Les prêts non « performants » : un danger pour l’Union bancaire ?

par Céline Antonin, Sandrine Levasseur et Vincent Touzé

À ce jour, la mise en place du troisième pilier de l’Union bancaire, à savoir la création d’une assurance européenne des dépôts, est bloquée. Certains pays – à l’instar de l’Allemagne ou des Pays-Bas – arguent en effet que le risque de défaut bancaire est encore trop hétérogène en zone euro pour permettre une mutualisation des garanties de dépôts.

Notre article « L’Union bancaire face au défi des prêts non ‘performants» s’intéresse à la façon de résoudre le « problème » des prêts non performants (PNP) afin de sortir de cette impasse et d’achever enfin l’Union bancaire. L’achèvement de celle-ci est crucial pour restaurer la confiance et permettre l’émergence d’un marché bancaire intégré.

Notre état des lieux montre que :

  1. Les PNP atteignent encore des niveaux inquiétants dans certains pays. La situation est alarmante pour Chypre et la Grèce où les PNP nets des provisions représentent plus de 20 % du PIB tandis que la situation est « seulement » préoccupante pour la Slovénie, l’Irlande, l’Italie et le Portugal où les PNP nets des provisions sont compris entre 5 et 8 % du PIB ;
  2. Au total, fin 2017, le montant de PNP non provisionné pour la zone euro s’établissait à 395 milliards d’euros, soit l’équivalent de 3,5 % du PIB de la zone euro. Considéré à cette dernière échelle, le « problème » des PNP non provisionnés apparaît donc plus modeste.

Au-delà des solutions privées consistant en abandon de créances, provisionnement, titrisation et création de bad banks, nous concluons que ce sont les autorités publiques au niveau européen qui disposent in fine des moyens d’action les plus importants. Leurs leviers sont multiples : ils incluent la définition du cadre réglementaire et institutionnel, la supervision par la BCE qui pourrait être étendue à davantage de banques, sans oublier les politiques monétaire et budgétaire au niveau de la zone euro qui pourraient être mobilisées pour acheter des créances douteuses ou entrer au capital de banques en situation de détresse financière.

 




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : un bilan actualisé des avantages et inconvénients

par Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu a fait l’objet d’un ultime arbitrage entre le Président de la République et les ministres concernés. Le 4 septembre 2018, le Premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé que ce nouveau mode de prélèvement serait bien mis en place le 1er janvier 2019.

Notre note dresse un bilan actualisé des avantages et des inconvénients engendrés par ce nouveau mode de prélèvement. Elle montre que les avantages (une meilleure synchronisation entre impôt et revenu, une perception plus rapide des recettes d’IR pour l’État, une meilleure observation des revenus en temps réel) semblent peu nombreux au regard des inconvénients engendrés : tâches administratives supplémentaires pour les agents publics et privés ; risque d’erreurs pouvant être sources de contentieux ; année blanche due à la non fiscalisation des revenus 2018 qui conduit à rendre la réforme socialement inégalitaire, source d’optimisation fiscale et irréversible ; hausse fiscale liée à la suppression du délai d’un an pour payer l’IR ; impact psychologique potentiel de l’effet fiche de paie avec un salaire versé réduit ; divulgation d’information fiscale à l’employeur ; non mensualisation des remboursements de crédits d’impôt ; nouvelles formes de complexité qui peuvent réduire le consentement des contribuables français à payer l’impôt.

La minimisation de ces inconvénients sera la condition du succès de l’introduction de  la réforme.




Régulation bancaire européenne : quand l’union fait la force

par Céline Antonin, Sandrine Levasseur et Vincent Touzé

A l’heure où l’Amérique s’apprête, sous l’impulsion de son nouveau président Donald Trump, à mettre fin à la régulation bancaire adoptée en 2010 par l’administration Obama[1], l’Europe entame une troisième année d’Union bancaire (Antonin et al., 2017) et se prépare à l’arrivée d’une nouvelle réglementation prudentielle.

Qu’est-ce que l’Union bancaire ?

Depuis novembre 2014, l’Union bancaire pose un cadre unifié qui permet de renforcer la stabilité financière dans la zone euro[2]. Son objectif est triple :

  • – Garantir la robustesse et la résistance des banques ;
  • – Eviter le renflouement des banques en faillite par de l’argent public ;
  • – Harmoniser la réglementation pour une meilleure régulation et surveillance publique.

Cette Union est l’aboutissement d’un long chemin de coordination réglementaire parcouru depuis la libre circulation des capitaux prévu par l’article 67 du Traité de Rome (1957) : « les Etats membres suppriment progressivement entre eux, pendant la période de transition et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les restrictions aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les Etats membres, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties, ou sur la localisation du placement ».

L’Union bancaire est née de la crise. Si l’acte unique européen de 1986 et la directive de 1988 ont permis une entrée en vigueur en 1990 de la libre circulation des capitaux, la crise financière de 2008 a montré que le manque de coordination en Europe dans le domaine bancaire pouvait être une faiblesse.

En effet, les enseignements de la crise financière sont triples :

  • – Un système bancaire et financier mal régulé (cas américain) peut être dangereux pour le bon fonctionnement de l’économie réelle, dans ce pays mais aussi au-delà ;
  • – Une réglementation et une surveillance trop limitées à une vision nationale (cas des pays européens) ne sont pas efficaces dans un contexte où les mouvements de capitaux sont mondialisés et où de nombreuses opérations financières sont réalisées en dehors des frontières nationales ;
  • – Les crises bancaire et souveraine sont liées (Antonin et Touzé, 2013b): d’un côté, le renflouement des banques par des fonds publics creuse les déficits publics, ce qui fragilise les Etats tandis que la difficile soutenabilité des dettes publiques affaiblit les banques qui détiennent ces titres de dette dans leurs fonds propres.

L’Union bancaire donne un cadre juridique et institutionnel au secteur bancaire européen qui repose sur trois piliers :

(1) La banque centrale européenne (BCE) devient le superviseur unique des grands groupes bancaires ;

(2) Une régulation unique des défaillances bancaires instaure un fonds commun de renflouement (Fonds de résolution unique) et interdit le recours à un financement public national ;

(3) Un fond commun doit permettre, à l’horizon 2024 et sous réserve d’accord définitif de l’ensemble des membres de l’Union bancaire, de garantir les dépôts bancaires détenus par les ménages européens jusqu’à 100 000 euros, dépôts garantis par chacun des Etats depuis 2010.

L’Union bancaire n’est pas totalement achevée. L’adoption du troisième pilier prend du retard du fait des problèmes bancaires grec et italien qui ne sont pas totalement résolus en raison d’un risque encore élevé de défaut sur des crédits accordés. La garantie européenne des dépôts « devra attendre que des progrès suffisants soient réalisés dans la réduction et l’homogénéisation des risques bancaires » (Antonin et al., 2017).

Vers une régulation et une stabilité financière renforcées

Ce dispositif d’Union bancaire se juxtapose à la nouvelle réglementation prudentielle Bâle III adoptée progressivement depuis 2014 par l’ensemble des banques européennes à la suite d’une directive et d’un règlement européen. La réglementation Bâle III exige des banques un niveau plus important de fonds propres et de liquidités d’ici 2019.

L’instauration de l’Union bancaire couplée à une politique monétaire très accommodante de la BCE a contribué à mettre fin à la crise des dettes souveraines et du secteur bancaire européen. La politique de rachat massif d’actifs de la BCE contribue à améliorer la structure de bilan des secteurs endettés, ce qui réduit les risques de défaut bancaire. Aujourd’hui, les Etats membres, les entreprises et les ménages européens empruntent à des taux d’intérêt historiquement bas.

L’achèvement d’un espace bancaire et financier européen stable et performant nécessite d’aller plus loin dans la régulation d’un marché européen de capitaux unifié et dans la réglementation des activités financières des banques (Antonin et al., 2014).

