coût, les ordinateurs ont remplacé le travail élémentaire et répétitif humain qui composait de nombreux emplois intermédiaires. Les emplois les plus détruits par l’informatisation furent ainsi ceux des opérateurs sur des chaînes de production qui furent automatisées mais aussi ceux des employés de bureau ou des secrétaires.

Au contraire, les plus qualifiés sont les gagnants du progrès technologique. Non seulement les ordinateurs ne peuvent remplacer leur travail, mais ils les rendent plus productifs. En démultipliant la quantité d’information et facilitant sa recherche, l’Internet facilite la spécialisation des connaissances et permet de se concentrer sur les tâches d’analyse. Grace aux progrès de l’informatique, les entreprises ont demandé toujours plus de travail qualifié, ce qui a permis d’absorber l’arrivée de larges cohortes de diplômés du supérieur sans que leurs salaires ne soient réduits.

Le commerce international a-t-il polarisé l’emploi ?

 Le commerce international bénéficie au consommateur en décuplant ses choix et en modérant les prix. Indirectement, en libérant des revenus, il stimule aussi la demande et l’emploi dans le secteur des services. Mais derrière le consommateur se trouve aussi un travailleur aux intérêts parfois opposés. Si le commerce international favorise le premier, son effet sur le second est plus ambigu.

Il est aujourd’hui clair que l’emploi intermédiaire a été victime de la croissance du commerce avec les pays en développement. L’accélération du commerce avec les économies émergentes à bas coût du travail a conduit les entreprises des pays développés à se spécialiser dans les tâches de conception les plus sophistiquées, celles où l’analyse d’informations et la créativité sont mobilisées. Au contraire, les tâches basiques de production sont toujours plus externalisées, ce qui a entraîné la destruction d’une grande partie des emplois industriels intermédiaires dans les pays développés.

Des études récentes sur les Etats-Unis[2] et la France[3] montrent que, à la suite du boom des importations liées à l’accession de la Chine à l’OMC durant les années 2000, le marché du travail s’est très dégradé dans les régions les plus concurrencées par la Chine. Pour la France, les destructions d’emplois industriels liés à la concurrence chinoise sont quantifiées à 100 000 emplois entre 2001-2007, soit 20% des 500 000 emplois perdus dans ce secteur.

Comment dompter le marché ?

Bien sûr, on ne doit pas oublier que le marché du travail est un marché où le jeu de l’offre et la demande est limité par un ensemble de normes et de règles qui sont cruciales en termes d’inégalités. Malgré le rôle important de la technologie et du commerce, les institutions du marché du travail gardent un rôle central et elles ont modelé la réponse de chaque pays à l’informatisation et à l’essor du commerce international et, selon les cas, ont freiné ou accéléré la polarisation de l’emploi.

Selon de nombreux travaux, le salaire minimum et la manière de négocier collectivement les salaires ont influencé la façon dont les inégalités et l’emploi ont été impactés par les progrès technologiques et la mondialisation. Les institutions ont surtout affecté les salaires des moins qualifiés, ceux qu’elles cherchent le plus à protéger. Pour les bas salaires, le salaire minimum a réduit puissamment les écarts salariaux en France[4]. La centralisation des négociations salariales au niveau des branches a aussi contribué à limiter les inégalités de salaires en nivelant les salaires entre entreprises dans un secteur. Là où ces institutions sont restées fortes, elles ont préservé les petits salaires d’une baisse et ont modéré les écarts de salaire.

Mais ces institutions sont aussi suspectées, si elles sont trop contraignantes, de freiner les créations d’emplois et de contribuer à un chômage élevé des peu qualifiés. Elles n’ont notamment pas pu freiner les destructions d’emplois et trop de protection est suspecté d’avoir découragé les créations. À la fin des années 1990, Thomas Piketty de l’École d’Économie de Paris remarquait que la croissance de l’emploi dans les services s’était réduite en France par rapport aux États-Unis à la suite des hausses du salaire minimum français dans les années 1980[5]. Plus récemment, les chercheurs Julien Albertini de l’Université Humboldt, Jean Olivier Hairault de l’Université Paris 1, François Langot de l’Université du Maine et Thepthida Sopraseuth de l’Université de Cergy Pontoise ont montré que le salaire minimum a limité la croissance du secteur des services manuels non-routiniers en France[6] et a ainsi diminué les opportunités de ceux dont les emplois ont été détruits par le commerce international ou la technologie. Ce déficit d’emploi est particulièrement marqué dans les activités intensives en travail peu qualifié comme l’hôtellerie et la restauration ou le commerce de détail[7]. Comment adapter les régulations au nouveau contexte du marché du travail est un enjeu essentiel des politiques d’emploi dans les années à venir.

Quel travail demain ?

Le progrès technologique n’a pas fait disparaître le travail. Mais la prochaine vague de machines performantes pourrait être, cette fois, vraiment différente. Jusqu’ici, les machines n’étaient pas douées pour les tâches abstraites et manuelles non-routinières mais les avancées de la robotique et l’informatique pourraient vite changer la donne. Chaque année, les possibilités techniques permettant aux ordinateurs et robots de simuler le raisonnement humain et devenir intelligents sont décuplées : l’augmentation des capacités de calcul permet d’analyser et de répondre plus adroitement aux stimulations externes ; la communication avec l’environnement est de plus en plus fine grâce à une batterie de puissants capteurs aidée de programmes capables notamment de comprendre les plus subtiles nuances du langage humain et de reconnaître des visages et objets ; les possibilités de stockage des données sont décuplées avec le développement du « cloud robotics » où chaque robot accumule et partage en réseau expérience et information avec ses confrères robots[8].

Certains chercheurs pensent que les développements des machines intelligentes et de la robotique devraient permettre de remplacer le travail dans un grand nombre d’emplois dans les années à venir. En 2015, les chercheurs Carl Benedikt Frey et Michael Osborne de l’Université d’Oxford prédisaient que 47% des employés aux États-Unis ont un travail qui risque d’être automatisé dans le futur[9]. Ils prévoient des conséquences particulièrement importantes dans les transports et la logistique, où les progrès des capteurs intelligents rendront les véhicules sans conducteurs sûrs et rentables.

Mais les emplois des moins qualifiés ne sont pas les seuls à être menacés. Les capacités d’analyse grandissante des ordinateurs leurs permettent maintenant d’aider à la décision dans des tâches complexes, notamment dans le domaine médical ou juridique, où elles remplacent ainsi du travail qualifié. Au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center à New-York aux États-Unis, un programme informatique aide les cancérologues à déterminer le traitement le plus approprié pour les patients. Le programme se nourrit de 600 000 rapports médicaux, 1,5 million de dossiers de patients et d’essais cliniques, et 2 millions de pages publiées dans ces journaux médicaux[10]. Il apprend et s’améliore en permanence. Dans le domaine du droit, le « Clearwell System » utilise les techniques d’analyse automatique de langage pour classifier les masses de documents transmises aux parties avant les procès qui peuvent comprendre plusieurs milliers de pages. En deux jours, l’ordinateur est capable d’analyser de manière fiable 570 000 documents. Il fait économiser l’équivalent du travail de dizaines d’avocats et juristes, et permet de gagner un temps précieux dans la préparation des procès[11].

Faut-il craindre ces évolutions ? Aucune loi fondamentale en économie ne garantit que chacun va pouvoir trouver un emploi correctement rémunéré dans le futur. La dégradation des emplois qu’a entraînée la polarisation rappelle que le progrès n’améliore pas toujours leur qualité. Mais offrira-t-il au moins des emplois ?

 

Pour en savoir plus : Gregory Verdugo a publié en juin 2017 « Les nouvelles inégalités du travail : pourquoi l’emploi se polarise » aux Presses de Sciences Po, collection Sécuriser l’emploi.

Lien livre presses de Sciences Po : http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100938740&fa=author&person_id=1987

Lien livre sur Cairn : https://www.cairn.info/les-nouvelles-inegalites-du-travail–9782724620900.htm

 

[1] Maarten Goos, Alan Manning, Anna Salomons, « Explaining job polarization: Routine-biased technological change and offshoring », American Economic Review, 104 (8), 2014, p. 2509-2526.

[2] David Autor, David Dorn, Gordon Hanson, « The China Syndrome: Local Labor Market Effects of Import Competition in the United States », American Economic Review, 103 (6), 2013, p. 2121-2168.

[3] Clément Malgouyres, « The Impact of Chinese Imports Competition on Employment and the Wage Distribution: Evidence from French Local Labor Markets », EUI ECO Working Paper, 2014.

[4] Gregory Verdugo, « The Great Compression of the French Wage Structure, 1969–2008 », Labour Economics, 28, 2014, p. 131-144.

[5] Thomas Piketty, « L’emploi dans les services en France et aux États-Unis : une analyse structurelle sur longue période », Économie et Statistique, 318, 1998, p. 73-99.

[6] Julien Albertini, Jean-Olivier Hairault, François Langot, Thepthida Sopraseuth, 2017. « A Tale of Two Countries: A Story of the French and US Polarization, » IZA Discussion Papers, n° 11013, juin 2017.

[7] Ève Caroli, Jérôme Gautié, Bas salaires et qualité de l’emploi : l’exception française ?, Paris, Editions Rue d’Ulm, 2009, p. 49

[8] Gill Pratt, « Is a Cambrian explosion coming for robotics? », The Journal of Economic Perspectives, 29 (3), 2015, p. 51-60.

[9] Carl Benedikt Frey, Michael Osborne, « Technology at Work: The Future of Innovation and Employment », Oxford Martin School, 2015. Retrieved from http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/publications/view/1883

[10] Jonathan Cohn, « The robot will see you now », The Atlantic, 20 février 2013.

