La France (presque) « championne du monde » de la dépense sociale et de la baisse de la pauvreté

par Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

La France serait « championne du monde » de la dépense (publique) en protection sociale. Selon l’OCDE, les dépenses publiques en protection sociale[1] s’établissaient à 25,7 % du PIB en 2016. Ces dépenses sont proches de celles des pays scandinaves (29 % du PIB en Finlande, 25 % au Danemark, 21 % en Suède), de la Belgique (20 %) ou l’Autriche (24 %). A l’autre extrême, les pays anglo-saxons se caractérisent par de faibles dépenses de protection sociale. En particulier, l’Irlande dépense seulement 10 % de son PIB ­– une exception dans l’Union européenne – et les Etats-Unis 8,7 %.

Ces chiffres masquent des différences sur le domaine couvert par le système de protection sociale public dans les différents pays. En France, les retraites et le système de santé reposent largement sur un financement public, ce qui n’est pas nécessairement le cas ailleurs. Une grande part des droits ouverts en France sont directement liés aux cotisations sociales payées (notamment pour la retraite-survie[2]) ou servent à financer une dépense, a priori contrainte, qui ne devrait pas être limitée par des considérations de ressources individuelles (en santé).

Lorsque l’on exclut ces dépenses (retraites et santé), la France consacre 6,8 % de son PIB à la protection sociale, chiffre inférieur à celui des pays scandinaves (11 % de PIB au Danemark ou 8 % en Finlande). En revanche, les dépenses sociales sont plus faibles dans les pays méditerranéens (3 % du PIB en Italie et en Espagne ou 1 % en Grèce) ou au Japon (3 %). Sur ce champ restreint, incluant notamment les dépenses en « famille et enfants », « chômage », « logement » et « pauvreté et exclusion », la moyenne pondérée (pour les pays où les données détaillées sont disponibles[3]) des dépenses des pays de l’OCDE se situe à 4,5 % du PIB. La France dépense ainsi plus que la moyenne de l’OCDE.

Ainsi restreintes, les dépenses ont presque explicitement pour but la redistribution monétaire et la réduction de la pauvreté[4]. Une corrélation négative est observée entre le taux de pauvreté monétaire et le niveau des dépenses redistributives (graphique 1) au sein des pays membres de l’OCDE[5]. Une moindre dépense de protection sociale se traduit par une prévalence plus forte de la pauvreté monétaire. En France, le taux de pauvreté après transferts sociaux s’établit à 14 %, alors que le taux s’établit à 17 % dans l’ensemble de l’Union européenne.

Graphe-Pauvrete_post21-06Les écarts de taux de pauvreté ne dépendent pas directement et uniquement des dépenses sociales. D’une part, celles-ci poursuivent d’autres objectifs (assurer un revenu au-dessus du seuil de pauvreté aux personnes en situation de handicap, compléter les revenus des ménages médians avec enfants, …). D’autre part, il faut aussi tenir compte du point de départ avant redistribution, c’est-à-dire la distribution qui découle des rémunérations de marché. Selon Eurostat, le taux de pauvreté (primaire, après retraite) en France aurait été de 21 % en absence de redistribution. Le système socio-fiscal réduit donc le taux de pauvreté de 37 %. Au sein de l’Union européenne, la réduction n’est que de 28 % (pour une réduction de 7 points du taux de pauvreté).

En pourcentage du taux de pauvreté avant redistribution, seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni diminuent le taux de pauvreté de façon comparable à ce qui est fait en France alors que les dépenses dans ces deux pays sont plus faibles (5 % de leur PIB en protection sociale hors « retraite-survie » et « santé »), suggérant que le ciblage des dispositifs peut avoir un effet sur le lien pauvreté monétaire dépenses sociales (voir le billet du Blog de l’OFCE : « Aides sociales » : un rôle majeur dans la réduction de la pauvreté monétaire en France).

En tout état de cause, l’analyse de l’efficacité du système de protection sociale ne peut pas se réduire à la comparaison de chiffres globaux mais doit, dans un premier temps, définir les objectifs (réduire la pauvreté, son intensité, la pauvreté des enfants, assurer l’égalité des chances, réduire la persistance de la pauvreté, …), puis entrer dans les complexités causales de chacune des composantes de la redistribution.

 

[1] La notion de protection sociale est celle de la nomenclature internationale COFOG. Elle distingue la protection sociale au sens strict (catégorie 10) des dépenses de santé non individualisables (comme certaines dépenses hospitalières, catégorie 7). La publication « La protection sociale en France et en Europe en 2016 » de la DREES inclue dans la protection sociale la catégorie COFOG 7. Le montant des dépenses de protection sociale (10) plus santé (7) dans les données COFOG 2018 est de 34,2% pour la France. La différence provient de la révision des données opérées par la DREES et des différences de champ mineures.

[2] Il faut noter que le système de retraite français actuel génère une redistribution entre les retraités, au profit des petites retraites. Voir Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, 2017, « Faut-il une nouvelle réforme des retraites ? », OFCE policy brief 26, 2 novembre, pour plus de détails.

[3] Ce qui exclut notamment les États-Unis.

[4] Défini par la part de la population ayant un niveau de vie inférieur à 60 % du revenu médian.

[5] On observe également une corrélation négative entre taux de pauvreté et dépenses pour lutter contre l’exclusion (COFOG 10.7). Cependant la catégorie 10.7 (1,1% du PIB pour la France) n’épuise pas toutes les mesures destinées à lutter contre la pauvreté.




La question des minima sociaux

par Henri Sterdyniak

Fin 2014, 4,1 millions de personnes recevaient en France un minimum social, ce qui représentait au total 7,1 millions de bénéficiaires en tenant compte des personnes à charge (enfants ou conjoints), soit près de 11 % de la population. En même temps, le taux de pauvreté reste élevé (13,3 % en 2014 selon Eurostat) et ne montre pas de tendance à la baisse. Pourtant, certains dénoncent le « cancer de l’assistanat », d’autres proposent de diminuer de façon importante le montant des prestations pour creuser l’écart avec les revenus d’activité. Le débat sur les minimas sociaux est donc important et on ne peut que se réjouir de la parution du rapport  de Christophe Sirugue : « Repenser les minima sociaux, vers une couverture socle commune ». Celui-ci préconise la fusion à terme des minimas sociaux en une couverture socle commune, ouverte aux 18-25 ans. Nous voudrions ici discuter de cette proposition[1]. Par ailleurs, le rapport ne traite pas de la situation des enfants (qui connaissent pourtant des taux de pauvreté élevés) ; il ne discute ni le montant, ni les modalités d’indexation des prestations.

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Au sens large, notre système distribue 10 minima sociaux, avec des montants et des réglementations spécifiques. C’est beaucoup certes, mais les situations des bénéficiaires de chaque type de minimum diffèrent, en particulier quant à  leur situation vis-à-vis de l’emploi. Le rapport Sirugue présente deux scénarios pour le moyen terme. Dans le deuxième qui a sa préférence, une couverture socle unique serait mise en place, mais avec des compléments différenciés pour les retraités, les handicapés, les actifs engagés dans un processus d’insertion. Ce ne serait pas une simplification puisque les bénéficiaires auraient à demander deux prestations (la couverture socle plus le complément) et, surtout, la spécificité des situations serait niée : un retraité pauvre, un chômeur en fin de droit, une mère isolée sans ressources, un jeune ne trouvant pas d’emploi relèvent d’un traitement social différencié, de sorte que la couverture socle unique serait fictive. Nous préférons donc le premier scénario de réduction du nombre de minimas sociaux, mais cette réduction peut être obtenue de plusieurs façons qu’il convient de discuter.

Un pays riche comme la France pourrait se donner des objectifs précis et ambitieux en matière de baisse de la pauvreté, sachant que celle-ci dépend de deux facteurs : les divers transferts sociaux d’un côté (les minima sociaux, mais aussi les allocations logement et les prestations familiales), la situation de l’emploi de l’autre. En période de chômage de masse, le problème n’est pas tant d’inciter les chômeurs à reprendre un emploi, même s’il faut toujours maintenir un certain gain à l’emploi, que celui d’inciter les entreprises à en créer. La politique de flexibilisation de l’emploi et de développement des emplois à bas salaires a des effets contradictoires sur la pauvreté puisque les emplois précaires, à temps partiel subi, ne permettent souvent pas de sortir de la pauvreté. En 2013, le revenu médian par unité de consommation était de 1 667 euros par mois. Le seuil de pauvreté à 60 % était donc de 1 000 euros par mois ; celui à 50 % de 833 euros par mois. L’objectif pourrait être de faire échapper à la pauvreté à 60 % les personnes dans l’incapacité de travailler, à celle à 50 % les autres. Reste, nous le verrons,  la question des enfants.

