“Prêt à taux zéro” : ne prête-t-on qu’aux riches ?

par Pierre Madec

Le 1er janvier 2013 est entrée en vigueur une nouvelle version du prêt à taux zéro (PTZ). Cette dernière, plus restrictive que les précédentes, abaisse les plafonds d’éligibilité et renforce son ciblage sur les logements neufs (et l’ancien HLM). Nous revenons ici sur les possibles conséquences de cette mesure.

Compte tenu des fortes tensions présentes sur le marché locatif (Le Bayon, Madec et Rifflart, 2013), l’objectif de faciliter l’accès à la propriété des primo-accédants avec peu d’apport est louable. Pour autant certaines questions méritent d’être posées : les ménages les plus modestes en sont-ils les premiers bénéficiaires ? Le PTZ déclenche-t-il l’achat de la première résidence principale (effet incitatif) ou ne fait-il que l’accompagner (effet d’aubaine) ? La mise en place du PTZ et sa pérennisation ont-ils permis de développer significativement l’offre sur le marché immobilier neuf ? Le coût budgétaire qu’engendre une telle mesure est-il efficace au vu de l’ensemble des résultats ?

Mis en place en 1995 pour faciliter l’accès à la propriété des ménages les plus modestes, le prêt à taux zéro a, depuis lors, évolué au gré des contraintes budgétaires et des décisions politiques. En 2005, le dispositif, jusque-là réservé à l’achat d’un logement neuf (ou d’un logement ancien sujet à des travaux importants), a été étendu à l’acquisition de logements anciens sans condition de travaux, afin notamment d’accroître l’accession à la propriété dans les zones en pénurie de foncier (Paris notamment). Cette décision a permis de doubler le nombre de PTZ accordés en 2005. De même, en 2011, la suppression des plafonds d’éligibilité a permis au dispositif de battre un record avec près de 352 000 PTZ accordés. Sur fond de crise budgétaire et immobilière, la réapparition, en 2012, des plafonds de ressources et la disparition des logements anciens (hors HLM) de la liste d’éligibilité du dispositif ont ramené le nombre de PTZ à un niveau historiquement faible (64 000).

Sur le papier, le principe de cette « avance remboursable ne portant pas intérêt » est simple : en contrepartie de l’accord d’un prêt à taux d’intérêt nul, les banques bénéficient d’un crédit d’impôt du montant des intérêts non perçus. Ce prêt, limité à une certaine quotité de financement[1], doit obligatoirement être adossé à un prêt principal et peut alors être assimilé à un apport personnel lors de l’acquisition de la résidence principale et donc lors de l’octroi du prêt principal.

Dans les faits, le calcul du montant du PTZ accordé est complexe puisqu’y interviennent des plafonds de ressources et des montants de transaction, qui dépendent de la zone géographique ainsi que des quotités de financement. De même, les modalités de remboursement (durée et différé de remboursement) sont définies selon l’appartenance à une « tranche de remboursement », tranches calculées en fonction des ressources et de la composition du ménage.

Le PTZ dynamise-t-il l’offre de logement sur le marché immobilier neuf ?

L’un des objectifs affichés lors de la création du dispositif était de soutenir et de dynamiser un marché immobilier neuf atone. Dans les faits, l’impact du PTZ sur le marché de la construction est assez difficile à établir. En observant l’évolution du nombre de logements construits avant et après la mise en place du PTZ (graphique 1), il ne semble pas que les 150 000 PTZ accordés en 1996 aient eu un impact significatif sur le volume de logements neufs construits. De cette rapide observation semble émerger l’idée que même sans dispositif, compte tenu du contexte économique plutôt clément, le marché immobilier aurait été tout aussi dynamique. De même, la croissance observée du marché immobilier neuf sur la période 1999-2007 n’est pas imputable au dispositif d’aide à l’accession[2].

