Le dispositif d’activités réduites en question

par Xavier Joutard, Aix-Marseille Université, LEST–UMR7317 CNRS et OFCE, Sciences Po Paris[1]

Les partenaires sociaux reprendront les négociations sur l’assurance chômage au mois de janvier 2019. Selon la lettre de cadrage du gouvernement, elles portent principalement sur des économies à réaliser et la feuille de route désigne clairement le dispositif d’activités réduites (AR) comme l’une des pistes prioritaires de discussion. De quoi s’agit-il précisément ? De la possibilité, pour une personne qui demeure inscrite à Pôle Emploi, de cumuler des allocations de chômage partielles et des revenus tirés d’une activité exercée.

Si ce dispositif est aujourd’hui remis en question, c’est aussi et surtout parce qu’il est maintenant pointé comme premier responsable des situations de « permittence ». Ce mot-valise désigne une permanence de séquences de chômage indemnisé et d’activités intermittentes rémunérées pouvant générer elles-mêmes de nouveaux droits.

Une réforme pourtant récente et favorable au dispositif

Pourtant, ce dispositif a fait l’objet en 2014 d’une réforme, dont l’objectif était d’aligner les règles de cumul de revenus du régime général sur celles, plus avantageuses et moins contraignantes, du régime des intérimaires (encadré). Elle a favorisé de fait la pratique de l’activité réduite, en s’inscrivant dans la justification première de ce dispositif : l’occupation par les chômeurs d’emploi à temps partiel ou de courte durée peut être un tremplin vers l’emploi stable.

Que nous disent les études empiriques en France mais aussi en Europe sur cet effet ? A-t-on aujourd’hui oublié cette dimension dans la remise en cause de ce dispositif ?

______________________________________________________________

Encadré : la réforme de 2014

En juillet 2014, le critère d’heures de travail maximum est écarté ; seul le critère de rémunération est maintenant appliqué pour les chômeurs relevant du régime général : le cumul des deux sources de revenus est autorisé, quel que soit le nombre d’heures mensuelles travaillées et pour toute la durée d’indemnisation, à condition que le salaire de l’AR et l’indemnité versée ne dépassent pas la rémunération de référence du demandeur d’emploi (rémunération antérieure qui a servi au calcul du montant de l’allocation). De plus, ce cumul n’étant que partiel, la réduction de l’allocation de chômage au moment des périodes d’AR dépend maintenant d’un pourcentage fixe du salaire de l’activité : au moment des périodes d’AR, l’allocation chômage est diminuée de 70 % du salaire mensuel brut procuré par l’AR. Néanmoins, comme avant, cette diminution est reportée et convertie en journées d’indemnisation supplémentaires auxquelles le demandeur pourra prétendre plus tard, au cours de ses périodes sans activité. De même, les cotisations accumulées au cours de l’exercice de ces AR peuvent toujours, sous certaines conditions, donner lieu à des « droits rechargeables », c’est-à-dire à l’ouverture de nouveaux droits à l’assurance chômage.

_________________________________________________________________

Un recours de plus en plus fréquent à l’activité réduite …

À l’instar des autres pays de l’OCDE ayant adopté ce type de dispositif, le recours à l’activité réduite s’est considérablement développé en France depuis sa création. En septembre 2017, plus d’un tiers des demandeurs d’emploi (36,2 %, soit 2 140 000 demandeurs) sont concernés, soit deux fois plus qu’en janvier 1996 (16,6 %, soit 621 000 demandeurs) (figures 1 et 2).

Cette progression a été marquée à la fois par la conjoncture et par la transformation du marché du travail. En effet, entre 2005 et 2008, le nombres de chômeurs et de ceux exerçant une AR a fortement baissé, mais la part de ces derniers a continué à progresser durant cette période de conjoncture favorable (+ 5 points). Avec la crise de 2008, pendant laquelle le nombre de chômeurs s’est accru et les embauches raréfiées, la proportion de demandeurs d’emploi qui exercent une AR a naturellement baissé. Elle est repartie à la hausse qu’à partir de mars 2009, avant de se stabiliser entre mi-2011 et 2014. Depuis 2014, elle s’accroît à nouveau fortement.

image 1

 

Source : Pôle-Emploi-Dares, STMT, Données CVS-CJO ; calcul des auteurs.

… qui s’exerce davantage qu’avant à temps plein

Cette récente augmentation du recours à l’activité réduite est aussi révélatrice de la transformation structurelle du marché du travail : en particulier, une plus grande fréquence du temps partiel (figure 3) et de contrats de très courtes durées, qui multiplie les entrées et sorties du chômage. Ainsi depuis la crise de 2008, les transitions entre emploi et chômage ont progressé relativement plus vite que les transitions d’emploi à emploi (Flamand, 2016). Le recours à l’activité réduite pourrait participer à ces ajustements sur le marché du travail.

