Hommage à Jean-Paul Fitoussi, par Jean Pisani-Ferry

C’est au moment de son retour en France, au début des années 1980, que j’ai connu Jean-Paul Fitoussi. Mais c’est surtout à partir de 1992 que nous avons travaillé ensemble, d’abord comme directeurs de deux centres de recherche en économie, l’OFCE (pour lui) et le Cepii (pour moi),avant de devenir collègues à Sciences Po, et aussi amis. Lorsqu’il y a quelques jours, rentrant tout juste d’un séjour à Washington, j’ai retrouvé le bureau que nous partagions à Sciences Po, mon bloc portait encore les conseils gourmands qu’il m’avait donnés en vue de ma prochaine visite à Florence.

D’autres ont, mieux que je n’aurais pu le faire, témoigné de l’apport académique de Jean-Paul. Je voudrais seulement rappeler sa démarche. Il se voulait hétérodoxe, parce qu’il jugeait qu’il y avait plus à découvrir en s’écartant de la ligne qu’en restant dans la ligne. Mais il savait les dangers d’une pensée qui s’en affranchit à ce point qu’elle en finit par se prendre elle-même comme référence. Sa démarche, il l’avait décrite en 1988 dans un livre co-écrit avec Edmund Phelps, The Slump in Europe : “our strategy will be to make a series of departures from the orthodox model, each in a new theoretical direction, always returning to the orthodox base camp rather than attempting to accumulate the departures as we go”. Hétérodoxe donc, mais intellectuellement discipliné. C’est la corde raide sur laquelle il allait s’attacher à franchir les précipices.

Je voudrais parler du rôle qu’il a joué dans le débat français et européen. Au début des années 1990, la cause semblait entendue : il n’y avait qu’une bonne politique. Parce que le système soviétique s’était effondré, parce qu’aux premiers temps du mitterrandisme la gauche était partie trop loin, avec les nationalisations à 100% et la tentation isolationniste de l’autre politique, plus aucun pas de côté ne semblait plus possible. Ce que Jean-Paul a entrepris de faire dans ce contexte, avant de synthétiser sa démarche en 1995, dans Le Débat Interdit, c’est de restituer un espace de discussion. Non pas entre de grandes voies alternatives dont l’heure était passée. Mais sur les stratégies et les moyens. Il était pour la monnaie européenne, pour la stabilité des prix, pour l’équilibre extérieur. Mais il tenait à ce qu’on discute des voies pour y parvenir, qu’on cesse de prétendre que la fin dictait les moyens. Et c’est ce rôle qu’il a assigné à l’OFCE qu’il a dirigé pendant plus de vingt ans. Dans un paysage sensiblement moins divers qu’il ne l’est aujourd’hui, l’institut n’a cessé d’aiguillonner utilement les responsables de la politique économique.

En 2002 Jean-Paul publie La Règle et le Choix, dont il faut citer in extenso les premières phrases, tant elles sont prescientes : « Telle qu’elle s’est construite, l’Union européenne présente un paradoxe : elle a certes nécessité de notables abandons de souveraineté de la part des États qui la composent, mais elle n’y a encore substitué aucun équivalent à l’échelle communautaire. Privilégiant un mode d’intégration qui consiste surtout à contenir les prérogatives des États à l’intérieur de normes toujours plus contraignantes, elle a peu à peu vidé le siège de la souveraineté nationale sans pour autant investir celui de la souveraineté européenne ». Ces propos étaient, à l’époque, fortement hétérodoxes. Ces lignes qui ouvrent une critique serrée des silences démocratiques de la construction européenne, on  les croirait aujourd’hui extraits d’un discours d’Emmanuel Macron, si ce n’est pas d’Ursula von der Leyen.

En 2009 enfin, il remet au président Sarkozy un rapport préparé avec ses vieux complices Joe Stiglitz et Amartya Sen sur la mesure de la performance économique et du progrès social. La question est celle du PIB, de sa mesure, de ses limites, et des substituts possibles. Quelques années plus tôt, le rapport Stern a relancé la discussion sur les politiques climatiques. 2009 est l’année de l’échec de la conférence de Copenhague, et l’accord de Paris est encore loin. Mais la question des indicateurs et de leur rôle dans la politique économique est déjà posée. Le rapport ne la résout pas, parce qu’elle n’est pas soluble. Mais il l’explore avec une grande clarté, et fournira la base des progrès des comptables nationaux.

Hétérodoxie disciplinée, passion du débat, culte de la démocratie, mentalité de défricheur. C’est tout cela qui va manquer. 




France : des marges de croissance

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

Après plusieurs années de croissance atone (0,4 % en moyenne sur la période 2012-2014), un mouvement de reprise de l’activité semble enfin émerger en France. Avec 1,2 % en 2015 (1,4 % en glissement annuel à la fin de l’année), la croissance française est restée modeste et inférieure à la moyenne de la croissance européenne. L’année 2015 a été encore marquée par un certain nombre de points noirs, particulièrement concentrés autour du secteur de la construction et de l’investissement des administrations publiques (amputant le PIB de -0,3 point en 2015 après -0,5 point en 2014). Néanmoins, des signaux positifs sont apparus qui sont de bon augure.

