Quand les finances publiques dérapent… aux États-Unis

Christophe Blot

Alors que l’attention s’est récemment portée sur la dégradation des finances publiques françaises, il peut être intéressant de s’arrêter sur la situation budgétaire outre-Atlantique. En effet, le déficit total sur l’année civile 2023 a atteint 8 % du PIB, soit une hausse de 4 points par rapport à 2022 et un niveau bien plus important que ce qui avait été anticipé en fin 2022 ou début 2023[1]. Cette augmentation ne résulte pas d’une dégradation de la situation macroéconomique américaine. Bien au contraire, les performances économiques ont été meilleures qu’anticipé notamment parce qu’elles ont été tirées par cette politique budgétaire expansionniste[2].



La croissance soutenue par la politique budgétaire

L’économie américaine a déjoué tous les pronostics et le ralentissement anticipé en 2023 ne s’est pas réalisé, malgré le resserrement monétaire amorcé au printemps 2022 par la Réserve fédérale[3]. La croissance a atteint 2,5 % après 1,9 % l’année précédente. Parallèlement, l’inflation a baissé atteignant 2,7 % en glissement annuel en fin d’année 2023 après un pic à 6,8 % au deuxième trimestre 2022[4]. Faut-il en déduire que la banque centrale a réussi son pari de réduire l’inflation sans dégrader la situation macroéconomique ? Une explication alternative serait plutôt que la restriction monétaire a été compensée par une politique budgétaire expansionniste et que la réduction de l’inflation résulte surtout de la baisse des prix de l’énergie et la disparition des contraintes d’approvisionnement puisque la demande est restée dynamique. En effet, sur l’ensemble de l’année, les dépenses publiques de consommation et d’investissement ont progressé de 4 % en volume, contribuant à la croissance annuelle pour 0,7 point. L’investissement public a été particulièrement dynamique dans les États et gouvernements locaux puisqu’il a progressé de 11,7 % en 2023. Ceci s’explique par un accord Bipartisan voté par le Congrès en novembre 2021 et qui prévoyait une enveloppe de 1200 Mds de dollars (4,4 % du PIB de 2023) pour le financement de projets d’infrastructures (transports, énergie et climat) essentiellement réalisés à l’échelon local. Les dépenses d’investissement fédérales hors défense ont également crû de plus de 7 %.  Par ailleurs, la consommation des ménages a probablement été soutenue par une baisse de la collecte de l’impôt sur le revenu, notamment au premier trimestre de l’année[5]. Il en a résulté un léger rebond du taux d’épargne au premier semestre mais sur l’ensemble de l’année, la consommation des ménages est restée dynamique, progressant de 2,2 %.

La politique budgétaire reste expansionniste même en phase haute du cycle

La conséquence de cette politique est que le niveau du déficit est un des plus élevé enregistré aux États-Unis depuis 1960. Les deux seules périodes où le déficit fut plus élevé sont 2009-2012 et 2020-2021, toutes les deux caractérisées par une forte dégradation de l’activité économique. En 2023, la politique budgétaire est donc restée expansionniste dans une situation conjoncturelle favorable. Fin 2022, le taux de chômage était de 3,5 % et le niveau de tensions sur le marché du travail – mesuré par le ratio entre le nombre de chômeurs et les offres d’emploi – à un niveau record. Selon les estimations du CBO, le PIB était à son potentiel en fin d’année, ce qui ne semblait donc pas justifier une politique budgétaire expansionniste. Pourtant, en 2023, le solde budgétaire primaire structurel s’est dégradé de 3 points. Cette situation est quasi-inédite pour une période de phase haute du cycle puisque le seul précédent remonte à 2018-2019 lorsque l’administration Trump a fortement réduit la fiscalité des ménages les plus aisés et des entreprises. Historiquement, la politique budgétaire était pourtant contra-cyclique, c’est-à-dire que le solde structurel primaire se dégradait en période de ralentissement mais s’améliorait lorsque l’écart de croissance était positif ou à l’équilibre, comme à la fin des années 1990 ou en 2006-2007.

