Chômer plus pour gagner plus?

Par Bruno Coquet

Le diagnostic selon lequel les règles de l’assurance chômage permettent de gagner plus au cours d’un mois de chômage qu’au cours d’un mois de travail n’est pas nouveau[1]. Remis sur le devant de la scène après l’échec de la négociation des partenaires sociaux ce constat élémentaire –car comptable– est fortement contesté.

Pôle Emploi et l’Unedic viennent de publier leurs lectures respectives des faits[2], et elles sont très différentes. Pôle Emploi confirme que pour « 20% des ouvertures de droit à l’assurance chômage, le montant mensuel net de l’allocation auquel a droit l’indemnisé est supérieur au salaire mensuel net moyen qu’il a perçu au cours de la période d’affiliation ». L’Unedic indiquant pour sa part que « 4 % des allocataires ont travaillé́ moins de 25 % de l’année précédant leur ouverture de droit et […] ont gagné́ 220 € par mois en moyenne. Leur indemnisation nette sur les 12 mois qui ont suivi était de 290 € en moyenne par mois ».

Cela illustre une nouvelle fois combien l’absence de diagnostic partagé sur l’assurance chômage, fait obstacle à sa bonne gouvernance, et aux réformes. Dans le cas présent, la polémique se concentre sur la question du « salaire journalier de référence », mais ce sont en réalité deux ensembles de règles qui sont en cause, car le taux de remplacement pose lui aussi problème. L’issue n’est pas forcément dans une purge, car il existe des solutions équilibrées, qui amélioreraient le fonctionnement de l’assurance.

L’objectif de l’assurance chômage : stabiliser la consommation

L’assurance chômage a vocation à stabiliser la consommation du chômeur jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi conforme à ses compétences. Faute de pouvoir agir directement sur la consommation, l’assureur remplace une partie du salaire qui est son principal déterminant. Il s’agit donc de remplacer un revenu habituel, moyen, pour permettre au chômeur de maintenir son niveau de consommation courante. L’allocation n’a pas à remplacer des revenus exceptionnels ou épisodiques, ni financer des dépenses de consommation exceptionnelles, ou de l’épargne. Ainsi calibrée, l’allocation chômage préserve l’incitation à l’emploi, car celui-ci est toujours plus rémunérateur que le chômage.

Le fait : le calcul des droits ne pose pas un problème, mais deux.

Le calcul des droits repose sur deux vieilles règles obsolètes, inadaptées au marché du travail contemporain (l’une a plus de 60 ans, l’autre plus de 40 ans). De plus ces deux règles se renforcent l’une l’autre, de sorte que le niveau d’allocation peut devenir bien plus élevé que ce que requiert l’objectif de l’assureur, engendrant des incitations indésirables et coûteuses :

  1. Le mode de calcul des allocations. Pôle Emploi retient le salaire moyen des jours travaillés (Salaire Journalier de Référence, SJR), auquel il applique le taux de remplacement brut : il en résulte une Allocation Journalière. Jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi, le chômeur peut percevoir son allocation journalière jusqu’à 31 jours par mois, pendant toute la durée des droits (elle-même fonction du nombre de jours travaillés). Avec la banalisation des contrats courts et des trajectoires fragmentées[3], de nombreux chômeurs ne travaillent pas 100% des jours durant la période au cours de laquelle ils acquièrent leurs droits ; 24% ont travaillé qu’un jour sur deux ou moins (Graphique 1). Pour deux chômeurs ayant le même nombre de jours travaillés, et donc le même nombre de jours indemnisables, l’allocation journalière, et donc l’allocation mensuelle, sont indépendantes du rythme auquel ont été acquis les jours d’affiliation et donc du salaire mensuel moyen antérieur. Ces chômeurs percevront tous les deux le même montant d’allocation pour chaque mois complet au chômage, ce qui ne permet pas de stabiliser leur consommation de manière identique.
  2. Le taux de remplacement : la cible étant la consommation du chômeur, c’est toujours le salaire et l’allocation « nets » qui comptent. Or le taux de remplacement affiché par l’Unedic et auquel le public se réfère généralement est un taux de remplacement « brut », qui est compris entre 75% au maximum pour les petits salaires, et 57% pour les salaires au-delà de 2200 €. Mais les cotisations sociales sont plus élevées sur les salaires que sur les allocations, et croissants avec le niveau de celles-ci, si bien que le taux de remplacement « net » varie entre 95% et 62% de l’ancien salaire, la moyenne se situant à 72%[4] (Graphique 2). Le taux de remplacement taux optimal, qui permet de stabiliser la consommation, dépend de l’épargne de précaution constituée par ailleurs par les chômeurs, et des aides sociales qui leur sont destinées : en France le coût extrêmement élevé de l’assurance –pour l’essentiel prélevé sur les salaires– ne laisse pas de marge pour une épargne de précaution en cas de chômage (et il n’y en a pas besoin tant que les chômeurs peuvent s’appuyer sur une assurance de bon niveau), et aucune aide sociale n’est destinée aux chômeurs. Le taux de remplacement optimal de l’assurance chômage est donc beaucoup plus élevé que ce qui se pratique dans les pays où les cotisations sont faibles et les aides sociales importantes pour les chômeurs. Néanmoins les valeurs les plus élevées du taux de remplacement net sont clairement excessives.

Le droit ainsi calculé reste potentiel. Il ne sera pas perçu dans tous les cas, car la situation du chômeur va souvent évoluer au cours de l’épisode de chômage. En effet :

  • Un salarié ayant alterné emploi et non-emploi poursuit souvent cette alternance une fois au chômage indemnisé, si bien qu’il consommera rarement chaque mois le maximum de ses allocations mensuelles.
  • Peu de chômeurs consomment l’ensemble de la durée potentielle de leurs droits[5].

1 – Répartition des allocataires selon le temps passé sous contrat 12 mois avant l’ouverture du droit

BC_Graphique1

Source : Unedic

2 – Taux de remplacement brut et net de l’assurance chômage, en fonction de l’ancien salaire

BC_Graphique2

Source : réglementation Unedic, calculs de l’auteur

La polémique : combien de chômeurs sont concernés ?

Pôle Emploi et l’Unedic ont chacun leur évaluation du phénomène. Sans que cela soit explicite, Pôle Emploi concentre son analyse sur le droit potentiel, l’Unedic semblant plutôt pencher du côté du droit réellement consommé (mais cela n’est pas explicite). Cette lecture permet de comprendre une partie des différences entre les deux estimations[6] :

  • Pour Pôle Emploi environ 20% des chômeurs ont un droit à allocation qui implique un taux de remplacement net supérieur à 100%, si l’allocation est perçue tous les jours du mois. Ce calcul est prudent car les mois où aucun salaire n’a été perçu sont exclus des estimations, sans quoi ce sont plus de 25% des chômeurs qui seraient concernés[7]. Pôle Emploi ne précise pas si les intermittents du spectacle sont inclus ou non, ce qui est doublement important : d’une part cette population est particulièrement concernée par le problème mesuré, mais d’autre part ces règles seraient exclues d’une solution qui ne modifierait que les règles de droit commun.
  • Pour l’Unedic seulement 4% des chômeurs ont une allocation nette supérieure à leur ancien salaire (dans le régime général). On ne comprend cependant pas clairement si l’allocation est le droit, ou le montant effectivement versé (cumul salaire / allocation déduit, etc.). En outre l’Unedic estime le salaire sur les 12 mois précédant l’ouverture de droits et l’allocation sur les 12 mois suivants, quelles que soient les durées d’affiliation permettant d’ouvrir les droits et la durée de ceux-ci (ce qui est doublement discutable). On peut de ce fait déduire des données présentées[8] que les 20% d’allocataires ayant un droit potentiel de 6 mois auraient une allocation (700 €)[9] supérieure à leur ancien salaire (500 €) si le total des allocations était divisé par la durée maximale du droit (6 mois), et non par 12 : au total 24% des chômeurs percevraient alors potentiellement plus au chômage qu’en emploi, soit un ordre de grandeur voisin de celui calculé par Pôle Emploi.

