Hypergamie et célibat selon le statut social en France depuis 1969: une convergence entre femmes et hommes ?

Dans la dernière livraison de sa revue (Revue de l’OFCE, VARIA, n°160-2018), l’OFCE présente une étude de Milan Bouchet-Valat qui soulève deux paradoxes liés à l’augmentation du niveau d’éducation des femmes :

Le premier est que la disparition des différences entre hommes et femmes en termes de célibat et d’hypergamie relative selon la classe sociale s’est réalisée sans que les inégalités de genre en termes de carrières professionnelles ne se soient résorbées. Le marché conjugal semble de ce point de vue nettement en avance sur le marché du travail, …

Le second paradoxe tient à ce que la diminution des inégalités de genre s’est accompagnée d’un renforcement des inégalités de classe du point de vue du célibat. Si vivre en couple était déjà plus fréquent pour les hommes occupant une position sociale élevée dans les années 1960, c’est bien l’inverse qui était vrai chez les femmes. Or, l’augmentation du taux de célibat a frappé d’abord les femmes et les hommes les moins socialement favorisés, mettant fin à ce qu’on peut considérer comme une anomalie dans le système des inégalités sociales. Désormais, les individus des deux sexes disposant de moins de ressources culturelles et économiques sont aussi ceux qui mettent le moins en commun ces ressources au sein d’un couple.

Vous pouvez accéder à l’intégralité de l’article de Milan Bouchet-Valat en cliquant ici.




Pourquoi rendre le congé de paternité obligatoire ?

par Hélène Périvier

Le gouvernement engage une réflexion sur une réforme du congé de paternité. Un rapport vient d’être demandé à l’Inspection générale des affaires sociales. Aujourd’hui, les pères salariés[1] ont droit à 11 jours calendaires consécutifs au titre du congé de paternité. Indemnisé par la Sécurité sociale dans les mêmes conditions que celles du congé de maternité, le congé de paternité est optionnel. Un allongement de la durée de ce congé est envisagé alors que l’idée de le rendre obligatoire semble être écartée, au vu des déclarations de Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de Muriel Pénicaud, Ministre du Travail.

Un levier pour l’égalité professionnelle

Le Policy brief OFCE n°11, publié en janvier 2017, expose les raisons pour lesquelles une réforme du congé de paternité constitue un levier pour réduire les inégalités professionnelles. En matière de partage des congés parentaux, la France est en retard par rapport à d’autres pays européens, et pas seulement les pays nordiques qui ont depuis longtemps mis en place des politiques de congés parentaux obligeant à un partage de ce temps consacré aux enfants. Le Portugal a également innové en la matière : les pères ont droit à un mois de congé de paternité, indemnisé à 100% du salaire, dont deux semaines obligatoires[2].

Obligation et protection des travailleurs

La Ministre du Travail a déclaré le 31 janvier 2018: « Je ne suis pas sûre que l’on change les mœurs d’une société avec une obligation » du recours au congé de paternité. Rappelons que sur les 16 semaines de congé maternité (pour un enfant de rang 1 ou 2), 8 semaines sont obligatoires, dont 6 après la naissance. Cette obligation a été introduite pour protéger les femmes d’une pression que leur employeur pourrait exercer sur elles pour qu’elles ne prennent pas ce congé auquel elles ont droit. Le caractère obligatoire du congé relève donc de la protection des travailleuses[3]. Pourquoi ne pas protéger les pères de la même façon ? Les hommes qui souhaitent consacrer plus de temps à leurs enfants dans le cadre de ce congé peuvent être stigmatisés par leurs collègues ou leurs supérieurs hiérarchiques. L’obligation coupe court à toute négociation. Elle constitue une garantie du respect du droit des travailleurs à prendre le congé de paternité, tout comme l’obligation de congés annuels ou de repos hebdomadaires[4] que personne ne conteste aujourd’hui. Notre histoire sociale montre au contraire que l’obligation est un moyen puissant de changer la norme sociale ; alors pourquoi ne pourrait-elle pas faire bouger les lignes des normes de genre ?