Les choix budgétaires récents pourraient suggérer que les gouvernements américains – Trump ou Biden – ne tiennent plus compte de la contrainte budgétaire. À quelques mois des élections présidentielles, la question des déficits et de la dette ne semble pas au cœur du débat public. Le risque n’est pas tant économique que politique. Comme en France, malgré la hausse de la dette publique américaine passée de 107,8 % du PIB en 2019 à 124 % en 2023, l’état fédéral américain n’est pas en faillite [6]. La charge d’intérêts a certes augmenté avec la hausse des taux d’intérêt mais la dette publique américaine trouve toujours des acquéreurs et reste aux yeux des investisseurs un des placements les plus sûrs et les plus demandés de la planète. Le risque de défaut existe pourtant mais il est principalement lié au fonctionnement institutionnel selon lequel le plafond de la dette doit être voté par le Congrès. Une analyse d’économistes de la Réserve fédérale de Chicago montre que les transactions sur les contrats CDS (Credit Default Swap) portant sur la dette souveraine américaine ont fortement augmenté lors des trois derniers épisodes au cours desquels le plafond de dette a été atteint[7]. Ainsi, début 2023, les primes de CDS ont fortement augmenté reflétant une probabilité implicite de défaut qui est passé de moins de 0,5 % fin 2022 à un pic de 4 % en avril 2023. Or, dans quelques mois, il faudra renégocier le plafond de la dette suspendu pour l’instant jusqu’au 1er janvier 2025. Les tensions entre Républicains et Démocrates rendent ces négociations de plus en plus difficiles. Chaque camp porte certes la responsabilité de cette situation mais les enjeux politiques les amènent non seulement à rejeter la responsabilité sur l’autre camp et a exigé toujours plus de contreparties pour accepter un relèvement du plafond.


[1] En novembre 2022, le FMI anticipait un déficit à 5,7 % et dans notre prévision d’avril 2023, nous prévoyions même un déficit de 3,1 %.

[2] Voir ici pour notre analyse détaillée de la situation conjoncturelle américaine.

[3] Voir le Blog de l’OFCE du 3 octobre 2023.

[4] Il s’agit ici de l’inflation mesurée par le déflateur de la consommation qui est l’indicateur ciblé par la banque centrale américaine.

[5] La contribution des impôts à la croissance du revenu disponible nominal des ménages s’est élevée à 2 points en 2023 alors qu’elle avait été négative en 2022. Selon le CBO (Congressional budget office), la baisse de l’impôt sur le revenu s’explique par de moindres plus-values et par des reports d’impôts dont ont bénéficié les victimes de catastrophes naturelles.

[6] En France, la dette a augmenté de 13 points sur la période pour atteindre 110,6 % du PIB en 2023.

[7] Voir « What Does the CDS Market imply for a U.S. Default ? ».  Un CDS est un contrat selon lequel une partie paye une prime appelée prime de CDS à une autre partie en échange d’une protection en cas d’occurrence d’un évènement, ici un défaut souverain.




Un Fonds Européen pour le Climat

Jérôme Creel, Fipaddict, Clara Leonard, Nicolas Leron et Juliette de Pierrebourg

Comment sortir du dilemme entre épuisement planétaire et contraintes budgétaires dans lequel se trouvent les États européens ? Ces derniers sont pris en étau entre l’ampleur des investissements à réaliser pour respecter leurs engagements en matière de réduction des émissions carbone et la nécessité de respecter un équilibre budgétaire dicté par les règles européennes. Si ce dilemme n’est pas résolu, les gouvernements risquent de revoir à la baisse leurs ambitions climatiques. Sans assouplissement des règles budgétaires nationales, une seule voie est possible pour résoudre ce dilemme : celle d’un projet et d’un financement commun au niveau de l’Union européenne au travers de la création d’un Fonds Européen pour le Climat[1].



Les États membres de l’Union européenne font face à des injonctions contradictoires que la création d’un Fonds Européen pour le Climat participerait à atténuer, sinon à résoudre. D’un côté, ils doivent réaliser les investissements nécessaires pour respecter leurs objectifs de réduction des émissions carbone et atteindre l’objectif net zéro à l’horizon 2050. De l’autre, ils sont contraints par les règles budgétaires européennes et la remontée des taux, qui limitent leurs capacités d’endettement et de financement. Pris dans cet étau, les gouvernements ont, jusqu’ici, préféré abandonner leurs ambitions climatiques et privilégier la soutenabilité budgétaire. En France, le rabot de 2,1 milliards d’euros sur les crédits dédiés à l’écologie dans le cadre du décret d’annulation visant à tenir nos objectifs budgétaires en constitue l’illustration la plus frappante. Pour répondre à ce dilemme qui met en péril notre capacité à faire face au défi climatique, nous proposons la création d’un Fonds Européen pour le Climat. Chargé d’assurer le financement de la transition, il constituera un pas de plus vers une Europe unie autour d’un enjeu commun.

Les estimations du déficit actuel d’investissements pour atteindre les objectifs de décarbonation s’accordent sur des besoins additionnels significatifs : une fourchette basse autour de 2 à 3 % du PIB européen (cf. tableau). Ces besoins interviennent dans un contexte marqué par un accord sur de nouvelles règles budgétaires européennes tout autant restrictives que les précédentes, et par la disparition à l’horizon 2026 des financements liés au plan de relance Next Generation EU. Au total, ces nouvelles contraintes imposeraient aux États européens de réaliser des économies d’environ 2,5 points de PIB d’ici quatre ans, ce qui paraît difficilement tenable.