Une lecture positive consiste à voir ces deux chiffrages comme complémentaires, leurs divergences résultant simplement de ce que chacun interprète les questions, et traite les données, à sa manière. A cet égard le document de Pôle Emploi est net et circonscrit, tandis que les concepts utilisés dans le document de l’Unedic sont présentés ici pour la première fois, sans que la méthode pour les construire soit explicite, et sans que des conclusions détaillées en soient tirées.

Ni Pôle Emploi, ni l’Unedic ne cherchent à distinguer ce qui dans leurs résultats respectifs provient du taux de remplacement d’une part ou du mode de calcul de l’allocation d’autre part, ce qui dénote une vue incomplète du problème posé. De plus, ces évaluations portent sur des effectifs, mais les coûts induits ne sont pas chiffrés.

Une solution optimale ne peut donc pas être déduite de ces seules analyses, a fortiori sur la base d’une seule d’entre elles.

L’analyse : large, pour un diagnostic précis

Le rythme de consommation du capital de droits, donc la durée effective sur laquelle celui-ci est consommé, doit être bien maitrisé par l’assureur pour régler le problème posé ici.

L’analyse devrait s’étendre au-delà du strict périmètre de l’assurance chômage : les chômeurs concernés par le problème soulevé ici avaient par définition un petit salaire, donc une forte probabilité de percevoir des compléments de salaires et aides sociales lorsqu’ils étaient en emploi. Actuellement, l’assurance chômage rapproche les chômeurs indemnisés du plafond de ressources des aides publiques (voire porte leur revenu au-delà de ces plafonds). Cela revient pour l’assureur à se substituer à l’Etat lorsque le salarié devient chômeur, en remplaçant des aides comme si elles avaient été des salaires ; dit autrement, il n’est pas très logique de reprocher à une partie de l’allocation chômage de compléter les salaires des chômeurs qui retravaillent, alors qu’elle ne fait que remplacer les aides sociales, qui font la même chose pour les salariés non-indemnisables. L’assurance chômage n’est pas dans son rôle, mais elle permet cependant à l’Etat de faire des économies budgétaires.

Une solution trop radicale à ce problème bien réel du niveau excessif des droits mensuels[10], rapprocherait un grand nombre d’allocations du RSA. Les chômeurs pourraient alors préférer percevoir ce dernier, dès lors qu’ils satisfont aux conditions de ressources : les devoirs sont moins contraignants, les règles de cumul du RSA avec un salaire sont nettement plus favorables que celle en vigueur dans le cadre de l’assurance, les droits au RSA sont infiniment « rechargeables », il ouvre des droits connexes, etc. A court terme l’appauvrissement des chômeurs ne créerait pas d’emploi, mais pourrait fortement peser sur le budget de l’Etat.

Cette confusion entre assurance et solidarité, pratiquée au Royaume-Uni depuis plusieurs décennies, a privé ce pays de tous les avantages découlant d’une assurance chômage (largement démontrés par la littérature économique), sans rien apporter de probant en regard.

La solution : plusieurs leviers pour une solution équilibrée

Une solution simple consisterait à établir un salaire mensuel de référence sur l’ensemble de la période, entre le premier et le dernier jour travaillés qui servent à ouvrir les droits à l’assurance. Très attractive car extrêmement économique –bien au-delà de l’ambition fixée par le document de cadrage de la négociation– cette solution simple aurait d’importants effets pervers (fin de la contributivité des droits[11], interférences avec le RSA, appauvrissement des chômeurs en emploi précaire, etc.) si elle n’était pas finement articulée avec d’autres modifications des règles.

Des solutions plus équilibrées peuvent être trouvées, mais elles nécessitent un travail qui n’a pas été réalisé, et sûrement une négociation sur ces points précis :

  • Au vu de l’ampleur des effets probables, il est préférable d’ajuster graduellement les règles. Au point d’arrivée, les nouvelles règles (notamment salaire de référence et taux de remplacement) doivent garantir le maintien de la consommation du chômeur[12], sans plus.
  • Un partage allocations / aide sociales des chômeurs, calqué sur le partage salaire / aides sociales des salariés. L’assurance n’a pas à être pourvoyeuse d’aides sociales ou à se substituer à l’Etat pour ce faire. Ce n’est pas le bon instrument, et il n’est pas financé de la bonne manière pour remplir efficacement de tels objectifs.
  • Maîtriser la durée de consommation des droits. D’une part, afin de préserver la contributivité, c’est-à-dire, comme actuellement, que de mêmes quantités de travail et de contributions ouvrent la même quantité de droits. D’autre part, la durée pourrait être automatiquement liée au taux de chômage, longue quand celui-ci est élevé, plus courte sinon.
  • Les règles de cumul allocation / salaire et de « rechargement » des droits. Si les allocations chômage venaient à baisser, leur niveau se rapprocherait de celui du RSA dans un certain nombre de cas. Du coup la règle de cumul des allocations avec un salaire apparaîtrait moins généreuse pour l’assurance que pour le RSA ; ce serait la même chose pour la règle de rechargement des droits si celle-ci venait à être durcie, le droit au RSA étant imprescriptible, donc infiniment « rechargeable ».
  • Une maîtrise du rythme de consommation des droits. Aujourd’hui, en théorie, l’alternance emploi / chômage indemnisé peut être infinie, sans choc de revenu dès lors que le chômeur retravaille toujours au même salaire. La formule de calcul des droits devrait être révisée afin de permettre une attrition progressive des droits.

Une solution équilibrée n’est pas simple, et demande beaucoup de travail pour ne pas risquer d’introduire des effets pervers bien plus fâcheux que ceux que l’on cherche à réduire.

La transparence : indispensable, avant et après.

L’ébullition provoquée ces dernières semaines par un chiffre-choc que personne n’aurait dû découvrir à cette occasion, montre combien la transparence manque à cette politique qui engage 40 Md€ par an[13]., avec des conséquences désormais bien connues : faute de faits précisément établis, discutés et raffinés de manière ouverte et contradictoire, il n’existe pas de diagnostic partagé sur l’état de l’assurance chômage, et sur les réformes qu’il serait souhaitable d’accomplir. Quel que soit le sujet des réformes et une gouvernance efficaces de l’assurance chômage passent forcément par une information abondante, transparente, un débat public et un diagnostic partagé.

[1] B. Coquet (2013) L’assurance chômage, une politique malmenée, Editions de l’Harmattan, Paris. (p.184 et suivantes).

[2] Unedic (2019) « L’assurance chômage. Situation avant et après le début de l’indemnisation chômage » Repères, n°3, et Pôle Emploi http://www.pole-emploi.org/statistiques-analyses/en-savoir/taux-de-remplacement-mensuel-net.html?type=article

[3] B. Coquet & E. Heyer (2018) Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage, Rapport au Sénat.

