Une inflation faible pour longtemps ?

Par Thomas Hasenzagl, Filippo Pellegrino, Lucrezia Reichlin et Giovanni Ricco

L’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels confirme le point de vue de la BCE selon lequel l’inflation dans la zone euro se redressera et sera de nouveau dans la fourchette cible de la banque centrale en 2019. Ce billet discute et conteste ce diagnostic. En utilisant un modèle qui formalise l’idée selon laquelle la dynamique de l’inflation est fonction de trois composantes – les anticipations à long terme, la courbe de Phillips et le mouvement du prix du pétrole – elle prévoit une inflation de la zone euro de seulement 1,1% en 2019, un taux proche du taux implicite selon les marchés obligataires[1].

Selon une vision communément admise en économie (voir par exemple, Yellen 2016), trois composantes influent sur la dynamique de l’inflation: une tendance lente reflétant les anticipations à long terme, la courbe de Phillips reliant les variables réelles et nominales et l’impact des fluctuations du pétrole sur les anticipations et les prix. Dans un article récent (Hasenzagl et al., 2018), nous proposons un modèle formalisant ce point de vue. Notre modèle, appliqué à l’inflation américaine, suggère que la courbe de Phillips est bien identifiée et stable, mais que cet effet est souvent dominé par des fluctuations cycliques liées au prix du pétrole qui co-évoluent avec les anticipations d’inflation. Contrairement au modèle standard de la courbe de Phillips avec anticipations rationnelles, ce «cycle pétrolier» n’affecte pas l’écart de production et est transmis aux prix en tant que composante purement anticipative.

Dans ce billet, nous présentons les principaux résultats de l’inflation de la zone euro basés sur le même modèle et les comparons avec ce que nous avons obtenu pour les États-Unis. Nous utilisons ensuite le modèle pour prévoir la hausse de l’HIPC (Indice des prix à la consommation harmonisé) dans la zone euro sur un horizon allant jusqu’à deux ans et décomposons la prévision en trois composantes – les anticipations tendancielles, la courbe de Phillips et l’effet des variations du prix du pétrole – afin d’évaluer la probabilité de revenir à la cible de 2 % dans les deux prochaines années.

Les graphiques 1 et 2 présentent les données sur l’inflation ainsi que l’inflation tendancielle, que nous identifions comme une composante commune aux anticipations d’inflation de long terme et à l’inflation. La différence entre les deux économies est assez prononcée. Historiquement, l’inflation tendancielle aux États-Unis semble a lentement diminué depuis les années 80, avant de se stabiliser dans les années de 2000 à 2010. Depuis, elle baisse légèrement à nouveau. Dans la zone euro, nous décelons un lent déclin historique dû à la préparation à l’entrée dans l’union monétaire et, plus récemment, une dérive à la baisse en 2012. Cette dernière arrive, environ un an après les deux baisses de taux d’intérêt mises en œuvre par la BCE. Ensuite, l’inflation dans la zone Euro s’est stabilisée à un niveau inférieur à partir de 2016.

Graphique 1 : Inflation tendancielle – CPI aux Etats-UnisGR_Inflation_G1

Notes : CPI (prix à la consommation aux Etats-Unis) et inflation tendancielle trimestrielle (en glissement annuel). La période de prévision est indiquée par une zone grisée entre 2017-T4 et 2020-T1. Légende : données ; tendance ; intervalles de confiance à 68 et 90 %. Source : Calculs des auteurs, BLS.
Graphique 2 : Inflation tendancielle – HIPC dans la zone euroGR_Inflation_G2

Note : HIPC trimestriel et tendance trimestrielle. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du modèle à l’échelle de la zone (AWM). Légende : données ; tendance ; intervalles de confiance à 68 et 90 %. Source : Calculs des auteurs, AWM, BCE.

 

Les graphiques 3 et 4 montrent les composantes stationnaires de l’inflation telles issues du modèle pour la zone euro et les États-Unis: la courbe de Phillips (ligne bleue), un «cycle du prix du pétrole» (ligne rouge) et une composante stationnaire idiosyncratique non corrélée aux variables réelles et au prix du pétrole (ligne jaune).

Les résultats montrent que, dans les deux économies, les prix du pétrole et l’activité réelle sont tous deux importants pour expliquer les fluctuations temporaires de l’inflation, et que les deux cycles ont des caractéristiques différentes en termes de volatilité et de persistance.

La courbe de Phillips — comprise dans la théorie macroéconomique moderne comme une relation reliant les variables réelles, les variables nominales et les anticipations d’inflation — est bien identifiée et a été relativement stable depuis le début des années 1980. Cependant, ce n’est pas toujours la composante dominante. De grandes fluctuations du prix du pétrole peuvent éloigner les anticipations des consommateurs de la relation nominale-réelle (les «désancrer») et induire des fluctuations des prix dictées par les anticipations. Ce résultat confirme l’intuition de Coibion et Gorodnichenko (2015) pour les États-Unis à partir d’une approche différente qui nous permet de retrouver un effet Phillips indépendant des anticipations liées aux mouvements du prix du pétrole et des prix.

Graphique 3 : Composante stationnaire de l’inflation (CPI) américaineGR_Inflation_G3

Note : Cycle trimestriel de l’inflation (en glissement annuelle). La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. Légende : cycle total, composante cyclique idiosyncratique, composante cyclique liée au prix de l’énergie, effet courbe de Phillips. Source : Calculs des auteurs, BLS.