L’Union des marchés de capitaux a pour objectif principal de donner un cadre réglementaire commun afin de faciliter le financement des entreprises européennes par les marchés et d’orienter l’épargne abondante de la zone euro vers des investissements à long terme. Cela permettrait d’avoir un niveau de régulation plus cohérent et potentiellement plus exigeant sur les émissions de titres financiers (actions, obligations, opérations de titrisation).

L’Union bancaire pourrait être également renforcée en s’appuyant sur le projet Barnier de 2014 de séparation forte des activités de dépôts et de spéculation. Le rôle de superviseur unique de la BCE (pilier 1) lui permet de vérifier que les activités spéculatives ne perturbent pas les activités normales. Ce rôle de superviseur pourrait être étendu à l’ensemble des activités financières, y compris le système de crédit parallèle aux crédits classiques, le fameux shadow banking. La séparation des activités crédibilise aussi les fonds communs de renflouement (pilier 2) et de garantie (pilier 3). En effet, il devient plus difficile pour les banques d’être trop grosses, ce qui réduit le risque de faillite coûteuse pour les épargnants (renflouement interne et limites des fonds communs).

Défendre un modèle européen de stabilité bancaire et financière

Si aujourd’hui les Etats-Unis renoncent à une réglementation plus exigeante de leurs banques avec pour objectif de court terme d’augmenter leur rentabilité, l’Union bancaire constitue un outil de défense remarquable pour préserver et renforcer le développement des banques européennes tout en exigeant d’elles une haute exigence de sécurité financière.

Alors que la justice américaine n’hésite pas à condamner à de lourdes amendes les banques européennes[3] et que les grandes banques chinoises accaparent désormais quatre des cinq premières places de la finance mondiale (Leplâtre et Grandin de l’Eprevier, 2016), un mode d’action coordonné devient crucial pour défendre et imposer un modèle bancaire européen stable et performant. Dans  ce domaine, une Europe désunie pourrait apparaître faible alors que ses excédents d’épargne en font une puissance financière mondiale. Certes, la crise a affaibli de nombreuses économies européennes, mais il faut se méfier des tentations court-termistes de repli autarcique car un pays européen qui s’isole devient une proie facile face à un système bancaire mondial en mutation.

 

Bibliographie

Antonin C. et V. Touzé (2013a), « Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ? », Blog de l’OFCE, 22 février 2013. http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/loi-de-separation-bancaire-symbole-politique-ou-nouveau-paradigme-economique/

Antonin C. et  V. Touzé (2013b) « Banques européennes : un retour de la confiance à pérenniser », Les notes de l’OFCE, n°37, décembre, pp.1-9. http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2013/note37.pdf

Antonin C., H. Sterdyniak et  V. Touzé (2014), «  Réglementation des activités financières des banques européennes : un quatrième pilier pour l’Union bancaire », Blog de l’OFCE, 30 janvier 2014. http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/reglementation-des-activites-financieres-des-banques-europeennes-un-quatrieme-pilier-pour-lunion-bancaire/

Antonin C., S. Levasseur et  V. Touzé (2017), « Les deux premières années de l’Union bancaire », in L’économie européenne 2017 (sous la direction de J. Creel), Repère.

Leplâtre S. et J. Grandin de l’Eprevier (2016), « Les banques chinoises trustent les premières places de la finance mondiale », Le Monde, 29 juin 2016. http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/06/29/les-banques-chinoises-trustent-les-premieres-places-de-la-finance-mondiale_4960155_3234.html#R1zGPo7VG46YVzQ5.99

 

 

[1] Le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act reprend la Volcker rule « qui interdit aux banques de « jouer » avec l’argent des déposants, ce qui conduit à une quasi-interdiction des activités de spéculation pour compte propre des entités bancaires ainsi que d’investissement dans les fonds spéculatifs (hedge fund) ou d’investissement privés (private equity fund) » (Antonin et Touzé, 2013a).

[2] L’Union bancaire est obligatoire pour les pays de la zone euro et facultatif pour les autres pays.

[3] L’actualité récente a montré que la justice américaine pouvait être d’une sévérité redoutable en infligeant d’importantes amendes aux banques européennes : 8,9 milliards de dollars pour BNP Paribas en 2014, 5,3 milliards pour Crédit Suisse et 7,2 milliards pour Deutsche Bank en 2016.




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et année de transition : quel impact pour les finances publiques et l’équité fiscale?

par Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Dans le cadre du Projet de Loi de Finance 2017 présenté et discuté à l’Assemblée nationale à partir du mois d’octobre, le gouvernement Valls propose une réforme fiscale majeure avec la mise en place d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu dès le mois de janvier 2018.

Prélever l’IR à la source s’inscrit dans une démarche de simplification fiscale. Son principal attrait est d’offrir une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est perçu et celui où il est taxé, notamment au moment de la retraite ou à la suite d’un licenciement engendrant une baisse de revenu. La simplification fiscale est totale si le contribuable n’a plus de déclaration à faire et si le prélèvement à la source est libératoire, c’est-à-dire quand l’imposition est définitive et le revenu net perçu est libéré de toute obligation fiscale.

Toutefois, mettre en place un prélèvement à la source se heurte à deux types de difficulté (Cour des comptes, 2012 ; Sterdyniak, 2015 ; Touzé, 2015).

Premièrement, tous les revenus ne sont pas aisément imposables à la source pour la simple raison qu’apprécier leur juste mesure prend du temps et que recueillir ces informations doit se faire dans le respect de la confidentialité des données récoltées. La progressivité de l’IR ainsi que l’usage de quotients conjugal et familial complexifient particulièrement le calcul, ce qui rend difficile le caractère libératoire de l’impôt prélevé à la source.

Deuxièmement, l’année de transition est difficile à fiscaliser car on ne peut pas faire payer deux impôts la même année aux ménages (un qui serait prélevé à la source sur les revenus 2018 et un autre qui serait payé avec retard sur les revenus 2017). Cependant, la non fiscalisation est également problématique car elle pourrait donner lieu à d’importantes stratégies d’optimisation fiscale et rendre inopérants les mécanismes d’incitation fiscale prévus par la loi pour certaines dépenses[1] (dons, emploi à domicile, etc.). Pour les contribuables bénéficiaires d’une année blanche, le gain sera effectif à leurs décès puisque ces derniers auront bien payé une année de moins d’impôt sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Par ailleurs, payer plus tôt l’IR signifie aussi la perte de l’avantage du délai d’un an pour payer. Sans application d’une réduction égale au taux d’intérêt nominal, le prélèvement à la source s’assimile donc à une hausse implicite de l’IR. Pour les générations qui ne paient pas encore d’IR et qui ne bénéficieront pas de l’année blanche, la hausse implicite constitue une perte évidente. La hausse d’impôt relative est égale au taux d’intérêt. Pour les générations qui paient déjà l’IR, il est nécessaire de faire un bilan entre ce qu’elles gagnent (année blanche) et perdent potentiellement (suppression du délai de paiement).