Tableau – Estimations des besoins additionnels d’investissement dans la transition écologique en Europe

Estimation (à prix constants) Source
406 milliards d’euros (2,6% du PIB) I4CE (2024)
360 milliards d’euros (2,3% du PIB) Institut Rousseau (2024)
2% du PIB par an jusqu’en 2030, puis 1% jusqu’en 2050. Bruegel (2022)
La Commission Européenne chiffre à 416 milliards d’euros (soit 2,6% du PIB) le besoin d’investissements en Europe jusqu’à 2030. À cela s’ajoutent 205 milliards d’euros additionnels (soit 1,3% du PIB) entre 2030 et 2050. Commission européenne (2020) Commission européenne (2024)

Les investissements nécessaires pour assurer la transition ne sont pas tous rentables et certains, par essence, relèvent de l’échelle supranationale et du bien commun européen (cf. Allemand et al., 2023). Le Fonds pourrait orienter ses financements vers ces investissements qui sont, à l’heure actuelle, mal pris en charge tant par le secteur public que par le secteur privé. Un financement commun aurait de nombreux effets positifs : cela permettrait de réaliser des économies d’échelle, de répondre à la demande concrète des citoyens européens de voir des projets financés à l’échelle européenne, de coordonner et planifier l’effort de transition et de garantir que toutes les dépenses nécessaires aient lieu tout en réduisant leur poids budgétaire pour les États membres. Pour cela, il faudrait privilégier les subventions. D’autres outils pourraient être cependant envisagés en complément, tels que des prêts concessionnels aux États membres à des taux plus faibles que le taux de marché et des garanties de prêts (par exemple, ceux de la Banque Européenne d’Investissement).

Pour financer le Fonds, il faudra à la fois réfléchir à des ressources propres et au versement d’un capital par les États membres en fonction de clés de répartition adaptées à l’enjeu. Si de nouvelles ressources propres de l’Union Européenne pourraient être envisagées, elles risquent de ne pas suffire ou d’être politiquement trop coûteuses pour être mises en place. L’expérience de NGEU ne plaide pas en faveur de cette solution : les ressources propres additionnelles pour rembourser la dette émise pour financer NGEU sont encore bien loin des attentes et des enjeux financiers (et passées assez largement sous silence dans l’évaluation à mi-parcours de NGEU). Il faudra donc avoir recours à un financement commun par les États membres. Il sera alors nécessaire de mener une négociation sur des clés de répartition entre États membres afin de déterminer les critères selon lesquels les fonds seront abondés puis alloués. Différents critères pourraient être envisagés et qui ne refléteraient pas simplement le poids économique ou de population de ces différents États. Le Fonds européen pour le climat pourrait être financé en priorité par les États membres ayant le plus de capacités budgétaires et les émissions historiques les plus importantes ; il pourrait bénéficier en particulier aux États dont les capacités sont trop limitées pour répondre convenablement au défi de la transition, et qui ont les besoins de financement les plus importants pour atteindre leurs cibles de réduction d’émissions. Une telle clé de répartition contribuerait à renforcer la symétrie entre les règles budgétaires et des règles climatiques complémentaires qu’il conviendrait de créer.

Envisager un Fonds Européen pour le Climat permettra à terme de mettre en place une stratégie de financement ordonnée et transparente de la transition écologique en nous forçant à chercher à résoudre le dilemme entre épuisement planétaire et budgétaire. En effet, la répartition de la charge entre l’échelle nationale et européenne, entre États membres, mais également entre le secteur public, les entreprises, le secteur financier et les ménages doit être le fruit d’une concertation. Elle devra mener à la définition d’une stratégie de financement évitant de faire peser des risques systémiques sur l’Europe, que ce soit par surcharge budgétaire ou par inaction climatique. La note dont ce texte est tiré met également en avant la nécessité de développer des estimations des besoins de financement pour chaque pays européen avec une méthodologie harmonisée pour assurer une planification et développer une vision systémique.

Enfin, ce Fonds, en ciblant les investissements essentiels mais peu rentables, répondrait à l’appel des citoyens pour une action à l’échelle de l’UE en faveur des énergies renouvelables, notamment (cf. Eurobaromètre 100 de l’automne 2023). Il pourrait également contribuer à « faire l’Europe », en renforçant la capacité budgétaire de l’UE, que les citoyens européens appellent de leurs vœux.


