Réunion de l’OPEP : beaucoup de bruit pour rien ?

par Céline Antonin

Le 30 novembre 2017, les pays membres de l’OPEP ont décidé de prolonger de neuf mois, jusqu’à décembre 2018, leur accord de 2016 prévoyant un plafonnement de production avec des quotas par pays. D’autres pays producteurs associés à l’accord, Russie en tête, ont décidé de continuer à coopérer en prolongeant également leur accord de baisse de production.

Etant très attendu et anticipé par le marché, cet accord n’est pas une surprise. D’autant que derrière l’unité affichée, il a mis en exergue des divergences entre pays : d’un côté, la position très modérée de la Russie, qui a traîné des pieds pour signer l’accord ; de l’autre, la position volontariste de l’Arabie saoudite de reprendre un management plus actif des cours, après plusieurs années de relâchement. Les pays pétroliers sont toujours partagés entre d’un côté, la volonté de soutenir les cours et d’équilibrer leurs finances publiques, et de l’autre, la crainte constante de se voir voler des parts de marché par l’inexorable montée en puissance du pétrole de schiste étatsunien. Etant donnée cette double contrainte, et la situation de progressif rééquilibrage entre offre et demande dans les deux prochaines années, nous considérons que le pétrole devrait évoluer autour de 59-60 dollars le baril pour 2018 et 2019.

Certes, la demande mondiale continue de progresser, portée par les pays émergents et les États-Unis, mais l’offre globale demeure abondante (tableau 2). Dans notre prévision d’octobre 2017, nous avions anticipé un maintien des quotas jusqu’en mars 2018 ; nous l’avons prolongé jusqu’en décembre 2018, ce qui se traduit par une offre légèrement moins abondante en 2018 (-0,2 Mbj par rapport à la prévision d’octobre 2017).

Le retour à un management actif depuis fin 2016

Depuis 2014, sous l’impulsion de l’Arabie saoudite, les pays de l’OPEP ont laissé perdurer, voire tacitement encouragé une situation d’offre abondante, dans le but de maintenir des prix bas et d’évincer une partie de la production non-conventionnelle américaine, afin de garantir ses parts de marché. Pourtant la position du royaume saoudien a changé fin 2016 : d’abord, la stratégie offensive vis-à-vis du pétrole de schiste américain n’a pas vraiment porté ses fruits, et la production s’est poursuivie à un rythme soutenu. En outre, la forte baisse des prix a fortement dégradé les finances publiques saoudiennes. Le déficit public est ainsi passé de 3,4 % du PIB en 2014 à 15,8 % en 2015, puis 17,2 % en 2016. Par ailleurs, l’Arabie saoudite cherche à moderniser son économie et à privatiser l’entreprise étatique pétrolière, Saudi Aramco, et pour cela, elle a besoin d’un pétrole plus cher et plus rentable.

Pour tenter de faire remonter les prix du baril, les pays de l’OPEP ont mobilisé à l’extérieur du cartel, en associant plusieurs autres pays non membres, notamment la Russie. Deux accords de baisse de production ont été conclus fin 2016[1], conduisant à une baisse concertée de près d’un million de barils par jour (Mbj) pour les membres de l’OPEP et de 0,4 Mbj pour les autres producteurs (tableau 1). Ces accords ont-ils été respectés et ont-ils permis de faire remonter les prix ? Pas réellement. Un an après l’accord, les pays concernés respectent certes à hauteur de 80 % les plafonds de production, mais de façon très inégale. Ce retrait d’1,3 Mbj du marché n’a pas eu d’impact fort sur les prix, pour quatre raisons :

  1. D’abord, le fait que la référence retenue pour établir les baisses de production ait été le niveau d’octobre 2016, à savoir un niveau élevé pour plusieurs pays ;
  2. Par ailleurs, trois pays de l’OPEP ont été « épargnés » par les baisses de production. L’Iran s’est ainsi vu accorder un plafond de production de 4 Mbj (0,3 Mbj de plus qu’en octobre 2016), pour lui permettre de retrouver son niveau d’avant les sanctions occidentales. De même, la Libye ou le Nigéria n’ont pas été soumis à un plafond de production, or ils ont connu une forte hausse de production entre octobre 2016 et juillet 2017 (460 000 barils par jour pour la Libye et 190 000 barils par jour pour le Nigéria) ;
  3. En outre, la production des pays hors OPEP a continué sa progression dynamique : la production des États-Unis a ainsi augmenté de 1,1 Mbj entre octobre 2016 et juillet 2017, et celle du Brésil de 0,3 Mbj, ce qui a largement contrebalancé la baisse de la production russe (-0,3 Mbj) ou mexicaine (-0,1 Mbj) ;
  4. Enfin, les stocks demeurent à des niveaux élevés : ils représentent 102 jours de demande aux États-Unis et 99 jours de demande dans les pays de l’OCDE.

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L’accord du 30 novembre 2017 ne change pas la donne

Alors que les deux accords de 2016 prévoyaient de limiter la production jusqu’en mars 2018, avec possibilité d’extension, l’OPEP a décidé de l’étendre de 9 mois supplémentaires, jusqu’en décembre 2018. Par ailleurs, la Libye et le Nigéria, auparavant épargnés par l’accord, ont également été intégrés. En réalité, le marché reflétait déjà cette information dans les cours, et l’impact s’est avéré relativement limité (5 à 7 dollars par baril de Brent). En revanche, la réunion du 30 novembre a permis de mettre en lumière des divergences croissantes entre les deux principaux protagonistes, Arabie saoudite et Russie. La Russie a montré une réticence croissante à l’extension de l’accord, qui s’explique par plusieurs facteurs : d’abord, plusieurs nouveaux gisements pétroliers russes devaient être mis en service et devront être reportés, ce qui mécontente les producteurs. De plus, en raison d’un régime de change flottant, une remontée du prix du pétrole contribuerait à un rouble fort et dégraderait la compétitivité du pays. Enfin, la Russie craint que la remontée du prix du baril n’encourage la production de pétrole de schiste américain et n’affaiblisse ses parts de marché. Par conséquent, l’unité affichée lors de cet accord est fragile, et toutes les options sont sur la table lors de la prochaine réunion de l’OPEP en juin 2018. En outre, le respect des quotas pourrait être mis à mal avant même cette échéance.

La production américaine : principale clef de voûte de la production mondiale

En 2018, l’évolution de la production américaine sera particulièrement cruciale : par sa progression dynamique, cette dernière a permis, notamment depuis 2014, d’éviter une flambée du prix du baril. Le nombre de foreuses pétrolières en activité progresse depuis le point bas de mai 2016, mais se situe très en dessous du niveau de 2014 (graphique). Cependant, grâce à des techniques de forage plus efficaces qui permettent de se concentrer sur les zones les plus productives des gisements (sweet spots), la production de chaque nouveau puits augmente. En outre, les coûts de production et d’investissement ont baissé : les coûts de production se situent autour de 40 dollars d’après le US Bureau of Labor Statistics, soit une baisse de 35 % depuis fin 2014 ; quant aux dépenses d’investissement en amont, elles représentent moins de 15 dollars par baril produit (contre 27 dollars en 2014). Enfin, selon les chiffres de l’EIA, les dépenses d’investissement pétrolier ont représenté 67 milliards de dollars au deuxième trimestre 2017, soit une croissance de 4 % en glissement annuel. Cela motive notre hypothèse de hausse de production à hauteur de 0,6 Mbj en 2018 et en 2019.