Selon les dernières statistiques disponibles (SGFGAS 2012), à l’image des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif (Madec 2013, Levasseur 2011), le zonage établi lors de la mise en place du PTZ a bien du mal à diriger les investissements vers les territoires les plus tendus. Ainsi, au 3e trimestre 2012, plus de la moitié des PTZ distribués l’ont été pour des acquisitions en zone C, c’est-à-dire la zone la moins sujette aux tensions du marché (contre 15 % pour la zone A[3]). Ceci s’explique en grande partie par l’extrême rareté (et cherté) du foncier en zone A et B. C’est dans le but d’en finir avec cette forme de discrimination territoriale qu’en 2005 le dispositif a été ouvert à l’ancien. Sur la période 2005-2011, plus d’un million de PTZ ont ainsi été accordés pour l’acquisition d’un logement ancien, trahissant par là-même l’un des objectifs initiaux du dispositif.

Enfin, malgré une volonté affichée de promouvoir les logements à haute qualité environnementale, en proposant notamment des quotités de financement supérieures pour les logements de type BBC[4], le PTZ n’a que peu participé à la construction de logements économes en énergie puisque qu’au 3e trimestre 2012, deux tiers des prêts accordés l’ont été pour l’achat de logement ne respectant pas la norme BBC.

 

 

Le PTZ facilite-t- il l’accession à la propriété des ménages les plus modestes ?

L’une des principales critiques adressée au PTZ est la piètre qualité de son ciblage. Alors que le but d’un tel dispositif était de solvabiliser les ménages les plus en difficulté en finançant, sur des deniers publics, un équivalent d’apport personnel, l’existence de plafonds de ressources particulièrement élevés (quand ces derniers ne sont pas tout bonnement supprimés comme en 2011) a rendu éligibles des ménages n’ayant pas à priori besoin de l’Etat pour accéder à la propriété. A titre d’exemple, le plafond d’éligibilité était en 2012 de 43 500 euros annuel pour une personne seule souhaitant acquérir une résidence principale en zone A. Ce plafond rendait alors 90 % des ménages franciliens éligibles au PTZ (source INSEE)[5].

Par ailleurs, de nombreuses études ont cherché à mesurer l’impact du PTZ sur les capacités de financement des ménages (ANIL 2011, Beaubrun-Diant 2011, Gobillon et Le Blanc 2005, Thomas et Grillon 2001). Gobillon et al. ont ainsi conclu que le PTZ n’était « déclencheur d’achat » que pour 15 % des ménages acquéreurs. Autrement dit, selon la modélisation proposée par les auteurs, 85 % des ménages auraient accédé à la propriété avec ou sans PTZ. De même, les études récentes portant sur le profil des accédants à la propriété (Le Bayon, Levasseur et Madec 2013, Babès Bigot Hoibian 2012, INSEE 2010) mettent en exergue les difficultés croissantes d’accession à la propriété des ménages les plus modestes. Ainsi, selon Le Bayon et al., les ménages appartenant au 1er quartile de niveau de vie, ménage visés par les dispositifs d’aide à l’accession, voient leur probabilité d’acquérir leur résidence principale divisée par deux entre 2004 et 2010. Il semble donc, au vu de ces divers résultats, que le PTZ ait bien du mal, en tout cas dans ces versions précédentes, à jouer son rôle solvabilisateur pour les ménages à faibles revenus. Cette conclusion peut tout de même être en partie relativisée lorsque l’on observe les dernières statistiques fournies par la SGFGAS. Ainsi, selon ces données, les ouvriers et employés ont représenté respectivement 25 % et 33 % des bénéficiaires de PTZ au 3e trimestre 2012. De même, un bénéficiaire sur trois appartenait à la première « tranche de remboursement ». Pour autant, le calcul de ces tranches prenant en compte des plafonds de ressources particulièrement élevés, l’appartenance à la première tranche de remboursement ne peut être assimilée à un «critère de pauvreté ».