Dans un document de travail de l’OFCE, nous étudions l’impact sur les finances publiques et sur le montant d’IR payé par les ménages d’un prélèvement à la source qui donnerait lieu à une année blanche. Notre étude aboutit à quatre résultats :

  • Si les revenus de l’année 2017 ne sont pas fiscalisés et si la hausse fiscale implicite est neutralisée, la réforme se traduit par un manque à gagner relatif de recettes fiscales annuelles qui est approximativement égal à la différence entre le taux d’intérêt nominal et le taux de croissance nominal ;
  • A l’inverse, si l’année blanche est associée à une hausse implicite de la fiscalité, alors l’Etat est gagnant car il va percevoir un surplus relatif de recettes fiscales qui est égal au taux de croissance nominal de l’économie ;
  • Quelles que soient les modalités de la réforme, la rupture de l’équité devant l’impôt aboutit à un impact générationnel inégalitaire. Cet impact est toujours en faveur des générations les plus âgées au détriment des plus jeunes et futurs contribuables. Cette propriété résulte du fait que les générations les plus âgées (particulièrement les 55-65 ans) ont souvent des niveaux plus élevés d’IR (forte année blanche potentielle) et qu’elles seront moins longtemps impactées par la hausse implicite en raison d’un horizon de vie plus court. Sous l’hypothèse d’une hausse fiscale implicite de 2%, nos calculs prospectifs, réalisés à partir de l’enquête ERFS 2013, montrent que les plus jeunes générations pourraient avoir à payer en plus l’équivalent d’une année d’IR moyen sur l’ensemble de leur cycle de vie tandis que les plus de 60 ans pourraient réaliser une économie d’environ une année moyenne d’impôt sur leur cycle de vie restant (voir graphique ci-après). Sans hausse implicite, le gain serait nul pour les futures générations de contribuables et les plus de 50 ans pourraient économiser un montant d’impôt supérieur à une année d’IR moyen sur leur cycle de vie restant ;
  • Fiscaliser l’année de transition sans modifier fortement la trésorerie des ménages n’est pas simple :
    1. Un paiement échelonné sur une dizaine d’années conduit pour les ménages à une hausse élevée de l’IR (de l’ordre d’une dizaine de pourcent chaque année) ;
    2. Un paiement après le décès conduit à une dette fiscale à payer très variable qui dépend du montant d’IR dû pour l’année 2017 qui est fortement lié à l’âge du contribuable ainsi que du montant des intérêts cumulés qui dépend de façon exponentielle de l’horizon de vie du contribuable ;
    3. Il est, certes, possible de rembourser une partie des charges d’intérêt sur la créance fiscale tout en maintenant une trésorerie inchangée pour les générations de la transition, mais cela se fait, de facto, au prix de la perte de la synchronisation (un des objectifs principaux du prélèvement à la source).

Pour conclure, le législateur fait face à trois options :

  • Considérer que les inconvénients engendrés par l’année blanche et la hausse implicite de la fiscalité sont de second ordre par rapport aux avantages attendus du prélèvement à la source ;
  • Neutraliser ces inconvénients en proposant aux contribuables différentes options de remboursement de l’IR sur les revenus 2017, ce qui n’est pas sans faire apparaître d’autres inconvénients, et en annulant la hausse implicite ;
  • Choisir une solution de moindre mal qui pourrait reposer sur une année 2017 partiellement blanche et une hausse fiscale limitée de façon à avoir un impact nul sur le budget de l’Etat.

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Source : Calculs prospectifs des auteurs d’après ERFS 2013 et projections démographiques de l’INSEE (2010) et sous un scénario d’un taux d’intérêt nominal de 2%, d’un taux d’inflation de 1% et d’une croissance de 1,5%.
Nota : Il est important de souligner que ce scénario prospectif est basé sur une hypothèse d’inflation, de croissance et de taux d’intérêt faibles. Des scénarios plus optimistes sur l’évolution de l’économie, à moyen et long terme, amplifient l’impact de la suppression du délai de paiement. De ce point de vue, notre scénario peut donc être jugé minimaliste sur l’impact d’un prélèvement à la source avec hausse implicite de l’IR.

 

Bibliographie

Cour de Comptes, 2012, Prélèvement à la source et impôt sur le revenu, Rapport, février.

Sterdyniak H., 2015, « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015.

Touzé V., 2015, « Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse », Blog de l’OFCE , 15 septembre 2015.

 

[1] A cet égard, le Projet de Loi de finance 2017 prévoit le maintien des déductions et crédits d’impôt attachés à des dépenses effectuées en 2017. Si cette clause est validée par le Parlement et par le Conseil constitutionnel, alors ces avantages fiscaux donneront droit à une réduction d’impôt en 2018. La Cour des comptes (2012) estime que le maintien de ces dépenses fiscales pour l’année de transition coûterait entre 5 à 10 milliards d’euros.




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : il y aura bien une « année blanche » !

Céline Antonin, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) faisait partie du programme de campagne de 2012 du président Hollande. Ce projet de réforme est désormais porté par le gouvernement Valls et devrait être prochainement présenté devant l’Assemblée nationale. Si la loi est adoptée, en 2018, les ménages seront taxés à la source sur la base de leurs revenus perçus en 2018. La mise en place de cette mesure nécessite une année de transition. En l’absence de mesures particulières, les revenus perçus en 2017 échapperont au barème de l’IRPP.

L’objectif affiché est de rendre l’imposition sur le revenu plus simple et de permettre une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est perçu et celui où l’impôt est payé (Ayrault et Muet, 2015). Toutefois, cette mesure suscite de nombreux débats (Sterdyniak, 2015 ; Touzé, 2015a) car la simplification pourrait ne pas être au rendez-vous, sans compter que la non fiscalisation des revenus de l’année de transition, la fameuse « année blanche », pose un vrai défi, notamment, pour maintenir l’équité fiscale[1], limiter le risque d’optimisation fiscale (certains contribuables pourraient en profiter pour réaliser des revenus exceptionnels qui ne seraient pas imposés) et éviter une baisse des dons à cause de la non déductibilité pendant l’année de transition.

Pour faire taire de nombreux détracteurs, le Ministre du Budget, Michel Sapin, a déclaré le 16 mars 2016 que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu n’engendrerait pas d’ « année blanche ». Pourtant, pour les ménages, il y aura bien une « année blanche », car tous les contribuables vivant en 2017 auront une année de moins d’impôt sur le revenu à payer sur l’ensemble de leur vie (Touzé, 2015b).

Certes, du point de vue de l’Etat, et le Ministre du Budget a raison de le souligner, il n’y aura pas d’année sans recettes d’impôt sur le revenu. L’opération n’est cependant pas neutre d’un point de vue budgétaire. Pour l’Etat, cette réforme induit deux effets:

  • — Un supplément de recettes : en faisant payer plus tôt l’IRPP, l’Etat n’accorde plus un crédit d’un an aux ménages, ce qui s’assimile à un gain financier implicite égal au taux d’intérêt d’émission des obligations publiques ;
  • — Une perte de recettes : en renonçant à fiscaliser une année de revenu, l’Etat enregistre une perte de recettes fiscales qui sera effective lors du décès des contribuables restés sur le territoire français ou lors de leur domiciliation fiscale à l’étranger pour les autres.

Pour les finances publiques, le gain net est positif dès qu’il y a de la croissance économique. En effet, en termes de trésorerie, l’administration fiscale va percevoir plus tôt des impôts sur les revenus en cours, nécessairement plus élevés en période de croissance économique que ceux sur les revenus de l’année précédente.

Pour les ménages, malencontreusement, le financement de ce gain potentiel pour les finances publiques est très inégalement réparti (Touzé, 2015b) :

  • — Ceux qui payent déjà l’impôt sur le revenu vont gagner une « année blanche » et perdre l’avantage financier de l’impôt différé ;
  • — Ceux qui ne payent pas encore l’impôt sur le revenu (les plus jeunes et les générations futures de contribuables) n’ont aucun gain fiscal et perdent l’avantage financier de l’impôt différé, dont ils auraient bénéficié en l’absence de réforme.

