Le repli du temps partiel dans l’emploi des femmes : quelques constats et interrogations

Françoise Milewski

Le développement de l’emploi à temps partiel des femmes avait été une caractéristique majeure des décennies 1980 et 1990. De l’ordre de 16 à 17 % dans les années 1970, la part du temps partiel dans l’emploi des femmes avait bondi jusqu’à 32,6 % à la fin des années 1990, sous l’effet de politiques publiques (incitations financières aux entreprises). Ces politiques sont devenues neutres à partir des années 2000 mais la proportion est restée élevée, supérieure à 30 % – et même un peu au-delà – durant toute la décennie qui a suivi. La concentration de l’emploi des femmes dans des secteurs (commerces, services) plus fortement pourvoyeurs de temps partiel que dans les autres secteurs (industrie, construction) explique ce maintien à niveau élevé. L’importance du temps partiel est ainsi devenue au fil des ans une des caractéristiques de l’insertion des femmes dans l’emploi avec des conséquences d’une part en termes de revenus, d’autre part de conditions de travail dégradées lorsque les horaires sont atypiques, que l’amplitude est étendue par de multiples coupures, que l’organisation du temps est fluctuante et sans prévisibilité.



La tendance s’inverse à partir de 2017 mais on pouvait en déceler les prémices à partir de 2014. En 2022, le temps partiel représente 26,5 % de l’emploi des femmes.

Dans le même temps, la part de l’emploi à temps partiel des hommes progresse tendanciellement, sans rupture (8,4 % en 2022). L’écart avec celle des femmes demeure massif, bien qu’en repli (18,1 points en 2022 contre 26,4 points en 1999 à son maximum) (graphique).

On peut se demander ce que signifient ces mouvements récents. Témoignent-ils de ruptures ou de consolidations ? Peut-on parler d’améliorations, de rééquilibrages ? Ce billet résume les constatations et interrogations qui sont développées dans l’étude Le repli du temps partiel dans l’emploi des femmes : quelques constats et interrogations.

Cette baisse du taux de temps partiel des femmes sur les 5 dernières années ne provient pas d’un simple effet de calcul de ratio. Le nombre d’emplois à temps partiel diminue depuis 2014 et le mouvement s’est accentué depuis 2017. Le nombre d’emplois à temps complet augmente depuis le début des années 2000 et surtout depuis 2017. Ces deux évolutions se cumulent. Pour les hommes, l’emploi à temps complet est moins dynamique que celui des femmes et l’emploi à temps partiel progresse.

Les incertitudes liées à la crise sanitaire conduisaient à éviter de sur-interpréter les données de 2020 et 2021. Mais le recul est désormais plus grand. Le rééquilibrage de l’emploi des femmes se confirme.

Les évolutions récentes de l’emploi des femmes témoignent-elles de ruptures ou de consolidations ? Peut-on parler d’améliorations, de rééquilibrages ? Deux lectures sont possibles, qui laissent cependant ouvertes de nombreuses questions quant à l’ampleur des phénomènes en cours et donc quant à l’avenir.

Deux lectures croisées

Deux lectures croisées peuvent être faites de ces évolutions.

La première lecture consiste à mettre en avant que le fait que les femmes ont pleinement profité de la bonne conjoncture de l’emploi, surtout depuis 2019 où le dynamisme des créations d’emplois dans le secteur marchand est allé au-delà de ce que laisserait supposer l’évolution de l’activité. Malgré la réduction du nombre d’emplois à temps partiel, le nombre global d’emplois s’est accru grâce à la progression du nombre d’emplois à temps complet.

Des performances scolaires en hausse constante chez les jeunes femmes conduisent à une amélioration progressive de la qualification des emplois. Or la part du temps partiel s’amenuise au fur et à mesure que l’on monte en qualification.

Dans le même temps, l’emploi des hommes à temps complet a été moins dynamique et l’emploi à temps partiel s’est accru. Les hommes travaillant de plus en plus dans le tertiaire, ils sont aussi désormais de plus en plus déterminés par la nature des emplois proposés dans ce secteur, en particulier lorsqu’il s’agit d’emplois peu qualifiés. Le niveau du total des emplois des hommes s’accroît moins que celui des femmes.

Le développement de l’apprentissage depuis 2019, qui concerne de plus en plus de femmes, a eu un impact significatif sur l’emploi. Mais la progression du temps complet des femmes demeure plus forte que celle des hommes si l’on corrige de l’apprentissage, même si l’ampleur est moindre.

La seconde lecture met en valeur la lenteur des processus et les risques de retournement qui en découlent.

Les effets des meilleures performances scolaires des jeunes femmes sont limités parce que leurs diplômes sont moins bien valorisés. L’accès à l’encadrement demeure moindre que celui des jeunes hommes tandis que leur part parmi les peu qualifié.e.s reste élevée. La « surqualification » est le signe de cette distorsion.

L’orientation vers des filières de formation moins valorisées pèse aussi pour expliquer la moindre « rentabilité » des diplômes obtenus.

La non-reconnaissance des qualifications et savoir-faire joue enfin, tout particulièrement dans les métiers à prédominance féminine comme ceux du soin ou des services à la personne où les compétences pour s’occuper d’autrui sont censées être innées. La crise sanitaire avait révélé le décalage entre l’utilité sociale des métiers essentiels et leurs faibles reconnaissance et valorisation salariale.

De plus, les discriminations dans les déroulements de carrière continuent de peser et expliquent la moindre progression au fil de l’âge. Cette tendance est accentuée pour celles qui connaissent des interruptions et des parcours discontinus.

Parmi les jeunes en tout début de carrière, les mieux formés donc, la durée des temps partiels s’est allongée, mais davantage pour les hommes que pour les femmes. La majorité de celles et ceux qui sont à temps partiel souhaiterait travailler à temps plein… et les jeunes femmes sont plus nombreuses que les jeunes hommes à le vouloir. Cette aspiration à travailler davantage est cependant en recul (surtout pour les hommes), laissant supposer que l’allongement des durées compense l’insatisfaction.

Les inégalités résistent donc. Malgré la convergence des taux de temps partiel, l’écart entre les femmes et les hommes demeure très important. La hausse du niveau d’éducation des jeunes femmes n’a pas suffi et ne suffira pas, à elle seule, pour surmonter les inégalités, compte tenu des freins et des discriminations qui s’exercent dès l’embauche puis dans la carrière. La lenteur des progrès peut donc faire craindre un risque de réversibilité si la conjoncture de l’emploi se dégrade.

Il peut paraître paradoxal qu’au moment même où le niveau du temps partiel recule, la pauvreté s’étende. En réalité, l’amélioration en moyenne masque des inégalités persistantes entre les salarié.e.s très qualifié.e.s, dont les carrières sont en général continues, et celles et ceux qui cumulent faibles qualifications, temps partiel, bas salaires (mensuels mais aussi horaires puisque les emplois à temps partiel sont sur-représentés dans le Smic et les bas salaires) et parfois carrières discontinues. Précarité, sous-emploi durable et bas revenus conduisent à une pauvreté en emploi, qui est surtout le lot des femmes. Celles-ci, surtout lorsqu’elles élèvent seules leurs enfants, sont les nouveaux publics des associations de secours. Leur situation s’est aggravée avec le choc d’inflation. Les moyennes masquent donc une polarisation croissante, y compris parmi les femmes.




L’emploi des femmes et des hommes pendant la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020

Bruno Ducoudré et Hélène Périvier

Les mesures prises pour lutter contre la diffusion du virus de la covid-19, fermetures administratives des commerces non essentiels, fermeture des écoles et des modes d’accueil des jeunes enfants notamment, confinement de la population du 17 mars au 10 mai 2020, ont limité les possibilités de travailler pour de nombreuses personnes. Selon le secteur d’activité et le poste occupé, certaines ont pu télétravailler, d’autres ont été prises en charge par le dispositif d’activité partielle, les fonctionnaires et assimilés étant couverts pas une autorisation spéciale d’absence. Le confinement a fortement affecté l’activité et conduit à des destructions d’emplois. L’OFCE a produit plusieurs évaluations portant sur les conséquences économiques et sociales de la période de confinement, en particulier sur l’emploi (voir Policy Brief, n°67). En mobilisant la même méthode, nous précisons ici l’effet différencié attendu sur l’emploi des femmes et des hommes. En effet, la ségrégation sexuée du marché du travail par secteur et selon les professions implique que les femmes et les hommes n’ont pas été dans des situations similaires durant la période de confinement. Les femmes sont légèrement sur-représentées parmi les personnes pouvant potentiellement télétravailler (55,7 %). Au total, 38 % des femmes actives occupées occupent un poste pour lequel le télétravail serait possible contre 28 % des hommes. Les femmes ont dans le même temps continué à assumer la plus grande partie des tâches familiales et domestiques accrues durant cette période (Lambert et al., 2020[1]), combinant télétravail et éducation des enfants.



Pour toutes celles et ceux qui n’ont pas pu télétravailler, trois situations sont possibles : soit ils ou elles ont perdu leur emploi durant la période de confinement, soit ils et elles ont été placés en chômage partiel, avec une indemnité compensatrice (100 % pour un salaire horaire au smic et de 84 % au-delà, versée par l’entreprise et compensée par l’Etat et l’Unedic jusqu’à 4,5 smic horaire via de dispositif d’activité partielle) ; soit ils et elles ont bénéficié de l’arrêt pour garde d’enfant. Afin de détailler l’effet de la période de confinement sur l’emploi des femmes et des hommes, certaines hypothèses sont nécessaires en particulier s’agissant du parent qui recourt à l’arrêt pour garde d’enfant. Ne disposant d’aucune donnée permettant d’identifier qui sont les parents qui ont bénéficié de ce dispositif, nous supposons que si la personne élève seule son enfant, elle est concernée par un arrêt pour garde d’enfant (sauf si elle peut télétravailler, ou si elle travaille dans une entreprise concernée par les fermetures obligatoires), si elle vit en couple et que son conjoint doit continuer son activité, alors cette personne est concernée par ce dispositif. Enfin si les deux peuvent prendre l’arrêt pour garde d’enfant, selon l’hypothèse 1 nous supposons que c’est la mère qui recourt au dispositif, selon l’hypothèse 2 nous supposons que c’est le père. La réalité se situe entre les deux, mais avec certainement un recours beaucoup plus élevé pour les mères que pour les pères, au regard de l’état du partage des tâches dans la famille. En effet, les femmes réalisent encore aujourd’hui 70 % du travail domestique et 65 % du travail familial (Champagne et al, 2015[2]). 

Au total les femmes et les hommes ont été affectés dans des proportions comparables par les mesures de confinement : sous l’hypothèse 1 (respectivement l’hypothèse 2), les femmes représentent 52 % (43%) des 7,95 millions (7,8 millions) de personnes affectées. La ventilation par sexe des emplois dans les trois situations indique des différences entre les femmes et les hommes. Sous l’hypothèse 1 (respectivement l’hypothèse 2), les femmes ont représenté 38 % (35 %) des emplois détruits pendant la période ; 45 % (50 %) de l’activité partielle et 90 % (17 %) des arrêts pour garde d’enfants. Ces chiffres ne prennent pas en compte les fonctionnaires et assimilés, qui comportent une part importante de femmes.

Les hommes ont été, au regard de nos hypothèses, plus affectés par les destructions d’emploi, les femmes ont été davantage concernées par les arrêts pour garde d’enfants, le chômage partiel ayant affecté les hommes légèrement plus que les femmes. La ségrégation sectorielle par sexe explique une partie des effets sexués des mesures de confinement, de même que la division sexuée du travail dans les couples. 

Les graphiques 1 et 2 montrent la part des femmes affectées par des destructions d’emploi et l’activité partielle selon le secteur sous l’hypothèse 1. Le secteur de la construction a été particulièrement affecté par les destructions d’emplois (21 % des destructions d’emploi ont eu lieu dans ce secteur), les femmes ont été moins concernées que les hommes : elles représentent 6 % des destructions d’emploi de ce secteur contre 11 % de l’emploi du secteur. La ségrégation sectorielle se double d’une ségrégation des professions. Ainsi les femmes occupent plus souvent des postes administratifs que des emplois impliquant une présence sur le terrain, ce qui explique en partie qu’elles soient moins affectées par les destructions d’emploi dans ce secteur.  Dans le secteur du commerce, les femmes ont été un peu plus affectées par les destructions d’emploi que les hommes (elles représentent 47 % de l’emploi dans ce secteur et 54 % des destructions d’emplois), et elles ont été sensiblement plus touchées par l’activité partielle (58 % des emplois en activité partielle étaient occupés par des femmes). Le secteur des administrations publiques et de l’éducation et santé humaine comprend des emplois qui ne sont pas du ressort de la fonction publique, notamment ceux dans les organisations à but non lucratif. Ce secteur a été affectés par des destructions d’emploi dans lesquels les femmes représentent 71 % de l’emploi, a fortement contribué à affecter l’emploi des femmes : elles y ont représenté 86 % des destructions d’emploi et 95 % de l’activité partielle.  Le sous-secteur des organisations à but non lucratif utilisent des contrats courts ont été détruits du fait des fermetures administratives pendant le confinement (en particulier le secteur associatif). Ces destructions d’emplois représentent moins de 0.5 % de l’emploi total du secteur. 