Graphique 4 : Composante stationnaire de l’inflation (HIPC) de la zone euroGR_Inflation_G4

Note : Cycle trimestriel de l’HIPC annuel. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du modèle `Area Wide Model’ (AWM) par la BCE. Légende : cycle total, composante cyclique idiosyncratique, composante cyclique liée au prix de l’énergie, effet courbe de Phillips. Source : Calculs des auteurs, AWM, BCE.

 

Le modèle est ensuite utilisé pour faire des prévisions d’inflation dans la zone euro pour les deux prochaines années. Le graphique 5, compare nos résultats aux prévisions officielles.

Graphique 5. Prévisions pour l’inflation (HIPC) dans la zone euroGR_Inflation_G5

Note : HIPC trimestriel d’une année sur l’autre. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du `Area Wide Model’ (AWM) par la BCE. Légende : donnée, prévision, intervalles de confiance à 68 et 90%. Source : calculs des auteurs, AWM, Bloomberg, BCE.

 

En 2018, notre modèle prévoit un taux d’inflation de 1,5%, contre 1,3 % pour la prévision de la BCE. Pour 2019, le modèle prédit une baisse de la progression des prix à 1,1%, en deçà de la prévision d’inflation de la BCE qui s’élève à 1,6% et de la prévision médiane de 1,6% issue de l’enquête réalisée par la BCE auprès des prévisionnistes professionnels (SPF). La projection du modèle est en ligne avec les prévisions de point-mort d’inflation obtenues sur le marché obligataire pour l’Italie et la France et dépasse ce point mort d’inflation pour l’Allemagne. Compte tenu de l’incertitude, le modèle nous indique que la probabilité que l’inflation soit inférieure à 1,6% en 2019 est de 68%.

Les prévisions peuvent être facilement interprétées, en utilisant notre décomposition structurelle.

  • Le modèle ne prévoit pas que les anticipations de tendance se redressent. Ceci est bien sûr en partie la conséquence du fait que l’inflation tendancielle est modélisée comme une marche aléatoire avec dérive constante. Cela pourrait changer en fonction des politiques
  • La composante cyclique expliquée par les prix du pétrole ne devrait pas se redresser, en l’absence de chocs futurs. Ceci est en ligne avec les anticipations implicites sur les marchés à terme. [2]
  • Les conditions économiques réelles ne semblent pas non plus suffisantes pour exercer une pression à la hausse. En fait, notre modèle détecte que le cycle a atteint un sommet et prévoit donc un ralentissement des conditions économiques réelles qui nous ramènera à la tendance d’ici 2019 (voir le graphique 6).

Graphique 6  : Écart de productionGR_Inflation_G6

Note : L’écart de production trimestriel est calculé comme le rapport entre le cycle du PIB et la tendance. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. Le PIB avant 1995 est reconstruit à l’aide des données du modèle (AWM). Source : calculs des auteurs, AWM, Bloomberg, BCE.

 

L’écart de production estimé par notre modèle implique que l’économie atteint un pic au premier trimestre 2018, et un creux à partir de la deuxième partie de 2019. Les résultats de notre analyse sont cohérents avec l’estimation de Bloomberg de l’écart de production (BCMPOGEA Index). Globalement, la probabilité que l’écart de production devienne négatif à la fin de 2019 est estimée à 57%.

Conclusion 

La prévision des différentes composantes de l’inflation dans la zone euro indique une forte probabilité que l’inflation reste inférieure à 1,6% en 2019. Cette prévision repose sur l’évaluation selon laquelle les anticipations tendancielles resteront au niveau des dix dernières années, que les pressions sur les prix du pétrole resteront modérées, et que l’économie commencerait à ralentir dans la deuxième partie de 2018.

 

Ce billet est paru en anglais sur le site de voxeu : Low inflation for longer

 

Références 

Coibion, O and Y Gorodnichenko (2015), “Is the Phillips Curve Alive and Well after All ? Inflation Expectations and the Missing Disinflation”, American Economic Journal: Macroeconomics 7(1): 197-232.

Hasenzagl, T, F Pellegrino, L Reichlin, and G Ricco (2018), “A Model of the Fed’s View on Inflation”, Sciences Po OFCE Working Paper, n°03, 2018-01-16.

Yellen, J L (2016), “Macroeconomic research after the crisis”, speech at “The Elusive ‘Great’ Recovery: Causes and Implications for Future Business Cycle Dynamics”, 60th Annual Economic Conference, sponsored by the Federal Reserve Bank of Boston.

 

[1] « Le taux d’inflation implicite ou point-mort d’inflation, représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente (même émetteur, même échéance…) indexée sur l’inflation (taux réel). Il représente alors l’inflation moyenne anticipée par les marchés sur la durée de vie de l’obligation.

[2] Au 8 janvier, le prix du pétrole est d’environ 62 $ US / baril. Les contrats à terme sur le pétrole brut pour décembre 2018 se vendent 59 $ / bbl et les contrats à terme sur pétrole pour décembre 2019 se vendent autour de 56 $ / bbl, ce qui laisse entendre que les investisseurs prévoient actuellement une baisse du prix du pétrole au cours des deux prochaines années.




Guide pratique de la baisse des prix du pétrole

par Paul Hubert

Depuis juin 2014, les prix du pétrole ont baissé de plus de 55%, après une période de volatilité exceptionnellement faible autour de 110 dollars le baril entre 2011 et mi-2014. L’évolution des prix du WTI et du Brent se distingue de celle des autres matières premières. Le prix des métaux industriels et des denrées agricoles ont été relativement stables en 2014, à l’exception d’une hausse des prix agricoles pendant l’été liée à la météo. Le prix du minerai de fer connaît lui une baisse continue depuis 2011, antérieure à celle des prix du pétrole, en raison de la forte concurrence entre les grandes sociétés minières et d’une baisse de la demande chinoise. Les prix du pétrole ont cessé d’évoluer de concert avec ceux des autres matières premières, suggérant que leur baisse est liée à des facteurs spécifiques au secteur.