[4] L’Unedic donne ce chiffre sans que l’on sache (ni que l’on puisse calculer) si cette moyenne est théorique, ou effective en fonction des allocations effectivement reçues une fois pris en compte le cumul allocation / salaire des chômeurs qui retravaillent.

[5] Les chômeurs indemnisables consomment en moyenne de 60% de leurs droits potentiels.

[6] Ces déductions sont à prendre avec la plus grande prudence, car la méthode et les hypothèses de travail retenues dans la note Unedic ne sont pour l’essentiel pas explicitées.

[7] Cet ordre de grandeur peut se déduire des 2 dernière colonnes du tableau p.3, qui montrent que le chiffrage est sous-estimé d’environ 30% du fait du choix retenu pour l’estimation du salaire de référence.

[8] Tableau p.3. de la note Unedic.

[9] 700=350*12/6

[10] On le terme « excessif » est employé ici par commodité pour désigner les allocations dont le taux de remplacement est supérieur à 100%, du salaire. Le niveau optimal du taux de remplacement mérite une discussion approfondie.

[11] Pour un nombre de jour travaillé identique, si l’allocation mensuelle est plus faible et que la durée potentielle des droits n’est pas allongée, le capital de droit sera plus faible lorsque les périodes d’emploi sont fragmentées sur une longue période que si elles sont contiguës.

[12] Donc pendant toute la durée de l’épisode de chômage, qui est le plus souvent inférieur à la durée des droits.

[13] La Cour des Comptes a récemment ajouté sa voix au constat depuis longtemps dressé selon lequel « un accès insuffisant aux données limite la capacité d’évaluation des dispositifs d’assurance chômage » (référé du 13 mars 2019)/




Assurance chômage des démissionnaires : un pari pascalien

par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE

Le projet d’indemnisation des salariés démissionnaires par l’assurance chômage vise à favoriser la mobilité pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, stimuler l’emploi et la croissance. Cette réforme fait le pari que l’indemnisation des démissionnaires peut lever des contraintes d’offre qui pèsent sur l’emploi. Si elle n’y parvient pas, qu’elle n’attire pas de candidats, son coût sera nul. Si elle y parvient, ce projet serait rentable pour l’Unedic.

Aujourd’hui déjà, beaucoup de salariés démissionnaires sont indemnisés par l’Unedic. Ceux qui ont démissionné pour un motif jugé « légitime » par l’Unedic, mais aussi ceux qui ayant démissionné pour réaliser un projet qui n’a pas abouti se sont alors inscrits à Pôle Emploi, ont recherché un emploi sans succès et sont de ce fait chômeurs involontaires.

Ce projet d’extension des motifs légitimes d’indemnisation des salariés démissionnaires se situe donc aux marges de l’assurance chômage. Toutefois, notre travail montre que les craintes et les chiffrages alarmistes de la sélection adverse que susciteraient ces nouvelles règles sont extravagants, d’abord parce que les emplois libérés par les démissions seraient pour l’essentiel remplacés, mais aussi parce que l’Unedic et Pôle Emploi ont le savoir-faire nécessaire pour contrôler le comportement de ce type de chômeurs.

Même s’il est en terrain connu, il n’en reste pas moins que l’assureur devra encadrer ce dispositif avec soin, comme il le fait toujours pour contrôler les risques de sélection adverse et d’aléa moral, mais également afin de ne pas sortir de son rôle, qui est de fournir une assurance-revenu et non de financer des investissements ou de financer des reconversions professionnelles.

Les chômeurs éligibles devront avoir un projet de création d’entreprise ou de formation, et les moyens de le financer, l’assurance étant seulement là pour subvenir aux besoins de consommation de leur vie courante. Le salarié étant le seul décideur de sa démission, l’assureur devra réduire les asymétries d’information (inscription anticipée à Pôle Emploi, documentation du projet et des démarches, etc.) pour contrôler l’aléa moral, et aussi partager une partie des coûts avec le bénéficiaire (délai de carence, etc.) afin de limiter les risques de sélection adverse sans restreindre l’accès au dispositif.

Une modalité pratique raisonnable consisterait à créer un motif d’éligibilité aux allocations chômage plus précis, qui s’apparenterait à une « démission pour reconversion professionnelle ». Les nouveaux droits s’inséreraient ainsi dans le droit commun (éligibilité, taux de remplacement, durée des droits, etc.) sans nécessiter la création d’une « annexe » dédiée ou de droits au rabais.

Le principal défi pour cette réforme est d’atteindre les objectifs ambitieux qu’elle se fixe en matière d’emploi. Si les salariés prêts à rompre leur CDI pour initier un projet sont rares, ou échouent, peu d’emplois seront créés, si bien que les entrées dans ce dispositif d’indemnisation des démissionnaires s’assècheraient rapidement. Si un dispositif maîtrisé favorise la mobilité du travail, les démissions susciteraient au moins partiellement des embauches dans l’entreprise de départ, et au moins certains projets de création d’entreprise et de reconversion professionnelle réussiraient.

Dans ces conditions, on peut – sous des hypothèses raisonnables – estimer que le dispositif attirerait environ 35 000 bénéficiaires par an, pour un coût de l’ordre de 250 millions d’euros la première année, et un gain net total de 590 millions d’euros pour l’assurance chômage sur les cinq premières années. La première année se solde par un déficit supplémentaire de 255 Mo€, car même si une majorité des emplois libérés sont pourvus, ils le seraient pour moitié seulement par des chômeurs indemnisés, tandis que tous les démissionnaires deviennent chômeurs indemnisés ; les années suivantes, les projets débouchent sur des emplois supplémentaires, si bien que le chômage indemnisé diminue, tandis que les cotisations augmentent. Le coût de l’accompagnement n’influerait qu’à la marge sur cet équilibre.

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Le coût potentiel de la réforme n’est clairement pas un obstacle à sa mise en œuvre. Si le dispositif n’attire pas, il ne coûtera rien. Si en revanche la majorité des projets des salariés démissionnaires débouchent sur un emploi durable, des bénéfices sont garantis à brève échéance, si bien que l’extension de l’assurance chômage aux démissionnaires peut être financée à ressources constantes, sans amputer le droit commun. Pour convaincre les sceptiques, l’Etat pourrait même, sans grand risque, amorcer le dispositif en avançant à l’assureur le montant des dépenses engagées la première année.

 

Pour en savoir plus : Bruno Coquet, « L’assurance chômage pour les démissionnaires. Un pari sur l’emploi, une bonne affaire pour l’Unedic ? », OFCE Policy brief, n° 27, 28 novembre.