Premièrement, en 2015, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois dans le secteur privé (122 000 sur l’ensemble de l’année). Deuxièmement, l’investissement des entreprises, tiré par les secteurs des biens d’équipements et de l’information-communication, s’est amélioré (+3,2 % en glissement annuel). À cela s’ajoute un certain nombre d’éléments favorables à la compétitivité : le taux de marge des entreprises a fortement augmenté, particulièrement dans les branches industrielles et les secteurs exportateurs, les parts de marché à l’exportation se sont améliorées et la balance courante, déficitaire depuis une dizaine d’années, est quasiment revenue à l’équilibre. Troisièmement, bien que son impact sur la consommation des ménages ait été limité (+0,9 % en glissement annuel), le pouvoir d’achat des ménages s’est redressé (+2 %). Cela s’est traduit par une forte remontée du taux d’épargne en 2015 (près d’1 point), laissant présager des capacités de consommation futures pour 2016. Enfin, le déficit public, à 3,5 % du PIB en 2015, a été inférieur à la cible du gouvernement et aux attentes de la Commission européenne.

L’année 2015 a été marquée par un redressement de la situation financière des agents privés et une amélioration des comptes publics. Les ménages, les entreprises et les administrations publiques abordent ainsi l’année 2016 avec de nouvelles marges de manoeuvre. Dans un contexte où l’environnement macroéconomique extérieur reste relativement porteur (prix du pétrole bas, euro compétitif et taux d’intérêts historiquement faibles), et ce malgré le ralentissement des pays émergents, Chine en tête, ou le risque de Brexit, l’économie française aborde l’année 2016 dans des conditions meilleures que par le passé. Avec une sortie progressive de la politique d’austérité, ces nouvelles capacités financières pourront soutenir la consommation, l’investissement et l’emploi. De plus, le redressement des résultats des enquêtes dans la construction laisse présager une amélioration du secteur pour l’année en cours. Ainsi, la croissance française devrait s’établir à 1,6 % en 2016 (+1,9% en glissement annuel), avec un 1er semestre 2016 relativement dynamique (+1 % sur le semestre) (tableau 3), soutenu par un rebond marqué de la consommation après une faiblesse temporaire au 4e trimestre 2015, due en partie à la douceur climatique et aux effets des attentats. À partir du troisième trimestre 2016, la croissance évoluerait sur un rythme de 0,4 % par trimestre. Au cours de l’année 2016, le nombre total d’emplois créés serait de l’ordre de 230 000 et le taux de chômage reviendrait à 9,5 % en fin d’année, soit une baisse de 0,5 point, dont 0,15 dû à la mise en place du plan de 500 000 formations. L’investissement des entreprises, soutenu par la hausse des taux de marge, la faiblesse du coût du capital et l’amélioration des perspectives d’activité, continuerait à se redresser mais à un rythme modéré (3 %) en raison des taux d’utilisation toujours inférieurs à leur moyenne historique. Le déficit public s’améliorerait de 0,4 point de PIB en 2016 (pour atteindre 3,1 % du PIB), pour moitié grâce à l’effort budgétaire structurel et pour moitié grâce à l’amélioration de la situation conjoncturelle.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,6 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %). Elle créerait 165 000 emplois, ce qui, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation, permettrait tout juste de stabiliser le taux de chômage à 9,5 % en 2017. Enfin, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans.

Si l’on reste encore loin d’une croissance vigoureuse et du niveau de chômage d’avant-crise, la France semble cependant entamer sa lente convalescence, notamment par le redressement du pouvoir d’achat des ménages, la baisse du chômage, l’amélioration de la compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public.

prev france




Les étranges prévisions de la Commission pour 2014

par Mathieu Plane

Les chiffres de la croissance française pour 2014 publiés par la Commission européenne (CE), dans son dernier rapport de mai 2013, semblent en apparence relativement consensuels. En effet, la Commission table sur une croissance du PIB de 1,1 % en 2014, relativement proche de la prévision réalisée par l’OCDE (1,3 %) ou par le FMI (0,9 %) (tableau 1). Cependant, ces prévisions de croissance relativement similaires masquent des différences profondes.Tout d’abord, pour définir la politique budgétaire à venir, contrairement aux autres instituts, la Commission ne prend en compte que les mesures votées. Si les prévisions de croissance de la Commission pour l’année 2013 intègrent bien les mesures de la Loi de finances pour 2013 (et donc la politique de grande rigueur), les prévisions pour 2014 n’intègrent aucune mesure budgétaire à venir, alors même que le gouvernement prévoit, d’après le programme de stabilité transmis à Bruxelles en avril 2013, une austérité de 20 milliards d’euros en 2014 (soit une impulsion budgétaire de -1 point de PIB). Pour 2014, l’exercice réalisé par la Commission ressemble donc plus un cadrage économique qu’à une prévision car il n’intègre pas la politique budgétaire la plus probable pour 2014. Du coup, le gouvernement n’a aucune raison de se caler sur la prévision de croissance de la Commission pour 2014 car les hypothèses sur la politique budgétaire sont radicalement opposées. Mais au-delà de cette différence, se pose également le problème de cohérence globale du cadre économique réalisé par la Commission pour 2014. Il est en effet difficilement compréhensible que Commission puisse prévoir pour 2014 une hausse du taux de chômage avec un output gap très dégradé et une impulsion budgétaire positive.