Néanmoins, ce sont les demandeurs d’emploi en activité réduite longue, c’est-à-dire ayant travaillé plus de 78 heures par mois (demandeurs en catégorie C selon l’UNEDIC) qui augmentent le plus à partir de 2009. Dans cette catégorie, les femmes sont les plus concernées (figure 4). En détaillant le nombre d’heures, ce sont les demandeurs qui travaillent plus de 150 heures par mois (temps plein) qui progressent le plus (figure 5) : ils représentent 28 % fin 2017 contre 16,5 % début 2009. Cette croissance est là encore plus accentuée à partir de 2014.

Cette forte progression de l’activité réduite à temps plein interpelle. Elle ne semble pas révéler des strictes situations de « permittence ». En effet, ces chômeurs, par leurs horaires de travail, perçoivent des rémunérations ne leur permettant pas de satisfaire aux critères du cumul des deux sources de revenu.

image 2Source : Pôle-Emploi-Dares, STMT, Données CVS-CJO ; calcul des auteurs.

 

Une délicate évaluation de l’impact sur les trajectoires professionnelles

Une remise en question du dispositif d’activité réduite ne peut s’affranchir d’une évaluation de ses effets sur le retour à l’emploi des chômeurs. Mais celle-ci n’est pas simple car elle doit régler le problème du « mécanisme de sélection » : les demandeurs d’emploi ayant choisi d’exercer une AR ont des profils spécifiques (plutôt des femmes, avec un certain niveau de qualification, …). Il est délicat de dé-imbriquer ce que l’on peut raisonnablement attribuer à un effet de l’AR plutôt qu’à des caractéristiques propres des demandeurs d’emploi.

Toutes les analyses conduites dans les différents pays de l’OCDE disposant d’un système d’assurance chômage prévoyant des possibilités de cumul de revenu comparables[2] appliquent le plus souvent des méthodologies économétriques communes et sont relativement convergentes en termes de résultats, en dépit de contextes institutionnels parfois très différents.

L’activité réduite, souvent un tremplin vers l’emploi

En France comme dans la plupart des autres économies évaluées, l’activité réduite semble bien avoir un effet « tremplin » du chômage vers l’emploi, même si cet effet se manifeste tardivement – après un an de chômage – et semble plus modeste pour la France. De plus, pour la France, elle ne dégrade pas (ni n’améliore) la qualité de l’emploi retrouvé puisque cela n’accélère pas (ni ne retarde) un retour vers un nouvel épisode de chômage.

En outre, d’après plusieurs analyses, les effets de l’activité réduite varient selon sa temporalité, les conditions économiques ou encore les caractéristiques des demandeurs : les effets positifs sur la reprise d’un emploi sont d’autant plus importants quand l’AR est exercée après plusieurs mois de chômage ; une situation économique dégradée semble également renforcer son impact positif ; enfin, celui-ci est plus marqué pour les demandeurs aux niveaux de qualification et d’employabilité les plus faibles.

En conclusion

Pour établir précisément le lien entre la « permittence » et le dispositif d’activité réduite, l’hétérogénéité de l’effet de l’AR en fonction des trajectoires professionnelles passées des demandeurs d’emploi devrait être regardée ; de même qu’il faudrait prendre en compte la nature dynamique de l’activité réduite, l’exercice d’une activité réduite permettant de prolonger l’allocation chômage, voire de s’ouvrir de nouveaux droits. Cela n’a pas vraiment été fait dans les études économétriques.

Notons également que la place et le rôle des employeurs restent largement ignorés. On évoque pourtant souvent, dans certains secteurs d’activité en particulier, les possibles effets d’aubaine que représentent pour eux ce dispositif. En conclusion, l’importance de situations de « permittence » causées par le dispositif d’activités réduites est aujourd’hui loin d’être établie !

 

 

[1] Cette note revient sur l’évolution des pratiques d’AR au cours de ces dernières années et sur les enjeux qu’une possible suspension soulève. Elle renvoie à une synthèse des travaux existants sur les pratiques d’activité réduite et sur leurs impacts sur les trajectoires professionnelles coécrit avec N. Havet (Université Lyon1, ISFA) et A. Penot (ENS-Lyon, GATE–UMR5824 CNRS). Cette synthèse est parue en document de travail (Sciences Po OFCE Working Paper, n° 41) et fera l’objet d’une prochaine publication dans la Revue d’Economie Politique. Les graphiques sont issus de ce document.

[2] France, États-Unis, Canada, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande, Norvège, Danemark et Belgique.




La compétitivité aux dépens de l’égalité ?

par Hélène Périvier

La durée du travail a fait son entrée dans la campagne présidentielle et l’idée que l’on travaille moins en France qu’ailleurs fait son chemin. C’est l’objet d’un rapport publié par COE-Rexecode. Malheureusement ce rapport ne fait pas état de la division sexuée du travail.

Or les politiques de l’emploi mises en œuvre par les gouvernements européens ne sont pas neutres d’un point de vue sexué. Ne pas tenir compte de cette perspective donne une vision tronquée de la réalité du partage du travail dans nos économies : l’approche intégrée de l’égalité (ou gender mainstreaming) qui exige de penser les effets différenciés des politiques publiques sur les femmes et sur les hommes est loin d’être un automatisme.

