Pouvoir d’achat : quel impact de l’évolution à venir des loyers ?

par Pierre Madec

L’indice de référence des loyers (IRL) défini par l’Insee sert de base à la révision des loyers des logements vides ou meublés. Calculé à partir de l’évolution sur les 12 derniers mois, de la moyenne trimestrielle des prix à la consommation hors tabac et hors loyers, il fixe le plafond des augmentations annuelles des loyers que peuvent exiger les propriétaires lors du renouvellement de bail ou en cours de bail. Dans 28 agglomérations françaises l’évolution des loyers est également encadrée lors du changement de locataire et celle-ci ne peut, hors conditions exceptionnelles, être supérieure à l’évolution de l’IRL[1]. Entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2022, l’IRL a augmenté de 2,5%. Selon nos prévisions, l’indice de référence des loyers se situerait au quatrième trimestre 2022 à un niveau 5% supérieur à celui observé à la fin de l’année 2021.



Quel impact d’une revalorisation « normale » des loyers ?

Selon les comptes du logement du ministère de la Transition écologique, les loyers s’élevaient en 2020 à 52 milliards dans le parc privé et à 25 milliards d’euros dans le parc social. Dès lors, une augmentation de 5% des loyers dans le parc privé augmenterait, toutes choses égales par ailleurs, de 370 euros en moyenne la dépense annuelle en logement des ménages locataires et entraînerait un gain de revenu de l’ordre de 600 euros pour les propriétaires (il y a 3,5 millions de multipropriétaires). Dans le parc social, une hausse de 5% des loyers augmenterait en moyenne de 230 euros la dépense annuelle en logement des ménages locataires. À l’inverse, un gel des loyers représenterait un manque à gagner de 1,2 milliard d’euros pour les bailleurs sociaux.

Notons que ces estimations reposent sur des hypothèses fortes puisque d’une part tous les propriétaires ne revalorisent pas les loyers en fonction de l’IRL. Par exemple, selon l’Observatoire des loyers en agglomération parisienne (OLAP), l’indexation sur l’IRL reste la règle à Paris et, dans une moindre mesure, en petite couronne pour les baux en cours ou lors du renouvellement de bail ; en revanche en grande couronne, le loyer reste majoritairement inchangé pour les locataires qui restent en place (80% des logements du parc locatif privé). D’autre part, ces estimations ne tiennent compte ni des dates d’anniversaire des baux en cours (certains loyers ne seront revalorisés qu’en 2023), ni des changements possibles de locataires au sein des mêmes logements (changement de bail).

Quel impact redistributif d’une revalorisation « normale » des loyers dans le parc privé ?

Sur la base de ces mêmes hypothèses et des données du modèle de micro-simulation Ines, il est possible d’estimer l’impact redistributif d’une revalorisation globale de 5% des loyers du parc privé selon les déciles de niveau de vie. Sans surprise, l’impact est négatif négatif dans le bas de la distribution où les locataires du parc privé sont davantage présents que les propriétaires. Dans le haut de la distribution, où les bailleurs sont sur-représentés et les locataires du parc privé peu présents, l’impact est largement positif (Graphique). Si, une fois encore, les résultats de ces simulations sont à prendre avec précaution[2], ils illustrent l’enjeu redistributif de l’arbitrage politique concernant les revalorisations de loyers.

Quelle(s) réponse(s) à l’augmentation attendue des loyers ?

Face à la hausse attendue des loyers en fin d’année (et en début d’année prochaine), la ministre en charge du logement a déclaré : « Face à l’inflation, nous protégeons les Français avec le ‘bouclier loyers’ qui plafonne pendant un an leur augmentation maximum à 3,5 % contre plus de 5 % d’ici à la fin de l’année si nous n’agissons pas. Dans le même temps, nous revalorisons dès juillet les APL de 3,5% ». Cette réponse est-elle suffisante ?

En théorie, la réponse apportée par le gouvernement permettrait de protéger les locataires les plus modestes tout en évitant de trop pénaliser les bailleurs. Les locataires non bénéficiaires des aides au logement verraient certes leur loyer augmenter mais moins qu’anticipé. Dans les faits, du fait de l’importante déconnexion entre les loyers pris en compte pour le calcul des aides personnelles au logement et les loyers réellement acquittés par les locataires, après versement des aides, la revalorisation des plafonds de 3,5% ne compense pas intégralement les potentielles augmentations de loyers à venir, même plafonnées.

Selon nos estimations, une augmentation de 3,5% du loyer des allocataires d’aides personnelles au logement représenterait une augmentation de l’ordre 1,2 milliard d’euros du total des loyers versés dont seuls 810 millions seraient couverts par l’augmentation du plafond des APL. Néanmoins, la mesure d’augmentation des APL, très ciblée sur les ménages les plus modestes, permettrait de protéger ces ménages des augmentations de loyers à venir (Graphique 2a et 2b).

Au total, selon nos estimations, la « sous-revalorisation des loyers » se traduirait par un manque à gagner de l’ordre de 1,1 milliard d’euros pour l’ensemble des bailleurs (privé et sociaux). L’augmentation de 3,5% pèserait elle pour 2,6 milliards d’euros sur le reste à vivre des ménages locataires, cette baisse du reste à vivre étant compensée partiellement par l’État à travers l’augmentation de 810 millions d’euros des aides personnelles au logement.


[1] Le Bayon Sabine, Pierre Madec et Christine Rifflart, « L’encadrement des loyers : quels effets en attendre ? », Revue de l’OFCE, vol. 1, n° 8, 2012, pp. 103-124.

[2] Ils ne constituent pas une prévision de l’impact redistributif d’une indexation des loyers sur l’IRL, du fait notamment des hypothèses explicitées précédemment.




L’impact de la grève de la RATP le 17 décembre pour l’accessibilité de l’emploi

Par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

L’accessibilité de
l’emploi est un indicateur de plus en plus utilisé en géographie urbaine (voir ici,
un exemple
pour Seattle
). Il mesure le nombre d’emplois auquel on peut accéder
en partant d’un point donné (le lieu où l’on réside). L’opération est loin
d’être simple lorsqu’on utilise non pas les kilomètres qui vous séparent de
chaque emploi mais le temps qu’il faut pour se rendre d’un point à un autre en
utilisant le système de transport en commun. Un indicateur d’accessibilité peut
être défini comme la somme de tous les emplois que l’on peut atteindre par les
transports en commun en un temps donné. Il ne s’agit bien sûr pas d’occuper
tous ces emplois, mais de mesurer les opportunités auxquelles ont accès les
individus en fonction de leur lieu de résidence.



La diffusion
d’informations très détaillées sur les systèmes de transport permet de
construire une carte de l’indicateur d’accessibilité sur une grille de point
de départ aussi fine que voulue. Cette information est librement accessible sur
un smartphone grâce au développement depuis 2005 du format GTFS (initialement
Google Transit Feed Specification, aujourd’hui le General Feed
Transit Specification
). Ile de
France Mobilité
, mais aussi la RATP ou encore la SNCF diffusent et
mettent à jour régulièrement les lignes, les horaires théoriques et les accès à
l’ensemble des réseaux de transports, ferrés comme routiers – les funiculaires
sont aussi inclus ! GTFS prévoit également un format temps réel afin de
renseigner les voyageurs sur leur temps d’attente ou leur trouver le meilleure
itinéraire pour se rendre à leur destination.

Cette information détaillée, combinée à un algorithme qui calcule les temps minimums de déplacement sous quelques contraintes (ne pas trop attendre, ne pas trop marcher, ne pas trop changer de moyen de transport) permet de construire un indicateur d’accessibilité à l’emploi par les transports en commun. La carte suivante représente l’indicateur d’accessibilité en transport en commun (métro, RER, tramway et bus) à l’emploi (localisé au niveau de l’IRIS) pour l’unité urbaine de Paris un jour normal de fonctionnement du réseau de transport. Sans surprise, les habitants du centre de l’agglomération bénéficient d’un réseau dense et rapide qui leur permet d’accéder en moins d’une heure à plus de 4 millions d’emplois (sur les 7 que compte l’aire urbaine) qui sont très concentrés eux-mêmes au centre de l’aire urbaine. Le long des lignes de RER l’accessibilité est élevée et plus on s’éloigne du réseau de transport, plus l’accessibilité à l’emploi se réduit. Cet indicateur est théorique puisqu’il ne permet pas les déplacements multimodaux (voiture puis RER, ou encore vélo+métro) et ne prends pas en compte ni la congestion (qui est un facteur essentiel pour les déplacements en voiture) ni les temps de parcours effectifs sur les réseaux ferrés. Malgré tout, il donne une bonne indication de la géographie urbaine.