Le système français est mixte, la solidarité nationale s’ajoute à la solidarité familiale, selon des modalités différentes selon les âges et les niveaux de revenu. Les enfants et les jeunes sont principalement à la charge de leurs parents ; les personnes âgées bénéficient de prestations publiques. Ce partage doit sans doute évoluer pour tenir compte de l’allongement de la période de la jeunesse. Mais l’abolition de la solidarité familiale serait trop coûteuse aujourd’hui. Il faut en rester à un compromis.  Contrairement à ce qu’écrit le rapport Sirugue, on ne peut donner une couverture socle unique à tout individu dès 18 ans, « sans tenir compte de la composition de son foyer », car les personnes vivent dans des familles qui partagent leurs revenus ; il faut tenir compte de la solidarité conjugale et des besoins des enfants. Actuellement, le principe du RSA et du minimum vieillesse est que la prestation pour un couple est 1,5 fois celle d’une personne seule. L’étude de l’ONPES sur les budgets de référence estime que les besoins d’un couple sont de 1,4 fois ceux d’une personne seule. Aussi, la suggestion du rapport de donner aux couples deux fois la prestation de la personne isolée nous semble coûteuse et nous éloigne de l’équité. Il vaut mieux aider les familles avec enfants que les couples.

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Toute réforme doit bien distinguer entre les prestations destinées aux personnes qui ne reviendront pas à l’emploi, les prestations destinées aux personnes qui ne trouvent pas temporairement d’emploi et le filet de sécurité du revenu minimum.

Le minimum vieillesse est actuellement de 801 euros par mois pour une personne seule, de 1 242 euros pour un couple. Il est versé à partir de 65 ans (ou de l’âge minimum de la retraite pour les personnes inaptes au travail). Les personnes âgées, qui ne sont pas propriétaires de leur logement, ont droit à une allocation logement de l’ordre de 300 euros. Aussi, toutes les personnes âgées sont en principe au-dessus du seuil de pauvreté à 60 %.  Toutefois, 8,6 % des plus de 65 ans restent sous ce seuil, sans que l’on sache s’il s’agit de personnes propriétaires[2] ou de personnes n’ayant pas demandé le minimum vieillesse en raison de ressources non mesurées (l’aide des enfants), de l’ignorance des droits (en particulier au moment du veuvage), du refus d’une prestation jugée stigmatisante ou de la crainte d’une récupération sur l’héritage (sur la partie de celui-ci qui dépasse 39 000 euros). Contrairement aux préconisations du rapport Sirugue, il ne nous semble pas utile de couper cette prestation en couverture de base et en complément de soutien. Le plafond  de récupération sur l’héritage devrait cependant être relevé pour permettre la transmission du patrimoine familial de faible valeur à des héritiers à faible revenu. Notons que ce montant de 800 euros (1 100 avec l’allocation logement) est un plancher pour tout projet d’allocation universelle ou de revenu de base.

L’Allocation aux adultes handicapés (AAH) est d’un montant très légèrement supérieur à celui de l’ASPA (808 euros) ; peuvent s’y ajouter, outre les allocations logement, une majoration pour la vie autonome ou un complément de ressources. C’est une allocation individuelle, mais son attribution dépend d’un plafond de ressources tenant compte de la composition du foyer (1 616 euros pour un couple). Statistiquement, l’adulte handicapé échappe à la pauvreté (mais l’indicateur de pauvreté ne tient pas compte des besoins spécifiques des handicapés). Le système apparaît relativement généreux pour les couples d’handicapés (ils ont des besoins spécifiques), mais peu satisfaisant pour les couples actif/handicapé puisque les ressources du conjoint s’imputent pour 80 % sur l’AAH. Ne pas tenir compte des ressources du conjoint serait une réforme nécessaire, du point de vue de l’incitation au travail du conjoint, mais aussi de la justice sociale : la personne handicapée a droit à la solidarité nationale et pas seulement à celle de son conjoint.

L’allocation  supplémentaire d’invalidité est versée aux personnes titulaires d’une pension d’invalidité, n’ayant pas atteint l’âge minimum de la retraite, mais qui n’ont pas vocation à retourner à l’emploi. Elle est au maximum de 404 euros pour une personne seule, de 666 euros pour un couple ; c’est une allocation différentielle jusqu’à un plafond de 702 euros pour une personne seule, de 1 230 euros pour un couple.  Il est difficile de comprendre ce qui justifie la différence de montant avec l’AAH. Une réforme simplificatrice serait d’en faire une allocation individuelle du même montant et même réglementation que l’AAH.

L’allocation de solidarité spécifique est destinée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits à l’assurance-chômage. Elle est d’un faible montant (494 euros par mois contre 872 euros pour le montant minimal de l’Allocation de retour à l’emploi (ARE), et son attribution est soumise à un plafond de ressources : 1 138 euros pour une personne seule, 1 788 euros pour un couple. Comme c’est une allocation différentielle, elle aboutit à un effet pervers : le revenu du ménage reste le même quand le salaire du conjoint passe de 1 294 à 1 788 euros. Une réforme simplificatrice consisterait à la transformer en un prolongement de l’Allocation de retour à l’emploi, donc en une prestation individuelle gérée par Pôle emploi comme l’ARE, mais prise en charge par le budget de l’Etat.

L’Allocation veuvage, destinée aux personnes d’âge actif (moins de 55 ans) venant de perdre leur conjoint, est aujourd’hui une prestation d’assistance, versée pendant deux ans aux veuves sans ressources propres. Elle est de 602 euros avec un plafond de ressources de 753 euros. Elle ne laisse donc guère échapper à la pauvreté.  L’aide aux veuves et aux orphelins, en cas de décès précoce, est en fait mieux assurée par les contrats de prévoyance (qui se sont généralisés et devraient être rendu obligatoires), de sorte que l’allocation veuvage ne joue plus qu’un rôle très limité. Comme le suggère le rapport Sirugue, elle pourrait être fondue dans le RSA. Il en va de même pour l’Allocation temporaire d’attente et le Revenu de solidarité d’outre-mer.

Le RSA pour une personne seule est actuellement de 525 euros par mois, soit de 463 euros hors forfait logement, ou de 785 euros (y compris les allocations logement). En 1990, le RMI représentait 35 % du revenu médian (52 % avec les allocations logement) ; en 2015, le RSA est à 31 % du revenu médian (47 % avec les allocations logement). En 2013, le gouvernement avait annoncé une revalorisation de 10 % du RSA en 5 ans, dont 6 % ont déjà été effectué. En 2017, le RSA n’aura pas rattrapé le niveau relatif de 1990. Il serait souhaitable que le montant du RSA, comme celui des autres minimas sociaux, évolue en permanence comme le revenu médian. Le RSA laisse une personne seule en dessous du seuil de pauvreté à 50 %. Il est nettement plus faible que le minimum vieillesse ou l’AAH car la société considère que la personne d’âge actif est responsable de sa situation ; elle  pourrait travailler ; elle doit être incitée à le faire. Grâce à la prime d’activité, travailler à un demi-smic rapporte 278 euros par mois et fait sortir de la pauvreté à 60 %.

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Dans le cas d’un couple avec deux enfants, le RSA n’assure qu’un niveau de vie de l’ordre de 43 % du revenu médian. Grâce à la prime d’activité, le travail rapporte (309 euros pour un demi-SMIC, 596 euros pour un SMIC), mais  il faut un SMIC pour sortir de la pauvreté à 60 %. Le chômage (qui fait perdre la prime d’activité) fait retomber dans la pauvreté. Les enfants de Rmistes ou de travailleurs précaires vivent donc dans la pauvreté alors qu’ils ne sont pas responsables de leur situation et que vivre dans la pauvreté ne leur permet pas de s’épanouir et risque de compromettre leurs études. Leurs parents jouent un rôle social (élever des enfants) et il n’est pas illégitime qu’ils aient un niveau de vie plus élevé qu’un couple sans enfant. Aussi, la question des minima sociaux ne peut faire l’impasse de la question des enfants. Les allocations familiales devraient être revalorisées ; elles sont de 189 euros pour deux enfants alors qu’assurer à chaque enfant une prestation correspondant au seuil de pauvreté à 60 % voudrait qu’elles soient de 350 euros par enfant.  En l’absence de cette revalorisation générale, il faudrait un complément familial de montant élevé pour aider les familles de travailleurs pauvres dès le premier enfant et un RSA nettement revalorisé pour les familles avec enfants. Enfin, la prime d’activité devrait être versée aussi aux chômeurs.

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Les jeunes de 18 à 25 ans apparaissent aujourd’hui comme la classe d’âge la plus pauvre (même si cela doit être relativisé puisque les transferts familiaux sont mal pris en compte ; par ailleurs, ce n’est pas une spécificité française). Les jeunes, étudiants ou chômeurs, sont à la charge de leurs parents, ce qui est source d’injustice sociale entre les jeunes des classes populaires et ceux de familles aisées. Il n’est guère possible aujourd’hui, pour des raisons budgétaires, de créer une allocation d’autonomie, qui socialiserait totalement  la prise en compte des jeunes. Par ailleurs, il serait injuste d’attribuer une allocation aux jeunes étudiants et pas aux jeunes travailleurs.

Le rapport Sirugue propose, et on ne peut que l’approuver, d’étendre le RSA aux jeunes non étudiants  à partir de 18 ans (ou de 21 ans). Il n’y a en effet aucune raison pour qu’un jeune de 23 ans, sans aide de sa famille, vive dans la misère jusqu’à ses 25 ans. Pour une famille pauvre, le jeune toucherait 463 euros au lieu que sa famille touche 210 euros pour lui. En contrepartie, les familles aisées dont le jeune demanderait le RSA perdraient le droit au quotient familial (mais celui-ci ne « rapporte » que 125 euros par mois). Le jeune perdrait lui le droit à l’aide de ses parents (qu’il peut aujourd’hui réclamer en justice). Il faudra donc choisir entre deux formules : le RSA est un droit pour les jeunes qui délie les parents de l’obligation de les aider ; le RSA est versé sous condition de ressource des parents, les parents qui le peuvent doivent continuer à aider leurs jeunes adultes.