Les secteurs du transport ou de la fabrication d’autres produits industriels, les hommes ont été concernés par les destructions d’emploi et l’activité partielle au prorata de leur représentation dans ces secteurs soit environ 75 %.

S’agissant des emplois affectés par un arrêt pour garde d’enfant, les résultats dépendent de l’hypothèse retenue. Sous l’hypothèse 1, les femmes sont mécaniquement beaucoup plus affectées que les hommes par cette mesure alors que sous l’hypothèse 2 ce sont les hommes qui sont plus affectés (graphique 3). Néanmoins, l’écart entre les deux n’est pas symétrique car les parents isolés sont à 80 % des femmes. Il est probable au regard de l’inégal répartition des tâches familiales entre les deux conjoints de façon structurelle, que les femmes aient dû davantage recourir à ce dispositif que leur conjoint. 

Les graphiques 4 et 5 indiquent l’ensemble des emplois affectés durant cette période de confinement. Les secteurs du commerce (1,3 million d’emploi affectés) et de l’hébergement et de la restauration (910 000 emplois concernés), les femmes et les hommes ont été affectés dans des proportions comparables. En revanche les hommes ont été beaucoup plus touchés que les femmes dans le secteur de la construction (sur 1,2 million d’emplois concernés, les hommes en occupaient plus d’un million).   A l’opposé dans le secteur Administration publique, enseignement, santé humaine et action sociale, les femmes ont été particulièrement touchées : sur 1 million d’emplois touchés, elles en occupaient 960 000. La moitié de ces emplois sont des « Assistantes maternelles, gardiennes d’enfants, familles d’accueil » et des « Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales ». Durant le confinement, nous avons supposé que ces deux types de profession étaient soumis aux fermetures obligatoires.  

La ségrégation sexuée des emplois explique une grande partie le fait que la crise qui touche le marché du travail affecte différemment les femmes et les hommes. Mais contrairement à la crise de 2008 qui était concentrée sur des secteurs particulièrement masculins (construction et industrie) (Revue de l’OFCEn°133), celle que nous traversons aujourd’hui est répartie dans plusieurs secteurs dont certains sont dominés par les femmes. Les effets durables sur le marché du travail et leur dimension sexuée restent encore incertains à ce jour. 


[1] Lambert A., J. Cayouette-Remblière, E. Guéraut, Guillaume Leroux, C. Bonvalet, V. Girard et L. Langlois, « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covd19 a changé pour les français », Population et Sociétés, n°579. 

[2] Champagne C., A. Pailhé, A. Solaz, 2015, « 25 ans de participation des hommes et des femmes au travail domestique : quels facteurs d’évolution ? », Economie et Statistique, n°478-479-480.




L’emploi des femmes seniores : une grande vulnérabilité

par Françoise Milewski

Maintenir les senior.e.s en emploi est un objectif des politiques
publiques, en particulier dans le cadre des réformes des retraites. Pour éclairer
ce débat sur la prolongation de l’activité, il est nécessaire d’analyser les
évolutions passées et la situation actuelle de l’activité et de l’emploi des
senior.e.s. L’accent sera mis sur les évolutions respectives de l’insertion sur
le marché du travail des femmes et des hommes. Il apparaît que l’emploi des femmes seniores se
caractérise par une plus grande vulnérabilité, comparé à celui des hommes
seniors et comparé à celui de leurs cadettes. Les critères de l’âge et du sexe
se cumulent pour fragiliser le maintien ou l’accès à l’emploi et constituent
des freins spécifiques[1].



La hausse du taux
d’activité des senior.e.s, en longue période, provient essentiellement de celle
du taux d’activité des femmes

La
hausse du taux d’activité[2]
des senior.e.s depuis 1975 résulte d’évolutions différenciées entre les femmes
et les hommes. Le taux d’activité des hommes de 50 à 64 ans avait
significativement reculé entre 1981 et 1995, sous l’effet de l’abaissement de
l’âge de la retraite et du développement des préretraites. Il s’est accru
ensuite, du fait de l’allongement des durées de cotisations nécessaires à la
cessation d’activité et de la baisse du nombre des préretraites. Mais en 2018,
le taux d’activité des hommes seniors est encore inférieur de 6.8 points à
celui de 1975. Le taux d’activité des femmes, à l’inverse, a stagné jusqu’au
milieu des années 1990, puis s’est fortement accru, beaucoup plus vite que
celui des hommes. En 2018, le taux d’activité des femmes seniores est supérieur
de 22.3 points à celui de 1975 (graphique 1).

Aux
raisons générales et communes concernant les réformes des retraites, s’ajoutent
des facteurs spécifiques : l’effet de l’insertion croissante des femmes
des générations de l’après-guerre sur le marché du travail, la multiplication
des séparations conjugales, qui rend l’emploi primordial, et la nécessité pour
les femmes, en moyenne, de prolonger leur carrière davantage que les hommes
pour bénéficier du taux plein de leur retraite.

La
vision d’une augmentation générale des taux d’activité des senior.e.s est donc
fragmentaire car elle néglige les évolutions différenciées selon le sexe, à
savoir des tendances divergentes du milieu des années 1970 au milieu des années
1990, puis une hausse commune mais à des rythmes différents. S’il en était encore
besoin, cela montre à nouveau qu’une analyse non sexuée du marché du travail
peut conduire à des conclusions partielles, voire fausses.

Du
fait de ces évolutions, les écarts de taux d’activité entre les femmes et les
hommes se sont très fortement réduits. En 2018, le taux d’activité des seniores
de 50 à 64 ans est inférieur de 6.2 points à celui des seniors (contre 35.3
points en 1975 et 16.6 points en 1993). L’écart est plus faible que ceux des
autres tranches d’âge et il s’amenuise avec l’âge : il est encore de 8.8
points entre 50 et 54 ans, de 7.3 points de 55 à 59 ans, mais n’est que de
0.5 point de 60 à 64 ans. Au-delà de 65 ans, il reste faible (-2.5 points
de 65 à 69 ans et -0.9 point après 70 ans, mais avec des niveaux bas de taux
d’activité).

Un chômage moindre
chez les senior.e.s que chez les jeunes, mais davantage de longue durée

Le
chômage des senior.e.s, femmes et hommes, est inférieur à celui des autres
classes d’âge. On peut expliquer ces caractéristiques du chômage des senior.e.s
(moindre niveau et moindres fluctuations) par des retraits du marché du
travail, induits par les politiques publiques passées (dispenses de recherches
d’emploi…) ou les pratiques antérieures des entreprises (préretraites…), et par
le découragement de la recherche d’emploi, passé un certain âge. En 2018, la
différence entre les 25-49 ans et les 50-64 ans est de 1.4 point pour les
hommes et 2.4 points pour les femmes.

Le
taux de chômage des seniores (6.5 % en 2018) est du même ordre de grandeur
que celui des seniors (6.7%). Durant les deux dernières décennies, pour les
femmes seniores, c’est le taux de chômage des 60-64 ans qui a le plus augmenté.
Les catégories moins âgées avaient subi des hausses plus précoces : on lit
dans ces évolutions, entre autre, les effets des réformes successives des
retraites.

Mais
le chômage des senior.e.s est de plus longue durée. La part du chômage de
longue durée (plus d’un an) et de très longue durée (plus de deux ans) atteint
respectivement 54.3 et 34.1 % chez les seniores, contre 61.2 et 41.2 %
chez les seniors. Ces parts sont bien plus élevées que celles des catégories
plus jeunes. Cela traduit la grande difficulté de retrouver un emploi, passé un
certain âge. Les senior.e.s sont donc moins souvent au chômage que les autres
classes d’âge, mais ils et elles y demeurent plus longtemps.

En
outre, les femmes seniores sont surreprésentées dans les demandes d’emploi en
activité réduite[3].

Les seniores qui
ont un emploi partiel et qui s’inscrivent à Pôle emploi pour travailler
davantage sont nettement plus nombreuses que les seniors dans cette situation.
L’écart n’a cessé de s’amplifier. Les demandes d’emploi des seniores en
activité réduite représentent 60.8 % du total à la fin de 2018. La
surreprésentation des femmes dans les demandes d’emploi en activité réduite
n’est pas spécifique à cette tranche d’âge, mais elle est amplifiée. Les femmes
finissent, plus souvent que les hommes, par retrouver et/ou accepter un
travail, mais celui-ci ne correspond pas à leurs attentes.

Le cumul
emploi-chômage : des hommes jeunes sur des contrats très courts et des
femmes âgées sur des contrats plus longs

Parmi
les personnes qui cumulent emploi et chômage[4]
sur des contrats de moins d’un mois, on trouve une majorité d’hommes et le
profil des âges pour les hommes et les femmes est similaire : un nombre
élevé de personnes en début de vie active, puis un recul et une légère
remontée. En revanche, parmi les cumulant.e.s sur des contrats de plus d’un
mois, où les femmes sont majoritaires, le nombre d’hommes diminue avec l’âge
mais le nombre de femmes augmente. Elles ont certes davantage de contrats de
plus d’un mois que les hommes, mais elles sont de plus en plus nombreuses avec
l’âge à cumuler chômage et emploi[5].
Cela traduit la plus grande vulnérabilité des seniores sur le marché du travail.

Parmi les
salarié.e.s en multi-employeurs qui, perdant un de leurs emplois, peuvent
bénéficier d’une indemnisation chômage leur permettant la poursuite de leurs
autres emplois, 80 % sont des femmes et près de la moitié a plus de 50
ans. Les métiers recherchés par ces allocataires sont le plus souvent dans les
secteurs de l’assistance aux enfants, des services domestiques, du nettoyage
des locaux, de l’assistance auprès d’adultes.

Des emplois moins
qualifiés

Lorsque les
femmes seniores ont un emploi, celui-ci est davantage concentré dans le
tertiaire et moins qualifié. Un niveau de formation initiale moins élevé en
moyenne, une moindre valorisation des diplômes et une reconnaissance des
qualifications et compétences plus difficile à obtenir les pénalisent. La
répartition socio-professionnelle reflète les qualifications acquises lors des
décennies précédentes. Mais il apparaît que la qualification s’accroît avec
l’âge pour les hommes, alors que ce n’est pas le cas pour les femmes. Les
hommes progressent dans la carrière et obtiennent des postes de plus en plus qualifiés
(ils sont plus souvent cadres et moins souvent non qualifiés après 50 ans
qu’avant), ce qui compense le moindre niveau de formation initiale des
générations anciennes. A l’inverse, les femmes de plus de 50 ans ont des postes
moins qualifiés que leurs cadettes (graphique 2).

Le moindre niveau
de formation initiale des seniores pèse donc davantage car le déroulement de
carrière est plus discriminant. Lorsqu’elles se sont interrompues ou qu’elles
ont perdu leur emploi, elles peinent à retrouver du travail et acceptent plus
souvent un poste moins qualifié, faute de mieux. Celles qui n’ont pas connu
d’interruption ont également un parcours moins favorable que les hommes. L’élévation
du niveau de formation des jeunes femmes ne suffira donc pas, à lui seul, à
surmonter les inégalités entre seniores et seniors, compte tenu des freins et
des discriminations qui s’exercent.

Des emplois de
moindre qualité…

La
part des contrats temporaires dans l’emploi des femmes seniores est plus élevée
que celle des hommes. Elle reste cependant inférieure à celle des autres
classes d’âge, tant pour les hommes que pour les femmes. Mais l’instabilité de
l’emploi s’est amplifiée dans la période récente et les femmes sont les plus
concernées.

Les
senior.e.s sont plus souvent à temps partiel que les autres actifs occupés et
les différences entre les hommes et les femmes sont importantes. L’emploi à
temps partiel des senior.e.s représente 21.7 % de l’emploi, contre 16.5 %
pour les salarié.e.s de 25 à 49 ans en 2018. Pour les seniores, la part est de
32.8 % (26.8 % pour les femmes de 25 à 49 ans) et pour les seniors
elle est de 10.9 % (6.0 % pour les hommes de 25 à 49 ans).

Les
évolutions dans le temps ont été nettement différenciées. Pour les femmes de
plus de 50 ans, la progression du temps partiel s’est amorcée dès le début des
années 1980 et fut régulière, alors que celle des 25-49 ans s’est accélérée
dans les années 1990 sous l’effet des politiques publiques. L’écart, de presque
10 points au milieu des années 1970, avait presque disparu 30 ans plus tard.
Mais dans la dernière décennie, ce sont des évolutions divergentes qui se
manifestent : le temps partiel progresse parmi les femmes seniores, mais
recule parmi les femmes de 25 à 49 ans, recréant un écart de 6 points.

Les temps partiels des hommes seniors, longtemps cantonné à
7-8 % de leur emploi, atteint désormais 10.9 %, car il a connu une
hausse similaire à celle des femmes depuis la deuxième moitié des années 2000,
témoin de la dégradation générale du marché de l’emploi pour les plus âgé.e.s.
L’écart avec les femmes seniores est de 21.9 points en 2018, proche de la
moyenne de longue période.