Globalement, tous les instituts partagent l’idée que l’output gap de la France est actuellement très creusé, compris en 2013 entre -3,4 points de PIB (pour la CE) et -4,3 (pour l’OCDE) (tableau 1). Tous considèrent donc que le PIB actuel est très éloigné de sa trajectoire de long terme et ce déficit d’activité devrait donc conduire, en dehors de tout choc extérieur et de toute contrainte sur la politique budgétaire et monétaire, à un rattrapage spontané de croissance dans les années à venir. Cela devrait donc se traduire par un taux de croissance du PIB supérieur à celui du potentiel, quelle que soit la valeur de ce dernier. Assez logiquement, si l’impulsion budgétaire est neutre ou positive, la croissance du PIB devrait être donc largement supérieure à son potentiel. Pour le FMI, l’impulsion budgétaire négative (-0,2 point de PIB) est plus que compensée par le rattrapage spontané de l’économie, se traduisant par une légère fermeture de l’output gap (0,2) en 2014. Pour l’OCDE, l’impulsion budgétaire fortement négative (-0,7 point de PIB) ne permet pas de fermeture de l’ouput gap, celui-ci continuant à se creuser (-0,3), mais moins que l’impact négatif de l’impulsion en raison de la dynamique spontanée de rattrapage. Dans les deux cas (OCDE et FMI), cette politique budgétaire restrictive pèse sur la croissance mais permet d’améliorer le solde public en 2014 (0,5 point de PIB pour l’OCDE et 0,3 pour le FMI).

La Commission, quant à elle, intègre dans ses prévisions une impulsion budgétaire positive pour la France pour 2014 (+0,4 point de PIB). Comme nous l’avons vu précédemment, la Commission ne prend en compte que les mesures budgétaires votées ayant un impact en 2014. Or, pour 2014, si aucune nouvelle décision budgétaire n’est prise, les taux de prélèvements obligatoires devraient spontanément diminuer en raison de la baisse entre 2013 et 2014 du rendement de certaines mesures fiscales ou du financement partiel d’autres mesures (comme le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi). Naturellement, cela pourrait se traduire par une impulsion budgétaire positive pour 2014. Mais, malgré cet effet, qui s’apparente à une politique de relance (de faible ampleur), la fermeture de l’output gap est inférieure (0,1 point de PIB) à l’impulsion budgétaire. Cela laisse implicitement penser que la politique budgétaire n’a pas d’effet sur l’activité et surtout qu’il n’y a pas de rattrapage spontané possible pour l’économie française malgré un output gap très dégradé. Mais on ne comprend pas pourquoi. Du coup, le solde public se dégrade en 2014 (-0,3 point de PIB) et le taux de chômage augmente de 0,3 point (ce qui peut paraître paradoxal avec un output gap qui ne se dégrade pas). L’économie française est donc perdante sur tous les tableaux d’après des grands indicateurs macroéconomiques.

Au regard de la croissance potentielle, des output gap et des impulsions budgétaires retenus par la Commission (l’OCDE et le FMI), et en intégrant des hypothèses relativement standards (multiplicateur budgétaire à court terme à 1 et fermeture spontanée de l’output gap en 5 ans), on aurait pu attendre de la Commission une croissance pour la France en 2014 de 2,1 % (1,7 % pour l’OCDE et 1,2 % pour le FMI), et donc une forte baisse du taux de chômage.

Assez paradoxalement, on ne retrouve pas la même logique de la Commission en ce qui concerne la prévision pour l’Allemagne ou la zone euro dans son ensemble (tableau 2). Dans le cas de l’Allemagne, malgré un output gap peu dégradé en 2013 (-1 point de PIB), laissant normalement augurer un faible rattrapage spontané de l’économie allemande en 2014 et une impulsion budgétaire quasiment neutre (0,1 point de PIB), la croissance de l’Allemagne en 2014 serait attendue à 1,8 %, permettant une fermeture de l’output gap de  0,5 point de PIB. Avec pour conséquence une baisse du taux de chômage et une réduction du déficit public en Allemagne pour 2014.