Le paiement actuel avec une année de décalage de l’IRPP constitue indéniablement un avantage financier pour les ménages puisqu’ils peuvent épargner le « crédit » d’impôt implicite octroyé par l’Etat. Cet avantage est égal au taux d’intérêt monétaire :

  • — Pour un contribuable qui épargne, les taux de rémunération de l’épargne sont actuellement faibles : pour l’épargne réglementée et sans risque, ils se situent entre 0 % (dépôt à vue) et 1,5 % (Plan d’épargne logement) ; contre environ 2 % après prélèvements sociaux pour les produits d’assurance-vie en euros.
  • — Pour un contribuable qui rembourse un emprunt, le taux d’intérêt financier dépend des taux d’intérêt débiteurs en vigueur : de 2,5 à 4,4 % pour des crédits à la consommation et entre 1,5 et 2,4 % pour un crédit immobilier.

Pour les ménages, supprimer le délai de paiement implique donc une hausse implicite permanente de l’IRPP. Cette hausse est comprise entre 0 et 4,4 % en se basant sur les taux monétaires observés début 2016. Toutefois, rien n’indique que la faible rémunération actuelle de l’épargne se poursuivra dans le futur, le contexte présent étant principalement lié à la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne qui veut éviter l’entrée en stagnation séculaire (Le Garrec et Touzé, 2016a).

L’impact de la suppression du délai de paiement dépend également de la durée de vie fiscale des contribuables. L’espérance de vie des contribuables âgés étant plus faible que celle des jeunes, les seniors subiront moins longtemps la hausse implicite de la fiscalité.

En 2015, le montant prélevé d’IRPP a été de 76 milliards d’euros. Renoncer à fiscaliser au barème de l’IRPP les revenus de l’année 2017 (année d’élection présidentielle et législative de surcroît) conduira à une baisse d’impôt similaire pour les contribuables vivant en 2017. Ces derniers bénéficieront de facto d’une année de moins d’impôt à payer pendant toute leur durée de vie fiscale. En pratique, au moment de leurs décès, leurs héritiers, contrairement à la situation actuelle, n’auront plus à s’acquitter du montant d’IRPP du défunt dans la mesure où il aura déjà été prélevé à la source. L’année blanche pourrait donc contribuer à grossir le montant des héritages[2]. Cette année blanche sera aussi effective pour les contribuables partis à l’étranger au moment de leur changement de domicile fiscal.

A partir de la distribution observée de l’impôt sur le revenu début 2011 (enquête INSEE, « Budget des familles »), nos calculs montrent que la réduction d’impôt liée à l’année blanche est très mal répartie entre les générations (voir tableau 1) :

  • — Les contribuables seniors âgés de 50 à 69 ans sont ceux qui ont le montant d’impôt sur le revenu le plus élevé et concentrent ainsi près de 47 % de l’année blanche alors qu’ils représentent moins de 35% des contribuables ;
  • — Les jeunes contribuables âgés de moins de 30 ans concentrent très peu de cet avantage en comparaison de leur poids social ;
  • — Les jeunes et futures générations qui ne payent pas encore d’impôt n’en tirent aucun bénéfice.

D’un point de vue générationnel, les seniors sont donc ceux qui bénéficieront le plus du prélèvement à la source : gain de la non-imposition des revenus 2017 potentiellement plus élevé que les autres classes d’âge et moindre impact de la hausse implicite de l’IRPP en raison d’un horizon de vie fiscal plus court.

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Par ailleurs, du fait de la progressivité de l’impôt sur le revenu, le partage du gain de l’année blanche est très mal réparti entre les différents déciles et centiles de revenu (tableau 2) : seuls les 50 % des ménages les plus riches paient l’IRPP sachant que ceux des centiles supérieurs, 1% et 3 % (C98, C99 et top 1%), concentrent respectivement 31,8 % et 47,7 % de l’IRPP.

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Vu le caractère très inégalitaire du partage du bénéfice de l’année blanche et de l’impact temporel de la suppression du délai de paiement, il pourrait être souhaitable que des études approfondies accompagnent le projet de prélèvement à la source et que des corrections soit proposées. Par exemple, deux mesures correctives pourraient être facilement mises en œuvre  (Le Garrec et Touzé, 2016b) :

  • — Réduction de l’impôt prélevé à la source du montant du taux d’intérêt financier en vigueur ;
  • — Imposition des revenus 2017 (pas d’année blanche), créance fiscale qui pourrait être remboursée progressivement tout au long de la vie du contribuable sans altération de son revenu disponible.

Ces deux mesures simples seraient à même de garantir la neutralité et l’équité fiscale.

 

Bibliographie

Ayrault J.-M. et P.-A. Muet, 2015, Pour un impôt juste, prélevé à la source, Fondation Jean Jaurès, Août 2015:

(http://www.jean-jaures.org/content/download/21481/225169/version/3/file/prelev-source.pdf)

Lefebvre D. et F. Auvigne (2014), Rapport sur la fiscalité des ménages, République française:

(http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2014/06/rapport_sur_la_fiscalite_des_menages.pdf)

Le Garrec G. et V. Touzé (2016a), « L’équilibre de stagnation séculaire », Blog de l’OFCE, 26 janvier 2016:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2016/note57.pdf)

Le Garrec G. et V. Touzé (2016b), « Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et année de transition : Quel impact pour les finances publiques et l’équité fiscale? », mimeo OFCE, document de travail à paraître.

Sterdyniak H., « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelevement-la-source-une-reforme-compliquee-un-gain-tres-limite/)

Touzé V. (2015a), “Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse”, Blog de l’OFCE, 15 septembre 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelever-limpot-sur-le-revenu-la-source-une-reforme-compliquee-et-couteuse/)

Touzé V. (2015b),  “Adopter un prélèvement à la source et maintenir l’équité fiscale. Quelques éléments de calculs”, Note de l’OFCE, n°53, 26 novembre 2015:

(http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2015/note53.pdf)

 

[1]Le prélèvement à la source garantit l’équité fiscale si après réforme, le montant d’impôt payé par chaque ménage reste inchangé.

[2] On peut noter au passage que dans un contexte de faible mobilité sociale, les descendants des contribuables les plus fortunés subiront aussi de plein fouet l’abandon du délai d’un an de paiement de l’impôt (hausse implicite de l’IRPP) dans la mesure où ils seront aussi les principaux contributeurs de l’impôt sur le revenu dans le futur. D’un point de vue dynastique, les riches descendants financeront implicitement l’année blanche de leurs parents fortunés (Le Garrec et Touzé, 2016b).




L’équilibre de stagnation séculaire

par Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le régime économique de croissance faible et de sous-emploi, associé à une inflation faible, voire une déflation, a récemment été largement débattu, notamment par Larry Summers, sous l’étiquette de « stagnation séculaire ». L’hypothèse d’une stagnation séculaire a été exprimée pour la première fois en 1938 dans un discours prononcé par A. Hansen finalement publié en 1939. Hansen s’inquiétait d’un investissement insuffisant aux États-Unis et du déclin de la population après une longue période de forte expansion économique et démographique.

Dans une Note de l’OFCE (n° 57 du 26 janvier 2016), nous étudions les caractéristiques et la dynamique de l’équilibre de stagnation séculaire.

Le régime de stagnation séculaire résulterait d’une abondance d’épargne par rapport à la demande de crédit conduisant le taux d’intérêt « naturel » réel (qui est compatible avec le plein emploi) en dessous de zéro. Or, si le taux d’intérêt réel reste en permanence au-dessus du taux naturel, alors il en résulte une pénurie chronique de la demande globale et de l’investissement, avec un potentiel de croissance affaibli.

Afin de contrer la stagnation séculaire, les autorités monétaires ont, en premier lieu, réduit leurs taux directeurs, et puis, après avoir atteint la borne zéro (ou ZLB pour Zero Lower Bond en anglais), elles ont du pratiquer des politiques non-conventionnelles dites d’assouplissement quantitatif. En effet, les banques centrales ne peuvent pas forcer les taux d’intérêt à être très négatifs sinon les agents privés auraient tout intérêt à conserver leur épargne sous la forme de billets de banque. Au-delà des mesures d’assouplissement quantitatif, quelles autres politiques pourraient potentiellement aider à sortir l’économie de la stagnation séculaire?