[11] John Markoff, « Armies of expensive lawyers replaced by cheaper software », The New York Times, 4 mars 2011.




Evolution des taux d’activité en Europe pendant la Grande Récession : le rôle de la démographie et de la polarisation de l’emploi

par Guillaume Allègre et Gregory Verdugo

En Europe comme aux Etats-Unis l’emploi a considérablement reculé pendant la Grande Récession. De plus, au cours des dernières décennies, les forces de l’automatisation et de la mondialisation ont bouleversé les marchés du travail dans les deux régions. Cependant, la réponse des taux d’activités à ces changements a varié d’un pays à l’autre. L’un des événements les plus importants sur le marché du travail aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie a été le déclin de la population active. De 2004 à 2013, le taux d’activité des 25 à 54 ans a diminué de 2,6 points de pourcentage (passant de 83,8% à 81,1%) et cette baisse a persisté bien au-delà de la fin de la Grande Récession. A l’inverse, dans l’UE 15, le taux d’activité pour cette catégorie d’âge a augmenté de 2 points au cours de la même période (de 83,7% à 85,6%), malgré la faible croissance et la persistance d’un niveau élevé de chômage.

Qu’est ce qui explique ces différences des deux côtés de l’Atlantique ? Pour répondre à cette question, nous étudions ici les déterminants de l’évolution de la population active au cours des deux dernières décennies dans douze pays européens que nous comparons aux Etats-Unis.

Conformément aux travaux antérieurs sur les Etats-Unis, nous constatons que les changements démographiques récents expliquent une part substantielle des différences entre les pays. La part des baby-boomers à la retraite a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis, et y a donc déclenché une baisse plus importante des taux d’activité qu’en Europe. Au cours de la dernière décennie, l’Europe a également été caractérisée par une augmentation du nombre de diplômés du supérieur deux fois plus élevée qu’aux Etats-Unis, et ce notamment en Europe du Sud et en particulier pour les femmes. Les femmes ayant des niveaux d’éducation plus élevés sont plus susceptibles de rejoindre la population active et elles ont ainsi contribué de manière spectaculaire à l’augmentation de la population active en Europe.

Cependant, ces changements n’expliquent pas tout. Pour la population ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, les taux d’activité des hommes ont diminué dans tous les pays. Pour les femmes, ils ont augmenté rapidement, en particulier dans les pays les plus touchés par le chômage. En Espagne, en Grèce et en Italie, les taux d’activité des femmes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat ont augmenté de respectivement 12, 5,5 et 2 points entre 2007 et 2013 alors que ces économies étaient plongées dans une récession profonde.

Pour expliquer ces faits, nous étudions le rôle des changements de demande de travail au cours des dernières décennies et en particulier lors de la Grande Récession. Nous montrons que, comme aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi (qui désigne la réaffectation de l’emploi vers les professions les moins et les plus rémunérées au détriment des professions intermédiaires) s’est accélérée en Europe lors de la Grande Récession (graphique 1). En raison d’une plus grande destruction d’emplois dans les professions intermédiaires, la polarisation récente a été largement plus intense en Europe.

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Autre différence importante par rapport aux Etats-Unis, la ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes est plus marquée en Europe. Les emplois intermédiaires qui disparaissent rapidement sont ainsi bien plus susceptibles d’employer des travailleurs masculins en Europe alors que l’expansion des professions peu qualifiées bénéficie au contraire de manière disproportionnée aux femmes (graphique 2). En conséquence, en Europe plus qu’aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi et la destruction des emplois intermédiaires ont entraîné un déclin spectaculaire des opportunités sur le marché du travail pour les hommes par rapport aux possibilités offertes aux femmes. Nous trouvons que ces chocs de demande asymétriques entre hommes et femmes expliquent la plus grande part de la hausse des taux d’activité des femmes les moins diplômées durant la Grande Récession.

 

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Pour en savoir plus : Gregory Verdugo, Guillaume Allègre, « Labour Force Participation and Job Polarization: Evidence from Europe during the Great Recession », Sciences Po OFCE Working Paper, n°16, 2017-05-10




Début de quinquennat : emploi dynamique, chômage élevé

Département Analyse et Prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2017, publiés par Pôle emploi, font apparaître une baisse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (-37 700 personnes en France). Cette baisse fait suite à une forte hausse au mois de mars, après deux mois de relative stabilité. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), l’évolution mensuelle d’avril indique une hausse des demandeurs d’emploi de 30 900 personnes.

Cette publication combinée aux derniers chiffres publiés récemment par l’Insee (taux de chômage au sens du BIT, créations d’emplois marchands, enquêtes de conjoncture) pose la question de l’état du marché du travail. La situation de l’économie française peut apparaître meilleure aujourd’hui qu’au début du quinquennat de F. Hollande : le déficit public est plus faible, les marges des entreprises se sont redressées, … En revanche, le diagnostic du marché du travail apparaît moins tranché : le chômage reste élevé mais sa tendance est à la baisse et les créations d’emplois sont relativement dynamiques. Afin d’apprécier la situation actuelle sur le marché du travail, par rapport à celle qui prévalait au début du quinquennat précédent, nous comparons plusieurs indicateurs d’emploi et de chômage issus de sources différentes (nombres d’inscrits à Pôle emploi, enquête Emploi pour le chômage au sens du BIT, enquêtes de conjoncture).

Chômage : une situation moins bonne aujourd’hui qu’il y a cinq ans…

En mai 2012, la France comptait 3,159 millions de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à Pôle emploi (5,3 millions toutes catégories confondues). Sur l’ensemble du quinquennat de F. Hollande, le nombre de DEFM a fortement augmenté : les inscriptions toutes catégories confondues ont progressé de 1,329 million, dont 567 900 pour la seule catégorie A, soit un rythme d’augmentation annuel moyen de respectivement 265 900 personnes toutes catégories confondues et 113 600 personnes en catégorie A. De ce point de vue, la situation s’est dégradée, même si une partie de cette dégradation s’explique par la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (augmentation de l’âge minimum de liquidation des droits à la retraite) et la suppression de la Dispense de Recherche d’Emploi.

Les chiffres publiés par Pôle emploi peuvent être perturbés par des changements de pratique administrative et des incidents techniques ponctuels affectant la gestion des fichiers de Pôle emploi. Les chiffres fournis trimestriellement par l’INSEE ne sont pas affectés par des problèmes de cette nature et constituent une source plus fidèle pour analyser le chômage[1]. Ils indiquent que le taux de chômage est revenu à son niveau observé au deuxième trimestre 2012 (cf. graphique 1).

Mais cet indicateur de chômage reste restrictif. En effet, la définition stricte du BIT n’intègre pas les personnes actives occupées travaillant à temps partiel et souhaitant travailler davantage ou les personnes en situation de chômage partiel. En intégrant ces personnes dans un indicateur élargi du chômage, on constate une légère amélioration sur cinq ans (baisse de 0,3 point, cf. graphique 1).

Il ne prend pas non plus en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage. En intégrant ces personnes dans un indicateur encore plus élargi du chômage, la situation reste moins bonne qu’il y a cinq ans, ce qui est cohérent avec les chiffres de Pôle emploi.

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…mais des indicateurs d’emploi mieux orientés

Depuis avril 2017, l’INSEE a complété sa batterie d’indicateurs conjoncturels issus des enquêtes de conjoncture (climats des affaires, indicateurs de retournement) par un indicateur de climat de l’emploi en France. Cette information de nature qualitative, synthétisant par une série unique l’information contenue dans les soldes d’opinions sectoriels sur l’évolution passée et prévue de l’emploi, apparaît très corrélée avec les évolutions annuelles de l’emploi marchand (graphique 2).

 

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Mis en parallèle avec les données quantitatives sur les effectifs disponibles par ailleurs, l’indicateur s’insère quasi-parfaitement dans les cycles de l’emploi, la reprise de 2003 interrompue par la Grande Crise qui a débuté en 2008, le rebond post-récession de 2008/09, puis ensuite le tassement lié à la mise en place des politiques d’austérité et enfin le redémarrage du marché du travail à la mi-2015.

Le début du quinquennat de F. Hollande s’inscrivait dans une dynamique négative de destruction d’emplois et de dégradation du climat de l’emploi, dégradation qui avait démarré début 2011 avec la crise de la zone euro. Le point bas a été atteint début 2013, mais l’économie française ne s’est remise à créer des emplois salariés dans le secteur marchand non agricole qu’à partir de la mi-2015. L’accélération a été notable par la suite.

Au vu du comportement de l’indicateur entre mars et mai 2017, rien ne laisse présager d’un changement de régime des créations d’emploi : ces dernières devraient se maintenir à un rythme voisin de celui enregistré au tournant de 2016 et de 2017, soit environ 200 000 par rapport à la même période de l’année précédente. Pour conclure, si les différents indicateurs de chômage font état d’une situation encore dégradée sur le marché du travail par rapport au deuxième trimestre 2012, la dynamique de l’emploi, quant à elle, est bien plus positive qu’à l’époque.

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

– être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;

– être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;

– avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.




Au-delà du taux de chômage. Comparaison internationale depuis la crise

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

En France, selon les chiffres de l’INSEE publié le 12 mai 2017, l’emploi marchand non agricole a augmenté (+0,3%) au premier trimestre 2017 pour le huitième trimestre consécutif. Sur une année, l’emploi marchant a cru de 198 300 postes. Malgré l’amélioration observée depuis 2015 sur le front de l’emploi, les effets de la crise se font encore ressentir.