La carte suivante est construite en dégradant le réseau de transport de la RATP conformément aux informations de trafic pour la journée du 17 décembre 2019. Le mouvement social conduit à la fermeture totale d’une dizaine de lignes de métro, de réductions importantes de la fréquence sur le RER A et B, les lignes de métro 3, 4, 7, 8, 9 et 11, les tramway T1, T2,  T3A, T3B, T6 et t8,  de réductions de trajet sur les lignes 8, 9 et 11 et enfin de réductions de la fréquence ou d’interruptions de trafic sur les lignes de bus. Tout ceci conduit à un allongement des temps de transport et réduit l’accessibilité de l’emploi.

La dernière carte représente la perte relative d’accessibilité. Elle résulte de la différence en pourcentage des deux précédentes.

Note technique : les cartes présentées sont réalisées à partir de données et logiciels en données ouvertes. La carte routière est la carte Open Street Map téléchargée sur le site data.gouv.fr le 15/12/2019. Le fichier GTFS est celui publié par Ile de France mobilité et téléchargé le 12/12/2019. Les données d’emploi à l’IRIS sont celles pour l’année 2009 issues du dispositif CLAP de l’INSEE téléchargé sur data.gouv.fr en octobre 2019. Seule l’année 2009 est disponible la maille IRIS. OpenTripPlanner (version 1.4) est utilisé pour le calcul des isochrones à partir de la carte OSM et des données GTFS IDFM. Enfin, nous utilisons R et RStudio et notamment les packages tidyverse, tidytransit et tmap pour traiter les différentes données et produire les cartes. Le code sera prochainement disponible.




Qui profite du contrôle des loyers ? Chronique de San-Francisco

Par Gregory
Verdugo
,

Si, d’après les sondages, il séduit de plus en plus l’opinion
publique et la gauche d’Anne Hidalgo à Bernie Sanders, le contrôle des loyers laisse
sceptique la plupart des économistes[1].
Dès les premiers cours de licence nous apprenons à nos élèves que les lois de
l’offre et la demande s’appliquent aussi sur le marché locatif. Si le contrôle
des loyers a pour conséquence de faire baisser les loyers, il entraîne aussi une
chute de l’offre de logements qui ne fait qu’aggraver le manque de logements à
l’origine des loyers élevés. Pour un économiste, la messe est dite : s’il
bénéficie aux chanceux locataires en place, le contrôle des loyers aggrave la
situation de ceux qui cherchent à se loger en asphyxiant l’offre alors que des
loyers trop élevés sonnent l’alarme sur l’urgence à l’augmenter[2].



Toutefois, les dégâts du contrôle
des loyers dépendent de la pente de la courbe d’offre de logements à louer, c’est-à-dire
de l’importance du retrait des propriétaires du marché locatif en réponse à la
baisse des prix. Or en défense du contrôle des loyers, on oppose souvent que
dans les zones tendues comme Paris, l’offre est inélastique, et le niveau des
loyers influence peu le nombre de logements offerts. Si l’offre locative est
fixe, alors le contrôle des loyers ne fait que redistribuer de pouvoir d’achat
aux locataires. Hélas, les études sont unanimes à rejeter l’hypothèse d’inélasticité
de l’offre.

L’expérience de San-Francisco : un contrôle des loyers qui « gentrifie »

Parmi les travaux les plus convaincant, un article publié cette
année par des chercheurs de l’Université de Stanford dans l’American Economic Review[3],
une des revues les plus prestigieuses en économie, examine les conséquences de l’expérience
d’extension du contrôle des loyers mise en place à San Francisco dans les
années 1990.

Initialement, la ville de San
Francisco instaura en 1979 un contrôle des loyers à tous les immeubles qui
comprenaient au moins 5 appartements construits avant cette date. Les petits immeubles
de 4 appartements et moins d’avant 1979 restèrent hors du contrôle car on les considérait
comme possédés par petits bailleurs dont on voulait protéger l’investissement.
Cette exemption était non négligeable car elle concernait 44% du parc. Mais en
1994, à la surprise générale, un référendum local qui dénonçait le rachat de
ces petits immeubles par de grands conglomérats financiers supprima cette
exemption.

Cette extension inattendue du
périmètre du contrôle des loyers a permis aux chercheurs de Stanford d’évaluer l’effet
du contrôle non seulement sur l’offre de logements mais aussi sur les caractéristiques
du voisinage en comparant des quartiers où une plus ou moins grande partie des immeubles
basculèrent soudainement dans le secteur contrôlé, les constructions datant
d’après 1980 restant exemptées (voir le graphique 1 extrait de l’article).

Les résultats sont spectaculaires.
D’abord, les auteurs montrent que le contrôle des loyers influence bien le
profil des habitants en diminuant leur mobilité. Dans les quartiers où le
contrôle a eu le plus d’importance, on observe moins de renouvellement résidentiel
dans le parc locatif qui comprend davantage de personnes âgées et de membres
des minorités. Cette plus forte stabilité résidentielle a permis de préserver une
certaine diversité de la population du parc locatif.

Mais si le parc locatif est resté
plus diverse, il s’est fortement rétréci. Les auteurs estiment que l’offre
d’appartements à louer dans les quartiers les plus affectés par l’extension du
contrôle a baissé de plus de 25% ! Cette baisse de l’offre provient à la
fois de la vente des appartements à des propriétaires occupants et de la
destruction d’anciens immeubles soumis au contrôle au profit de nouvelles
constructions sans locataires où les appartements sont occupés par leur
propriétaires.

Paradoxalement, les auteurs observent
que l’extension du contrôle des loyers, en asphyxiant l’offre locative, a accéléré
la gentrification de certains quartiers ! En effet, relativement aux
locataires d’autrefois, les nouveaux propriétaires occupants qui les remplacent
sont bien plus riches.

Quelles leçons pour Paris ?

Quelles leçons tirer de cette étude pour la France,
notamment la ville de Paris, dans le viseur des partisans du contrôle ? Tout
d’abord le contrôle des loyers mis en place à San Francisco était bien plus
léger que celui de nouveau en vigueur à Paris. Le système de San Francisco protégeait
le locataire en place en limitant les hausses de loyer à un indice annuel, tout
en laissant le loyer libre à la relocation. L’encadrement des loyers en vigueur
à Paris est plus contraignant puisqu’il régule non seulement les hausses pour
le locataire en place mais également le prix à la relocation au travers un
indice de référence. On peut donc craindre des effets plus importants sur
l’offre.

De plus, la situation parisienne montre
une baisse rapide de l’offre locative ces dernières années. Les recensements de
la population 2016 et 2011 indiquent en effet une chute de 4,4% de la
population du parc de locataires dans le privé alors que la population
parisienne ne baissait que de 2,2%[4].

Le fait qu’à la fois Paris se
dépeuple selon les derniers recensements alors que le prix de l’immobilier
augmente suggère que le marché locatif a subi un choc d’offre négatif ces
dernières années[5].

Clairement, le contrôle des
loyers n’est pas le seul ou même le principal responsable de la chute de
l’offre locative privée à Paris qui s’explique aussi par l’attrait de la location
saisonnière du type Airbnb. Mais il ne fait qu’aggraver la tendance au rétrécissement
du marché locatif.

Bien sûr, penser que le contrôle
des loyers est mauvais ne signifie pas que le laisser faire et le libre marché permet
d’aboutir à une solution équitable. Loin de là. Les loyers restent trop élevés
et les prix de l’immobilier inaccessibles dans certaines grandes villes. Mais
geler les prix revient à casser le thermomètre qui mesure la fièvre et n’offrira
pas de logement à ceux qui en cherchent.