Une solution alternative et qui serait sans doute préférable est de donner aux jeunes à la recherche d’un emploi et n’ayant pas droit aux allocations chômage une Allocation d’insertion, équivalente à l’ASS, qui leur donnerait droit à valider des points pour la retraite.

Le RSA est actuellement le dernier filet de sécurité de notre système social. Il est faible pour ne pas désinciter au travail, mais ce souci est peu pertinent en situation de chômage de masse. Les entreprises sont devenues plus exigeantes. Beaucoup de personnes ne peuvent espérer retrouver un emploi. On pourrait rendre le système plus généreux en ouvrant un choix aux personnes qui ne peuvent espérer retrouver un emploi normal dans le secteur privé pour des raisons personnelles et professionnelles (trop âgées, professions en déclin, qualifications périmées, etc.) entre toucher une allocation invalidité (comme dans les pays anglo-saxons) qui pourrait être de l’équivalent de l’AAH (800 euros par mois)  et bénéficier d’un emploi dans une collectivité locale ou une association.

Le système actuel peut être jugé compliqué et inquisiteur. Il cherche à tenir compte de la diversité des situations. Un système plus simple (une allocation universelle versée à chacun[3]) serait moins précis et devrait choisir entre être beaucoup plus coûteux (800 euros par adulte, 400 par enfant) ou beaucoup moins généreux (400 et 200 euros) au détriment des personnes âgées et des handicapés.

 

[1] Une Lettre de l’OFCE avait déjà été consacrée à cette question : Hélène Périvier, 2006, « Quel sort pour les allocataires de minima sociaux », mars, n° 273.

[2] Malheureusement, l’INSEE n’impute pas de loyers fictifs aux propriétaires de leur logement ; aussi, une personne âgée propriétaire touchant le minimum vieillesse peut être classée comme pauvre alors qu’elle a un niveau de vie supérieur à celui d’une personne locataire qui touche les allocations logements.

[3] Voir Guillaume Allègre, 2013,« Comment peut-on défendre un revenu de base ? » Note de l’OFCE,  décembre 2013.




Le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré

par Céline Antonin

A l’heure où le débat sur la réforme du marché du travail cristallise les passions en France, l’Italie tire quant à elle les premiers enseignements de la réforme mise en place il y a un an. Il faut dire que la réforme du marché du travail, baptisée Jobs Act, faisait partie des promesses de campagne de Matteo Renzi. Le marché du travail italien souffre en effet de faiblesses chroniques, notamment la segmentation, la dualité entre salariés protégés et non protégés, le fort taux de chômage des jeunes, ou encore l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. D’inspiration sociale-libérale, la réforme de Matteo Renzi prône la flexisécurité, avec l’introduction d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminé et à protection croissante, une baisse des charges sociales sur les entreprises, et une meilleure indemnisation et un accompagnement des chômeurs. Le premier bilan est certes positif en termes de chômage et de créations d’emploi. Cela étant, il faut se garder de tout triomphalisme hâtif, car cette réforme intervient dans des circonstances particulièrement favorables avec le retour de la croissance, le policy mix accommodant, ou encore la stagnation de la population active.

Jobs Act à l’italienne : les points-clefs

Le Jobs Act n’est en réalité que le dernier né d’une série de mesures, adoptées depuis la Loi Fornero de 2012, visant à flexibiliser le marché du travail.  L’acte I du Jobs Act, ou décret-loi Poletti (DL 34/2014), a été adopté le 12 mai 2014, mais est passé relativement inaperçu, car il ciblait essentiellement les CDD et l’apprentissage. Il permettait notamment d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, supprimait les périodes de carences et permettait un renouvellement plus important des CDD, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise[1].

Le véritable changement est intervenu avec l’Acte II du Jobs Act, dont la loi d’habilitation a été adoptée par le Sénat italien le 10 décembre 2014. Les huit décrets d’application, adoptés au premier semestre 2015 comportent quatre points-clefs :

– La suppression de l’article 18 du Code du travail qui permettait une réintégration en cas de licenciement manifestement abusif : l’obligation de réintégration est remplacée par une obligation d’indemnisation plafonnée[2], mais la réintégration reste de mise en cas de licenciement discriminatoire ;

– La création d’une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée et à protection croissante, intermédiaire entre CDD et CDI : le licenciement est facilité pendant les trois premières années suivant l’embauche et des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté du salarié sont mises en place ;

– La suppression de l’usage abusif des contrats de collaboration[3], contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié, concernant environ 200 000 personnes. Ces contrats devront être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques), sauf pour quelques cas restreints ;

– La réforme de l’assurance chômage, avec une extension des dispositifs d’indemnisation. Ainsi, la durée d’indemnisation est portée à deux ans (contre 12 mois auparavant). Quant aux dispositifs d’indemnisation du chômage « technique », ils sont notamment étendus aux apprentis et entreprises de 5 à 15 salariés[4]. Une Agence Nationale pour l’Emploi (ANPAL) avec l’introduction d’un guichet unique, permettant d’articuler la formation et l’emploi, a également été créée.

Notons que seules les mesures relatives à l’expérimentation d’un salaire horaire minimum[5], qui figurent dans la loi d’habilitation de décembre 2014, n’ont pas été abordées.

Parallèlement au Jobs Act, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (équivalent de la taxe professionnelle) pour les personnes employées en CDI a été supprimée, réduisant d’un tiers environ le montant de l’IRAP. Surtout, la Loi de finances pour 2015 supprime les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche. Cette mesure devrait coûter 3,5 Mds d’euros d’ici 2018. La mesure a été prolongée en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans.

Une forte progression de l’emploi et une baisse du taux de chômage

Depuis le début de l’année 2015, on observe une forte progression de l’emploi, en particulier l’emploi à durée indéterminée : entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’actifs occupés a augmenté de 229 000, avec une progression forte du nombre de salariés (+377 000) et un recul du nombre d’indépendants (-148 000).  Parmi les salariés, on note une progression forte du nombre de CDI (+328 000). Ainsi, le nombre de salariés en CDI est revenu à 22,6 millions, aux niveaux de 2009 (graphique 1) ; quant à l’emploi total, s’il ne revient pas encore à son niveau d’avant-crise, la baisse de 2012-2014 est annulée. En revanche, le rythme annuel des créations d’emploi a retrouvé son niveau d’avant-crise, avec une progression de l’ordre de 250 000 par an (graphique 2).

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Outre les nouvelles embauches en CDI, le Jobs Act a conduit à substituer des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, 5,4 millions de nouveaux emplois ont été créés en 2015[6] (+11% par rapport à 2014), principalement à durée indéterminée. Sur les 2,4 millions de CDI créés, on dénombre 1,9 million de nouveaux CDI et 500 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (dont 85 000 contrats d’apprentissage), en forte hausse par rapport à 2014. On constate également une baisse des contrats de collaboration (-45 % entre le troisième trimestre 2014 et le troisième trimestre 2015) et des contrats d’apprentissage (-24,6 %). Signalons également l’augmentation de 4,3 % du nombre de démissions et la réduction de 6,9 % des licenciements.

Cette progression de l’emploi a pour corollaire une baisse marquée du taux de chômage (graphique 3), qui atteint 11,4 % au dernier trimestre 2015 (contre 12,8 % un an auparavant). Cela étant, la baisse du chômage s’explique également par une stagnation de la population active en 2015, à l’inverse des années précédentes marquées par la réforme des retraites.

 

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Des incertitudes demeurent

Matteo Renzi semble avoir gagné son pari. Pourtant, il ne faut pas sur-interpréter cette baisse du chômage. En effet, plusieurs facteurs positifs ont indéniablement contribué à amplifier le phénomène.

On peut tout d’abord relever un effet d’aubaine lié à l’annonce des exonérations de cotisations sociales pour l’embauche en nouveau contrat à durée indéterminée, qui a conduit certaines entreprises à repousser les embauches prévues en 2014 à 2015 (ce qui a eu pour conséquence une hausse du chômage fin 2014). Par ailleurs, une partie de la baisse du chômage est liée à l’effet de substitution des contrats précaires de courte durée par les nouveaux CDI à protection croissante (voir supra). Reste à savoir si les nouvelles flexibilités permises par ces nouveaux contrats seront utilisées dans les trois années qui viennent, et si les ruptures de contrat seront plus nombreuses.

En outre, la stagnation de la population active (graphique 3) a largement amplifié le mouvement de baisse du chômage. Avec l’embellie observée sur le marché de l’emploi, nous anticipons, dans le futur, que la hausse de la population active, amorcée au dernier trimestre de 2015, va se poursuivre en raison d’un effet de flexion[7], qui viendrait amortir l’effet de la création d’emplois en 2016 et 2017.