Enfin, en augmentant la demande sur un marché immobilier neuf dont l’élasticité de l’offre est faible et en permettant à nombre de ménages d’acquérir des logements plus onéreux, les dispositifs d’aide à l’accession se voient, depuis longtemps, reprocher leurs effets inflationnistes (ANIL, 2002).

 

Le PTZ : combien ça coûte ?

Pour 2012, le coût pour l’Etat du seul PTZ a été de 1,34 milliard d’euros. Compte tenu du nombre de bénéficiaires, ce coût peut paraître élevé, mais il se doit d’être, comme tous les dispositifs d’aides publiques, analysé en termes d’efficacité.

Une évaluation rapide permet de calculer l’impact du PTZ sur l’investissement en logements. Pour estimer l’effet multiplicateur du dispositif PTZ en 2012, nous nous appuyons sur les dernières statistiques disponibles (SGFGAS 2012) et sur les hypothèses suivantes[6] :

  • – 50 % des bénéficiaires appartenant à la « Tranche 1 » de remboursement sont des ménages dits « déclenchés » (soit 15 % de l’ensemble des bénéficiaires) ;
  • – Les ménages « non déclenchés » augmentent, grâce au PTZ, le montant de leur achat de 3 % ;

 

 

Au total, les PTZ de l’année 2012 ont donc, selon nos estimations et sous les hypothèses précédentes, créés près de 2 milliards d’euros d’investissement en logement pour un coût fiscal de 1,3 milliard d’euros. Le coefficient multiplicateur du dispositif a donc été de 1,5. Ce dernier est dans la fourchette basse de ceux observés dans d’autres pays avec des dispositifs similaires (1,5 à 2). Surtout, ce multiplicateur pourrait être beaucoup plus élevé si le ciblage des ménages était plus strict. En effet, pour la seule « Tranche 1 » de remboursement, sous les hypothèses précédentes et en considérant que cette tranche représente la moitié de la dépense fiscale (hypothèse généreuse), le multiplicateur atteint 2,6. On est encore loin cependant du multiplicateur théorique optimal à 6, estimé par Gobillon et Le Blanc[7].

 

Quid du PTZ version 2013 ?

Pour répondre à l’ensemble des critiques soulevées précédemment, le gouvernement a, le 1er janvier dernier, tenté d’améliorer les conditions d’accès au dispositif :

  • – réduction des plafonds d’éligibilité de 17 % (en zone A) à 30 % (en zone C) ;
  • – gel des plafonds de coûts d’opération dans le neuf et l’ancien HLM ;
  • – baisse des quotités de financement ;
  • – remise en place d’un différé de paiement pouvant aller jusqu’à 15 ans pour les ménages appartenant à la 1re tranche de remboursement.

Ces mesures vont pour la plupart d’entre elles dans le sens d’un ciblage plus juste des aides à l’accession. Cependant certaines améliorations pourraient encore être apportées. Les plafonds de ressources de la zone A concernent encore en 2013 près de 80 % des franciliens. De plus, la possibilité d’acquisition d’un ancien logement HLM, potentiellement très énergivore, semble en contradiction avec la promotion des logements neufs à haute qualité énergétique. Ne vaudrait-il pas mieux promouvoir, pour les ménages modestes en zones tendues, l’achat de logements non neufs mais récents, possédant des caractéristiques énergétiques plus proches de celle exigées pour le neuf ?

De même, le retour du principe du différé de paiement de 15 ans peut s’avérer assez critiquable. En effet, il peut contribuer à désolvabiliser une partie des ménages en réduisant la durée de leur prêt principal. Les banques, tenant compte du différé, sont incitées à aligner la durée du prêt principal sur la durée du différé pour éviter une hausse future trop importante des mensualités. A l’inverse, ce différé peut augmenter le risque de défaut, les ménages subissant, une fois le différé terminé, un ressaut de leur mensualité (Bosvieux et Vorms, 2003).

Enfin le gel des plafonds de transactions ne pourra être pérennisé compte tenu d’une part de l’écart croissant qui existe entre ces plafonds et les prix de marché, et d’autre part de la hausse continue des coûts de construction consécutive à l’inflation normative subie par le secteur.

