Gouvernance des finances publiques: du Pacte budgétaire à la loi organique

par Henri Sterdyniak

Ainsi, le gouvernement français a fait voter par le Parlement une « loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques », traduction dans le droit français du Pacte budgétaire (le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), que la France s’était engagée à ratifier. Cette loi qui peut être appréciée de deux points de vue, celui de la conformité au Traité ou celui de sa pertinence propre, va-t-elle améliorer la politique budgétaire française ?

En fait, comme le Conseil constitutionnel lui en avait ouvert la possibilité, le gouvernement a choisi une prise en compte a minima du Traité, puisque la nouvelle procédure budgétaire n’est pas intégrée dans la Constitution. Nous le verrons, le Traité prévoit certaines procédures automatiques contraignantes, que le loi organique tempère ou n’évoque pas.

La loi organique comporte trois chapitres, concernant respectivement la loi de programmation des finances publiques, le Haut Conseil des finances publiques et le mécanisme de correction.

La loi de programmation

L’article 1 de la loi organique stipule : « Dans le respect de l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques énoncé à l’article 34 de la Constitution, la loi de programmation des finances publiques fixe l’objectif à moyen terme des administrations publiques mentionné à l’article 3 du TSCG ».

L’article 34 de la Constitution, adopté le 31 juillet 2008, ne fixait qu’un objectif de moyen terme non contraignant. Il n’a guère eu d’influence sur la politique budgétaire suivie depuis. En période de crise, les orientations pluriannuelles perdent vite toute influence. Ce fut le cas, par exemple, en 2009. Le déficit de 2009, qui devait être de 0,9% du PIB selon la loi de programmation quadriennal de janvier 2008, de 3,9% du PIB selon celle de janvier 2009, fut finalement de 7,5%. Faut-il renoncer à cette souplesse ?

Par ailleurs, comment la loi de programmation peut-elle « fixer l’objectif » alors que cet objectif découle de l’article 3 du Traité, qui dit clairement que l’objectif doit être un déficit structurel inférieur à 0,5 % du PIB et que la trajectoire d’ajustement permettant une convergence rapide vers l’équilibre sera proposée par la Commission européenne ?

L’ambiguïté de cet article ne vise-t-elle pas à concilier l’inconciliable : la souveraineté du Parlement en matière budgétaire et l’engagement de la France à respecter les consignes de la Commission ?

L’article 1 de la loi organique continue : « La loi de programmation détermine la trajectoire des soldes structurels et effectifs annuels successifs… Le solde structurel est le solde corrigé des variations conjoncturelles et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires ». L’article 3 précise que la période couverte est d’au moins trois ans.

Ainsi, la loi ne tient aucun compte de l’expérience du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) : il est impossible de fixer la trajectoire des finances publiques, en termes structurel et effectif, pour une durée de trois ans. En janvier 2008, la France s’était ainsi engagée à avoir un solde équilibré en 2012. Elle en sera loin. Faut-il prendre des engagements impossibles à tenir ?

Impossible pour deux raisons. D’une part, les fluctuations économiques imprévisibles rendent nécessaire d’adapter en permanence la politique économique. En cas de crise profonde, comme depuis 2009, il faut à la fois laisser jouer les stabilisateurs économiques et prendre des mesures discrétionnaires (qui creusent le déficit dit structurel). S’il est pris au sérieux, le Traité interdit toute politique de soutien de l’activité en période de chute de l’activité. A l’automne 2008, la France avait, selon la Commission, un déficit structurel de 3,2 % du PIB. Si le Traité avait été en vigueur, elle aurait dû le réduire rapidement, passer à 2,5 % en 2009. En fait, la France est passée à un déficit dit structurel de 6 % du PIB, selon l’évaluation de la Commission. Soit 3,5 points de plus. Le gouvernement a-t-il eu tort de soutenir l’activité, de venir au secours des banques ? Aurait-il dû se lancer dans une politique fortement restrictive pour compenser la chute des recettes fiscales ?

Certes, le texte est ambigu. D’une part, il est indiqué que le déficit structurel ne tient pas compte des mesures « ponctuelles et temporaires ». L’aide aux banques est sans doute une mesure ponctuelle, mais aussi, pourquoi pas, l’ensemble des mesures de relance de 2009 ou, en sens inverse, la tranche de l’IR à 75 %, prévue pour 2 ans ? Qui en décidera ? D’autre part, le Traité reconnaît qu’un pays peut s’écarter de son objectif ou de sa trajectoire d’ajustement en cas de « circonstances exceptionnelles », qui, depuis la révision du PSC, peuvent être interprétées comme une croissance négative ou un écart de production important. Mais, la Commission se refuse à reconnaître que la plupart des pays de la zone euro sont dans ce cas de figure depuis 2009 et persiste à vouloir leur imposer des politiques de réduction rapide de leur déficit.