Par ailleurs, le  Job Act a été adopté dans un contexte de sortie de récession, avec une reprise certes molle (+0,6 % de croissance en 2015), mais néanmoins au-dessus du potentiel de croissance[8]. Le relâchement de la contrainte budgétaire a eu un effet de relance en 2015, qui peut expliquer en partie le reflux du chômage. Quant aux conditions monétaires, elles sont particulièrement favorables, l’Italie étant l’un des principaux bénéficiaires de l’assouplissement quantitatif mis en œuvre par la BCE.

Ces réserves ayant été émises, il est néanmoins indéniable que la baisse des cotisations a eu un impact positif. Le rapport de l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) de février 2016 montre que sur les 2,4 millions de ces nouveaux CDI créés en 2015, 1,4 million ont bénéficié des exonérations de cotisations employeurs, soit quasiment deux nouveaux CDI sur trois. Par ailleurs, la baisse des contrats précaires au profit de contrats à durée indéterminée, même s’ils sont moins protégés qu’avant, est plutôt un signe encourageant pour l’accès à l’emploi pérenne de populations qui en étaient traditionnellement éloignées (indépendants, contrats de collaboration).

Le principal regret que l’on peut avoir face à cette réforme est l’absence d’un volet dédié explicitement à la formation professionnelle, alors que c’est l’un des principaux points faibles du marché du travail italien. Au sein de l’UE, le pays détient le triste record du nombre de jeunes (15-24 ans) qui ne sont ni en emploi, ni à l’école, ni en formation. Par ailleurs, la formation de la main-d’œuvre est insuffisante et l’investissement en recherche et développement est faible, ce qui se traduit par une faible productivité. Il est légitime de vouloir agir sur le coût du travail et la dualité du marché du travail, mais cela ne peut suffire à résoudre la question de la productivité et de l’inadéquation de la main-d’œuvre. Par conséquent, Matteo Renzi serait bien inspiré de prévoir un acte III de la réforme de l’emploi pour enfin sortir le pays de la stagnation.

 

[1] voir C. Antonin, Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur, Note de l’OFCE n°48.

[2] L’indemnité économique est déterminée par un barème en fonction de l’ancienneté du salarié. Elle équivaut  à deux mois du dernier salaire par année d’ancienneté, pour un total qui ne peut être inférieur à 4 mois de salaire et plafonné à 24 mensualités.

[3] « Statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination mais « coordonnés » avec l’entreprise et créateur de certains droits sociaux. Il s’agit de travailleurs indépendants mais qui, dans les faits, dépendent d’une seule entreprise cliente (qui exerce des pouvoirs de direction limités, par exemple en matière d’organisation du travail et de temps de travail)», E. Prouet, Contrat de travail, les réformes italiennes, France Stratégie, La Note d’Analyse, n°30, mai 2015.

[4] D’autres mesures concernant le chômage technique sont également prévues, notamment le fait que le chômage technique d’un salarié ne peut dépasser 80 % du total des heures travaillées. En outre, la durée maximale pendant laquelle une entreprise peut avoir recours au chômage technique est au maximum de 24 mois sur cinq années glissantes.

[5] Il n’y a pas de salaire minimum généralisé en Italie, mais des salaires minima fixés au niveau des branches, comme c’était le cas en Allemagne avant 2015.

[6] Ce chiffre de 5,4 millions représente les créations brutes d’emploi, tous types d’emplois confondus (en cumulant notamment tous les CDD à très court terme), et sans tenir compte des destructions d’emplois. Si l’on considère le chiffre des créations nettes d’emploi, on retient le chiffre de 229 000 entre janvier 2015 et janvier 2016.

[7] Quand le chômage augmente, les personnes en âge de travailler sont découragées de se présenter sur le marché du travail. À l’inverse, lorsque l’emploi redémarre, certains sont incités à revenir sur le marché du travail, ce qui ralentit la baisse du chômage ; c’est ce phénomène que l’on appelle l’effet de flexion.

[8]  « La croissance tendancielle de productivité du travail est faible en Italie ; par conséquent, la croissance de la production permet de créer davantage d’emplois en Italie qu’en France par exemple, où la productivité du travail est plus forte ».




La libre circulation des citoyens européens en question

Par Gérard Cornilleau

Les élections britanniques ont relancé le débat sur la libre circulation des citoyens européens au sein de la Communauté. Le fait qu’en moins de 10 ans la population originaire d’Europe centrale et orientale (essentiellement en provenance de Bulgarie et de Roumanie) ait décuplé au Royaume-Uni passant, d’après Eurostat, de 76 000 en 2004 à 800 000 en 2013  explique sans doute cette tension nouvelle autour des migrations intra-européennes.

Il faut ajouter à ce débat autour des migrations définitives celui qui concerne la libre circulation des travailleurs détachés qui viennent occuper des postes de travail dans un pays différent de leur pays de résidence sans autre justification que la possibilité de réduire le coût du travail en évitant de payer des cotisations sociales dans le pays d’accueil.

La législation européenne en matière de circulation des citoyens au sein de la Communauté est ambiguë. D’un côté, la libre circulation est un droit absolu pour les travailleurs, mais elle est limitée pour les inactifs car, par principe, elle ne doit pas entraîner de dépenses sociales pour les Etats de destination. Les populations européennes doivent ainsi rester rattachées socialement à leur Etat d’origine. En théorie, le « tourisme social » est impossible et les Etats membres non seulement ne sont nullement contraints à la prise en charge sociale des migrants intra-européens, mais ils sont même en droit de les expulser si leur durée de séjour est supérieure à 3 mois et n’excède pas 5 ans. C’est ce qu’a rappelé la Cour de justice européenne dans un arrêt du 11 novembre 2014, l’arrêt dit Dano du nom d’une ressortissante roumaine vivant en Allemagne qui s’est vue refuser le bénéfice d’une aide sociale pour elle et son fils. La Cour européenne a jugé qu’elle ne pouvait pas subvenir seule à ses besoins et ceux de sa famille et qu’elle ne cherchait pas d’emploi. Elle n’avait dans ces conditions droit ni au séjour en Allemagne ni aux bénéfices des aides sociales. La Cour européenne a ainsi rappelé que la législation européenne en matière de droit de circulation visait à éviter que les citoyens de l’Union ressortissants d’autres Etats membres deviennent une charge « déraisonnable » pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil.

Les données disponibles relatives aux migrations entre pays européens  sont relativement disparates et souvent très incomplètes. On sait toutefois que les migrations d’inactifs, susceptibles d’être motivées par la recherche du bénéfice de prestations sociales non contributives, sont faibles. Il en va d’ailleurs de même pour les migrations d’actifs. L’Europe reste en effet cloisonnée en blocs linguistiques qui limitent les mouvements définitifs de population entre pays. Comparée à la mobilité géographique que l’on peut observer aux USA, l’Union européenne se caractérise par des flux migratoires internes faibles. Les données statistiques restent incertaines mais les évaluations courantes montrent que, dans les années 2000, la mobilité interne était environ 10 fois plus faible en Europe qu’aux Etats-Unis : entre 0,01 et 0,25 % de la population des pays de l’union immigrait chaque année dans les principaux pays européens contre 1 à 1,7 % aux Etats-Unis[1]. Depuis, les mouvements de population ont, semble-t-il, un peu augmenté en Europe alors qu’ils ralentissaient aux USA, mais sans renversement complet qui mettrait en cause le diagnostic d’une mobilité structurellement plus faible en Europe.

S’agissant des migrations d’inactifs, en cause dans la peur de voir se développer le « tourisme social » motivé par la recherche d’une protection sociale généreuse non contributive, les données disponibles montrent que le potentiel est extrêmement faible. Un rapport récent réalisé pour la Commission[2] évalue la population de migrants intra-européens inactifs entre 0,7 et 1 % du total de la population des principaux pays. En conséquence, la part des prestations sociales versées à la population correspondante est très faible. Une part importante des migrants inactifs étant constituée d’étudiants ou de retraités disposant de revenus suffisants, la question du tourisme social apparaît donc anecdotique.

Alors qu’elle est rigoureuse pour les inactifs, la législation européenne, très orientée en faveur du libre commerce, favorise la concurrence sociale entre les Etats au travers d’un droit du détachement de travailleurs d’un pays à l’autre manifestement trop laxiste. Cette législation a été conçue initialement  pour favoriser la mobilité non permanente des cadres des grandes entreprises qui souhaitaient continuer à bénéficier de leur couverture sociale d’origine en cas de mission de plus ou moins longue durée. Mais depuis l’ouverture à l’Est de l’Europe, certains secteurs ont utilisé de plus en plus massivement la possibilité d’embaucher des travailleurs d’autres pays en payant des cotisations sociales faibles dans les pays d’origine et ce, sans que cela se justifie par des pénuries de main-d’œuvre ou par le souci d’une plus grande efficacité productive. Ainsi en France 10 % de la main-d’œuvre de l’industrie de la viande est maintenant détachée en provenance d’autres pays européens. Cent mille ouvriers du bâtiment, sur un effectif de 1,8 million de salariés, sont dans cette même situation. Leur coût salarial est de 20 à 30 % inférieur à celui des nationaux. En outre, du fait de la difficulté du contrôle du paiement des cotisations dans le pays d’origine, une grande partie des détachements est irrégulière. Certes, des mesures techniques sont proposées par la Commission pour mieux vérifier la réalité de l’activité des entreprises qui pratiquent le détachement et leur paiement des cotisations. Mais elles seront sans doute très insuffisantes pour endiguer la croissance forte d’un mouvement qui puise sa source directement dans la concurrence sociale.