Depuis 2008, les évolutions de l’emploi au sein des pays de l’OCDE ont été très différentes. Les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont retrouvé des taux de chômage proches de ceux observés avant le début de la crise, tandis que les taux de chômage français, italien et plus encore espagnol sont encore au-dessus des niveaux d’avant-crise. L’évolution du chômage résulte de l’écart entre l’évolution de la population active et l’évolution de l’emploi. Une amélioration sur le front du chômage peut dès lors masquer des évolutions moins favorables sur le marché du travail, en termes de comportements d’activité (évolution du taux d’activité et du « halo du chômage »), ou de progression de l’emploi précaire (temps partiel subi, …). Dans ce billet, nous revenons sur la contribution de l’évolution des taux d’activité et des durées du travail à l’évolution des taux de chômage, et sur une mesure élargie du taux de chômage qui englobe le « halo du chômage » et le temps partiel subi.

Des taux d’emploi marqués par la crise et les réformes

Excepté aux Etats-Unis, les taux d’emploi ont beaucoup évolué depuis 2008. En France, en Italie et en Espagne, le taux d’emploi des 15-24 ans et, plus largement, des moins de 55 ans a fortement reculé (graphique 1). Entre le premier trimestre 2008 et le dernier trimestre 2016, le taux d’emploi des 18-24 ans a baissé de 19 points en Espagne, de plus de 8 points en Italie, et de près de 4 points en France quand, dans le même temps, les taux de chômage de ces pays augmentaient respectivement de 9, 5 et 3 points. La faiblesse de l’activité économique dans ces pays, accompagnée par des destructions ou de faibles créations d’emplois, a fortement impacté les jeunes arrivant sur le marché du travail. A contrario, sur cette même période, le taux d’emploi des individus âgés de 55 à 64 ans croissait dans l’ensemble des pays mentionnés. En France, du fait notamment des réformes des retraites successives et de la suppression de la dispense de recherche d’emploi, le taux d’emploi des seniors a augmenté de 12,3 points en l’espace de 9 années pour atteindre 50 % au quatrième trimestre 2016. En Italie, malgré la dégradation du marché du travail, le taux d’emploi des 55-64 ans a cru de près de 18 points.

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Un fort effet du taux d’activité sur le chômage, compensé par une baisse de la durée du travail

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, de réduction des heures supplémentaires ou de recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain (tableau 1) s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité des personnes âgées de 15 à 64 ans (tableau 2). Ce dernier s’établissait au dernier trimestre 2016 à 73,1 %, soit 2,4 points de moins que début 2007.

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En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse de 1 point du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait entre autres des réformes des retraites menées. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,7 point en France, de 2,8 points en Italie et de 1,8 point au Royaume-Uni (tableau 3). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 2,3 points à celui observé en 2016. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-5,1 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,8 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 1,3 % (graphique 2).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,4 points en Allemagne, de 3,1 points en Italie et d’1,5 point en France. En Espagne et au Royaume-Uni, le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays. Enfin, sans ajustement de la durée du travail, le taux de chômage aux Etats-Unis serait 1 point inférieur.

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Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,5 % par an. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire (-0,6% par an) sur la période. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 5 % en Allemagne, de 6% en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne.

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Au-delà du « taux de chômage »

En plus d’occulter les dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail, la définition stricte du chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) ne prend pas en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage.

Les bases de données de l’OCDE permettent d’intégrer dans le chômage les individus qui en sont exclus du fait de la définition du BIT. Le graphique 3 présente pour les années 2008, 2011 et 2016 le taux de chômage observé auquel viennent s’additionner d’une part les individus, actifs occupés, déclarant vouloir travailler davantage et d’autre part les individus, inactifs, mais souhaitant travailler et étant disponibles pour le faire. En Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats Unis, les évolutions de ces différentes mesures semblent aller dans le même sens, celui d’une amélioration franche de la situation sur le marché du travail. A contrario, la France et l’Italie ont connu entre 2008 et 2011, mais surtout entre 2011 et 2016, une hausse de leur taux de chômage tant au sens strict, celui du BIT, qu’au sens large. En Italie, le taux de chômage au sens du BIT a augmenté entre 2011 et 2016 de 3,4 points. Dans le même temps, le sous-emploi a augmenté de 3,2 points et la proportion d’individus entretenant un « lien marginal » vis-à-vis de l’emploi de 1 point. Au final, en Italie, le taux de chômage intégrant une partie des demandeurs d’emploi exclus de la définition du BIT atteignait, en 2016, 26,5%, soit plus du double du taux de chômage BIT. En France, du fait d’un niveau de chômage plus faible, ces différences sont moins importantes. Malgré tout, entre 2011 et 2016, le sous-emploi a augmenté de 2,4 points quand le chômage au sens strict ne croissait « que » de 1 point. En Espagne, si l’amélioration en termes de chômage BIT est notable sur la période (-3 points entre 2011 et 2016), le sous-emploi a lui continué à croître fortement (+1,5 point). En 2016, le taux de chômage BIT était en Espagne de 7 points supérieur à son niveau de 2008. En intégrant les demandeurs d’emplois exclus de la mesure du BIT, cet écart atteint 11,0 points.

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France : croissance malmenée

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

 

La publication, le 28 octobre, d’une croissance de l’économie française de 0,2 % au troisième trimestre 2016 constitue un signal conjoncturel conforme à notre analyse de la conjoncture de l’économie française. Ce chiffre, proche de notre dernière prévision (+0,3% prévu au troisième trimestre), reste en ligne avec notre scénario de croissance à l’horizon 2018.

En effet, après trois années de croissance très faible (0,5 % en moyenne sur la période 2012-14), un modeste rebond de l’activité s’est dessiné en France en 2015 (1,2 %), tiré par la baisse des prix du pétrole, la dépréciation de l’euro et une consolidation budgétaire moins forte que par le passé. Pour la première fois depuis 2011, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand (98 000 sur l’ensemble de l’année), favorisées par les dispositifs fiscaux réduisant le coût du travail. Cumulées à une hausse des effectifs dans le secteur non-marchand (+ 49 000) et des créations d’emplois non-salariés (+56 000), le nombre de chômeurs au sens du BIT a diminué en 2015 (-63 000, soit -0,2 point de la population active). De son côté, dynamisé par le suramortissement fiscal sur les équipements industriels, l’investissement des entreprises a connu un redémarrage en 2015 (+3,9 % en glissement annuel). 

La moins bonne performance de la croissance française par rapport à celle de la zone euro depuis 2014 s’explique, outre le fait qu’elle ait aussi mieux résisté sur la période 2008-2013, par deux éléments majeurs : d’une part, par un ajustement budgétaire plus conséquent que celui de ses voisins européens sur la période 2014-16, et d’autre part par la maigre contribution de ses exportations à la croissance, alors même que les orientations fiscales de la politique de l’offre visent à redresser la compétitivité des entreprises françaises. Or, il semblerait que les exportateurs français aient fait le choix, à partir de 2015, de redresser leurs marges plutôt que de réduire leurs prix à l’exportation, sans effet sur les volumes exportés. Si ce comportement se traduit par des pertes de parts de marché depuis plusieurs trimestres, il peut en revanche, à travers le rétablissement des situations financières des exportateurs hexagonaux, devenir un atout à plus long terme, notamment si ces marges étaient réinvesties dans la compétitivité hors-coût pour favoriser la montée en gamme des produits fabriqués en France.

En 2016, malgré un premier trimestre dynamique (+0,7 %) tiré par une demande intérieure hors stocks exceptionnellement soutenue (+0,9 %), la croissance du PIB plafonnerait à 1,4 % en moyenne sur l’année (tableau 1). Le trou d’air du milieu d’année, marqué par les grèves, les inondations, les attentats ou la fin initialement programmée du suramortissement fiscal, explique en partie la faiblesse de la reprise en 2016. Sous l’effet du redressement du taux de marge, d’un coût du capital historiquement bas et du prolongement du suramortissement fiscal, l’investissement continuerait cependant à croître en 2016 (+2,7 % en glissement annuel). Les créations d’emplois salariés marchands seraient relativement dynamiques (+149 000), soutenues par le CICE, le Pacte de responsabilité ou la prime à l’embauche. Au total, en tenant compte des non-salariés et des effectifs dans le secteur non-marchand, 219 000 emplois seraient créés en 2016. Le taux de chômage baisserait de 0,5 point sur l’année, dont 0,1 serait lié à la mise en place du dispositif « 500 000 formations », et s’établirait à 9,4 % de la population active en fin d’année. Le déficit public, quant à lui, baisserait à 3,3 % du PIB en 2016, après 3,5 % en 2015 et 4 % en 2014.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,5 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %), la politique budgétaire nationale ne pesant plus sur le PIB pour la première fois depuis sept ans. Par contre, la France doit faire face, par rapport à la prévision de printemps, à deux nouveaux chocs, l’impact négatif du Brexit sur le commerce extérieur et celui des attentats sur la fréquentation touristique. Ces deux chocs amputeraient de 0,2 point de PIB la croissance en 2017 (après 0,1 en 2016). L’économie française créerait 180 000 emplois, dont 145 000 dans le secteur marchand, et le taux de chômage se réduirait de « seulement » 0,1 point, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation. Sous l’effet de la remontée du prix du pétrole et de la baisse de l’euro, l’inflation serait de 1,5 % en 2017 (après 0,4 % en 2016). Enfin, le déficit public atteindrait 2,9 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans. Après s’être stabilisée à 96,1 % du PIB en 2015 et en 2016, la dette publique baisserait très légèrement, pour revenir à 95,8 % en 2017.