A. Quels facteurs poussent les prix du pétrole à la baisse ?

Une grande partie de la baisse des prix du pétrole est liée à de récents développements du côté de l’offre. La production mondiale de pétrole a augmenté de 2 millions de barils par jour (mbpj) par rapport à il y a un an, tandis que la croissance de la demande n’a été que de 0,7 mbpj. Cette hausse de l’offre est principalement due à une production libyenne et nord-américaine supérieure aux anticipations de 1 mbpj (source: IEA). La faiblesse de la demande, due au ralentissement de la croissance mondiale et en particulier des pays émergents, a également joué un rôle. Les prévisions de demande de pétrole de l’IEA pour 2015 sont inférieures de 0,5 mbpj aux prévisions de juin, moment où les prix ont commencé à baisser.

Cependant, ces révisions de la demande et de l’offre ne sont pas suffisantes pour expliquer l’ampleur de la baisse du prix du pétrole observée récemment. Le premier facteur explicatif de la baisse des prix est la modification du comportement des pays de l’OPEP. Ceux-ci, en particulier l’Arabie Saoudite, auraient cherché à évincer du marché les producteurs de pétrole non-conventionnel (schiste, sable bitumineux) dont les coûts de production sont élevés, ne réduisant pas leur production afin d’équilibrer le marché et soutenir les prix. Ils auraient donc laissé filer les prix, de façon à ce que l’exploitation du pétrole non-conventionnel soit moins rentable[1]. Jusqu’à présent, les marchés étaient convaincus que l’OPEP ajusterait sa production, ce qui se traduisait par une faible volatilité des prix du baril autour des 100 dollars. La décision de l’OPEP de ne pas réduire la production alors que les prix ont commencé à baisser a ainsi surpris les marchés financiers. Ceci signifie qu’un facteur-clé fournissant un plancher au prix a disparu.

B. Quel prix du pétrole à court et moyen terme ?

La concomitance d’une offre abondante et d’une demande relativement atone a conduit à une hausse des stocks. A court terme, une poursuite de la baisse des prix est donc possible, en particulier parce que l’offre devrait continuer d’excéder la demande en 2015. S’il n’y a pas de réponse de l’OPEP du côté de la production ou s’il n’y a pas de perturbations géopolitiques, les acheteurs exigeront une décote plus élevée par rapport aux prix futurs pour stocker le pétrole acheté aujourd’hui.

Mais il existe des raisons de penser que les prix du pétrole seront plus élevés à moyen terme, reflétant un ensemble de facteurs qui sont susceptibles à la fois de réduire la production et d’accroître la demande. La baisse des prix conduira à une réduction significative de l’offre des producteurs marginaux à coûts élevés (principalement de pétrole de schiste, basés aux Etats-Unis). Il est également possible que les prix faibles augmentent la demande, et donc les prix, tandis que les risques géopolitiques persistent.

i) La production de pétrole de schiste américain répondra-t-elle à la baisse des prix ?

Le pétrole de schiste est une source d’approvisionnement en pétrole dont le coût de production est relativement élevé par rapport au pétrole « classique ». Les estimations du seuil de rentabilité de ce type de production varient selon les champs d’exploitation et les producteurs : elles sont comprises entre 40 et 90 dollars. Cependant, la production de pétrole de schiste est potentiellement plus rapide à répondre aux évolutions de prix que les autres productions non-conventionnelles (sables bitumineux, pétrole lourd, schiste bitumineux, exploitation en offshore profond), car l’exploitation des puits est plus rapide et nécessite des investissements initiaux moins lourds. Les producteurs de pétrole de schiste doivent forer et donc investir en continu pour maintenir la production : ils ont donc la possibilité d’ajuster leur production dans des délais relativement courts. Par conséquent et sous l’hypothèse que le gouvernement américain ne subventionne pas les producteurs domestiques, la croissance de la production américaine de pétrole devrait ralentir en 2015 et donc fournir un certain soutien aux prix.

ii) Risques géopolitiques

Le principal levier à la hausse pour les prix du pétrole est la potentielle perturbation de la production liée aux risques géopolitiques. La récente baisse des prix du pétrole est aussi partiellement due à la reprise de la production dans les pays ayant subi des interruptions de production pour ces raisons. Le risque de nouvelles interruptions est encore significatif, en particulier dans le cas d’une intensification des conflits en Libye ou Irak. En outre, les économies émergentes à forte dépendance aux exportations de pétrole et aux recettes publiques dérivées du pétrole pourraient subir des troubles politiques et sociaux, impactant la production des principaux pays exportateurs (Venezuela – 2.5mbpj et Nigeria – 2mbpj par exemple).

iii) La demande mondiale de pétrole

Dans son rapport December 2014 Short Term Energy Market outlook, l’Agence américaine d’information sur l’énergie (l’EIA) a révisé à la baisse ses perspectives mondiales de consommation de pétrole et ce, même après la baisse de 18% des prix du pétrole en novembre 2014 : elle justifie ses révisions par la détérioration des perspectives de croissance mondiale. Les estimations de l’élasticité-prix à court terme de la demande de pétrole sont plutôt homogènes et suggèrent qu’une baisse de 10% des prix du pétrole devrait stimuler la demande mondiale de pétrole d’environ 0,2-0,3% (voir tableau 11.3 du IEA, 2006, et les tableaux 3.1, 3.2 et 3.3 du IMF WEO, 2011)[2]. Sur cette base, la baisse de 50% des prix du pétrole cette année devrait augmenter la demande de l’ordre de 1,25%. Cependant, les prévisions 2015 de demande de pétrole de l’IEA ont déjà été revues à la baisse de 0,7mbpj en raison d’une activité économique plus faible que prévue, ce qui réduit encore davantage la demande de pétrole. En outre, le rééquilibrage et ralentissement de la croissance en Chine pourraient peser sur la demande de pétrole.