Libre choix individuel et choix de société

Le caractère obligatoire du congé est contesté au nom du libre choix des pères et des couples de s’organiser comme ils l’entendent. La liberté de chacun et de chacune en matière d’organisation familiale est incontestable, mais le caractère sexué de cette organisation au niveau global en fait un problème social et collectif (voir le Policy Brief n°11). Autrement dit, ce qui pose problème, ce n’est pas que des femmes ajustent leur carrière pour consacrer du temps à leurs enfants, c’est que ce soit majoritairement des femmes qui agissent ainsi. De fait, toutes les femmes se trouvent pénalisées par le caractère sexué de la division du travail dans les couples, y compris celles qui optent avec leur conjoint pour une organisation égalitaire. Il s’agit donc d’une externalité négative qu’il convient de corriger.

Indemnisation et perte de revenu

Si le congé de paternité devient obligatoire, alors certains pères verront leurs revenus diminuer pendant la durée du congé. C’est le cas des hommes dont le salaire est supérieur au plafond d’indemnisation de la Sécurité sociale[5] et qui travaillent dans des entreprises ne disposant pas d’une convention collective favorable, qui comporterait une couverture complète par l’employeur. C’est également le cas pour les femmes dans des situations similaires, et pour elles la perte de revenu est plus importante car la durée du congé est plus longue. Revoir l’indemnisation pour qu’elle soit plus généreuse pour les femmes comme pour les hommes est une meilleure réponse à ce problème que de renoncer à l’obligation du recours au congé pour les pères.

Coût de la réforme et financement

Reste la question du coût d’une telle réforme : c’est un point important mais cela ne doit pas couper court à toute discussion. Un congé de paternité allongé à 22 jours et obligatoire impliquerait un surcoût de l’ordre de 500 millions (Policy brief OFCE n°11)[6]. Il doit être pensé à l’aune d’une refonte de l’ensemble des congés et de l’imposition des couples, notamment d’une réforme du quotient conjugal (Allègre et Périvier). Par exemple, un plafonnement du quotient conjugal à 2 500 euros (donc au-dessus du plafond du quotient familial, qui est de 1 500 euros) représenterait un gain pour les finances publiques de 1,35 milliard, ce qui procurait des marges de manœuvre pour ouvrir une réforme des congés et de l’accueil des jeunes enfants. C’est donc l’ensemble des politiques sociales et fiscales qu’il faudrait remettre à plat pour donner plus d’espace aux pères dans la famille et aux femmes dans la sphère professionnelle.

Une réforme du congé de paternité ne saurait suffire à résorber les inégalités persistantes, mais c’est une piste de changement qui permet d’ouvrir un débat sur la place respective des femmes et des hommes dans notre société.

 

 

[1] Pour les travailleurs indépendants, la question dépasse le cas du congé de paternité, c’est l’ensemble du régime de sécurité sociale des indépendants qui est en cause.

[2] Wall Karin, Leitão Mafalda. « Le congé paternel au Portugal : une diversité d’expériences », Revue des politiques sociales et familiales, n° 122, 2016. Exercice de la paternité et congé parental en Europe. pp. 33-50.

[3] Isabel Odul-Asorey, « Congé maternité, droit des femmes ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 3 /2013,

[4] La date des congés ou le jour de liberté dans la semaine (dimanche ou pas) est le seul sujet de débat, pas l’obligation faite aux entreprises d’accorder un congé à l’ensemble des salarié.e.s.

[5] Le salaire pris en compte ne peut pas dépasser le plafond mensuel de la Sécurité sociale en vigueur lors du dernier jour du mois qui précède l’arrêt, soit 3 311,00 € brut par mois en 2018.

[6] Les indemnités de congés maternité et paternité sont plafonnées. Selon les accords d’entreprises et les conventions collectives, les employeurs peuvent les compléter pour assurer une indemnisation de 100 % à leurs salarié-e-s. Aucune donnée consolidée ne permet d’en évaluer le montant (HCF, 2009). Les coûts présentés ici ne tiennent pas compte du coût que ces réformes entraîneraient pour les employeurs.




Les pères séparés supportent-ils un sacrifice de niveau de vie plus important que leur ex-conjointe ?