L’allongement de
la vie active reproduit donc les caractéristiques des emplois, en les
exacerbant. Le travail à temps partiel progresse avec l’âge et les faibles
quotités tiennent une place de plus en plus importante. Au-delà de 60 ans, le
temps partiel atteint 45.2% de l’emploi des femmes. 16.5 % des femmes de
plus de 60 ans en emploi exercent des emplois de moins de 15 heures, qui
représentent 36.6 % des emplois à temps partiel de cette tranche d’âge. La
diffusion du temps partiel au fil de l’âge vaut même si l’on ne prend en compte
que les personnes actives qui ne cumulent pas leur activité avec une retraite. Le
sous-emploi (essentiellement dû au temps partiel) s’est développé davantage
parmi les femmes seniores que parmi les hommes seniors.

Il n’apparaît
donc pas nettement de comportement de réduction volontaire du temps de travail avant
la retraite, ni de convergence entre les femmes et les hommes senior.e.s. Au
contraire, la montée du sous-emploi chez les femmes de plus de 50 ans participe
au diagnostic d’une plus grande fragilité de l’emploi.

… et moins bien
rémunérés

Les écarts des
salaires moyens entre les femmes et les hommes croissent avec l’âge.
L’inégalité est accrue si l’on raisonne en équivalent-temps-plein. Aux
fondements généraux des inégalités entre les femmes et les hommes s’ajoutent
donc des discriminations spécifiques à l’encontre des seniores. Quel que soit
le niveau de diplôme, les inégalités se forment dès l’entrée dans la vie active
et s’amplifient avec l’âge. Pour les salarié.e.s à temps complet, la
progression est beaucoup plus marquée chez les hommes, en particulier pour les
plus diplômés, alors que pour les femmes, les carrières sont plus plates,
qu’elles soient diplômées ou non, sans progression au fil des générations.

Des ruptures de
parcours avant la retraite

Les trajectoires
en fin de carrière témoignent de la fréquence des ruptures de parcours. Une
proportion significative des seniores passe par des périodes de chômage ou
d’inactivité entre leur sortie définitive du marché du travail et leur départ à
la retraite. La part des femmes ayant quitté le marché du travail avant 50 ans
ou bien n’ayant jamais travaillé est plus élevée que la part des hommes et cet
écart s’accroît avec l’âge. En outre, plus de la moitié des femmes prennent
leur retraite en ayant connu des années de non emploi dans les années qui
précèdent, et elles subissent davantage de changements de statuts que les
hommes.

Questions pour
l’avenir

Dans les analyses
des inégalités entre les femmes et les hommes en général, il est usuel de
commenter la situation des femmes comme étant « dans, en marge et hors du
marché du travail ». On en attribue l’origine, en partie, aux difficultés
d’articulation entre les tâches professionnelles et parentales. Il est frappant
de constater que cela vaut aussi pour les plus de 50 ans. Il faut donc bien
chercher ailleurs le fondement des inégalités : dans l’évolution des
structures de l’emploi et dans les discriminations spécifiques que subissent
les femmes quel que soit leur âge. Sous couvert de moindre disponibilité
lorsqu’elles sont jeunes et qu’elles ont des enfants en bas âge, sous couvert
d’autres formes de discriminations lorsqu’elles vieillissent et qu’elles
subissent des freins spécifiques.

Pour l’avenir,
plusieurs questions peuvent être posées, au regard des tendances passées. Se
pose d’abord la question du partage entre l’emploi et le non-emploi. La hausse,
voulue et favorisée, des taux d’activité se traduira-t-elle par une
augmentation de l’emploi ou bien par celle du chômage ? Ou bien par une
instabilité des parcours et des allers-retours multiples entre emploi et
non-emploi, que celui-ci prenne la forme de l’inactivité, du chômage ou du
sous-emploi ?

Les difficultés à
rester en emploi sont multiples. En cas de chômage, le risque d’y demeurer
longtemps est accru car les seniores subissent des freins spécifiques pour
retrouver un emploi. Le secteur tertiaire, en particulier les services à la
personne et les métiers sanitaires et sociaux, offre et continuera d’offrir un
débouché croissant aux femmes seniores. Qu’elles soient en recherche d’emploi à
la suite d’une perte d’emploi, que la crise économique ou les réformes des
retraites aient retardé l’acquisition des droits nécessaires pour bénéficier
d’une retraite à taux plein lorsqu’elles ont une carrière incomplète, qu’elles
soient demandeuses d’emploi en activité réduite et souhaitent travailler
davantage, qu’elles aient besoin de cumuler retraite et emploi du fait de leur
faible niveau de pension. Mais cela risque d’accroître encore plus la dualité
du travail entre femmes et hommes et entre les femmes.

La question se
pose aussi de l’ampleur que prendra le temps partiel. La hausse de l’activité
des femmes s’est faite avec une progression du temps partiel. Si l’on considère
que le temps partiel a permis aux mères de s’insérer dans l’emploi et qu’il
s’est substitué à l’inactivité, alors une inflexion devrait se produire (une
fois que les enfants ont grandi) ; mais ce n’est pas ce que laissent
prévoir les évolutions passées. Si, en revanche, le développement du temps
partiel tient essentiellement à la tertiarisation de l’économie et à la demande
de travail (part élevée du temps partiel dans les services, dont les métiers
sont majoritairement pourvus par les femmes), alors l’emploi des femmes
seniores restera durablement marqué par le temps partiel.

Les difficultés
d’insertion et de réinsertion après une perte d’emploi s’ajoutent à cette
caractéristique structurelle. De plus, le report de l’âge de départ en retraite
renforce la tendance, puisque le temps partiel s’amplifie aux âges avancés.
L’emploi des femmes seniores serait alors de plus en plus à temps partiel. Seul
pourrait jouer en sens contraire le fait que le niveau de diplôme des jeunes
femmes s’élevant, elles seraient progressivement moins concentrées sur les
emplois peu qualifiés du tertiaire, les plus pourvoyeurs de temps partiel. A
condition que les stéréotypes et les discriminations s’atténuent.

La question se
pose aussi de la reconnaissance des qualifications et des déroulements de
carrière. Les conditions d’emploi des seniores seront encore durablement
déterminées par les caractéristiques des générations de femmes moins formées
que les hommes et/ou formées dans des filières moins valorisées. Certes cette
situation changera à long terme. Mais cela suppose que la qualification acquise
soit reconnue sans discriminations et que les carrières des femmes progressent
à l’égal des hommes. Or jusqu’à présent, en moyenne, la qualification s’accroît
avec l’âge seulement pour les hommes.

La question de la
qualité de l’emploi est donc primordiale. La polarisation du marché du travail
concerne les femmes comme les hommes. Mais les femmes sont les plus touchées.
La ségrégation professionnelle les pénalise : emplois peu qualifiés,
souvent à temps partiel et à faibles salaires. Les femmes seniores sont cependant
hétérogènes. Les femmes cadres sont certes discriminées dans leurs carrières,
si bien que lorsque lorsqu’elles sont seniores elles n’exercent pas les mêmes
emplois que leurs collègues masculins. Mais elles ont des parcours le plus
souvent stables et parviennent à l’âge de la retraite sans ruptures majeures. A
l’opposé, la précarisation des femmes à l’origine peu formées les enferme dans
le sous-emploi au fil de l’âge : la ségrégation professionnelle est
renforcée et les ruptures de trajectoires plus nombreuses en fin de carrière.

Pour les femmes
seniores précaires en sous-emploi durable, l’évolution spontanée du marché du
travail (structures sectorielles, normes d’emploi…) ne permet pas d’anticiper
une amélioration de la situation. C’est donc d’une part du côté de la
sécurisation générale des parcours des emplois précaires, d’autre part de la
levée des freins qui s’exercent sur les femmes seniores et de façon plus
générale du combat contre les inégalités entre les femmes et les hommes tout au
long de la carrière que se situent les perspectives d’amélioration.


[1] Ce texte résume et actualise la première partie de
l’étude « Les femmes seniores dans l’emploi : état des lieux »,
CSEPFH (Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes), juin 2019. https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2019/07/CSEP-RAPPORT-FEMMES-SENIORS-EMPLOI-1.pdf

[2] Le taux d’activité est
le  rapport entre le nombre d’actifs en
emploi (actifs occupés) ou au chômage et l’ensemble de la population
correspondante.

[3] Les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle
emploi sont tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi. Ils sont
classés en catégories, dont : catégorie A : sans emploi au cours du
mois ;  catégorie B : ayant exercé
une activité réduite courte (78 heures ou moins) au cours du mois ;
catégorie C : ayant exercé une activité réduite longue (plus de 78 heures) au
cours du mois.

[4]
Si un
chômeur ou une chômeuse est inscrit.e à Pôle emploi et travaille en activité
réduite, il ou elle peut, sous certaines conditions, percevoir une partie de
ses allocations chômage en plus du salaire de son activité.

[5]
UNEDIC – L’Assurance Chômage, dossier de
référence à la négociation, novembre 2018,

https://www.unedic.org/publications/dossier-de-reference-de-la-negociation-ouverte-en-novembre-2018
https://www.unedic.org/publications/dossier-de-reference-de-la-negociation-ouverte-en-novembre-2018



Le recouvrement des impayés de pensions alimentaires réduit les dépenses sociales mais réduit également le niveau de vie de certaines mères isolées

Par Hélène Périvier (OFCE) et Muriel Pucci (CES, Université Paris 1)

Lors de son allocution du 26 avril, Emmanuel Macron a annoncé le renforcement de l’aide au recouvrement des Contributions à l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE), communément appelées « pensions alimentaires » auprès des pères débiteurs : « on ne peut pas faire reposer sur des mères seules qui élèvent leurs enfants (…) l’incivisme de leurs anciens conjoints. ». Dans le système actuel, cet incivisme repose davantage sur la solidarité nationale que sur les mères elles-mêmes, si ces dernières font valoir leurs droits auprès de la CAF. En effet, la Loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a mis en place la Garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) qui assure le versement d’un montant minium de pension égal à l’Allocation de soutien familial (ASF, environ 115 euros par enfant par mois) lorsque l’ex-conjoint ne paie pas ce qu’il doit au titre de l’éducation et de l’entretien de ses enfants. Au-delà de ce dispositif spécifique, le RSA et la Prime d’activité garantissent un revenu minimum à toutes les personnes éligibles. Les parents isolés, qui sont le plus souvent des femmes, perçoivent des majorations permettant de tenir compte de leur situation familiale. La solidarité nationale prend donc le relai des ex-conjoints défaillants pour les parents isolés aux revenus  les plus faibles. Lorsque le parent débiteur verse la CEEE due, le montant de RSA ou de la prime d’activité que perçoit le parent créditeur sont réduits d’autant.

Au côté des prestations sociales, l’Etat a créé, en janvier 2017, l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) qui procède au recouvrement de celle-ci auprès des ex-conjoints débiteurs et facilite le versement par les CAF des aides sociales adaptées à chaque situation. L’annonce présidentielle ne vise donc pas à créer ce dispositif car il existe déjà, mais à renforcer son activité. L’objectif de l’ARIPA est de faire payer au parent débiteur les sommes dont il est redevable, ce qui a priori devrait améliorer le revenu disponible du parent créditeur et donc le niveau de vie des enfants. Un meilleur taux de recouvrement contribuerait également à la baisse des dépenses sociales. Il n’y a en effet aucune raison pour que le système social se substitue au parent débiteur si ce dernier est en mesure de payer la CEEE. Mais le recouvrement de la CEEE peut conduire à une baisse du revenu disponible de nombreuses mères isolées (le parent créditeur est le plus souvent la mère), en raison du traitement de cette catégorie de revenu dans le système fiscal et social. Ainsi, de façon contre-intuitive, un meilleur recouvrement des pensions réduit le niveau de vie de certaines mères isolées, celles qui sont dans les situations les plus précaires.

Pour améliorer le niveau de vie des enfants dont les parents sont séparés, il faut certes accroître l’injonction des pères à payer les CEEE dues, mais il faut également revoir le traitement de ces contributions dans les barèmes sociaux et fiscaux.

Le niveau de vie baisse à la suite d’une séparation

Le nombre de familles monoparentales n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui on compte plus 1.6 million de foyers monoparentaux, soit plus de 22% des familles comprenant des enfants mineurs : 3.4 millions d’enfants vivent avec un seul de leur parent. La cause la plus fréquente de cette configuration familiale est la rupture de couple. 85% des parents isolés sont des femmes.

Les parents séparés voient leur niveau de vie baisser après la rupture, notamment du fait de la perte d’économies d’échelles associées à la vie en couple. En particulier les dépenses de logement pèsent sur le revenu des deux ex-conjoints. Cette perte de niveau de vie est la plupart du temps plus importante pour les femmes que pour les hommes car, lorsqu’elles sont en couple, elles réduisent ou cessent plus souvent leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants. Elles ont donc moins de ressources propres (Bonnet, Garbinti, & Solaz, 2016). Par ailleurs elles ont le plus souvent la garde principale des enfants. Les femmes sont donc particulièrement concernées par la situation de monoparentalité, bien que la proportion de pères isolés se soit accrue ces dernières années, passant de 11% en 1990 à 15% en 2011 (Acs & Lhommeau, 2012). Par ailleurs les pères n’ayant pas la garde de leur enfant après la séparation subissent également une perte de niveau de vie, car ils versent une CEEE et ont également des dépenses de logement plus élevées que s’ils étaient célibataires sans enfant à charge et ceci même quand ils n’accueillent leurs enfants qu’un week-end sur deux (Martin & Périvier, 2018)[1].