[1] Ce texte reprend les propositions et analyses d’un rapport publié par l’Institut Avant-Garde dans le cadre de la préparation des Élections européennes de juin 2024.




Emplois aidés : les mains liées

Par Bruno Coquet

Depuis 2019, les emplois aidés[1] ont atteint des niveaux inédits, leur part grimpant jusqu’à près de 8% de l’emploi total, au-delà du record historique de 1997. Malgré un reflux en 2022 et 2023, leur niveau reste historiquement élevé, comparable à celui atteint dans la première moitié de la décennie 2010. Pourtant la situation du marché du travail est profondément différente : le chômage n’a cessé de baisser jusqu’à atteindre 7,3% en 2022 (enfonçant même un record vieux de 40 ans, à 7,1% au premier trimestre 2023) alors que dans les pics antérieurs d’emplois aidés il était au plus haut, au-delà de 10% (graphique 1).



Les économies annoncées se sont transformées en hausse de dépenses

Le cadrage budgétaire présenté au début de l’été prévoyait une baisse des crédits du ministère du Travail de 800 millions d’euros en 2024. Pour expliquer cette baisse, une économie de 1 milliard d’euros sur les emplois aidés était évoquée, récemment ramenée à 800 puis 350 millions. Finalement, le budget des emplois aidés devrait augmenter de 101 millions d’euros hors apprentissage (+3,8%), l’ajustement portant essentiellement sur le budget alloué à l’apprentissage :

  • D’une part, les contrats aidés qui devaient être ciblés par la réduction budgétaire (Parcours Emploi Compétences-PEC, Contrat Initiative Emploi-CIE, Emplois francs) sont à l’étiage, ce qui est cohérent avec la conjoncture actuelle du marché du travail. Les économies tirées de ce gisement sont donc faibles (-106 millions d’euros) ;
  • D’autre part, le soutien à l’apprentissage reste fort, mais les crédits sont en baisse (-126 millions d’euros, -1,5%). En effet, si toutes les dépenses associées à ce dispositif sont en hausse, notamment la dotation d’équilibre à France Compétences (+820 millions d’euros), la réduction de l’aide aux employeurs d’apprentis[2] depuis le début 2023 produit l’essentiel de ses effets en 2024, générant 1,1 milliard d’euros d’économies.

La réduction conjoncturelle des moyens alloués aux emplois aidés en 2024 ne pouvait guère être plus marquée parce que l’objectif du million d’entrées annuelles en apprentissage ôte toute marge de manœuvre au gouvernement. Et encore, la comptabilité budgétaire brouille la réalité de la dépense nationale pour l’apprentissage : l’objectif de 901 000 nouveaux apprentis visé pour 2024 devrait coûter près de 23 milliards d’euros, mais seuls les crédits de la « Mission Travail et Emploi » (8,1 milliards d’euros) sont consignés dans le PLF ; si les dépenses de France Compétences (12 milliards d’euros) et les exonérations générales de cotisations sociales des apprentis (4,5 milliards) étaient incluses, le budget total des emplois aidés, y compris l’alternance, apparaîtrait alors près de trois fois plus élevé et en forte hausse[3].

Contraction des emplois aidés hors alternance en 2023

Historiquement, l’essentiel des budgets d’intervention du ministère du Travail allait vers des « contrats aidés », souvent dans le secteur non-marchand, prioritairement destinés à des publics jeunes, peu qualifiés, à fort risque de chômage. Depuis 2020, l’apprentissage est devenu la principale composante des emplois aidés mais bénéficie pour l’essentiel à des étudiants préparant un diplôme de l’enseignement supérieur, sans difficulté particulière d’insertion en emploi.

En 2023, les budgets hors alternance ont déjà été réduits, passant de 2,67 milliards de crédits effectivement consommés en 2022 à 2,40 milliards d’euros (-270 millions, -10,2%). Fin juillet 2023, le cumul depuis le début d’année des entrées en PEC et en CIE était en baisse (respectivement, -26,5% et -46,9%), en-deçà du plan de marche découlant de l’évolution des budgets. Dans ces conditions, les stocks de bénéficiaires des trois « contrats aidés » classiques PEC, CIE et Emplois francs diminueraient fortement, avec un effet négatif sur l’emploi en 2023 (-9 400 postes). Les stocks de bénéficiaires d’aides à l’Insertion par l’Activité Économique (IAE) évolueraient peu du fait d’un budget stable tandis que le nombre de bénéficiaires de l’Aide à la Reprise et à la Création d’Entreprise (ARCE) devrait progresser en raison de la dynamique des microentreprises, avec à la clé un possible dépassement budgétaire.