D’autre part, un Etat n’a aucune raison économique de se fixer une norme d’équilibre des finances publiques. Selon la vraie « règle d’or des finances publiques », celle qui a été énoncée par l’économiste Paul Leroy-Baulieu  à la fin du XIXe siècle, il est légitime de financer par l’endettement les investissements publics. Dans le cas de la France, un déficit structurel de l’ordre de 2,4 % du PIB est légitime.

Comme le Traité, l’article 1 de la loi organique fait référence au solde structurel, celui que la France connaîtrait si elle était à sa production potentielle, la production maximale compatible avec la stabilité de l’inflation. Mais la mesure de cette production potentielle, qui n’est pas observable, est un sujet de discussions entre les économistes. Les diverses méthodes aboutissent à des résultats divergents, soumis à de forte révisions. Le déficit structurel français en 2012 serait de 3,6 % selon le gouvernement français ; de 3 % selon la Commission, de 2,8 % selon l’OCDE ; de 0,5 % selon nous, puisque la crise nous a fait perdre 8 % de PIB par rapport à notre croissance tendancielle. Le Traité impose que c’est la méthode de la Commission qui sera utilisée. Est-ce scientifiquement légitime ? La France pourra-t-elle remettre en cause cette évaluation ?

L’article 5 précise que les hypothèses de croissance potentielle devront être présentées dans un rapport annexe, mais la définition de la croissance potentielle est encore plus contestable que celle de la production potentielle. Par exemple, le dernier projet de loi de finances retient, pour la France, une croissance potentielle de 1,5 % l’an d’ici 2017, en renonçant donc à tout jamais à combler les 8 points d’activité perdus du fait de la crise.

La loi organique oublie l’article 4 du Traité (qui oblige un pays ayant une dette supérieure à 60 % du PIB à réduire l’écart d’un vingtième par an). Elle oublie l’article 5 qui précise qu’un pays soumis à une Procédure de Déficit Excessif (PDE) est mis sous tutelle, doit soumettre au Conseil et à la Commission des plans budgétaires annuels ainsi que la liste des réformes structurelles qu’il mettra en œuvre pour une correction durable de son déficit. C’est cet article qui oblige la France, comme beaucoup de pays de l’UE, à tout faire pour atteindre les 3 % de déficit en 2013, quelle que soit l’évolution économique, puisque, en cas de PDE, la contrainte porte sur le solde effectif et non sur le solde structurel. Elle oublie l’article 7 qui précise que, dans ce cadre, les décisions de la Commission s’imposent (les pays membres ne pouvant s’y opposer qu’à la majorité qualifiée, le pays concerné ne votant pas).

La loi de programmation portera sur une période de quatre à cinq ans, mais sera revotée chaque année, de sorte que la contrainte ainsi introduite pourra être tournée par le vote d’une nouvelle loi de programmation, comme c’est le cas en France, depuis que le PSC existe. Ainsi, la loi de programmation n’introduit pas, en elle-même, de contrainte supplémentaire à celle qu’imposent déjà les textes européens.

Le Haut conseil des finances publiques

La loi organique met en place un Haut Conseil des finances publiques qui donnera son avis sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes au Projet de Loi de Finances, au Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale, aux Projets de Loi de Finances rectificatives, au Programme de stabilité que la France doit fournir aux instances européennes, à la Loi de programmation. Il évaluera le respect des engagements européens de la France ; il vérifiera que le PLF est conforme à la trajectoire annoncée dans la loi de programmation. Il donnera son avis sur l’évocation de « circonstances exceptionnelles ».

Présidé par le Président de la Cour des comptes, le Haut conseil comprendrait quatre magistrats de la Cour des comptes et quatre membres désignés en raison de leur compétence en matière de finances publiques par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et des deux commissions des finances. Cette prédominance de la Cour des comptes est problématique. Les magistrats de la Cour des comptes ne sont pas a priori des experts en macroéconomie ; ils sont souvent, par fonction, plus attachés à l’équilibre des finances publiques qu’à la croissance et à l’emploi. Les derniers rapports de la Cour des comptes sous-estiment par exemple l’écart de production, soutiennent la thèse que le multiplicateur de dépenses publiques est proche de zéro, qu’il vaut mieux réduire les dépenses publiques qu’augmenter les impôts. On aimerait être certain que la composition, les travaux et les rapports du Haut conseil refléteront la diversité d’opinions qui existe en matière de politique budgétaire.