Dans le cas de la zone euro, on retrouve le même scénario : une impulsion budgétaire très légèrement positive (0,2 point de PIB) et une réduction rapide de l’output gap (0,7 point de PIB), ce qui se traduit à la fois par une amélioration des comptes publics malgré une impulsion budgétaire positive et une baisse du taux de chômage (même si on aurait pu s’attendre à une plus forte réduction de ce dernier au regard de l’amélioration de l’output gap).

Au regard de la croissance potentielle, des output gap et des impulsions budgétaires retenus pour chaque pays par la Commission,  la prévision pour 2014 aurait pu conduire à une croissance de 2,1 % pour la France, 1,6 % pour l’Allemagne et 1,3 % pour la zone euro.

Finalement, pourquoi la France, malgré un output gap plus dégradé que l’Allemagne et la zone euro et une impulsion budgétaire positive plus forte, connaît-elle une augmentation de son taux de chômage en 2014 quand les autres pays voient le leur baisser ? Doit-on y voir une difficulté, voire une impossibilité pour la Commission d’inscrire en prévision qu’une politique sans consolidation budgétaire puisse  faire de la croissance et baisser le chômage spontanément en France ?

 




Révision des multiplicateurs et révision des prévisions – du discours aux actes ?

par Bruno Ducoudré

A la suite du FMI et de la Commission européenne (CE), l’OCDE a elle aussi revu très récemment à la baisse sa prévision de croissance du PIB de la zone euro en 2012 (-0,4% contre -0,1% en avril 2012) et en 2013 (-0,1% contre +0,9% en avril 2012). Dans son dernier exercice de prévision, l’OCDE affirme désormais partager avec les autres institutions internationales (FMI[i] et CE[ii]) l’idée que les multiplicateurs sont aujourd’hui élevés en zone euro[iii] : l’austérité budgétaire opérée simultanément dans l’ensemble des pays de la zone alors que la conjoncture est déjà dégradée, combinée à une Banque centrale européenne disposant de très peu de marges de manœuvre pour baisser encore son taux d’intérêt, conduit à augmenter l’impact de la consolidation budgétaire actuelle sur l’activité économique.

Ce revirement de positionnement des trois institutions pose deux questions :

  • quels sont les facteurs principaux conduisant à la révision des prévisions de croissance ? Compte tenu de l’ampleur des politiques d’austérité menées en zone euro, on peut dès lors s’attendre à ce que les révisions de prévision des impulsions budgétaires soient un déterminant majeur des révisions de prévisions de croissance. Ces révisions sont ainsi le premier facteur explicatif des révisions de prévision de croissance de l’OFCE pour la France en 2012.
  • Ce changement de discours se traduit-il concrètement par une révision à la hausse des multiplicateurs utilisés lors des exercices de prévision ? Généralement, ces institutions ne précisent pas la taille des multiplicateurs utilisés en prévision. L’analyse des révisions de prévisions pour la zone euro en 2012 et 2013 peut cependant nous indiquer dans quelle mesure les multiplicateurs ont bien été révisés à la hausse.

Le graphique ci-dessous montre qu’entre la prévision réalisée en avril de l’année N-1 pour la zone euro et la dernière prévision disponible pour l’année N, les trois instituts ont révisé très fortement à la baisse leur prévision de -2,3 points en moyenne pour 2012 et de -0,9 point en moyenne pour 2013.

Dans le même temps, les impulsions budgétaires ont aussi été révisées, de -0,6 point de PIB pour l’OCDE à -0,8 point de PIB pour le FMI pour l’année 2012, et de -0,8 point pour la Commission à +0,2 point pour l’OCDE en 2013, ce qui explique une partie des révisions de croissance pour ces deux années.

Comparativement, pour 2012 l’OFCE est l’institut qui a le moins révisé sa prévision de croissance, mais qui a le plus changé sa prévision d’impulsion budgétaire (-1,7 point de PIB prévu en octobre 2012 contre -0,5 point de PIB prévu en avril 2011, soit une révision de -1,2 point). Par contre pour 2013, la révision de prévision de croissance est similaire pour tous les instituts, mais les révisions d’impulsions sont très différentes. Ces divergences peuvent ainsi provenir pour partie de la révision des multiplicateurs.

Les révisions des prévisions de croissance ğ peuvent être décomposées en plusieurs termes :

  • Une révision de l’impulsion budgétaire IB, notée ΔIB ;
  • Une révision du multiplicateur k, notée Δk, k0 étant le multiplicateur initial et k1 le multiplicateur révisé ;
  • Une révision de la croissance spontanée en zone euro (hors effet de la politique budgétaire), des impulsions budgétaires hors de la zone euro… Δe

La révision de prévision de l’OFCE de -1,5 point pour l’année 2012 intervenue entre avril 2011 et octobre 2012 se décompose ainsi en -1,3 point de révision des impulsions budgétaires, et -0,3 point provenant de la révision à la hausse du multiplicateur (tableau). La somme des effets des autres sources de révision ajoute 0,1 point de croissance en 2012 par rapport à la prévision réalisée en avril 2011. Par contre, pour 2013 la révision s’explique principalement par la hausse de la taille du multiplicateur.