Hélène Périvier OFCE-PRESAGE

L’étude récente publiée par France Stratégie portant sur le partage des charges liées aux enfants après une séparation fait grand bruit (voir notamment Osez le féminisme, Abandon de famille, mais aussi SOS papa…). Ce travail analyse l’évolution du niveau de vie des deux ex-conjoints en tenant compte de l’interaction entre le barème indicatif de pensions alimentaires et le système fiscalo-social. Cette perspective est stimulante car il s’agit de voir si la redistribution opérée par l’Etat social intègre de façon juste et équitable les coûts de l’enfant supportés par chaque ex-conjoint.

On y lit qu’après une séparation, les niveaux de vie des deux ex-conjoints diminuent fortement. De plus, les simulations de cas-types réalisées « indiquent que l’application du barème [ barème indicatif  de référence fourni aux juges] aboutit en l’état actuel de la législation socio-fiscale à ce que la charge des enfants entraîne un sacrifice de niveau de vie sensiblement plus important pour le parent nongardien que pour le parent gardien ». Autrement dit, les pères séparés consentiraient à un  sacrifice de niveau de vie plus important que les mères, si le juge appliquait à la lettre le barème indicatif. Selon, le ministère de la Justice ce barème n’est pas appliqué par les juges, tant les situations sont à chaque fois spécifiques. Cette étude porte donc sur ce que serait le niveau de vie des parents séparés si le barème était appliqué, et non pas sur le niveau de vie effectif. Or, le tableau des résultats présenté dans la note en première page est titré  « Estimation de la perte de niveau de vie supportée par les parents de deux enfants (en pourcentage par rapport à une situation sans enfant, calcul net des aides publiques)». Qui lira vite, pensera qu’il s’agit de la situation réelle des parents séparés.

Bien que portant sur le barème de pensions alimentaires et non sur les décisions des juges elles-mêmes, cette étude soulève une question pertinente. Mais les résultats sont fragilisés par d’importants problèmes méthodologiques : la notion de sacrifice de niveau de vie ne tient pas compte de la division sexuée du travail et de son impact sur la carrière des mères ; les cas-types mis en avant ne sont pas nécessairement représentatifs (notamment en ce qui concerne le statut marital avant la séparation) ; l’utilisation faite des échelles d’équivalence[1] conduit à assimiler « niveau de moyen du ménage » et « niveau de vie individuel », enfin une approche par le maintien du niveau de vie de l’enfant aurait conduit à un tout autre résultat.  De fait, proposer le modèle de micro-simulation comme outil d’aide à la décision des juges semble quelque peu prématuré aux regards de ces critiques.

De la notion de « sacrifice de niveau de vie » 

Dans tous les cas simulés, les parents séparés perdent en niveau de vie relativement à la situation en couple (à revenu inchangé). Ce résultat est conforme à ceux de travaux récents, comme par exemple Martin et Périvier, 2015, Bonnet, Garbinti, Solaz, 2015, ou le rapport du HCF. La séparation est coûteuse pour les deux parents du fait de la perte d’économies d’échelle (par exemple il faut deux logements au lieu d’un seul, …). Au-delà de la baisse de niveau de vie de chaque parent, les auteurs calculent le « sacrifice de niveau de vie » que subissent les parents avant et après la séparation.

Le « sacrifice  de niveau de vie » est censé être calculé en rapportant le coût de l’enfant au revenu disponible dont aurait disposé le parent s’il n’avait pas eu d’enfant. Or, le sacrifice de niveau de vie consenti par la mère ayant la garde de l’enfant (respectivement le père) est en fait calculé en rapportant le coût de l’enfant au niveau de vie d’une femme célibataire sans enfant ayant le même niveau de salaire que la mère séparée (idem pour le père).

Cette méthode ne permet pas d’estimer le « sacrifice de niveau de vie » car la mise en couple et la formation de la famille s’accompagne d’une division sexuée du travail largement documentée dans la littérature, et qui implique que cette femme séparée aurait eu un niveau de salaire, et plus globalement une carrière, différents si elle était restée célibataire sans enfant. Si une femme cadre supérieure vivant en couple s’arrête de travailler pour s’occuper des enfants et que le couple se sépare, la notion de « sacrifice de niveau de vie » impliquerait un gain important en niveau de vie pour cette femme, puisque le coût de l’enfant serait rapporté au RSA, alors qu’elle aurait perçu un salaire élevé si elle n’avait pas eu d’enfant, car elle aurait continué à travailler.