Plus fondamentalement, on peut se demander si ce Haut conseil aura une marge d’appréciation. Aura-t-il le droit de considérer que la trajectoire d’ajustement est trop restrictive, que l’objectif de moyen terme n’est pas réaliste ? Quelle sera la stratégie préconisée par ce Haut conseil en cas de ralentissement de l’activité : une politique expansionniste pour soutenir la croissance ou une politique restrictive pour restaurer les finances publiques ?

Supposons par exemple que le gouvernement présente pour 2013 un budget basé sur une croissance de 1,2 % aboutissant à un déficit de 3 %. Le Haut conseil considère que la croissance ne sera que de 0,6 %, ce qui provoquera une baisse de rentrées fiscales, donc un déficit de 3,3 %. Préconisera-t-il de tout faire pour aboutir à un déficit de 3 % ? En supposant que le multiplicateur est de 1, il faudra trouver 12 milliards de hausses d’impôts (ou de baisses de dépenses), soit 0,6 % du PIB, pour ex post avoir un déficit de 3 %, mais une croissance nulle. Ainsi, le risque est grand d’aboutir à des politiques pro-cycliques. Il sera certes atténué quand la France ne sera plus soumise à une PDE car le Haut conseil pourra raisonner en termes de déficit structurel, mais il persistera car tout dépendra alors de l’évaluation du déficit structurel.

Se pose enfin la question : quelle sera la légitimité de ce Haut conseil ? Le choix de la politique budgétaire doit être soumis à des procédures démocratiques. L’appréciation de la politique économique fait parti du débat scientifique et démocratique. Doit-elle être confiée à un Haut conseil, majoritairement composé de magistrats plutôt que d’économistes d’une part, aux représentants de la Nation de l’autre ?

Certes le Haut conseil ne fera que donner des avis, que ni le gouvernement, ni le parlement ne seront obligés de suivre, mais le risque est grand que ces avis influencent les marchés financiers et la Commission et que le gouvernement ne puisse s’en écarter sans risque.

Le mécanisme de correction

Pour garantir que les pays suivront bien la trajectoire d’ajustement, le Traité impose aux pays de prévoir un mécanisme de correction automatique si des écarts sont constatés par rapport à cette trajectoire. Dans l’esprit des négociateurs des pays du Nord et des membres de la Commission, ce mécanisme devrait stipuler que si un écart de 1 % du PIB apparaît l’année N, la Constitution prévoit que, automatiquement, tel impôt (la TVA par exemple) est relevé de 0,5 point de PIB tandis que telles dépenses (les prestations sociales par exemple) sont diminuées de 0,5 point de PIB.

En fait, le chapitre 3 de la loi organique française prévoit que le Haut conseil signale un tel écart, que le gouvernement expose les raisons de cet écart et qu’il en tienne compte dans l’élaboration du prochain PLF. Les droits du Parlement sont respectés, mais l’automaticité n’est heureusement pas assurée.

Conclusion

Dans l’esprit de ses initiateurs, le Traité budgétaire doit mettre fin à la possibilité de politiques budgétaires nationales autonomes. Les politiques budgétaires doivent devenir automatiques. L’objectif de la politique budgétaire doit être l’équilibre budgétaire, comme celui de la politique monétaire doit être la lutte contre l’inflation, la croissance et l’emploi devant être recherchés par des réformes structurelles libérales.

La loi organique apparaît comme un compromis ambigu. La France ratifie le Traité, mais ne le met en œuvre qu’avec réticence. Il ya fort à parier que, comme le Pacte de stabilité, les tensions seront vives dans la zone euro entre les rigoristes qui demanderont une application stricte du Traité et ceux qui ne voudront pas lui sacrifier la croissance.

 




Conseil européen : wait and sink ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

Le Conseil européen de cette fin de semaine devait être consacré, selon les souhaits des autorités françaises, à la renégociation du Pacte budgétaire européen adopté le 2 mars 2012. Cependant, il semblerait qu’une telle renégociation ne soit pas à l’ordre du jour. Las, le débat sur le Pacte budgétaire devrait être rouvert : la médiocrité de sa rédaction doit être dénoncée, et son caractère par trop restrictif doit être à nouveau débattu ; in fine, le texte doit être amendé. La focalisation des débats sur la règle de déficit structurel qualifiée injustement de « règle d’or » est déplacée dans la mesure où c’est la règle de réduction de la dette publique qui est la plus contraignante des deux règles inscrites dans le Pacte budgétaire. C’est sans doute d’elle qu’il faudrait reparler, et en urgence, afin d’éviter de sombrer un peu plus dans une contagion de plans d’austérité voués à l’échec…