L’économie française, bien que malmenée par de nouveaux chocs et loin d’avoir effacé tous les stigmates de la crise, se redresse peu à peu, comme en témoigne l’amélioration graduelle de la situation financière des agents économiques : hausse du taux de marge des entreprises, rebond du pouvoir d’achat des ménages, baisse du déficit et stabilisation de la dette publique.

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Faut-il taxer les contrats courts ?

A l’heure où le gouvernement réfléchit à taxer les contrats courts, il nous a semblé opportun de (re)lire le billet de Bruno Coquet : “Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?” publié en mai 2016.




Chômage à contre-emploi

par OFCE, Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’août 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître une forte augmentation du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A[1] (+50 200 personnes en France métropolitaine). Cette forte progression efface en grande partie les améliorations observées depuis le début de l’année. Sur un an, le nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité reste en légère baisse  (- 10 900 personnes). La hausse des inscrits en catégorie A au mois d’août a touché toutes les catégories d’âge. Si on ajoute les inscrits ayant réalisé une activité réduite au cours du mois, la hausse mensuelle est encore plus prononcée (+76 100 personnes). Les attentats qui ont frappé la France, et notamment celui du 14 juillet à Nice, ont eu un impact négatif sur l’activité touristique venant de l’étranger (hébergement-restauration, activités de loisir) avec des conséquences négatives sur l’emploi des secteurs concernés mais dont l’ampleur n’est à ce stade pas chiffrable.

Ces évolutions, franchement négatives, doivent être cependant prises avec prudence. Selon Pôle Emploi, elles reflètent en partie la modification des règles d’actualisation d’inscription décidée au mois de janvier 2016. Au mois d’août, le nombre de sorties pour défaut d’actualisation a atteint un point bas depuis l’instauration de la nouvelle règle. Ceci s’expliquerait par le nombre de jours ouvrés où il était possible de s’inscrire, particulièrement fort au mois d’août.

Ceci doit nous rappeler que les chiffres publiés par Pôle Emploi sont soumis à des aléas propres à la pratique administrative. Ces aléas ne sont pas nécessairement corrélés avec les évolutions sous-jacentes de l’emploi. En effet, l’analyse des tendances de l’emploi et du chômage nécessite la prise en compte d’autres indicateurs qui capturent mieux les évolutions du marché du travail.

Focus : l’évolution de l’emploi au sens de la comptabilité nationale depuis un an

Malgré un chiffre de croissance décevant au deuxième trimestre 2016, publié vendredi dernier par l’Insee, et la forte augmentation du nombre de DEFM au mois d’août (dont l’évolution est souvent très volatile au mois le mois), il n’en reste pas moins que l’économie française reste créatrice d’emplois dans le secteur marchand depuis le deuxième trimestre 2015. Les créations d’emplois salariés ont ainsi atteint ou dépassé le chiffre de 40 000 par trimestre depuis 1 an, rythme légèrement plus dynamique que fin 2010-début 2011 et qui n’avait plus été observé depuis l’année 2007 (graphique 1).

La reprise molle entamée en 2015 (+1,2 % de croissance) et qui se poursuit en 2016 (+1,1 % d’acquis à la fin du deuxième trimestre) aurait à peine permis de stabiliser le chômage, compte tenu de la croissance de la population active (+0,5 % par an) et des gains de productivité tendanciels (estimés à +0,8 % par an). Toutefois, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand sont stimulées par les mesures de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Depuis quatre trimestres, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand ont contribué à 75 % des créations d’emplois, le reste se répartissant entre les créations d’emplois dans le secteur non-marchand[2] (pour 17 %) et les emplois non-salariés marchands (pour 8 %).

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La panne de croissance observée au deuxième trimestre, les attentats et le Brexit ne semblent pas remettre en cause la dynamique de l’emploi salarié marchand. Au-delà des derniers chiffres positifs portant sur le nombre d’intérimaires en fin de mois (+0,7 % en juillet), et sur les déclarations d’embauche de plus d’un mois (hors intérim) qui augmentent de 3,7 % en août après une hausse de 0,6 % au mois de juillet, les intentions d’embauches déclarées dans les enquêtes de conjoncture indiquent une poursuite des créations d’emplois dans les services marchands au troisième trimestre, ainsi qu’un net ralentissement des destructions d’emplois dans le secteur de la construction (graphique 2). Concernant les industries manufacturières, les intentions d’embauches sont plus hésitantes au premier semestre, après cependant une nette amélioration en 2015.

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[1] Les inscrits en catégorie A n’ont exercé aucune activité, pas même réduite, à la différence des inscrits en catégories B et C.

[2] Dans le secteur non-marchand, les créations d’emplois sont tirées notamment par les contrats aidés (emplois d’avenir, contrats d’accompagnement dans l’emploi).




Brexit : quelles leçons pour l’Europe ?

Par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le vote britannique pour une sortie de l’UE accentue la crise politique tant en Europe que dans beaucoup de pays européens. La sortie de l’Europe devient une alternative possible pour les peuples européens, ce qui peut encourager les partis souverainistes. Mécaniquement, le départ du Royaume-Uni augmente le poids du couple franco-allemand, ce qui peut déstabiliser l’Europe. Si l’Ecosse quitte le Royaume-Uni pour adhérer à l’UE, des mouvements indépendantistes d’autres régions (Catalogne, Corse, ..) pourraient demander une évolution similaire. Mais la fragilité de l’Europe provient aussi de l’échec de la stratégie « discipline budgétaire/réformes structurelles ».

Le départ du Royaume-Uni, farouche partisan du libéralisme économique, hostile à toute augmentation du budget européen comme à tout accroissement des pouvoirs des institutions européennes, comme à l’Europe sociale pourrait modifier la donne dans les débats européens, mais certains pays de l’Est, les Pays-Bas et l’Allemagne ont toujours eu la même position que le Royaume-Uni. Il ne suffira pas, à lui seul, à provoquer un tournant dans les politiques européennes. Par contre, la libéralisation des services et du secteur financier, que le Royaume-Uni impulse aujourd’hui, pourrait être ralentie. Le Commissaire britannique Jonathan Hill, responsable des services financiers et des marchés de capitaux devra être rapidement remplacé. Se posera la question délicate des fonctionnaires européens britanniques qui, en tout état de cause, ne pourront plus occuper de postes de responsabilité.

Il ouvrira aussi une période d’incertitude économique et financière. Mais il ne faut pas donner trop d’importance aux réactions des marchés financiers, qui n’aiment pas l’incertitude et sont de toute façon très  volatils.  La livre a certes rapidement perdu 10%  par rapport à l’euro, mais elle était sans doute  surévaluée, comme en témoigne le déficit courant britannique de l’ordre de 6,5% de son PIB en 2015.

Selon l’article 50 de la Constitution européenne, un pays qui décide de quitter l’Union doit négocier un accord de retrait, qui fixe la date de sortie[1]. Sinon, au bout de deux ans, le pays est automatiquement en dehors de l’Union. La négociation sera délicate ; elle portera obligatoirement sur l’ensemble des dossiers. Durant cette période, le Royaume-Uni restera dans l’UE. Les pays européens devront choisir entre deux attitudes. L’attitude compréhensive serait de signer rapidement un Traité de libre-échange, se donnant comme objectif de maintenir les relations commerciales et financières avec le Royaume-Uni, en tant que partenaire privilégié de l’Europe. Cela minimiserait les conséquences économiques du Brexit pour l’UE comme pour le Royaume-Uni. Toutefois, il paraît difficile que le Royaume-Uni puisse à la fois jouir d’une liberté totale pour son organisation économique et d’une ouverture totale des marchés européens. Le Royaume-Uni ne devrait pas bénéficier de conditions plus favorables que celles des membres actuels de l’AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein) ou de la Suisse ; il devrait sans doute comme eux intégrer la législation du marché unique (en particulier pour la libre circulation des personnes) et contribuer au budget européen. Se poseraient très vite la question de normes, celle du passeport européen des institutions financières (ce passeport est aujourd’hui accordé aux pays de l’AELE, mais pas à la Suisse),  etc. Le Royaume-Uni pourrait avoir à choisir entre se plier à des normes européennes sur lesquelles il n’aura pas son mot à dire ou se voir imposer des barrières réglementaires. Certes, la négociation sera ouverte. Le Royaume-Uni pourra plaider pour une Europe plus ouverte aux pays hors-UE. Mais quel sera son poids une fois sorti ?

L’attitude dure, visant à punir Londres pour faire un exemple et décourager les futurs candidats à la sortie, consisterait au contraire à imposer au Royaume-Uni de renégocier l’ensemble des traités commerciaux en partant de zéro (donc des seules règles de l’OMC) à inciter les entreprises multinationales à relocaliser en Europe continentale leurs usines et sièges sociaux, à fermer l’accès du marché européen aux banques britanniques de façon à les inciter à rapatrier à Paris ou à Francfort l’activité bancaire et financière de la zone euro. Mais, il paraît difficile que l’Europe, partisan de la libre-circulation des marchandises, des services, des personnes, des entreprises, se mette à dresser des obstacles contre le Royaume-Uni.  La zone euro a un excédent courant de 130 milliards d’euros avec le Royaume-Uni : voudra-t-elle le remettre en cause ? Les entreprises européennes qui exportent au Royaume-Uni s’y opposeraient. Les accords de coopération industrielle (Airbus, Armement, Energie, ..) pourraient difficilement être remis en question. Il paraît a priori peu probable que Londres dresse des barrières tarifaires contre les produits européens, sauf en représailles. En sens inverse, Londres pourrait jouer la carte du paradis fiscal et réglementaire, en particulier en matière financière. Mais, il ne pourrait guère s’abstraire de contraintes internationales (les accords de la COP21, ceux sur la lutte contre l’optimisation fiscale, ceux sur l’échange international d’informations fiscales et bancaires). Le risque est de rentrer dans un coûteux jeu de représailles réciproques (que l’Europe, divisée entre des pays à intérêts différents, aura du mal à mener).