Autrement dit, le bon contrefactuel, c’est-à-dire la situation à laquelle on doit comparer le niveau du parent séparé pour évaluer le sacrifice de niveau de vie qu’elle (ou il) subit, devrait être le revenu qu’aurait eu la femme (ou l’homme) séparée (en tenant compte de ses caractéristiques personnelles) si elle (ou il) n’avait pas été en couple et si elle (il) n’avait pas eu d’enfant. Ce faisant, les calculs auraient conduit à un sacrifice de Madame nettement plus important que celui calculé dans l’étude. On voit ici la nécessité d’une approche économique qui intègre les comportements des agents par rapport à une approche comptable.

Des cas-types atypiques ?

En mobilisant le modèle de micro simulation Openfisca, les auteurs simulent différentes situations et évaluent la perte de niveau de vie de chaque ex- conjoint après la séparation.

Les cas-types permettent de comprendre les interactions complexes entre le système fiscal et social et, pour le sujet abordé ici, le barème indicatif de pensions alimentaires. La critique généralement faite aux études sur cas-type est qu’elles ne donnent pas la représentativité des situations simulées : de fait pour éviter de se focaliser sur des cas marginaux, on ajoute des données relatives à la fréquence des situations choisies comme étant « typiques ». S’agissant de la répartition des revenus, dans les trois quarts des cas les femmes gagnent moins que leur conjoint (Insee). Il conviendrait de regarder la répartition des revenus entre conjoints avant la rupture et de voir quels sont les cas les plus courants et d’affiner en ne retenant que les cas pour lesquels le juge fixe une pension,  soit dans seulement 2 cas sur 3 (Belmokhtar, 2014).

De même, faire un focus sur le cas d’un couple ayant deux enfants à charge n’est pas sans conséquence[2],  dans la mesure où avec un seul enfant à charge le montant des prestations familiales baisse, de fait les revenus sociaux perçus par la mère seraient plus faibles (notamment les allocations familiales ne sont pas versées pour un enfant mais à partir de deux enfants) et son niveau de vie également. Les statistiques fournies par le ministère de la Justice indiquent que le nombre moyen d’enfants est de 1,7 dans le cas de divorces et 1,4 dans les cas d’union libre (Belmokhtar, 2014).

Enfin, rien n’est dit explicitement sur la situation maritale d’avant la séparation : mariage ou union libre ?

– Soit les auteurs considèrent les couples mariés. Dans ce cas, si les salaires des ex-conjoints sont différents (cas n° 4 qualifié d’ « Asymétrie des revenus »), comment la perte du bénéfice du quotient conjugal est-elle répartie ? Après le divorce, le gain fiscal issu de l’imposition jointe est perdu : Monsieur paie alors le montant d’impôt au regard de son salaire et non plus de la moyenne des salaires du couple. Ce surcroît d’impôt pèse sur son niveau de vie et le « sacrifice de niveau de vie » calculé pour le père divorcé serait alors en partie le résultat de la perte du bénéfice du quotient conjugal et non pas du coût issu de la charge d’un enfant séparé.

– Soit les auteurs ne considèrent que les couples en union libre, ce qui semble être le cas au regard du vocabulaire mobilisé « séparation, union, parents séparés etc… », mais alors cela nous ramène la critique concernant la représentativité des cas-types dans la mesure où plus de la moitié des décisions de justice relatives à la résidence des enfants sont liées à des divorces (Carrasco et  Dufour, 2015). Par ailleurs, les pensions fixées par le juge sont d’autant plus éloignées du barème qu’il s’agit d’une séparation et non d’un divorce, ce qui limite la portée de l’étude.

Du bon usage des échelles d’équivalence

Les échelles d’équivalence permettent de comparer les niveaux de vie des ménages de tailles différentes, en appliquant des unités de consommation (uc) pour établir un « équivalent adulte ». Ces échelles reposent sur des hypothèses fortes qui ne permettent pas une utilisation tous azimuts de cet outil :

– les individus appartenant à un même ménage mettent intégralement leurs ressources en commun ;

– les personnes appartenant à un même ménage disposent du même niveau de vie (niveau de vie moyen obtenu en divisant le revenu total du ménage par le nombre d’uc  du ménage). Cette hypothèse découle de la première ; le niveau de vie est assimilé au bien-être.