[1] Alston, R. M., Kearl, J. R., & Vaughan, M. B., 1992, « Is There a Consensus among
Economists in the 1990’s?  », The American Economic Review,
82(2), 203-209.

https://www.jstor.org/stable/2117401

[2]
Il existe néanmoins de rares exceptions à ce constat. Comme l’ont démontré Arnott
et Igarashi, des contrôles de loyers peuvent être efficaces lorsqu’un faible nombre
de bailleurs est en situation de monopole, ce qui est loin d’être le cas en
France. Voir Arnott et
Igarashi, M., 2000, « Rent control, mismatch costs and search efficiency », Regional Science and Urban Economics,
30(3), 249-288. https://doi.org/10.1016/S0166-0462(00)00033-8

[3] Diamond, Rebecca, Tim McQuade, and
Franklin Qian, 2019, « The Effects of Rent Control Expansion on Tenants, Landlords, and
Inequality: Evidence from San Francisco  », American
Economic Review
, 109 (9): 3365-94.

https://doi.org/10.1257/aer.20181289

[4]
Le nombre de logements locatifs occupés baisse lui de 3% alors que l’ensemble
des logements ne baisse que de 2%. Calculs de l’auteur à partir des résultats
du recensement fournis par l’INSEE. Sources : https://insee.fr/fr/statistiques/4177183?sommaire=4177606&geo=DEP-75
pour 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2132251?sommaire=2133011&geo=DEP-75
pour 2011.

[5]
Les économistes parlent de choc d’offre négatif lorsque, dans un marché, le
prix d’équilibre augmente alors que les quantités échangées baissent.




Individualisation du patrimoine au sein des couples : quels enjeux pour la fiscalité ?

par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq

De 1998 à 2010, la manière dont le patrimoine est détenu au sein des couples a profondément changé. La généralisation de la cohabitation hors mariage, l’essor du pacs et le recours plus fréquent au régime de la séparation de biens pour les couples mariés ont conduit à une individualisation du patrimoine. Cette individualisation a eu pour conséquence une augmentation des inégalités de patrimoine entre conjoints. Cette transformation du mode de détention du patrimoine n’a toutefois pas été prise en compte dans la fiscalité du patrimoine en France, celle-ci tendant à faire l’hypothèse d’une mise en commun des ressources au sein du couple. De ce point de vue, la fiscalité actuelle fait preuve d’incohérences dans le traitement fiscal des couples. L’objectif de notre article paru dans la Revue de l’OFCE (n°161-2019 accessible ici) est de proposer un questionnement sur les principes de justice qui sous-tendent l’imposition du patrimoine des couples, que ce soit à travers les revenus, la détention ou la transmission des patrimoines.




Investissement des ménages : en attendant l’ELAN

par Pierre Madec

Le 4 avril dernier a été présenté en Conseil des ministres le projet de loi « Évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN). Depuis l’automne 2017, les thématiques de la construction et du logement sont réapparues dans le débat public lorsque le gouvernement a annoncé sa volonté de faire des économies budgétaires sur les aides à la personne et sur la politique du logement. Alors que l’analyse des déterminants structurels de l’investissement des ménages laissait présager son fort redressement en 2017, il semblerait que les déclarations du gouvernement aient provoqué un certain attentisme sur le marché de la construction.

Associés à des taux d’intérêt bas et des prix immobiliers de nouveau orientés à la hausse, l’amélioration du marché de l’emploi et le dynamisme du pouvoir d’achat ont dynamisé le marché de la construction dès le début de l’année 2016. Au cours de cette année, plus de 460 000 logements ont été autorisés à la construction et 370 000 ont été commencés. Jusqu’à la mi-2017, le mouvement de reprise s’est poursuivi et l’investissement des ménages, à plus de 80% constitué d’investissement en logement, a progressé à des rythmes trimestriels élevés.

A partir de la mi-2017, la reprise du marché de la construction s’est quelque peu tassée. Grâce à un premier semestre dynamique, l’année 2017 a affiché des chiffres de production de logements neufs record. Néanmoins, un ralentissement est observable à partir du troisième trimestre. Si fin 2017 le nombre de logements autorisés sur un an s’établissait à 505 000 et le nombre de logements commencés à 427 000, chiffres inobservés depuis 2012, la tendance s’oriente désormais vers une moindre progression des mises en chantier et des permis de construire (graphique 1).

IMG1_postPiM

Signe de l’attentisme des acteurs du secteur et de leurs inquiétudes, les enquêtes menées auprès de ces derniers, qui étaient revenues à leur moyenne de longue période au premier semestre 2017, ont de nouveau chuté à partir de la mi-2017 (graphique 2).

IMG2_postPiMLes économies demandées aux organismes de logements sociaux, associées à la contraction des enveloppes consacrées aux aides à l’accession à la propriété et à l’investissement locatif privé, laissent planer le risque d’un repli du marché de la construction dans les trimestres à venir, même si celui-ci pourrait être en partie compensé par le dynamisme du pouvoir d’achat et des taux d’emprunt toujours bas. À l’horizon 2019, l’investissement des ménages devrait ralentir. Après 5,3% en 2017, il croîtrait de 2,5% en 2018 et de 1,3% en 2019 (graphique 3).

IMG3_postPiM

 




Le logement social diminue-t-il la ségrégation ? Les leçons ambiguës de l’immigration non-européenne en France

Gregory Verdugo

La hausse du nombre d’immigrés non-européens résidant en logements sociaux en France a eu des effets ambivalents sur la ségrégation à leur égard. Si leur installation dans des cités de taille modeste a modéré leur concentration, leur installation dans les grands ensembles l’a renforcée, notamment parce qu’en même temps le nombre de natifs dans les logements privés de ces quartiers a chuté. La répartition des HLM entre quartiers a un impact important sur la mixité sociale.

Depuis une trentaine d’années, l’immigration non-européenne domine les flux d’immigration en Europe, notamment en France. Or l’insertion de nombreux immigrés non-européens sur le marché du travail français reste fragile et, en 2016, l’INSEE indiquait qu’ils étaient trois fois plus victimes du chômage que les natifs[1]. De nombreuses études de terrain ont aussi alerté sur leur concentration croissante dans les grands ensembles HLM en périphérie des grandes villes[2]. La combinaison d’un accès difficile à l’emploi à une hausse de la ségrégation spatiale fait craindre un recul de l’intégration des nouvelles vagues d’immigrés se transmettant aux secondes générations.

Néanmoins, le niveau réel de ségrégation et son évolution étaient mal connus jusqu’à ces dernières années car les données détaillées du recensement de la population n’étaient pas accessibles aux chercheurs. Or aussi riches que soient les études ethnographiques, elles se focalisent sur des quartiers emblématiques dont les conditions extrêmes masquent la diversité des situations vécues par les immigrés[3]. Seules des études sur données représentatives représentent fidèlement la ségrégation au cours du temps, entre groupes d’immigrés, villes ou pays.

Les premières études chiffrant la ségrégation à partir du recensement de la population en France sont ainsi récentes et elles montrent que le niveau de ségrégation moyen n’a augmenté que de manière modérée ces dernières années[4]. La ségrégation spatiale des immigrés en France se maintient à des niveaux largement inférieurs à ceux des Etats-Unis car, entre autres raisons, l’important parc de logement social freinerait les tendances à l’éloignement spatial des minorités du reste de la population[5].

Pour mieux comprendre comment le logement social affecte la ségrégation, nous avons exploré avec Sorana Toma, professeur de sociologie à l’ENSAE, les données détaillées du recensement français de 1982 à 2012. Les résultats sont détaillés dans un document de travail OFCE et doivent être publiés dans la revue américaine Demography.

Nous partons de l’hypothèse que la progression du nombre d’immigrés en logement social a des conséquences ambiguës qui dépendent de la quantité offerte mais aussi de la manière dont le logement social est réparti entre quartiers. Or, si de nombreux HLM se situent dans des grands ensembles isolés du reste de la population, de nombreuses petites cités sont logées dans des quartiers où les HLM sont minoritaires.