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Vers un équilibre offre-demande en 2018-2019

Nous anticipons une croissance soutenue de la demande mondiale (+1,3 Mbj en 2018 et +1,4 Mbj en 2019), sous l’effet des pays émergents (Chine et Inde notamment). La demande chinoise représenterait 0,4 Mbj supplémentaires par an, soit un tiers de la hausse globale. Du côté de l’offre, le dynamisme vient de la croissance de l’offre non OPEP, qui augmenterait de 1 Mbj chaque année, de 2017 à 2019. En 2017, le supplément d’offre de l’Amérique du Nord représenterait 0,8 Mbj, dont 0,6 Mbj pour les États-Unis et 0,2 Mbj pour le Canada. Le Kazakhstan et le Brésil contribueraient à la hausse à hauteur de 0,2 Mbj chacun. La production baisserait en revanche au Mexique (-0,2 Mbj) et en Chine (-0,1 Mbj). Le scénario serait identique en 2018 et 2019. L’Iran a le potentiel pour augmenter sa production d’au moins 0,2 Mbj, et certains pays pourraient légèrement relâcher leur contrainte, ce qui nous conduit à inscrire une hausse de 0,2 Mbj de la production OPEP en 2018.

Des risques pesant sur l’offre ne peuvent cependant être exclus. Parmi les risques haussiers, citons la probabilité d’une baisse plus marquée et concertée de production de l’OPEP, un nouveau bras de fer entre les États-Unis et l’Iran, ou encore des regains de tension au Nigéria ou en Libye. Les risques baissiers sont quant à eux liés à la poursuite de l’accord OPEP : si l’OPEP décide de ne pas reconduire l’accord ou que son respect est limité en raison d’intérêts nationaux trop divergents, alors les prix pourraient baisser davantage.

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[1] Les deux accords de baisse de production conclus fin 2016 sont l’accord du 30 novembre 2016 (accord de Vienne) entre pays de l’OPEP, qui prévoit le retrait de 1,2 Mbj du marché par rapport à octobre 2016, et l’accord du 10 décembre 2016 réunissant des pays non membres de l’OPEP, et entérinant une baisse de production de 0,55 Mbj.




Les ressorts inflationnistes se retendent

par Hervé Péléraux

La publication de l’indice des prix par l’INSEE le 15 novembre dernier a confirmé le retour de l’inflation en territoire positif, + 0,4 % en octobre comme en septembre, après avoir oscillé autour de 0 depuis la fin 2014. Cette phase de désinflation prononcée depuis deux ans réplique en partie la trajectoire de l’indice du prix de l’énergie marquée par la division par 3 du prix du pétrole entre la mi-2014 et le début de 2016. Avec une pondération de presque 8 % dans l’indice d’ensemble, l’indice du prix de l’énergie, qui incorpore le prix des carburants mais aussi ceux des produits indexés sur le pétrole comme le gaz et l’électricité, a imprimé mécaniquement un repli de l’inflation. Cette phase de désinflation liée à l’énergie paraît toutefois être arrivée à son terme, avec la remontée des cours du brut entre 45 et 50 dollars depuis son point bas de la mi-janvier 2016 sous les 30 dollars. De fait, la remontée progressive du glissement annuel de l’indice des prix de l’énergie depuis le printemps a entraîné celle de l’indice d’ensemble.

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Mais la dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar parallèlement à la chute du prix du pétrole (de 1,35 dollar pour un euro en moyenne dans la première moitié de 2014 à 1,1 en moyenne depuis le printemps 2015) , a eu au contraire un effet inflationniste, d’abord en modérant la baisse des prix des importations d’énergie après leur conversion de dollars en euros, ensuite en renchérissant le prix des importations autres que l’énergie. L’évolution de l’indice des prix sous-jacent, ôtant de l’indice général les produits à prix volatils (l’énergie, certains produits alimentaires frais) et les produits à prix administré (santé, tabac, tarifs publics), témoigne de ce second effet par un rebond à partir du début 2015. Ce regain de l’inflation sous-jacente n’est toutefois pas dû qu’à la dépréciation de l’euro. La sortie progressive de la phase de stagnation qui a marqué l’économie française entre le deuxième trimestre 2011 et le deuxième trimestre 2014 a réactivé les mécanismes inflationnistes contrariés auparavant par le relâchement des tensions et la montée du chômage.

Ce regain d’inflation amorcé depuis quelques mois devrait se poursuivre d’ici à 2018. L’épuisement des effets désinflationnistes du contre-choc pétrolier et la remontée du prix du brut, déjà largement acquise et qui se poursuivrait à l’horizon de la prévision jusqu’à 52 euros par baril depuis son point bas de début 2016 (31 euros par baril) devraient marquer le terme de la phase de désinflation liée à sa composante énergétique. S’y ajoutera la reprise du mouvement de dépréciation de la devise européenne, déjà aussi largement engagée, de 1,10 euro pour 1 dollar à la mi-octobre 2016 à 1,05 selon notre prévision, qui contribuera au renchérissement des prix d’importation. L’inflation devrait donc avoir atteint un point bas au deuxième trimestre 2016 avant de redevenir positive dans la seconde moitié de 2016. À l’horizon 2017, la hausse des prix se rapprocherait des 2 % en glissement annuel, en partie sous l’effet du redressement du prix de pétrole et de la dépréciation de l’euro. Hors ces deux effets, l’inflation dépasserait à peine 1 % à la fin 2017 pour atteindre 1,5 % l’année suivante.

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La boucle prix-salaires

Les prévisions d’inflation s’appuient sur la modélisation d’une boucle prix-salaires qui estime les paramètres des relations qui régissent les rapports entre salariés et entreprises : les employeurs répercutent les hausses de salaires sur les prix pour préserver leurs marges, tandis que les salariés répondent à la hausse des prix en tentant d’obtenir des hausses de salaire pour préserver leur pouvoir d’achat. Deux équations modélisent ce processus.

L’équation de formation des salaires (1) qui fait apparaître un terme d’indexation des salaires sur les prix (PC), la productivité du travail (π) dont une partie de la hausse est redistribuée sous forme de salaire, le taux de chômage (U) qui régit le pouvoir de négociation des salariés, et le salaire minimum (SMIC) dont les « coups de pouce » peuvent affecter l’échelle des salaires qui en sont voisins.

L’équation (2) est celle des prix de la valeur ajoutée (PVA), fonction des coûts salariaux unitaires qui se décomposent en la différence entre les salaires (W) et la productivité du travail. L’élasticité entre le prix de valeur ajoutée et le coût salarial unitaire (W – π) est imposée à 1, ce qui signifie qu’à long terme les fluctuations des coûts salariaux unitaires n’affectent pas le taux de marge cible des entreprises. Les tensions sur l’appareil productif étant inflationnistes, le taux d’utilisation des capacités de production (TU) est adjoint aux coûts salariaux unitaires.

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La formation des prix sur le marché intérieur dépend aussi des prix des biens importés hors taxes (PM), fonction du prix du pétrole exprimé en euros (PPétrole) et du taux de change effectif nominal (TCEN).

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Enfin, une équation comptable de formation des prix intérieurs combine les prix de valeur ajoutée et les prix d’importation hors taxes, l’ensemble étant majoré du taux de TVA pour simuler l’indice des prix TTC sur le marché intérieur (ici le déflateur de la consommation des ménages issu des comptes nationaux). Les différentes équations sont estimées par des modèles à correction d’erreur.

Conformément à ce modèle, la trajectoire de l’inflation à l’horizon 2018 sera affectée à la fois par des impulsions extérieures, à savoir les évolutions du taux de change effectif et celles du prix du pétrole, et par des impulsions internes, à savoir la réponse des salaires à ces chocs externes par le biais de l’indexation et la baisse du chômage. La remontée du prix du pétrole et la dépréciation du taux de change effectif vont relancer l’inflation importée. La variation des prix des importations redeviendrait ainsi positive au premier trimestre 2017. Les prix des importations vont donc contribuer comptablement au rebond de l’inflation. Ensuite, les mécanismes d’indexation vont augmenter la croissance des salaires, en raison du surplus d’inflation. S’ajoutera à cette impulsion la baisse du taux de chômage amorcée à la fin de 2015. Néanmoins, le rebond de l’inflation dans la seconde moitié de 2016 ne se réduit pas au seul impact des chocs extérieurs. En neutralisant ces effets, en supposant constants à leur valeur de la mi-2016 le taux de change effectif nominal et le prix du pétrole, le rebond de l’inflation ne disparaîtrait pas, mais serait inférieur de 0,6 point à la fin 2017 (et de 0,2 à la fin 2018) par rapport à celui provenant du compte central (graphique 2).