Les échelles d’équivalence donnent une estimation du surcoût lié à la présence d’une personne supplémentaire dans un ménage. Elles ne disent rien quant à la façon dont les ressources sont effectivement allouées dans le ménage. Ceci tient à l’hypothèse de mise en commun des ressources, hypothèse contestable (voir notamment  Ponthieux, 2012) et qui conduit à attribuer le niveau de vie moyen du ménage à chaque individu. Un couple dispose de 1,5 uc. De fait, un couple A dans lequel Monsieur gagne 3 SMIC et Madame 0 SMIC a le même niveau de vie qu’un couple B dans lequel les deux gagnent 1,5 SMIC. Cette méthode permet de comparer les niveaux de vie moyens de deux ménages, mais pas les niveaux de vie des individus qui les composent. Madame vivant dans le couple B a probablement un niveau de vie individuel supérieur à celui de Madame vivant dans le couple A, du fait de son pouvoir de négociation accru dans un contexte de salaire identique. Ainsi comparer les niveaux de vie moyens du couple avec les niveaux de vie individuels lorsque le couple se sépare est trompeur.

De même, pour évaluer la charge financière que représentent les enfants pour la mère séparée par exemple, les auteurs appliquent le ratio uc lié aux enfants sur le total des uc du ménage, au revenu disponible de la femme (salaire moins les impôts payés, plus les prestations reçues et la pension versée par son ex-conjoint au titre des deux enfants dont elle a la garde). Mais rien ne dit que la mère séparée n’alloue pas davantage de ressources à ses enfants que ce qui est estimé par ce ratio d’uc (en matière de logement, elle peut par exemple dormir dans le salon pour que les enfants aient chacun leur chambre).

Les critiques méthodologiques faites aux échelles d’équivalence en limitent l’utilisation (voir Martin et Périvier, 2015). Elles ne permettent pas de comparer les niveaux de vie des individus, mais seulement le niveau de vie de ménages de taille différente.

Quid du niveau de vie de l’enfant ?

Les travaux consacrés à l’estimation du niveau de vie des parents séparés sont rares. Pour fixer les uc par enfant au regard de la situation maritale de leur parents (en couple ou séparés), les auteurs s’appuient sur une étude australienne qui les conduit à majorer les uc attribuées aux enfants dès lors que les parents sont séparés. Le coût d’un enfant de parents séparés est supérieur à celui d’un enfant vivant avec ses deux parents. Ils optent pour la formule suivante :

– un enfant vivant avec ses deux parents correspond à 0,3 uc ;

– un enfant vivant avec sa mère en garde classique à 0,42 uc et 0,12 pour le père non gardien ; soit 0,54 au total pour les deux ménages.

Ainsi le coût d’un enfant de parent séparé est supérieur de 80 % à celui d’un enfant vivant avec ses deux parents. Il est probable que la plupart des parents séparés font tout leur possible pour que les conditions de vie de leurs enfants restent inchangées après une séparation. Une approche qui viserait au maintien du niveau de vie de l’enfant permet d’en tenir compte. En majorant de 80 % le coût des enfants lorsqu’ils vivent avec leurs deux parents, et en le redistribuant au prorata des uc attribuées pour enfants de parents séparés, le parent gardien a une perte de niveau de vie supérieure à celle du parent non gardien (voir le tableau). Cette méthode est elle aussi contestable car on applique le surcroît d’uc des enfants de parents séparés par rapport aux enfants vivant en couple au coût monétaire calculé dans le cas du couple élevant ses enfants. Mais, le choix de cette approche inverse le résultat.

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Toute analyse statistique repose sur des hypothèses permettant de « qualifier » ce que l’on souhaite « quantifier », c’est inévitable (soit parce qu’on ne dispose pas de l’information, soit par mesure de simplification et pour faciliter l’interprétation). Des hypothèses toujours trop fortes, des résultats toujours trop sensibles, des méthodologies perfectibles sont le lot quotidien des chercheur-e-s.  Apporter des éclairages, poser les bonnes questions, ouvrir des perspectives nouvelles, nourrir et se nourrir de la contradiction, voilà leur apport à la société.