Concernant les institutions internationales, tous ces éléments (taille du multiplicateur, croissance spontanée, …) ne nous sont pas connus, mais les impulsions budgétaires le sont. Il y a alors plusieurs cas polaires permettant d’inférer un intervalle pour les multiplicateurs utilisés en prévision. De plus, si ce sont principalement les révisions d’impulsion budgétaire et les révisions de taille du multiplicateur qui sont la source de la révision des prévisions de croissance, on peut en première approximation faire l’hypothèse Δe = 0. On peut alors calculer le multiplicateur implicite tel que l’ensemble de la révision est attribué à la révision des impulsions budgétaires, et celui tel que la révision se partage entre révision du multiplicateur et révision de l’impulsion.

Attribuer l’ensemble des révisions de prévisions pour 2012 à la révision des impulsions impliquerait des multiplicateurs initiaux très élevés, de l’ordre de 2,5 pour le FMI à 4,3 pour l’OCDE (tableau), ce qui n’est pas cohérent avec l’analyse du FMI (qui évalue le multiplicateur actuel entre 0,9 et 1,7). Par contre l’ordre de grandeur des multiplicateurs inférés pour le FMI (1,4) et la Commission (1,1) pour l’année 2013 paraît plus proche du consensus actuel, si on regarde l’état actuel de la littérature sur la taille des multiplicateurs.

On peut aussi faire l’hypothèse que la Commission, l’OCDE et le FMI se basaient dans le passé récent sur les multiplicateurs issus de modèles DSGE, multiplicateurs qui sont généralement faibles, de l’ordre de 0,5[1]. En retenant cette valeur pour le premier exercice de prévision (avril 2011 pour l’année 2012 et avril 2012 pour l’année 2013), on peut calculer un multiplicateur implicite tel que l’ensemble des révisions se décompose entre la révision de l’impulsion et la révision du multiplicateur. Ce multiplicateur serait alors compris entre 2,8 (OCDE) et 3,6 (CE) pour l’année 2012, tandis qu’il serait compris entre 1,3 (OCDE et FMI) et 2,8 (CE) pour 2013.

 

Les révisions de prévision pour l’année 2012 ne sont pas principalement issues d’une révision conjointe des impulsions budgétaires et de la taille des multiplicateurs. Une part importante des révisions de croissance provient aussi d’une révision à la baisse de la croissance spontanée. Supposons maintenant que les multiplicateurs finaux valent 1,3 (soit la moyenne des bornes de l’intervalle estimé par le FMI) ; la révision de la croissance spontanée en zone euro compte alors pour plus de 50 % de la révision de prévision pour la zone euro en 2012, ce qui traduit un biais d’optimisme commun à la Commission, l’OCDE et le FMI. En comparaison, la révision de croissance spontanée compte pour moins de 10 % dans la révision de prévision de l’OFCE pour l’année 2012.

Par contre, la taille des multiplicateurs inférés à partir des révisions de prévision pour 2013 apparaît en rapport avec l’intervalle calculé par le FMI – de l’ordre de 1,1 pour la Commission, 1,3 pour l’OCDE et 1,3 à 1,4 pour le FMI. Les révisions des prévisions de croissance pour 2013 peuvent dès lors s’expliquer principalement par la révision des impulsions budgétaires prévues et la hausse des multiplicateurs utilisés. En ce sens, la controverse sur la taille des multiplicateurs s’est donc bien traduite par un relèvement de la taille des multiplicateurs utilisés en prévision par les grands instituts internationaux.


[1] Voir par exemple Commission européenne (2012) : « Report on public finances in EMU », European Economy n°2012-4. Plus précisément, le multiplicateur issu du modèle QUEST de la Commission européenne vaut 1 la première année pour un choc permanent portant sur les investissements publics ou les traitements des fonctionnaires, 0,5 pour les autres dépenses publiques, et moins de 0,4 pour les impôts et transferts.


[i] Voir par exemple, à la page 41 des Perspectives Economiques Mondiales du FMI d’octobre 2012 : « The main finding (…) is that the multipliers used in generating growth forecasts have been systematically too low since the start of the Great Recession, by 0.4 to 1.2, depending on the forecast source and the specifics of the estimation approach. Informal evidence suggests that the multipliers implicitly used to generate these forecasts are about 0.5. So actual multipliers may be higher, in the range of 0.9 to 1.7. »

[ii] Voir par exemple, à la page 115 du Rapport sur les Finances Publiques en UEM de la Commission Européenne : « In addition, there is a growing understanding that fiscal multipliers are non-linear and become larger in crisis periods because of the increase in aggregate uncertainty about aggregate demand and credit conditions, which therefore cannot be insured by any economic agent, of the presence of slack in the economy, of the larger share of consumers that are liquidity constrained, and of the more accommodative stance of monetary policy. Recent empirical works on US, Italy Germany and France confirm this finding. It is thus reasonable to assume that in the present juncture, with most of the developed economies undergoing consolidations, and in the presence of tensions in the financial markets and high uncertainty, the multipliers for composition-balanced permanent consolidations are higher than normal. »