Pour conclure, il est important de noter l’existence d’un débat sur la nécessité même de dispositif d’aide à l’accession : l’Etat doit-il inciter, aider ou financer l’accession à la propriété des ménages locataires ? A l’image des incitations fiscales à l’investissement locatif, les contribuables doivent-ils aider les ménages locataires à devenir propriétaires ? Pour les ménages les plus modestes, dans l’impossibilité matérielle de constituer un apport personnel suffisant à l’acquisition, il peut sembler légitime de penser que l’Etat est dans son rôle en aidant les plus fragiles à suivre la trajectoire résidentielle standard : décohabitation parentale, location, accès à la propriété. Pour les autres, on ne peut écarter l’existence d’effets d’aubaine importants comme souligné plus haut. Pour les éviter et améliorer la solvabilité des ménages initialement visés par le dispositif, une refonte profonde des dispositifs d’aide à l’accession (sociale ou non) est indispensable.


[1] C’est-à-dire un pourcentage plafond du montant de la transaction.

[2] Le marché du neuf a été, sur la période considérée, fortement soutenu par les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif (voir Le Bayon et al. 2013)

[3] Paris, la petite couronne parisienne et une partie de la grande couronne.

[4] En 2012, pour les acquisitions en zone A, la quotité de financement était de 38 % pour les logements neuf BBC contre 26 % pour les non BBC.

[5] Pour un revenu annuel de 43 500 €, en supposant un taux de 3,2 %, la capacité d’emprunt s’élève en moyenne à 260 000 € (hors PTZ), soit un logement d’au moins 50m² en petite couronne parisienne (hors communes limitrophes à Paris).

[6] Ces hypothèses sont en adéquation avec les résultats de la modélisation proposée par Gobillon et Le Blanc (2005). Ces derniers obtiennent un effet multiplicateur du PTZ de l’ordre de 1,1 à 1,3.

[7] Ce multiplicateur a été estimé en supposant un ciblage parfait du dispositif, c’est-à-dire que l’intégralité des bénéficiaires sont des ménages « déclenchés ».




Investissement locatif Scellier-Duflot, même combat ?

Par Pierre Madec

Depuis 20 ans, le marché immobilier neuf se trouve sous perfusion publique. La part des investisseurs privés dans les ventes de logements neufs des promoteurs n’a cessé d’augmenter pour atteindre en 2010 près de 70 %[1]. Cette évolution s’explique en grande partie par les augmentations régulières du montant consacré par l’Etat à l’investissement locatif qui est passé de 345 millions d’euros en 1989 à 1 347 millions d’euros en 2011[2].  Successeur du dispositif Scellier et des six autres dispositifs qui l’ont précédé,  le dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Duflot » est entré en vigueur au 1er Janvier 2013 pour une durée de 4 ans.

Comme pour toutes les mesures ponctionnant le budget de l’Etat et visant à développer l’offre de logement neuf sur un marché immobilier à forte tendance inflationniste, tant à la vente qu’à la location, plusieurs questions doivent être posées : cette mesure va-t-elle encourager la modération des loyers ? Est-elle attractive pour les investisseurs ? Quel est son coût pour les finances publiques ? Enfin, les effets néfastes du Scellier[3] ont-ils été corrigés (zonage, coût trop élevé, …) ?

 

 

Un dispositif plus attractif pour les locataires que le Scellier classique …

 

Avec l’introduction de plafonds de loyers inférieurs aux plafonds en vigueur pour le Scellier intermédiaire, le Duflot apparaît plus avantageux pour les locataires[4]. De même, la prise en compte de plafonds de ressources équivalents à ceux en vigueur lors de l’attribution de logement sociaux de type PLI[5] témoigne d’une dynamique nouvelle en faveur de ménages plus modestes. L’investisseur privé se transformant alors partiellement en bailleur social de moyen terme.