C. Impacts théoriques d’une baisse des prix du pétrole (pour un importateur net)

Les dépenses d’énergie font partie du panier de consommation ; une baisse des prix du pétrole affecte donc directement l’inflation et le pouvoir d’achat des ménages. Cet effet « consommation » dépend de la part des produits à forte intensité énergétique dans l’indice des prix à la consommation et du degré de substituabilité entre consommation liée ou non à l’énergie (qui est susceptible d’être faible à court terme quand la demande d’énergie est relativement inélastique). Les hydrocarbures et autres produits énergétiques entrent aussi dans la fonction de production. Par conséquent, une baisse des prix du pétrole affecte les coûts de production finaux directement, mais aussi indirectement, au travers de la baisse des prix des autres biens intermédiaires importés et des coûts de transport. La baisse des coûts de production finaux affectera à son tour les marges des entreprises, et ensuite leur investissement ou emploi (en fonction du partage de la valeur ajoutée). C’est l’effet « production » dont la taille dépend de la part des produits énergie dans la production finale et du degré de substituabilité entre les facteurs énergétiques et non-énergétiques (comme la consommation, le degré de substituabilité est faible à court terme). Enfin, l’impact via les prix à l’importation hors énergie dépendra de la part des importations dans la production ainsi que de la substituabilité entre produits nationaux et importés.

Enfin, la rémunération, selon leur part dans la valeur ajoutée, des facteurs de production – salaires et profits – est susceptible de s’adapter à la baisse des prix du pétrole. C’est l’effet « prix relatifs ». Les ménages enregistrant une augmentation de leur salaire réel vont augmenter, toutes choses égales par ailleurs, leur demande de produits hors énergie, ce qui exercera une pression à la hausse sur l’indice des prix. En revanche, il peut y avoir une pression à la baisse sur certains revenus non salariaux, tels que les dividendes des entreprises liées au secteur pétrolier. La réponse globale de l’investissement dépendra du prix relatif des facteurs de production et des perspectives de demande. Les plans budgétaires publics peuvent aussi changer en raison des révisions de l’impôt sur les sociétés et des taxes sur l’énergie. L’impact sur le commerce extérieur dépendra de la demande relative et des effets de la baisse des prix du pétrole sur les prix relatifs.

Un autre impact, moins économique qu’écologique, concerne la transition énergétique. Un pétrole bon marché ralentit la transition énergétique dans les transports, en rendant les véhicules hybrides, tout-électriques et ceux plus efficaces, moins attractifs : cela constitue une très mauvaise nouvelle pour les émissions de gaz à effet de serre.

D. Dans quelles proportions la baisse des prix du pétrole affecte-t-elle la croissance ?

L’effet d’une baisse des prix du pétrole sur la croissance d’un pays est différent selon que le pays est importateur ou exportateur net de pétrole, une baisse des prix du pétrole transférant les revenus des pays producteurs vers les pays importateurs. De plus, pour un pays importateur, cela dépend de l’intensité énergétique de son appareil productif mais aussi des facteurs responsables de la baisse des prix du pétrole (facteurs d’offre ou de demande).

Une baisse des prix est supposée produire une hausse du PIB dans les pays importateurs nets de pétrole, la baisse des prix stimulant les revenus disponibles réels (au travers de l’effet « prix relatifs »). En outre, l’offre globale est supposée croître grâce à la baisse des coûts de production intermédiaires. Mais ce canal de transmission tend à être faible (Kilian, 2008), car la part des produits pétroliers dans la fonction de production est relativement faible (entre 2 et 5% selon les secteurs et les régions, IMF WEO, 2011). Chez les pays exportateurs, la baisse des revenus liés au pétrole peut avoir un impact négatif sur leur croissance économique en l’absence d’autres sources de revenus. Aujourd’hui, la baisse du prix du pétrole risque d’avoir un fort impact négatif sur la croissance de pays producteurs les plus vulnérables tels que les la Russie et le Venezuela.

Un autre facteur important à considérer concerne la nature du choc. Si les prix du pétrole baissent en raison d’une détérioration de la demande mondiale, alors la baisse des prix n’enrayera pas la baisse de la croissance mondiale, tandis que si les prix baissent en raison d’une hausse de l’offre, alors le choc est susceptible d’être accompagné d’une hausse de la croissance mondiale (voir Archanskaia, Creel and Hubert, 2012).

Un chapitre du World Economic Outlook (2011) du FMI fournit les impacts estimés d’une baisse des prix du pétrole sur le PIB pour un certain nombre de pays. L’impact est similaire aux États-Unis et en zone euro où une baisse de 10% des prix accroît le PIB d’environ 0,2%. L’impact sur le PIB est plus important pour les pays émergents importateurs nets de pétrole du fait de leur intensité énergétique plus élevée (Chine, + 0,35%). Les exportateurs nets de pétrole voient un effet négatif important (Russie et Arabie saoudite, – 1,2%)[3].