Une reprise à durée déterminée

par Bruno Ducoudré et Xavier Timbeau

La ministre du Travail, Madame Muriel Pénicaud, a décidé de ne plus commenter mensuellement le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois mais de consacrer un point presse chaque trimestre à un tour d’horizon plus général de la situation du marché du travail et, espérons, un bilan des mesures engagées par le gouvernement pour améliorer le marché du travail. Curieusement, en effet, chaque mois les différents ministres du Travail avaient pris l’habitude de commenter, par un communiqué de presse, l’évolution du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois, alors que d’autres statistiques, comme les créations d’emplois ou encore la publication par l’INSEE du taux chômage au sens du BIT à partir de l’enquête Emploi, ne faisait pas l’objet d’une attention égale du ministre et rencontrait dans l’espace médiatique une couverture moindre. En faisant du chômage un objectif central de la politique économique – François Hollande l’avait érigé en condition de sa candidature à sa réélection – les différents gouvernements ont encore accentué la centralité de toute information sur le chômage. La coexistence de deux sources – les demandes d’emploi en fin de mois collectées par Pôle Emploi et le taux de chômage au sens du BIT établi à partir de l’enquête Emploi – a ajouté à la confusion. Or la méthodologie « au sens du BIT » vise à résoudre les faiblesses de la source « administrative », les demandeurs d’emploi en fin de mois. Cette dernière échantillonne mal (puisque sont comptabilisés les chômeurs qui se déclarent comme chômeurs) et est très sensible aux « comportements » de l’administration (accueil des chômeurs, radiations, etc.). Vouloir élargir l’analyse du marché du travail au-delà des informations apportées par le chiffre mensuel de Pôle Emploi est louable. Nous faisons ici, à cette occasion, un rapide panorama de la situation du marché du travail, jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2017, c’est-à-dire avant l’élection d’Emmanuel Macron, pour comprendre dans quel contexte et avec quelles perspectives les politiques de l’emploi du gouvernement Philippe s’inscrivent.

Le premier point est que depuis presque deux années, en matière de chômage, les indicateurs indiquent une amélioration franche de la situation économique de l’emploi et du marché du travail. Ainsi, le taux de croissance de l’économie française, à 0,5% lors des trois derniers trimestres, a atteint un rythme qui induit une fermeture de l’écart de production (la différence entre la production potentielle et la production observée) et une décrue nette du taux de chômage. Le rebond de l’activité, couplé aux dispositifs de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche), s’est traduit par un enrichissement de la croissance en emplois : les créations d’emplois salariés ont accéléré pour atteindre 149 400 dans le secteur privé au premier semestre de l’année 2017 et près de 300 000 depuis un an.

Le second point est la baisse du taux de chômage, de 0,5 point en un an et de 1 point depuis son point haut atteint au deuxième trimestre 2015. L’inversion de la courbe du chômage a donc débuté il y a deux ans maintenant. Si la baisse ne s’observe pas aussi franchement du côté des inscrits à Pôle emploi, cette amélioration notable sur le front du chômage s’est accompagnée d’une progression des taux d’activité et d’emploi pour toutes les classes d’âge (cf. graphique 1). Certes le taux d’activité des seniors a le plus progressé (+1,9 point depuis le T2 2015) du fait de la montée en charge des réformes successives visant à retarder l’âge de départ à la retraite, mais celui des 15-49 ans a progressé également de 0,2 point depuis le point haut atteint du taux de chômage en 2015. La baisse du chômage s’est donc faite par une progression de l’emploi et non par des sorties massives du marché du travail, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis.

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Ces chiffres positifs ne doivent toutefois pas masquer une situation toujours dégradée. Le taux de chômage reste à un niveau élevé, de 2,3 points supérieur à son point bas atteint au premier trimestre 2008. Au rythme de baisse du chômage au cours des derniers trimestres, il faudra trois à cinq années pour revenir à la situation d’avant la crise de 2008. De plus, l’amélioration de l’emploi ne garantit pas l’amélioration des conditions d’emploi ou de la qualité des emplois. Ainsi, le taux d’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) a baissé de plus d’un point depuis 2008 alors que l’emploi en contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim, a priori plus précaire, a progressé de 0,8 point sur la même période (graphique 2). Depuis 2015, le taux d’emploi en CDI est stable et l’amélioration du taux d’emploi général s’est faite uniquement par les CDD ou l’intérim. La part de l’emploi à temps partiel pour l’ensemble de la population s’est stabilisée depuis 2015, elle a fortement progressé chez les jeunes (+1,4 point) et les seniors (+0,4 point).

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Alors que la croissance est encore très modeste, de fortes créations d’emplois peuvent indiquer (aux révisions près de la croissance du PIB dans les trimestres à venir) un ralentissement de la productivité. Ce ralentissement pourrait être un symptôme supplémentaire de la précarisation du marché du travail, de la déformation structurelle et des mesures d’enrichissement de la croissance en emplois (notamment les baisses de charges sur les non-qualifiés dans le cadre du Pacte de responsabilité). La productivité apparente dans le secteur marchand non-agricole a ainsi progressé de 0,1% au deuxième trimestre 2017 en glissement annuel, quand notre estimation du taux de croissance tendanciel de la productivité situe celui-ci à 0,8%. Les évolutions de salaires semblent déterminées par la volatilité des prix à la consommation, dont l’origine est liée aux prix du pétrole. Elles sont en apparence plus dynamiques que la productivité, mais la prise en compte du CICE dans le coût du travail (anticipant sa transformation en baisse de cotisations attendue pour janvier 2019) tempère largement le diagnostic et permet de retrouver le rétablissement des marges ou des profits pour les entreprises non financières.

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Le mouvement conjoncturel amorcé depuis quelques trimestres est enclenché de façon robuste. Il a été stimulé par la fin de la crise des dettes souveraines en zone euro, une politique monétaire expansive, une baisse du prix du pétrole et un euro plutôt déprécié par rapport aux monnaies des partenaires commerciaux. La pause dans la consolidation budgétaire, tout comme le redressement des marges des entreprises, expliquent également l’amorce de la fermeture de l’écart de croissance. Certains de ces facteurs positifs devraient s’estomper dans les trimestres qui viennent. La remontée de l’euro, la reprise de la consolidation budgétaire, voire la normalisation de la politique monétaire, pourraient ralentir la reprise. À cela peuvent s’ajouter les effets de court terme de la réforme du marché du travail ou la réduction du nombre des emplois aidés. À plus long terme, la précarisation sensible du marché du travail français pourrait également s’accentuer.

Le gouvernement a ainsi annoncé 310 000 contrats aidés signés en 2017 après 459 000 en 2016, ce qui se traduira mécaniquement par une baisse du nombre de personnes en emploi aidé, notamment dans le secteur non marchand : les contrats les plus fréquents, les CUI-CAE (Contrat unique d’insertion-Contrat d’accompagnement dans l’emploi) avaient une durée moyenne à la signature de 11,6 mois en 2015, ce qui signifie qu’une grande partie des contrats signés au deuxième semestre 2016 arrivent à échéance au deuxième semestre 2017. Le baisse du nombre de contrats aidés ne permettra pas de les renouveler, ce qui pourrait se traduire par une baisse de 50 000 du stock d’emplois aidés non marchands entre fin juin et fin décembre 2017. L’effet d’aubaine étant plus faible pour ces contrats que pour les contrats aidés dans le secteur marchand, la mesure se traduirait par 0,1 point de chômage supplémentaire fin 2017 par rapport à un scénario où les emplois aidés auraient été maintenus à un niveau constant.




Chômage : forte volatilité, faible baisse

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de septembre 2016, publiés par Pôle emploi, font apparaître une baisse spectaculaire du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (-66 300 personnes en France métropolitaine). Cette forte baisse fait plus que compenser la hausse tout aussi spectaculaire du mois dernier (+50 200). Au total, sur trois mois, le recul du nombre de demandeurs d’emplois atteint 35 200, troisième baisse trimestrielle consécutive, ce qui n’avait plus été observé depuis le début de la crise au début de 2008. Le chiffre de septembre confirme ainsi le retournement progressif de la courbe des DEFM sur un horizon de temps plus long : depuis le début de l’année, les effectifs en catégorie A ont baissé de 90 000 personnes et de 59 500 sur un an. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), la baisse mensuelle est moins prononcée (-38 000 personnes), probablement parce qu’une partie des inscrits sans aucune activité a changé de catégorie après avoir retrouvé une activité réduite.