Pour répondre à cette question cruciale, le modèle développé par Eggertsson et Mehrotra en 2014 a le grand mérite de clarifier les mécanismes de la chute dans la stagnation de long terme et contribue au renouvellement de l’analyse macroéconomique dans la compréhension de la multiplicité des équilibres et la persistance de la crise. Leur modèle s’appuie sur des comportements de consommation et d’épargne d’agents à durée de vie finie dans un contexte  de marché du crédit rationné et de rigidité nominale des salaires. Quant à la politique monétaire conduite par la banque centrale, elle consiste à fixer un taux nominal directeur à partir d’une règle de Taylor. Selon cette approche, la stagnation séculaire a été initiée par la crise économique et financière de 2008. Cette dernière est associée à un endettement fort des ménages qui a abouti en fin de compte au rationnement du crédit. Dans ce contexte, le rationnement du crédit conduit à une baisse de la demande et à un excès d’épargne. Par conséquent, le taux d’intérêt réel diminue. Partant d’une situation de plein emploi, si le resserrement du crédit est élevé, le taux d’intérêt d’équilibre devient négatif, ce qui rend la politique monétaire conventionnelle inefficace. Dans ce cas, l’économie plonge dans un régime permanent de sous-emploi de la main-d’œuvre caractérisé par un produit inférieur à son potentiel et par de la déflation.

Dans le modèle proposé par Eggertsson et Mehrotra, il n’y a pas d’accumulation de capital. Par conséquent, la dynamique sous-jacente se caractérise par des ajustements sans transition d’un équilibre stationnaire à un autre (du plein emploi vers la stagnation séculaire si crise du crédit  et vice et versa si la contrainte de crédit est desserrée).

Pour étendre l’analyse, nous avons considéré l’accumulation du capital physique comme une condition préalable à toute activité productive (Le Garrec et Touzé, 2015). Ainsi, nous mettons en évidence une asymétrie dans la dynamique de la stagnation séculaire. Si la contrainte de crédit est desserrée, alors le capital converge vers son niveau d’avant-crise. Cependant, la sortie de crise prend plus de temps que son entrée. Cette propriété suggère que les politiques économiques pour lutter contre la stagnation séculaire doivent être faites dans les plus brefs délais.

Les enseignements d’une telle approche sont multiples :

  • — Pour éviter la ZLB, il y a un besoin de création urgente d’inflation tout en évitant les « bulles » spéculatives sur les actifs, ce qui pourrait nécessiter une régulation particulière. L’existence d’un équilibre déflationniste invite donc à s’interroger sur le bien-fondé de règles de politique monétaire trop centrées sur l’inflation ;
  • — Il faut se méfier des effets déflationnistes des politiques d’accroissement de la production potentielle. Le bon policy-mix consiste à accompagner les politiques structurelles d’une politique monétaire suffisamment accommodante ;
  • — Réduire l’épargne pour faire remonter le taux d’intérêt réel (par exemple, en facilitant l’endettement) est une piste intéressante mais il ne faut pas négliger l’impact négatif sur le PIB potentiel. Il existe un arbitrage évident entre sortir de la stagnation séculaire et déprimer le potentiel. Une solution intéressante peut consister à financer des politiques d’infrastructure, d’éducation ou de R&D (hausse de de productivité) par de l’emprunt public (hausse du taux d’intérêt réel d’équilibre). En effet, une forte politique d’investissement (public ou privé) financée de façon à faire remonter le taux d’intérêt naturel permet de satisfaire le double objectif : soutenir la demande globale et développer le potentiel productif.



Adopter un prélèvement à la source et maintenir l’équité fiscale : quelques éléments de calculs

par Vincent Touzé

Dans une tribune publiée le 15 septembre 2015, j’ai mentionné l’idée que l’adoption d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (IR) au 1er janvier 2018 pouvait conduire à l’abandon d’une créance de 70 milliards sur les ménages du fait que cette réforme nécessite une année de transition, la fameuse « année blanche ». En effet, si les ménages paient dès janvier 2018 l’IR sur les revenus 2018, il sera difficile, pour des raisons de trésorerie, de leur demander de payer également l’IR sur les revenus 2017. Si le gouvernement opte pour une non-fiscalisation des revenus de l’année 2017, les ménages qui paient déjà l’IR seront dispensés d’une année d’impôt sur l’ensemble de leur vie de contribuable[1].

L’abandon de créance pose deux problèmes majeurs : un manque à gagner potentiel pour les finances publiques ainsi qu’un risque de rupture avec le principe d’équité fiscale puisque les générations futures de contribuables ne bénéficieront pas d’une année blanche d’IR.

Dans une Note de l’OFCE (n° 53 du 6 octobre 2015), je propose de répondre aux interrogations posées par l’année blanche à partir de plusieurs calculs financiers. L’objectif de ces calculs est d’évaluer plus précisément quel serait l’impact potentiel d’une réforme fiscale avec un objectif « prélever l’IR à la source » selon qu’elle satisfait ou non la contrainte « garantir l’équité fiscale ».

Ces calculs permettent de mettre en exergue trois éléments importants, éléments sur lesquels les décideurs publics devraient se pencher :

–        la perception plus tôt de l’IR augmente de facto les recettes fiscales dès qu’il y a de la croissance nominale, ce qui peut s’assimiler à une hausse de la pression fiscale ;

–        les bénéfices de l’année blanche sont inégalement répartis et le financement implicite de cette année de transition par une hausse de la pression fiscale est supporté pour l’essentiel par les générations ne payant pas encore l’impôt sur le revenu ;

–        le report dans le temps du paiement de l’IR sur les revenus 2017 devrait permettre de maintenir l’équité fiscale.

 


[1] Dans la législation actuelle de l’IR, lorsqu’un contribuable décède, la dette restante vis-à-vis de l’administration fiscale correspond au montant d’IR restant à payer sur les revenus de l’année précédente auquel s’ajoute le montant d’IR sur les revenus de l’année du décès qui doivent être déclarés. L’impôt dû sur le revenu est payé par les héritiers et il est déductible de l’actif successoral. Avec le prélèvement à la source, l’IR est intégralement (en théorie) payé du vivant du contribuable et lorsqu’il décède sa dette vis-à-vis de l’administration fiscale est nulle. Mécaniquement, les générations qui paient déjà l’IR paieront une année de moins d’IR avec « l’année blanche ».




Prélever à la source l’impôt sur le revenu : une réforme compliquée et coûteuse

par Vincent Touzé

Lors de sa conférence de presse de rentrée du 7 septembre, le Président François Hollande a confirmé son projet de prélever l’impôt sur le revenu à la source dès 2018. Cette mesure était inscrite dans son programme de campagne de 2012. L’objectif serait de rendre l’imposition sur le revenu plus facile et plus moderne.

Invention du début du 20e siècle, l’impôt progressif sur le revenu est souvent jugé comme archaïque. Selon Ayrault et Muet[1] (2015), il manquerait de lisibilité (sa complexité en ferait oublier sa finalité) et de cohérence (sa progressivité ne serait pas optimale). Quant à l’idée de prélèvement à la source, elle n’est pas nouvelle. Elle a déjà suscité de nombreux débats dans le passé. Ces derniers ont d’ailleurs conduit aux innovations que nous connaissons : le prélèvement mensuel, des déclarations pré-remplies, une possibilité de déclarer en ligne, etc.

Que représente aujourd’hui l’impôt sur le revenu ? Qu’apporterait le prélèvement à la source ? Compliquée et coûteuse pour les finances publiques, cette réforme est-elle vraiment utile (Sterdyniak, 2015[2]) ?