Le niveau de la pension alimentaire et insolvabilité du parent débiteur

Au moment de la séparation, la Contribution pour l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE) est fixée soit à l’amiable entre les deux parents, soit par un juge. Cette pension peut être monétaire ou en partie en nature (logement, loisir etc,… ). Le barème indicatif mis à disposition par la Chancellerie définit un montant de CEEE en pourcentage du revenu du parent débiteur, mais le juge arbitre en appréciant la situation dans son ensemble au cas par cas. La question du montant est d’autant plus complexe que les revenus des deux ex-conjoints sont faibles. Lorsque le parent débiteur ne peut pas payer une contribution d’un montant suffisant pour l’éducation des enfants, le système social prend le relais avec l’Allocation de soutien familial dite complémentaire. Il s’agit d’une prestation différentielle qui permet d’assurer une contribution minimale fixée à 115,64 euros par enfant et par mois. Par exemple si le juge fixe la CEEE à 50 euros, alors le parent ayant la garde de l’enfant recevra 65,64 euros en complément au titre de l’ASFC[2].

Comment lutter contre les impayés de pensions alimentaires ?

La grande majorité des contributions (82 %) sont payées systématiquement, 8 % le sont irrégulièrement, et 12 % ne sont pas payées (Insee, 2015). Ces statistiques ne concernent que les couples divorcés et ne tiennent pas compte des situations de séparation de parents non mariés pour lesquels les impayés existent aussi. Le Ministère des solidarités et de la santé avance un chiffre de 30 à 40% de pensions totalement ou partiellement impayées.

Pour aider les mères isolées dont l’ex-conjoint ne paie pas la CEEE, une garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) a été instaurée en 2014 de façon expérimentale puis généralisée en 2016 sur l’ensemble du territoire. La GIPA garantit à hauteur de l’ASF toute pension impayée par le parent débiteur et cette ASF recouvrable est versée par la CAF qui réalise les démarches juridiques pour recouvrer les sommes dues. Pour une CEEE dont le montant excède le niveau de l’ASF (115,64 euros par enfant), le parent créditeur recevra le solde si la CAF réussit à recouvrer les sommes dues. Ce nouveau dispositif s’est accompagné de la création de l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) en janvier 2017. Ce dispositif devrait être renforcé afin d’accroître le nombre de pensions impayées recouvrées.

L’incohérence du traitement des pensions alimentaires dans le système social

La façon dont les CEEE sont prises en compte dans les barèmes sociaux et fiscaux pour les deux parents n’est pas toujours cohérente.

L’impôt sur le revenu traite le versement de la CEEE comme un transfert de revenu. Ainsi, le parent débiteur déduit la pension versée de son revenu imposable et le parent créditeur l’ajoute à son revenu imposable. Lorsque les deux parents sont imposables et ne sont pas éligibles aux revenus sociaux (du type RSA ou Prime d’activité), le versement de la contribution améliore alors la situation de la mère et son impact sur le niveau de vie de père est atténué par la déduction fiscale.

En revanche, le calcul du RSA et de la Prime d’activité revient à compter deux fois les CEEE dans les revenus des parents. La mère qui a la garde des enfants doit déclarer les CEEE reçues, ce qui réduit d’autant le montant de la prestation (par un mécanisme différentiel), mais en contrepartie elle bénéficie de suppléments pour enfants à charge au titre du RSA et de la Prime d’activité[3]. En revanche, le père ne peut pas déduire les contributions qu’il verse à son ex-conjointe de ses ressources dans le calcul du RSA ou de la Prime d’activité et il ne bénéficie d’aucun supplément de ces prestations au titre de la charge que représente cette contribution sur son niveau de vie.

Le traitement des CEEE dans l’impôt sur le revenu, le RSA et la Prime d’activité implique que leur versement ne modifie pas le revenu disponible des mères isolées ayant de faibles ressources (substitution de la solidarité familiale à la solidarité collective) et qu’il améliore la situation des mères isolées qui ne sont pas éligibles aux prestations sociales. Du côté des pères, ceux qui sont imposables bénéficient d’une prise en compte de la charge que constitue la CEEE sur leur niveau de vie, ce qui n’est pas le cas de ceux potentiellement éligibles au RSA.

Mais au-delà de ces deux transferts sociaux (RSA et Prime d’activité), les contributions sont également prises en compte pour le calcul des aides au logement, des prestations familiales dégressives et/ou sous condition de ressources et de l’ensemble des tarifs sociaux basés sur un quotient familial (tarifs préférentiels de la cantine et des activités périscolaires par exemple). Pour ces aides, comme pour l’impôt sur le revenu, les CEEE sont considérées comme un transfert de revenu : le parent créditeur intègre les contributions reçues dans son revenu ce qui réduit les montant auxquels il a droit, et le parent débiteur les déduit de ses ressources ce qui accroît son degré d’éligibilité à ces prestations. In fine pour les mères élevant seules leurs enfants, la baisse de l’ensemble des prestations sociales peut être supérieure au montant de la contribution reçue ce qui induit une baisse de son revenu disponible. Autrement dit le taux marginal effectif d’imposition des contributions pour l’entretien et l’éducation des enfants est supérieur à 100%.

Prenons le cas d’ex-conjoints ayant deux enfants, le père débiteur gagne 1,5 fois le Smic (1 760 € par mois) et la mère isolée n’a pas de revenus d’activité. Si le père paie la contribution (122 € par enfant selon le barème indicatif, soit 244 €), le revenu disponible de la mère est alors de 1 347€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche, si le père ne paie pas la contribution due, la mère isolée peut percevoir l’ASF (soit 115,64 € par enfant, soit 231,28 €) grâce à la GIPA. Pour cela elle doit en faire la demande et cette demande doit être validée (ce qui requiert que la mère ait effectivement engagé des démarches pour le recouvrement de la pension ou que le père ne soit pas solvable). Si la mère perçoit l’ASF en l’absence de contribution versée par le parent débiteur, son revenu disponible est de 1 392€ par mois, soit 45 € de plus que si le père verse la contribution due. En effet, la contribution est certes supérieure au montant de l’ASF de 13€, mais son versement implique une baisse du RSA de 59€ [4]. Si la mère ne perçoit ni l’ASF ni la CEEE, son revenu disponible est de 1 347 € et le recouvrement ne modifie pas son niveau de vie : la baisse du RSA compense exactement l’augmentation du revenu lié à la perception de la pension.

Supposons maintenant que la mère créditrice gagne le Smic. Si le père paie la contribution de 244 €, le revenu disponible de la mère est de 1 999€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche si le père ne paie pas la contribution, le revenu disponible de la mère isolée est de 2 116 € par mois si elle perçoit l’ASF et de 2 070 € sinon. Dans les deux cas, le recouvrement de la contribution due par le père réduirait le niveau de vie de la mère et des enfants dont elle a la garde et ceci en raison de la baisse de la Prime d’activité (baisse de 60€ avec ASF et de 244€ dans le cas où elle ne perçoit pas l’AFS) mais aussi d’une baisse de l’aide au logement (de 71€ pour une aide en zone 2 avec un loyer égal au loyer plafond).

Certes pour toutes les femmes qui, du fait de ressources propres suffisantes, ne sont pas éligibles aux prestations sociales du type RSA, Prime d’activité ou allocations logement, le paiement effectif de la contribution implique une augmentation de leur revenu disponible. Mais pour toutes celles qui bénéficient de prestations sociales et de tarifs sociaux, le recouvrement réduit le niveau de vie. Or il s’agit de celles qui sont dans les situations les plus précaires. Reste le cas des mères qui ne recourent pas au RSA ou à la Prime d’activité et pour lesquelles le versement de la contribution accroît le niveau de vie, mais le non-recours aux prestations sociales constitue un dysfonctionnement du système social.

Pour éviter que le niveau de vie de certains parents baisse suite au paiement de la CEEE par leur ex-conjoint, il convient donc d’adopter une approche globale. Il est légitime de mettre en place les procédures facilitant le recouvrement des impayés de pensions alimentaires, car il n’y a aucune raison que l’Etat se substitue au parent débiteur lorsque celui-ci est en mesure de contribuer à l’entretien et à l’éducation de ses enfants. Mais lorsque la CEEE est effectivement payée, non seulement l’Etat ne verse plus l’ASF, mais il verse moins d’aides sociales diverses (allocations logement, RSA, prime d’activité) ce qui réduit la voilure des dépenses sociales, mais grève d’autant le revenu disponible des mères isolées et le niveau de vie de leurs enfants. Pour améliorer la situation des mères isolées, il ne suffira donc pas de recouvrer les pensions dues, mais il faudra revoir l’articulation du paiement des CEEE avec le système social et fiscal. Des travaux sont en cours au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et des propositions allant de ce sens seront formulées avant l’été. Parallèlement, l’OFCE travaille actuellement à la rédaction d’un rapport sur la situation des socio-économiques des parents isolés dans le cadre d’un contrat de recherche réalisé pour la Direction générale de la cohésion sociale.

 

[1] Les gardes alternées ne représentent que 16% des organisations familiales fixées par le juge à la suite à une séparation.

[2] Notons que l’allocation n’est pas payée pour des montants inférieurs à 15 euros par parent bénéficiaire.

[3] Le RSA et la Prime d’activité peuvent être majorés dans certains cas : si le benjamin a moins de 3 ans ou durant la première année qui suit la séparation.

[4] L’ASF n’est pas intégralement déduite du RSA, mais seulement à hauteur de 80 % de son montant.




Hypergamie et célibat selon le statut social en France depuis 1969: une convergence entre femmes et hommes ?

Dans la dernière livraison de sa revue (Revue de l’OFCE, VARIA, n°160-2018), l’OFCE présente une étude de Milan Bouchet-Valat qui soulève deux paradoxes liés à l’augmentation du niveau d’éducation des femmes :

Le premier est que la disparition des différences entre hommes et femmes en termes de célibat et d’hypergamie relative selon la classe sociale s’est réalisée sans que les inégalités de genre en termes de carrières professionnelles ne se soient résorbées. Le marché conjugal semble de ce point de vue nettement en avance sur le marché du travail, …

Le second paradoxe tient à ce que la diminution des inégalités de genre s’est accompagnée d’un renforcement des inégalités de classe du point de vue du célibat. Si vivre en couple était déjà plus fréquent pour les hommes occupant une position sociale élevée dans les années 1960, c’est bien l’inverse qui était vrai chez les femmes. Or, l’augmentation du taux de célibat a frappé d’abord les femmes et les hommes les moins socialement favorisés, mettant fin à ce qu’on peut considérer comme une anomalie dans le système des inégalités sociales. Désormais, les individus des deux sexes disposant de moins de ressources culturelles et économiques sont aussi ceux qui mettent le moins en commun ces ressources au sein d’un couple.

Vous pouvez accéder à l’intégralité de l’article de Milan Bouchet-Valat en cliquant ici.




Pourquoi rendre le congé de paternité obligatoire ?

par Hélène Périvier

Le gouvernement engage une réflexion sur une réforme du congé de paternité. Un rapport vient d’être demandé à l’Inspection générale des affaires sociales. Aujourd’hui, les pères salariés[1] ont droit à 11 jours calendaires consécutifs au titre du congé de paternité. Indemnisé par la Sécurité sociale dans les mêmes conditions que celles du congé de maternité, le congé de paternité est optionnel.Un allongement de la durée de ce congé est envisagé alors que l’idée de le rendre obligatoire semble être écartée, au vu des déclarations de Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de Muriel Pénicaud, Ministre du Travail.

Un levier pour l’égalité professionnelle

Le Policy brief OFCE n°11, publié en janvier 2017, expose les raisons pour lesquelles une réforme du congé de paternité constitue un levier pour réduire les inégalités professionnelles. En matière de partage des congés parentaux, la France est en retard par rapport à d’autres pays européens, et pas seulement les pays nordiques qui ont depuis longtemps mis en place des politiques de congés parentaux obligeant à un partage de ce temps consacré aux enfants. Le Portugal a également innové en la matière : les pères ont droit à un mois de congé de paternité, indemnisé à 100% du salaire, dont deux semaines obligatoires[2].