En supposant un investissement de 240 000 euros dans une commune de la zone Abis destiné à la location, et compte tenu des plafonds de loyers et des prix au m2 pratiqués dans la zone, le loyer payé par le locataire d’un logement Duflot est inférieur à celui appliqué à un logement Scellier classique ou intermédiaire.

 

La faible différence entre les loyers Duflot et les loyers Scellier intermédiaire (-1,6%) s’explique par le choix du gouvernement de privilégier des plafonds relativement proches des loyers pratiqués dans les différentes zones (hors Paris), et cela malgré la promesse de loyers 20 % inférieurs aux loyers de marché. L’écart important qui existe entre Scellier classique et Duflot (-21 %) est quant à lui principalement dû au fait que les plafonds de loyers du dispositif Scellier étaient, pour la plupart d’entre eux, supérieurs aux loyers de marché.

… plus rentable pour l’investisseur que le Scellier intermédiaire 2012

Avec une réduction d’impôt de 18 % du prix de revient du logement étalée sur 9 ans, contre 13 % pour un investissement identique en Scellier BBC ou en Scellier intermédiaire 2012[6], le dispositif Duflot semble bien plus avantageux pour l’investisseur que son prédécesseur. En reprenant l’exemple précédent, on obtient comme réduction d’impôts pour le propriétaire :

 

Cependant, compte tenu de l’existence de plafonds de loyers bien inférieurs, le gain annuel escompté, pour l’investisseur, par le dispositif Duflot reste inférieur à celui du Scellier classique (-11%)[7]. En effet, la réduction d’impôts plus avantageuse ne compense pas entièrement la perte induite par la diminution des plafonds de loyers.

A contrario, il apparaît clairement que le dispositif Duflot est bien plus avantageux que la dernière version du Scellier intermédiaire (+7%), l’Etat faisant plus que compenser la perte provoquée par la baisse des plafonds. Pour autant, ceci n’est vrai qu’en comparant le Duflot avec la dernière génération de Scellier intermédiaire. En effet, avec des taux de réduction d’impôts supérieurs à 20 % et des plafonds de loyers élevés, les Scellier intermédiaires de 2010 et 2011 étaient bien plus attractifs pour les investisseurs.

Le calcul des rendements bruts et nets des différents dispositifs fournit des résultats analogues avec un rendement net du Duflot de l’ordre de 4,7 % pour l’exemple considéré ici contre 4,3 % pour le Scellier intermédiaire[8].

Quel coût pour l’Etat ?

Toute hausse du taux de réduction d’impôts est synonyme pour l’Etat d’une augmentation du manque à gagner fiscal. A l’inverse, la baisse des taux observée pour le dispositif Scellier[9] a engendré chaque année une baisse significative du nombre d’investissements, ce dernier étant divisé par deux entre 2010 et 2012[10]. De prime abord, on peut donc penser que l’augmentation du taux de réduction fiscale aura pour effet une croissance des investissements et du coût fiscal pour l’Etat. Pour autant, la généralisation des plafonds de ressources et de loyers plus bas apparaît comme un frein important au bon fonctionnement du dispositif. En effet, le Scellier Intermédiaire, dispositif relativement proche du Duflot dans ses caractéristiques, bien qu’ayant des plafonds de loyers légèrement supérieurs, n’a jamais réellement pris son envol. Selon les données à notre disposition[11], le coût total du dispositif Scellier intermédiaire, pourtant plus coûteux que le Scellier classique au niveau individuel, n’a jamais dépassé la moitié du coût de ce dernier. Cela signifie que les investissements de type Scellier intermédiaire n’ont jamais représenté plus du tiers de l’ensemble des investissements locatifs[12]. Bien que l’on puisse penser que l’absence d’un dispositif de substitution moins contraignant (de type Scellier classique) reporte une partie des investissements sur le Duflot, la prévision gouvernementale de 40 000 « logements Duflot » construits en 2013 semble particulièrement optimiste. En supposant cet objectif soit réalisable, le coût de la génération Duflot 2013 serait alors de 1,7 milliard d’euros. Clairement, le problème, souvent soulevé, du coût fiscal supporté par l’Etat au temps du dispositif Scellier n’est donc pas réglé[13].