L’étude publiée par France Stratégie a le mérite d’ouvrir un débat sur un sujet complexe qui met au défi notre système socio-fiscal. Mais les réponses qu’elle y apporte ne sont pas convaincantes. Si les auteurs conviennent que « L’intérêt de ce travail de simulation est avant tout illustratif», ils n’en souhaitent pas moins « a minima, proposer aux juges et aux parents un outil permettant de simuler la situation financière des deux ménages issus de la séparation, en intégrant l’impact du système socio-fiscal. » Cela semble prématuré au regard de la fragilité des résultats présentés.

 


[1] Pour comparer le niveau de vie de ménages de tailles différentes, des échelles d’équivalence sont estimées à partir d’enquêtes et selon plusieurs méthodes. Elles permettent de se rapporter à un niveau de vie en « équivalent adulte », ou encore en « unité de consommation » (uc). Dans cette perspective, le niveau de vie d’un ménage dépend de son revenu global, mais aussi de sa taille (nombre et âge de ses membres).

[2] Certes, le graphique 7 du document de travail résume les situations selon le nombre d’enfants, mais dans la note l’accent est mis sur le cas avec deux enfants.




Le partage du congé parental : un impératif d’égalité

par Hélène Périvier

Le projet de loi sur l’égalité entre femmes et hommes, voté par le Sénat le 18 septembre 2013, comprend notamment un volet visant à modifier les modalités d’accès à l’allocation de congé parental[1] en introduisant le Complément libre choix d’activité (CLCA). La dernière Note de l’OFCE (n°34 du 26 septembre 2013) analyse les conséquences de ce projet en termes d’égalité femmes-hommes et propose d’autres pistes pour une plus large réforme.

Le droit à l’allocation de congé parental est un droit familial : il est attribué à l’un des deux parents qui réduit ou cesse son activité professionnelle pour s’occuper de l’enfant, et ce pour une durée de 3 ans maximum. Partant du constat que 98 % des allocataires sont des femmes, l’objectif visé par la loi est d’encourager les pères à y recourir : désormais sur les 36 mois de droit à l’allocation de congé parental, 6 devront être pris par l’autre parent. Autrement dit, au terme de 30 mois de congé parental pris par la mère, le père devra prendre le relais pour les 6 mois restant, au risque pour la famille de perdre ces 6 mois. L’Unaf, hostile à cette réforme, a publié sur son site une enquête sur « les pères et le congé parental ». Il en ressort une opposition, au nom de la complémentarité des sexes, au principe instauré dans la loi visant à promouvoir le partage des tâches familiales entre les mères et les pères. De même la pénurie de modes de garde des jeunes enfants est mise en avant comme un rempart à toute modification du congé parental, au motif qu’elle accentuerait la contrainte organisationnelle qui pèse sur les parents de jeunes enfants. Pourtant, le caractère sexué du congé parental fait de ce dispositif un frein à l’égalité, même si une partie des allocataires déclarent y recourir par choix personnel. Réformer les modalités d’accès au congé parental est donc nécessaire pour avancer du point de vue de l’égalité femmes-hommes. Les modifications proposées dans la loi seront-elles suffisantes pour faire bouger les lignes de la division sexuée du travail ?

Répartir la contrainte sur les mères et les pères

Ne pas réformer le CLCA serait introduire le libre choix de recourir au congé de certaines mères et le libre choix de ne pas y recourir pour l’ensemble des pères, devant la lutte contre les discriminations qui affectent la plupart des femmes. Certes, le congé parental n’est pas à lui seul responsable des inégalités femmes-hommes, mais il en est un moteur et les inégalités professionnelles en retour renforcent son caractère sexué.