Obligation et protection des travailleurs

La Ministre du Travail a déclaré le 31 janvier 2018: « Je ne suis pas sûre que l’on change les mœurs d’une société avec une obligation » du recours au congé de paternité. Rappelons que sur les 16 semaines de congé maternité (pour un enfant de rang 1 ou 2), 8 semaines sont obligatoires, dont 6 après la naissance. Cette obligation a été introduite pour protéger les femmes d’une pression que leur employeur pourrait exercer sur elles pour qu’elles ne prennent pas ce congé auquel elles ont droit. Le caractère obligatoire du congé relève donc de la protection des travailleuses[3]. Pourquoi ne pas protéger les pères de la même façon ? Les hommes qui souhaitent consacrer plus de temps à leurs enfants dans le cadre de ce congé peuvent être stigmatisés par leurs collègues ou leurs supérieurs hiérarchiques. L’obligation coupe court à toute négociation. Elle constitue une garantie du respect du droit des travailleurs à prendre le congé de paternité, tout comme l’obligation de congés annuels ou de repos hebdomadaires[4] que personne ne conteste aujourd’hui. Notre histoire sociale montre au contraire que l’obligation est un moyen puissant de changer la norme sociale ; alors pourquoi ne pourrait-elle pas faire bouger les lignes des normes de genre ?

Libre choix individuel et choix de société

Le caractère obligatoire du congé est contesté au nom du libre choix des pères et des couples de s’organiser comme ils l’entendent. La liberté de chacun et de chacune en matière d’organisation familiale est incontestable, mais le caractère sexué de cette organisation au niveau global en fait un problème social et collectif (voir le Policy Brief n°11). Autrement dit, ce qui pose problème, ce n’est pas que des femmes ajustent leur carrière pour consacrer du temps à leurs enfants, c’est que ce soit majoritairement des femmes qui agissent ainsi. De fait, toutes les femmes se trouvent pénalisées par le caractère sexué de la division du travail dans les couples, y compris celles qui optent avec leur conjoint pour une organisation égalitaire. Il s’agit donc d’une externalité négative qu’il convient de corriger.

Indemnisation et perte de revenu

Si le congé de paternité devient obligatoire, alors certains pères verront leurs revenus diminuer pendant la durée du congé. C’est le cas des hommes dont le salaire est supérieur au plafond d’indemnisation de la Sécurité sociale[5] et qui travaillent dans des entreprises ne disposant pas d’une convention collective favorable, qui comporterait une couverture complète par l’employeur. C’est également le cas pour les femmes dans des situations similaires, et pour elles la perte de revenu est plus importante car la durée du congé est plus longue. Revoir l’indemnisation pour qu’elle soit plus généreuse pour les femmes comme pour les hommes est une meilleure réponse à ce problème que de renoncer à l’obligation du recours au congé pour les pères.

Coût de la réforme et financement

Reste la question du coût d’une telle réforme : c’est un point important mais cela ne doit pas couper court à toute discussion. Un congé de paternité allongé à 22 jours et obligatoire impliquerait un surcoût de l’ordre de 500 millions (Policy brief OFCE n°11)[6]. Il doit être pensé à l’aune d’une refonte de l’ensemble des congés et de l’imposition des couples, notamment d’une réforme du quotient conjugal (Allègre et Périvier). Par exemple, un plafonnement du quotient conjugal à 2 500 euros (donc au-dessus du plafond du quotient familial, qui est de 1 500 euros) représenterait un gain pour les finances publiques de 1,35 milliard, ce qui procurait des marges de manœuvre pour ouvrir une réforme des congés et de l’accueil des jeunes enfants. C’est donc l’ensemble des politiques sociales et fiscales qu’il faudrait remettre à plat pour donner plus d’espace aux pères dans la famille et aux femmes dans la sphère professionnelle.

Une réforme du congé de paternité ne saurait suffire à résorber les inégalités persistantes, mais c’est une piste de changement qui permet d’ouvrir un débat sur la place respective des femmes et des hommes dans notre société.

 

 

[1] Pour les travailleurs indépendants, la question dépasse le cas du congé de paternité, c’est l’ensemble du régime de sécurité sociale des indépendants qui est en cause.

[2] Wall Karin, Leitão Mafalda. « Le congé paternel au Portugal : une diversité d’expériences », Revue des politiques sociales et familiales, n° 122, 2016. Exercice de la paternité et congé parental en Europe. pp. 33-50.

[3] Isabel Odul-Asorey, « Congé maternité, droit des femmes ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 3 /2013,

[4] La date des congés ou le jour de liberté dans la semaine (dimanche ou pas) est le seul sujet de débat, pas l’obligation faite aux entreprises d’accorder un congé à l’ensemble des salarié.e.s.

[5] Le salaire pris en compte ne peut pas dépasser le plafond mensuel de la Sécurité sociale en vigueur lors du dernier jour du mois qui précède l’arrêt, soit 3 311,00 € brut par mois en 2018.

[6] Les indemnités de congés maternité et paternité sont plafonnées. Selon les accords d’entreprises et les conventions collectives, les employeurs peuvent les compléter pour assurer une indemnisation de 100 % à leurs salarié-e-s. Aucune donnée consolidée ne permet d’en évaluer le montant (HCF, 2009). Les coûts présentés ici ne tiennent pas compte du coût que ces réformes entraîneraient pour les employeurs.




Les pères séparés supportent-ils un sacrifice de niveau de vie plus important que leur ex-conjointe ?

Hélène Périvier OFCE-PRESAGE

L’étude récente publiée par France Stratégie portant sur le partage des charges liées aux enfants après une séparation fait grand bruit (voir notamment Osez le féminisme, Abandon de famille, mais aussi SOS papa…). Ce travail analyse l’évolution du niveau de vie des deux ex-conjoints en tenant compte de l’interaction entre le barème indicatif de pensions alimentaires et le système fiscalo-social. Cette perspective est stimulante car il s’agit de voir si la redistribution opérée par l’Etat social intègre de façon juste et équitable les coûts de l’enfant supportés par chaque ex-conjoint.

On y lit qu’après une séparation, les niveaux de vie des deux ex-conjoints diminuent fortement. De plus, les simulations de cas-types réalisées « indiquent que l’application du barème [ barème indicatif  de référence fourni aux juges] aboutit en l’état actuel de la législation socio-fiscale à ce que la charge des enfants entraîne un sacrifice de niveau de vie sensiblement plus important pour le parent nongardien que pour le parent gardien ». Autrement dit, les pères séparés consentiraient à un  sacrifice de niveau de vie plus important que les mères, si le juge appliquait à la lettre le barème indicatif. Selon, le ministère de la Justice ce barème n’est pas appliqué par les juges, tant les situations sont à chaque fois spécifiques. Cette étude porte donc sur ce que serait le niveau de vie des parents séparés si le barème était appliqué, et non pas sur le niveau de vie effectif. Or, le tableau des résultats présenté dans la note en première page est titré  « Estimation de la perte de niveau de vie supportée par les parents de deux enfants (en pourcentage par rapport à une situation sans enfant, calcul net des aides publiques)». Qui lira vite, pensera qu’il s’agit de la situation réelle des parents séparés.

Bien que portant sur le barème de pensions alimentaires et non sur les décisions des juges elles-mêmes, cette étude soulève une question pertinente. Mais les résultats sont fragilisés par d’importants problèmes méthodologiques : la notion de sacrifice de niveau de vie ne tient pas compte de la division sexuée du travail et de son impact sur la carrière des mères ; les cas-types mis en avant ne sont pas nécessairement représentatifs (notamment en ce qui concerne le statut marital avant la séparation) ; l’utilisation faite des échelles d’équivalence[1] conduit à assimiler « niveau de moyen du ménage » et « niveau de vie individuel », enfin une approche par le maintien du niveau de vie de l’enfant aurait conduit à un tout autre résultat.  De fait, proposer le modèle de micro-simulation comme outil d’aide à la décision des juges semble quelque peu prématuré aux regards de ces critiques.

De la notion de « sacrifice de niveau de vie » 

Dans tous les cas simulés, les parents séparés perdent en niveau de vie relativement à la situation en couple (à revenu inchangé). Ce résultat est conforme à ceux de travaux récents, comme par exemple Martin et Périvier, 2015, Bonnet, Garbinti, Solaz, 2015, ou le rapport du HCF. La séparation est coûteuse pour les deux parents du fait de la perte d’économies d’échelle (par exemple il faut deux logements au lieu d’un seul, …). Au-delà de la baisse de niveau de vie de chaque parent, les auteurs calculent le « sacrifice de niveau de vie » que subissent les parents avant et après la séparation.

Le « sacrifice  de niveau de vie » est censé être calculé en rapportant le coût de l’enfant au revenu disponible dont aurait disposé le parent s’il n’avait pas eu d’enfant. Or, le sacrifice de niveau de vie consenti par la mère ayant la garde de l’enfant (respectivement le père) est en fait calculé en rapportant le coût de l’enfant au niveau de vie d’une femme célibataire sans enfant ayant le même niveau de salaire que la mère séparée (idem pour le père).

Cette méthode ne permet pas d’estimer le « sacrifice de niveau de vie » car la mise en couple et la formation de la famille s’accompagne d’une division sexuée du travail largement documentée dans la littérature, et qui implique que cette femme séparée aurait eu un niveau de salaire, et plus globalement une carrière, différents si elle était restée célibataire sans enfant. Si une femme cadre supérieure vivant en couple s’arrête de travailler pour s’occuper des enfants et que le couple se sépare, la notion de « sacrifice de niveau de vie » impliquerait un gain important en niveau de vie pour cette femme, puisque le coût de l’enfant serait rapporté au RSA, alors qu’elle aurait perçu un salaire élevé si elle n’avait pas eu d’enfant, car elle aurait continué à travailler.

Autrement dit, le bon contrefactuel, c’est-à-dire la situation à laquelle on doit comparer le niveau du parent séparé pour évaluer le sacrifice de niveau de vie qu’elle (ou il) subit, devrait être le revenu qu’aurait eu la femme (ou l’homme) séparée (en tenant compte de ses caractéristiques personnelles) si elle (ou il) n’avait pas été en couple et si elle (il) n’avait pas eu d’enfant. Ce faisant, les calculs auraient conduit à un sacrifice de Madame nettement plus important que celui calculé dans l’étude. On voit ici la nécessité d’une approche économique qui intègre les comportements des agents par rapport à une approche comptable.

Des cas-types atypiques ?

En mobilisant le modèle de micro simulation Openfisca, les auteurs simulent différentes situations et évaluent la perte de niveau de vie de chaque ex- conjoint après la séparation.

Les cas-types permettent de comprendre les interactions complexes entre le système fiscal et social et, pour le sujet abordé ici, le barème indicatif de pensions alimentaires. La critique généralement faite aux études sur cas-type est qu’elles ne donnent pas la représentativité des situations simulées : de fait pour éviter de se focaliser sur des cas marginaux, on ajoute des données relatives à la fréquence des situations choisies comme étant « typiques ». S’agissant de la répartition des revenus, dans les trois quarts des cas les femmes gagnent moins que leur conjoint (Insee). Il conviendrait de regarder la répartition des revenus entre conjoints avant la rupture et de voir quels sont les cas les plus courants et d’affiner en ne retenant que les cas pour lesquels le juge fixe une pension,  soit dans seulement 2 cas sur 3 (Belmokhtar, 2014).

De même, faire un focus sur le cas d’un couple ayant deux enfants à charge n’est pas sans conséquence[2],  dans la mesure où avec un seul enfant à charge le montant des prestations familiales baisse, de fait les revenus sociaux perçus par la mère seraient plus faibles (notamment les allocations familiales ne sont pas versées pour un enfant mais à partir de deux enfants) et son niveau de vie également. Les statistiques fournies par le ministère de la Justice indiquent que le nombre moyen d’enfants est de 1,7 dans le cas de divorces et 1,4 dans les cas d’union libre (Belmokhtar, 2014).

Enfin, rien n’est dit explicitement sur la situation maritale d’avant la séparation : mariage ou union libre ?

– Soit les auteurs considèrent les couples mariés. Dans ce cas, si les salaires des ex-conjoints sont différents (cas n° 4 qualifié d’ « Asymétrie des revenus »), comment la perte du bénéfice du quotient conjugal est-elle répartie ? Après le divorce, le gain fiscal issu de l’imposition jointe est perdu : Monsieur paie alors le montant d’impôt au regard de son salaire et non plus de la moyenne des salaires du couple. Ce surcroît d’impôt pèse sur son niveau de vie et le « sacrifice de niveau de vie » calculé pour le père divorcé serait alors en partie le résultat de la perte du bénéfice du quotient conjugal et non pas du coût issu de la charge d’un enfant séparé.

– Soit les auteurs ne considèrent que les couples en union libre, ce qui semble être le cas au regard du vocabulaire mobilisé « séparation, union, parents séparés etc… », mais alors cela nous ramène la critique concernant la représentativité des cas-types dans la mesure où plus de la moitié des décisions de justice relatives à la résidence des enfants sont liées à des divorces (Carrasco et  Dufour, 2015). Par ailleurs, les pensions fixées par le juge sont d’autant plus éloignées du barème qu’il s’agit d’une séparation et non d’un divorce, ce qui limite la portée de l’étude.

Du bon usage des échelles d’équivalence

Les échelles d’équivalence permettent de comparer les niveaux de vie des ménages de tailles différentes, en appliquant des unités de consommation (uc) pour établir un « équivalent adulte ». Ces échelles reposent sur des hypothèses fortes qui ne permettent pas une utilisation tous azimuts de cet outil :

– les individus appartenant à un même ménage mettent intégralement leurs ressources en commun ;

– les personnes appartenant à un même ménage disposent du même niveau de vie (niveau de vie moyen obtenu en divisant le revenu total du ménage par le nombre d’uc  du ménage). Cette hypothèse découle de la première ; le niveau de vie est assimilé au bien-être.