En cas de sortie de l’UE, le Royaume-Uni, contributeur net à l’UE, économiserait  a priori environ 9 milliards d’euros par an, soit 0,35% de son PIB. Toutefois, les pays de l’AELE et la Suisse contribuent au budget européen dans le cadre du marché unique. Là encore, tout dépendra de la négociation. On peut penser que le gain pour le Royaume-Uni ne sera que de l’ordre de 4,5 milliards d’euros, que les autres pays membres devront prendre en charge (soit un coût de l’ordre de 0,5 milliard d’euros pour la France).

Compte tenu des incertitudes sur la négociation (et sur l’évolution du taux de change),  toutes les évaluations sur l’impact du Brexit sur les autres pays de l’UE ne peuvent être que très problématiques. Par ailleurs, l’effet pour les pays de l’UE est forcément de second ordre : si des barrières tarifaires ou non tarifaires réduisent les exportations de voitures françaises vers le Royaume-Uni et des voitures britanniques vers la France, les producteurs français pourront fournir leur marché national avec moins de concurrence et pourront aussi se tourner vers les pays tiers. Un ordre de grandeur est cependant utile : les exportations de la France (de l’UE) vers le Royaume-Uni représentaient en 2015 1,45% de son PIB (2,2%) ; les exportations du Royaume-Uni vers l’UE représentaient 7,1% de son PIB. A priori, un choc équivalent sur le commerce RU/UE a 3,2 fois moins d’impact sur l’UE que le Royaume-Uni.

Ainsi, selon l’OCDE[2], la baisse du PIB de l’UE serait à terme, en 2023, de 0,8% (contre 2,5% pour le Royaume-Uni), tandis que rester dans l’UE, participer à l’approfondissement du marché unique et signer des accords de libre-échange avec le reste du monde permettrait une hausse du PIB pour tous les pays de l’UE. Mais quelle est la crédibilité de cette dernière affirmation, compte tenu des mauvaises performances actuelles de la zone euro et du coût de l’ouverture des frontières pour la cohésion économique et sociale des pays européens ? Beaucoup des canaux évoqués par l’OCDE sont contestables : le Brexit affaiblirait la croissance en augmentant l’incertitude économique et en affaiblissant les perspectives économiques. Mais si l’Europe fonctionne mal, la quitter devrait améliorer les perspectives des marchés. Le Royaume-Uni subirait une contraction de son commerce extérieur, qui nuirait durablement à sa productivité, mais, malgré l’ouverture de son économie, la productivité de l’économie britannique est déjà faible. L’OCDE ne pose pas la question de principe : un pays doit-il abandonner sa souveraineté politique pour bénéficier des éventuels effets positifs de la libéralisation commerciale ?

Selon la fondation Bertelsmann[3], la baisse du PIB de l’UE (hors RU) en 2030 irait de 0,10% dans le cas d’une sortie douce (le Royaume-Uni ayant un statut similaire à celui de la Norvège)  à 0,36% dans le cas défavorable (le Royaume-Uni devant renégocier tous ses traités commerciaux), la France étant peu touchée (-0,06 % et -0,27%), l’Irlande, la Belgique et le Luxembourg beaucoup plus. Puis l’étude multiplie ces chiffres par cinq pour intégrer des effets dynamiques de moyen terme, la baisse du commerce extérieur étant censée avoir des effets défavorables sur la productivité.

Euler-Hermès aboutit aussi à des chiffres très faibles pour les pays de l’UE : une baisse de 0,4% du PIB avec un accord de libre-échange ; de 0,6 % sans accord. L’impact est plus important pour les Pays-Bas, l’Irlande et la Belgique.

Un rebond de l’Europe, avec ou sans le Royaume-Uni…

L’Europe devra tirer les leçons de la crise britannique, qui vient après la crise des dettes des pays du Sud, la crise grecque, les politiques d’austérité, en même temps que celle des migrants. Ce ne sera pas une tâche aisée. Il faudra à la fois repenser le contenu des politiques et leur cadre institutionnel. L’UE en aura-t-elle la capacité ?

Les déséquilibres entre pays membres se sont accrus de 1999 à 2007. Depuis 2010, la zone euro n’a pas été capable de mettre en place une stratégie coordonnée permettant le retour vers un niveau satisfaisant d’emploi et la résorption des déséquilibres entre Etats membres. Les performances économiques sont médiocres pour de nombreux pays de la zone euro et catastrophiques pour les pays du Sud.  La stratégie mise en œuvre  dans la zone euro depuis 1999, renforcée depuis 2010 : « discipline budgétaire/réformes structurelles » n’a guère donné des résultats satisfaisants sur les plans économiques et sociaux. Par contre, elle donne aux peuples l’impression d’être dépossédés de tout pouvoir démocratique. C’est encore plus vrai pour les pays qui ont bénéficié de l’assistance de la troïka (Grèce, Portugal, Irlande) ou de la BCE (Italie, Espagne). Depuis 2015, le plan Juncker destiné à relancer l’investissement en Europe a marqué un certain tournant, mais celui-ci demeure timide et mal assumé : il ne s’accompagne pas d’une réflexion sur la stratégie macroéconomique et structurelle. Les désaccords sont importants en Europe tant entre les nations qu’entre les forces politiques et sociales. Dans la situation actuelle, l’Europe a besoin d’une stratégie économique forte, mais celle-ci ne peut pas être aujourd’hui décidée collectivement en Europe.

Ce marasme a selon nous deux causes fondamentales. La première concerne l’ensemble des pays développés. Il apparaît de plus en plus que la mondialisation creuse un fossé  profond entre ceux qui y gagnent et ceux qui y perdent[4]. Les inégalités de revenus et de statuts se creusent. Les emplois stables, correctement rémunérés disparaissent. Les classes populaires sont les victimes directes de la concurrence des pays à bas salaires (que ce soient les pays asiatiques ou les anciennes démocraties populaires). On leur demande d’accepter des baisses de salaires, de prestations sociales, de droits du travail. Dans cette situation, les élites et les classes dirigeantes peuvent être ouvertes, mondialistes et pro-européennes tandis que le peuple est protectionniste et nationaliste. C’est le même phénomène qui explique la poussée du Front National de l’AfD, de l’UKIP, et aussi aux Etats-Unis de Donald Trump chez les Républicains.

L’Europe est actuellement gérée par un fédéralisme libéral et technocratique, qui veut imposer aux peuples des politiques ou des réformes, que ceux-ci refusent, pour des raisons parfois légitimes, parfois discutables, parfois contradictoires. Le fait est que l’Europe, telle qu’elle est actuellement, affaiblit les solidarités et cohésions nationales, ne permet pas aux pays de choisir une stratégie spécifique.  Le retour à la souveraineté nationale est une tentation générale.

Par ailleurs l’Europe n’est pas un pays. Il existe entre les peuples des divergences importantes d’intérêt, de situations, d’institutions, d’idéologies qui rendent tout progrès difficile. En raison de la disparité des situations nationales, de nombreux dispositifs (que ce soit la politique monétaire unique, la liberté de circulation des capitaux et des personnes), posent problème. Des règles sans fondement économique ont été introduites dans le Pacte de Stabilité ou le Traité Budgétaire : elles n’ont pas été remises en cause après la crise financière.  Dans nombre de pays, les classes dirigeantes, les responsables politiques, les hauts-fonctionnaires ont choisi de minimiser ces problèmes, pour ne pas contrarier la construction européenne. Des questions cruciales d’harmonisation fiscale, sociale, salariale, réglementaire ont été volontairement oubliées. Comment faire converger vers une Europe sociale ou une Europe fiscale des pays dont les peuples sont attachés à des systèmes structurellement différents ? Après les difficultés de l’Europe monétaire, qui peut souhaiter une Europe budgétaire, qui éloignera encore l’Europe de la démocratie ?

Dans l’accord du 19 février, le Royaume-Uni a fait rappeler les principes de subsidiarité. Il est compréhensible que des pays, soucieux de souveraineté nationale, soient agacés (pour ne pas dire plus) par les intrusions incessantes de l’UE dans des domaines qui relèvent de la compétence nationale, où les interventions européennes n’apportent guère de valeur ajoutée. Il est compréhensible que ces pays refusent de devoir en permanence se justifier à Bruxelles sur leurs politiques économiques ou sur leurs règles économiques, sociales ou juridiques même quand celles-ci n’ont aucune conséquence sur les autres Etats membres. Le Royaume-Uni a fait noter que les questions de justice, de sécurité, de libertés restaient de compétence nationale. L’Europe devra tenir compte de ce sentiment d’exaspération. Après le départ britannique, il faudra arbitrer entre deux stratégies : renforcer l’Europe au risque d’accroître encore le sentiment de dépossession des peuples ou réduire l’ambition de la construction européenne.