Enfin, les conséquences de la hausse de la part d’immigrés en HLM dépendent aussi de la manière dont ont répondu les habitants en logements privés à la progression de la part des immigrés non-européens dans les HLM. Si la part de natifs baisse dans les logements privés à côté des HLM, lorsque la taille des ensembles HLM dépasse un certain seuil, alors la diversité du quartier diminue et la ségrégation est renforcée. Au contraire, la ségrégation diminue si le logement social permet aux minorités de vivre dans des quartiers où ils sont relativement plus rares.

Les données riches et détaillées du recensement de la population française permettent de vérifier ces hypothèses. Nous calculons comment évolue la part d’immigrés dans le logement social et le logement privé de chaque quartier, définis ici en utilisant les îlots regroupés pour l’information statistiques (IRIS) crées par l’INSEE et dont la population comprend environ 2 500 habitants. Enfin, pour éviter que nos chiffres soient minorés par les enfants des immigrés de nationalité française qui vivent chez leurs parents, nous étudions la ségrégation des ménages plutôt que celle des individus. Les ménages sont ainsi classés comme « natifs » ou « immigrés » à partir du statut de la personne de référence du ménage[6].

Une ségrégation stable qui masque la croissance des enclaves immigrées

La période de notre étude, qui s’étend de 1982 à 2012, est une période charnière durant laquelle la hausse de la part d’immigrés non-européens dans la population s’est accompagnée pour eux d’une plus grande probabilité de vivre en logement social. Ainsi, en 2012, les immigrés non-européens ont 3 fois plus de chance que les natifs de vivre en logement social. Néanmoins, les immigrés sont encore loin de représenter la majorité des habitants dans le parc social : ils n’atteignaient en 2012 que 22% de la population des habitants en logements sociaux.

Le graphique 1 décrit l’évolution des indices de ségrégation des ménages immigrés non-européens entre quartiers à partir des indices de dissimilarité et d’isolement. Ces indices résument deux dimensions clés de la ségrégation spatiale : l’indice de dissimilarité mesure le pourcentage de ménages non-européens qui devraient changer de quartier pour que leur distribution entre quartiers soit identique à celle des natifs. L’indice d’isolement représente la part moyenne de ménages non-européens dans le quartier.

Graphe1_post23-05

Mesurée au travers de l’indice de dissimilarité, la ségrégation est stable sur la période. Néanmoins, l’indice d’isolement augmente de 11% à 21%. En 2012, l’indice est ainsi trois fois supérieur à la part des immigrés non-européens dans la population qui s’élève à 6,5%. Même si ce niveau n’est pas négligeable, il reste modéré par rapport à celui mesuré aux États-Unis où le niveau d’isolement des immigrés s’élève à 50% tandis que la dissimilarité atteint 44%[7].

Mais ces indices sont des moyennes qui dissimulent des évolutions contrastées dans la population. Le graphique 2 montre comment évolue la distribution des ménages immigrés non-européens entre 7 catégories de quartiers définis selon la part d’immigrés dans la population. Les résultats suggèrent que la stabilité des indices de ségrégation masque une progression forte de la part des immigrés non-européens en quartiers très concentrés où la population se compose de plus de 30% de ménages immigrés, quartiers que, suivant la pratique de la littérature, nous nommerons « enclaves ». La part des immigrés non-européens en enclaves a presque triplé ; elle passe de 12% en 1982 pour plus de 32% en 2012.

Graphe2_post23-05Si l’on observe à la loupe les caractéristiques des enclaves, on constate que celles de 2012 sont très différentes de celles de 1982 : en 2012, les enclaves sont toutes caractérisées par une large majorité de leur population en logement social, un niveau de chômage élevé et une proportion relativement faible d’immigrés récemment arrivés. En 1982, les enclaves ressemblaient davantage à des quartiers servant de porte d’entrée pour les immigrés, où la part d’immigrés récents était importante et le logement social résiduel.

Près des grands ensembles, la part des natifs dans les logements privés du quartier a chuté

Pour comprendre pourquoi les grands ensembles ont un tel effet sur la ségrégation des immigrés, nous regardons d’abord s’ils ont accueilli davantage de ménages non-européens que les petits ensembles, ce qui témoignerait d’une ségrégation des immigrés non-européens à l’intérieur du parc social. Pour cela, nous découpons les quartiers en quatre catégories selon la part du logement social dans l’habitat, en distinguant une catégorie pour les grands ensembles. Nous estimons ensuite comment change la population en logement social en réponse à une hausse de 1% de la part d’immigrés dans l’unité urbaine dans le logement social entre ces quartiers[8]. Ainsi, un coefficient proche de 1 indique que la proportion d’immigrés dans le logement social du quartier progresse au même rythme que dans l’unité urbaine, ce qui est neutre pour la ségrégation. Si le coefficient est supérieur ou inférieur à un, alors la part d’immigrés progresse respectivement plus ou moins vite que dans l’unité urbaine, et la ségrégation s’accentue.

Les résultats présentés dans le graphique 3 montrent que pour chaque type de quartier les coefficients sont proches de deux, ce qui implique une progression deux fois plus rapide de la part de ménages non-européens dans les logements sociaux que dans la population de l’unité urbaine. Ainsi, une hausse 1 point de la part de ménages non-européens dans l’unité urbaine se traduit par une progression de leur part de 2 points dans les logements sociaux. Un deuxième résultat important est que l’on n’observe pas de différences statistiquement significatives entre les coefficients estimés pour chaque type de quartiers. L’effet des grands ensembles sur la ségrégation ne provient donc pas d’une progression plus rapide de la part de ménages non-européens par rapport aux petites cités. La croissance de la part des ménages non-européens en logement social s’est faite en moyenne au même rythme dans chaque type d’HLM.

Graphe3_post23-05

A partir des mêmes catégories, le graphique 4 montre comment change la part d’immigrés en logement privé dans ces quartiers en réponse à un point de pourcentage de croissance de la part de ménages non-européens dans l’unité urbaine. Apparaît ici une claire hiérarchie, avec une faible progression de la part d’immigrés dans les quartiers où la part de logement social est rare. Au contraire, avoir plus de 37% de logement sociaux dans le quartier est associé à une progression 1,4 fois plus rapide des immigrés non-européens en logement privé du quartier.

 

Graphe4_post23-05Au final, ces résultats suggèrent que la progression de la part d’immigrés en petites cités diminue la ségrégation car elle se traduit par une plus grande présence de non-européens dans les quartiers où ils sont rarement en logements privés. D’un autre côté, la croissance de la part d’immigrés en grands ensembles augmente la ségrégation, en partie parce que la part des natifs dans la population dans les logements privés du voisinage s’est raréfiée.

Pour en savoir plus

Verdugo, S. Toma, 2018, Can Public Housing Decrease Segregation ? Lessons and Challenges from Non-European Immigration in France, OFCE Working paper, n°17, à paraître dans Demography.

Autres références citées

Iceland, J. et M. Scopilliti, 2008, Immigrant Residential Segregation in U.S. Metropolitan Areas, 1990-2000, Demography 45, no. 1 (février): 79-94.

Kepel G., 2012, Banlieue de la République: Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, Paris: Gallimard.

Lapeyronnie, D., 2008, Ghetto Urbain, Paris: Robert Laffont.

Musterd, S. et R. Deurloo, 1997, Ethnic segregation and the role of public housing in Amsterdam, Tijdschrift voor economische en sociale geografie, 88(2), 158-168.

Pan Ké Shon, J.-L. et G. Verdugo, 2015, Forty Years of Immigrant Segregation in France, 1968–2007. How Different Is the New Immigration?, Urban Studies, 52, no. 5 (avril 1): 823-840.

Safi M., 2009, La dimension spatiale de l’intégration : évolution de la ségrégation des populations immigrées en France entre 1968 et 1999, Revue française de sociologie, 50, no. 3: 521.

Verdugo, G., 2016, Public Housing Magnets: Public Housing Supply and Immigrants’ Location Choices, Journal of Economic Geography, 16, no. 1 (janvier 1): 237-265.

Notes

[1] INSEE, Tableaux de l’Economie Française, Edition 2018, consultable à https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303358?sommaire=3353488&q=chomage+immigr%C3%A9s

[2] Voir par exemple Lapeyronnie (2008) ou Keppel (2012).