[iii] Voir par exemple, à la page 20 des Perspectives Economiques de l’OCDE de novembre 2012 : « The size of the drag reflects the spillovers that arise from simultaneous consolidation in many countries, especially in the euro area, increasing standard fiscal multipliers by around a third according to model simulations, and the limited scope for monetary policy to react, possibly increasing the multipliers by an additional one-third. »

 




Pourquoi la croissance française est-elle révisée à la baisse ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Dans ses prévisions d’octobre 2012, l’OFCE a révisé ses prévisions de croissance pour 2012 et 2013. De la même façon, les grands instituts internationaux, l’OCDE, le FMI et la Commission européenne, révisent régulièrement leurs prévisions de croissance pour intégrer l’information nouvellement disponible. L’analyse de ces révisions de prévisions est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle révèle l’utilisation par ces institutions de multiplicateurs budgétaires faibles lors de l’élaboration des prévisions. Dit autrement, l’impact récessif des politiques budgétaires serait sous-estimé par l’OCDE, le FMI et la Commission européenne, conduisant à des révisions importantes des prévisions de croissance, comme en attestent les revirements spectaculaires du FMI et de la Commission européenne sur la taille des multiplicateurs.

Le graphique 1 montre ainsi qu’entre la prévision réalisée en avril 2011 et la dernière prévision disponible, le gouvernement, comme l’ensemble des instituts, ont révisé très fortement à la baisse leur prévision de croissance pour la France.

C’est que dans le même temps les politiques d’austérité ont été renforcées, particulièrement en zone euro. Les pays européens se sont en effet engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques équilibrées. Contrairement aux années précédant la crise, le respect de ces engagements est considéré comme la condition nécessaire, voire suffisante, à la sortie de crise. Par ailleurs, dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par les marchés (hausse des taux souverains, dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains). Mais en tentant de réduire leurs déficits brutalement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens induisent de nouveaux ralentissements de l’activité.

Un cercle vicieux s’installe : à chaque révision à la baisse de leurs prévisions de croissance pour 2012, les gouvernements européens mettent en place de nouveaux plans d’austérité pour tenir leurs engagements de déficit public. Cela a été le cas en France, mais surtout en Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et en Espagne qui est désormais engagée dans la plus forte cure d’austérité des grands pays européens.

Selon nos évaluations (c’est-à-dire en utilisant un multiplicateur de 1), pour l’économie française, la succession de plans d’économie budgétaire au niveau national a conduit à une révision de -1,1 point de la croissance entre avril 2011 et octobre 2012 (passage d’un impact de -0,5 à -1,6 point de PIB). Au cours de la même période, ce mécanisme étant à l’œuvre chez nos partenaires commerciaux, cela a induit une révision de 0,9 point à la croissance française via le commerce extérieur (passage de -0,5 à -1,4 point de PIB) (graphique 2).

Au total, pour l’année 2012, les révisions de l’OFCE pour l’économie française s’expliquent par la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 12 derniers mois, qu’elle soit nationale ou appliquée chez nos pays partenaires (tableau 1).

En dehors de cette surenchère d’austérité, notre diagnostic sur l’économie française n’a que très peu évolué au cours des 18 derniers mois : sans elle, nous aurions même revu légèrement à la hausse notre prévision de croissance (0,4 %).




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




Les mesures d’austérité dans la zone euro ralentissent l’économie européenne

Rapport de l’IMK-OFCE-WIFO, 29 mars 2012 (Contact à l’OFCE : Catherine Mathieu) 

Version courte du Communiqué de Presse diffusé par l’IMK, le 29 mars 2012. Le texte original est consultable sur : http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71_2012.pdf; et en version anglaise sur http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71e_2012.pdf

L’Institut de macroéconomie et de conjoncture (IMK) à la fondation Hans-Böckler, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’Institut autrichien de recherche économique (WIFO) ont publié jeudi 29 mars un Rapport soulignant que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine.

Le rapport comprend une prévision de court terme centrée sur l’économie allemande, une prévision de moyen terme et des analyses de politique économique portant sur les économies européennes. L’exercice de prévision commune réalisé par les Instituts dans le cadre de ce projet est par principe indépendant des propres prévisions menées par chaque Institut. Cependant, les analyses réalisées, le diagnostic et les conclusions de politique économique sont largement les mêmes, comme l’on peut le constater à la lecture des dernières prévisions de l’OFCE.

Ainsi, les trois instituts soulignent que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine. En 2012, l’Allemagne connaitra une stagnation économique. Le PIB n’augmentera que de 0,3 %. En 2013, la situation ne s’améliorerait que légèrement – le PIB devrait croître de 0,7 %. La France, le partenaire commercial le plus important de l’Allemagne, atteindra seulement des taux de croissance de 0,2 % en 2012 et de 0,7 % en 2013. En raison d’une croissance négative dans les pays d’Europe du Sud et même aux Pays-Bas et en Belgique, la zone euro dans son ensemble connaîtrait une récession prolongée : le PIB de la zone euro baisserait de 0,8 % en 2012 ; puis de 0,5 % en 2013.