L’opposition entre français et italiens d’un côté, et allemands de l’autre, à propos de la croissance européenne a sans doute été désamorcée par l’accord de la fin de semaine dernière, avec l’Espagne, en faveur d’un plan de relance européen concerté portant sur 1 % du PIB européen, soit 130 milliards d’euros, dont les contours et le financement restent cependant à préciser. Le mot d’ordre du Conseil européen sera alors, par élimination, « l’union bancaire », solution préventive à un nouvel épisode de crises bancaire et financière dans l’Union européenne. La création d’une union bancaire est-elle importante ? Certainement. Est-elle urgente ? Moins que le retour de la croissance qui, certes, ne se décrète pas, mais se prépare. En l’état actuel du Pacte budgétaire, on peut affirmer que ce n’est pas la croissance économique que l’on prépare, mais la récession que l’on fomente[1].

Le pacte budgétaire, inscrit au titre III du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM, comporte explicitement deux règles budgétaires. La première précise ce en quoi consiste une « position budgétaire à l’équilibre ou en surplus », expression depuis longtemps inscrite dans le Pacte de stabilité et de croissance. Selon le Pacte budgétaire de mars 2012, cette « position budgétaire à l’équilibre ou en surplus » consiste en un déficit structurel d’au plus 0,5 % du PIB. Le déficit structurel est le déficit public corrigé des variations cycliques, donc corrigé des fameux stabilisateurs automatiques; il inclut entre autres les charges d’intérêt. En cas de dépassement de ce déficit structurel, et en dehors de circonstances exceptionnelles, e.g. un retournement « important » de l’activité, un mécanisme correcteur automatique, dont la nature n’est pas précisée, doit le ramener en deçà de la limite. La règle de déficit structurel est assouplie pour les Etats membres dont la dette publique est inférieure à 60 % du PIB : le plafond de déficit structurel est porté à 1 % du PIB.

La seconde règle budgétaire s’impose aussi aux Etats membres de la zone euro dont la dette publique au sens de Maastricht est supérieure à 60 % du PIB. En 2012, cette règle s’impose à 12 pays parmi les 17 Etats membres de la zone euro. Cette seconde règle vise à réduire la dette publique d’un vingtième par an. Malheureusement, le texte adopté est mal rédigé et ouvre la voie à différentes interprétations, comme nous le montrons ci-dessous. Il est donc inapplicable. Pire, cette règle est la plus contraignante et la plus restrictive des deux règles du Pacte budgétaire, en l’état actuel de la conjoncture. Il est donc urgent de s’en soucier et de la modifier pour la rendre applicable.

Selon l’article 4 du Traité, « (l)orsque le rapport entre la dette publique et le PIB d’une partie contractante est supérieur à la valeur de référence de 60 % (…), ladite partie contractante le réduit à un rythme moyen d’un vingtième par an. » Problème : le « le » auquel nous avons rajouté les italiques semble se rapporter au ratio de dette publique, plutôt qu’à l’écart de la dette publique aux 60 % de référence. L’Allemagne, avec sa dette publique d’un peu plus de 80 % du PIB en 2011, doit-elle réduire sa dette en 2012 de 4 points de PIB (un vingtième de 80 % du PIB) ou de 1 point de PIB (un vingtième de l’écart à 60 % du PIB) ? Légalement, il est sans doute requis qu’à une telle question, la réponse soit limpide…

Par ailleurs, le Pacte budgétaire est muet sur la nature du surplus permettant de réduire la dette : si, pour laisser des marges de manœuvre en cas de déficit conjoncturel, cette règle devait porter sur le déficit structurel – ce qui mériterait donc d’être explicité dans le Pacte -, la règle de dette serait toujours plus contraignante que la règle d’or : un surplus structurel serait systématiquement requis pour ramener la dette publique à 60% du PIB dans les 12 Etats membres dont la dette a dépassé la valeur de référence. Là encore, la formulation se devrait d’être limpide.

Admettons maintenant que le « le » de l’article 4 soit associé à l’écart de la dette à sa cible de référence et que la règle de réduction de la dette porte sur le déficit public total. On peut se poser la question de savoir laquelle des deux règles – « règle d’or » ou règle de réduction de la dette – est la plus contraignante pour les Etats membres, donc celle à appliquer. Nous avons posé, en annexe à ces développements[2], le petit système de règles budgétaires compatible avec le Pacte budgétaire. Le déficit total est la somme du déficit conjoncturel et du déficit structurel. Le déficit conjoncturel dépend de l’écart du PIB à son potentiel, l’output gap, avec une élasticité de 0,5 (élasticité moyenne usuelle dans la littérature pour les pays européens, cf. OCDE). La « règle d’or » porte uniquement sur le déficit structurel tandis que la règle de réduction de la dette porte sur le déficit public total et dépend donc, à la fois, de l’output gap et du déficit structurel.