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Exit la croissance ?

Département analyse et prévision (équipe internationale)

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2016-2018 pour l’économie mondiale et la zone euro dont la version intégrale est disponible ici.

Après avoir évité le Grexit pendant l’été 2015, les Européens devront faire face au Brexit. Au-delà de l’impact qui devrait être significatif sur l’économie du Royaume-Uni se pose la question des effets de ce choc sur les autres pays. Alors que tous les clignotants semblaient s’être mis au vert permettant à la zone euro de sortir d’une double récession liée à la crise financière de 2007-2008 puis à la crise des dettes souveraines, la perspective du Brexit ne risque-t-elle pas d’interrompre ce mouvement de reprise ? Cette crainte est d’autant plus fondée que la reprise tardive n’a pas permis de résorber l’ensemble des déséquilibres qui ont résulté des années de crise. Le taux de chômage de la zone euro dépassait encore 10 % au deuxième trimestre 2016. Un coup d’arrêt sur la croissance ne ferait qu’accentuer la crise sociale et alimenterait en retour les doutes – et donc la défiance – sur la capacité de l’Europe à satisfaire ses ambitions inscrites en préambule du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et rappelées à Lisbonne en  2000.

Pourtant, alors que l’on pouvait craindre un nouveau choc financier, force est de constater que celui-ci ne s’est pas produit. Certes, le Brexit sera le fruit d’un long processus qui n’a pas encore démarré, mais il semble que le pire a été évité pour l’instant. L’économie britannique verrait sa croissance divisée par deux en 2017. Mais les effets négatifs à court terme sur les autres pays de la zone euro seraient assez limités, sauf peut-être en Irlande où l’interdépendance avec le Royaume-Uni est plus forte. La reprise mondiale poursuivrait donc sa route. Néanmoins, la croissance ralentirait dans la zone euro et passerait de 1,9 % en 2015 à 1,3 % en 2018. En effet, les nombreux facteurs qui avaient permis d’amorcer la reprise[1] vont en partie s’essouffler. Le prix du pétrole a déjà entamé une hausse après un point bas à moins de 30 dollars en janvier 2016. Il dépasse aujourd’hui à nouveau les 50 dollars le baril. Quant à l’euro, il fluctue depuis le début de l’année autour de 1,1 dollar alors qu’en 2014 et 2015, il s’était déprécié de 12,5 et 11,3 % respectivement. Par contre, La politique monétaire de la BCE reste expansionniste et les politiques budgétaires sont beaucoup moins restrictives qu’entre 2011 et 2014. En 2015 et 2016, l’impulsion agrégée a même été légèrement positive. Enfin, le commerce mondial connaît un fort ralentissement, qui va bien au-delà du changement de modèle de croissance de l’économie chinoise qui se traduit par une décélération de ses importations. On espérait cependant qu’après l’amorçage de la reprise, une dynamique vertueuse de croissance s’enclencherait dans la zone euro. L’accélération de la croissance liée à des facteurs en partie exogène permettrait des créations d’emplois, la hausse des revenus et de meilleures perspectives pour les ménages et les entreprises. Ces éléments devaient être propices au retour de la confiance et stimuler en retour l’investissement et la consommation. Les dynamiques de l’investissement productif en France ou en Espagne au cours des derniers trimestres donnaient du crédit à ce scénario. La reprise ne serait certes pas avortée mais un tel rythme de croissance semble bien insuffisant pour réduire les déséquilibres induits par de longues années de récession ou de faible croissance. A la fin de l’année 2018, le taux de chômage de la zone euro serait encore près de 2 points supérieur à celui de la fin 2007 (graphique). Pour les cinq principaux pays de la zone euro, cela représente près de 2,7 millions de chômeurs en plus. Dans ces conditions, bien plus que le Brexit, c’est sans doute la situation sociale de la zone euro qui met à mal le projet européen. L’Europe ne peut certainement pas être tenue seule responsable du faible dynamisme de la croissance et du niveau de chômage dans chacun de ses pays mais les perspectives actuelles témoignent que nous n’avons sans doute pas atteint les objectifs qui avaient été fixés à Lisbonne en 2000, c’est-à-dire faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

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[1] Voir la précédente synthèse d’avril 2016 sur  la conjoncture internationale de l’OFCE.




Le meilleur du contre-choc pétrolier est à venir !

par Eric Heyer et Paul Hubert

Après avoir connu une forte baisse au cours des 2 dernières années, le prix du baril de pétrole est reparti à la hausse depuis le début de l’année. Alors qu’il se situait aux alentours des 110 dollars début 2014,  puis à 31 dollars début 2016, il frôle actuellement les 50 dollars.

Cette remontée du prix du pétrole va-t-elle remettre en cause le schéma de reprise graduelle qui semblait s’enclencher en France en 2016 ?

Dans une étude récente, nous avons tenté de répondre à trois questions autour de l’impact du prix du pétrole sur la croissance française : son impact est-il immédiat ou existe-t-il un décalage temporel entre les variations du prix du pétrole et son incidence sur le PIB ? Les effets des variations du prix du pétrole sont-ils asymétriques entre hausses et baisses ? Ces effets dépendent-ils du cycle conjoncturel ?Les principaux résultats de notre étude peuvent être résumés de la manière suivante :

  1. Il existe un décalage de l’impact d’une variation du prix du pétrole sur le PIB français. Ce décalage serait en moyenne, sur la période 1985-2015, de 4 trimestres ;
  2. L’effet, à la baisse comme la hausse, n’est significatif que pour des variations des prix du pétrole supérieures à 1 écart-type ;
  3. L’effet asymétrique est extrêmement faible : l’élasticité de l’activité au prix du pétrole est identique dans le cas d’une hausse ou d’une baisse de ce dernier. Seule la vitesse de diffusion diffère (3 trimestres dans le cas d’une hausse contre 4 dans celui d’une baisse) ;
  4. Enfin, l’effet des variations du prix du pétrole sur l’activité dépend de la phase du cycle conjoncturel : l’élasticité n’est pas significativement différente de zéro dans des états de « crise » et de « haute conjoncture ». En revanche l’élasticité est très largement supérieure en valeur absolue lorsque l’économie se situe en croissance modérée (basse conjoncture).

Appliquons maintenant ces résultats à la situation observée depuis 2012. Entre le premier trimestre 2012 et le premier trimestre 2016, le prix du baril de Brent est passé de 118 dollars à 34 dollars, soit une baisse de 84 dollars en 4 ans. Si on tient compte du taux de change euro-dollar et des évolutions du prix de consommation en France, cette baisse équivaut à une réduction de 49 euros au cours de cette période (graphique 1).

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Nous avons évalué l’incidence d’une telle baisse sur le PIB trimestriel français en tenant compte du retard, de l’asymétrie et de la phase du cycle conjoncturel mis en avant précédemment.

Les résultats de ces variantes indiquent que l’effet du contre-choc pétrolier n’est finalement pas très visible en 2015. Comme l’illustre le graphique 2, l’effet devrait se faire sentir à partir du premier trimestre 2016 et ce quelles que soient les hypothèses retenues. L’effet positif du contre-choc pétrolier est donc à venir !

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Où est passée la manne pétrolière ?

par Mathieu Plane

La baisse spectaculaire des prix du pétrole depuis la mi-2014, passant d’un baril de brent à 112 dollars en juin 2014 (soit 82 euros) à 55 dollars (49 euros) en moyenne depuis le début de l’année 2015, a conduit à redéployer une partie de la manne pétrolière des pays producteurs de pétrole vers les pays consommateurs. Si cette réduction de 50 % des prix du pétrole en dollars (40 % en euros) améliore mécaniquement notre balance courante, en allégeant notre facture énergétique d’environ 20 milliards d’euros par an, il est instructif d’évaluer les gains pour les ménages et les entreprises issus de cette manne pétrolière.