[3] Keppel (2012) décrit les quartiers de Clichy-sous-Bois qui se situent dans les 1% des quartiers ayant la plus forte part d’immigrés en France selon Pan Ké Shon et Verdugo (2015).

[4] Voir par exemple Safi (2009) ou Pan Ké Shon et Verdugo (2015).

[5] Voir Musterd et Deurloo (1997).

[6] Les résultats sont très proches qualitativement si l’analyse est réalisée au niveau individuel.

[7] Voir par exemple Iceland et Scopilliti (2008).

[8] Un biais de causalité inverse peut affecter ces estimations car les arrivées d’immigrés dans une unité urbaine peuvent répondre à la disponibilité du logement social (Verdugo, 2016). Nous répondons à ce défi en créant une variable instrumentale pour les flux d’immigrés basée sur la distribution des groupes par origine nationale en 1968. Nous estimons le modèle par la méthode des doubles moindres carrés à partir de cet instrument.

 

 




La politique monétaire de la BCE a-t-elle influencé les prix immobiliers ?

Par Paul Hubert et Pierre Madec

 

Quel a été l’impact de la politique monétaire résolument expansionniste de la BCE depuis le début de la crise sur les prix immobiliers ? Si certaines caractéristiques socio-démographiques restent prédominantes dans la décision d’achat, la solvabilité des ménages demeure l’un des principaux facteurs explicatifs de l’achat immobilier. En menant une politique de taux d’intérêts très bas, la politique monétaire a contribué à réduire les contraintes de financement, favorisant ainsi les décisions d’achats immobiliers. Pour répondre en partie à cette question, nous nous focalisons sur les prix de l’immobilier parisien, marché pour lequel nous disposons de données fines sur les prix ce qui n’est pas le cas pour l’ensemble des villes de France, échelle à laquelle il conviendrait idéalement de mener cette étude. La ville de Paris, avec ses arrondissements très marqués sociologiquement et économiquement fournit un cadre d’étude intéressant.

L’analyse des évolutions des prix immobiliers par arrondissement (Graphique 1) montre une dynamique commune sur le long terme, avec notamment un creux en 2008-2009, mais aussi l’existence d’hétérogénéités importantes, certains arrondissements ayant vu leurs prix être multipliés par 3 entre 1998 et 2016 (16ème arrondissement) contre 5 (10ème et 15ème arrondissements).

Gra_1_post_PH_PM

Il en est de même quant à la distribution des revenus des ménages par arrondissement (Graphique 2). On note une forte hétérogénéité entre les arrondissements. Les ménages du croissant est de Paris (10, 11, 12, 13, 18, 19 et 20ème) ont des revenus plus faibles que ceux des arrondissements du centre et de l’ouest.

Gra_2_post_PH_PM

Sous l’hypothèse, probable, qu’il existe un lien entre les revenus et la solvabilité des ménages, les arrondissements plus pauvres de l’est et du nord de Paris (18, 19 et 20ème) seraient les arrondissements pour lesquels la contrainte financière des ménages est la plus importante. L’intuition voudrait donc que l’effet de la politique monétaire, c’est-à-dire des variations de conditions de financement, y soit le plus fort.

Afin d’isoler cet effet différencié de la politique monétaire sur les prix immobiliers dans les 20 arrondissements de Paris, nous estimons un modèle[1], pour chaque arrondissement, comprenant les prix immobiliers au mètre carré, le PIB, le pouvoir d’achat du Revenu Disponible Brut (RDB) ajusté des ménages, l’inflation, la masse monétaire, le crédit aux ménages et SNF, les taux souverains à 10 ans et l’EURIBOR. A l’exception des prix, l’ensemble de ces données sont des données agrégées au niveau national puisqu’il n’existe à l’heure actuelle pas de données équivalentes à un niveau local fin, tout du moins permettant d’analyser les évolutions de ces grandeurs.

Le graphique 3 montre la réponse des prix immobiliers à une décision de politique monétaire restrictive (une hausse des taux de 22 points de base) au cours des 12 trimestres suivant la décision. Sur les 20 arrondissements parisiens, seuls les 12ème, 14ème, 15ème, 18ème, 19ème et 20ème arrondissements ont vu leurs prix réagir négativement et significativement à un choc restrictif de politique monétaire. Cette méthode d’estimation étant linéaire, ces résultats suggèrent qu’une partie de la hausse des prix immobiliers dans les arrondissements où les ménages sont les plus contraints financièrement est bien dû au caractère expansionniste de la politique de la BCE et au relâchement des conditions monétaires[2]. Dans les autres arrondissements, les décisions de la BCE n’ont semble-t-il pas eu d’effets significatifs sur l’évolution des prix immobiliers signe d’une relative déconnexion au sein de ces arrondissements entre conditions de financement et décision d’achat.

Apporter une réponse définitive à la question du rôle des chocs de politique monétaire sur les prix immobiliers demanderait la mobilisation de données à un niveau territorial fin : celui des communes. Compte tenu du manque de données à disposition, cette analyse exhaustive est actuellement impossible. Les résultats obtenus à partir de l’analyse des prix immobiliers parisien nous laissent tout de même penser que la politique monétaire expansionniste de la BCE a joué un rôle significatif sur l’évolution des prix immobiliers dans les territoires où la contrainte budgétaire des ménages est la plus forte.Graphique3_post_PM_PH_juillet2017

[1] Le modèle utilisé est un modèle vectoriel autorégressif (VAR) structurel. Ce modèle est estimé avec 2 retards sur la période 1998T3-2017T1. Ces retards permettent en outre de capter la tendance de plus long-terme dans l’évolution des prix immobiliers.

[2] Notre modèle ne comprend pas de variable mesurant stricto sensu les contraintes financières dans chaque arrondissement car il n’existe pas de séries temporelles de cette sorte. Notre analyse attribue l’effet du choc monétaire sur les prix immobiliers à ces contraintes financières en l’absence d’une caractéristique alternative liée à la politique monétaire et qui expliquerait l’hétérogénéité des réponses des prix immobiliers.




Le bâtiment a fière allure …

par Pierre Madec

Les chiffres du premier trimestre 2017 publiés le 28 avril par l’INSEE ont confirmé le redressement du secteur de la construction à l’œuvre depuis maintenant plusieurs trimestres : le nombre de logements mis en chantier a atteint 379 000 unités, dépassant ainsi sa moyenne observée depuis 2000 (375 000). Dans le même temps, le nombre de logements autorisés à la construction frôle la barre symbolique des 450 000.

Très dégradée depuis 2012, la confiance des professionnels du secteur poursuit également son redressement. Au premier trimestre 2017, les perspectives de mises en chantier et la demande de logements neufs sont proches de leur moyenne de long terme et les perspectives de mises en chantier de logements sociaux affichent, elles, des valeurs proches de celles observées en 2009 lors du plan de soutien au secteur social entrepris par Nicolas Sarkozy.

Si les premières estimations des comptes trimestriels publiées le 28 avril 2017 sont décevantes avec un taux de croissance du PIB de 0,3%  au premier trimestre 2017, l’amélioration de la situation conjoncturelle du secteur du bâtiment a contribué fortement à cette faible croissance. En effet, au premier trimestre 2017, l’investissement des ménages – pour grande partie (82%) en logement – a cru, comme au dernier trimestre 2016, de 0,9%, portant l’acquis de croissance de la FBCF ménages à 2,1% pour l’année 2017.

Compte tenu de l’évolution des facteurs structurels explicatifs de l’investissement des ménages, il est à prévoir que ce redressement du secteur du bâtiment devrait, sauf annonces post-présidentielle importantes, se poursuivre et se traduire par une amélioration significative de l’emploi salarié sectoriel, encore largement dégradé à l’heure actuelle.