La baisse de la demande en provenance des pays voisins ralentit à la fois les exportations et les investissements allemands. En outre, la dynamique économique mondiale diminue également : dans de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, les taux de croissance ralentissent sensiblement. En 2012, la consommation relativement soutenue sera donc le seul moteur de l’économie allemande. La faiblesse de la croissance mettra aussi fin à la forte reprise du marché de travail mais sans retournement : en 2012, le taux de chômage diminuera à nouveau légèrement. En 2013, l’emploi et le chômage resteront stables.

Par rapport à la prévision de l’IMK de décembre 2011, les chercheurs du réseau ont légèrement revu à la hausse les prévisions de la croissance du PIB allemand en 2012 de 0,4 point.

Selon Gustav A. Horn, le directeur scientifique de l’IMK : « L’idée que l’Allemagne pourrait réorienter ses exportations de la zone euro vers l’extérieur de la zone est une illusion. Les pays de la zone resteront nos partenaires commerciaux principaux. La politique d’austérité excessive d’un bon nombre de ces pays – imposée par le pacte budgétaire à la quasi-totalité de l’UE – nous frappera durement. Bien sûr, les pays de la zone euro en crise doivent réduire leurs déficits. Mais une politique d’austérité généralisée de tous les pays européens va étouffer la croissance et mettre ainsi en question l’amélioration des finances publiques elle-même. Pour trouver une issue à la crise, la stratégie économique de l’Europe doit comporter une politique globalement expansionniste. Toute autre politique déstabiliserait les marchés financiers plutôt qu’elle ne les calmerait ».

Attention à un changement de la politique de la BCE

Cependant, l’IMK, l’OFCE et WIFO ne prévoient pas d’aggravation de la crise de la dette dans la zone euro. Ils estiment que la BCE poursuivra sa stratégie jusqu’à présent efficace : fournir des liquidités à des conditions favorables aux banques et d’acheter des obligations publiques sur les marchés secondaires pour faire baisser les taux d’intérêt. Les chercheurs mettent explicitement en garde contre un changement de cap : « Dans le contexte de la crise, les récentes tentatives pour empêcher la BCE de poursuivre une fourniture abondante de liquidités sont très dangereuses. »

Perte de croissance du fait des politiques budgétaires restrictives

Les instituts du Réseau ont calculé les conséquences des mesures d’austérité dans leurs projections de moyen terme. Entre 2010 et 2013, les pays de la zone euro effectueront des impulsions budgétaires négatives représentant, au total, de 6,7 points du PIB de la zone. Dans les pays en crise comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, ces impulsions sont encore plus fortes, allant de 12 à 24 points de PIB. Elles provoqueront des pertes de croissance cumulées allant de 10 % du PIB en Irlande à 25,3 % en Grèce : « c’est un effondrement total de l’économie grecque, » écrivent les chercheurs.

La croissance ralentira aussi en Italie, en France et même aux Pays-Bas en raison des fortes impulsions négatives allant de 5 à 9 points de PIB cumulées entre 2010 et 2013. Les pertes de croissance induites entre 2010 et 2013 sont de 4,6 % aux Pays-Bas, de 8 % en France et de  9,6 % en Italie. Par contre, l’impulsion budgétaire négative de 1,5 % en Allemagne est relativement faible. Mais en raison des liens économiques étroits avec les pays en crise, la croissance allemande de la période 2010-2013 subira une baisse de 2,7 % par rapport à un scénario sans austérité.  Dans les pays en crise, les pertes de croissance réduisent fortement les efforts de réduction des déficits publics du fait des baisses de recettes fiscales et de l’augmentation de certaines dépenses, comme celles d’indemnisation du chômage. Dans l’ensemble, « la politique d’austérité généralisée mise en œuvre dans le cadre du pacte budgétaire élargira le fossé au sein de la zone euro entre d’un côté les pays du Sud de l’Europe et de l’autre l’Allemagne et les autres pays d’Europe centrale et du Nord. Par cette politique, la crise ne sera pas résolue mais aggravée », avertissent les instituts.

Les chercheurs ont aussi étudié des stratégies alternatives sans austérité budgétaire. Ainsi ont-ils simulé les effets d’une stratégie de bas taux d’intérêt. Le scénario est basé sur l’hypothèse que les taux d’intérêt à 10 ans pour le financement des états membres de la zone euro pourraient être fixés à 2%, par une garantie collective des dettes publiques soutenue par la BCE. Cela rendrait possible d’abandonner les conditions contraignantes imposées par le pacte budgétaire. Dans ce scénario, la croissance économique serait nettement plus forte – de 0,8 point par an en moyenne entre 2012 et 2016 à l’échelle de la zone euro – et le chômage plus faible que dans le scénario acceptant les contraintes du Pacte budgétaire. Certes, les déficits publics resteraient plus forts, mais, en raison de la plus forte croissance, les ratios de dettes publiques seraient plus bas.