La contre-analyse du rapport Coe-Rexecode proposée par Eric Heyer et Mathieu Plane met l’accent sur l’importance de ne pas raisonner uniquement sur les travailleurs à temps plein dès lors que l’on cherche à comparer les durées de travail et leur impact sur les dynamiques du marché du travail des grands pays européens. En effet, les travailleurs à temps partiel représentent 26% de l’ensemble des salariés en Allemagne contre 18% en France, il est donc trompeur de les exclure de l’analyse.

On sait combien la répartition des emplois à temps plein et à temps partiel est sexuée : partout en Europe, les femmes travaillent davantage à temps partiel que les hommes : alors qu’en France le taux de temps partiel des femmes salariées est de l’ordre de 30%, il s’élève à 45% en Allemagne ; dans les deux pays, le taux de temps partiel des hommes est inférieur à 10%. Le caractère sexué du temps partiel est facteur d’inégalités : rappelons par exemple qu’en France le temps de travail explique près de la moitié des écarts de salaire entre les hommes et les femmes (voir notamment Ponthieux, Meurs). La question du temps de travail est donc centrale dès lors que l’on cherche à promouvoir l’égalité professionnelle.

Selon la note méthodologique du rapport Coe-Rexecode : « Les données annuelles communiquées par Eurostat et publiées par Coe-Rexecode dans l’étude La durée effective du travail en France et en Europe sont les seules données de durée annuelle effective moyenne du travail comparables entre pays européens. ». Il est dommage que dans sa commande à Eurostat, Rexecode n’ait pas jugé bon de demander une ventilation sexuée de ces données ; ce qui aurait permis, à moindre coût, de connaître les évolutions de la durée du travail selon le sexe dans les deux pays. Malgré cet acte manqué, que peut-on dire sur l’évolution de la durée du travail dans une perspective sexuée dans ces deux pays durant la dernière décennie, en se fondant sur les données à notre disposition ? Comment ont été répartis les ajustements du marché du travail entre les femmes et les hommes ?

L’évolution sur la période étudiée est instructive du point de vue des orientations des politiques de l’emploi qui ont été menées dans les deux pays. Au début des années 2000, l’instauration des 35 heures en France a mis fin aux allègements de charges qui rendaient les embauches à temps partiel avantageuses et qui avaient été le moteur de la montée en charge de l’emploi à temps partiel des Françaises, sans affecter fortement les conditions d’emploi des hommes. Depuis, on constate une stabilité du taux de temps partiel pour les femmes comme pour les hommes (graphiques). En Allemagne, l’application de la loi Hartz II (entrée en vigueur en avril 2003) a introduit des « minijobs »[1] qui ont encouragé les créations d’emplois précaires à temps partiel. Cette évolution a concerné aussi bien les hommes et les femmes ; mais alors que le taux de temps partiel des Allemands a augmenté de 4,3 points, celui des Allemandes a augmenté de 8,2 points (graphiques). Les Allemandes ont donc été nettement plus affectées par l’emploi à temps partiel que les Allemands mais aussi que les Françaises. A cela s’ajoute le fait que la durée moyenne du temps de travail du temps partiel est plus faible d’un peu plus de 4 heures en Allemagne qu’en France (selon les données d’Eurostat).

Certes les Françaises ont été davantage touchées par la croissance du temps partiel que les Français, mais cette croissance a été limitée puisque les créations d’emplois à temps partiel entre 1999 et 2010 n’ont contribué qu’à hauteur de 21 % aux créations totales d’emplois. A contrario, en Allemagne, le temps partiel a été le moteur de l’emploi sur la période, et les Allemandes ont été les principales concernées par la réduction individuelle du temps de travail : elles représentent 70% du bataillon d’emplois à temps partiel créés durant la période. Ainsi, non seulement la France a créé plus d’emplois que l’Allemagne entre 1999 et 2010, mais le choix d’une réduction collective plutôt qu’individuelle du temps de travail a conduit à une répartition de l’emploi plus équilibrée entre hommes et femmes.

Source : Eurostat [lfsa_eppga]


[1] Emplois exonérés de cotisations sociales en dessous de 400 euros de salaire




Durée du travail et performance économique : quels enseignements peut-on tirer du rapport Coe-Rexecode ?

Par Eric Heyer et Mathieu Plane

Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ? La France est-elle le seul pays à avoir réduit son temps de travail au cours de la dernière décennie ? Les 35 heures ont-elles réellement « plombé » l’économie française ? Le rapport publié le 11 janvier par l’Institut Coe-Rexecode fournit quelques éléments de réponses à ces questions.

Nous revenons dans une note sur les principales conclusions du rapport qui peuvent se résumer de la manière suivante :

1.  Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ?

  • VRAI pour les salariés à temps complet,
  • FAUX pour les salariés à temps partiel,
  • FAUX pour les non-salariés
  • INDETERMINE pour le total

2. La durée du travail a-t-elle plus baissé en France qu’en Allemagne depuis 10 ans ?

  • FAUX

3.  « La baisse de la durée du travail a manqué l’objectif de créations d’emplois et de partage du travail » en France

  • FAUX

4.  « La baisse de la durée du travail a bridé le pouvoir d’achat par habitant » en France

  • FAUX