E. L’impact sur la croissance pourrait-il être différent aujourd’hui?

Il existe au moins trois raisons pour lesquelles l’impact de la récente baisse des prix pourrait être différent de la moyenne des impacts précédents :

• Non-linéarités potentielles : les estimations précédentes supposent toutes un impact linéaire du pétrole sur l’activité. Mais certains chercheurs (voir Hamilton, 2010) soutiennent que les changements de prix ont un effet non linéaire à cause de l’incertitude. Plus le choc sur les prix relatifs est grand, plus il est susceptible de provoquer des ajustements sectoriels et dans les technologies de production. Cela signifierait que les baisses des prix du pétrole ont un impact plus modéré sur l’activité que les hausses, de la même façon que l’incertitude accrue et la nécessité de réaffecter les ressources peuvent partiellement compenser l’augmentation des revenus réels de la baisse des prix.

• La suppression des subventions : plusieurs gouvernements ont profité de la baisse des prix pour réduire leurs subventions aux carburants. Les subventions ont été réduites ou les taxes augmentées en Chine, Inde, Indonésie, Malaisie, Koweït et Egypte (Oil Market Report de l’IEA). L’effet sur la croissance dans les économies émergentes serait donc plus faible à court terme[4].

• Déflation : une autre raison pour laquelle la baisse des prix pourrait avoir un effet plus faible sur la croissance est le (déjà) très faible niveau d’inflation dans de nombreuses économies avancées et la contrainte de la borne inférieure des taux d’intérêts pour la politique monétaire. En effet, la récente baisse des prix augmente le risque de déflation, et donc d’une augmentation des taux réels ajoutant une pression supplémentaire à la baisse sur les perspectives de croissance.

F. Quelle est la réponse appropriée de politique monétaire à une baisse des prix du pétrole ?

La façon dont les ajustements des prix relatifs affectent l’économie dépendra aussi de la réponse de politique monétaire. La littérature sur la politique monétaire optimale suggère qu’en réponse à un choc sur les prix relatifs, la banque centrale doit essayer de stabiliser l’inflation des biens (ou des facteurs de production) dont les prix sont les plus persistants et ne pas se préoccuper des prix plus flexibles. L’ajustement nécessaire se produira alors dans les secteurs où les prix sont flexibles, ce qui permettra d’éviter des distorsions de prix ainsi que des écarts de production et d’emploi trop forts.

Mais la réponse optimale de politique monétaire n’est pas possible si les taux d’intérêts directeurs sont contraints par la borne inférieure des taux d’intérêts, ce qui empêche les taux courts de s’ajuster pour contrer les pressions déflationnistes. Sous l’hypothèse que les anticipations d’inflation ne sont pas rationnelles, une baisse des prix du pétrole pourrait conduire à un dés-ancrage à la baisse des anticipations d’inflation, réduisant ainsi la crédibilité de la banque centrale. Ce risque suggère de mettre l’accent en amont sur des politiques accommodantes agissant comme une assurance contre le risque déflationniste.

G. Quels sont les risques pour les pays exportateurs de pétrole ?

La baisse des prix du pétrole pourrait exacerber les fragilités de certains pays exportateurs de pétrole, augmentant le risque de perturbation sur les marchés financiers. Pour les pays producteurs nets de pétrole dont ce secteur représente plus de 10% du PIB, l’exportation de pétrole représente en moyenne 75% du total des exportations (source: IEA). Ainsi, une nouvelle baisse du prix du pétrole et la réduction associée des recettes pétrolières seraient un frein important à la croissance du PIB.

Il existe un petit groupe de pays pour lesquels la baisse des prix du pétrole semble déjà être à l’origine de perturbations financières ; mais ceux-ci sont relativement isolés du système financier mondial. Le Venezuela, l’Iran, le Nigeria, le Kazakhstan, le Tchad et la République du Congo ont une forte dépendance aux revenus pétroliers. Pour le Venezuela, où le pétrole représente plus de 90% des exportations et 40% des recettes publiques, la baisse du prix du pétrole a encore augmenté le risque d’un défaut souverain. Un autre sous-ensemble de pays comprenant les principaux producteurs de pétrole comme le Koweït, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, qui représente près de 25% de la production totale de pétrole, a des positions extérieures solides qui offrent une protection contre une baisse des prix du pétrole. Ceux-ci seraient moins fragiles : si les revenus liés au pétrole diminuent, ils n’ont pas besoin de procéder à un rapatriement de leurs avoirs à l’étranger.

La Russie est un important exportateur de pétrole et de gaz, et les prix d’une grande partie de ses exportations de gaz sont encore mécaniquement liés au prix mondial du pétrole. La baisse du prix du pétrole réduit ainsi les recettes d’exportation de la Russie. Malgré cela, la position extérieure de la Russie est encore assez forte. Les réserves de change représentaient 11 % du PIB en décembre 2014. La dette publique est faible (9 % du PIB en 2014) et seule une petite proportion (moins de 2 % du PIB) est en monnaie étrangère (source). Le système bancaire russe est créancier net vis-à-vis du reste du monde. Le risque principal est que les entreprises russes, particulièrement exposées aux fluctuations des prix du pétrole ou ayant contracté des emprunts en devises, soient affectées par la baisse du rouble et des prix du pétrole. Le besoin affiché de préserver les réserves de change dans l’optique de fournir un soutien financier semble avoir été l’une des principales raisons de la décision de la Banque centrale russe en novembre 2014 d’adopter un système de change flottant.

 


[1] Provocation ou non, le ministre saoudien de l’Énergie a ainsi déclaré en décembre 2014 qu’un pétrole à 20 dollars était soutenable par l’Arabie Saoudite.