Pour les ménages, il y a deux sources directes d’économies : la première est liée à la baisse des prix à la pompe, dont la partie non taxée diminue avec la baisse des prix du pétrole, aux marges des raffineurs près. La seconde est liée à la baisse des prix hors taxes du fioul domestique. Selon les données fournies par le ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie sur les prix à la pompe et le fioul domestique, nous avons évalué que la baisse des prix du pétrole engendrerait un gain direct de pouvoir d’achat pour les ménages de 2,7 milliards en 2014 et 5,8 milliards en 2015[1] (graphique 1), soit 8,5 milliards sur deux ans, ce qui représente 0,6 % du revenu disponible brut annuel des ménages (0,4 point de PIB).

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Pour les entreprises,  la baisse des prix du pétrole conduit à diminuer leur coût d’approvisionnement en énergie. Plus l’intensité en pétrole dans la production est élevée, plus cela représente une économie substantielle pour le secteur concerné. Selon nos calculs, à partir du tableau des entrées intermédiaires par branche, nous avons évalué le gain direct pour les entreprises : la baisse des prix du pétrole conduirait à réduire le coût de production des entreprises de 3,2 milliards d’euros en 2014 et 6,3 milliards en 2015 (graphique 2), soit 9,5 milliards en deux ans, ce qui représente 0,45 point de PIB. Les secteurs qui bénéficient le plus de la baisse des prix du pétrole sont logiquement le transport, l’industrie et l’agriculture qui récupèrent deux tiers des gains liés à la baisse des prix du pétrole alors qu’ils ne représentent que 20 % de la valeur ajoutée totale.

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Face à cette baisse des coûts, les entreprises ont la possibilité soit de redresser leur marge en ne répercutant pas la baisse des prix du pétrole dans leur prix de vente, ce que laisse suggérer l’évolution récente des taux de marge et les différences de dynamique entre les prix de valeur ajoutée et ceux de consommation, soit de réduire leur prix au prorata des économies générées par la baisse des prix du pétrole. Cette deuxième option conduirait à redéployer le gain final des entreprises vers les ménages, augmentant ainsi leur pouvoir d’achat via la baisse des prix à la consommation. Mais aussi, par un effet de second tour, cela réduirait le coût de production des entreprises utilisant des consommations intermédiaires de branche dont la production est intense en pétrole, comme le transport.

En fonction de l’utilisation de cette manne pétrolière par les entreprises, les effets sur l’économie seront différents. Dans le cas du redressement des marges, les effets d’offre l’emporteront avec un impact faible à court terme sur la croissance mais élevé à moyen-long terme par le biais de l’augmentation de l’investissement. Dans le cas inverse, les effets de demande domineront avec un impact sur la croissance élevé à court terme en raison de la forte augmentation de la consommation des ménages, mais avec des effets potentiellement plus faibles à long terme.

 

 


[1] Les simulations pour 2015 supposent un prix du baril maintenu à 50 dollars jusqu’à la fin de l’année.




Pétrole : du carbone pour la croissance

Par Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay

Ce texte renvoie à l’étude spéciale du même nom qui accompagne les Perspectives 2015-2016 pour la zone euro et reste du monde

La chute du prix du Brent de 50 % entre l’été 2014 et janvier 2015 et son maintien à un bas niveau au cours des mois suivants est une bonne nouvelle pour les économies importatrices de pétrole. Dans un contexte de faible croissance, ces évolutions se traduisent par un transfert de richesse au bénéfice des pays importateurs nets via la balance commerciale, ce qui stimule la croissance et alimente la reprise. La baisse du prix des produits pétroliers augmente le pouvoir d’achat des ménages, accélère la consommation et donc l’investissement, dans un contexte où les coûts de production des entreprises sont réduits. Les exportations sont plus dynamiques, le surcroît de demande en provenance des autres économies importatrices de pétrole étant supérieur au ralentissement enregistré du côté des économies exportatrices.

Cependant, cette baisse des prix n’est pas neutre pour l’environnement. En effet, un faible prix du pétrole réduit l’attractivité des modes de transport et de production pauvres en carbone et pourrait bien ralentir la transition énergétique ainsi que la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ce contre-choc pétrolier n’aura toutefois des effets favorables sur la croissance des pays importateurs nets de pétrole que s’il est durable. A l’horizon de 2016, l’excès d’offre sur le marché pétrolier, alimenté par le développement passé de la production de pétrole de schiste aux États-Unis et le laisser faire de l’OPEP, se tassera. La production de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis, dont la rentabilité n’est plus assurée en deçà de 60 dollars le baril, devra s’ajuster à la baisse des prix mais le repli, attendu à partir du deuxième semestre 2015, sera insuffisant pour ramener les cours vers leur niveau d’avant le choc. Le prix du pétrole Brent pourrait rester autour de 55 dollars le baril avant d’amorcer à la fin de l’année 2015 une remontée vers 65 dollars un an plus tard. Les prix devraient rester donc inférieurs aux niveaux de 2013-début 2014, et malgré la tendance haussière à prévoir, l’impact à court terme restera positif sur la croissance.

Pour mesurer l’impact de ce choc sur l’économie française, nous disposons de deux modèles macroéconométriques e-mod.fr et ThreeMe grâce auxquels nous réalisons différents exercices de simulations. Ces modèles nous permettent également d’évaluer l’impact macroéconomique et les transferts d’activité d’un secteur à un autre ainsi que l’impact environnemental d’une consommation accrue d’hydrocarbures. Les résultats sont présentés en détail dans l’étude spéciale. Il ressort qu’une baisse de 20 dollars du prix du pétrole entraîne, pour l’économie française, un surcroît de croissance de 0,2 point de PIB la première année et de 0,1 point de PIB la deuxième, mais  s’accompagne d’un coût environnemental non négligeable. Ainsi, au terme de 5 ans, cette baisse conduirait à un surcroît d’émissions de GES de 2,94 MtCO2, soit près d’1% du total des émissions françaises en 2013. Ce volume représente pour la France près de 4% de l’objectif européen de réduction des émissions de 20% par rapport à leur niveau de 1990.

En adaptant le modèle français e-mod.fr aux caractéristiques de consommation, d’importations et de production d’hydrocarbures, les simulations sont étendues aux grandes économies développées (Allemagne, Italie, Espagne, Etats-Unis et Royaume-Uni). A l’exception des États-Unis, l’impact positif du contre-choc pétrolier est significatif et assez proche pour tous les pays, l’Espagne étant celui qui en bénéficie un peu plus en raison d’une intensité pétrolière plus élevée. Au final, en considérant les variations passées et prévues des prix du pétrole (hors effet taux de change), le surcroît de croissance attendu en moyenne dans les grands pays de la zone euro serait de 0,6 point en 2015 et de 0,1 point en 2016. Aux Etats-Unis, les effets positifs sont en partie contrebalancés par la crise que traverse l’activité de production de pétrole non-conventionnel[1]. L’impact sur le PIB serait positif en 2015 (de 0,3 point) et négatif en 2016 (de 0,2 point). Il en ressort que si la baisse du prix du pétrole est bien un choc positif pour la croissance économique mondiale, cela n’est malheureusement pas le cas pour l’environnement…

 


[1] Voir le Post L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du pétrole de schiste, d’Aurélien Saussay, du 29 avril sur le site de l’OFCE.




Guide pratique de la baisse des prix du pétrole

par Paul Hubert

Depuis juin 2014, les prix du pétrole ont baissé de plus de 55%, après une période de volatilité exceptionnellement faible autour de 110 dollars le baril entre 2011 et mi-2014. L’évolution des prix du WTI et du Brent se distingue de celle des autres matières premières. Le prix des métaux industriels et des denrées agricoles ont été relativement stables en 2014, à l’exception d’une hausse des prix agricoles pendant l’été liée à la météo. Le prix du minerai de fer connaît lui une baisse continue depuis 2011, antérieure à celle des prix du pétrole, en raison de la forte concurrence entre les grandes sociétés minières et d’une baisse de la demande chinoise. Les prix du pétrole ont cessé d’évoluer de concert avec ceux des autres matières premières, suggérant que leur baisse est liée à des facteurs spécifiques au secteur.