L’impôt sur le revenu : un impôt différé ou quand l’administration fiscale fait crédit

L’impôt sur le revenu (IR) rapporte environ 70 milliards d’euros par an. Moins d’un ménage sur deux paie l’IR. La déclaration est cependant obligatoire pour tous.

Aujourd’hui, l’IR en France est payé avec un décalage d’une année. En 2015, on paie ainsi l’impôt relatif aux revenus gagnés pendant l’année 2014. Au préalable, son calcul a nécessité une déclaration de revenus auprès de l’administration fiscale pendant le premier semestre de l’année 2015 et l’application du barème décidé par la Loi de Finance 2015 votée[3] au Parlement en fin d’année 2014.

Le décalage temporel d’une année implique que l’Etat accorde un délai de paiement et donc un crédit aux ménages, ce qui n’est pas négligeable pour un jeune qui débute sa carrière professionnelle. Ce délai de paiement résulte de deux facteurs : la base fiscale d’imposition est annuelle ; recueillir de l’information prend du temps. Il faut donc attendre a minima que l’année soit écoulée pour avoir une juste évaluation du revenu annuel.

L’IR est progressif. Cela signifie que le taux moyen de prélèvement, le rapport entre l’impôt et le revenu, augmente avec le revenu du foyer fiscal. Toutefois, afin de prendre en compte la taille des familles et donc leur véritable niveau de vie (principe d’équité fiscale horizontale), le barème utilise un quotient conjugal (une part pour un célibataire ou un contribuable non marié et deux parts pour un couple marié) ainsi qu’un quotient familial (une demi-part par enfant et une part à partir du troisième pour un couple). L’utilisation de ces quotients induit une légitime réduction d’impôt. Le législateur limite cet avantage fiscal en plafonnant l’impact du quotient familial.

Depuis l’élection de François Hollande à la Présidence de la République, les gouvernements Ayrault puis Valls ont :

i)   amplifié la hausse de l’IR amorcée sous le gouvernement Fillon à partir de 2011 avec une plus grande fiscalisation au barème de l’IR des revenus du capital, la suppression de la non-imposition des heures supplémentaires, la taxation des avantages familiaux des retraités et des cotisations employeurs de complémentaire santé ;

ii)    baissé en deux temps, en 2013, le plafond de quotient familial, ce qui a conduit à taxer davantage les familles des classes moyennes que les contribuables sans enfant à charge ;

iii)   créé une nouvelle tranche d’imposition à 45 % en 2014 ;

iv)    relevé rétroactivement les seuils d’imposition à l’IR (revenu 2014) en 2015 afin de réduire le nombre de foyers imposables.

Le prélèvement à la source : une version allégée après une ambition de révolution fiscale

Le prélèvement de l’IR à la source est l’un des projets électoraux du Président Hollande. Le projet initial s’inspire de l’ouvrage Pour une révolution fiscale de Landais, Saez et Piketty publié en 2011 qui prône :

–        La fusion de l’IR et de la CSG ;

–        Le prélèvement automatique de l’impôt sur le revenu (travail ou capital) à la source c’est-à-dire dès l’attribution du revenu ;

–        Une suppression des quotients conjugal et familial.

Le prélèvement à la source s’inscrit souvent dans une démarche de simplification fiscale. Son principal attrait est d’offrir une meilleure synchronisation entre le moment où le revenu est attribué et celui où il est taxé. La suppression des quotients conjugal et familial facilite le calcul du prélèvement à la source.

L’administration fiscale et les contribuables peuvent y trouver un intérêt. Les contribuables peuvent juger opportun d’estimer en temps réel leurs véritables revenus après impôt. En particulier, pour ceux qui ont des revenus fluctuants, avec par exemple une année de travail (revenu élevé) suivie d’une année de chômage (revenu bas), il y a une meilleure adéquation de leur  revenu à leur capacité à payer l’impôt. Cela évite de devoir payer un impôt élevé les années de « vaches maigres » et faible les années de « vaches grasses ». La gestion de trésorerie est alors facilitée. Pour l’administration fiscale, le gain potentiel est un meilleur recouvrement de l’impôt car le prélèvement à la source réduit les possibilités d’y échapper. Toutefois, en France, ce gain potentiel est nul car le taux de recouvrement de l’IR est déjà de 99 %, soit un niveau supérieur à celui des pays qui pratiquent le prélèvement à la source (cf. rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires, février 2012[4]).

La simplification fiscale est totale si le contribuable n’a plus de déclaration à faire et si le prélèvement à la source est libératoire, c’est-à-dire quand l’imposition est définitive et le revenu net perçu est libéré de toute obligation fiscale.

En juin 2015, puis le 7 septembre dernier, le président Hollande s’est engagé et a confirmé une mise en place du prélèvement à la source dès janvier 2018. Toutefois, le gouvernement a prévenu (Michel Sapin, 17 juin 2015) que le prélèvement à la source « n’est pas destiné à modifier la façon dont est calculé l’impôt » et qu’il « ne remettra pas en cause, par exemple, le quotient familial ». L’idée est de conserver les principes qui régissent la fiscalité actuelle et son niveau. Il n’y aura donc pas de révolution fiscale et donc pas de simplification.

Les difficultés d’une mise en place d’un prélèvement à la source s’annoncent très nombreuses. Dans son discours du 16 janvier 2012, Didier Migaud, président de la Cour des comptes, rappelle que :

–        tous les revenus ne se prêtent pas facilement à un prélèvement à la source ;

–        calculer le taux d’imposition en temps réel[5] est très difficile ;

–        la protection de la confidentialité des informations fiscales transmises au tiers-payeurs (l’employeur pour un salarié) est indispensable ;

–        l’année de transition est problématique d’un point de vue fiscal.

La simplification ne sera pas au rendez-vous

Le mode de calcul de l’IR ne va pas changer. Pour les salariés, à partir des éléments connus (revenus de l’année précédente), l’administration fiscale aura l’obligation d’informer leurs employeurs du taux moyen de prélèvement à la source à appliquer sur les salaires. Pour les pensions et certains revenus financiers, elle pourra procéder de la même façon en informant les caisses de retraite et les institutions financières (banques ou compagnies d’assurance) en charge de gérer les portefeuilles des ménages. Par la suite, dès lors que l’information sur l’ensemble des revenus sera complète, il y aura inévitablement un rattrapage (et donc un décalage entre le moment où le revenu est attribué et l’impôt total prélevé). Le prélèvement à la source ne sera donc pas libératoire et le choc de simplification n’aura pas lieu : les ménages auront toujours des déclarations à déposer auprès de l’administration fiscale ; le montant de l’impôt définitif sera connu avec retard.

Deux tiers des ménages sont déjà mensualisés. Pour ceux avec des revenus réguliers, il n’y aura pas de changement au niveau de leur trésorerie : le montant d’impôt prélevé mensuellement sur leurs revenus courants sera approximativement le même que celui qu’ils auraient eu à payer sur leurs revenus de l’année précédente. Certes, les ménages avec des revenus irréguliers bénéficieront de la meilleure synchronisation, mais en pratique, ils peuvent déjà, s’ils le souhaitent, demander des facilités de paiement auprès de l’administration fiscale.

Une réforme coûteuse en recettes fiscales…

Si le prélèvement à la source est adopté, les ménages paieront en 2017 l’impôt sur les revenus de l’année 2016 et commenceront à s’acquitter de leur impôt sur le revenu pour l’année 2018 dès le mois de janvier. Que se passera-t-il pour les revenus de l’année 2017 ? Seront-ils soumis à l’IR ? Le gouvernement peut-t-il renoncer à une créance de 70 milliards d’euros sur les ménages les plus riches ?