Toutes ces questions ont en commun de poser celle de la solidarité entre Etats européens et surtout de sa mise en œuvre. Les mouvements migratoires, quelle que soit leur nature, ont tendance à rééquilibrer les évolutions divergentes des marchés du travail et de la répartition de la population sur le territoire de l’Union. Il n’y a pas de raison de principe pour s’opposer à l’augmentation de la mobilité. Au contraire, compte tenu des déséquilibres actuels entre Etats européens, une plus grande mobilité devrait être encouragée ; sans bien sûr abandonner les politiques macroéconomiques, monétaires et budgétaires, qui constituent le levier le plus efficace pour lutter contre la divergence des économies.

Mais une politique accommodante en matière de mobilité implique une répartition des coûts immédiats qui ne peut pas être réalisée sans un minimum de convergence des systèmes de prise en charge des plus démunis et la mise en commun d’un certain montant de ressources. La clarification des règles de la concurrence sociale est également indispensable.

Pour éviter que la mobilité soit motivée par la seule recherche de baisse du coût salarial, le principe de l’égalité de traitement des travailleurs au sein d’un pays donné doit être appliqué strictement. Ceci implique qu’en cas de détachement, les cotisations soient prélevées au taux du pays dans lequel s’exerce l’activité du salarié. Le montant des cotisations prélevées par les organismes sociaux et fiscaux du pays d’activité peut être reversé au pays d’origine. Deux cas de figure se présentent : si les cotisations reçues excèdent celles qui auraient été payées sans détachement, il n’y a pas de problème de financement des prestations versées aux salariés détachés. Dans le cas inverse (salariés de grandes entreprises des pays les plus riches détachés dans des pays moins favorisés), une cotisation complémentaire peut être prélevée par le pays de détachement. Le principe d’un traitement égal des travailleurs locaux et détachés est compatible à la fois avec l’absence de concurrence sociale directe et le maintien des droits des salariés.

La réduction des freins à la libre circulation de tous les citoyens de l’Union serait d’autre part grandement facilitée par la mise en œuvre d’un plan de convergence des minimas de rémunérations, qu’elles soient salariales ou sociales. La mise en place d’un salaire minimum européen et d’un revenu minimum européen permettraient à terme d’éliminer la concurrence sociale et de faire disparaître les craintes de migrations motivées uniquement par la recherche de prestations non contributives. En outre, favoriser à long terme le rattrapage des niveaux de vie serait certainement un gage de renforcement de la confiance dans le projet d’union européenne. A plus court terme, la solidarité entre Etats doit accompagner le desserrement des contraintes migratoires. Ceci implique que les Etats susceptibles d’accueillir des citoyens pouvant bénéficier de prestations sociales non contributives reçoivent une aide financière de la Commission. Cette aide peut passer par la mise en place d’un nouveau budget social européen qui prendrait en charge le financement d’un certain nombre de minimas sociaux. Le budget européen peut encore être augmenté de 0,25 point de PIB. Il conviendrait d’examiner si un tel projet d’européanisation partielle de la politique sociale pourrait bénéficier d’une telle hausse du budget communautaire. Mais tout autre mode de transfert, garantissant aux Etats un financement solidaire des prestations non contributives versées aux migrants est envisageable.

Si l’on veut éviter le repli des Etats sur leurs frontières et, in fine, l’affaiblissement durable du projet européen fondé a contrario sur une volonté d’ouverture, il est sans doute temps de réviser quelques principes, de mettre en place un programme de convergence sociale volontariste et la mutualisation des coûts immédiats que peut entraîner la mobilité.

 


[1] Voir Mouhoud E.M et Oudinet J. (2006), « Migrations et marché du travail dans l’espace européen», Économie internationale, n° 105. Voir aussi Xavier Chojnicki (2014), « Les migrations intra-européennes sont d’ampleur limitées et se concentrent sur les grands pays», Blog du CEPII, Billet du 4 septembre 2014. Pour une analyse complète voir, Ettore Recchi, Mobile Europe, The Theory and Pratice of Free Movements in the EU, Palgrave macmillan, Londres, 2015.

[2] Voir “Fact finding analysis on the impact on Member States’ social security systems of the entitlements of non-active intra-EU migrants to special non-contributory cash benefits and healthcare granted on the basis of residence”, DG Employment, Social Affairs and Inclusion via DG Justice Framework Contract, Final report submitted by ICF GHK in association with Milieu Ltd, 14 October 2013.




Politiques redistributives et demande d’équité

par Gilles Le Garrec

Six ans après le début de la Grande Récession, le bilan économique de la France reste bien morose : la croissance est atone, le nombre chômeurs s’établit à près de 3,5 millions en métropole et la dette publique s’approche de la barre des 100% du PIB (95,4 % au sens de Maastricht en 2014 selon l’OFCE). Au rang des satisfactions, on peut citer la capacité du système de protection sociale à atténuer l’augmentation des inégalités de revenu. L’indice de Gini[1] calculé sur la population active (âgée de 18 à 65 ans) montre ainsi qu’entre 2008 et 2011, l’augmentation des inégalités de revenu marchand a été de 2,9 points de pourcentage tandis que celle des inégalités de revenu disponible n’a été que de 1,8 point. Pour ce faire, les dépenses sociales ont augmenté de 0,8 point, les portant à 19 % du PIB hors branche Vieillesse[2]. Pourtant, l’une des peurs associées à la crise (sa durée, son ampleur) est celle que la France ne puisse plus continuer à garantir aux individus un aussi haut niveau de protection sociale. Cette peur est-elle justifiée ? Pas forcément.

En effet, partant du postulat qu’en démocratie, une politique ne peut être menée que si elle obtient le consentement majoritaire des citoyens, Meltzer et Richard (1981) suggèrent qu’un accroissement des inégalités conduit à une demande accrue de redistribution non pas parce que les individus ont une aversion pour les inégalités, mais plutôt parce ce qu’ils ne sont motivés que par leur propre intérêt. Ainsi, plus l’individu médian, en termes de revenu[3], est pauvre par rapport à la moyenne de la population, c’est-à-dire plus la distribution des revenus est inégalitaire, plus il aura intérêt à réclamer une forte redistribution du revenu. Selon cette approche, la crise économique, du fait du creusement des inégalités qu’elle engendre, doit se traduire par une augmentation des dépenses sociales. La redistribution n’est pas subie : bien au contraire, elle est soutenue par une majorité de citoyens. Attrayante par sa simplicité, cette explication souffre d’un défaut majeur : on ne retrouve pas dans les données la supposée corrélation positive entre inégalité de revenus et redistribution. Typiquement, le niveau d’inégalité mesuré par l’indice de Gini (avant taxes et transferts) est de 0,46 en France pour ce qui concerne la population active, contre 0,475 aux Etats-Unis, alors que le niveau des dépenses sociales n’y est que de 13% du PIB[4]. Plus généralement, et comme l’illustre le graphique 1, ladite corrélation se révèle nulle, voire négative (voir Perotti, 1996 pour une revue empirique). Pour comprendre les éventuelles fragilités du système de protection sociale français, on ne peut donc pas se contenter du cadre d’analyse proposé par Meltzer et Richard (1981).

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L’inadéquation des faits observés à la théorie a engendré plusieurs pistes de recherche[5]. En particulier, le postulat selon lequel les individus ne sont mus que par leur propre intérêt a été remis en cause par un grand nombre d’expériences de laboratoire. Prenons, par exemple, le jeu de l’ultimatum. Dans ce jeu, deux sujets anonymes doivent se mettre d’accord sur le partage d’une somme d’argent. Le premier participant doit proposer un partage. Le second peut alors soit accepter soit refuser l’offre. S’il accepte, le partage se fait, sinon personne n’obtient rien. En théorie, le premier joueur doit donc toujours offrir au second joueur aussi peu que possible sachant que ce dernier acceptera toute offre strictement positive. Contrairement à cette prédiction, les résultats de l’expérience montrent qu’un grand nombre d’individus proposent 50 % de la somme au second joueur, pour une offre moyenne de l’ordre de 40 %. De plus, toute offre inférieure à 25 % de la somme a une forte chance d’être rejetée. Ces résultats mettent en évidence des comportements caractérisés par un sens de la justice distributive. Interrogé en dehors du laboratoire sur les raisons pour lesquelles quelqu’un serait favorable à la redistribution, ce motif ressort particulièrement. Ainsi, les données d’enquête soulignent que les individus tendent à soutenir d’autant plus de redistribution qu’ils pensent que la pauvreté est causée par des facteurs dont les individus ne sont pas responsables (voir Fong, 2001). Dans la lignée de ces résultats, la croyance selon laquelle la chance plutôt que l’effort détermine le revenu s’avère avoir une capacité prédictive des montants nationalement redistribués plus forte que les inégalités de revenus.