A. Quels facteurs poussent les prix du pétrole à la baisse ?

Une grande partie de la baisse des prix du pétrole est liée à de récents développements du côté de l’offre. La production mondiale de pétrole a augmenté de 2 millions de barils par jour (mbpj) par rapport à il y a un an, tandis que la croissance de la demande n’a été que de 0,7 mbpj. Cette hausse de l’offre est principalement due à une production libyenne et nord-américaine supérieure aux anticipations de 1 mbpj (source: IEA). La faiblesse de la demande, due au ralentissement de la croissance mondiale et en particulier des pays émergents, a également joué un rôle. Les prévisions de demande de pétrole de l’IEA pour 2015 sont inférieures de 0,5 mbpj aux prévisions de juin, moment où les prix ont commencé à baisser.

Cependant, ces révisions de la demande et de l’offre ne sont pas suffisantes pour expliquer l’ampleur de la baisse du prix du pétrole observée récemment. Le premier facteur explicatif de la baisse des prix est la modification du comportement des pays de l’OPEP. Ceux-ci, en particulier l’Arabie Saoudite, auraient cherché à évincer du marché les producteurs de pétrole non-conventionnel (schiste, sable bitumineux) dont les coûts de production sont élevés, ne réduisant pas leur production afin d’équilibrer le marché et soutenir les prix. Ils auraient donc laissé filer les prix, de façon à ce que l’exploitation du pétrole non-conventionnel soit moins rentable[1]. Jusqu’à présent, les marchés étaient convaincus que l’OPEP ajusterait sa production, ce qui se traduisait par une faible volatilité des prix du baril autour des 100 dollars. La décision de l’OPEP de ne pas réduire la production alors que les prix ont commencé à baisser a ainsi surpris les marchés financiers. Ceci signifie qu’un facteur-clé fournissant un plancher au prix a disparu.

B. Quel prix du pétrole à court et moyen terme ?

La concomitance d’une offre abondante et d’une demande relativement atone a conduit à une hausse des stocks. A court terme, une poursuite de la baisse des prix est donc possible, en particulier parce que l’offre devrait continuer d’excéder la demande en 2015. S’il n’y a pas de réponse de l’OPEP du côté de la production ou s’il n’y a pas de perturbations géopolitiques, les acheteurs exigeront une décote plus élevée par rapport aux prix futurs pour stocker le pétrole acheté aujourd’hui.

Mais il existe des raisons de penser que les prix du pétrole seront plus élevés à moyen terme, reflétant un ensemble de facteurs qui sont susceptibles à la fois de réduire la production et d’accroître la demande. La baisse des prix conduira à une réduction significative de l’offre des producteurs marginaux à coûts élevés (principalement de pétrole de schiste, basés aux Etats-Unis). Il est également possible que les prix faibles augmentent la demande, et donc les prix, tandis que les risques géopolitiques persistent.

i) La production de pétrole de schiste américain répondra-t-elle à la baisse des prix ?

Le pétrole de schiste est une source d’approvisionnement en pétrole dont le coût de production est relativement élevé par rapport au pétrole « classique ». Les estimations du seuil de rentabilité de ce type de production varient selon les champs d’exploitation et les producteurs : elles sont comprises entre 40 et 90 dollars. Cependant, la production de pétrole de schiste est potentiellement plus rapide à répondre aux évolutions de prix que les autres productions non-conventionnelles (sables bitumineux, pétrole lourd, schiste bitumineux, exploitation en offshore profond), car l’exploitation des puits est plus rapide et nécessite des investissements initiaux moins lourds. Les producteurs de pétrole de schiste doivent forer et donc investir en continu pour maintenir la production : ils ont donc la possibilité d’ajuster leur production dans des délais relativement courts. Par conséquent et sous l’hypothèse que le gouvernement américain ne subventionne pas les producteurs domestiques, la croissance de la production américaine de pétrole devrait ralentir en 2015 et donc fournir un certain soutien aux prix.

ii) Risques géopolitiques

Le principal levier à la hausse pour les prix du pétrole est la potentielle perturbation de la production liée aux risques géopolitiques. La récente baisse des prix du pétrole est aussi partiellement due à la reprise de la production dans les pays ayant subi des interruptions de production pour ces raisons. Le risque de nouvelles interruptions est encore significatif, en particulier dans le cas d’une intensification des conflits en Libye ou Irak. En outre, les économies émergentes à forte dépendance aux exportations de pétrole et aux recettes publiques dérivées du pétrole pourraient subir des troubles politiques et sociaux, impactant la production des principaux pays exportateurs (Venezuela – 2.5mbpj et Nigeria – 2mbpj par exemple).

iii) La demande mondiale de pétrole

Dans son rapport December 2014 Short Term Energy Market outlook, l’Agence américaine d’information sur l’énergie (l’EIA) a révisé à la baisse ses perspectives mondiales de consommation de pétrole et ce, même après la baisse de 18% des prix du pétrole en novembre 2014 : elle justifie ses révisions par la détérioration des perspectives de croissance mondiale. Les estimations de l’élasticité-prix à court terme de la demande de pétrole sont plutôt homogènes et suggèrent qu’une baisse de 10% des prix du pétrole devrait stimuler la demande mondiale de pétrole d’environ 0,2-0,3% (voir tableau 11.3 du IEA, 2006, et les tableaux 3.1, 3.2 et 3.3 du IMF WEO, 2011)[2]. Sur cette base, la baisse de 50% des prix du pétrole cette année devrait augmenter la demande de l’ordre de 1,25%. Cependant, les prévisions 2015 de demande de pétrole de l’IEA ont déjà été revues à la baisse de 0,7mbpj en raison d’une activité économique plus faible que prévue, ce qui réduit encore davantage la demande de pétrole. En outre, le rééquilibrage et ralentissement de la croissance en Chine pourraient peser sur la demande de pétrole.

C. Impacts théoriques d’une baisse des prix du pétrole (pour un importateur net)

Les dépenses d’énergie font partie du panier de consommation ; une baisse des prix du pétrole affecte donc directement l’inflation et le pouvoir d’achat des ménages. Cet effet « consommation » dépend de la part des produits à forte intensité énergétique dans l’indice des prix à la consommation et du degré de substituabilité entre consommation liée ou non à l’énergie (qui est susceptible d’être faible à court terme quand la demande d’énergie est relativement inélastique). Les hydrocarbures et autres produits énergétiques entrent aussi dans la fonction de production. Par conséquent, une baisse des prix du pétrole affecte les coûts de production finaux directement, mais aussi indirectement, au travers de la baisse des prix des autres biens intermédiaires importés et des coûts de transport. La baisse des coûts de production finaux affectera à son tour les marges des entreprises, et ensuite leur investissement ou emploi (en fonction du partage de la valeur ajoutée). C’est l’effet « production » dont la taille dépend de la part des produits énergie dans la production finale et du degré de substituabilité entre les facteurs énergétiques et non-énergétiques (comme la consommation, le degré de substituabilité est faible à court terme). Enfin, l’impact via les prix à l’importation hors énergie dépendra de la part des importations dans la production ainsi que de la substituabilité entre produits nationaux et importés.