Le gouvernement pourrait naturellement être tenté de faire payer l’IR sur les revenus 2017 en 2018, mais une telle mesure pèserait trop lourd sur la trésorerie des ménages imposables. Ces derniers devraient alors s’acquitter pendant une année de deux montants d’impôt : celui de l’année précédente (2017) et celui de l’année en cours (2018). Le gouvernement a d’ores et déjà renoncé à cette option.

L’autre solution est de ne pas imposer les revenus 2017. Or cette mesure est particulièrement injuste. Elle va bénéficier amplement aux ménages les plus aisés. De plus, ces derniers auront tout loisir de réaliser des plus-values et des revenus exceptionnels pour profiter au maximum de cette opportunité fiscale. Les pertes de recette fiscale seraient alors largement supérieures à 70 milliards. Certes le gouvernement a déclaré qu’il veillerait à imposer suffisamment les revenus exceptionnels mais les autres revenus jugés « non exceptionnels » échapperont quoi qu’il arrive à l’impôt. D’un point de vue social, ce choix est donc à proscrire totalement. L’Etat a le devoir de ne pas renoncer à sa créance fiscale sur les ménages. Deux solutions existent : l’étalement de l’impôt sur le revenu sur plusieurs années ou la récupération sur l’héritage au décès du dernier survivant du ménage.

… et en temps perdu à discuter

Mettre en place le prélèvement à la source dès 2018 signifie l’écriture d’une loi et sa ratification par le Parlement très rapidement. Le soutien du gouvernement Valls par son actuelle majorité à l’Assemblée nationale n’est pas certain. Les débats s’annoncent compliqués et coûteux en temps de mobilisation du Parlement. D’un côté, certains revendiqueront une révolution fiscale totale et rapide tandis que d’autres dénonceront l’injuste cadeau d’une année blanche aux ménages les plus riches.

Le gouvernement mise pour l’instant sur une baisse d’impôt de 2 milliards d’euros qui serait réservée aux ménages faiblement imposables pour défendre le caractère socialement généreux de la réforme fiscale. A 18 mois des élections présidentielles, quel est le sens d’une telle mesure ? N’y-a-t-il pas d’autres priorités pour les finances publiques (réduction du déficit) et le bon fonctionnement de l’Etat (santé, enseignement, recherche, …) ?

Le débat ne va pas se limiter au Parlement. Plusieurs syndicats ont déjà fait savoir qu’ils s’opposaient à la divulgation aux employeurs d’informations fiscales sur les salariés. Par ailleurs, les entreprises et l’administration fiscale s’inquiètent aussi des nouveaux coûts de gestion (vérification, calculs, transfert d’informations, contentieux, …) induits par cette supposée simplification fiscale. Les débats s’annoncent donc longs et houleux.

Le Conseil constitutionnel pourrait aussi invalider certains aspects (fin du secret fiscal pour les salariés, rupture de l’équité fiscale avec l’année blanche) rendant ainsi caduque la loi.

Instaurer un prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source est un projet qui s’annonce coûteux avec des perspectives de gains faibles et incertains. Il n’est pas trop tard pour renoncer à ce projet de réforme mineure. En matière fiscale, il vaudrait mieux se concentrer sur des sujets de premier plan (Sterdyniak et Touzé, 2015[6]) : l’adoption d’une véritable et ambitieuse fiscalité écologique (Chiroleu-Assouline, 2015[7] ; Hourcade, 2015[8]), l’amélioration de la compétitivité fiscale des entreprises (Guillou et Treibich, 2015[9] ; Heyer, 2015[10]), la taxation du capital (Antonin et Touzé, 2015[11]), les droits de successions (Masson, 2015[12]) , la hausse prévisible de la fiscalité locale, etc.

 


[1] Ayrault J.-M. et P.-A. Muet, 2015, Pour un impôt juste, prélevé à la source, Fondation Jean Jaurès, Août 2015.

[2] Sterdyniak H., « Prélèvement à la source : une réforme compliquée, un gain très limité », Blog de l’OFCE, 24 juin 2015.

[3] La Loi de Finance 2015 votée fin 2014 a révisé avec effet rétroactif le mode d’imposition des revenus 2014. Ce dernier avait été initialement défini dans la cadre de Loi de Finance 2014 votée fin 2013.

[4] Cour de Comptes, Prélèvement à la source et impôt sur le revenu, Rapport, février 2012.

[5] Sur ce point, on notera la proposition d’Ayrault et Muet (2015) qui préconisent de calculer un taux instantané à partir d’un algorithme qui « ajuste en permanence l’impôt payé depuis le début de l’année au revenu perçu depuis le début de l’année ». Le calcul serait « parfait » pour un célibataire dont le salaire est le seul revenu. Toutefois, une « régularisation » serait nécessaire en raison des inévitables délais de transmission.

[6] Sterdyniak H. et V. Touzé, « Fiscalité des ménages et des entreprises : quels débats pour quels choix politiques ? », Blog de l’OFCE, 1er juillet 2015.

[7] Chiroleu-Assouline M., « La fiscalité environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions d’acceptabilité », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[8] Hourcade J.-C., 2015, « La taxe-carbone : une idée toujours d’avenir si… », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[9] Guillou S. et T. Treibich, « Impôts, charges sociales et compétitivité – Le CICE : un instrument mixte », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[10] Heyer E., « Fiscalité des entreprises en France : un état des lieux et quatre propositions », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[11] Antonin C. et V. Touzé, « Fiscalité du capital : principes, propriétés et enjeux de taxation optimale », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.

[12] Masson A., « Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession », Revue de l’OFCE, n°139, 2015.




Fiscalité des ménages et des entreprises : quels débats pour quels choix politiques ?

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

La forte augmentation de la fiscalité entre 2010 et 2013 (hausse de 3 points du taux de prélèvements obligatoires) a fait que la France occupe aujourd’hui le deuxième rang mondial en termes de taux de prélèvements obligatoires derrière le Danemark, après avoir occupé la quatrième place. Un tel niveau d’imposition doit être économiquement soutenable et socialement accepté : les dépenses publiques doivent être efficaces ; la fiscalité doit être juste et transparente. Reste que ce niveau de prélèvements est difficile à maintenir dans  une économie ouverte où la tentation et les possibilités d’exil fiscal sont importantes pour les ménages les plus riches comme pour les grandes entreprises.

Cette hausse de la pression fiscale a rapproché la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail ; elle a permis la suppression de nombreuses niches fiscales ou sociales injustifiés. Elle n’en a pas moins provoqué de nombreux mouvements de protestation, tant pour réagir à la taxation des dirigeants d’entreprises (le mouvement « Les pigeons ») qu’à la mise en place d’une fiscalité plus verte (actions contre l’écotaxe).

Depuis juin 2012, de nombreuses mesures en matière de fiscalité ont été prises sans toutefois conduire à une réforme fiscale d’envergure, pourtant souvent évoquée et figurant dans le programme du candidat François Hollande. Dès novembre 2012, à la suite du rapport Gallois préconisant une politique de l’offre comportant en particulier un « choc de compétitivité », le gouvernement avait annoncé la mise en place du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). En Janvier 2014, s’y est ajouté le Pacte de responsabilité. Au total, les entreprises bénéficieront d’une baisse de 30 milliards d’euros du coût du travail et de 10 milliards de leur fiscalité (suppression de la C3S, diminution du taux de l’IS) ; cette baisse devrait être financée par une augmentation de la TVA, par une hausse de la fiscalité écologique malgré l’abandon de l’écotaxe et surtout par une baisse des dépenses publiques de l’ordre de 50 milliards d’euros (qui risque de peser sur la demande). Elle aboutit cependant à reporter les objectifs de diminution du déficit public (mais ceux-ci étaient-ils justifiés ?).