Conclusion

 

Avec la généralisation des plafonds de ressources, des plafonds de loyers inférieurs aux loyers de marché, ainsi que la suppression de la zone C et d’une partie de la zone B2, l’objectif d’orienter l’investissement locatif privé vers les publics prioritaires semble en partie rempli. De même, la hausse de la réduction fiscale accordée, la hauteur des plafonds de loyers, et l’absence de dispositif de substitution permettront sans doute de retenir un certain nombre d’investisseurs. Cependant, l’exemple du Scellier dit « Social » devrait freiner l’optimisme gouvernemental.

Bien que l’investissement locatif privé soit un moteur important d’un marché immobilier aujourd’hui souffrant, l’Etat devrait réfléchir à l’efficience des mécanismes de subvention en faveur des propriétaires-bailleurs, ces derniers étant à nouveau bénéficiaires de l’annonce d’une hausse de 500 millions d’euros des aides aux logements en 2013[14].

La volonté du gouvernement de confier au secteur libre la partie la plus aisée des ménages éligibles au logement intermédiaire subventionné ne peut être une solution de long terme viable. Malgré des délais de livraison plus élevés, le développement de l’offre locative sociale et de l’accession sociale à la propriété sont les leviers publics les plus puissants pour agir efficacement à moindre coût et dans la durée sur l’offre de logements et donc sur les prix.


[1] En 2012, compte tenu de la plus faible attractivité du dispositif Scellier, cette part était de 50 %.

[2] Source loi de finances de 1989 à 2011.

[3] voir S. Levasseur, novembre 2011

[4] Les plafonds de loyers du Duflot sont inférieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLI.

[5] Ceci est vrai pour toutes les zones sauf la zone A bis. Pour cette zone, les plafonds de ressources sont inférieurs aux plafonds des logements de type PLI mais supérieurs aux plafonds des logements sociaux de type PLS.

[6] C’est-à-dire répondant aux normes BBC.

[7] Nous ne tenons pas compte ici de l’abattement forfaitaire de 30 % applicable au dispositif Scellier intermédiaire.

[8] Voir note de ce blog « Marché locatif privé : état des lieux et évaluations des dernières mesures gouvernementales », OFCE,  S. Le Bayon, P. Madec, C. Rifflart, à paraître

[9] Passage de 27 % à 13 % et de 25 % à 6 %.

[10] Le nombre d’investissement Scellier était supérieur à 70 000 en 2010 et ne devrait pas dépasser 30 000 en 2012.

[11] Les PLF de 2009, de 2010, de 2011, de 2012 et de 2013 sont les seules données officielles disponibles sur le sujet.

[12] On peut ainsi estimer la production de Scellier intermédiaire au plus à 17 000 logements en 2009, 24 000 en 2010, 20 000 en 2011 et 10 000 en 2012 pour des coûts respectifs de 782, 1 104, 640 et 310 millions d’euros.

[13] Rapport d’information sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de fiances, n°3631, Commission des finances de l’Assemblée Nationale, 2011

[14] De nombreuses études théoriques et empiriques ont en effet montré que les propriétaires-bailleurs bénéficiaient dans une proportion comprise entre 50 et 80 % de toute hausse des aides au logement, et ce au détriment des ménages locataires (« Pourquoi les ménages à bas revenus paient-ils des loyers de plus en plus élevés ? », G. Fack, 2005)

 