Une politique visant l’égalité professionnelle ne peut donc pas faire l’impasse sur une réforme du congé parental. Renverser ce cercle vicieux exige des modifications majeures de ce type de congé. Un congé plus court, reposant sur un droit individuel, non transférable entre conjoints et dont l’indemnisation serait reliée au salaire du bénéficiaire, serait sans aucun doute plus attractif pour les pères et porteur d’égalité (Méda et Périvier, 2007). A défaut d’être immédiatement paritaire, ce dispositif aurait l’énorme avantage de garantir l’autonomie des femmes par rapport à leur conjoint et donc d’intégrer l’émancipation économique comme un principe de l’action publique. Mais le raccourcissement de la durée du congé parental ne peut se faire sans avoir, au préalable, comblé le déficit des modes d’accueil des jeunes enfants, estimé aujourd’hui à 350 000 places[2]. Ce congé renouvelé devrait donc s’insérer dans une refonte du parcours d’accueil des jeunes enfants. Dans le cas contraire, raccourcir le congé parental conduirait à serrer davantage l’étau qui pèse sur les parents et en particulier les mères. Une politique ambitieuse d’accueil de la petite enfance, dans laquelle intégrerait un congé parental court et rémunéré en proportion du salaire, serait favorable à l’égalité. Elle exige une dépense publique importante, environ 5 milliards d’euros par an (Périvier, 2012). Or les arbitrages pris par le gouvernement en matière d’ajustements budgétaires vont dans le sens d’une réduction des dépenses publiques.

De fait, par manque de moyens, la réforme proposée dans la loi est modeste et ne va pas permettre de rééquilibrer le partage des tâches familiales entre femmes et hommes. Mais elle a le mérite de mettre en exergue les contradictions qui traversent notre société en matière d’égalité : sans une contrainte de partage du congé parental, ce dernier restera une affaire de femme. L’introduction d’une durée de congé parental affectée au père ne va pas directement accroître la contrainte liée à la pénurie des modes d’accueil : le droit à l’allocation de congé parental reste de 36 mois pour la famille. Elle va simplement en répartir la charge entre les mères et les pères. L’arbitrage auquel les pères vont devoir faire face est celui auquel les mères sont confrontées depuis longtemps. Étant donné le caractère forfaitaire et faible du montant de l’indemnisation, il est probable que peu de pères soient tentés par ce congé. Néanmoins si les orientations en matière budgétaire ferment la porte à toute réforme ambitieuse de l’accueil de la petite enfance, les femmes ne peuvent pas être les seules à en assumer les conséquences.

Réformer le congé parental est donc un impératif d’égalité.


[1] Il convient de distinguer l’allocation de congé parental en tant que telle, du congé parental du point de vue du droit du travail (c. trav. art.L. 122-28-1), qui garantit, sous certaines conditions, à une personne qui travaille de retrouver son emploi au terme d’un congé parental d’une durée d’un an renouvelable 3 fois. La première est versée par la CAF dans le cadre plus général de la politique familiale, sous certaines conditions (rang de l’enfant, activité passée, …). Les conditions d’accès en termes d’activité passées sont plus souples pour l’éligibilité à l’allocation qu’au congé parental stricto sensu. De fait, seulement 60% des allocataires du CLCA bénéficient d’une garantie de retour à l’emploi (Legendre et Vanovermeir, 2011).

[2] Voir notamment, Rapport Tabarot, Périvier 2012.




Retraites 2013 : une (petite) réforme…

par Henri Sterdyniak

Les mesures annoncées par le gouvernement le 27 août ne constituent pas une grande réforme  des retraites. Comme le montre la Note de l’OFCE (n°31 du 4 septembre 2013), ce sont essentiellement des mesures de financement d’ampleur limitée. Les retraités sont plus frappés que les actifs. Les entreprises ont obtenu la promesse de ne pas être mises à contribution.  L’équilibre financier n’est pas vraiment assuré, étant conditionné à une forte reprise économique (à horizon 2020), à une croissance soutenue et à une nette baisse du niveau relatif des retraites d’ici 2040. Les mesures de justice en faveur des femmes et des travailleurs soumis à des travaux pénibles  sont annoncées, mais leur mise en place est reportée ; elles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. Le pire est certes évité (la désindexation des retraites, un recul rapide de l’âge ouvrant le droit à la retraite, une réforme dite structurelle) ; la pérennité du système est proclamée, mais la (petite) réforme de 2013 ne se donne guère les moyens d’assurer sa fiabilité économique et sociale.