En contrepoint, la dynamique des entrées de 2022 profite encore au stock d’apprentis qui a continué d’augmenter (+11,1% en glissement annuel fin juillet) et avec lui, l’ensemble des budgets associés à ce dispositif. Le stock de bénéficiaires serait encore en légère hausse, avec à la clé la création d’environ 40 000 nouveaux emplois en 2023. On ne peut exclure que l’aide unique soit encore trop attractive pour les entreprises, induisant des incitations intenses difficiles à prévoir, même si depuis le début de l’année les entrées donnent quelques signes de stabilisation (-1% en cumulé de janvier à juillet 2023). Il serait prématuré d’y voir l’influence de la réduction de l’aide exceptionnelle, même si tous les moteurs de l’apprentissage baissent de régime (embauches d’apprentis corrélées à l’emploi marchand qui ralentit, crédits 2023 insuffisants pour simplement maintenir le rythme actuel des entrées, réserve démographique qui s’amenuise dans cette tranche d’âge).

2024 : peu d’effets budgétaires sans revoir l’apprentissage

Dans le contexte inflationniste actuel, des budgets nominaux stables sont en réalité en baisse en termes réels, car le coût unitaire des aides à l’emploi est souvent indexé sur le SMIC, donc encore plus dynamique que l’inflation. Dans ces conditions, à budget constant les dispositifs dits « à guichet fermé » accueillent moins de bénéficiaires prévus tandis que les dispositifs dits « à guichet ouvert » dérivent sous le double effet d’un nombre de bénéficiaires non-contraint et de coûts unitaires en hausse.

Finalement, le PLF 2024 ne propose pas la baisse annoncée des crédits aux emplois aidés mais une hausse de 101 millions hors apprentissage (+3,8%). La cible également annoncée de 82 000 entrées en « contrats aidés » pour l’année 2024 concerne seulement l’ensemble PEC et CIE[4], soit une baisse de -26% par rapport à la LFI 2023 et une économie de 49 millions d’euros (-11%). Cette réduction aurait un effet minime sur l’emploi (-1 300) et le chômage (+1 100). L’objectif de 25 000 entrées en Emplois francs, stable par rapport à 2023, apparaît peu compatible avec la baisse de -35% des crédits alloués à ce dispositif. Les budgets consacrés à l’IAE sont à l’opposé en nette augmentation : +186 millions d’euros (+14%), possiblement en raison de la sensibilité politique particulière de ce secteur dans le contexte inflationniste actuel : les effets sur l’emploi et le chômage seraient significatifs en 2024 (respectivement +12 300 et -9 800). Les crédits dédiés à la création d’entreprise (ARCE) sont en baisse mais, compte tenu de la dynamique observée dans les dernières statistiques, il est difficile d’anticiper moins que la stabilité du stock de bénéficiaires ; en retenant cette dernière hypothèse, ce dispositif serait cette année sans effet sur l’emploi mais son coût budgétaire serait tout de même supérieur aux crédits inscrits dans le PLF.

Du côté de l’alternance, le cadrage budgétaire précisait que « le budget du ministère du Travail continuera de financer la montée en charge de l’apprentissage, dans le but d’atteindre un million d’entrées par an d’ici 2027 ». La légère baisse du budget apprentissage prévue dans le PLF 2024 (-126 millions d’euros, -1,5%) provient de l’effet en année pleine de la réduction de l’aide unique aux employeurs d’apprentis intervenue début 2023 (-1,1 milliard d’euros) : les 3,4 milliards d’euros budgétés pour 2024 sont compatibles avec 800 000 à 900 000 entrées[5]. Le « coup de rabot » de 500 millions d’euros sur les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage permet de contenir la subvention d’équilibre à France Compétences (2,5 milliards d’euros) ; mais cela est loin de compenser la dynamique des dépenses liée aux nombreuses entrées nouvelles, si bien que le déficit résiduel de l’opérateur serait proche de 6 milliards d’euros en 2024.

Au total, le PLF 2024 sous-estime fortement les crédits nécessaires pour financer les entrées affichées. Il faudrait donc soit retenir le nombre d’entrées prévues sachant qu’elles ne sont pas financées, soit retenir le budget prévu et réduire le nombre d’entrées. La décision ne pouvant être justifiée de manière suffisamment robuste, d’autant que les incertitudes déjà mentionnées pour établir la prévision de fin d’année 2023 persistent en 2024, l’hypothèse technique d’un nombre d’entrées identique à 2022 et 2023 (829 000) est la moins mauvaise solution. Dans ces conditions l’apprentissage aurait un impact neutre sur l’emploi, mais le déficit budgétaire apparaît sous-estimé d’environ 0,2 point de PIB.