Dispositif Scellier : un bilan contrasté pour un coût élevé

par Sandrine Levasseur

La réaction du « lobby immobilier » à la suite de la suppression du dispositif Scellier au 31 décembre 2012 a été vive. Cette suppression constitue une première – et nécessaire –  étape vers une remise à plat plus générale de toute la politique du logement dont le financement et l’efficacité posent question. Retour sur les aspects positifs et négatifs du « Scellier ». Instauré en 2009, ce dispositif qui succédait à d’autres amortissements du même type (Robien, Borloo, Périssol, etc.) consistait en une réduction d’impôt pour tout acquéreur d’un logement neuf disposé à le mettre en location. Le taux de réduction d’impôt, initialement de 25 % du prix de revient d’un logement (dans la limite d’un investissement de 300 000 euros), a été successivement abaissé à 22 % pour 2011 puis à 14 % pour 2012. Tandis qu’il ne fait pas de doute que le dispositif Scellier a soutenu ces dernières années toute la filière « logement » (de la construction jusqu’à la vente) et a permis d’accroître l’offre de logements (toujours insuffisante), on peut s’interroger sur le coût fiscal d’un tel dispositif.

Rendre à César ce qui est à César : les aspects positifs du dispositif « Scellier »

• L’amortissement Scellier a été un profond adjuvant pour le secteur de la construction et de l’immobilier, notamment au plus fort de la crise. En 2009, selon le Rapport de la Commission des finances, environ 65 000 logements ont bénéficié de l’amortissement Scellier, ce qui a représenté deux-tiers des ventes de logements neufs. En 2010, 77 500 logements ont été concernés, soit plus de 70 % des ventes dans le neuf. A la fin septembre 2011, on estimait à 75 000 le nombre de « Scellier » depuis le début de l’année. Rappelons qu’en 2010 le secteur du bâtiment a généré à lui tout seul 6,3 % du PIB français et employé 7,5 % des effectifs salariés du secteur marchand. C’est sans compter la valeur ajoutée et les emplois dans le secteur des services immobiliers. Il est clair que sans le soutien du « Scellier », la crise économique en France – et ses conséquences sur l’emploi – aurait été plus profonde :

• Dans les zones tendues, là où il y a un manque structurel de logements, les constructions de logements « Scellier » ont clairement permis d’accroître l’offre de logements, en quantité mais aussi en qualité ;

• L’amortissement Scellier a soutenu la construction de logements « verts », puisque la réduction d’impôts était d’autant plus avantageuse que les logements achetés respectaient les normes environnementales (normes BBC) ;

• Il a été ouvert à tous les contribuables alors que le dispositif Robien n’était intéressant que pour les personnes relevant des tranches d’imposition élevées. De ce point de vue, le dispositif Scellier a été plus équitable que les précédents amortissements.

Pour autant, il y a aussi des aspects négatifs associés au dispositif « Scellier ».

Les aspects négatifs du dispositif « Scellier »

Il y a eu, tout d’abord, le problème de la localisation des logements « Scellier », certes aujourd’hui résolu par la mise en place d’une carte des risques locatifs et l’abaissement des plafonds de loyer. Rappelons qu’initialement, le Scellier s’appliquait à tout logement neuf mis en location indépendamment de sa localisation (hors zone C, c’est-à-dire les communes situées dans des agglomérations de moins de 50 000 habitants), le propriétaire-contribuable n’ayant « qu’à louer » en respectant le plafond de loyer fixé par la loi en fonction des zones. Présenté par certains réseaux de commercialisation comme un outil de défiscalisation pur et simple, l’amortissement Scellier s’est traduit dans certains cas par la construction de logements dans des zones où les marchés locatifs étaient inexistants, provoquant gâchis et … dépit des propriétaires n’ayant pas trouvé de locataires ou alors pour un loyer bien inférieur à celui fixé par la loi. En 2011, 170 communes ont alors été classées en risques locatifs par les pouvoirs publics y interdisant ainsi la construction de « Scellier ». En outre, dans certaines zones, les plafonds de loyers ont été abaissés (entre 14 et 26 %) de façon à être davantage en adéquation avec les réalités du marché locatif. Si le problème de la localisation est maintenant résolu, on peut toutefois s’étonner (et déplorer) que la cartographie des investissements locatifs n’ait pas fait l’objet d’un suivi plus tôt et plus régulier. Aujourd’hui, environ 35 % des logements Scellier sont situés dans des zones à risques locatifs et, essentiellement des logements de type F2 ou F3 sont concernés.