La crise au Royaume-Uni : les femmes sont-elles moins touchées que les hommes ?

par Hélène Périvier

Dans la plupart des pays d’Europe, la crise a affecté davantage l’emploi des hommes que celui des femmes. Le Royaume-Uni n’échappe pas cette règle : au sein de la population des 15 ans et plus, entre 2008 et  2011, l’emploi des hommes y a baissé de 1,6 %, contre seulement 0,3 % pour celui des femmes. On pourrait donc conclure que les femmes ont été préservées par rapport aux hommes par la tempête qui secoue le marché du travail au Royaume-Uni, et plus généralement en Europe. Dans l’absolu c’est incontestable mais en relatif rien n’est moins sûr… 

L’impact sexué de la crise sur l’emploi tient pour beaucoup  à la segmentation du marché du travail : les femmes et les hommes n’évoluent pas dans les mêmes secteurs d’activité ; les secteurs dans lesquels les femmes sont sur-représentées ont été moins touchés par la crise du fait de la nature de ces emplois. Au Royaume-Uni, les femmes occupent 78 % des emplois dans le secteur « Santé humaine et action sociale » ou encore 72 % dans le secteur de l’ « éducation ». Ces secteurs reposent pour beaucoup sur l’emploi public ou parapublic et sont moins exposés aux affres de la conjoncture économique : entre 2008 et 2011 l’emploi dans le secteur « santé et social » a augmenté de presque 8 % et plus de 12 % dans celui de l’éducation. Inversement, les femmes ne représentent que 11 % des travailleurs dans le BTP ou encore 14 % dans l’industrie, secteurs qui ont subi le choc sur l’emploi le plus important (respectivement –19,6 % et -17,3 % sur la même période). Ainsi, les femmes semblent avoir été protégées des effets de la crise sur l’emploi du fait de leur sur-représentation dans des secteurs dans lesquels l’emploi est moins réactif à la conjoncture. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles ne paraissent, car cette explication ne tient que si la part des femmes dans chaque secteur était restée la même durant le choc. Or il n’en est rien.

Une  décomposition statistique de la variation de l’emploi permet de distinguer ce qui dans la variation de l’emploi est dû à la variation de l’emploi total de ce qui est dû la variation de la part des femmes dans chaque secteur. Il ressort du graphique 1 que si la part des femmes dans chaque secteur était restée constante entre 2008 et 2011, alors l’emploi des femmes n’aurait pas baissé de 0,3 % sur la période mais au contraire il aurait augmenté de 2,5 % : la baisse, même faible, de l’emploi des femmes sur la période est due à une modification de leur part dans certains secteurs.

Si on regarde de plus près les secteurs qui pèsent dans le volume d’emploi global, on constate que dans le BTP ou l’industrie, les femmes ont été plus affectées par les réductions d’emploi qu’elles auraient dû l’être étant donné leur sous-représentation dans ces secteurs en 2008. L’effondrement de l’emploi dans le BTP et l’industrie a disproportionnellement touché les femmes. Les secteurs où les femmes sont très présentes ont bénéficié au contraire de fortes créations d’emplois de 2008 à 2011 :  +370 000 emplois dans l’éducation et presque +305 000 dans la santé et l’action sociale. Mais ces créations d’emploi n’ont pas autant bénéficié aux femmes qu’elles auraient dû étant donné leur part dans ce type d’activité en 2008. Le graphique 2 montre que dans l’éducation, le nombre d’emplois occupés par des femmes aurait dû augmenter de 271 000 si leur part dans l’éducation était restée la même, mais le nombre d’emplois supplémentaires entre 2008 et 2011 pourvus par des femmes n’a été que de 231 700.

Finalement dans les secteurs où le choc a été violent, les femmes ont été sur-affectées par les destructions d’emplois et dans les secteurs où l’emploi est resté dynamique elles en ont moins bénéficié que ce qu’elles auraient dû. In fine, dans l’absolu l’emploi des femmes a moins souffert que celui des hommes, mais en relatif elles ont davantage été affectées. La segmentation du marché du travail qui pèse sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes n’a pas été un bouclier efficace pour l’emploi des femmes dans la crise.