Enfin, le budget dédié aux contrats de professionnalisation connaît une hausse significative (+41 millions, +17,6%). En l’absence de changement des règles, nous faisons l’hypothèse d’une dynamique stable, neutre sur la création d’emplois, si bien que les crédits seraient sous-consommés (auquel cas ces crédits pourraient être transférés vers l’apprentissage, bien plus dynamique mais sous-doté).


[1] Le concept d’« emplois aidés » est celui retenu par l’Insee qui englobe tous les dispositifs commentés ici. L’appellation « contrats aidés » souvent employée dans le débat public est ici réservée aux dispositifs suivants : Parcours Emploi Compétences (PEC), Contrat Initiative Emploi (CIE) et Emplois francs.

[2] L’aide a été réduite de 8 000€ à 6 000€ au 1er janvier 2023 ; à cette occasion elle a repris l’appellation d’ « aide unique », bien que son champ et sa durée soient très différents de l’aide unique créée par la réforme de 2018.

[3] Sur ce point cf. Coquet (2023) « Apprentissage : un bilan des années folles » OFCE Policy Brief, n°117.

[4] Les Emplois francs étaient donc exclus de l’annonce ministérielle indiquant fin août « -15 000 contrats aidés ».

[5] Une incertitude irréductible provient de la répartition des entrées tout au long de l’année.




Pourquoi – et comment – pérenniser Next Generation EU

Frédéric Allemand, Jérôme Creel, Nicolas Leron, Sandrine Levasseur et Francesco Saraceno

L’instrument Next Generation EU (NGEU) a été créé pendant la pandémie afin de financer la relance et surtout d’assurer la capacité de résilience de l’Union européenne (UE). Depuis lors, avec la guerre en Ukraine et son lot de conséquences, les chocs qui frappent l’UE ne cessent de s’accumuler et ce, dans un contexte où il faut aussi accélérer la transition écologique et la digitalisation de l’économie. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a remis les questions de défense au premier plan des préoccupations tandis que l’inflation donne lieu à des réactions hétérogènes des États membres, ce qui ne favorise pas la convergence économique, sans compter les resserrements monétaires qui déstabilisent certaines banques. Les subventions de l’administration Biden à l’industrie américaine ont tous les traits d’un nouvel épisode de guerre commerciale auquel la Commission européenne a répondu par un assouplissement temporaire des règles des aides d’États. Dans cet environnement empreint d’incertitudes et dans lequel les chocs se succèdent, l’idée de transformer NGEU d’instrument temporaire en instrument permanent a fait son chemin. Á titre d’exemple, le Commissaire européen P. Gentiloni évoque cette idée dès 2021 ; elle est mentionnée lors d’une conférence de l’Official Monetary and Financial Institutions Forum en 2022 ; elle figure en conclusion d’un article de Schramm et de Witte, publié dans Journal of Common Market Studies en 2022 ; et elle est évoquée publiquement par Christine Lagarde en 2022. Elle ne fait guère l’unanimité cependant : en Allemagne notamment, où après la décision favorable à NGEU de la Cour constitutionnelle du 6 décembre 2022, le ministre des Finances, Christian Lindner, rappelle que l’émission de dette commune (au cœur de NGEU) doit rester une « exception ». Le débat restant ouvert, nous avons évalué dans une étude récente pour la Fondation for European Progressive Studies (FEPS) la pertinence économique, mais aussi politique, et les difficultés techniques et juridiques que la mise en œuvre d’un instrument permanent de type NGEU engendrerait.



La mise en œuvre de NGEU a d’ores et déjà soulevé des questions délicates de coordination entre les États membres à propos de l’allocation des fonds envers les différentes priorités structurelles de la Commission (quelle part vers la transition écologique ? quelle part vers la digitalisation ?) et entre les pays eux-mêmes car la question du « juste retour » ne manque jamais de resurgir dans le cadre des négociations. À ces difficultés de coordination, la première partie de l’étude ajoute la question de la légitimité démocratique des politiques de l’UE lorsque des priorités supranationales limitent l’autonomie des parlements nationaux, à commencer par la politique budgétaire, « cœur matériel » de la démocratie. Le problème de la responsabilité démocratique n’est pas nouveau si l’on considère que les règles supranationales, telles que le Pacte de stabilité et de croissance, imposent des limites au pouvoir des parlements de « taxer et dépenser ». En fait, la logique intrinsèque de la coordination est de forcer le pouvoir politique à se conformer aux impératifs fonctionnels (macroéconomiques), ce qui produit inévitablement une forme de dépolitisation de la politique budgétaire et fiscale. La pérennisation de NGEU doit donc être vue comme une opportunité, celle de remédier à la dépolitisation des politiques de l’UE et de tendre vers une « Europe politique » en instaurant un échelon supranational à la mise en œuvre d’une politique budgétaire européenne.