[2] L’élasticité-prix à long terme est supposée plus élevée qu’à court terme, conduisant à de nouvelles pressions à la hausse sur la demande dans les années suivantes qui peuvent, à leur tour, affecter les anticipations à court terme.

[3] Un récent post du blog de la Réserve Fédérale d’Atlanta soutient que la baisse pourrait en effet peser sur la croissance américaine à court terme en réduisant l’exploitation minière et les investissements pétroliers. A plus long terme, l’impact sur la croissance est positif, et plus faible de l’ordre de 0,15 point de pourcentage, que ne le suggèrent les estimations précédentes.

[4] La réduction des distorsions de prix étant supposément bénéfique à long terme.




La tarification des produits pétroliers au Maroc revisitée : un éléphant qui accouche d’une souris

par Yasser Yeddir-Tamsamani[1]

Le pétrole et ses dérivés constituent une source d’énergie à caractère stratégique pour maintenir les équilibres socio-économiques d’un pays. Conscientes d’une telle spécificité, les autorités Marocaines fixent[2] les prix des produits pétroliers à des niveaux jugés acceptables et d’une manière ad-hoc. Nous revenons sur la réforme du 2 juin 2012, qui a vu les prix à la pompe augmenter fortement.

Avec la montée des prix du pétrole brut, un système de subvention explicite s’est mis en place résultant de l’écart entre le prix du marché des produits pétroliers et leurs niveaux ciblés. L’ampleur de cet écart détermine le montant des subventions apportées par la caisse de compensation[3] dont l’évolution dépend des facteurs à la fois exogènes et endogènes de l’économie nationale : le prix international du pétrole brut, les variations du taux de change, les comportements des agents économiques, et le système fiscal.

Le Maroc n’est pas l’exception dans ce domaine. Le système de subvention des produits pétroliers caractérise la plupart des pays émergents et en développement, et représentait environ 193 milliards de dollars en 2010[4], hors les subventions de la production de l’électricité. Ces dernières années, plusieurs pays se sont engagés dans la voie de la réforme de leurs systèmes de subventions en général. Cette dynamique devrait s’accélérer à la suite des travaux du sommet du G20 de Cannes 2011[5] qui ont mis un accent particulier sur la nécessité de réduire les distorsions des prix et de promouvoir la protection de l’environnement, notamment dans un contexte de crise et de réflexion sur un modèle de croissance alternatif.

Une réforme dans le bon sens, mais incomplète

Si ce système de subvention présente l’avantage de lisser la volatilité des cours du pétrole raffiné coté sur le marché international et de maintenir à un certain niveau le pouvoir d’achat des ménages, il a en revanche des effets pervers qui le rendent insoutenable à moyen et long terme. La raréfaction de cette ressource est bien une réalité qui devrait être intégrée dans les choix des acteurs économiques via le signal prix, afin de se préparer correctement au nouveau contexte économique. Dissimuler cette réalité renforce la myopie dans les choix des agents et retarde le pays à prendre le chemin de la transition vers un modèle économique sobre et soutenable.

En outre, le système de subvention tel qu’il est mis en place au Maroc est régressif et profite davantage aux couches sociales les plus favorisées. Du point de vue redistributif aussi, le système est fort inéquitable, à cause de la place non négligeable qu’occupent les activités informelles au Maroc. Ces dernières bénéficient des prix subventionnés sans pour autant contribuer aux recettes fiscales.

Dans ce contexte, une réforme générale du système devient urgent afin d’ancrer les bonnes anticipations sur l’évolution future des prix des produits pétroliers et ceux des biens et services qui les utilisent comme consommation intermédiaire, d’appréhender les mutations en cours aux niveaux des systèmes de consommation et de production à l’échelle internationale, et de rendre le système fiscal national plus redistributif en ciblant la population nécessiteuse en termes d’aide et de soutiens directs.

Ainsi, le 2 Juin 2012, le gouvernement marocain a décidé soudainement une augmentation des prix à la pompe des produits pétroliers destinés aux ménages et du fuel industriel, dans le cadre d’une réforme générale, selon le gouvernement, de la caisse de compensation, chargée de réguler les prix à la vente de certains produits de première nécessité.

Les nouvelles mesures révisant la tarification des produits pétroliers prévoient une augmentation de 20 % en termes nominal du prix final de l’essence, passant de 10,18[6] à 12,18 dirhams le litre, et une hausse du prix du gasoil et du fuel industriel respectivement de 14 % et de 27 %. Ces augmentations correspondent à une  baisse de 14 points du poids de la subvention dans le coût de revient de l’essence et du fuel industriel et de 8 points pour le gasoil.

En revanche, la variation de la valeur unitaire de la subvention après la réforme par rapport à celle de 2011 reste marginale pour les carburants à destination des ménages et du secteur des transports. La subvention a baissé à peine de 0,64 centimes pour l’essence et 0,09 centimes pour le gasoil. Elle s’est même appréciée légèrement pour le fuel industriel (1% de plus). Ainsi, l’ampleur de ces variations semble montrer que les mesures prises ont pour seul objectif d’inclure dans les prix finaux à la pompe le différentiel au niveau des conditions d’achat des produits pétroliers sur le marché international entre les cinq premiers mois de 2012 et celles de l’année 2011, sans pour autant remettre à plat toute la structure du système de compensation.

Plusieurs zones d’ombre persistent après la réforme, ce qui limite ses apports, notamment le passage sous silence des subventions du kérosène et des hydrocarbures utilisés dans la production de l’électricité[7]. In fine, la réforme est née handicapée.