Le départ du Royaume-Uni, l’éloignement de fait de certains pays d’Europe centrale  (Pologne, Hongrie), les réticences du Danemark et de la Suède pourraient pousser à passer explicitement à une Union à deux vitesses. Beaucoup d’intellectuels et de personnalités politiques, nationaux ou européens, pensent que la présente crise pourrait en être l’occasion. L’Europe serait explicitement partagée en trois cercles. Le premier regrouperait les pays de la zone euro qui, tous, accepteraient de nouveaux transferts de souveraineté et bâtiraient une union budgétaire, fiscale, sociale et politique poussée. Un deuxième regrouperait les pays européens qui ne souhaiteraient pas participer à cette union. Enfin, le dernier cercle regrouperait les pays liés à l’Europe par un accord de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse aujourd’hui, d’autres pays et le Royaume-Uni demain)

Ce projet pose cependant de nombreux problèmes. Les institutions européennes devraient être dédoublées entre des institutions zone euro fonctionnant sur le mode fédéral (qu’il faudrait rendre plus démocratique) et des institutions de l’UE continuant à fonctionner sur le mode Union des Etats membres. Beaucoup de pays actuellement en dehors de la zone euro sont hostiles à cette évolution qui, selon eux, les marginaliserait en membre de ‘seconde zone’. Elle compliquerait encore le fonctionnement de l’Europe s’il y a un Parlement européen et un Parlement de la zone euro, des commissaires zone euro, des transferts financiers zone euro et des transferts UE, etc. C’est déjà le cas, par exemple, avec l’Agence bancaire européenne et la BCE. De nombreuses questions devraient être tranchées deux ou trois  fois (une fois au niveau de la zone euro, une fois au niveau de l’UE, une fois au niveau de la zone de libre-échange).

Selon la question, le pays membre pourrait choisir son cercle, on irait vite vers une union à la carte. Cela est difficilement compatible avec une démocratisation de l’Europe puisqu’il faudrait vite un Parlement par question.

Les membres du troisième cercle seraient eux dans une situation encore plus difficile, obligés de se plier à des réglementations sur lesquels ils n’auront aucun pouvoir. Faut-il placer nos pays partenaires devant le dilemme : accepter  de lourdes pertes de souveraineté (en matière politique et sociale) ou se voir priver des avantages du libre-échange ?

Il n’y a sans doute pas d’accord des peuples européens, même au sein de la zone euro, pour aller vers une Europe fédérale, avec toutes les convergences que cela supposerait. Dans la période récente, les cinq présidents et la Commission ont proposé de nouveaux pas vers le fédéralisme européen : création d’un Comité budgétaire européen, création de Conseils indépendants de compétitivité, conditionnement de l’octroi des fonds structurels au respect de la discipline budgétaire et à la réalisation des réformes structurelles, création d’un Trésor européen et d’un ministre des finances de la zone euro, évolution vers une Union financière, unification partielle des systèmes d’assurance chômage. Cette évolution renforcerait le pouvoir d’organismes technocratiques au détriment des gouvernements démocratiquement élus. Il serait déplaisant qu’elle soit mise en œuvre, comme c’est déjà le cas en partie, sans que les peuples soient consultés.

Par ailleurs, nul ne sait comment se ferait la convergence en matières fiscale ou sociale. Vers le haut ou vers le bas ? Certains proposent une union politique où les décisions seraient prises démocratiquement par un gouvernement et un parlement de la zone euro. Mais peut-on imaginer un pouvoir fédéral, même démocratique, capable de prendre en compte les spécificités nationales dans une Europe composée de pays hétérogènes ? Peut-on imaginer les décisions concernant le système de retraite français prises par un Parlement européen ? Ou un ministre des finances de la zone imposant des baisses de dépenses sociales aux pays membres (comme la troïka le fait pour la Grèce) ? ou des normes automatiques de déficit public ? Selon nous, compte tenu de la disparité actuelle en Europe, les politiques économiques doivent être coordonnées entre pays et non décidées par une autorité centrale.

L’Europe devra engager une réflexion sur son avenir. Utiliser la crise actuelle pour progresser sans réflexion vers « une union toujours plus étroite » serait dangereux. L’Europe doit vivre avec une contradiction : les souverainetés nationales auxquelles les peuples sont attachés doivent être respectées tant que faire se peut ; l’Europe doit mettre en œuvre une stratégie macroéconomique et sociale, forte et cohérente. L’Europe n’a pas de sens en elle-même, elle n’en a que si elle met en œuvre en projet, défendre un modèle spécifique de société, la faire évoluer pour intégrer la transition écologique, éradiquer  le chômage de masse, résoudre les déséquilibres européens de façon concertée et solidaire. Mais il n’y a pas d’accord en Europe sur la stratégie à mener pour atteindre ces objectifs. L’Europe, incapable de sortir globalement les pays membres de la récession, de mettre en œuvre une stratégie cohérente face à la mondialisation, est devenue impopulaire. Ce n’est qu’après un changement réussi de politiques qu’elle pourra retrouver l’appui des peuples et que des progrès institutionnels pourraient être mis en œuvre.

[1] Voir, en particulier le rapport du Sénat ; Albéric de Montgolfier : Les conséquences économiques et budgétaires d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne,  juin 2016.

[2] OCDE, 2016, The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision, avril. Notons qu’assimiler la sortie de l’Euro à une hausse des impôts est n’a pas de sens économique et est une communication peu digne de l’OCDE.

[3] Brexit –potential economic consequences if the EU exit the EU,, Policy Brief, 2015/05.

[4] Voir par exemple, Joseph E. Stiglitz, 2014,  « Le prix de l’inégalité », Les Liens qui libèrent, Paris.




Quels impacts doit-on attendre du CICE et du Pacte de responsabilité sur l’économie française ?

par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite du Rapport Gallois de fin 2012, le gouvernement a décidé de privilégier une politique d’offre, basée sur la baisse de la fiscalité sur les entreprises, afin de lutter contre le chômage de masse et de faire face à la compétition accrue entre les partenaires de la zone euro, engagés dans des politiques de réformes structurelles et de déflation compétitive. Cette politique d’offre a pour but de rétablir la compétitivité de l’économie française et de dynamiser l’emploi, tout en maintenant le cap de réduction rapide des déficits publics structurels. Concrètement, cela a donné lieu à la mise en place du CICE, un crédit d’impôt égal à 6 % de la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC, et du Pacte de responsabilité, correspondant à une baisse de cotisations sociales patronales pour les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, ainsi qu’une baisse de la fiscalité sur les entreprises[1].

Or début 2016, soit huit ans après le déclenchement de la crise, l’économie française vient tout juste de retrouver le niveau de PIB par habitant qui prévalait au 1er trimestre 2008, et affiche un taux de chômage proche de 10 % de la population active, soit plus de 3 points de pourcentage au-dessus de son niveau d’avant-crise. Compte tenu de ce constat, l’évaluation de l’efficacité de cette politique d’offre constitue un enjeu majeur.

Dans un article paru récemment, nous simulons l’impact macroéconomique sur l’économie française du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et de la partie baisse de cotisations sociales patronales du Pacte de responsabilité sur la période 2014-2018, à partir du modèle macroéconomique pour l’économie française e-mod.fr. Cette étude actualise les résultats d’une précédente étude réalisée en 2012 sur le CICE, et vient en complément de notre évaluation sur données macro-sectorielles réalisée en 2015. Elle est enrichie d’une simulation de l’impact des baisses de cotisation sociales patronales issues du Pacte, tient compte du financement des mesures, et introduit de nouveaux effets, en distinguant l’effet du chômage sur le taux de croissance des salaires en fonction de la position dans le cycle. Ainsi, une politique de réduction du coût du travail et de baisse de la dépense publique n’aura pas le même effet sur la croissance selon que l’économie se trouve en haut ou en bas de cycle (voir par exemple Creel et al., 2011 ; Heyer, 2011 ; Auerbach et Gorodnichenko, 2012 ; Blanchard et Leigh, 2013). Le moment de la mise en œuvre des mesures est donc crucial. Par rapport aux simulations existantes, l’apport de ce travail réside dans la mise en évidence de la sensibilité des résultats à la position initiale de l’économie dans le cycle décrite par l’écart de production.

Selon notre scénario central, le Pacte et le CICE permettraient, hors effet du financement, de créer ou sauvegarder 530 000 emplois à l’horizon 2018 et auraient un effet positif sur l’activité économique (+1,2 point de PIB). En revanche, une fois pris en compte les effets du financement, les gains sur le PIB seraient nuls et le nombre d’emplois créés ou sauvegardés serait de l’ordre de 290 000 à l’horizon 2018, avec une fourchette allant de 190 000 à près de 420 000 selon la position dans le cycle.

 

[1] Au total, à l’horizon 2017, cela représentera une baisse des prélèvements sur les entreprises de 41 milliards d’euros par an, dont 29 milliards sont assis sur les salaires, baisse financée principalement par une réduction de la dépense publique (une part des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17) mais aussi par une augmentation de 10 milliards d’euros de la fiscalité (hausse de la TVA et de la fiscalité écologique).




Taxer les contrats courts : pourquoi et comment ?

Par Bruno Coquet

Le marché du travail français est fortement appuyé sur l’assurance chômage, pour de nombreuses raisons : le chômage est élevé, les salariés paient très cher leur assurance, mais aussi parce que la réglementation couvrant bien les salariés titulaires de contrats précaires, certains employeurs sont incités à reporter sur l’assurance chômage les coûts de la flexibilité contractuelle, qui devraient être facturés aux clients ou imputés aux actionnaires.

L’intervention de l’assurance chômage doit donc être ajustée afin de ne pas susciter de telles incitations, qui lui coûtent cher et accroissent le coût du travail. Pour ce faire c’est le coût du travail associé aux comportements coûteux pour l’assureur qui doit être augmenté, cependant que les taxes facturées aux employeurs faisant un usage raisonné des contrats courts devraient baisser.