Enfin, la rémunération, selon leur part dans la valeur ajoutée, des facteurs de production – salaires et profits – est susceptible de s’adapter à la baisse des prix du pétrole. C’est l’effet « prix relatifs ». Les ménages enregistrant une augmentation de leur salaire réel vont augmenter, toutes choses égales par ailleurs, leur demande de produits hors énergie, ce qui exercera une pression à la hausse sur l’indice des prix. En revanche, il peut y avoir une pression à la baisse sur certains revenus non salariaux, tels que les dividendes des entreprises liées au secteur pétrolier. La réponse globale de l’investissement dépendra du prix relatif des facteurs de production et des perspectives de demande. Les plans budgétaires publics peuvent aussi changer en raison des révisions de l’impôt sur les sociétés et des taxes sur l’énergie. L’impact sur le commerce extérieur dépendra de la demande relative et des effets de la baisse des prix du pétrole sur les prix relatifs.

Un autre impact, moins économique qu’écologique, concerne la transition énergétique. Un pétrole bon marché ralentit la transition énergétique dans les transports, en rendant les véhicules hybrides, tout-électriques et ceux plus efficaces, moins attractifs : cela constitue une très mauvaise nouvelle pour les émissions de gaz à effet de serre.

D. Dans quelles proportions la baisse des prix du pétrole affecte-t-elle la croissance ?

L’effet d’une baisse des prix du pétrole sur la croissance d’un pays est différent selon que le pays est importateur ou exportateur net de pétrole, une baisse des prix du pétrole transférant les revenus des pays producteurs vers les pays importateurs. De plus, pour un pays importateur, cela dépend de l’intensité énergétique de son appareil productif mais aussi des facteurs responsables de la baisse des prix du pétrole (facteurs d’offre ou de demande).

Une baisse des prix est supposée produire une hausse du PIB dans les pays importateurs nets de pétrole, la baisse des prix stimulant les revenus disponibles réels (au travers de l’effet « prix relatifs »). En outre, l’offre globale est supposée croître grâce à la baisse des coûts de production intermédiaires. Mais ce canal de transmission tend à être faible (Kilian, 2008), car la part des produits pétroliers dans la fonction de production est relativement faible (entre 2 et 5% selon les secteurs et les régions, IMF WEO, 2011). Chez les pays exportateurs, la baisse des revenus liés au pétrole peut avoir un impact négatif sur leur croissance économique en l’absence d’autres sources de revenus. Aujourd’hui, la baisse du prix du pétrole risque d’avoir un fort impact négatif sur la croissance de pays producteurs les plus vulnérables tels que les la Russie et le Venezuela.

Un autre facteur important à considérer concerne la nature du choc. Si les prix du pétrole baissent en raison d’une détérioration de la demande mondiale, alors la baisse des prix n’enrayera pas la baisse de la croissance mondiale, tandis que si les prix baissent en raison d’une hausse de l’offre, alors le choc est susceptible d’être accompagné d’une hausse de la croissance mondiale (voir Archanskaia, Creel and Hubert, 2012).

Un chapitre du World Economic Outlook (2011) du FMI fournit les impacts estimés d’une baisse des prix du pétrole sur le PIB pour un certain nombre de pays. L’impact est similaire aux États-Unis et en zone euro où une baisse de 10% des prix accroît le PIB d’environ 0,2%. L’impact sur le PIB est plus important pour les pays émergents importateurs nets de pétrole du fait de leur intensité énergétique plus élevée (Chine, + 0,35%). Les exportateurs nets de pétrole voient un effet négatif important (Russie et Arabie saoudite, – 1,2%)[3].

E. L’impact sur la croissance pourrait-il être différent aujourd’hui?

Il existe au moins trois raisons pour lesquelles l’impact de la récente baisse des prix pourrait être différent de la moyenne des impacts précédents :

• Non-linéarités potentielles : les estimations précédentes supposent toutes un impact linéaire du pétrole sur l’activité. Mais certains chercheurs (voir Hamilton, 2010) soutiennent que les changements de prix ont un effet non linéaire à cause de l’incertitude. Plus le choc sur les prix relatifs est grand, plus il est susceptible de provoquer des ajustements sectoriels et dans les technologies de production. Cela signifierait que les baisses des prix du pétrole ont un impact plus modéré sur l’activité que les hausses, de la même façon que l’incertitude accrue et la nécessité de réaffecter les ressources peuvent partiellement compenser l’augmentation des revenus réels de la baisse des prix.

• La suppression des subventions : plusieurs gouvernements ont profité de la baisse des prix pour réduire leurs subventions aux carburants. Les subventions ont été réduites ou les taxes augmentées en Chine, Inde, Indonésie, Malaisie, Koweït et Egypte (Oil Market Report de l’IEA). L’effet sur la croissance dans les économies émergentes serait donc plus faible à court terme[4].

• Déflation : une autre raison pour laquelle la baisse des prix pourrait avoir un effet plus faible sur la croissance est le (déjà) très faible niveau d’inflation dans de nombreuses économies avancées et la contrainte de la borne inférieure des taux d’intérêts pour la politique monétaire. En effet, la récente baisse des prix augmente le risque de déflation, et donc d’une augmentation des taux réels ajoutant une pression supplémentaire à la baisse sur les perspectives de croissance.

F. Quelle est la réponse appropriée de politique monétaire à une baisse des prix du pétrole ?

La façon dont les ajustements des prix relatifs affectent l’économie dépendra aussi de la réponse de politique monétaire. La littérature sur la politique monétaire optimale suggère qu’en réponse à un choc sur les prix relatifs, la banque centrale doit essayer de stabiliser l’inflation des biens (ou des facteurs de production) dont les prix sont les plus persistants et ne pas se préoccuper des prix plus flexibles. L’ajustement nécessaire se produira alors dans les secteurs où les prix sont flexibles, ce qui permettra d’éviter des distorsions de prix ainsi que des écarts de production et d’emploi trop forts.

Mais la réponse optimale de politique monétaire n’est pas possible si les taux d’intérêts directeurs sont contraints par la borne inférieure des taux d’intérêts, ce qui empêche les taux courts de s’ajuster pour contrer les pressions déflationnistes. Sous l’hypothèse que les anticipations d’inflation ne sont pas rationnelles, une baisse des prix du pétrole pourrait conduire à un dés-ancrage à la baisse des anticipations d’inflation, réduisant ainsi la crédibilité de la banque centrale. Ce risque suggère de mettre l’accent en amont sur des politiques accommodantes agissant comme une assurance contre le risque déflationniste.

G. Quels sont les risques pour les pays exportateurs de pétrole ?

La baisse des prix du pétrole pourrait exacerber les fragilités de certains pays exportateurs de pétrole, augmentant le risque de perturbation sur les marchés financiers. Pour les pays producteurs nets de pétrole dont ce secteur représente plus de 10% du PIB, l’exportation de pétrole représente en moyenne 75% du total des exportations (source: IEA). Ainsi, une nouvelle baisse du prix du pétrole et la réduction associée des recettes pétrolières seraient un frein important à la croissance du PIB.

Il existe un petit groupe de pays pour lesquels la baisse des prix du pétrole semble déjà être à l’origine de perturbations financières ; mais ceux-ci sont relativement isolés du système financier mondial. Le Venezuela, l’Iran, le Nigeria, le Kazakhstan, le Tchad et la République du Congo ont une forte dépendance aux revenus pétroliers. Pour le Venezuela, où le pétrole représente plus de 90% des exportations et 40% des recettes publiques, la baisse du prix du pétrole a encore augmenté le risque d’un défaut souverain. Un autre sous-ensemble de pays comprenant les principaux producteurs de pétrole comme le Koweït, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, qui représente près de 25% de la production totale de pétrole, a des positions extérieures solides qui offrent une protection contre une baisse des prix du pétrole. Ceux-ci seraient moins fragiles : si les revenus liés au pétrole diminuent, ils n’ont pas besoin de procéder à un rapatriement de leurs avoirs à l’étranger.

