Notre système de santé est-il en péril ? Gérer la pénurie de médecins (2/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le second, ici présenté, concerne l’accès aux soins qui pourrait devenir plus compliqué du fait de la réduction temporaire du nombre de médecins.

La baisse à venir du nombre de médecins, même si elle reste limitée et provisoire, fait courir le risque d’apparition de déserts médicaux. Des incitations existent pour diriger les professionnels de santé vers les zones à faible densité médicale. Mais elles sont très insuffisantes et la question d’une intervention plus directe se pose[1]. Il paraît difficile d’éviter une remise en cause de la liberté complète d’installation des médecins qui pourrait se traduire par une obligation de première installation en zone prioritaire pour les nouveaux médecins. Mais c’est faire peser sur les plus jeunes médecins une contrainte forte qui implique des contreparties. Faudra-t-il alors accepter que leur rémunération augmente plus ? Dans quelle proportion ? Faudrait-il autoriser un nouveau développement des dépassements d’honoraires ? La nécessité d’une négociation globale avec la profession apparaît clairement : la faiblesse passée du numerus clausus va entraîner pour un temps un certain rationnement de l’offre de médecins ; ceci renforce le pouvoir de marché de la profession alors qu’une remise en cause des compromis anciens s’impose. Idéalement il serait souhaitable de négocier une hausse des revenus des médecins en formation contre une baisse des dépassements d’honoraires et une contrainte sur la localisation (éventuellement indemnisée par des primes spécifiques). Mais ceci n’est plus applicable aux générations qui viennent d’achever leurs études.  Dès lors la seule voie est certainement celle d’une forte revalorisation des tarifs des actes (ou des forfaits si, comme cela serait souhaitable, les revenus des médecins étaient de moins en moins calculés en fonction des actes et de plus en plus en fonction de la taille de leur patientèle[2]) en contrepartie de l’acceptation d’une contrainte de localisation (indemnisée) et d’une réduction des dépassements d’honoraires. Cette évolution constituerait une charge supplémentaire pour l’assurance maladie, qui pourrait être gagée au moins partiellement par le développement des bonnes pratiques. D’autre part la hausse de la rémunération individuelle des médecins sera, pendant quelques années, partiellement compensée par la réduction de leur nombre.

Les contraintes de file d’attente devraient aussi favoriser un meilleur partage de l’activité entre les médecins et un certain nombre de techniciens de santé qui peuvent les assister et les suppléer dans certains cas (comme cela commence à se faire en matière d’optique correctrice).  Tous ces changements – fin de la liberté absolue d’installation, réglementation plus strict des dépassements d’honoraires, partage de l’activité médicale avec des professions paramédicales, développement du travail de groupe –, sont donc envisageables mais ils impliquent une importante remise en cause des compromis anciens entre l’Etat et les médecins. La difficulté principale est ici de nature socio-politique. Pour la surmonter il faut aussi accepter des compensations financières pour les médecins, ce qui sera difficile dans un contexte de rationnement général.


[1] La Loi HPST (Hôpital-Patients-Santé-Territoires) de juillet 2009 a instauré un « contrat d’engagement de service public » qui propose aux étudiants en médecine, à partir de la deuxième année, et aux internes un complément de revenu de 1 200 € par mois contre l’engagement de s’installer en zone prioritaire pour une durée au moins égale à celle de la perception de l’aide et au minimum de 2 ans. 400 contrats ont été proposés en 2010-2011 (200 pour les étudiants et 200 pour les internes) mais seuls 148 ont été signés (103 étudiants et 45 internes) ce qui est évidemment très faible et très insuffisant au regard des problèmes à venir d’implantation des médecins en zones difficiles.

[2] Depuis 2010 l’assurance maladie a mis en place un « Contrats d’Amélioration des Pratiques Individuelles » (CAPI) qui accorde une rémunération forfaitaire pouvant atteindre 7 000 € par an aux médecins qui acceptent de respecter certaines règles de pratique de soins et de prévention. Ce dispositif introduit une forme de rémunération à la performance distincte de la rémunération des actes qui s’ajoute à celle, très partielle, liée à la gestion des malades en affection de longue durée (ALD) par les médecins « traitants »( 40 € par an et par patient).




Notre système de santé est-il en péril ? Le financement de l’assurance maladie et la crise (1/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel de crise économique générale : le premier concerne la financement de l’assurance maladie qui est mis à mal par l’affaiblissement des recettes liée à la crise ; le second concerne l’accès aux soins qui pourrait devenir plus compliqué du fait de la réduction temporaire du nombre de médecins ; le troisième est lié à l’évolution mal maîtrisée du partage des remboursements par la Sécurité sociale et les organismes complémentaires dans un contexte de croissance des dépenses non remboursées (notamment celles liées à la progression des dépassements d’honoraires) ; enfin le quatrième problème saillant concerne la gestion hospitalière qui a été fortement déstabilisée par l’introduction de la tarification à l’activité.

Le financement de l’assurance maladie : une nouvelle source à explorer

La crise a contribué à accentuer les difficultés de financement de l’assurance maladie, ce qui nourrit une inquiétude à propos de la pérennité du système de santé et de la prise en charge publique des dépenses de soins. Toutefois, l’analyse des grandes tendances des dépenses et du financement montre que dans l’hypothèse d’un retour à une situation macroéconomique « normale » les difficultés financières devraient être contenues et l’effort structurel à fournir pour équilibrer le régime relativement limité : le déficit de départ est relativement faible (environ 0,6 point de Pib de déficit total qui se partage à peu près en deux moitiés égales à 0,3 point de déficit structurel et 0,3 point de déficit conjoncturel), et les perspectives de croissance des dépenses à court-moyen terme restent modérées (avec une hausse du ratio dépenses / Pib de l’ordre de 0,1 point de Pib par an). Une augmentation de la CSG et des efforts réalistes de maîtrise des dépenses (de l’ordre de 1 à 2 milliards par an relativement à la tendance spontanée) devraient suffire à assurer la pérennité financière du système.

Si la situation macroéconomique était durablement très dégradée, le déficit de l’assurance maladie pourrait augmenter et la question des économies de dépenses se poser avec plus d’acuité. Deux options seraient ouvertes : soit accepter une nouvelle hausse du déficit, la solution de la question du financement ne pouvant résulter que d’un changement radical des politiques européennes ; soit renoncer à la reprise de la croissance et ajuster en conséquence les paramètres financiers de l’assurance maladie. Trois variables sont disponibles pour ajuster les comptes : la réduction tendancielle des dépenses, la hausse des prélèvements, la baisse des remboursements. Dans ce scénario noir de renoncement à la croissance, Il est vraisemblable que les pouvoirs publics cherchent à agir sur ces trois variables. La réduction tendancielle des dépenses est difficile à envisager alors que les besoins liés à la croissance démographique et au vieillissement continueront à croître et que la tendance spontanée est déjà modérée. La hausse des prélèvements est envisageable, mais elle entrerait en concurrence avec les hausses de fiscalité destinées à financer les autres dépenses publiques. Quant à la baisse des taux de remboursement elle peut difficilement s’appliquer de manière uniforme alors que la prise en charge des dépenses courantes de médecine de ville est déjà très faible.

La seule voie qui n’a pas encore été empruntée est celle du remboursement sous conditions de ressources qui implique une forte hausse de la participation financière des ménages les plus aisés. Cette mesure permettrait sans doute de limiter les déficits mais fragiliserait le système qui pour les plus riches deviendrait de plus en plus coûteux, ce qui les pousserait à soutenir le passage à un système d’assurance privé excluant toute redistribution entre riches et pauvres.