Après avoir examiné les moyens que l’assureur doit mettre en regard de ces objectifs, nous proposons une formule de modulation des cotisations d’assurance chômage. Celle-ci tire les leçons de la sur-taxation en vigueur depuis 2013 ; plus générale, notre formule peut modifier de manière significative le coût des contrats très courts, tout en ayant des effets agrégés très modestes (et en particulier nuls sur le coût du travail agrégé) ; son éventuel effet négatif sur les embauches, en particulier dans les TPE/PME peut aisément être contrôlé

1 – Définir précisément l’objectif

1.1 – Règle générale : ne pas taxer, ni plus ni moins

Si l’on veut créer des emplois il est de bon sens de ne pas les taxer, ou plus exactement de minimiser les taxes qui pèsent sur le travail. Cela vaut dès la première heure de travail, quels que soient le niveau de salaire et les caractéristiques du contrat de travail (CDI, CDD, intérim, etc.).

Mais les modalités d’emploi peuvent cependant engendrer des effets indésirables, des transferts de coûts sur d’autres acteurs que les parties au contrat, des « externalités » qui peuvent justifier de prélever des taxes sur le travail : le financement des accidents du travail en constitue un bon exemple, mais aussi l’assurance chômage, la formation professionnelle, etc. Symétriquement le coût de certaines politiques publiques ne devrait pas être déporté vers des ressources qui n’ont rien à voir avec elles : la politique culturelle, dont le régime des intermittents du spectacle est un pilier, constitue un exemple emblématique d’un alourdissement indésirable du coût du travail.

Les systèmes mutualisés qui financent certaines politiques publiques, en particulier les assurances qui s’appuient sur la solidarité interprofessionnelle, ne devraient pas effectuer de la redistribution monétaire ou donner des subventions croisées en différenciant la tarification des assurés : le risque étant aléatoire, la règle est que chacun a l’obligation de s’affilier et paie des contributions identiques pour financer l’indemnisation de ceux pour lesquels le risque se réalise.

Par conséquent il n’existe pas de raison de taxer l’emploi quand il n’engendre pas d’externalités coûteuses, et il serait inique et inefficace de surtaxer certains assurés ou d’en exonérer d’autres.

1.2 – Règle de bonne gestion : décourager ce qui coûte cher

En revanche, dès lors que le comportement des assurés influence la probabilité de survenance des sinistres, ou le montant de l’indemnisation qui s’ensuit, l’assureur doit impérativement contrôler ces comportements qui accroissent ses dépenses (ce qui manifeste l’externalité).

Pour faire face à cette « sélection adverse » l’assureur peut, à court terme, choisir d’augmenter la taxe de droit commun facturée à tous les assurés. Mais cette option n’est pas tenable à long terme car elle encourage de plus en plus d’assurés à adopter les comportements coûteux pour l’assureur, en même temps qu’elle accroît les coûts de ceux dont le comportement est vertueux, car ce sont eux qui financent le surcroît de dépenses.

C’est en particulier le cas pour l’assurance chômage. Le chômage ne résulte pas seulement de causes macroéconomiques, cycles d’activité, ruptures technologiques, saisons, chocs exogènes, etc. Il relève également de choix productifs : ainsi une entreprise peut choisir de répondre à une demande saisonnière en stockant ses produits au fil des mois qui précèdent, quand sa concurrente augmentera sa production au dernier moment grâce à des contrats courts ; une autre peut choisir de répercuter dans son prix de vente le surcoût de l’embauche d’intérimaires pour répondre à une commande sporadique alors que sa concurrente rognera son taux marge pour bénéficier d’un chiffre d’affaires et d’un profit total accrus. Ainsi sur des marchés concurrentiels ce sont in fine les actionnaires ou les clients qui supportent les coûts associés aux choix productifs.

La présence d’une assurance chômage peut modifier ces choix : les entreprises utilisant les technologies de production flexibles qui externalisent le mieux les coûts de production vers le régime d’assurance sont avantagées, soit que leurs marges sont plus élevées, soit que leurs prix de vente plus faibles augmentent leur compétitivité et leur activité. Mais derrière le régime d’assurance chômage, qui paye pour le revenu ces chômeurs ? Une majorité d’entreprises qui n’ont rien à voir avec ces choix, ou – de manière plus problématique – des concurrentes plus vertueuses en termes de stabilité de l’emploi. En aucun cas il n’est optimal que ce soit l’assurance chômage, donc l’ensemble des assurés[1] qui supportent de tels coûts : cela signifie que l’assureur perturbe la concurrence sur le marché des biens dans un sens opposé à ce qu’est sa mission, puisque ce faisant il augmente le chômage et ses propres coûts.

Bien sûr le choix technologique et économique qui fait préférer à l’employeur l’usage de contrats courts ne résulte pas seulement de l’existence d’une assurance chômage. Cependant si l’assureur n’y prend pas garde ces comportements qui augmentent ses dépenses peuvent entraîner sa faillite, surtout si par mégarde il les encourage avec ses propres règles d’affiliation et d’indemnisation, comme c’est le cas de l’Unedic avec les contrats courts.

Une gestion rigoureuse de l’assurance chômage ne doit donc pas exclusivement s’intéresser au contrôle des dépenses. La tarification est un instrument à part entière, indispensable pour contrôler les comportements qui influencent la sinistralité.

2 – Définir précisément l’instrument

Taxer par principe, sans considération du problème que vise à résoudre la taxe, est un risque, pas une solution. La taxe vise à limiter soit le problème, soit ses conséquences, soit les deux.

2.1 – La taxe américaine a pour vocation de contrôler des problèmes américains

Une sur-taxation des entreprises faisant un recours excessif à l’assurance chômage est pratiquée aux Etats-Unis. Cette réglementation est souvent citée en exemple. Mais ce système est spécifique à plusieurs titres, ce qui rend sa transposition aléatoire :

  • Son objectif. Cette formule a été conçue dès la création du régime américain en 1935 pour prémunir l’assureur, et donc la collectivité des assurés[2], contre un danger précis : le recours disproportionné à des suppressions d’emploi temporaires (« licenciements temporaires »), très proches du chômage partiel. C’est d’autant plus nécessaire que le régime d’assurance américain a été construit pour indemniser ce type de fluctuations[3], ce qui exige d’éviter une mutualisation inter-sectorielle excessive (qui implique que les secteurs très cycliques sont financés par ceux qui sont peu cycliques) ainsi qu’une mutualisation intra-sectorielle disproportionnée (les entreprises qui utilisent beaucoup l’assurance chômage sont financées par leurs concurrentes qui l’utilisent peu) ;
  • Son champ d’application. La taxation sous forme d’experience rating est d’autant plus dissuasive qu’elle s’applique à l’ensemble de la masse salariale de l’entreprise dont le compte chez l’assureur est plus déficitaire que la norme établie[4];
  • Ses modalités administratives. Adapté à l’objectif visé cette modulation fonctionne mal car les comptes individuels des entreprises, outre qu’ils engendrent une lourde bureaucratie, nécessitent d’établir des formules de calcul complexes et peu lisibles, au détriment de leur caractère incitatif ;
  • Ses restrictions. L’assiette du salaire assurable sur laquelle porte la taxe est en général trop faible[5] pour que la sanction en termes de coût du travail n’incite à la vertu. En outre si l’expérience rating était « complet », c’est-à-dire que chaque employeur paie la totalité des coûts qu’il engendre pour l’assureur, la mutualisation serait nulle et l’assurance inutile du point de vue des employeurs.

Transposer la formule américaine n’a donc pas de sens car cette modalité est indissociable du système d’assurance de ce pays, structurellement très différent du nôtre, par ses objectifs, ses règles et la manière dont il est financé.

2.2 – Une taxe française doit viser des problèmes français

En France le comportement qui pose problème en ce qu’il coûte cher à l’assurance chômage est la récurrence emploi/chômage associée à l’usage disproportionné des contrats courts.

La durée réduite des contrats de travail engendre des besoins d’indemnisation, qui interfèrent avec la gestion de l’assureur dont l’un des objectifs est de bien sécuriser les titulaires de contrats précaires[6]. L’existence des contrats courts peut évidemment refléter des fluctuations d’activité temporaires – comme aux Etats-Unis –, mais ce qui est problématique en France c’est d’une part leur utilisation structurelle, récurrente, pour couvrir des besoins de production permanents, d’autre part le fait que l’assurance chômage soit instrumentée comme un complément de salaire par des employeurs et/ou des salariés qui maîtrisent bien les règles d’éligibilité et d’indemnisation. Face à cela l’Unedic pourrait moins bien indemniser les chômeurs, mais ce n’est qu’un moyen indirect d’agir sur les causes originelles des dépenses.

En France l’assureur doit donc essayer d’influencer la durée des contrats de travail. La taxe sur les contrats courts ne doit pas être nulle, mais fixée à un niveau optimal pour être dissuasive, sans être excessive ni punitive :

  • Il ne s’agit pas de « taxer les CDD », ou d’exonérer tel ou tel statut, mais de viser la durée effective des contrats : en effet l’assureur observe que 30% des CDI durent moins d’un an, que les ruptures durant la période d’essai représentent près de 2 fois plus d’entrées au chômage que les licenciements économiques, que les contrats d’intérim sont à la fois très courts et très récurrents en indemnisation, etc. Il apparaît donc préférable que l’assureur reste neutre envers le choix du contrat de travail, pour se focaliser sur la conséquence commune des différents statuts possibles, qui est la forte récurrence en indemnisation ;
  • La taxe n’a aucune raison d’être punitive : elle s’applique aux salaires correspondant à des contrats de courte durée, pas à l’ensemble des employeurs qui en font un usage excessif (ce qui serait le cas si la taxe américaine était transposée telle quelle) ;
  • Le but n’est pas de créer une taxe qui finance le « déficit » des contrats courts[7]. Un tel objectif serait en contradiction avec la nature même d’une assurance chômage mutualisée, qui a vocation à financer les prestations versées aux agents qui subissent des risques élevés (contrats précaires) par des contributions sur les agents dont l’exposition au risque est moindre (contrats stables). Dès lors que ces risques ne sont pas « maîtrisés » par les agents, la mutualisation réalisée par l’assurance est un transfert souhaitable, et l’assureur ne doit pas chercher à faire payer aux utilisateurs de contrats courts 100% du coût d’indemnisation qu’ils engendrent, ce qui serait la négation même du principe d’assurance mutualisée.