Ainsi, afin de déterminer par quel canal le souci des autres permet d’expliquer les différences de redistributions observées entre les démocraties, la littérature théorique s’est intéressée à la formation des croyances. Dans l’approche de Alesina et Angeletos (2005), les préférences des individus associent intérêt personnel et demande d’équité. Plus précisément, l’équité y est définie selon le principe chacun doit recevoir ce qu’il mérite. Sachant que les revenus dépendent à la fois de la chance et des efforts consentis, ils montrent que les différences entre les pays des montants redistribués résultent de croyances différentes et auto-réalisatrices. S’attendant à peu de redistribution, les Américains vont investir d’autant plus dans leur capital humain et engendrer ainsi les conditions pour une faible redistribution puisque la chance est réduite dans la détermination des revenus. A l’inverse, les Européens, en s’attendant à une forte redistribution, investissent moins dans leur capital humain. La chance est donc plus importante dans la détermination des revenus ; les individus vont donc soutenir une forte redistribution selon le principe d’équité. Par ailleurs, en supposant que Américains et Européens partagent les mêmes préférences, Alesina et Angeletos mettent en évidence un résultat important : le modèle américain avec peu de redistribution serait préféré par une majorité de citoyens au modèle européen parce qu’il engendre moins de distorsion et se traduit donc par un revenu global plus élevé. Cependant, cela ne veut pas dire que les plus pauvres ne préfèrent pas le modèle avec forte redistribution. A l’encontre de ce résultat basé sur l’hypothèse que les Américains et les Européens ont des préférences identiques, Corneo (2001) a montré que les Allemands de l’Ouest incorporaient dans leurs préférences des motivations collectives alors que les Américains n’étaient motivés que par leur propre intérêt. L’intensité de la motivation collective serait donc déterminée culturellement. Dans cette optique, dans le prolongement de l’approche proposée par Alesina et Angeletos (2005), Le Garrec (2014) propose un mécanisme de transmission culturelle de l’intensité de la demande d’équité. En conformité avec le processus de socialisation, l’observation durant l’enfance de l’incapacité de la génération précédente à mettre en place une politique redistributive juste va réduire le coût moral à ne pas soutenir soi-même une politique juste plus tard. Lorsque les individus sont socialisés dans un environnement caractéristique d’une politique redistributive juste, la demande d’équité reste forte dans les préférences : un système avec forte redistribution (par exemple, de type français) est pérenne et se perpétue de générations en générations. A l’inverse, si les individus sont socialisés dans un environnement où les choix redistributifs apparaissent éloignés de toute justice distributive, l’internalisation de la norme « la réussite individuelle prime » réduit le poids de l’impératif moral dans les préférences. Dans ce cas, un système avec faible redistribution (comme aux Etats-Unis) est également pérenne. Dans Le Garrec (2014), le choix d’un système va donc dépendre des histoires respectives des nations[6].

Au regard des extensions apportées au modèle canonique de Meltzer et Richard (1981), extensions basées sur la demande d’équité observée au niveau individuel, peut-on comprendre les craintes adressées quant à l’avenir du modèle de protection sociale français, c’est-à-dire d’un modèle caractérisé par une forte redistribution ? Notons d’abord que dans les extensions, puisque les individus restent en partie motivés par leur propre intérêt, l’effet Meltzer-Richard continue à exister. Une augmentation des inégalités tend ainsi à accroître le niveau de redistribution et celui-ci reçoit un soutien majoritaire aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Toutefois, dans la perspective d’Alesina et Angeletos, la force de la crise économique pourrait fragiliser le modèle français si elle amène les individus à croire qu’il ne peut plus être financé. Dans ce cas, la croyance pourrait devenir auto-réalisatrice et finir par provoquer une forte diminution de la générosité du système de protection sociale, pour tendre vers un système à l’américaine. Cette interprétation du modèle d’Alesina et Angeletos (2005) est d’autant plus crédible que le modèle américain avec peu de redistribution y apparaît préféré par une majorité d’Européens. La crise pourrait alors agir en révélateur pour changer les croyances. Cette perspective, cependant, n’est pas présente dans Le Garrec (2014), et pour cause les préférences co-évoluent avec le système de protection sociale. Un Français préféra (en moyenne) une forte redistribution parce que ses préférences traduisent une forte demande d’équité. De ce point de vue, le modèle avec forte redistribution, comme celui avec faible redistribution, apparaît très pérenne. Néanmoins, la pérennité du modèle avec forte redistribution nécessite dans Le Garrec (2014) un consensus minimal au sein de la société sur les causes de l’injustice afin de garantir une norme morale suffisamment forte. Or, la crise économique en Europe se caractérise justement par un fort désaccord sur ses origines : endettement excessif des ménages ou du gouvernement, austérité fiscale, conservatisme monétaire, divergence des compétitivités avec une monnaie unique, manque de solidarité entre nations, etc … Dans cette optique, la crise pourrait mettre en péril le modèle français par un affaiblissement de la norme morale. Au final, contrairement à l’approche de Meltzer et Richard (1981), les approches d’Alesina et Angeletos (2005) et de Le Garrec (2014), en approfondissant les motivations des individus, offrent des clés de compréhension, différentes et complémentaires, pour appréhender les éventuels périls que pourrait subir le système de protection social français à la suite de la crise économique.

 

Références

Acemoglu D., Naidu S., Restrepo P. and Robinson J. (2013), Democracy, redistribution and inequality, NBER WP 19746.

Alesina A. and Glaeser E. (2004), Fighting poverty in the US and Europe: A world of difference, Oxford University Press.

Alesina A. and Angeletos G.-M. (2005), Fairness and redistribution: US versus Europe, American Economic Review, 95(4), pp. 960-980.

Corneo G. (2001), Inequality and the State: Comparing US and German preferences, Annals of Economics and Statistics, 63/64, pp. 283-296.

Fong C. (2001), Social preferences, self-interest, and the demand for redistribution, Journal of Public Economics, 82(2), pp. 225-246.

Le Garrec (2014), Fairness, socialization and the cultural demand for redistribution, OFCE WP 2014-20.

Meltzer A. and Richard S. (1981), A rational theory of the size of government, Journal of Political Economy, 89(5), pp 914-927.

Perotti R. (1996), Growth, income distribution and democracy: what the data say, Journal of Economic Growth, 1(2), pp. 149-187.

 

 


[1] L’indice de Gini est basé sur la comparaison entre les proportions de population et le cumul de leurs revenus. Une valeur de 0 correspond à une égalité parfaite, une valeur de 1 à une inégalité complète.

[2] La logique du système de retraite n’étant pas une réduction des inégalités de revenus mais la provision d’un salaire différé sur la base de ce qui a été cotisé, il est préférable d’enlever ces dépenses pour évaluer à son juste niveau la capacité des dépenses sociales à réduire ces inégalités.

[3] 50% des individus ont un revenu supérieur à celui de cet individu, 50% ont un revenu inférieur.

[4] Les dépenses sociales (ainsi que les taxes) sont en outre moins progressives aux Etats-Unis qu’en France. Ainsi, une dépense sociale de 1 % de PIB permet une réduction de l’indice de Gini de 1,74 %en France contre 1,46 % aux Etats-Unis.

[5] Voir Alesina et Glaeser (2004), Acemoglu et al. (2013) pour un panorama des différentes extensions apportées au modèle canonique.

[6] L’analyse des faits historiques permettant d’expliquer la convergence vers un type de modèle de protection sociale plutôt qu’un autre dépasse le cadre de cette note. Pour cela, on pourra se référer à l’ouvrage d’Alesina et Glaeser (2004).




Le système socio-fiscal français est-il vraiment redistributif ?

par Henri Sterdyniak [1]

La France a mis en place le RSA, la PPE, la CMU, le minimum vieillesse, les allocations logement, les exonérations de cotisations sociales pour les bas salaires. En sens inverse, elle a conservé un impôt sur les grandes fortunes ; les cotisations sociales maladie et famille portent sur la totalité du salaire ; les revenus du capital supportent les prélèvements sociaux et sont soumis à l’IR. Les plus riches se plaignent d’une fiscalité confiscatoire ; quelques-uns  choisissent l’exil fiscal.

Pourtant, certains prétendent parfois que le système socio-fiscal français est peu redistributif. Dans la période récente, ce point de vue a été conforté par l’étude de Landais, Saez et Piketty : le système fiscal français serait peu progressif et même régressif au sommet de la hiérarchie des revenus[2] : les 0,1 % des ménages les plus riches supporteraient un très bas taux d’imposition. Toutefois, la redistributivité du système socio-fiscal passe par l’impôt mais aussi par les prestations sociales. Il faut donc regarder ces deux aspects pour évaluer la redistributivité de notre système. Ce d’autant plus que Landais, Saez et Piketty tiennent compte de la TVA payée sur la consommation financée par les prestations sociales, mais pas des prestations elles-mêmes, de sorte qu’un ménage pauvre apparaît d’autant plus perdant à la redistribution qu’il bénéficie (et dépense) des prestations sociales.[3]

Quatre chercheurs du Crédoc viennent de publier une étude[4] qui prend en compte les prestations. Ils concluent cependant : « Le système fiscal français, pris dans son ensemble, est ainsi peu redistributif ». L’étude fait le bilan, par déciles de niveau de vie après redistribution, des prestations reçues et des impôts versés par les ménages (impôts directs, impôts indirects et cotisations sociales), en pourcentage de leur revenu disponible en comparant la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède. En France, les transferts nets (prestations moins prélèvements) ne représenteraient que 23 % du revenu disponible des ménages du premier décile de niveau de vie (les plus pauvres), contre 50 % au Royaume-Uni (graphique). A l’autre bout de l’échelle, ils réduiraient en France de seulement 6 % le revenu disponible des ménages les plus aisés, contre 30 % au Royaume-Uni, 40 % en Suède, 45 % en Italie. Ainsi, la France serait le pays où la redistributivité est la plus faible, distribuant peu aux plus pauvres, taxant peu les plus riches.

