L’école maternelle à la dérive

Par Hélène Périvier

En 2000 plus de 35% des enfants de 2 ans étaient scolarisés, à la rentrée 2011 seuls 11% l’étaient, un niveau proche de celui que la France connaissait dans les années 1960 (graphique). L’Etat n’ayant pas l’obligation légale de scolariser les enfants avant 6 ans[1], les contraintes budgétaires que connaît l’Education nationale pèsent davantage sur l’école préélémentaire : l’école maternelle est le parent pauvre de l’Education nationale. Ce constat soulève trois questions :

(1)   La première concerne le principe d’égalité d’accès à l’éducation. En effet, l’âge auquel les enfants entrent dans le système scolaire dépend davantage de leur lieu d’habitation et de leur mois de naissance que de leur développement cognitif ou encore du désir de leurs parents de les scolariser[2]. C’est donc une question de justice qui se pose ici.

(2)   La deuxième concerne les finances publiques et la transparence dans l’attribution des compétences dévolues à l’Etat, aux collectivités locales et à la branche famille de la Sécurité sociale. L’école maternelle relève de la responsabilité du ministère de l’Education nationale et pour partie des collectivités locales (accueil périscolaire et cantine) ; la garde des jeunes enfants est, quant à elle, pilotée par le ministère de la Famille via la branche famille de la Sécurité sociale (précisément la Caisse nationale des allocations familiales). Cette césure institutionnelle soulève un problème de gouvernance de l’accueil des jeunes enfants. En effet, la perte de vitesse de la scolarisation des moins de 3 ans accroît la pénurie de places d’accueil des jeunes enfants. Ainsi, malgré les efforts d’investissements réalisés par la branche famille et par les collectivités locales pour créer de nouvelles places d’accueil collectif, en 15 ans la capacité d’accueil dans des établissements d’accueil collectif du jeune enfant, (EAJE, du type crèche, halte-garderie, …) des moins de 3 ans  a diminué de 30 000 places. Le développement de l’accueil individuel, issu de la mobilisation du réseau d’assistantes maternelles, a permis une augmentation nette du nombre de places totales (voir note longue sur le sujet) mais dans des conditions très différentes de celles d’un accueil collectif. Ainsi, la moindre scolarisation des enfants de 2 ans modifie les types de financement du secteur de la petite enfance. Les modes de garde collectifs ou individuels sont financés par la CNAF (66% hors participation des familles), 22% par les communes, 12% par l’Etat, alors que l’école maternelle est financée par l’Etat (54%) et les communes (46%). En se dégageant de l’école maternelle, l’Etat fait porter sur les autres acteurs, essentiellement la CNAF, le poids de la prise en charge des enfants de moins de 3 ans.

(3)    Enfin, outre les problèmes liés à la gouvernance du secteur de la petite enfance, on constate la baisse de la scolarisation des enfants de deux ans. Cette dérive soulève une question de redistribution entre différents type de ménages. Les dépenses de l’Etat et des collectivités locales sont financées par l’ensemble des ménages, avec ou sans enfant, à travers l’impôt. En revanche, l’accueil des jeunes enfants est financé essentiellement par la CNAF, donc par les cotisations assises sur le travail. Enfin la participation financière directe des parents diffère entre école maternelle et accueil du jeune enfant : certes l’école maternelle n’est pas « gratuite » puisque les parents paient les frais de cantine et l’accueil périscolaire, mais cette participation est plus faible en moyenne que celle qu’ils paient pour l’accueil de leur enfant (les familles paient environ 20% du coût total d’une place en EAJE, et seulement 7% pour l’accueil à école et dans le système périscolaire)[3]. La réduction de la scolarisation des enfants de 2 ans a donc des conséquences redistributives entre les ménages qui mériteraient plus de transparence.

Construire un véritable service public de la petite enfance exige de repenser le lien entre l’école préélémentaire et l’accueil des plus jeunes enfants. L’école maternelle fait partie des atouts du système français de prise en charge des jeunes enfants et du système éducatif. Un objectif pourrait être de retrouver le niveau de scolarisation des moins de 3 ans que la France connaissait en 2000, ce qui impliquerait d’accueillir 182 000 enfants supplémentaire à l’école, à démographie inchangée. Associée à la création de 218 000 places d’accueil collectif supplémentaires, cette orientation permettrait de résorber la pénurie de places d’accueil des moins de 3 ans estimée à environ 400 000  places. Répartie sur 10 ans, l’effort reposerait sur une dépense annuelle de 940 millions d’euros dont 30% consacrés à la scolarisation. Finalement l’ouverture progressive de ces places conduirait à une dépense annuelle de fonctionnement de 475 millions d’euros qui monterait en charge progressivement pour atteindre 4,75 milliards d’euros par an au bout de 10 ans.