La Russie est un important exportateur de pétrole et de gaz, et les prix d’une grande partie de ses exportations de gaz sont encore mécaniquement liés au prix mondial du pétrole. La baisse du prix du pétrole réduit ainsi les recettes d’exportation de la Russie. Malgré cela, la position extérieure de la Russie est encore assez forte. Les réserves de change représentaient 11 % du PIB en décembre 2014. La dette publique est faible (9 % du PIB en 2014) et seule une petite proportion (moins de 2 % du PIB) est en monnaie étrangère (source). Le système bancaire russe est créancier net vis-à-vis du reste du monde. Le risque principal est que les entreprises russes, particulièrement exposées aux fluctuations des prix du pétrole ou ayant contracté des emprunts en devises, soient affectées par la baisse du rouble et des prix du pétrole. Le besoin affiché de préserver les réserves de change dans l’optique de fournir un soutien financier semble avoir été l’une des principales raisons de la décision de la Banque centrale russe en novembre 2014 d’adopter un système de change flottant.

 


[1] Provocation ou non, le ministre saoudien de l’Énergie a ainsi déclaré en décembre 2014 qu’un pétrole à 20 dollars était soutenable par l’Arabie Saoudite.

[2] L’élasticité-prix à long terme est supposée plus élevée qu’à court terme, conduisant à de nouvelles pressions à la hausse sur la demande dans les années suivantes qui peuvent, à leur tour, affecter les anticipations à court terme.

[3] Un récent post du blog de la Réserve Fédérale d’Atlanta soutient que la baisse pourrait en effet peser sur la croissance américaine à court terme en réduisant l’exploitation minière et les investissements pétroliers. A plus long terme, l’impact sur la croissance est positif, et plus faible de l’ordre de 0,15 point de pourcentage, que ne le suggèrent les estimations précédentes.

[4] La réduction des distorsions de prix étant supposément bénéfique à long terme.




La tarification des produits pétroliers au Maroc revisitée : un éléphant qui accouche d’une souris

par Yasser Yeddir-Tamsamani[1]

Le pétrole et ses dérivés constituent une source d’énergie à caractère stratégique pour maintenir les équilibres socio-économiques d’un pays. Conscientes d’une telle spécificité, les autorités Marocaines fixent[2] les prix des produits pétroliers à des niveaux jugés acceptables et d’une manière ad-hoc. Nous revenons sur la réforme du 2 juin 2012, qui a vu les prix à la pompe augmenter fortement.

Avec la montée des prix du pétrole brut, un système de subvention explicite s’est mis en place résultant de l’écart entre le prix du marché des produits pétroliers et leurs niveaux ciblés. L’ampleur de cet écart détermine le montant des subventions apportées par la caisse de compensation[3] dont l’évolution dépend des facteurs à la fois exogènes et endogènes de l’économie nationale : le prix international du pétrole brut, les variations du taux de change, les comportements des agents économiques, et le système fiscal.

Le Maroc n’est pas l’exception dans ce domaine. Le système de subvention des produits pétroliers caractérise la plupart des pays émergents et en développement, et représentait environ 193 milliards de dollars en 2010[4], hors les subventions de la production de l’électricité. Ces dernières années, plusieurs pays se sont engagés dans la voie de la réforme de leurs systèmes de subventions en général. Cette dynamique devrait s’accélérer à la suite des travaux du sommet du G20 de Cannes 2011[5] qui ont mis un accent particulier sur la nécessité de réduire les distorsions des prix et de promouvoir la protection de l’environnement, notamment dans un contexte de crise et de réflexion sur un modèle de croissance alternatif.

Une réforme dans le bon sens, mais incomplète

Si ce système de subvention présente l’avantage de lisser la volatilité des cours du pétrole raffiné coté sur le marché international et de maintenir à un certain niveau le pouvoir d’achat des ménages, il a en revanche des effets pervers qui le rendent insoutenable à moyen et long terme. La raréfaction de cette ressource est bien une réalité qui devrait être intégrée dans les choix des acteurs économiques via le signal prix, afin de se préparer correctement au nouveau contexte économique. Dissimuler cette réalité renforce la myopie dans les choix des agents et retarde le pays à prendre le chemin de la transition vers un modèle économique sobre et soutenable.

En outre, le système de subvention tel qu’il est mis en place au Maroc est régressif et profite davantage aux couches sociales les plus favorisées. Du point de vue redistributif aussi, le système est fort inéquitable, à cause de la place non négligeable qu’occupent les activités informelles au Maroc. Ces dernières bénéficient des prix subventionnés sans pour autant contribuer aux recettes fiscales.

Dans ce contexte, une réforme générale du système devient urgent afin d’ancrer les bonnes anticipations sur l’évolution future des prix des produits pétroliers et ceux des biens et services qui les utilisent comme consommation intermédiaire, d’appréhender les mutations en cours aux niveaux des systèmes de consommation et de production à l’échelle internationale, et de rendre le système fiscal national plus redistributif en ciblant la population nécessiteuse en termes d’aide et de soutiens directs.

Ainsi, le 2 Juin 2012, le gouvernement marocain a décidé soudainement une augmentation des prix à la pompe des produits pétroliers destinés aux ménages et du fuel industriel, dans le cadre d’une réforme générale, selon le gouvernement, de la caisse de compensation, chargée de réguler les prix à la vente de certains produits de première nécessité.

Les nouvelles mesures révisant la tarification des produits pétroliers prévoient une augmentation de 20 % en termes nominal du prix final de l’essence, passant de 10,18[6] à 12,18 dirhams le litre, et une hausse du prix du gasoil et du fuel industriel respectivement de 14 % et de 27 %. Ces augmentations correspondent à une  baisse de 14 points du poids de la subvention dans le coût de revient de l’essence et du fuel industriel et de 8 points pour le gasoil.

En revanche, la variation de la valeur unitaire de la subvention après la réforme par rapport à celle de 2011 reste marginale pour les carburants à destination des ménages et du secteur des transports. La subvention a baissé à peine de 0,64 centimes pour l’essence et 0,09 centimes pour le gasoil. Elle s’est même appréciée légèrement pour le fuel industriel (1% de plus). Ainsi, l’ampleur de ces variations semble montrer que les mesures prises ont pour seul objectif d’inclure dans les prix finaux à la pompe le différentiel au niveau des conditions d’achat des produits pétroliers sur le marché international entre les cinq premiers mois de 2012 et celles de l’année 2011, sans pour autant remettre à plat toute la structure du système de compensation.

Plusieurs zones d’ombre persistent après la réforme, ce qui limite ses apports, notamment le passage sous silence des subventions du kérosène et des hydrocarbures utilisés dans la production de l’électricité[7]. In fine, la réforme est née handicapée.

Gouverner est-il prévoir ?

La réforme de la tarification des produits pétroliers mise en place au courant du mois de juin 2012 au Maroc n’a été précédée ni d’une annonce offrant aux agents économiques une marge temporelle leur permettant de s’adapter graduellement au nouveau contexte économique et d’amortir l’ampleur du choc[8], ni par un débat public garantissant l’implication de l’ensemble des composantes de la société dans ce processus et donc l’appropriation de ces mesures par les différents acteurs économiques concernés.

Pis encore, jusqu’à ce jour aucune trajectoire n’a été donnée sur l’évolution future des prix des produits pétroliers, pas plus qu’une règle d’indexation sur les prix mondiaux. Ceci ne devrait pas inciter les agents économiques à se préparer à une nouvelle ère caractérisée par un pétrole cher, et promouvoir un autre modèle de production et de consommation basée sur des ressources alternatives.

En ce sens, la réforme s’apparente plutôt à un choc pétrolier exogène, à une différence près relative à l’amélioration des soldes budgétaire et commercial en l’occurrence, dont les répercussions seront négatives sur le plan économique et social[9], qu’à une réforme structurelle bien réfléchie dont l’objectif est une réallocation optimale des ressources et une mobilisation des potentialités locales.