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Pourtant, le système socio-fiscal français est considéré, par les institutions internationales, comme figurant parmi ceux qui réduisent le plus les inégalités. Ainsi, l’OCDE (2011) écrivait : « La redistribution par les prestations sociales et impôts réduit les inégalités par un peu plus de 30 % en France, ce qui est bien supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE de 25 % ».

L’OCDE fournit des statistiques concernant les inégalités de revenus (mesurées par le coefficient de Gini) avant et après transferts. Parmi les quatre pays choisis par le Crédoc, c’est en France que le Gini est le plus réduit en pourcentage par les transferts (tableau 1), à un degré équivalent à celui de la Suède, nettement supérieur à la réduction opérée en Italie ou au Royaume-Uni. Euromod aboutit à un classement pratiquement similaire (tableau 2).

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De même, selon Eurostat, la France est l’un des pays où le taux de pauvreté est le plus faible, un peu plus élevé que celui du Danemark, équivalent à celui de la Suède, mais nettement plus bas que le taux de pauvreté dans des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie.

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Le Portrait social de l’INSEE fait un bilan soigné de la redistributivité du système socio-fiscal français (Cazenave et al., 2012). Il apparaît que la réduction des inégalités est importante (tableau 4) en France : le ratio inter-déciles, D10/D1, passe de 17,5 avant redistribution à 5,7 après redistribution[5]. Selon l’INSEE, 63 % de la réduction des inégalités provient des prestations sociales et 37 % des prélèvements, ce qui confirme la nécessité de prendre en compte les prestations pour juger de la redistribution.

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Ainsi, la vision que présente le Crédoc de la redistributivité du système socio-fiscal français est originale… et, disons-le, fausse.

L’étude s’appuie sur les données de l’enquête Budget des familles qui n’est pas appariée sur les données fiscales et qui est généralement considérée comme moins fiable que l’enquête Euromod ou celle sur les revenus fiscaux et sociaux utilisée par l’INSEE. Ceci peut expliquer certaines différences importantes entre les chiffres du Crédoc et ceux de l’INSEE : par exemple, selon l’INSEE, les transferts non-contributifs représentent 61 % du revenu disponible des 10 % les plus pauvres tandis que ce chiffre n’est que de 31 % selon le Crédoc (tableau 5).

Comme l’INSEE, l’étude du Crédoc ne tient pas compte des cotisations employeurs maladie (qui pèsent sur les hauts salaires en France, pas dans la plupart des autres pays), ni de l’ISF (qui n’existe qu’en France). De plus, elle ne fait pas la distinction entre les cotisations contributives (qui ouvrent des droits à retraite ou à allocation chômage) et des cotisations non-contributives (comme les cotisations maladie ou famille), qui n’ouvrent pas de droits. Or, les bas salaires ne supportent pas en France de cotisations non-contributives puisqu’elles sont plus que compensées par les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.

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Surtout, elle comporte deux erreurs qui en faussent lourdement les conclusions. La première erreur méthodologique est que, contrairement à l’INSEE, les auteurs incluent les transferts contributifs, et notamment les retraites[6], dans les transferts sociaux. Or, pour les retraités, les pensions publiques représentent une très grande partie de leur revenu disponible, tout particulièrement en France. Ainsi, si le système de retraite assure la parité de niveau de vie entre retraités et actifs, les retraités figurent dans tous les déciles de niveau de vie, et le système socio-fiscal apparaîtra peu redistributif puisqu’il verse des prestations à des retraités riches. Au contraire, si le système national de retraite n’assure pas la parité de niveau de vie entre retraités et actifs, le système socio-fiscal apparaîtra plus redistributif puisqu’il donne des retraites exclusivement aux pauvres. C’est paradoxalement la générosité du système français envers les retraités et les chômeurs qui fait apparaître le système français comme peu redistributif. Ainsi, selon le Crédoc, les 10 % des plus riches bénéficient de transferts contributifs représentant 32 % de leur revenu disponible ; ce qui fait que, au total, leurs transferts nets ne sont négatifs que de 6 % de leur revenu. Ceci est d’autant plus vrai que le Crédoc ne prend pas en compte les cotisations vieillesse supportées par les entreprises. Si, comme le fait l’INSEE, les retraites (et plus généralement toutes les prestations contributives) sont considérées comme un revenu primaire, résultant de cotisations antérieures, les transferts net négatifs des plus riches passeraient de 6 à 38 %.

L’autre erreur méthodologique est que le Crédoc prétend prendre en compte le poids des impôts indirects dans le revenu disponible (ce que l’INSEE ne fait pas). Celui-ci serait de 36 % pour les 10 % les plus pauvres, de 23 % au milieu de la hiérarchie des revenus et baisserait même à 13 % pour les plus riches. Cette forte régressivité des impôts indirects rendrait l’ensemble de la fiscalité régressive : les plus pauvres paieraient plus que les plus riches. Selon les chiffres de Landais, Saez, Piketty (2011), la fiscalité indirecte serait certes régressive (de 15 % du revenu disponible pour les plus pauvres à 10 % pour les plus riches), mais l’écart ne serait que de 5 %. Selon l’INSEE[7], le poids de l’impôt indirect dans le revenu disponible serait de 22 % pour les plus pauvres, de 16 % au milieu de la hiérarchie et de 10 % pour les plus riches. Cet écart provient  de la structure de la consommation (les plus pauvres consomment relativement plus de tabac, de produits pétroliers) et surtout  du taux d’épargne qui est d’autant plus élevé  que le ménages est riche. En fait, l’écart est sans doute surévalué dans une perspective intertemporelle : certains ménages consommeront demain l’épargne d’aujourd’hui, c’est alors qu’ils seront taxés à l’impôt indirect. Les plus pauvres apparaissent lourdement taxés relativement à leur revenu, mais c’est qu’ils consomment plus que leur revenu, soit en raison de transferts familiaux, soit en raison d’endettement à la consommation. En fait, l’étude du Crédoc surévalue lourdement le poids des impôts indirects en utilisant une estimation extravagante des taux d’épargne des ménages[8] : le taux d’épargne global des ménages français serait de -26,5 % ; seul le décile D10 (les 10 % les plus riches) aurait un taux d’épargne positif ; le décile D1 aurait lui un taux d’épargne négatif de -110 %, c’est-à-dire qu’il consommerait 2,1 fois son revenu. De ce fait, le décile des plus pauvres subirait fortement le poids des impôts indirects. Mais un tel taux d’épargne est-il vraisemblable ?

Les systèmes socialo-fiscaux nationaux sont différents et complexes. Leur comparaison doit se faire avec prudence et rigueur. Pour juger de la redistributivité du système français, il reste plus pertinent d’utiliser les travaux de l’INSEE, de l’OCDE ou d’Euromod que cette étude (trop) originale.

 


[1] Nous remercions Juliette Stehlé qui a bien voulu nous aider à préciser certains points de cette note.

[2] Voir Landais C., Piketty Th. et Saez E., Pour une révolution fiscale, Le Seuil, 2011.

[3] Voir aussi Sterdyniak H., « Une lecture critique de l’ouvrage Pour une révolution fiscale », Revue de l’OFCE, n° 122, 2012. Signalons aussi que l’on ne peut porter un jugement global sur la progressivité du système à partir du cas des quelques hyper-riches qui réussissent à échapper à l’impôt par le biais de montages fiscaux.

[4] Bigot R, É. Daudey, J. Muller et G. Osier : « En France, les classes moyennes inférieures bénéficient moins de la redistribution que dans d’autres pays », Consommation et modes de vie, Crédoc, novembre 2013. Voir une version développée : « Les classes moyennes sont-elles perdantes ou gagnantes dans la redistribution socio-fiscale », Cahiers de Recherche, Crédoc, décembre 2012.

[5] Notons que l’INSEE sous-estime quelque peu la redistribution assurée par le système français puisqu’elle ne prend pas en compte l’ISF. Elle n’intègre pas non plus les cotisations maladie employeurs qui en France sont fortement redistributives car elles ne sont pas plafonnées. En sens inverse, elle ne tient pas compte des impôts indirects.

[6] Et les prestations chômage et les prestations maladie de replacement.

[7] Voir Eidelman A., F. Langumier F. et A. Vicard : « Prélèvements obligatoires reposant sur les ménages :

des canaux redistributifs différents en 1990 et 2010 », Document de Travail de la DESE de l’INSEE, G2012/08.

[8] Estimation en provenance de EUROMOD (2004) : “ Modelling the redistributive impact of indirect taxation in Europe”, Euromod Working paper, juin.