La baisse des inscrits en catégorie A au mois de septembre a bénéficié à part quasi égale aux hommes et aux femmes. Elle s’est toutefois concentrée sur les personnes les moins éloignées du marché du travail : les moins de 25 ans (-27 400, sous l’effet notamment du plan de formation) et les 25-49 ans (-37 300), ainsi que les inscrits depuis moins d’un an (-31 000 en catégorie ABC). La baisse a été marginale pour les plus de 50 ans (-1 600) et les demandeurs inscrits depuis plus d’un an (-7 100 en catégorie ABC).

Ces évolutions mensuelles très erratiques doivent à chaque fois être prises avec prudence. Les chiffres publiés par Pôle emploi sont soumis à des aléas propres à la pratique administrative. Selon Pôle emploi, elles reflètent en partie sur le passé récent la modification des règles d’actualisation d’inscription.

Focus : Le changement de règle d’actualisation et la volatilité des chiffres de Pôle emploi

Ce changement de règle, a priori anodin, a eu pour conséquence d’introduire une forte volatilité mensuelle dans les chiffres des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation : chaque mois, certains demandeurs d’emploi n’actualisent pas leur situation (soit parce qu’ils ont retrouvé un emploi, soit par oubli…) et ne sont donc plus comptabilisés comme DEFM.

A partir du mois de janvier 2016, Pôle emploi a ainsi modifié les conditions d’actualisation de la situation des demandeurs d’emploi. Avant janvier 2016, le calendrier d’actualisation était fixé selon la règle :

  • – l’ouverture de l’actualisation relative au mois m avait lieu le 3e jour ouvré avant la fin du mois m,
  • – la relance avait lieu les 8e et 9e jours ouvrés du mois m+1
  • – la clôture de l’actualisation avait lieu la veille du 12e jour ouvré du mois m+1 à 23h59, que ce jour soit ouvré ou non.

Selon ce calendrier, l’intervalle de temps pour l’actualisation reposait sur un nombre total de jours variable (compris entre 18 et 23 jours, graphique) mais d’un nombre de jours ouvrés constant (14).

A compter de janvier 2016, la règle a changé : pour un mois donné, l’actualisation est ouverte le 28 de ce mois (sauf pour les mois de février où l’actualisation est ouverte le 26) et est clôturée le 15 du mois suivant :

  • – envoi par Pôle emploi des déclarations de situation mensuelle (DSM, le 28 du mois m en général ou le 26 en février) ; cet envoi se fait principalement par internet, plus marginalement par courrier postal ;
  • – ouverture de la télé-actualisation (le lendemain de l’envoi des DSM) ;
  • – retours d’actualisation par les demandeurs d’emploi, suivis le cas échéant du calcul et de la mise en paiement de l’allocation par Pôle emploi (pour les demandeurs d’emploi indemnisés, l’actualisation déclenche le versement de l’allocation) ;
  • – repérage par Pôle emploi des demandeurs d’emploi n’ayant pas encore actualisé leur situation ;
  • – relance des demandeurs d’emploi n’ayant pas encore actualisé leur situation (le 11 et le 12 du mois m+1) ; cette relance s’effectue par téléphone, SMS, ou courrier postal ;
  • – clôture de l’actualisation (le 15 du mois m+1 à 23h59).

Il a résulté de ce changement de règles une diminution des nombres moyens de jours d’actualisation, totaux ou ouvrés, une atténuation de la volatilité du nombre total de jours d’actualisation (compris entre 17 et 19 jours) et surtout l’apparition d’une variabilité du nombre de jours ouvrés (compris entre 11 et 14 jours), qui n’existait pas auparavant. Or les jours ouvrés étant plus propices à l’actualisation de situation que les jours fériés, leur plus grande variabilité retentit sur les cessations d’inscription pour défaut d’actualisation. Les mois incluant un nombre important de jours ouvrés affichent des cessations d’inscription moins nombreuses et inversement (graphique). Les évolutions exceptionnellement erratiques des inscrits en catégorie A ces deux derniers mois relèvent en partie de ce phénomène, avec un nombre de jours ouvrés en août (14) qui a favorisé les réinscriptions sur les listes de l’Agence, et par voie de conséquence, un dégonflement des défauts d’actualisation qui s’est répercuté en une forte augmentation des inscrits. Le mouvement inverse s’est produit en septembre avec un nombre de jours ouvrés (13) en diminution. En octobre, ce nombre diminuera encore, pour atteindre 11, ce qui pourrait provoquer à nouveau une hausse des défauts d’actualisation et un effet favorable sur le nombre d’inscrits à Pôle emploi.

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Le chômage en quelques chiffres

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La baisse du chômage annoncée par l’Insee confirmée en juillet par Pôle emploi

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de juillet 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après les deux hausses consécutives de mai (+ 9 200) et juin (+ 5 400), une baisse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 19 100 personnes en France métropolitaine. Sur les trois derniers mois la baisse est de 4 500 personnes et sur un an, le nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité s’est réduit de 44 100 individus. Ces évolutions viennent confirmer l’amélioration du marché du travail en France depuis le début de l’année et confirmée à la mi-août par la publication de l’INSEE du chômage au sens du BIT (cf. ci-dessous). Le chômage de longue durée a amorcé sa décrue (-2,2 % sur les trois derniers mois) alors même qu’il n’avait cessé de croître depuis la fin de l’année 2008 et le chômage des seniors continue de s’infléchir légèrement (-0,2 % sur 3 mois). Notons toutefois que la montée en charge du plan de formation instauré par François Hollande au début de l’année explique en partie ces évolutions encourageantes. Ainsi, au cours des 3 derniers mois, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie D a crû de 10,1 %, soit près de 30 000 personnes supplémentaires, sous l’effet principalement des entrées dans les dispositifs de formation comptabilisées dans cette catégorie[1].

Focus : l’évolution du chômage au sens du BIT depuis un an

Le 18 août dernier, l’Insee publiait ses statistiques portant sur les chômeurs au sens du BIT pour le deuxième trimestre 2016. Durant ce trimestre, le taux de chômage a diminué de 0,3 point par rapport au trimestre précédent. La baisse du nombre de chômeurs au sens du BIT entamée au second semestre 2015 se confirme donc. Elle est cependant plus marquée du côté du BIT que de Pôle Emploi. Le nombre de chômeurs au sens du BIT a ainsi baissé de 133 000 personnes entre le deuxième trimestre 2015 et le deuxième trimestre 2016 (graphique 1). Dans le même temps, le nombre de DEFM inscrits en catégorie A à Pôle Emploi a diminué de seulement 27 000 personnes. Comment peut-on expliquer un tel écart ?

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Outre leurs différences méthodologiques (enquête Emploi pour le BIT et source administrative pour Pôle emploi), les deux sources statistiques diffèrent par leur définition du chômage. Pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition puisque les inscrits en catégorie A[2] à Pôle Emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement, le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus[3].