Gouverner est-il prévoir ?

La réforme de la tarification des produits pétroliers mise en place au courant du mois de juin 2012 au Maroc n’a été précédée ni d’une annonce offrant aux agents économiques une marge temporelle leur permettant de s’adapter graduellement au nouveau contexte économique et d’amortir l’ampleur du choc[8], ni par un débat public garantissant l’implication de l’ensemble des composantes de la société dans ce processus et donc l’appropriation de ces mesures par les différents acteurs économiques concernés.

Pis encore, jusqu’à ce jour aucune trajectoire n’a été donnée sur l’évolution future des prix des produits pétroliers, pas plus qu’une règle d’indexation sur les prix mondiaux. Ceci ne devrait pas inciter les agents économiques à se préparer à une nouvelle ère caractérisée par un pétrole cher, et promouvoir un autre modèle de production et de consommation basée sur des ressources alternatives.

En ce sens, la réforme s’apparente plutôt à un choc pétrolier exogène, à une différence près relative à l’amélioration des soldes budgétaire et commercial en l’occurrence, dont les répercussions seront négatives sur le plan économique et social[9], qu’à une réforme structurelle bien réfléchie dont l’objectif est une réallocation optimale des ressources et une mobilisation des potentialités locales.

Par ailleurs, le fardeau de la subvention directe des produits pétroliers pèse lourdement sur les comptes publics, il représente 5,38 % du PIB en 2011, soit environ la totalité du déficit budgétaire de la même année. En rajoutant à cela le manque à gagner de l’application d’un taux de TVA réduit, le coût total incluant la subvention directe et indirecte des produits pétroliers serait encore plus élevé. Tous ces éléments justifient l’esprit purement comptable et budgétaire derrière l’élaboration de cette réforme qui n’est guère dissimulée, et qui limite largement son rôle incitatif consistant à infléchir les comportements dans le sens de plus de sobriété et d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Dans le même ordre d’idées, la nouvelle réforme ne prévoit aucunement des politiques d’accompagnement en faveur des ménages les plus touchés par ces augmentations et des secteurs productifs fragilisés.

La hausse des prix à la pompe des produits pétroliers est inévitable

Tendance du prix de pétrole

L’ère du pétrole bon marché fluctuant autour de 20 dollars le baril au début des années 2000 est derrière nous. L’irréversibilité de la tendance haussière du prix du pétrole à moyen et long terme est incontestable, du fait de la situation des fondamentaux du marché : bien que la demande des pays industrialisés connaisse un ralentissement, excepté le Japon qui est en phase de reconstruction après la catastrophe de Fukushima[10], la dynamique de la demande énergétique provenant des pays émergents conjuguée à une absence de convention internationale contraignante en termes de réduction des émissions de CO2, fait plus que compenser l’atonie de la demande des pays industrialisés et tire la demande mondiale en pétrole vers le haut.

A court et à très court terme, les prix du pétrole brut fluctuent autour de la tendance haussière de moyen et long terme, avec une alternance des périodes de pic et de creux dont l’ampleur serait déterminée par les facteurs géopolitiques dans les régions productrices de la ressource et par le degré de frénésie des marchés financiers[11] : après une forte chute au premier trimestre 2009 qui a fait baisser le prix du pétrole rejoignant son niveau de 2005 (44 USD/bl), il a augmenté pour atteindre un nouveau pic au premier trimestre de cette année (124 USD/bl). Le deuxième trimestre de 2012 a été marqué par un léger ralentissement du prix du pétrole qui s’est stabilisé à 97 USD le baril durant le mois de juin.

La décomposition des prix à la pompe des produits pétroliers

Les prix des carburants à la pompe au Maroc se décomposent (Figure 1) en une partie fixe déterminée par les pouvoirs publics et une partie variable dépendante du marché international du pétrole raffiné et de la situation sur le marché de change.

La composante fixe du prix contient deux éléments : la taxe intérieure à la consommation et les frais et marges de transport et de distribution qui constituent ensemble 38 % du coût de revient de l’essence, 26 % de celui du gasoil, et 4 % pour le fuel industriel. La grande partie des prix à la pompe est donc formée du prix des produits raffinés à raison de 53 % pour l’essence, 65 % pour le gasoil, et 87 % pour le fuel industriel. La TVA, fixée à un taux réduit de 10 %, vient en deuxième position des composantes variables des prix à la pompe. Enfin, la subvention est aussi un élément variable dépendant des composantes précédentes et calibrée périodiquement afin de garantir des prix à la pompe prédéterminés.

Ainsi, le poids de la subvention des produits pétroliers dépend essentiellement des cotations du pétrole raffiné sur le marché de Rotterdam[12], qui réagit à son tour à l’évolution du prix  du pétrole brut. Le renchérissement de ce dernier augmente les prix de ses dérivés, ce qui en corollaire alourdit le poids de la subvention.

Par ailleurs, la variation de la parité de change MAD/USD a un effet non négligeable sur le degré d’intervention des pouvoirs publics sur les prix des produits pétroliers. Entre le point le plus bas du taux de change MAD/USD au 26/02/2012 depuis le début de l’année et le pic atteint au 30/05/2012 (

Graphique 2), la monnaie nationale s’est dépréciée d’environ 7 % renchérissant le prix du baril en Dirhams, et alourdissant dans la même proportion les subventions pour des prix à la pompe inchangés. Cette tendance ne devrait pas se renverser dans les prochains mois tant que les perspectives économiques des pays de la zone euro resteront dans le rouge et le choix actuel de l’ancrage du Dirham sur un panier de devises dominé par l’euro sera maintenu.