Le mythe de la réforme fiscale

par Henri Sterdyniak

Le Premier ministre a annoncé, le 19 novembre,  qu’il suspendait la mise en place de l’écotaxe et mettait en chantier une grande réforme fiscale. Celle-ci est souvent évoquée dans le débat public, sans que son contenu et ses objectifs soient bien identifiés. En fait, des projets contradictoires sont présentés.

Certains préconisent une forte réduction des impôts, qui serait susceptible de dynamiser l’économie française, en incitant les actifs à travailler davantage, les ménages à épargner, les entreprises à investir et à embaucher, ce qui rendrait la France plus compétitive.  Mais il faudrait diminuer encore plus les dépenses publiques, alors que le gouvernement s’est déjà engagé à les baisser de 70 milliards d’ici 2017. Quelles dépenses veut-on précisément réduire ? Il faudrait diminuer fortement les prestations sociales, ce qui n’est pas compatible avec le maintien du modèle social français. Certains veulent transférer la charge de la protection sociale des entreprises vers les ménages. Ainsi, le Medef réclame une baisse de 100 milliards de la fiscalité des entreprises. Ceci supposerait une nouvelle et forte hausse des impôts pesant sur les ménages, donc un effondrement de la consommation. La France doit-elle s’engager dans cette direction, doit-elle relancer la concurrence fiscale en Europe par la baisse des revenus des ménages ?

D’autres proposent de répartir plus équitablement la charge fiscale entre revenus du travail et du capital et d’augmenter le caractère redistributif de la fiscalité. Mais la France est déjà l’un des pays du monde les plus redistributifs, qui taxe le plus les hauts revenus, les patrimoines importants et les revenus du capital. Ceux-ci sont déjà fortement taxés, à la suite des hausses pratiquées par les gouvernements Fillon, puis Ayrault.

Certains proposent de faire la chasse aux niches fiscales et sociales, d’élargir les assiettes et de diminuer les taux. Mais, n’est-ce pas oublier le rôle incitatif de la fiscalité ? De nombreux dispositifs, même complexes, sont légitimes pour des raisons d’équité (comme le quotient familial) ou d’incitation à l’emploi (comme les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, les exonérations pour la garde des jeunes enfants) ou d’aide aux travailleurs pauvres (comme la PPE) ou autres incitations (comme l’exonération des dons aux œuvres, des cotisations syndicales). Certes, il existe quelques revenus non-taxés comme certains revenus du capital (l’assurance-vie, les PEA), ou comme les plus-values non-réalisées (mais il est difficile d’imposer des gains simplement potentiels), ou comme les loyers implicites (ceux dont bénéficient les personnes qui logent dans un appartement dont ils sont propriétaires), mais qui osera y toucher ? Il s’agit  davantage d’un travail patient de démantèlement des niches, d’ailleurs bien engagé depuis quelques années, que d’une grande réforme.

Rendre notre fiscalité plus écologique est certes une ardente obligation. Mais existe-t-il vraiment un double dividende en emplois et en écologie ? Le gain écologique n’a-t-il pas un coût en emplois, en pouvoir d’achat, en compétitivité ? Peut-on augmenter notre fiscalité écologique sans un accord mondial aujourd’hui peu probable ? La taxation écologique est obligatoirement compliquée si on veut éviter de (trop) frapper les agriculteurs, l’industrie, les plus pauvres, les régions périphériques, les rurbains, etc. C’est ce que nous enseignent les échecs de la taxe carbone (en 2009) ou de l’écotaxe (en 2013).

Certes, il faut lutter contre l’évasion fiscale des plus riches et des grandes entreprises, mais ceci passe surtout par une harmonisation fiscale européenne, qui n’est pas sans danger si elle oblige la France à s’aligner sur le moins-disant fiscal en matière d’impôt sur la fortune (ISF), d’impôt sur les sociétés (IS) ou d’impôt sur le revenu (IR).

Une réforme fiscale de grande ampleur, à prélèvements obligatoires constants, fait nécessairement des gagnants et des perdants. Il faudrait dire clairement qui seront ces perdants : les retraités, les propriétaires de leur logement, les épargnants ?

Un projet miracle a ainsi resurgi : la fusion de l’IR et de la CSG. Mais ni les modalités, ni les objectifs de cette fusion ne sont précisés. Elle se heurte d’abord à l’opposition de principe des syndicats qui voient défavorablement la fusion d’un impôt d’Etat avec la CSG dont le produit est directement affecté à la protection sociale. La réforme irait dans le sens d’une étatisation des branches maladie et famille (surtout, si en même temps, une partie des cotisations employeurs étaient fiscalisées), avec le risque que les prestations sociales deviennent des variables d’ajustement des finances publiques.

La CSG pèse actuellement davantage sur les salariés que sur les titulaires de revenus de remplacement. Une fusion CSG-IR sans compensation spécifique pourrait  donc être très coûteuse pour les retraités et les chômeurs, et en particulier les plus pauvres qui actuellement ne payent ni CSG ni IR. En sens inverse, les revenus du capital supportent aujourd’hui une taxation totale – CSG-CRDS-Prélèvement sociaux – de 15,5%, nettement plus que les 8% supportés par les salariés. Certes, on peut estimer que ceci compense le fait que, par définition, ils ne supportent pas de cotisations employeurs. Mais, on le voit, la comparaison des prélèvements sur des revenus différents n’est pas si facile.

La fusion pourrait être l’occasion de remettre en cause les différents dispositifs qui ont entraîné progressivement le rétrécissement de l’assiette de l’IR, en particulier certaines niches fiscales. Mais, certaines de ces dépenses fiscales sont indispensables et il faudra les remplacer par des subventions explicites ou les maintenir dans l’impôt fusionné. La fusion ne règle pas en elle-même le problème des revenus exonérés aujourd’hui, que ce soit les loyers implicites ou certaines plus-values.

Certains souhaitent fusionner tous les dispositifs aidant les plus pauvres (RSA, PPE, Allocation logement) dans un impôt négatif géré par l’administration fiscale, en oubliant la nécessité d’un suivi détaillé, personnalisé et en temps réel que permet la gestion par la Caisse d’allocation familiale (CAF).

Le législateur devra trancher la question de la familialisation ou de l’individualisation de l’impôt ainsi fusionné. C’est une question importante : l’Etat doit-il ou non reconnaître le droit aux individus de mettre en commun leurs revenus et de les partager avec leurs enfants ? Mais, faut-il lancer ce débat aujourd’hui ? Mettre en cause le caractère familial de notre fiscalité est-il l’urgence de l’heure ?  L’individualisation impliquerait les transferts de charge les plus importants, notamment au détriment des familles mono-actives ou des familles des classes moyennes. A taux constant, elle impliquerait une forte hausse de poids des impôts portant sur les ménages. Une réduction uniforme des taux serait fortement anti-redistributive, en particulier au détriment des familles et en faveur des célibataires sans enfants. L’individualisation devrait obligatoirement s’accompagner d’une forte augmentation des prestations en faveur des enfants (en particulier des familles nombreuses). On aboutirait alors à un système plus redistributif en faveur des familles pauvres, mais les familles aisées seraient perdantes, ce qui pose des questions délicates d’équité horizontale.

Se pose aussi la question du mode de prélèvement. On ne peut passer à un système simple de prélèvement à la source sans réduire fortement le caractère familial et progressif du système français. L’entreprise n’a pas à connaître les revenus du conjoint de son salarié ou ses autres revenus.  La réforme permettrait de prélever à la source une première tranche de l’IR (de 20 % par exemple), en y ajoutant des abattements (un abattement individuel, éventuellement un abattement pour conjoint sans ressources, un abattement pour enfants). Le solde serait prélevé (ou remboursé) l’année suivante, sur rôle. Le système ne serait guère simplifié. Contrairement à ce que répète Thomas Piketty, la fusion CSG-IR n’est pas la pierre de touche de la réforme fiscale.

Ne peut-on craindre que l’évocation de la réforme fiscale ne soit un leurre, masquant le refus de s’attaquer aux problèmes effectifs de l’économie française : la difficulté à s’insérer dans la nouvelle division internationale du travail, la croissance des inégalités de revenus primaires provenant de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie, l’incapacité des pays développés, et surtout de la zone euro, à trouver une nouvelle dynamique de croissance après la crise financière ?

Le problème n’est sans doute pas tant la structure de la fiscalité, mais l’erreur de politique économique faite, au niveau de la zone euro, d’ajouter l’austérité budgétaire au choc dépressif induit par la crise financière et, au niveau français d’augmenter la fiscalité de 3 points de PIB depuis 2010 (soit de 60 milliards d’euros) pour combler un déficit public induit uniquement par la récession.

Le système fiscal français prélève 46 % du PIB ; les dépenses publiques primaires en représentent 50%. En même temps, la France est l’un des rares pays développés où les inégalités de revenus ne se sont pas fortement accrues dans la période récente. Notre fort niveau de dépenses publiques et sociales constitue un choix de société qu’il faut maintenir ; le système fiscal français est déjà fortement redistributif. Certes, certaines réformes sont nécessaires pour améliorer encore sa redistributivité, pour le rendre plus transparent et plus acceptable socialement. Cependant, c’est au niveau même de la formation des revenus primaires que l’essentiel se joue. Il n’y a pas de réforme miracle : le système actuel, produit d’un long processus de compromis économique et social, est difficile à améliorer.