Une taxe sur les CDD, réduite pour les CDD d’usage, a bien été mise en place en 2013 par l’Unedic[8] (graphique 1). Mais en visant des statuts plutôt que la durée, dotée d’un champ d’application bien plus restreint que celui de ses exceptions, elle ne pouvait évidemment ambitionner d’infléchir l’usage des contrats courts. En outre, en créant des effets de seuil, elle offre à la marge des possibilités d’échapper à la surtaxe. De manière caractéristique on peut observer que cette taxe visant une mauvaise cible (le statut du contrat de travail, en l’occurrence les CDD, mais pas l’intérim et très peu les CDD d’usage) il n’est guère étonnant qu’elle n’ait pas modifié les comportements.

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2.3 – Taxer les contrats courts sans dissuader la création d‘emplois

Trois solutions existent pour taxer le travail : au début du contrat, en cours de contrat, ou à la fin de celui-ci :

  • Taxer l’embauche est évidemment contre-intuitif, mais c’est surtout inapproprié par rapport à l’objectif visé ici par l’assureur, car dans bien des cas le statut du contrat ne permet pas de juger de sa durée effective, ni du destin de la relation employeur/salarié (donc sa durée effective) qui peut se poursuivre bien plus longtemps et sans interruption que ne peut le laisser supposer la durée initiale du contrat ;
  • Taxer à la fin du contrat n’est pas souhaitable dans la mesure où l’employeur est taxé au moment où il doit se séparer du salarié, c’est-à-dire au moment où ses moyens financiers se réduisent ; c’est en outre aléatoire car s’il fait faillite la taxe n’est jamais recouvrée ; cette solution est enfin fortement combattue au motif que les coûts de sortie de l’emploi dissuadent l’embauche ;
  • Taxer en cours de contrat reste donc la meilleure solution. Ce que vise une taxe déportée vers les durées courtes de contrat, c’est de limiter les hautes fréquences de ruptures injustifiées[9].

L’objectif étant de taxer les durées effectivement courtes, en évitant les effets de seuil, une taxe d’autant moins importante que le contrat s’inscrit dans la durée apparaît adaptée au besoin.

Il reste qu’une entreprise jeune et/ou en période de forte expansion de ses effectifs est par nature surexposée à une taxe sur les contrats récemment signés, car ceux-ci représentent une fraction transitoirement élevée de sa masse salariale. Dans ce cas, le coût du travail est effectivement élevé, même si cela est parfaitement compatible avec la fonction de l’assurance chômage[10].

Pour qu’une taxe sur les CDD devienne une taxe à l’embauche il faudrait néanmoins que ces contrats représentent une très forte proportion de la masse salariale de l’entreprise. En moyenne la masse salariale des contrats à « durée limitée » représente environ 11,2% de la masse salariale totale soumise à cotisations Unedic[11]. On peut l’illustrer avec les exemples chiffrés dans les tableaux 1 et 2. Une entreprise ayant une masse salariale de CDD comprise entre 0% et 13,5% de sa masse salariale totale gagnerait à un nouveau barème de cotisation tel que celui proposé dans le graphique 1 : une entreprise de 10 salariés (120 mois ETP par an) qui conclurait dans l’année 15 contrats de 1 mois, taxés au taux le plus élevé ne verrait pas son coût du travail accru par rapport au barème actuel, puisque le taux moyen de cotisation à l’assurance chômage baisserait de 4,33% ex-ante à 4,26% ex-post (tableau 1).

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Ce n’est qu’au-delà de 13,5% que ce nouveau barème commence à être coûteux. Mais même si un employeur utilise des contrats courts dans des proportions très importantes (50% dans les exemples du tableau 2, soit plus de 4 fois le taux moyen observé) l’augmentation du taux de cotisation à l’assurance chômage reste relativement modérée (+1,05% si tous les contrats courts durent 1 mois, +1,6% s’ils ont une durée de 3 mois, et 1,25% s’il s’agit de contrats de 12 mois).

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Différentes solutions peuvent être imaginées pour atténuer l’effet de « taxe à l’embauche » d’une telle modulation des contributions. Par exemple :

  • Offrir un abattement à la base de x euros par entreprise sur les cotisations d’assurance chômage : ainsi l’assureur établit un plancher à la sur-taxation pour les employeurs qui font un usage limité des contrats courts, et comme le montant de l’abattement est défini par entreprise, ce sont les plus petites qui sont les plus favorisées. Un abattement à la base de 400 euros par an et par entreprise permettrait ainsi de neutraliser la plupart des effets d’une surtaxe des contrats courts pour une entreprise en forte croissance ayant les caractéristiques simulées dans le tableau 2 ;
  • Offrir une exonération de la surtaxe pour les x premiers emplois créés chaque année (ou depuis la création de l’entreprise, ou à partir de la date du premier emploi créé), quelle que soit leur durée, ce qui a des effets très proches de la mesure ci-dessus mais en limite le champ aux nouveaux emplois, ce qui est moins coûteux ;
  • Offrir à chaque employeur le choix entre le barème dégressif en fonction de la durée du contrat et une taxation uniforme de toute la masse salariale, comme aujourd’hui. Ce taux uniforme devrait être suffisamment élevé pour ne jamais coûter à l’assureur, ce qui aurait l’avantage de faire ressentir à tous les employeurs concernés combien la taxation uniforme actuelle (4%) peut apparaître élevée à l’immense majorité des employeurs qui n’utilisent pas les contrats courts de manière excessive.

L’avantage d’une exonération forfaitaire par entreprise (et non par emploi) est qu’il est inutile de créer un seuil destiné à la plafonner pour les entreprises les plus grosses dont les moyens sont plus élevés et qui ne sont pas exposées à l’effet de taxe à l’embauche.

L’incitation à l’allongement des contrats que constitue une taxe modulée en fonction de leur durée effective ne doit cependant pas être totalement annulée : entre des TPE concurrentes il n’y a aucune raison que l’assurance chômage favorise celles qui minimisent leurs propres risques en recrutant sur des contrats très courts. L’assureur a tout intérêt à « récompenser » les employeurs qui endosse un risque accru en facturant un coût du travail moindre.

Ces aménagements pourraient être financés par la suppression de l’exonération temporaire de cotisation d’assurance chômage ciblée sur les jeunes embauchés en CDI, instaurée en 2013. Cette disposition s’accompagne d’effets d’aubaine particulièrement élevés et, dans la mesure où elle ne s’adresse pas seulement à des jeunes indemnisés, elle relève d’une politique publique, utile dans la mesure où ces emplois s’avèreraient (très) durables, mais qui n’est pas dans la mission première de l’assureur. En revanche trouver les moyens de réduire l’usage disproportionné des contrats courts sans pour autant nuire à la création d’emploi est parfaitement en adéquation avec l’intérêt et avec la mission de l’assureur.

 

 

[1] Il faut toujours avoir à l’esprit que « les assurés » sont à la fois les entreprises (qui sont ainsi couvertes contre l’externalité que représente le coût du chômage qu’elles pourraient engendrer), et les salariés, qui sont couverts contre la perte de leur revenu.

[2] Aux Etats-Unis seules les entreprises paient des cotisations d’assurance chômage ; les salariés n’y cotisent que dans deux Etats.

[3] Ou tout au plus des fluctuations conjoncturelles courtes comme l’indique la durée maximale des droits (6 mois). Le chômage issu de chocs économiques plus importants (conjoncturels ou structurels) est pris en charge par des dispositifs d’extension de droits financés sur crédits budgétaires des Etats ou de l’Etat fédéral.

[4] Prestations servies excédant de manière importante les contributions payées.

[5] Le minimum légal est de 7000 US$ par an.

[6] A la différence des Etats-Unis les salariés français cotisent à l’Unedic, à hauteur de 37,5% de ses ressources.

[7] 8,77 Md€ par an (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).

[8] Cette mesure a été décidée dans le cadre de l’accord interprofessionnel de janvier 2013 et non dans celui d’une renégociation de la convention d’assurance chômage.

[9] Injustifiées non au regard d’un jugement de valeur, mais en raison du fait que ces surcoûts relèvent de choix productifs qui sur des marchés concurrentiels peuvent et doivent être imputés dans les prix de vente (clients) ou les taux de marge (actionnaires) (cf. ci-dessus).

[10] La théorie montre que la présence d’une assurance chômage favorise la croissance économique entre autres parce qu’elle permet à des entreprises nouvelles d’offrir des emplois risqués, que les salariés acceptent d’autant plus volontiers qu’ils sont bien assurés. Voir par exemple Albrecht & Axell (1984) « An equilibrium model of search unemployment », Journal of Political Economy, Vol.92 n°5. Axell & Lang (1990) « The effect of unemployment compensation in a general equilibrium with search unemployment » Scandinavian Journal of Economics, Vol. 92 n°4.

[11] Calcul sur données Unedic (Unedic, 2016, Dossier de référence de la Négociation).