Ce choix permettrait de rationaliser la dépense publique en proposant des parcours explicites de prise en charge des jeunes enfants et de clarifier les compétences des différents acteurs dans ce secteur. Il exige la création de postes d’enseignants et d’assistants, il permet de dynamiser et de sécuriser les parcours professionnels des mères (et non des pères, qui le plus souvent n’adaptent pas leur parcours professionnel lors de l’arrivée d’un enfant), encore trop souvent contraintes d’interrompre leur carrière faute de ne pouvoir trouver un accueil de qualité pour leurs enfants. Un service public de la petite enfance est porteur d’égalité et de justice mais aussi de dynamisme économique.


[1] « Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande », Article L 113-1 du Code de l’Education. Cet article a été modifié par la loi no 2005-380 du 23 avril 2005 : l’accueil des enfants de 2 ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, quelle que soit la zone géographique (Observatoire de la petite enfance, 2010).

[2] Les règles appliquées en matière de scolarisation évoluent en fonction de la capacité d’accueil des écoles, et varient sensiblement sur le territoire. Le taux de scolarisation à 2 ans varie de 4% dans le Haut-Rhin à 66% dans le Morbihan (Blanpain, 2006). Dans certaines zones, les enfants nés en début d’année ne sont scolarisés qu’à l’âge de 3 ans et demi alors que les enfants nés en fin d’année civile sont scolarisés avant l’âge de 3 ans.

[3] Selon l’Observatoire national de la petite enfance, les familles paient environ 388 euros sur un coût total de 5 374 euros pour un enfant scolarisé. Selon le HCF, les familles paient environ 1,65 euros par heure sur un coût total de 7,76 euros/heure pour un enfant accueilli en EAJE.




La compétitivité aux dépens de l’égalité ?

par Hélène Périvier

La durée du travail a fait son entrée dans la campagne présidentielle et l’idée que l’on travaille moins en France qu’ailleurs fait son chemin. C’est l’objet d’un rapport publié par COE-Rexecode. Malheureusement ce rapport ne fait pas état de la division sexuée du travail.

Or les politiques de l’emploi mises en œuvre par les gouvernements européens ne sont pas neutres d’un point de vue sexué. Ne pas tenir compte de cette perspective donne une vision tronquée de la réalité du partage du travail dans nos économies : l’approche intégrée de l’égalité (ou gender mainstreaming) qui exige de penser les effets différenciés des politiques publiques sur les femmes et sur les hommes est loin d’être un automatisme.

La contre-analyse du rapport Coe-Rexecode proposée par Eric Heyer et Mathieu Plane met l’accent sur l’importance de ne pas raisonner uniquement sur les travailleurs à temps plein dès lors que l’on cherche à comparer les durées de travail et leur impact sur les dynamiques du marché du travail des grands pays européens. En effet, les travailleurs à temps partiel représentent 26% de l’ensemble des salariés en Allemagne contre 18% en France, il est donc trompeur de les exclure de l’analyse.

On sait combien la répartition des emplois à temps plein et à temps partiel est sexuée : partout en Europe, les femmes travaillent davantage à temps partiel que les hommes : alors qu’en France le taux de temps partiel des femmes salariées est de l’ordre de 30%, il s’élève à 45% en Allemagne ; dans les deux pays, le taux de temps partiel des hommes est inférieur à 10%. Le caractère sexué du temps partiel est facteur d’inégalités : rappelons par exemple qu’en France le temps de travail explique près de la moitié des écarts de salaire entre les hommes et les femmes (voir notamment Ponthieux, Meurs). La question du temps de travail est donc centrale dès lors que l’on cherche à promouvoir l’égalité professionnelle.

Selon la note méthodologique du rapport Coe-Rexecode : « Les données annuelles communiquées par Eurostat et publiées par Coe-Rexecode dans l’étude La durée effective du travail en France et en Europe sont les seules données de durée annuelle effective moyenne du travail comparables entre pays européens. ». Il est dommage que dans sa commande à Eurostat, Rexecode n’ait pas jugé bon de demander une ventilation sexuée de ces données ; ce qui aurait permis, à moindre coût, de connaître les évolutions de la durée du travail selon le sexe dans les deux pays. Malgré cet acte manqué, que peut-on dire sur l’évolution de la durée du travail dans une perspective sexuée dans ces deux pays durant la dernière décennie, en se fondant sur les données à notre disposition ? Comment ont été répartis les ajustements du marché du travail entre les femmes et les hommes ?

L’évolution sur la période étudiée est instructive du point de vue des orientations des politiques de l’emploi qui ont été menées dans les deux pays. Au début des années 2000, l’instauration des 35 heures en France a mis fin aux allègements de charges qui rendaient les embauches à temps partiel avantageuses et qui avaient été le moteur de la montée en charge de l’emploi à temps partiel des Françaises, sans affecter fortement les conditions d’emploi des hommes. Depuis, on constate une stabilité du taux de temps partiel pour les femmes comme pour les hommes (graphiques). En Allemagne, l’application de la loi Hartz II (entrée en vigueur en avril 2003) a introduit des « minijobs »[1] qui ont encouragé les créations d’emplois précaires à temps partiel. Cette évolution a concerné aussi bien les hommes et les femmes ; mais alors que le taux de temps partiel des Allemands a augmenté de 4,3 points, celui des Allemandes a augmenté de 8,2 points (graphiques). Les Allemandes ont donc été nettement plus affectées par l’emploi à temps partiel que les Allemands mais aussi que les Françaises. A cela s’ajoute le fait que la durée moyenne du temps de travail du temps partiel est plus faible d’un peu plus de 4 heures en Allemagne qu’en France (selon les données d’Eurostat).