Par ailleurs, le fardeau de la subvention directe des produits pétroliers pèse lourdement sur les comptes publics, il représente 5,38 % du PIB en 2011, soit environ la totalité du déficit budgétaire de la même année. En rajoutant à cela le manque à gagner de l’application d’un taux de TVA réduit, le coût total incluant la subvention directe et indirecte des produits pétroliers serait encore plus élevé. Tous ces éléments justifient l’esprit purement comptable et budgétaire derrière l’élaboration de cette réforme qui n’est guère dissimulée, et qui limite largement son rôle incitatif consistant à infléchir les comportements dans le sens de plus de sobriété et d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Dans le même ordre d’idées, la nouvelle réforme ne prévoit aucunement des politiques d’accompagnement en faveur des ménages les plus touchés par ces augmentations et des secteurs productifs fragilisés.

La hausse des prix à la pompe des produits pétroliers est inévitable

Tendance du prix de pétrole

L’ère du pétrole bon marché fluctuant autour de 20 dollars le baril au début des années 2000 est derrière nous. L’irréversibilité de la tendance haussière du prix du pétrole à moyen et long terme est incontestable, du fait de la situation des fondamentaux du marché : bien que la demande des pays industrialisés connaisse un ralentissement, excepté le Japon qui est en phase de reconstruction après la catastrophe de Fukushima[10], la dynamique de la demande énergétique provenant des pays émergents conjuguée à une absence de convention internationale contraignante en termes de réduction des émissions de CO2, fait plus que compenser l’atonie de la demande des pays industrialisés et tire la demande mondiale en pétrole vers le haut.

A court et à très court terme, les prix du pétrole brut fluctuent autour de la tendance haussière de moyen et long terme, avec une alternance des périodes de pic et de creux dont l’ampleur serait déterminée par les facteurs géopolitiques dans les régions productrices de la ressource et par le degré de frénésie des marchés financiers[11] : après une forte chute au premier trimestre 2009 qui a fait baisser le prix du pétrole rejoignant son niveau de 2005 (44 USD/bl), il a augmenté pour atteindre un nouveau pic au premier trimestre de cette année (124 USD/bl). Le deuxième trimestre de 2012 a été marqué par un léger ralentissement du prix du pétrole qui s’est stabilisé à 97 USD le baril durant le mois de juin.

La décomposition des prix à la pompe des produits pétroliers

Les prix des carburants à la pompe au Maroc se décomposent (Figure 1) en une partie fixe déterminée par les pouvoirs publics et une partie variable dépendante du marché international du pétrole raffiné et de la situation sur le marché de change.

La composante fixe du prix contient deux éléments : la taxe intérieure à la consommation et les frais et marges de transport et de distribution qui constituent ensemble 38 % du coût de revient de l’essence, 26 % de celui du gasoil, et 4 % pour le fuel industriel. La grande partie des prix à la pompe est donc formée du prix des produits raffinés à raison de 53 % pour l’essence, 65 % pour le gasoil, et 87 % pour le fuel industriel. La TVA, fixée à un taux réduit de 10 %, vient en deuxième position des composantes variables des prix à la pompe. Enfin, la subvention est aussi un élément variable dépendant des composantes précédentes et calibrée périodiquement afin de garantir des prix à la pompe prédéterminés.

Ainsi, le poids de la subvention des produits pétroliers dépend essentiellement des cotations du pétrole raffiné sur le marché de Rotterdam[12], qui réagit à son tour à l’évolution du prix  du pétrole brut. Le renchérissement de ce dernier augmente les prix de ses dérivés, ce qui en corollaire alourdit le poids de la subvention.

Par ailleurs, la variation de la parité de change MAD/USD a un effet non négligeable sur le degré d’intervention des pouvoirs publics sur les prix des produits pétroliers. Entre le point le plus bas du taux de change MAD/USD au 26/02/2012 depuis le début de l’année et le pic atteint au 30/05/2012 (

Graphique 2), la monnaie nationale s’est dépréciée d’environ 7 % renchérissant le prix du baril en Dirhams, et alourdissant dans la même proportion les subventions pour des prix à la pompe inchangés. Cette tendance ne devrait pas se renverser dans les prochains mois tant que les perspectives économiques des pays de la zone euro resteront dans le rouge et le choix actuel de l’ancrage du Dirham sur un panier de devises dominé par l’euro sera maintenu.

Conclusion : quelle politique de tarification des produits pétroliers ?

L’objectif d’une tarification régulée du prix des produits pétroliers est d’assurer la stabilité des prix en lissant à court terme les fluctuations de ses composantes variables ; et dans un cadre macroéconomique plus large, de maintenir le pouvoir d’achat des ménages et de soutenir les coûts de production des entreprises ouvertes à la concurrence internationale. A moyen et long terme, la politique de tarification devrait inclure progressivement les grandes tendances qui se dessinent sur le marché mondial de la ressource, ainsi qu’encourager les mutations au niveau des comportements de production et de consommation.

Entre une libéralisation totale des prix à la pompe en appliquant le principe de la « vérité des prix » d’une part, et une tarification fixée d’une manière ad hoc et imprévisible de l’autre, une position médiane semble la plus appropriée et la moins risquée dans le cas du Maroc, au moins dans une période de transition économique et politique. Une position qui consiste à déterminer les prix à la pompe à partir d’une règle de calcul simple et connue, intégrant les contraintes budgétaires de court terme des différents agents économiques (ménages, entreprises et administrations publiques) et tolérant une variation instantanée des prix que ce soit vers le haut ou le bas à l’intérieur d’une fourchette jugée acceptable.

Par ailleurs, le maintien des subventions en faveur des secteurs particuliers, producteurs de biens et services alternatifs (transports en commun, énergie renouvelable, etc.), ou jugés sensibles en termes d’emplois et de ressources en devises, pourrait s’avérer indispensable pour assurer une transition en douceur vers un modèle de croissance économe en ressources fossiles. Dans la même lignée, une politique d’accompagnement devrait se mettre en place au profit des ménages à bas et moyen revenus et pour ceux qui habitent les zones rurales.


[1] Chercheur affilié à l’OFCE.

[2] Conformément aux dispositions de la Loi 06-99 modifiée et complétée par la Loi 30-08.

[3] La caisse de compensation est un établissement public chargé de la mise en œuvre de la politique de stabilisation des prix des produits de base du gouvernement marocain.

[4] IEA , 2011, “World Energy Outlook 2011” Paris, OECD Publishing.

[5] OECD, 2011, “Joint report by IEA, OPEC, OECD and World Bank on fossil-fuel and other energy subsidies: An update of the G20 Pittsburgh and Toronto Commitments”.

[6] A la date d’entrée en vigueur de la réforme : 1 MAD = 0,11 USD

[7] Les exemptions dont bénéficient le secteur de l’électricité et autres pourraient relever d’un problème de constitutionnalité en termes de rupture du principe d’égalité devant les charges publiques.

[8] Le risque de voir apparaître des comportements spéculatifs à la suite d’une annonce à l’avance de la mesure s’estompe si la modulation des prix se fait sur plusieurs étapes étalées dans le temps et avec une règle claire d’indexation sur les prix mondiaux.

[9] Haut Commissariat au Plan, « Simulation de l’impact de l’augmentation des prix des produits pétroliers sur les principaux agrégats de l’économie nationale » note du 13 juin 2012. Cette étude prévoit une baisse du PIB de 0,4 % et de la consommation de 1 % en écart au compte central à la suite de ce choc sur les prix des produits pétroliers. Néanmoins, elle surestime les effets récessifs du fait qu’elle n’inclut pas une boucle rétroactive de l’amélioration du solde budgétaire sur la demande autonome et éventuellement sur le taux public, et suppose que la dynamique des effets de second tour du choc inflationniste s’enclenche, ce qui n’est pas mécanique comme dans le modèle.

[10] Ducoudré B. « La reconstruction japonaise contrainte par la situation dégradée des finances publiques» Blog de l’OFCE, 5 juin 2012.

[11] Antonin, C. « Pétrole : vers un troisième choc pétrolier ? »  Revue de l’OFCE, n° 123, 2012.

[12] Même si le coût de revient des produits pétroliers raffinés au Maroc devrait être différent de la valeur des importations, les prix déterminés sur le marché de Rotterdam restent actuellement les références dans le calcul du montant des subventions.