 




Présidentielle : le logement est-il bien loti ?

par Pierre Madec

La publication du rapport de la Fondation Abbé Pierre en janvier 2017 n’a pas fait exception : le mal-logement continue de progresser en France. Les prix immobiliers sont repartis à la hausse ces derniers trimestres et la publication des premiers résultats de l’Enquête nationale logement de l’INSEE de 2013 font apparaître une dégradation de la situation financière des ménages[1]. Malgré tous ces éléments, la thématique du logement est apparue relativement tardivement dans les débats entourant l’élection présidentielle. Nous tentons ici d’esquisser un panorama des propositions émanant des principaux candidats à l’élection présidentielle sur ce sujet.

François Fillon : allocation sociale unique et aides à l’investissement privé

En ce qui concerne les aides à la personne, le candidat LR reprend à son compte une proposition dans le débat depuis maintenant quelques années : la fusion des aides personnelles avec l’ensemble des minima sociaux.

L’objectif des aides personnelles est, depuis leur création, non pas de verser une prestation sociale aux bas revenus ni même d’influer sur la reprise d’activité mais de solvabiliser les ménages dans leurs dépenses en logement. A travers son mode de calcul, l’aide varie selon les ressources et la composition du ménage, à l’image d’une prestation sociale « classique » mais également, tout du moins théoriquement[2], de la dépense effective en logement et de la localisation géographique. En extrayant la dépense effective en logement du calcul de l’aide « fusionnée », cette « fusion » mettrait de facto fin aux aides personnelles au logement. A ressources et composition familiale équivalentes, un locataire du parc privé francilien présent depuis plus de dix ans dans son logement se verrait verser un montant d’aide identique à celui perçu par un locataire nouvellement emménagé alors que leurs loyers peuvent diverger de près de 40%. De même, aucune distinction ne sera faite entre locataires du parc privé et du parc social aux taux d’effort très différents. Enfin, la possibilité de versement en tiers-payant serait là encore abandonnée. Les conséquences d’une telle mesure pourraient s’avérer néfastes pour les ménages les plus modestes. Comme le souligne un rapport du Haut conseil à la famille datant de 2012 (HCF, 2012), l’entrée en vigueur d’une telle mesure pourrait inciter les ménages les plus modestes à arbitrer entre leurs dépenses en logement et d’autres dépenses de consommation, au risque de détériorer leurs conditions de logement. Elle serait de plus contraire aux préconisations du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées qui soulignait en 2005 l’importance du caractère affecté des aides personnelles. Pour les bailleurs, les aides constituent une sécurité quant au paiement du loyer. Pour les locataires, en plus de la solvabilisation qu’elles procurent, leur caractère affecté et les conditions de décence auxquelles elles sont attachées, les protègent de l’arbitrage entre dépenses de logement et autres dépenses de consommation (HCLPD, 2005).

Outre cette proposition, François Fillon prône une « accélération des procédures d’expulsion locative », la « fin de l’encadrement des loyers », la « remise en cause de la loi SRU » et la « reconduction des dispositifs ‘qui marchent’ tels que le Pinel et le PTZ ».

L’ensemble de ces propositions ont le mérite de la cohérence puisqu’elles visent toutes à inciter à l’investissement privé au travers d’une part l’accession à la propriété, mantra des politiques publiques depuis 30 ans alors même que l’on connaît en France une crise de la mobilité résidentielle (particulièrement faible chez les propriétaires), et d’autre part de l’investissement locatif privé alors que les évaluations des dispositifs d’incitation laissent mettent en exergue non seulement un impact inflationniste important mais également une incapacité du marché privé à produire des logements abordables pour les ménages les plus modestes.

Benoît Hamon : réforme fiscale et revenu universel

Le volet « Logement » présenté par le candidat socialiste présente des caractéristiques inverses de celle du candidat LR. Benoît Hamon veut faire croître les aides à la pierre à l’adresse des bailleurs sociaux jusqu’à 1 milliard, souhaite imposer une loi SRU renforcée dans le « cœur des métropoles » avec des objectifs pouvant aller jusqu’à 30% ou encore « adapter » les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif sans pour autant apporter plus de précision. Le candidat souhaite également l’adoption d’un plan « Zéro bidonville » à l’issue du quinquennat.

Deux mesures du programme de Benoît Hamon, allant plus loin que la seule thématique du logement posent tout de même question. C’est le cas du revenu universel d’une part et de l’imposition unique sur le patrimoine d’autre part.

La première mesure, annoncée à la fin de l’été 2016 et depuis largement révisée, vise dans sa première étape la revalorisation du RSA, son élargissement aux jeunes de 18-25 ans et une refonte relativement large de l’actuelle Prime d’activité. Si le candidat s’est engagé à ne pas « toucher » aux aides personnelles au logement, l’adéquation future entre les deux dispositifs reste floue. Deux solutions s’offrent en effet aux techniciens chargés de la mise en place du revenu universel.

La première consiste à prendre en compte dans les ressources de l’allocataire d’aides personnelles, le montant reçu au titre du revenu universel. Autrement dit, le revenu universel serait versé avant tout calcul de prestations sociales. Une personne seule, sans ressource actuellement, verrait son revenu augmenté de 600 euros par mois. Alors qu’elle percevait jusqu’alors un montant proche de 275 euros d’aides au logement, ces dernières seraient réduites de 60 euros pour atteindre environ 216 euros. Au total, cela procurerait donc à l’individu en question 816 euros de ressources mensuelles (hors les autres prestations).

L’autre cas de figure est celui dans lequel la conditionnalité de ressources portant sur le versement du revenu universel intègrerait les aides personnelles. Autrement dit, aux yeux du mode des aides personnelles, l’individu en question aurait toujours des ressources nulles et percevrait donc un montant d’aide identique et celui actuellement perçu (275€/mois). Par contre, son revenu universel serait lui diminué d’une part des aides personnelles. Compte tenu des objectifs annoncés et de la formulation de la proposition au moment où nous écrivons ces lignes, la part d’aides personnelles déduite devrait être aux alentours de 30%, soit environ 80 euros. Si ces montants individuels mensuels peuvent paraître dérisoires il n’en est rien compte tenu de la multitude de situations diverses et du nombre important d’allocataires d’aides personnelles (6,2 millions). L’impact sur les finances publiques comme sur le niveau de vie des ménages les plus modestes des futures modalités de calcul est donc potentiellement important, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros si l’on s’en tient au rapide calcul présenté précédemment.

La seconde mesure, pour le moment non encore totalement arrêtée, est celle visant à une refonte globale de la fiscalité immobilière et la création d’un impôt unique assis sur le patrimoine net. Cette réforme va dans le sens d’une meilleure lisibilité de la fiscalité immobilière. Elle va également dans le sens de la prise en compte d’une meilleure distinction entre accédant à la propriété et non accédant. Elle pose tout de même question du fait de son assise non pas sur les valeurs locatives cadastrales, comme c’est actuellement le cas de la taxe foncière, mais sur la valeur vénale des biens immobiliers. La valorisation monétaire est d’une part bien plus complexe à établir et d’autre part bien plus volatile que les loyers[3]. Une imposition assise sur la valeur vénale est de plus critiquable puisqu’elle soumettrait le contribuable aux « aléas » du marché immobilier. Notons enfin que la réforme de la fiscalité immobilière ne pourra se faire sans une meilleure prise en compte de l’occupation des logements mais également des terrains. Si l’outil choisi peut permettre à terme de refonder une fiscalité incitant massivement à la libération de foncier et de bâti ce n’est pour le moment pas encore le cas.

Marine Le Pen : préférence nationale et pouvoir d’achat

Au travers son programme « Logement », le Front National se fixe pour objectif de redonner du pouvoir d’achat aux ménages. La baisse proposée de la taxe d’habitation vise à s’attaquer aux hausses récentes de la fiscalité locale. Poursuivant le même objectif, la baisse de 10% des droits de mutation vise à faciliter les mobilités résidentielles. L’une des premières critiques à opposer à ces propositions réside en partie dans leur faisabilité. En effet, les taux de ces deux taxes sont de l’autorité des collectivités locales et les recettes fiscales qu’elles produisent leur sont en grande partie reversées. Si d’une part les pertes fiscales induites par la mise en place de ces propositions devront être compensées par l’Etat, leur mise en place même reste très conditionnelle.