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Dans un contexte de reprise des créations d’emplois et donc d’amélioration du marché du travail, un certain nombre de personnes auparavant inactives, souhaitant désormais travailler, s’inscrivent à Pôle emploi et sont comptabilisées en tant que demandeurs d’emploi dans la catégorie A. Du fait de leur désir déclaré de reprise d’emploi, elles ne sont plus comptabilisés comme inactives au sens du BIT mais comme chômeurs dès lors qu’elles remplissent toutes les conditions énoncées auparavant. Cependant, une partie de ces personnes n’est pas nécessairement immédiatement disponible pour travailler. Cela a pour conséquence une augmentation du « halo » du chômage composé en partie de personnes souhaitant travailler, recherchant activement un emploi, mais non disponibles rapidement. Sur un an, le « halo » du chômage a augmenté de 43 000 personnes. Cette hausse s’explique exclusivement par les personnes souhaitant travailler mais non disponibles pour travailler dans les deux semaines (+54 000) et ce pour diverses raisons : personne achevant ses études ou sa formation, garde des enfants, personne s’occupant d’une personne dépendante, … (tableau 2). Cette évolution du halo confirmerait donc l’amélioration des perspectives sur le marché du travail et ne peut être considéré uniquement comme un phénomène de découragement des chômeurs. De la même façon, l’analyse des motifs de la baisse observée du chômage BIT au deuxième trimestre 2016 laisse présager l’amorçage d’une boucle vertueuse.

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Depuis un an, la baisse du taux de chômage au sens du BIT n’est pas artificielle

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : l’amélioration de l’emploi ou le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT confirment que la baisse de 0,5 point du taux de chômage depuis un an s’explique intégralement par l’amélioration de l’emploi et non par le découragement. D’ailleurs, l’amélioration de l’emploi s’est aussi traduite par une hausse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans –, les chômeurs auparavant découragés reprenant leur recherche d’emploi (tableau 3).

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Dans le détail, l’arrivée des jeunes sur le marché du travail se traduit par une hausse du chômage de 0,1 point pour cette catégorie, et ce malgré un emploi qui repart. En effet, l’accélération de la croissance n’est pas assez forte pour absorber l’ensemble des jeunes arrivants sur le marché du travail. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours à augmenter (de 0,8 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la hausse des inscriptions à Pôle Emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi et sont désormais classés dans le «halo» du chômage.

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Le chômage en quelques chiffres

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[1] Cette catégorie comptabilise les demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …), sans emploi.

[2] Les inscrits en catégorie A n’ont exercé aucune activité, pas même réduite, à la différence des inscrits en catégories B et C.

[3] Les moins de 25 ans ont un intérêt moindre à s’inscrire à Pôle emploi car pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail (36 mois pour les 50 ans et plus).




Secteur public : l’assurance chômage qui n’existe pas

Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE et IZA

Une assurance chômage peu solidaire

En France seuls les salariés du secteur privé ont une obligation d’affiliation et de cotisation à l’assurance chômage. Ceux du secteur public étant couverts par une garantie d’emploi ou l’auto-assurance de leur employeur, leur affiliation à l’Unedic n’est pas obligatoire. Néanmoins, l’affiliation à l’Unedic reste possible pour la plupart des employeurs publics qui le désirent, notamment si la précarité importante des contrats de leurs salariés non-titulaires rend le choix de l’auto-assurance trop coûteux pour eux.

Cette réglementation a pour résultat de réduire la solidarité interprofessionnelle organisée par l’Unedic pour prendre en charge le chômage, puisque 30% des salariés n’y participent pas. La France est le seul pays où les employeurs publics ne contribuent pas à l’assurance chômage mutualisée et où, en même temps, la puissance publique ne finance pas l’assurance chômage par des subventions et/ou des dotations d’équilibre, faisant de l’Unedic une assurance chômage financée par le secteur privé pour lui-même.

La situation financière délicate dans laquelle se trouve l’Unedic pourrait constituer le motif d’une diminution des droits et/ou d’une augmentation des contributions à l’assurance chômage ; le contraste est fort avec le financement des garanties d’emploi et de l’auto-assurance des employeurs publics, qui n’est pas un objet de débat alors même qu’il n’est ni explicite ni clair. Ces garanties sont-elles gratuites ? Si oui, pourquoi alors ne pas généraliser ces dispositions bien plus économiques que l’assurance chômage ? Et sinon quel est leur coût, par qui et comment sont-elles financées ?

La Note de l’OFCE (n° 59 du 2 mars 2016) a pour objectif de documenter ces questions, afin de contribuer à la réflexion sur le fonctionnement de l’assurance chômage, notamment en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles celle-ci n’est pas obligatoire ni dotée de règles universelles, et à mesurer les conséquences de ces choix.

Assurer le chômage ou assurer l’emploi ?

Les emplois publics ne sont pas créés au motif de réduire le chômage, mais pour offrir des services publics aux citoyens ou –lorsqu’il s’agit d’entreprises publiques– d’accroître leur valeur ajoutée. La création d’emplois publics peut néanmoins être vue comme un complément, voire une alternative, à l’assurance chômage dans la mesure où les garanties d’emploi et les dispositions conventionnelles d’auto-assurance en vigueur dans le secteur public ont pour effet de protéger du chômage et de ses conséquences, tout comme l’assurance chômage.

Si créer des emplois publics suffisait à réduire le chômage, une sur-représentation de ces emplois au sein de l’économie pourrait constituer un symptôme de l’utilisation de ces dispositions comme un instrument de réduction du chômage, et donc une contribution de la puissance publique à une forme d’assurance chômage. La combinaison du nombre élevé de ces emplois et de leurs caractéristiques pourrait produire des externalités massives sur le marché du travail dans son ensemble, et en particulier sur le régime d’assurance chômage en raison de la différence qui en découle au regard de l’affiliation et du financement de l’assurance chômage.

La question des dispositions conventionnelles en vigueur dans le secteur public  est en effet distincte de celle de la participation au régime mutualisé d’assurance chômage de droit commun : les garanties d’emploi n’impliquent pas une dispense d’affiliation et de contributions à l’Unedic, ni a fortiori que celle-ci s’étende sous forme d’auto-assurance aux emplois publics non-titulaires, au seul motif que tous sont salariés d’employeurs publics. De plus l’affiliation optionnelle des salariés non-titulaires enfreint les règles prophylactiques les plus élémentaires dont toute assurance chômage doit impérativement être dotée. Incitant à la sélection adverse, cette réglementation complexe va même jusqu’à l’organiser (intermittents, apprentis, emplois aidés, etc.) concourant à transférer des déficits vers l’Unedic et à maintenir des excédents dans les caisses des employeurs publics. Ceux-ci s’adaptent clairement à ces incitations et aux opportunités qui leur sont données de se soustraire à l’assurance chômage mutualisée, ce qui crée des subventions croisées qui vont du secteur privé vers le secteur public.

Des enjeux financiers très importants

Ce transfert implicite du secteur privé affilié à l’assurance chômage vers les secteurs publics qui n’y sont pas affiliés peut être estimé sur la base des recettes de cotisations. En effet, pour compenser le manque à gagner résultant de la dispense de cotisations des emplois publics l’Unedic doit appliquer à ses affiliés un taux de cotisation plus élevé qu’à l’optimum. Sur le périmètre de l’emploi salarié total l’assiette des cotisations Unedic serait 44,3% supérieure à ce qu’elle est actuellement, générant un rendement de 47,0 Md€ au taux de cotisation actuel (6,4 %). Considérant que l’emploi et le chômage seraient inchangés, un taux de cotisation de 4,4 % suffirait donc pour collecter les 32,5 Md€ de recettes perçues par l’Unedic en 2012.