Les échelles d’équivalence donnent une estimation du surcoût lié à la présence d’une personne supplémentaire dans un ménage. Elles ne disent rien quant à la façon dont les ressources sont effectivement allouées dans le ménage. Ceci tient à l’hypothèse de mise en commun des ressources, hypothèse contestable (voir notamment  Ponthieux, 2012) et qui conduit à attribuer le niveau de vie moyen du ménage à chaque individu. Un couple dispose de 1,5 uc. De fait, un couple A dans lequel Monsieur gagne 3 SMIC et Madame 0 SMIC a le même niveau de vie qu’un couple B dans lequel les deux gagnent 1,5 SMIC. Cette méthode permet de comparer les niveaux de vie moyens de deux ménages, mais pas les niveaux de vie des individus qui les composent. Madame vivant dans le couple B a probablement un niveau de vie individuel supérieur à celui de Madame vivant dans le couple A, du fait de son pouvoir de négociation accru dans un contexte de salaire identique. Ainsi comparer les niveaux de vie moyens du couple avec les niveaux de vie individuels lorsque le couple se sépare est trompeur.

De même, pour évaluer la charge financière que représentent les enfants pour la mère séparée par exemple, les auteurs appliquent le ratio uc lié aux enfants sur le total des uc du ménage, au revenu disponible de la femme (salaire moins les impôts payés, plus les prestations reçues et la pension versée par son ex-conjoint au titre des deux enfants dont elle a la garde). Mais rien ne dit que la mère séparée n’alloue pas davantage de ressources à ses enfants que ce qui est estimé par ce ratio d’uc (en matière de logement, elle peut par exemple dormir dans le salon pour que les enfants aient chacun leur chambre).

Les critiques méthodologiques faites aux échelles d’équivalence en limitent l’utilisation (voir Martin et Périvier, 2015). Elles ne permettent pas de comparer les niveaux de vie des individus, mais seulement le niveau de vie de ménages de taille différente.

Quid du niveau de vie de l’enfant ?

Les travaux consacrés à l’estimation du niveau de vie des parents séparés sont rares. Pour fixer les uc par enfant au regard de la situation maritale de leur parents (en couple ou séparés), les auteurs s’appuient sur une étude australienne qui les conduit à majorer les uc attribuées aux enfants dès lors que les parents sont séparés. Le coût d’un enfant de parents séparés est supérieur à celui d’un enfant vivant avec ses deux parents. Ils optent pour la formule suivante :

– un enfant vivant avec ses deux parents correspond à 0,3 uc ;

– un enfant vivant avec sa mère en garde classique à 0,42 uc et 0,12 pour le père non gardien ; soit 0,54 au total pour les deux ménages.

Ainsi le coût d’un enfant de parent séparé est supérieur de 80 % à celui d’un enfant vivant avec ses deux parents. Il est probable que la plupart des parents séparés font tout leur possible pour que les conditions de vie de leurs enfants restent inchangées après une séparation. Une approche qui viserait au maintien du niveau de vie de l’enfant permet d’en tenir compte. En majorant de 80 % le coût des enfants lorsqu’ils vivent avec leurs deux parents, et en le redistribuant au prorata des uc attribuées pour enfants de parents séparés, le parent gardien a une perte de niveau de vie supérieure à celle du parent non gardien (voir le tableau). Cette méthode est elle aussi contestable car on applique le surcroît d’uc des enfants de parents séparés par rapport aux enfants vivant en couple au coût monétaire calculé dans le cas du couple élevant ses enfants. Mais, le choix de cette approche inverse le résultat.

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Toute analyse statistique repose sur des hypothèses permettant de « qualifier » ce que l’on souhaite « quantifier », c’est inévitable (soit parce qu’on ne dispose pas de l’information, soit par mesure de simplification et pour faciliter l’interprétation). Des hypothèses toujours trop fortes, des résultats toujours trop sensibles, des méthodologies perfectibles sont le lot quotidien des chercheur-e-s.  Apporter des éclairages, poser les bonnes questions, ouvrir des perspectives nouvelles, nourrir et se nourrir de la contradiction, voilà leur apport à la société.

L’étude publiée par France Stratégie a le mérite d’ouvrir un débat sur un sujet complexe qui met au défi notre système socio-fiscal. Mais les réponses qu’elle y apporte ne sont pas convaincantes. Si les auteurs conviennent que « L’intérêt de ce travail de simulation est avant tout illustratif», ils n’en souhaitent pas moins « a minima, proposer aux juges et aux parents un outil permettant de simuler la situation financière des deux ménages issus de la séparation, en intégrant l’impact du système socio-fiscal. » Cela semble prématuré au regard de la fragilité des résultats présentés.

 


[1] Pour comparer le niveau de vie de ménages de tailles différentes, des échelles d’équivalence sont estimées à partir d’enquêtes et selon plusieurs méthodes. Elles permettent de se rapporter à un niveau de vie en « équivalent adulte », ou encore en « unité de consommation » (uc). Dans cette perspective, le niveau de vie d’un ménage dépend de son revenu global, mais aussi de sa taille (nombre et âge de ses membres).

[2] Certes, le graphique 7 du document de travail résume les situations selon le nombre d’enfants, mais dans la note l’accent est mis sur le cas avec deux enfants.




Chômage et emploi des femmes: de moindres inégalités?

par Françoise Milewski

La dégradation du marché du travail a touché différemment les femmes et les hommes depuis le début de la crise. Les évolutions récentes montrent que les formes des ajustements diffèrent. Les inégalités de sexe produisent des évolutions différenciées de l’emploi et du chômage, qui conduisent en retour à des formes spécifiques d’inégalités.

Depuis le printemps 2008, les demandes d’emploi de catégorie A[1] se sont accrues pour les hommes et les femmes, mais bien davantage pour les premiers (93% contre 60%). L’évolution a été plus heurtée pour les hommes, au fil des cycles de l’activité industrielle et des politiques publiques, en particulier des mesures de chômage partiel.

Les demandeurs d’emploi sont plus nombreux que les demandeuses d’emploi depuis novembre 2008. En décembre 2014, les hommes constituaient 52,9% des demandes d’emploi. Mais cette répartition est proche des parts respectives dans la population active et dans l’emploi. C’est la situation antérieure qui était anormale : les femmes, minoritaires sur le marché du travail étaient majoritaires dans le chômage de catégorie A.

Cependant, les demandes d’emploi en activité réduite[2], c’est-à-dire les chômeurs ayant un emploi à temps partiel mais inscrits à Pôle emploi car désirant travailler davantage, sont surtout des femmes (55,4%), une proportion sans grande variation par rapport au début de la crise. Et les femmes restent surreprésentées dans la catégorie B, en activité réduite de courte durée. La hausse des demandes d’emploi en activité réduite a été plus tardive et moins heurtée que celle de la catégorie A. Elle fut aussi moins différenciée selon les sexes.

Au total, si l’on prend en compte les demandes d’emploi des catégories A, B et C, les demandeurs d’emploi sont très légèrement plus nombreux que les demandeuses d’emploi depuis l’été 2014 (50,2% en décembre 2014). C’est une nouvelle caractéristique du marché du travail (graphique 1).

Cette caractéristique est vraie pour les moins de 25 ans et les 25 à 49 ans. En revanche, les femmes de plus de 50 ans demeurent plus nombreuses au chômage que les hommes, du fait d’un niveau important des demandes d’emploi en activité réduite.

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Les effets de la non-mixité des métiers et des secteurs d’emploi

Les évolutions de l’emploi expliquent ces tendances. Les femmes travaillent surtout dans le tertiaire, les hommes davantage dans l’industrie et le bâtiment. Or les plus fortes destructions d’emploi se sont produites dans l’industrie et le bâtiment. Le tertiaire – traditionnellement moins cyclique – a peu supprimé d’emplois, et en a même créés certaines années (de 2010 à 2012, puis en 2014) si l’on réaffecte l’intérim aux secteurs utilisateurs. Ces créations ont été de faible ampleur, mais l’emploi des femmes a moins souffert de la crise, en tout cas différemment. Il a reculé en 2009, s’est ensuite un peu accru, puis stabilisé. C’est certes une rupture de tendance au regard du rythme de croissance des années 1980, 1990 et 2000, mais la différence avec l’emploi des hommes est manifeste : celui-ci s’est nettement replié en 2009, puis de nouveau en 2012 et 2013. Les années 1980 et 1990 étaient déjà des années défavorables pour l’emploi des hommes.

La non-mixité des métiers résulte d’une formation scolaire et professionnelle sexuée et la produit en retour. Elle explique le fait que les débouchés sectoriels diffèrent à ce point. Les emplois de services, en particulier à la personne, sont l’apanage des femmes, dont les compétences, censées être « innées », les conduisent à faire dans la sphère marchande ce qu’elles font déjà dans la sphère familiale : soigner, éduquer, s’occuper des autres, nettoyer.

Ainsi, les inégalités dans l’orientation professionnelle ont une contrepartie « positive » en emploi, du moins si l’on s’en tient au nombre d’emplois. Mais la mauvaise qualité de certains emplois et leur sous-valorisation en découlent aussi.

Une évolution des taux d’emploi plus favorable aux femmes

La mise en relation des taux d’activité et d’emploi avec les taux de chômage (au sens du BIT[3]) permet de préciser à la fois les écarts entre les femmes et les hommes et les profondes différences selon les âges.

Tous âges confondus, les femmes ont accru leur taux d’activité sur la période 2008-2014 (de 2,3 points). Leur taux d’emploi a baissé entre 2008 et 2010 puis s’est redressé ensuite, dépassant son niveau d’avant-crise. Le taux de chômage s’est donc fortement accru dans la première période de la crise, puis s’est stabilisé, avant de progresser à nouveau depuis le début de 2012, la hausse du taux d’emploi restant inférieure à celle du taux d’activité. Le taux d’emploi à temps complet a d’abord baissé puis s’est stabilisé, tandis que le taux d’emploi à temps partiel a un peu progressé. La part du temps partiel dans l’emploi est un peu supérieure à celle du début de 2008, mais seulement d’1 point.

Pour les hommes, le taux d’activité s’est très faiblement accru (+ 0,6 point) et le taux d’emploi a significativement baissé (- 2,1 points), d’où la hausse plus importante du taux de chômage. La baisse du taux d’emploi des hommes vient essentiellement de celle du taux d’emploi à temps complet. Le niveau du taux d’emploi à temps partiel étant encore très faible, sa progression a peu d’impact sur l’ensemble. La part du temps partiel dans l’emploi des hommes passe cependant de 5,5% au printemps 2008 à 8% au troisième trimestre 2014.

Ainsi, les taux d’emploi en équivalent-temps-plein divergent : celui des hommes recule sur toute la période tandis que celui des femmes, après un repli au début de la crise, se redresse modérément mais continûment depuis (graphique 2).

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Le halo autour du chômage[4] s’est accru, tout particulièrement chez les hommes (+ 37,4% contre + 8,8%), mais les femmes demeurent surreprésentées (56,9% du total fin 2014).

Ces évolutions moyennes recouvrent cependant des évolutions très différenciées selon les âges. La stabilisation du taux d’activité des hommes résulte d’une baisse tant pour les jeunes que pour les 25-49 ans et d’une hausse pour les plus de 50 ans. Mais la hausse du taux d’emploi des seniors est insuffisante pour compenser le repli des autres catégories. Pour les femmes, seul le taux d’activité des 15-24 ans recule, et la hausse du taux d’emploi des plus de 50 ans compense la baisse du taux pour les jeunes et celle, modérée des 25-49 ans.

Les salarié-e-s âgé-e-s particulièrement touché-e-s

L’activité, l’emploi et le chômage des seniors sont atypiques car cette tranche d’âge a été fragilisée par les effets des reports de l’âge de la retraite. Les évolutions des taux de chômage par sexe sont parallèles et les niveaux proches. La hausse des taux d’activité est forte depuis 2009 : pour les hommes, elle intervient après une longue période de repli jusqu’en 1995, une remontée ensuite du fait de la réforme des retraites de 1993, puis de nouveau un repli (modéré) entre 2003 et 2008. La remontée depuis 2009 s’est essoufflée en 2013 et 2014 (du fait des mesures de cessation d’activité à 60 ans pour carrière longue, qui concernent en pratique surtout les hommes). Pour les femmes, la hausse est continue depuis 1990 : après un palier entre 2005 et 2008, la hausse s’est accélérée, sans le tassement en fin de période constaté pour les hommes. Cette hausse plus régulière pour les femmes répercute la montée des taux d’activité des jeunes générations dans les décennies précédentes. La hausse des taux d’emploi ayant été moindre que celle des taux d’activité, le chômage s’est accru pour les deux sexes. La difficulté de retrouver un emploi a aussi gonflé les taux d’emploi à temps partiel, tout particulièrement pour les femmes. La part du temps partiel dans l’emploi atteint 10,2% pour les hommes en fin de période (mais nettement en deçà encore de celle des femmes : 33,4%).