Cette partie de l’étude rappelle aussi que si la mise en œuvre de NGEU a été d’une importance capitale pour stimuler la reprise post-pandémique, avec des résultats économiques encore incertains car les fonds n’ont été allouées que relativement récemment[1], elle révèle aussi un changement d’état d’esprit des décideurs politiques de l’UE. Pour la première fois, l’emprunt commun et un certain partage des risques sont devenus des caractéristiques d’un plan budgétaire européen. Il est cependant erroné de considérer, à ce stade, NGEU comme un moment « hamiltonien » ou comme l’acte fondateur d’une Europe fédérale : NGEU est limité dans sa portée et dans sa durée ; il ne reprend pas les dettes passées des États membres et il n’a pas créé de capacité de dépenses (d’investissements) communes. Et c’est peut-être bien là que réside sa principale faiblesse et sa principale voie d’amélioration. La pandémie et la réponse économique forte que lui ont apportée les États européens ont indiqué qu’ils pouvaient partager des objectifs communs et cruciaux : la relance, la résilience, la transition écologique et la digitalisation. Il manque cependant une capacité budgétaire centrale pour mieux relier les défis de long terme avec un instrument adapté à cet horizon. D’où l’idée de pérenniser NGEU.

En guise de préambule à une éventuelle pérennisation de NGEU, une autre partie de l’étude pose la question de savoir quelle serait la tâche principale confiée à un instrument budgétaire central permanent. Une réponse évidente est la fourniture et le financement des biens publics européens (définis au sens large pour englober les notions de sécurité et de protection de l’environnement) que les États membres peuvent ne pas fournir en quantité suffisante, en raison d’un manque de ressources et/ou d’externalités. Concernant la fourniture de biens publics, il faut rappeler que les préférences des citoyens sont assez homogènes au sein de l’UE et qu’il existe une demande croissante pour que certains d’entre eux soient fournis au niveau de l’UE. À titre d’exemple, 86 % des citoyens de l’UE sont en accord avec la réalisation d’investissements dans les énergies renouvelables menés au niveau de l’UE. Même la production d’équipements militaires par l’UE remporte de plus en plus l’adhésion des citoyens avec 69 % d’entre eux « d’accord ou tout à fait d’accord ». Une fourniture de biens publics au niveau européen plutôt que national permet en outre la réalisation d’économies d’échelle clairement palpables, par exemple, dans le domaine des infrastructures. Last but not the least, elle trouve une justification dans sa capacité à « faire l’Europe » par des actions concrètes et à renforcer le sentiment européen. Bien évidemment, le débat sur une capacité budgétaire centrale devra être mené parallèlement à celui sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance afin de garantir la création d’un espace budgétaire (ou de marges de manœuvre complémentaire) dans l’UE.

L’étude souligne alors qu’il existe peu d’options pour créer une capacité budgétaire centrale dans le cadre institutionnel actuel. Les traités définissent un cadre budgétaire (centré sur le cadre financier pluriannuel, CFP) pour l’UE qui lie les dépenses à la capacité de lever des ressources, limitant ainsi fortement, en temps normal, la capacité de lever de la dette. La création d’instruments financiers spéciaux et la décision de dépenser au-delà des plafonds du CFP sont explicitement liées à des circonstances exceptionnelles et ne peuvent constituer une solution pour la fourniture récurrente de biens publics. Le relèvement du plafond des ressources propres de 0,6 point, pour le porter à 2 % du RNB [2] a permis de garantir que les opérations d’emprunt d’un montant sans précédent respectent le principe constitutionnel d’équilibre budgétaire.

Cependant, cette augmentation n’a été approuvée qu’en raison de son caractère exceptionnel et temporaire, le plafond des ressources propres pour les paiements devant être ramené à 1,40 % du RNB dès lors que les fonds auront été remboursés et que les engagements auront cessé d’exister. Même si un financement pérenne devait être attribué à l’instrument NGEU, sa capacité d’intervention resterait limitée. Conformément à sa base juridique (article 122 TFUE), NGEU est un instrument de gestion de crise dont l’activation est liée à la survenance ou au risque de circonstances exceptionnelles. La législation européenne interdit, par principe, à l’UE d’utiliser des fonds empruntés sur les marchés des capitaux pour financer des dépenses opérationnelles.