Concernant les aides à la personne, la candidate du Front National propose la mise en place d’une « Protection-Logement-Jeunes » construite d’une part sur la hausse de la construction de logements pour les étudiants et d’autre part sur la revalorisation de 25% des aides personnelles pour les jeunes de moins 27 ans. L’effort supplémentaire souhaité pour la construction de logements étudiant ne peut être que salué. La hausse ciblée des aides personnelles pose elle question. Si l’on ne peut que partager l’idée selon laquelle les aides personnelles souffrent en majorité d’une sous-indexation massive, les études visant à mettre en exergue l’effet inflationniste des fortes revalorisations d’aides ont été pour nombre d’entre elles réalisées au cours de périodes où justement des populations spécifiques devenaient éligibles aux aides (Fack, 2005 ou encore  Laferrère et Le Blanc , 2002) On peut anticiper que les logements de petite surface dans les zones les plus tendues verront dans les mois qui suivent la revalorisation des loyers, sauf en cas de renforcement de l’encadrement des loyers dans lesdites zones. Une autre interrogation est à mettre sur le terrain de la justice sociale. Quid des individus le jour de leur 27e anniversaire ? Verront-ils leurs aides au logement diminuer d’un quart ? De plus, si urgence existe à mieux prendre en compte la hausse des taux d’effort des ménages les plus modestes, en quoi la catégorie spécifique des jeunes de moins de 27 ans présente-t-elle une urgence plus importante que les ménages du premier quartile de revenu qui ont subi des hausses de taux d’effort extrêmement importantes depuis le début des années 2000[4].

En ce qui concerne le parc locatif social, si la loi SRU est absente du programme du Front National, le parti propose de « réserver prioritairement aux Français l’attribution du logement social, sans effet rétroactif, et le mobiliser vers les publics qui en ont le plus besoin » et réaffirme son souhait « d’appliquer réellement l’obligation de jouissance paisible sous peine de déchéance du bail ». Il est à noter que d’une part le droit au maintien dans les lieux existe dans le parc social et que sauf à vouloir mettre fin aux surloyers de solidarité, la proposition ne fait que réaffirmer un principe inscrit dans la législation actuelle. Concernant l’attribution des logements sociaux, il est intéressant de rappeler que 83% des demandes de logement social sont attribuées à des ménages français, que 88% des locataires du parc social sont de nationalité française et que la nationalité ne figure nullement actuellement dans les critères d’attribution.

Enfin, le Front National propose que « 1% du parc locatif social » soit vendu chaque année, soit 50 000 logements par an. Rappelons que l’objectif de 1% du parc vendu chaque année avait été fixé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. En moyenne, pas plus 10 000 logements sociaux ont été écoulés au cours des 10 dernières années.

Emmanuel Macron : continuité et flexibilité

Le candidat d’En Marche propose une exonération de la taxe d’habitation pour près de 80% des ménages français et le maintien de l’encadrement de loyer dans l’attente de son évaluation. Il propose également le développement de l’intermédiation locative ainsi que le doublement des pensions de famille, réclamé par la Fondation Abbé Pierre.

En ce qui concerne les objectifs de construction, Emmanuel Macron acte le fait que la fixation d’un objectif national n’a que peu de sens et souhaite donc diriger les efforts de construction vers les zones les plus tendues.

Ces propositions relativement consensuelles ne sont que peu sujettes à débat. Si elles ne s’attaquent nullement aux causes de la crise du logement cher en France, elles apportent des solutions de court terme à ses conséquences.

La proposition du candidat d’En Marche la plus discutée est celle du « Bail mobilité ». Critique vis-à-vis de la loi ALUR, le candidat prend acte que les ménages les plus précaires, du fait de leur condition de travail ou de leur âge, sont exclus du marché locatif privé « classique » et propose donc d’établir, pour ces ménages, un bail plus court et plus flexible, que certains auront vite dénommé « Bail précarité » mais que le candidat nomme « Bail mobilité ». Si les contours de ce bail ne semblent pas encore tout à fait arrêtés, il est important de rappeler que si les baux usuels sont d’une durée d’au moins 3 ans, il existe dans la législation française des baux d’une durée plus courte dont les bailleurs ne se privent aucunement d’user (ou d’abuser) :

  • Le bail d’occupation précaire permet, sous certaines conditions et en accord des deux parties de ne s’engager sous aucune durée de bail ;
  • Le bail de location meublée, soumis au droit commun, largement utilisé notamment au cours de la période de mise en place du décret d’encadrement des loyers, les meublés n’étant pas soumis au décret, est un bail d’une durée de 1 an renouvelable et le bail meublé « étudiant » s’étend lui sur une durée de 9 mois.

Si les modalités précises de mise en place de ce nouveau bail ne sont pas encore arrêtées, il est indispensable d’alerter sur la potentielle dangerosité que pourrait engendrer la mise à disposition d’un bail court sans garde-fous suffisants.

En ce qui concerne la proposition d’exonération de la taxe d’habitation, promise à 80% des ménages, il faut rappeler qu’une exonération, totale ou partielle, existe d’ores et déjà pour les ménages les plus modestes. Ainsi, les titulaires de l’allocation supplémentaire d’invalidité ou de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, les contribuables âgés de plus de 60 ans dont le revenu de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond et qui ne sont pas soumis à l’ISF, les personnes veuves dont le revenu fiscal de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond et qui ne sont pas soumises à l’ISF ou encore les contribuables atteints d’une infirmité ou d’une invalidité les empêchant de subvenir seuls aux nécessités de l’existence dont le revenu de référence de l’année précédente est inférieur à un certain plafond, sont à l’heure actuelle exonérés totalement de taxe d’habitation. De même, sous condition de ressources, certains ménages bénéficient d’un dégrèvement partiel de la taxe d’habitation. Si la mesure a vocation à étendre ces dispositions aux ménages des classes moyennes et donc à impacter positivement le pouvoir d’achat de ces derniers, le coût de la mesure (10 milliards d’euros) est important et pose donc la question de son financement.

Jean Luc Mélenchon : plus de social et moins de spéculation

Ces dernières années, de nombreux professionnels du secteur de l’immobilier et de la construction ont pointé du doigt l’impact négatif important qu’avaient pu avoir les discussions (plus que la mise en œuvre) qui ont entouré la loi ALUR au cours de l’année 2014. Si les données – exceptées celles de conjonctures réalisées auprès des professionnels – n’ont pas été en capacité de mesurer la véracité de ces affirmations, il apparaît malgré tout que la présentation du volet « Logement » du programme du candidat de la France Insoumise a dû faire plus d’un mécontent.

Alors que la garantie universelle des loyers, dispositif permettant sur le papier d’assurer correctement les deux parties signataires du bail, a été abandonnée au cours du quinquennat de François Hollande, le candidat de la France Insoumise propose non seulement sa réalisation mais son extension autour d’une « Sécurité sociale du logement » aux contours encore peu clairs.

Il propose également d’aller plus loin dans l’objectif de financement du nombre de logements sociaux en portant l’objectif annuel à 200 000. A l’image des objectifs affichés de production de logements neufs, il est important de s’extraire de chiffres globaux et de rentrer quelque peu dans le détail. En ce qui concerne les objectifs globaux de construction, leur réalisation n’a de sens qu’une fois extrait de ces derniers le nombre de résidences principales nouvellement construites. En moyenne, au cours des 20 dernières années, les résidences principales représentent moins de 80% de la production de logements nouveaux en France. En 2014, derniers résultats connus, cette part s’élevait à 60%, soit un record historiquement bas.

En ce qui concerne le parc social, la réalité est identique. Outre la définition de ce qu’est (ou doit être) un logement social en termes de loyers de sortie ou de populations accueillies, il est indispensable pour les acteurs politiques de préciser la nature de leurs objectifs. Quand Jean-Luc Mélenchon avance l’objectif de 200 000 logements sociaux supplémentaires, de quoi s’agit-il ? S’agit-il de logements sociaux construits ? Les dernières données disponibles font état de 63 356 logements sociaux construits en 2014, soit un niveau record depuis 1998 … S’agit-il de logements sociaux financés ? Ils ont été 109 000 à l’être en 2015. Parle-t-on de logements supplémentaires c’est-à-dire en tenant compte des démolitions ou de nombres « bruts » ?