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Mais, même indemnisé, le chômage engendre des coûts importants pour les chômeurs indemnisés mais aussi pour les employeurs et les salariés assurés, qui vont bien au-delà d’une simple exemption de cotisations. Sous l’hypothèse technique d’une probabilité de chômage homogène dans les deux secteurs, ou si le coût des garanties d’emploi était entièrement assumé par les employeurs publics, la simulation d’une assurance chômage obligatoire et universelle met en évidence que la masse salariale des secteurs affiliés à l’Unedic est actuellement réduite de 29,4 Md€. Cette somme représente la « subvention croisée » qui va du secteur privé vers le secteur public pour financer le coût actuel des garanties d’emploi et de l’auto-assurance. C’est aussi le gain brut potentiel associé au passage à une assurance chômage obligatoire et universelle indépendamment de la distribution effective du risque de chômage qui est, elle, liée aux caractéristiques individuelles et aux statuts (principe analogue à celui appliqué en Allemagne par exemple).

Une assurance plus équitable et plus efficace

Les ressources que devraient trouver les employeurs publics pour financer ces dépenses devraient s’appuyer sur des taxes nouvelles ou l’augmentation de taxes existantes. Une réforme de l’assurance chômage se ferait donc à taux de prélèvements obligatoires constant ex-ante, et substituerait un financement fiscal de l’assurance chômage au financement actuellement assis sur le coût du travail marchand. Les nouvelles ressources étant à la fois plus appropriées et équitables, l’assurance chômage serait plus optimale, donc plus efficace et moins coûteuse à moyen terme, ouvrant la possibilité d’une baisse du taux de prélèvements obligatoires ex post. S’agissant de répartir plus équitablement une charge qui pèse aujourd’hui exclusivement sur les salariés, les employeurs et les chômeurs du secteur privé, il est nécessaire et acceptable, qu’une telle réforme fasse des « perdants », car elle accroîtrait le bien-être collectif. Ceux-ci se trouveraient majoritairement parmi les contribuables, car c’est vers eux que se déplacerait le financement d’une assurance chômage devenue obligatoire et universelle.

De la même manière que les dispositions statutaires qui régissent les emplois publics n’impliquent en rien d’exonérer ceux-ci d’affiliation à l’assurance chômage, rendre l’assurance chômage obligatoire et universelle ne nécessite pas de réformer ces dispositions ; ces deux sujets sont disjoints. Dans le secteur public comme dans le secteur privé l’assureur n’a pas besoin de tenir compte des arrangements contractuels, mais il doit vérifier qu’il n’en supporte pas de coût, et de manière plus générale que les règles d’assurance encouragent les dispositions de ce type qui réduisent ses coûts sans affecter ses ressources et découragent celles qui vont en sens opposé.




L’assurance chômage doit-elle financer le Service public de l’emploi ?

Par Bruno Coquet, Chercheur affilié à l’OFCE, & IZA

L’Unedic est le principal financeur du Service public de l’emploi, qui est un service universel ouvert à tous les actifs, qu’ils soient chômeurs indemnisés ou non, et à tous les employeurs, privés et publics. Le fait que les deux tiers de ses ressources proviennent de l’assurance chômage, et donc d’un prélèvement sur le coût du travail marchand, ne va donc pas de soi.

L’analyse détaillée de l’évolution des frais de fonctionnement et d’interventions de l’Unedic conditionne fortement l’interprétation que l’on peut faire de sa situation financière, ainsi que des moyens susceptibles de la redresser : si ces dépenses pèsent excessivement sur les comptes, il est illusoire et sous-optimal de réduire la « générosité » des règles d’indemnisation pour rétablir l’équilibre financier.

Dans la dernière Note de l’OFCE (n°58 du 22 février 2016), nous montrons que la structure des ressources du Service public de l’emploi s’est radicalement transformée au cours des deux dernières décennies : nulle avant 1996, la contribution de l’Unedic représentait 10,8 % des ressources de l’ANPE en 2001, et 62,9 % de celles de Pôle emploi en 2015. La contribution de l’Unedic, qui s’élève à 3,3 Md€ en 2016, est désormais plus de deux fois supérieure à la dotation budgétaire versée par l’État (1,5 Md€ en 2016) ; et elle continuera d’augmenter jusqu’à plus de 3,6 Md€ en 2018.

Ce financement représente aujourd’hui 1 400 € par an pour un chômeur indemnisé par l’Unedic, mais seulement 10 € pour un chômeur de longue durée indemnisé par le Fonds de solidarité, qui verse l’ASS. De manière générale les dépenses autres que les allocations, qui leur sont spécifiquement attribuables, ne se justifient que si elles accroissent les perspectives d’emploi à moyen terme au point de réduire la probabilité de chômage de ces assurés, et par conséquent les dépenses d’indemnisation des chômeurs. En effet si les salariés cotisent à l’assurance chômage, c’est uniquement pour se garantir un revenu de remplacement en cas de chômage, jusqu’à retrouver un emploi conforme à leurs compétences. Par conséquent, les salariés, qui pensent épargner 6,4% de leur salaire à cette fin, versent en réalité un maximum de 5,76 % de leur salaire pour cet objectif. Par ailleurs une taxe 0,64% du salaire va à Pôle emploi, dont la quasi-totalité finance les services universels à tous les chômeurs, indemnisables ou non.

A l’échelle de l’Unedic les montants financiers en jeu sont très importants : même en retenant des hypothèses très prudentes, les besoins de financement que ces charges ont créés peuvent à eux seuls expliquer la totalité de la dette à fin 2015, soit 25,9 Md€.

Ce travail est une contribution à l’analyse structurelle de l’assurance chômage. Son but n’est pas d’analyser au fond ni en opportunité les missions de Pôle emploi, les politiques que cette agence met en œuvre, les moyens dont elle dispose, ou la nécessité de l’activation des chômeurs indemnisés. La question posée ici est celle du financement de ces actions, en raison de leur contribution au déséquilibre des comptes de l’Unedic. Il apparaît clairement que les transferts financiers de l’assurance chômage vers le Service public de l’emploi sont un de ces problèmes qu’une réforme des règles d’indemnisation ne peut résoudre ; la réforme du financement du Service public de l’emploi apparaît donc comme une composante et un préalable indispensable de la réforme structurelle de l’assurance chômage.




Pas encore de « cessation » de la hausse du chômage

Département Analyse et Prévisions (DAP)

Les chiffres du chômage du mois de mai 2015 font à nouveau apparaître une hausse de 16 200 personnes inscrites en catégorie A, hausse certes moindre qu’en avril (+26 200), mais qui ne laisse toujours pas entrevoir à l’horizon l’inversion de la courbe du chômage. Cette hausse ininterrompue du chômage, dans un contexte de reprise naissante, ne surprend guère. Le regain de croissance du PIB au premier trimestre (+0,6  % selon les comptes détaillés publiés par l’INSEE ce matin)  n’a pas encore produit ses effets sur l’emploi qui, lui, a stagné. Pour l’heure, les entreprises profitent du surcroît d’activité pour résorber les sureffectifs hérités de la crise. Ce n’est qu’une fois la reprise inscrite dans la durée que l’augmentation de l’emploi pourra se traduire en baisse du chômage. Les délais d’ajustement de l’emploi à l’activité, de l’ordre de trois trimestres, n’augurent pas de retournement du marché du travail à brève échéance.