Le taux de chômage des 25-49 ans s’est accru pour les deux sexes, surtout pour les hommes, d’où la convergence du niveau des taux depuis la fin de 2012. Pourtant, le taux d’activité des hommes a un peu baissé depuis le début de la crise, à l’inverse de celui des femmes qui s’est stabilisé en moyenne sur la période. Le recul des taux d’emploi est très marqué pour les hommes (- 5,2 points), moins ample pour les femmes (- 1,7 point). C’est également le cas pour les taux d’emploi à temps complet. La part du temps partiel dans l’emploi des hommes augmente un peu mais reste très faible (à peine plus de 5%) et elle se stabilise pour les femmes. L’évolution des taux d’emploi en équivalent-temps-plein diffère sensiblement : baisse marquée pour les hommes, faible baisse pour les femmes. La dégradation du volume d’emploi concerne donc particulièrement les hommes. Mais les niveaux restent encore très différents.

Les jeunes femmes tirent moins bien parti de leur formation

C’est dès le début des années 2000 que les taux de chômage des hommes et femmes de moins de 25 ans se sont rejoints, à l’inverse des autres tranches d’âge. Depuis, les évolutions ont été proches. Les taux d’activité diffèrent significativement, en niveau : celui des femmes demeure de 7 points environ inférieur à celui des hommes. Le recul des taux d’activité depuis le début de la crise est uniforme, tout comme celui des taux d’emploi. Faute de pouvoir trouver un emploi, les jeunes prolongent leurs formations.

C’est le taux d’emploi à temps complet qui a le plus baissé, en particulier pour les jeunes hommes. Le taux d’emploi à temps partiel n’a pas compensé ce repli : il est resté stable pour les hommes, sauf depuis la fin de 2012, où il s’accroît un peu, et il a diminué pour les femmes (mais modérément).

Il est frappant de constater que même pour cette tranche d’âge, la différence de niveau entre les taux d’emploi à temps partiel est importante (de l’ordre de 4 points). Les tâches parentales ne peuvent pourtant pas être invoquées ! C’est donc du côté des types d’emplois selon les métiers et les secteurs d’activité que la cause est à rechercher. La part du temps partiel dans l’emploi des femmes atteint presque 35% en fin de période, contre 17% pour les hommes. Celle-ci est cependant en hausse marquée depuis six trimestres. Il est encore trop tôt pour affirmer qu’il s’agit d’une rupture de tendance, la crise conduisant les jeunes hommes à accepter des emplois qu’ils n’acceptaient pas antérieurement, ou bien qu’ils s’orienteraient davantage vers les secteurs tertiaires, moins touchés.

Le niveau de la formation est à l’avantage des femmes. Or il est manifeste, d’une part, que le diplôme protège du chômage et de la crise (les plus forts taux de chômage étant ceux des non ou peu qualifié-e-s), d’autre part que les filles réussissent mieux à l’école et sortent en moyenne plus diplômées du système scolaire. Comment alors comprendre que le taux de chômage soit équivalent entre les sexes ? Une étude de l’INSEE sur les débuts de carrière avait été menée en 2010, sur la période 1984 à 2008[5]. Elle montrait que les femmes étaient nettement plus au chômage que les hommes au cours des cinq premières années de vie active au début des années 1980, mais que l’écart avait diminué et que les taux de chômage s’étaient rejoints en 2002. En 2007 et 2008, le taux de chômage des femmes était même devenu plus faible que celui des hommes en début de carrière, grâce à l’élévation de leur niveau de formation. A niveau de formation identique, les jeunes hommes s’inséraient mieux, le plus souvent : le taux de chômage des jeunes femmes restait plus élevé et leurs salaires inférieurs, du fait des spécialités de formation choisies. L’INSEE estimait qu’à diplôme, spécialité et durée d’insertion identiques, elles avaient un risque de chômage supérieur de 7% à celui des hommes, au cours des premières années de vie active.

Qu’en est-il depuis la crise ? Le CEREQ mène des enquêtes d’insertion sur le devenir des jeunes sortis du système éducatif. La dernière de ces « Enquêtes générations » a été faite en 2013 sur la génération 2010[6]. Elle montre la dégradation due à la crise et la très forte différenciation selon le niveau de diplôme. En 2013, trois ans après leur sortie du système éducatif, 22 % des jeunes étaient encore en recherche d’emploi. C’est le niveau le plus haut jamais observé dans les enquêtes du CEREQ. La hausse, par rapport à la génération 2004, est de 16 points pour les non-diplômé-e-s, de 3 points pour les diplômé-e-s du supérieur long.

Les femmes, plus diplômées, résistent mieux à la crise. Pour la génération 2010 (à l’inverse de la génération 2004), le taux d’emploi des hommes diminue pour s’aligner sur celui des femmes et le taux de chômage des femmes est inférieur à celui des hommes. Les jeunes hommes sont davantage confrontés au chômage de longue durée. Cet avantage relatif des femmes est dû à leur meilleur niveau d’étude, dont la progression est supérieure à celle des hommes.

Mais les inégalités sur le marché du travail, en défaveur des femmes, subsistent : à niveau de diplôme comparable, quel qu’il soit (des non-diplômés au niveau Bac+5, sauf au niveau doctorat), le taux de chômage des femmes est supérieur à celui des hommes (graphique 3). Ainsi, le moindre chômage des femmes est seulement dû à leur niveau de formation plus élevé et celui-ci n’exerce pas son plein effet.

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Une recomposition des inégalités

Les inégalités entre les femmes et les hommes se recomposent mais demeurent. Le chômage des femmes s’est moins accru dans la crise que celui des hommes. Cela est dû, en premier lieu, à la répartition sectorielle de leurs emplois (surtout dans le tertiaire) et à la non-mixité des métiers. En second lieu, l’élévation du niveau de formation moyen permet aux femmes de mieux résister à la crise, mais avec une ampleur plus faible que ce qu’elle devrait être. Il ne suffit donc pas de patienter pour que le temps produise son effet : même dans les jeunes générations, les discriminations perdurent à l’embauche et dans les premières années de vie active. A moins qu’il faille attendre le moment (hypothétique et guère souhaitable) où des générations de femmes très qualifiées côtoieront des générations d’hommes non qualifiés pour que les inégalités sur le marché du travail s’atténuent…

C’est aussi du côté de la qualité de l’emploi que se situe l’enjeu : le temps partiel se développe parmi les hommes, en particulier les plus âgés et les plus jeunes, mais demeure surtout répandu parmi les femmes, sur lesquelles repose l’essentiel des tâches parentales. Mais le temps partiel est aussi plus fréquent parmi les femmes de moins de 25 ans, qui y sont encore peu confrontées.

Les emplois de services, en particulier à la personne, offrent des débouchés aux moins qualifiées, mais souvent à temps partiel. Faut-il y voir une plus grande acceptation des « mauvais » emplois par les femmes ?

C’est donc bien une recomposition qui s’opère : les femmes élèvent leur niveau de formation et celles qui ont une qualification élevée, de plus en plus nombreuses, s’insèrent sur le marché du travail de façon stable. Cependant, elles tirent moins bien parti de leur formation, non seulement en termes de salaires et de déroulement de carrière, mais aussi dès leur entrée dans la vie active, y compris en termes d’emploi et de chômage. Les moins qualifiées d’entre elles sont particulièrement pénalisées et forment l’essentiel de la précarité, qui s’étend. La déréglementation du marché du travail tend à amplifier les inégalités en contraignant les plus fragiles sur le marché du travail à accepter des emplois à temps partiel à horaires réduits mais de grande amplitude. Il ne suffit donc pas d’attendre pour que les inégalités disparaissent ou même s’atténuent.

 


[1] Catégorie A : demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, sans emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi.

[2] Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (78 heures ou moins au cours du mois) pour la catégorie B, ou une activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) pour la catégorie C.

[3] Un chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui n’a pas travaillé, ne serait-ce qu’une heure, au cours de la semaine donnée, est disponible pour travailler dans les deux semaines et a entrepris des démarches  actives de recherche d’emploi dans le mois précédent (ou a trouvé un emploi qui commence dans les trois mois). Le taux de chômage est le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre de personnes en activité (en emploi ou au chômage).

[4] Le halo autour du chômage regroupe les personnes qui n’ont pas d’emploi et qui souhaitent travailler, mais qui ne sont pas considérées comme chômeurs selon les normes du BIT car elles ne sont pas disponibles pour travailler dans les deux semaines et/ou ne recherchent pas d’emploi.

[5] « Femmes et hommes en début de carrière. Les femmes commencent à tirer profit de leur réussite scolaire », Alice Mainguené et Daniel Martinelli, Insee Première, n° 1284, février 2010,

http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1284.

[6] « Face à la crise, le fossé se creuse entre niveaux de diplôme », Christophe Barret, Florence Ryk, Noémie Volle, Bref CEREQ n° 319, mars 2014, http://www.cereq.fr/index.php/publications/Bref/Enquete-2013-aupres-de-la-Generation-2010-Face-a-la-crise-le-fosse-se-creuse-entre-niveaux-de-diplome.




Le partage du congé parental : un impératif d’égalité

par Hélène Périvier

Le projet de loi sur l’égalité entre femmes et hommes, voté par le Sénat le 18 septembre 2013, comprend notamment un volet visant à modifier les modalités d’accès à l’allocation de congé parental[1] en introduisant le Complément libre choix d’activité (CLCA). La dernière Note de l’OFCE (n°34 du 26 septembre 2013) analyse les conséquences de ce projet en termes d’égalité femmes-hommes et propose d’autres pistes pour une plus large réforme.

Le droit à l’allocation de congé parental est un droit familial : il est attribué à l’un des deux parents qui réduit ou cesse son activité professionnelle pour s’occuper de l’enfant, et ce pour une durée de 3 ans maximum. Partant du constat que 98 % des allocataires sont des femmes, l’objectif visé par la loi est d’encourager les pères à y recourir : désormais sur les 36 mois de droit à l’allocation de congé parental, 6 devront être pris par l’autre parent. Autrement dit, au terme de 30 mois de congé parental pris par la mère, le père devra prendre le relais pour les 6 mois restant, au risque pour la famille de perdre ces 6 mois. L’Unaf, hostile à cette réforme, a publié sur son site une enquête sur « les pères et le congé parental ». Il en ressort une opposition, au nom de la complémentarité des sexes, au principe instauré dans la loi visant à promouvoir le partage des tâches familiales entre les mères et les pères. De même la pénurie de modes de garde des jeunes enfants est mise en avant comme un rempart à toute modification du congé parental, au motif qu’elle accentuerait la contrainte organisationnelle qui pèse sur les parents de jeunes enfants. Pourtant, le caractère sexué du congé parental fait de ce dispositif un frein à l’égalité, même si une partie des allocataires déclarent y recourir par choix personnel. Réformer les modalités d’accès au congé parental est donc nécessaire pour avancer du point de vue de l’égalité femmes-hommes. Les modifications proposées dans la loi seront-elles suffisantes pour faire bouger les lignes de la division sexuée du travail ?

Répartir la contrainte sur les mères et les pères

Ne pas réformer le CLCA serait introduire le libre choix de recourir au congé de certaines mères et le libre choix de ne pas y recourir pour l’ensemble des pères, devant la lutte contre les discriminations qui affectent la plupart des femmes. Certes, le congé parental n’est pas à lui seul responsable des inégalités femmes-hommes, mais il en est un moteur et les inégalités professionnelles en retour renforcent son caractère sexué.

Une politique visant l’égalité professionnelle ne peut donc pas faire l’impasse sur une réforme du congé parental. Renverser ce cercle vicieux exige des modifications majeures de ce type de congé. Un congé plus court, reposant sur un droit individuel, non transférable entre conjoints et dont l’indemnisation serait reliée au salaire du bénéficiaire, serait sans aucun doute plus attractif pour les pères et porteur d’égalité (Méda et Périvier, 2007). A défaut d’être immédiatement paritaire, ce dispositif aurait l’énorme avantage de garantir l’autonomie des femmes par rapport à leur conjoint et donc d’intégrer l’émancipation économique comme un principe de l’action publique. Mais le raccourcissement de la durée du congé parental ne peut se faire sans avoir, au préalable, comblé le déficit des modes d’accueil des jeunes enfants, estimé aujourd’hui à 350 000 places[2]. Ce congé renouvelé devrait donc s’insérer dans une refonte du parcours d’accueil des jeunes enfants. Dans le cas contraire, raccourcir le congé parental conduirait à serrer davantage l’étau qui pèse sur les parents et en particulier les mères. Une politique ambitieuse d’accueil de la petite enfance, dans laquelle intégrerait un congé parental court et rémunéré en proportion du salaire, serait favorable à l’égalité. Elle exige une dépense publique importante, environ 5 milliards d’euros par an (Périvier, 2012). Or les arbitrages pris par le gouvernement en matière d’ajustements budgétaires vont dans le sens d’une réduction des dépenses publiques.