Certes les Françaises ont été davantage touchées par la croissance du temps partiel que les Français, mais cette croissance a été limitée puisque les créations d’emplois à temps partiel entre 1999 et 2010 n’ont contribué qu’à hauteur de 21 % aux créations totales d’emplois. A contrario, en Allemagne, le temps partiel a été le moteur de l’emploi sur la période, et les Allemandes ont été les principales concernées par la réduction individuelle du temps de travail : elles représentent 70% du bataillon d’emplois à temps partiel créés durant la période. Ainsi, non seulement la France a créé plus d’emplois que l’Allemagne entre 1999 et 2010, mais le choix d’une réduction collective plutôt qu’individuelle du temps de travail a conduit à une répartition de l’emploi plus équilibrée entre hommes et femmes.

Source : Eurostat [lfsa_eppga]


[1] Emplois exonérés de cotisations sociales en dessous de 400 euros de salaire




Des contrats courts pour les allocataires du RSA

par Hélène Périvier

Faut-il instaurer une obligation de travail minimum pour les allocataires du RSA ? Ce travail doit-il être non rémunéré comme le suggérait Laurent Wauquiez en mai 2011, ou rémunéré comme le propose la « mission présidentielle sur l’amélioration du RSA et le renforcement de son volet insertion » présentée par Marc-Philippe Daubresse le 14 septembre 2011 ? La note qui suit ainsi qu’une note plus longue visent à éclairer le débat.

Ce dernier propose un nouveau type de contrat aidé : un contrat d’insertion de 7 heures par semaine ciblé sur les allocataires du RSA sans emploi. Ceux-ci se verraient dans l’obligation de l’accepter sous peine de voir leur droit à l’allocation suspendu, comme le prévoit la loi. Contrairement à la proposition de Laurent Wauquiez, il s’agit bien d’un contrat conforme au droit du travail, rémunéré au SMIC, assorti d’un temps de travail très court : « un travail d’utilité sociale ». Ces travailleurs percevront le RSA-activité qui complètera de façon pérenne leur salaire. Que dire de ce nouveau dispositif ?

L’ancien contrat d’avenir proposait des emplois subventionnés de 20 heures par semaine aux allocataires de minima sociaux. Mais le rapport précise à propos de ces contrats aidés qu’ils ne sont pas « accessibles d’emblée pour certains bénéficiaires du RSA, des étapes préalables pouvant être nécessaires. » Le pari est pris qu’en abaissant le niveau de la première marche de « l’escalier » qui mène à l’emploi stable à temps plein, c’est-à-dire en divisant par 3 la durée hebdomadaire de travail, on facilitera  l’accès aux autres formes d’emploi. Or, la marche suivante correspond aux emplois aidés traditionnels, dont on sait déjà qu’ils ne permettent pas de sortir de la précarité. La durée du nouveau contrat est au minimum de six mois et ne peut excéder deux ans. Ainsi en deux ans maximum et en travaillant 1 journée par semaine, le dispositif doit remettre le pied à l’étrier des allocataires du RSA jusque-là sans emploi. On peut s’interroger sur l’efficacité de ces propositions qui cherchent à adosser la solidarité nationale sur la valeur travail au moment même où le taux de chômage est de plus de 9 %, et où le chômage de longue durée ne cesse d’augmenter sous l’effet de la crise économique.  Il ne faut donc pas trop attendre un résultat miracle de ce côté-là.

Le rapport propose la création de 10 000 contrats de ce type dans la phase expérimentale, et 150 000 par la suite. Ce sont autant de personnes en moins qui pouvaient potentiellement venir grossir les chiffres du chômage. Mais 150 000 emplois à 1 journée de travail par semaine ne représentent que 30 000 emplois à temps plein. Le coût total (aide à l’employeur et RSA-activité compris) pour l’Etat s’élèverait, d’après le rapport, à 420 millions d’euros, auxquels il convient d’ajouter la participation des départements de 294 millions d’euros pas an, soit au total 714 millions d’euros pour une réduction non négligeable des chiffres du chômage. Ce calcul ne tient pas compte du coût de l’accompagnement spécifique qu’il conviendrait d’adosser à ces emplois pour permettre aux bénéficiaires de gravir les marches du fameux escalier, le rapport affirme d’ailleurs que « l’activité est mobilisatrice et que, bien accompagnée, elle est le premier pas dans un parcours d’insertion, qui peut être long mais l’essentiel est qu’il soit engagé ».

En créant 150 000 « petits boulots » de 7 heures par semaine, on fait d’une pierre deux coups : on contient les statistiques du chômage et on remet la logique de la contrepartie au cœur de l’aide sociale.