Conclusion : quelle politique de tarification des produits pétroliers ?

L’objectif d’une tarification régulée du prix des produits pétroliers est d’assurer la stabilité des prix en lissant à court terme les fluctuations de ses composantes variables ; et dans un cadre macroéconomique plus large, de maintenir le pouvoir d’achat des ménages et de soutenir les coûts de production des entreprises ouvertes à la concurrence internationale. A moyen et long terme, la politique de tarification devrait inclure progressivement les grandes tendances qui se dessinent sur le marché mondial de la ressource, ainsi qu’encourager les mutations au niveau des comportements de production et de consommation.

Entre une libéralisation totale des prix à la pompe en appliquant le principe de la « vérité des prix » d’une part, et une tarification fixée d’une manière ad hoc et imprévisible de l’autre, une position médiane semble la plus appropriée et la moins risquée dans le cas du Maroc, au moins dans une période de transition économique et politique. Une position qui consiste à déterminer les prix à la pompe à partir d’une règle de calcul simple et connue, intégrant les contraintes budgétaires de court terme des différents agents économiques (ménages, entreprises et administrations publiques) et tolérant une variation instantanée des prix que ce soit vers le haut ou le bas à l’intérieur d’une fourchette jugée acceptable.

Par ailleurs, le maintien des subventions en faveur des secteurs particuliers, producteurs de biens et services alternatifs (transports en commun, énergie renouvelable, etc.), ou jugés sensibles en termes d’emplois et de ressources en devises, pourrait s’avérer indispensable pour assurer une transition en douceur vers un modèle de croissance économe en ressources fossiles. Dans la même lignée, une politique d’accompagnement devrait se mettre en place au profit des ménages à bas et moyen revenus et pour ceux qui habitent les zones rurales.


[1] Chercheur affilié à l’OFCE.

[2] Conformément aux dispositions de la Loi 06-99 modifiée et complétée par la Loi 30-08.

[3] La caisse de compensation est un établissement public chargé de la mise en œuvre de la politique de stabilisation des prix des produits de base du gouvernement marocain.

[4] IEA , 2011, “World Energy Outlook 2011” Paris, OECD Publishing.

[5] OECD, 2011, “Joint report by IEA, OPEC, OECD and World Bank on fossil-fuel and other energy subsidies: An update of the G20 Pittsburgh and Toronto Commitments”.

[6] A la date d’entrée en vigueur de la réforme : 1 MAD = 0,11 USD

[7] Les exemptions dont bénéficient le secteur de l’électricité et autres pourraient relever d’un problème de constitutionnalité en termes de rupture du principe d’égalité devant les charges publiques.

[8] Le risque de voir apparaître des comportements spéculatifs à la suite d’une annonce à l’avance de la mesure s’estompe si la modulation des prix se fait sur plusieurs étapes étalées dans le temps et avec une règle claire d’indexation sur les prix mondiaux.

[9] Haut Commissariat au Plan, « Simulation de l’impact de l’augmentation des prix des produits pétroliers sur les principaux agrégats de l’économie nationale » note du 13 juin 2012. Cette étude prévoit une baisse du PIB de 0,4 % et de la consommation de 1 % en écart au compte central à la suite de ce choc sur les prix des produits pétroliers. Néanmoins, elle surestime les effets récessifs du fait qu’elle n’inclut pas une boucle rétroactive de l’amélioration du solde budgétaire sur la demande autonome et éventuellement sur le taux public, et suppose que la dynamique des effets de second tour du choc inflationniste s’enclenche, ce qui n’est pas mécanique comme dans le modèle.

[10] Ducoudré B. « La reconstruction japonaise contrainte par la situation dégradée des finances publiques» Blog de l’OFCE, 5 juin 2012.

[11] Antonin, C. « Pétrole : vers un troisième choc pétrolier ? »  Revue de l’OFCE, n° 123, 2012.

[12] Même si le coût de revient des produits pétroliers raffinés au Maroc devrait être différent de la valeur des importations, les prix déterminés sur le marché de Rotterdam restent actuellement les références dans le calcul du montant des subventions.




Carburant cher : un mal nécessaire ?

par Céline Antonin

Avec un litre de gazole à 1,33 € et un litre de super sans plomb à 1,50 € en moyenne sur les huit premiers mois de 2011, les niveaux de 2008 (respectivement 1,26 € et 1,35 €) sont allègrement dépassés. A qui la faute ? Que doit faire l’Etat ?

A qui la faute ? Parmi les principaux coupables, citons  la crise au Moyen Orient et l’effondrement de la production libyenne qui ont pesé sur les cours mondiaux du pétrole, ou encore la dépréciation de l’euro par rapport au dollar. La mauvaise nouvelle, c’est que malgré la normalisation de la situation au Moyen Orient et la reprise progressive de la production libyenne à partir de 2012, l’accalmie devrait être de courte durée : en effet, selon les experts (voir, par exemple, ceux du FMI), les prix du pétrole sont structurellement orientés à la hausse ; les prix du carburant devraient donc rester durablement élevés.

Que doit faire l’Etat face à cette situation ? Dans une Lettre parue cet été, nous expliquions qu’une baisse généralisée des prix du carburant via une baisse des taxes était coûteuse économiquement et écologiquement et que la nécessité de concilier équité, efficacité et impératif écologique plaidait plutôt pour des mesures transitoires comme la mise en place de « chèques transport », spécifiquement ciblées vers les ménages périurbains et ruraux.