Au Conseil des ministres du 17 juin 2015, le gouvernement s’est engagé à rendre irréversible le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, ceci dès 2018. Bien que réclamée par des économistes comme Piketty, cette réforme s’annonce compliquée avec un gain très limité, d’autant qu’elle ne s’accompagne d’aucune réforme de l’impôt (Sterdyniak, 2015).

Dans quelles directions faire évoluer maintenant la fiscalité française ? Faut-il poursuivre la baisse des impôts sur les entreprises ? Comment faire monter en puissance la fiscalité écologique ? Faut-il toujours envisager une grande réforme de la fiscalité des ménages ? Faut-il augmenter la fiscalité des revenus du capital (dans un souci de redistribution) ou au contraire la réduire (pour encourager l’investissement) ?

Dans le cadre de sa mission d’animation du débat public en économie, l’OFCE vient de publier en juin 2015 un numéro spécial de la Revue de l’OFCE (n°139) sur la fiscalité des ménages et des entreprises. Ce numéro trouve son origine dans la Conférence de consensus  organisée le vendredi 20 mai 2014. L’objectif de cette conférence était de contribuer aux débats actuels sur le niveau, la structure et l’évolution de la fiscalité française.

Ce numéro débute par un compte rendu de la conférence rédigé par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé. Huit contributions approfondissent les différents sujets de réforme fiscale en débat ; elles sont réparties en quatre thèmes : la compétitivité fiscale, la taxation écologique, la fiscalité des ménages et une mise en perspective générale.

Le débat sur la fiscalité des entreprises est crucial aujourd’hui car les entreprises françaises sont lourdement imposées et la France semble souffrir d’un déficit de compétitivité-prix. En sens inverse, une stratégie généralisée de concurrence fiscale en Europe (baisse des impôts des entreprises financées par la baisse des dépenses publiques) serait contreproductive. Sarah Guillou et Tania Treibich, (« Impôts, charges sociales et compétitivité. Le CICE : un instrument mixte »), fournissent la première évaluation microéconomique du CICE réalisée à partir de données d’entreprises. Elles constatent que le CICE devrait doublement bénéficier aux entreprises exportatrices grâce à une amélioration de leur marge (compétitivité-prix) ainsi que de leur aptitude à recruter de la main-d’œuvre qualifiée (compétitivité hors-prix). Eric Heyer (« Fiscalité des entreprises en France : un état des lieux et quatre propositions »,) procède à un examen macroéconomique de la fiscalité des entreprises françaises dans une perspective comparative internationale, analyse l’impact du CICE et du pacte de responsabilité (choc d’offre positif et choc de demande négatif) et énonce plusieurs propositions de réforme.

Les études sur les liens entre environnement, changement climatique, développement durable et bien-être montrent que la transition écologique est nécessaire pour l’Humanité. Dans ce cadre, l’usage d’une fiscalité écologique est indispensable. En même temps, le bas niveau actuel de cette fiscalité et les reculs politiques dans ce domaine montrent la difficulté à la mettre en œuvre. Cette question du rôle de la fiscalité verte dans la transition écologique est traitée dans deux articles. Mireille Chiroleu-Assouline (« La fiscalité environnementale en France peut-elle devenir réellement écologique ? État des lieux et conditions d’acceptabilité ») estime qu’en France, la fiscalité écologique n’a pas la place qui est la sienne, qu’il faut réaffirmer le principe « pollueur-payeur » et que les recettes fiscales de la taxe carbone devraient être employées pour financer la transition écologique. Jean-Charles Hourcade (« La taxe-carbone : une idée toujours d’avenir si… ») explique pourquoi la fiscalité écologique est en général vouée à l’échec car elle suscite une très forte hostilité des payeurs. Toutefois, il souligne que le double dividende (impact positif sur l’environnement et gain en emplois) est potentiellement élevé et qu’il devient urgent d’agir.

Si les impôts payés par les entreprises interrogent quant à leurs éventuels impacts préjudiciables sur la compétitivité, la croissance et la création d’emploi, la fiscalité des ménages est, elle, source de débats intenses pour déterminer le juste mode de calcul de l’impôt sur le revenu, voire de débats passionnés dès lors qu’il s’agit de taxer le patrimoine.

Guillaume Allègre (« Pourquoi les économistes sont-ils en désaccord ? Faits, valeurs et paradigmes : revue de littérature et exemple de la fiscalité ») montre, au travers d’une revue de la littérature, pourquoi les économistes peuvent ne pas être d’accord en matière fiscale (légitimité du quotient familial, pertinence de la théorie de l’impôt optimal, taxation des revenus du capital) : ils divergent sur les faits, les valeurs et surtout les paradigmes, c’est-à-dire la conception de l’économie. Céline Antonin et Vincent Touzé (« Fiscalité du capital : principes, propriétés et enjeux de taxation optimale ») s’intéressent à la fiscalité du capital et répondent à trois questions : Comment cette fiscalité opère-t-elle ? Quelle est son incidence dynamique ? Quels sont les enjeux de taxation optimale ? Enfin, André Masson (« Comment justifier une augmentation impopulaire des droits de succession ») discute de la fiscalité du patrimoine, en se concentrant sur la question des droits de succession. Son programme de réforme fiscale intitulé Taxfinh (Tax family inheritances) propose de taxer plus lourdement les héritages familiaux afin d’encourager les donations aux enfants ou aux œuvres.

Dans un article synthétique, Henri Sterdyniak (« La grande réforme fiscale, un mythe français ») dresse un bilan global de la fiscalité française. Lourde et complexe, elle donne naissance à des sentiments d’opacité et d’injustice. Toutefois, il rappelle que ce niveau de fiscalisation est aussi la conséquence d’un choix de société, comportant un haut niveau de redistribution comme de dépenses publiques et sociales. En conclusion, il analyse quatre stratégies de réforme fiscale.




Europe bancaire : l’Union fait-elle la force ?

par Céline Antonin et Vincent Touzé

Depuis le 4 novembre 2014, la Banque centrale européenne est devenue le superviseur unique des banques de la zone euro. Il s’agit de la première étape de l’Union bancaire.

La crise économique et financière, qui a débuté en 2007, a révélé des fragilités européennes :

–           Les marchés bancaires nationaux, en apparence compartimentés, se sont révélés fortement interdépendants, en témoigne un niveau élevé de propagation-contamination ;

–           Les réponses nationales de soutien aux banques ont souvent manqué de coordination ;

–           Le soutien des Etats au système bancaire, dans un contexte d’endettement public élevé, a conduit à une forte corrélation entre risque bancaire et risque souverain ;

–           L’absence de mécanismes de transfert budgétaire a fortement limité la solidarité européenne.

En 2012, l’idée de l’Union bancaire est née d’une triple nécessité : briser le lien entre crise bancaire et dette souveraine en permettant une recapitalisation directe des banques en difficulté par le Mécanisme européen de stabilité ; prévenir les paniques bancaires ; éviter la fragmentation des marchés bancaires en zone euro.

L’Union bancaire s’organise autour de trois piliers : un mécanisme de supervision unique (MSU), un mécanisme de résolution unique (MRU) avec un fonds de résolution et une logique de renflouement interne des banques (bail-in), ainsi qu’un système unique de garantie des dépôts avec un fonds de garantie.

L’Union bancaire offre des solutions nouvelles. Toutefois, elle laisse des zones d’ombre et la solidarité européenne née de l’Union bancaire pourrait être insuffisante pour répondre à des chocs majeurs.

La dernière Note de l’OFCE (n° 46 du 18 novembre 2014) retrace le contexte qui a présidé à la mise en place de cette Union bancaire et dresse un bilan des avantages et limites d’une telle avancée de l’Europe bancaire.  Cette note a été réalisée dans le cadre de l’étude spéciale intitulée « Comment lutter contre la fragmentation du système bancaire de la zone euro ? », Revue de l’OFCE, n° 136 (2014).