Des vertes et des pas mûres : quand les économistes sont pris pour des pommes

Informations complémentaires au communiqué de presse de l’OFCE du 24 janvier 2012 relatif à l’évaluation des projets des candidats à l’élection présidentielle.

par Paul Malliet, Frédéric Reynès, Yasser Y. Tamsamani et Xavier Timbeau

Un « exercice inédit » : c’est ainsi que le site de campagne d’Eva Joly[1] présente un travail d’analyse fait à propos de son projet de budget 2012. Cet exercice est inédit en particulier en ce qu’il attribue à 3 économistes de l’OFCE un travail qu’ils n’ont pas réalisé !

Comme il en est de signer un travail qui n’est pas le sien, voir apposer sa signature sur un travail auquel on n’a pas participé constitue une violation de la déontologie scientifique la plus élémentaire. Paul Malliet, Frédéric Reynès et Yasser Y. Tamsamani déclarent qu’ils n’ont ni participé, ni signé, ni contribué directement ou indirectement au travail d’évaluation proposé par Europe Ecologie Les Verts. Ce travail est la responsabilité pleine et entière de Gaël Callonnec et n’engage que lui.

La présentation erronée et l’attribution indue de ce travail conduit à penser que l’OFCE, en tant qu’institution, apporte une quelconque validation à ce travail. Il n’en est rien, pour la simple et bonne raison que pour valider un travail, il faut en avoir eu connaissance (ce qui n’est pas le cas de cette évaluation), qu’il y ait eu matière à validation et qu’une discussion critique ait été conduite, ce qui n’est pas le cas non plus.

Cette étude indique avoir mobilisé un « modèle économique de l’OFCE » pour conduire son évaluation. Un tel modèle existe : l’OFCE a développé en collaboration avec l’ADEME un modèle macroéconométrique, Threeme, destiné aux évaluations de politique économique en particulier lorsqu’elles ont une dimension environnementale. Intégrer les contraintes environnementales est une préoccupation fondamentale, que nous partageons probablement avec bien des membres d’EELV, pour laquelle il nous a paru important de développer des outils et des méthodes. Le modèle est décrit dans un document de travail de l’OFCE, et a été utilisé pour des évaluations de politique économique (voir par exemple ici, dans le numéro 120 de la revue de l’OFCE consacré à la problématique du développement soutenable). Gaël Callonnec est un des auteurs de ce modèle, mais les autres auteurs de ce modèle (MM. Malliet, Reynès et Tamsamani) ne cautionnent pas nécessairement tous les travaux réalisés à partir de ce modèle, simplement parce qu’ils découlent de son utilisation.

La raison en est que l’utilisation d’un modèle ne garantit pas la justesse des évaluations. Evaluer une proposition de politique économique, c’est d’abord choisir comment intégrer telle mesure dans le cadre restrictif et quantifié d’un modèle. Ce choix est laborieux et, suivant que l’on insiste sur un mécanisme, que l’on omet un comportement, que l’on privilégie un scénario, le résultat final peut varier. Pour lever les indéterminations, pour traquer les erreurs, contourner les idées préconçues et débusquer les a priori du modélisateur, il est nécessaire de confronter l’analyse à d’autres, dans un long processus itératif. Il faut discuter et échanger sur les hypothèses hors modèle et dans le modèle. La validation passe par ces étapes. Rien ne nous indique que l’évaluation de l’étude en question ne soit passée à travers ces filtres et nous ne pouvons donc en rien apporter une caution à ce travail. Apposer le label « OFCE » sur cette étude supposerait que nous ayons pu participer à cette validation. Il n’en est rien.

Mais au-delà de la validation, il nous faut admettre que la méthode économique n’a pas la capacité aujourd’hui d’apporter des certitudes chiffrées sur des sujets pourtant importants pour notre avenir. A cela, on ne peut opposer que la transparence sur les éléments qui alimentent les modèles ou les hypothèses qui les sous tendent. On ne peut répondre à cette incertitude que par des demi-conclusions, des scénarios possibles. C’est une des raisons pour lesquelles l’OFCE a déjà exprimé des réticences à se poser en arbitre des programmes des candidats aux élections (voir ici). Nous croyons en revanche que la discussion des effets, leur quantification et des options de modélisation permettent de faire avancer les débats sur les choix de politiques économiques.

L’évaluation est donc peu propice aux coups médiatiques et aux effets d’annonce spectaculaires. Nous sommes pourtant attachés à ce lent processus scientifique.


[1] Le document indûment attribué peut être consulté ici. Il avait été mis en ligne sur le site de campagne de Eva Joly, et y figurait encore vendredi 27 janvier 2012, à 17h.  Ensuite, il  a été modifié.