Si l’objectif de donner plus de place au parc social est louable, la clarté du propos est indispensable afin de permettre à tous de juger et d’évaluer les propositions faites.

Il en est de même de l’une des propositions phares du candidat de la France Insoumise qui vise à « briser la spéculation » en taxant les plus-values immobilières. A l’heure actuelle, la taxation des plus-values immobilières ne pèse que trop peu dans la fiscalité du logement (environ 600 millions d’euros par an). Du fait, là encore, de l’existence de mécanismes d’évitement incitant fortement à la détention (exonération de taxation au-delà d’une certaine durée de détention), les ménages n’ont que peu d’intérêt à se libérer de leur foncier ou de leur bâti. Sans suppression de ces mécanismes et sans mise en place d’une fiscalité des plus-values (réalisée ou latente) plus progressive, aucune réforme de l’imposition ne serait à même de répondre aux problématiques soulevées.

* * *

Si les principaux candidats à l’élection présidentielle semblent partager le constat d’un coût du logement au sens large trop élevé et d’un besoin en construction important, les solutions envisagées pour résoudre la « crise du logement » que traverse la France divergent. Alors que certains se fixent pour objectif d’offrir plus de flexibilité aux investisseurs et aux bailleurs privés (fin de l’encadrement des loyers, bail mobilité, développement des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif,  accélération des procédures d’expulsion locative, remise en cause de la loi SRU, …), d’autres portent leurs priorités sur le développement d’une offre de logement social plus importante, une protection des ménages les plus modestes et un accroissement de leur pouvoir d’achat. S’il n’existe pas de solution miracle à court terme, le chemin à prendre semble se trouver, à l’image des choix économiques globaux, dans un entre deux trop souvent oublié.

 

[1] Entre 2006 et 2013, le taux d’effort net moyen a augmenté en France de 1 point passant de 14,7% à 15,7%.

[2] Du fait de la sous-indexation massive des barèmes des aides, les aides personnelles sont devenues forfaitaires pour près de neuf locataires du parc privé sur dix.

[3] Notons que les valeurs locatives utilisées actuellement résultent d’estimations datant des années 1970. Une réévaluation de ces dernières est donc indispensable.

[4] Entre 2001 et 2013, les ménages du 1er quartile de revenu ont vu leur taux d’effort net moyen augmenter de 7,4 points passant de 24,9% à 31,3% (Enquêtes nationales Logement, INSEE).




Quand la construction va …

par Pierre Madec et Hervé Péléraux

Les chiffres du troisième trimestre 2016 publiés le 29 novembre par l’INSEE ont confirmé le redressement du secteur de la construction à l’œuvre depuis plusieurs trimestres : le nombre de logements neufs mis en vente sur un an a atteint 116 900, soit une hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, le nombre de logements autorisés à la construction ou mis en chantier a poursuivi sa progression. Ainsi, entre octobre 2015 et octobre 2016, 363 500 logements ont été commencés et 427 800 ont été autorisés à la construction, soit respectivement 15,4% et 11,3% de plus que l’année précédente (graphique 1).

graph-1

Très dégradée depuis 2012, la confiance des professionnels du secteur s’est fortement améliorée ces derniers mois. Ainsi, au deuxième trimestre 2016, pour la première fois depuis la fin 2011, les perspectives de mises en chantier dépassaient leur moyenne de long terme, quel que soit le segment du parc observé (graphique 2). Notons que l’annonce du plan de relance pour la construction intervenue en août 2014 (nouveau PTZ, assouplissement du dispositif d’investissement locatif, …) a pu avoir un effet sur l’arrêt de la dégradation des perspectives des professionnels. Malgré tout, s’il est probable que ces annonces aient participé au redressement des perspectives des professionnels, il est important de rappeler que les déterminants de la construction de logements reposent pour la plupart sur des facteurs plus structurels : l’évolution du pouvoir d’achat des ménages, des taux d’intérêt mais aussi nombre de variables démographiques.

graph-2

Dans les comptes nationaux, l’investissement des ménages (hors entrepreneurs individuels) se décompose en construction (82 %) et en frais liés à l’immobilier (18 %). Les frais liés aux acquisitions immobilières dans le neuf ou dans l’ancien – frais de notaire, frais d’architecte, d’agence immobilière et TVA – sont ainsi considérés comme des dépenses d’investissement. La formation brute de capital fixe (FBCF) en logements des ménages recouvre à parts équivalentes la construction neuve et les travaux de rénovation et de gros entretien.  Il est à noter que ces chiffres, fortement révisés du fait notamment des délais de remontée d’informations locales, sont difficilement interprétables lors des premières estimations fournies par la statistique publique (voir encadré).

L’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française. Entre 2008 et 2015, l’investissement des ménages a amputé la croissance française de 0,2 point en moyenne par an, soit 1,2 point de PIB sur la période. Sous l’effet du redressement du pouvoir d’achat des ménages et du dynamisme retrouvé de l’emploi salarié et sous l’hypothèse d’une relative stabilité des prix et des taux immobilier, l’investissement des ménages devrait croître, malgré un deuxième trimestre négatif (-0,3%), de 0,3% en volume en 2016 et de 2% en 2017 (graphique 3). Malgré tout, ce dernier devrait se maintenir à un niveau très inférieur à celui d’avant-crise. Fin 2018, l’investissement des ménages en volume devrait être inférieur de près de 15% à son niveau de fin 2007…

graph-3

————————————————————————————————————————————–

Encadré : Les difficultés d’estimer à court terme l’activité dans le secteur de la construction

 Nous avons étudié les révisions de compte de la branche « Construction » provenant de la comptabilité nationale et évalué sa contribution à la révision de la valeur ajoutée (VA) totale.

D’une manière générale, il apparaît une sous-estimation chronique du taux de croissance de la VA totale depuis 2010 entre la moyenne annuelle issue du compte trimestriel (une fois connu le quatrième trimestre de l’année fin janvier de l’année suivante) et la dernière version disponible des comptes (la seconde version du troisième trimestre 2016 publiée le 29 novembre). Au total, sur les 14 dernières années, 11 années ont fait l’objet de révisions positives. Les trois années où les révisions de la VA totale ont été négatives sont les années de récession, 2002, 2008 et 2009. Pour la construction proprement dite, les évaluations préliminaires sont très imprécises, en particulier depuis 2010 où l’on observe des révisions beaucoup plus fortes que par le passé, notamment en 2012.

Les révisions de la VA dans la construction, comprises depuis 2002 entre -6,2 et 3,1 points, sont moindres que dans l’agriculture (entre -7,6 et 12,4 points) mais bien plus marquées que dans l’industrie (entre -1,7 et +2,6 points) et dans les services marchands (entre -1,6 et +1,1 point, graphique 4).

graph-4

La construction a néanmoins un poids relativement faible dans la VA totale (5,8 % en 2014, contre 13,8 pour l’industrie et 56,6 pour les services marchands). Il est par conséquent utile de pondérer l’impact de ces fortes révisions par le poids du secteur dans la VA totale afin d’évaluer leur contribution à la révision de la VA d’ensemble. Malgré une volatilité moins prononcée que dans l’agriculture, les révisions de la VA dans la construction affectent significativement le calcul de la VA totale, avec une contribution à sa révision comprise entre -0,4 et + 0,2 point (graphique 5). En regard, la volatilité moins prononcée des estimations de la VA dans les services marchands impacte davantage la VA totale compte tenu de son poids 10 fois plus important que celui de la construction.

graph-5

Cette analyse rapide met en exergue les difficultés pour élaborer des estimations préliminaires robustes de l’activité du secteur de la construction. Ces difficultés, illustrées ici par la mesure de la VA par branche, se présentent également lorsqu’il s’agit d’estimer le niveau des mises en chantier, des permis de construire ou encore l’évolution de l’investissement en logement des ménages. De fait, les premières publications de ces nombreuses données quantitatives doivent être interprétées avec la plus grande prudence, tant pour mesurer leur impact sur le calcul des comptes nationaux que pour caractériser la conjoncture du secteur à court terme.