L’argument majeur contre le dispositif Scellier (ou tout autre amortissement de ce type) est clairement son coût fiscal, et ce d’autant plus qu’il court sur un certain nombre d’années (par exemple, 9 ans pour le Scellier standard). Ainsi, l’impact budgétaire du dispositif Robien (410 millions d’euros en 2010) ne s’éteindra qu’en 2016 alors qu’il n’est plus en vigueur depuis décembre 2008. Il faudra y ajouter le coût du dispositif Scellier qui, pour une extinction à la fin 2012, continuera malgré tout à peser sur le budget de l’Etat jusqu’en 2021. Selon le Rapport de la Commission des finances, le coût budgétaire du dispositif Scellier a été de 120 millions en 2010 et s’élèvera à 300 millions en 2011. Au total, sur 9 ans, les logements Scellier acquis en 2009 coûteront 3,4 milliards d’euros au budget de l’Etat tandis que ceux acquis en 2010 et 2011 coûteront respectivement 3,9 et 2 milliards d’euros. Notons que le coût de 2 milliards d’euros pour la « génération 2011 » est clairement sous-estimé puisque l’évaluation par la Commission des finances repose sur une anticipation sous-évaluée du nombre de logements Scellier réalisés au regard des dernières données disponibles (47 100 anticipés pour l’ensemble de l’année contre 75 000 réalisés à la fin septembre 2011). A titre de comparaison, la subvention de l’Etat en faveur des organismes de logement social s’est élevée à 1,45 milliard d’euros en 2010, contribuant ainsi au financement de 147 000 logements sociaux. Si logements Scellier et sociaux ne sont pas totalement comparables (et interchangeables), la mise en parallèle du coût budgétaire des uns et des autres interpelle la politique du logement. Et son financement.

Que faire ?

Au vu du coût budgétaire du dispositif Scellier, sa suppression nous semble bien fondée, et ce d’autant plus que la politique du logement de ces vingt dernières années a été plutôt favorable aux propriétaires-bailleurs. Soulignons, en effet, que les propriétaires-bailleurs ont aussi bénéficié indirectement des politiques d’allocation logement en faveur des locataires puisque l’on estime que 50 à 80 % du montant des allocations versées aux locataires ont en fait été répercutés dans les loyers, et donc au bénéfice des propriétaires.

La suppression du dispositif Scellier pose toutefois deux problèmes : celui de l’activité de la filière « construction » et celui du manque structurel de logements. De fait, il y a peu d’espoir que le recentrage du PTZ (prêt à taux 0) sur le logement neuf compense à lui tout seul la baisse de construction due à la suppression du Scellier. Alors, comment résoudre simultanément les deux problèmes ? La poursuite de l’effort en faveur du logement social, amorcé depuis quelques années, nous semble être la meilleure solution pour maintenir à la fois un niveau suffisant de construction et répondre (en partie) aux besoins en logements non satisfaits. Le logement social permettrait en outre de réduire la « cherté » du logement pour les classes sociales les plus modestes. Le coût pour le budget de l’Etat de 60 000 logements sociaux supplémentaires (60 000 étant le nombre annuel moyen de logements ayant bénéficié d’amortissement à l’investissement locatif depuis 15 ans) est estimé à 448 millions d’euros, payable « une fois pour toute ». C’est peu comparé au coût pour l’Etat d’une génération de logements Scellier.

Une politique davantage orientée vers le logement social ne permettra pas pour autant de faire l’économie d’une réflexion plus large sur le logement, ne serait-ce que pour le seul financement du logement social : drainage des fonds sur livrets A, accession sociale à la propriété, politique des loyers, « 1 % logement », politique foncière des collectivités locales, gestion du parc locatif …