De fait, par manque de moyens, la réforme proposée dans la loi est modeste et ne va pas permettre de rééquilibrer le partage des tâches familiales entre femmes et hommes. Mais elle a le mérite de mettre en exergue les contradictions qui traversent notre société en matière d’égalité : sans une contrainte de partage du congé parental, ce dernier restera une affaire de femme. L’introduction d’une durée de congé parental affectée au père ne va pas directement accroître la contrainte liée à la pénurie des modes d’accueil : le droit à l’allocation de congé parental reste de 36 mois pour la famille. Elle va simplement en répartir la charge entre les mères et les pères. L’arbitrage auquel les pères vont devoir faire face est celui auquel les mères sont confrontées depuis longtemps. Étant donné le caractère forfaitaire et faible du montant de l’indemnisation, il est probable que peu de pères soient tentés par ce congé. Néanmoins si les orientations en matière budgétaire ferment la porte à toute réforme ambitieuse de l’accueil de la petite enfance, les femmes ne peuvent pas être les seules à en assumer les conséquences.

Réformer le congé parental est donc un impératif d’égalité.


[1] Il convient de distinguer l’allocation de congé parental en tant que telle, du congé parental du point de vue du droit du travail (c. trav. art.L. 122-28-1), qui garantit, sous certaines conditions, à une personne qui travaille de retrouver son emploi au terme d’un congé parental d’une durée d’un an renouvelable 3 fois. La première est versée par la CAF dans le cadre plus général de la politique familiale, sous certaines conditions (rang de l’enfant, activité passée, …). Les conditions d’accès en termes d’activité passées sont plus souples pour l’éligibilité à l’allocation qu’au congé parental stricto sensu. De fait, seulement 60% des allocataires du CLCA bénéficient d’une garantie de retour à l’emploi (Legendre et Vanovermeir, 2011).

[2] Voir notamment, Rapport Tabarot, Périvier 2012.




Allocations familiales : family business ?

par Hélène Périvier

Bertrand Fragonard a rendu son rapport au Premier Ministre en  vue d’accroître le caractère redistributif de la politique familiale et de rétablir les comptes de la branche famille d’ici 2016, déficitaire depuis peu. Un redéploiement des prestations familiales vers les familles aux faibles revenus est proposé comme premier objectif. Pour le second, les deux options proposées sont la modulation des allocations familiales selon les ressources ou leur fiscalisation. Comment trouver 2 milliards d’euros en période de vaches maigres ?

Les vaches étant maigres, est-ce le moment de les mettre au régime ?

La réduction des dépenses de la politique familiale s’inscrit dans une politique économique plus large d’austérité ou de rigueur visant le rééquilibrage des comptes publics. Certes, la question des déficits publics est une question sérieuse, qu’on ne peut pas balayer d’un revers de la main. Il y va de la pérennité et de la soutenabilité de notre Etat social, et plus précisément pour le sujet qui nous intéresse ici, il y a va de l’avenir de la politique familiale. Mais l’ampleur et le calendrier de la lutte contre les déficits publics sont un élément central pour en garantir l’efficacité. Les  travaux de prévision de l’OFCE montrent que les réductions massives des dépenses publiques dans lesquelles s’engage la France vont peser sur la croissance. Le manque de croissance freinera la réduction des déficits, qui ne sera pas à la hauteur des attentes. In fine, nous n’aurons ni le beurre, ni l’argent du beurre, les vaches ne donnant plus de lait.

Si l’on persiste dans cette voie conduisant à réduire la voilure de la politique familiale, alors comment procéder ? Qui doit en porter le coût ? Faut-il réduire les dépenses ou accroître les recettes ?

Garder le cap ?

Plusieurs principes guident l’action publique. Ils constituent une boussole qui permet de garder le cap que l’on s’est fixé et de dessiner les outils permettant de l’atteindre. S’agissant de la politique familiale, le premier principe relève de l’équité horizontale, qui exige qu’un ménage ne voit pas son niveau de vie baisser avec l’arrivée d’un enfant. Autrement dit, au nom de ce principe,  tous les ménages financent des aides qui ne bénéficient qu’à ceux qui ont des enfants à charge. On opère donc une redistribution des ménages sans enfant vers ceux qui en ont, qu’ils soient riches ou pauvres. Cette mutualisation du coût de l’enfant est justifiée par l’idée qu’une natalité dynamique profite à tous. Les allocations familiales sont emblématiques de ce principe.

Le second principe relève de l’équité verticale : tous les ménages doivent participer au financement de la politique familiale de façon progressive en fonction de leur revenu, et les ménages aux revenus modestes ayant des enfants à charge reçoivent des aides spécifiques, comme par exemple le complément familial, versé sous condition de ressources aux familles de trois enfants et plus.

Bien sûr rien ne nous interdit de changer de cap en modifiant l’articulation entre ces deux principes. Une réforme de la politique familiale serait d’ailleurs souhaitable : elle doit tenir compte des évolutions qu’a connues la société française ces dernières décennies (ce qu’elle fait partiellement seulement) : augmentation du salariat des femmes, monté des unions libres (rappelons qu’aujourd’hui plus d’enfants naissent dans des couples qui ne sont ni mariés ni pacsés), augmentation des divorces, recomposition des familles, souci d’égalité des enfants face à l’accueil collectif et à la socialisation, inégalités territoriales… (Périvier et de Singly, 2013). Cette réflexion sur la politique familiale doit s’intégrer dans une vision d’ensemble du système fiscalo-social visant les familles, au risque de perdre la cohérence des politiques publiques. La lettre de mission à l’origine du rapport Fragonard assigne avant tout le retour à l’équilibre de la branche famille d’ici 2016, « avec un infléchissement significatif dès 2014 ».

Ne pas perdre le  Nord !

En conservant ce cap de la  politique familiale, des marges de manœuvre sont possibles. Pour mettre à contribution l’ensemble des ménages, on pourrait revoir la fiscalité du couple. Dans le système actuel, les couples mariés ou pacsés obtiennent deux parts fiscales, ce qui conduit à une réduction d’impôt d’autant plus importante que les revenus des deux conjoints sont inégaux (le cas extrême étant le celui de Madame Aufoyer et de Monsieur Gagnepain, que précisément ce mode d’imposition visait à encourager). C’est ce que l’on appelle le quotient conjugal[1]. Cet « avantage »  n’est pas plafonné[2], contrairement à l’avantage lié à la présence d’enfant (le fameux quotient familial, dont le plafond a été réduit récemment à 2 000 euros). Plafonner le quotient conjugal ne remettrait pas en cause le principe d’équité horizontale, puisque de nombreux couples sans enfants en bénéficient, couples qui, pour la majorité d’entre eux, ont eu des enfants à charge dans le passé et ont bénéficié d’une politique familiale généreuse. Ce faisant, on ferait porter l’effort du redressement de la branche famille sur un ensemble large de ménages, y compris ceux qui n’ont pas ou plus d’enfant à charge[3]. Une suppression totale du quotient conjugal (c’est-à-dire une individualisation de l’impôt) procurerait une recette fiscale supplémentaire de 5,5 milliards d’euros (HCF, 2011). Dans un premier temps, on pourrait se contenter de plafonner cet « avantage » fiscal : ce qui, selon le plafond fixé, rapporterait plus ou moins[4].  La distribution du gain pour les couples liée au quotient conjugal se concentre dans les plus hauts déciles (Architecture des aides aux familles, HCF, 2011). Autre recette fiscale possible, la demi-part supplémentaire accordée au titre d’avoir élevé seul un enfant pendant au moins 5 ans. Aujourd’hui plafonné à 897 euros, cet avantage pourrait être supprimé, il ne répond à aucun des grands principes décrits plus haut et il est voué à disparaître.

Ces orientations permettraient d’accroître les recettes fiscales et pourraient financer la politique familiale. Incontestablement, ces options alourdissent la pression fiscale des ménages. Si l’on ajoute à l’exercice demandé, la contrainte de ne pas alourdir la fiscalité,  il faut donc trouver les 2 milliards en réduisant les dépenses de prestations familiales. Les marges de manœuvre se réduisent comme peau de chagrin. Dans un souci d’équité verticale, ces coupes doivent être supportées par les familles avec enfants les plus aisées. Mais cette redistribution verticale est pensée dans le cadre restreint des familles avec enfants. Or l’équité verticale consiste à opérer une redistribution des ménages riches en général vers les plus pauvres. Il s’agit donc d’appliquer ici un principe d’équité verticale que l’on peut qualifier de « d’équité verticale restreinte ».

There is no free lunch…

De fait les allocations familiales sont évidemment en première ligne dans ce cadre étriqué de la politique familiale qui exclue de son périmètre notamment la fiscalité des couples. Elles représentent 15% des prestations familiales versées, soit 12 milliards d’euros. Deux grandes options sont possibles : on peut moduler le montant selon le niveau des ressources des ménages ou encore les fiscaliser. Que faire ? Ces deux options présentent des avantages et des inconvénients

Mettre les allocations familiales sous condition permet de cibler les familles aisées et de ne pas affecter les autres. Ce ciblage accroît le caractère redistibutif du système, c’est un avantage incontestable. Mais cela exige de fixer des seuils de ressources au-dessus duquel le montant d’allocations reçues diminue. Ainsi des familles dans ces situations proches ne percevront pas le même montant d’AF selon qu’elles ont des revenus juste au-dessous ou juste au-dessus de ce seuil. Cela porte atteinte à l’adhésion de tous à l’Etat social. Par ailleurs, les seuils peuvent conduire à une contraction de l’offre de travail des femmes en couple : l’arbitrage « classique » serait «  si je travaille davantage, on va perdre les allocations », c’est encore et toujours l’activité des femmes qui en pâtirait.  Pour limiter ces effets pervers, on peut lisser les seuils et introduire des plafonds de ressources variables selon l’activité des deux conjoints en majorant celui s’appliquant aux couples dans lesquels les deux travaillent. Progressivement se dessine une véritable « usine à gaz », ce qui induit un accroissement des coûts de gestion avec un surcroît de travail pour les CAF. En outre, le système sera moins lisible, car plus complexe ce qui conduit à des indus, de la fraude, et plus ennuyeux encore, au non-recours (les personnes éligibles à une prestation ne la demandent pas). Enfin, les prestations sélectives sont le terreau de discours autour de l’assistanat, le soupçon serait « ces personnes ne travaillent pas pour toucher les allocations ». Notons que ce risque disparaît si les seuils sont fixés à un niveau élevé.

Fiscaliser les allocations familiales permet de contourner ces problèmes : c’est simple, sans frais de gestion supplémentaire puisqu’il suffit d’ajouter le montant des allocations perçues au revenu imposable. S’applique alors la progressivité de l’IR. Les familles avec enfant les plus aisées paieraient davantage que celles au faible revenu. Mais le ciblage est moins précis que précédemment : de nombreuses familles avec enfants seraient affectées, des ménages non imposables pourraient le devenir (même si cela portait sur de faibles montants). Enfin la pression fiscale serait accrue, ce qui est politiquement coûteux.

Par construction, dans les deux cas, les familles qui n’ont qu’un seul enfant ne sont pas affectées puisqu’elles ne bénéficient pas des allocations familiales, du fait d’une politique familiale à visée nataliste. Et dans les deux cas les familles sans enfants à charge ne sont pas mises à contribution.

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain….

La modulation des allocations familiales est la piste qui semble avoir la préférence du rapport Fragonard. L’avis du Haut conseil à la famille indique que cette mesure a été rejetée par la majorité des membres de cette instance. Au total, les mesures proposées  dans le rapport consistent à réduire les dépenses vers les familles avec enfants à charge  dans un périmètre restreint de la politique familiale, à savoir celui des prestations. Le danger qui se profile est que les orientations proposées conduisent à l’immobilisme en sclérosant les différentes oppositions, en exacerbant les visions conservatrices de la politique familiale. Certains y verront, à juste de titre, une attaque en règle de la politique familiale, puisque l’enveloppe globale est réduite. Pourtant une refonte des aides aux familles s’impose, mais elle ne peut pas impliquer une réduction des dépenses dans ce domaine tant les besoins sont importants, notamment pour avancer sur la place de l’égalité entre les sexes et aussi sur le plan de l’égalité entre les enfants. Une telle réforme doit s’appuyer sur des principes de justice et des orientations de l’Etat social que nous devons renégocier et repenser.  Si les contraintes budgétaires sont fortes, on ne peut pas réduire le montant alloué à la politique familiale, mais on ne doit pas non plus  s’interdire de la réformer en profondeur.

 


[1] Notons que les mécanismes tels que la décote ou encore la prime pour l’emploi favorisent plutôt les personnes en union libre, que les couples mariés. Les interactions entre de multiples dispositifs fiscaux complexifient la comparaison du traitement fiscal des différents statuts matrimoniaux.

[2] Il l’est implicitement mais pour des niveaux de revenus extrêmement élevés, qui atteignent la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu avec ou sans le quotient conjugal (ce plafond implicite limite l’avantage à 12 500 euros).

[3] A condition de verser ces recettes fiscales supplémentaires à la branche famille.

[4] Pour un plafond de 2 590 euros, les recettes fiscales supplémentaires du plafonnement du quotient conjugal seraient d’environ 1,4 milliards d’euros (HCF, 2013).