Le dernier épisode de croissance en France avait d’ailleurs été trop bref pour imprimer un repli du nombre de demandeurs d’emploi après la récession de 2008-2009. Avec une croissance moyenne de 0,7 % par trimestre entre le quatrième trimestre 2009 et le premier trimestre 2011, le nombre de chômeurs s’était tout au plus stabilisé (graphique 1).

Depuis le deuxième trimestre 2011, la croissance est retombée à un niveau très faible (+0,1 % en moyenne par trimestre) et le chômage est reparti à la hausse. Une inflexion est toutefois apparue au début de 2013, avec une progression mensuelle divisée par deux en moyenne grâce à la reprise du traitement social du chômage, par le biais de la création d’environ 100 000 emplois aidés dans les secteurs non-marchands, et par l’enrichissement de la croissance en emploi dû à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité.

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Avec l’accélération progressive de la croissance et la montée en charge des différentes mesures en faveur de l’emploi, une (lente) amélioration est à entrevoir au cours du second semestre 2015.

La spectaculaire baisse des sorties de Pôle Emploi

L’augmentation de +69 600 des inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, B et C sur le seul mois de mai, soit le plus mauvais chiffre enregistré depuis le mois d’avril 2009 au plus fort de la récession, a de quoi surprendre. Le nombre de ces chômeurs au sens large, comprenant les personnes sans emploi mais aussi celles en activité réduite, a été perturbé par des variations inhabituelles de sorties de Pôle Emploi. Ainsi environ 43 % des sorties de Pôle Emploi sont dues à des « cessations d’inscriptions » en raison du non renouvellement mensuel de la demande d’emploi pour des raisons non précisées mais qui peuvent être liées par exemple à une reprise d’activité, à un effet de découragement, à une indisponibilité temporaire ou même à un oubli. En moyenne, sur les cinq dernières années, ces « cessations d’inscriptions pour défaut d’actualisation » s’élevaient à près de 200 000 par mois. Certains mois, le motif de sortie peut connaître de fortes variations, perturbant temporairement les statistiques du chômage. Par exemple, en août 2013, le bug SFR (graphique 2), lié à une panne informatique chez l’opérateur, a empêché de nombreux demandeurs d’emploi d’actualiser leur situation, ce qui a entraîné une forte hausse de ces « cessations d’inscriptions » (+260 100). Mécaniquement, sous l’effet du flux très élevé de sorties de Pôle Emploi, le nombre de demandeurs d’emploi en catégories A, B et C a baissé de 43 800 en août 2013. Le mois suivant, avec un nombre de « cessations d’inscriptions » revenant à un niveau proche de sa moyenne de long terme, les chiffres du chômage avaient logiquement fortement augmenté (+56 400 en septembre 2013), corrigeant l’effet de la baisse artificielle du mois précédent.

Pour les chiffres du mois de mai 2015, le phénomène a été l’inverse de celui observé lors du bug SFR d’août 2013. En effet, constatant que le nombre de demandeurs d’emploi ayant actualisé leur situation à la suite de la relance habituelle était sensiblement plus faible que d’ordinaire, Pôle Emploi a procédé à deux relances supplémentaires, ce qui a conduit à un niveau inhabituellement bas des cessations d’inscription (+160 600) par rapport à la tendance historique (201 300). Cela a augmenté mécaniquement les effectifs des catégories A, B et C, effet que Pôle Emploi chiffre entre 28 000 et 38 000. Or, si le mois prochain, le nombre de « cessations d’inscriptions » revenait à un niveau proche de sa moyenne de long terme, cela se répercuterait à la baisse sur le nombre de chômeurs en catégorie A, B et C, sans pour autant que ce dégonflement ne soit le fruit d’un changement sur le marché du travail. On ne saurait donc insister suffisamment sur la nécessaire prudence quant à l’interprétation des statistiques du chômage mois par mois.

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Baisse du taux de chômage au sens du BIT : la fausse bonne nouvelle

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Deux jours après l’annonce par Pôle Emploi de l’augmentation du nombre d’inscrits en catégorie A au mois d’avril, augmentation qui vient s’ajouter à celle constatée au premier trimestre, l’INSEE vient de publier son estimation du taux de chômage. Ainsi, au sens du Bureau International du Travail (BIT), le taux de chômage en France métropolitaine a baissé  de 0,1 point au premier trimestre 2015, soit 38 000 chômeurs en moins par rapport au quatrième trimestre 2014. Mais, selon Pôle emploi, sur la même période, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A a augmenté de 12 000. Dans un cas, le chômage baisse ; dans l’autre, il augmente, ce qui ne permet pas de poser un diagnostic clair quant à l’évolution du chômage sur le début d’année.

A quoi doit-on attribuer la différence de diagnostic entre celui de l’Insee et celui de Pôle Emploi ?

Outre les différences liées à la méthodologie (enquête Emploi pour le BIT, source administrative pour Pôle emploi), rappelons que pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition. Ainsi, les inscrits en catégorie A [1] à Pôle Emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement, le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus. Pour les moins de 25 ans, l’intérêt de s’inscrire à Pôle emploi est généralement plus faible [2].

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Excepté pour les moins de 25 ans, Pôle Emploi donne donc des chiffres du chômage plus défavorables que ceux du BIT et donc de l’INSEE (tableau 1). L’explication en est la suivante. Dans un contexte de marché du travail très dégradé, un certain nombre de chômeurs sont découragés et ne recherchent plus activement un emploi : de ce fait, ils ne sont plus comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Ils continuent pourtant à actualiser leur situation à Pôle emploi et restent donc inscrits en tant que chômeurs dans la catégorie A. Cela a pour conséquence une augmentation du « halo » du chômage, soit notamment des personnes souhaitant travailler, disponibles rapidement, mais qui ne recherchent pas activement un emploi. Sur un trimestre, le « halo » du chômage a ainsi augmenté de 71 000 personnes.

Au premier trimestre 2015, le taux de chômage au sens du BIT baisse pour de mauvaises raisons

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : la première, vertueuse, résulte d’une sortie du chômage liée à l’amélioration du marché de l’emploi ; la seconde, moins réjouissante, s’explique par le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT soulignent que la baisse de 0,1 du taux de chômage s’explique intégralement par la baisse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans – et non par la reprise de l’emploi qui, à l’inverse, a diminué. La baisse du taux de chômage n’est donc pas attribuable à une reprise de l’emploi, mais à un découragement des chômeurs qui cessent de rechercher activement un emploi (tableau 2).

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Dans le détail, l’arrivée des jeunes sur le marché du travail à un moment où l’emploi baisse se traduit par une hausse du chômage de 0,1 point pour cette catégorie. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours d’augmenter (de 0,2 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la hausse des inscriptions à Pôle Emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi et sont désormais classés dans le « halo » du chômage.

Finalement, la baisse du taux de chômage au sens du BIT, marquée à la fois par l’absence de reprise de l’emploi et le découragement des chômeurs, n’est pas une si bonne nouvelle.

 

 

 


[1] Les inscrits en catégorie A n’ont exercé aucune activité, pas même réduite, à la différence des inscrits en catégories B et C.

[2] Pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.