Pour quelles valeurs de dette publique et d’output gap la « règle d’or » est-elle plus contraignante que la règle de dette ? Réponse : lorsque l’output gap est supérieur à 1 plus 1/10 de l’écart de la dette initiale à sa valeur de référence. Cela signifie que pour un pays comme l’Allemagne, la règle de réduction de la dette dominerait la « règle d’or », sauf en cas de croissance très forte : le PIB effectif devrait être au moins deux points supérieurs au potentiel. Selon les perspectives économiques de l’OCDE publiées en mai 2012, l’output gap de l’Allemagne serait de -0,8 en 2012… La règle de réduction de la dette est donc bien plus restrictive que la « règle d’or ». Elle l’est aussi pour la France (dette de 86% du PIB en 2011), qui devrait avoir un output gap d’au moins 3,6 points pour que la « règle d’or » soit contraignante ; l’OCDE prévoit un output gap de -3,3 en 2012… Elle l’est pour tous les pays de la zone euro avec une dette supérieure à 60 % du PIB, sans exception.

Aussi, sauf en cas de très forte croissance, le volet réduction de la dette domine le volet déficit structurel. Et pourtant c’est sur le deuxième que se concentre toute l’attention…

Lorsqu’un traité laisse ouvertes autant de voies à l’interprétation, n’est-il pas normal de vouloir le revoir ? Lorsqu’un traité prévoit d’intensifier les cures d’austérité dans une zone, la zone euro, dont l’écart de production à son potentiel est de -4 points, selon les estimations d’une organisation, l’OCDE, généralement peu suspectée de surestimer ledit potentiel, n’est-il pas souhaitable et urgent de le renégocier ?


[1] Dans un post récent étaient soulignés les risques d’instabilité sociale et les pertes de croissance potentielle que la contagion de l’austérité impliquait dans la zone euro (cf. Creel, Timbeau et Weil, 2012).

[2] Annexe :

Nous commençons par définir avec def le déficit public total qui comporte une composante structurelle s, et une composante cyclique dc:

def = s + dc

Toutes les variables sont exprimées en proportion du PIB. La composante cyclique est constituée de la variation du déficit qui intervient, grâce principalement à l’action des stabilisateurs automatiques, quand l’économie s’éloigne de son potentiel. Une estimation raisonnable est que le déficit augmente de 0,5 point par point d’output perdu. La composante cyclique peut donc être écrite:

dc = – 0,5 y

où nous définissons y comme l’output gap, i.e. la différence entre le PIB et son niveau potentiel.

Les règles introduites par le pacte budgétaire peuvent être écrites comme suit:

s1 < 0,5,

c’est-à-dire que le déficit structurel ne peut jamais dépasser 0,5 % du PIB (s1 fait référence au premier volet de la règle), et

def = – (b0 – 60)/20,

c’est-à-dire que le déficit total doit être tel que la dette publique (exprimée en proportion du PIB) se réduit chaque année d’un vingtième de la différence entre la dette publique initiale (b0) et le niveau de référence de 60 %. La règle de la dette peut être réécrite en termes de déficit structurel, soit :

s2 = def – dc = 0,5 y – (b0 – 60)/20.

Nous avons alors 2 cas possibles pour que le volet déficit structurel soit moins restrictif que le volet réduction de la dette :

Cas 1

s1 < s2 si y >1 + (b0 – 60)/10.

Supposons qu’on démarre d’un niveau de dette comme celui de l’Allemagne (b0 = 81,2 % du PIB). Le cas 1 implique que le volet déficit structurel sera plus contraignant que le volet réduction de la dette si et seulement si y > 3,12 %, c’est à dire si l’Allemagne a un écart de production par rapport au potentiel de plus de trois points.  Le même calcul, pour un pays à  dette élevée (120 % du PIB) comme l’Italie, donne y > 7 % !

Cas 2

Si la règle de réduction de la dette porte sur le déficit structurel (plutôt que sur le déficit public total), on a :

s1 < 0,5

et

s2 = – (b0 – 60)/20

Dans ce cas, s1 < s2 si 1 < – (b0 – 60)/10, ce qui ne peut jamais arriver tant que la dette publique est supérieure au niveau de référence.