L’étude examine d’autres dispositions juridiques qui pourraient contribuer au financement des biens publics mais quelle que soit la base juridique choisie, (a) l’UE ne dispose pas d’un instrument financier général polyvalent qu’elle pourrait activer, en plus du budget général, pour financer des actions et des projets sur une longue période ; et (b) l’UE ne peut pas accorder de fonds pour financer des actions en dehors de son domaine de compétence, c’est-à-dire se substituer aux États membres dans des domaines où ceux-ci conservent la compétence de leurs politiques. Par conséquent, la révision des traités ou la mise en place de nouveaux accords intergouvernementaux (sur le modèle du Mécanisme européen de stabilité) semble inévitable si l’on veut créer une capacité budgétaire centrale.

Partant de la seconde option, l’étude propose qu’une agence européenne de l’investissement public voie le jour, comme première étape vers la création d’une capacité budgétaire centrale. Cette agence aurait pour fonction de planifier des projets d’investissement et de les mettre en œuvre, en coopération avec les États membres. En raison de la législation européenne, l’agence n’aurait pas un contrôle total sur les choix stratégiques mais agirait principalement dans les limites fixées par les feuilles de route des institutions de l’UE. Néanmoins, elle aurait la capacité administrative de concevoir des projets d’investissement public qui font actuellement défaut à la Commission et elle pourrait se voir confier le contrôle de l’attribution des subventions, des lignes directrices techniques, du suivi de la conditionnalité, etc.

La dernière partie de l’étude rappelle cependant que même des progrès substantiels en matière de capacité budgétaire centrale ne devraient pas occulter la nécessité que des politiques budgétaires nationales soient elles aussi mises en œuvre et qu’une coordination étroite entre elles soit assurée. Alors que des pouvoirs croissants sont transférés au niveau européen en matière de biens publics, comme on peut le constater par exemple avec le Pacte vert européen et avec le ciblage des dépenses allouées au titre de NGEU vers le verdissement et la digitalisation, la question de la coordination des politiques des gouvernements nationaux entre eux et avec les politiques mises en œuvre au niveau central demeure. La coordination des politiques, qui limite nécessairement l’autonomie des parlements nationaux, soulève la question de la légitimité démocratique des politiques de l’UE et peut entraîner une forme de dépolitisation de la politique budgétaire. Cela deviendrait encore plus problématique si l’UE transférait, au niveau supranational, certaines des décisions concernant les biens publics à fournir et auprès de qui les financer. Pour éviter une telle déconnexion entre le renforcement macroéconomique européen autour des biens publics et la dimension démocratique de cette orientation, il ne faut sans doute rien de moins qu’un bond en avant dans la création d’une Europe politique à deux niveaux démocratiques avec une démocratie européenne authentique – car fondée sur un véritable pouvoir budgétaire parlementaire européen lui-même relié aux préférences des électeurs européens – mais pleinement articulée avec les démocraties nationales aux marges budgétaires recouvrées.


[1] L’incohérence entre la nécessité de relancer l’économie européenne après la pandémie et un versement très graduel des fonds est discutée par Creel (2020).

[2] RNB : Revenu national brut défini comme le PIB plus les revenus nets reçus de l’étranger au titre de la rémunération des salariés, de la propriété, des impôts et subventions nets sur la production.




Budget britannique : du soutien à l’austérité

par Hervé Péléraux

Alors que les derniers comptes nationaux publiés le 22 décembre 2022 font état d’un recul du PIB de 0,3% au troisième trimestre 2022, succédant à une progression de 0,1 % au trimestre précédent, l’inquiétude grandit sur l’éventualité d’une entrée en récession de l’économie britannique. Dans un contexte inflationniste exacerbé depuis le début de 2021, en particulier du fait de la hausse des prix de l’énergie, les gouvernements successifs, Johnson, Truss puis Sunak, ont instauré des mesures de soutien à l’économie en vue d’amortir le choc de pouvoir d’achat et tempérer son impact négatif sur l’activité.



Le 17 novembre dernier, le gouvernement Sunak, entré en fonction le 24 octobre, a présenté un budget qui tranche singulièrement avec les intentions de son prédécesseur, conduit par Liz Truss, démissionnaire après seulement 44 jours de mandat. En effet, l’annonce par l’ancien gouvernement de la mise en place, d’un côté, d’un vaste plan budgétaire de soutien aux ménages et aux entreprises face à la crise énergétique et, de l’autre, de baisse de la fiscalité sur un horizon de cinq ans a laissé dubitatif sur sa viabilité en l’absence de financement et a affolé les marchés.

Pour le moyen terme, le budget présenté par le ministre des Finances britannique, Jeremy Hunt, prend le contrepied de la ligne promue par l’ancien gouvernement et table au contraire sur la rigueur pour prolonger l’effort d’assainissement budgétaire après le choc de la Covid-19 et garantir la maîtrise des finances publiques à cinq ans dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement est toutefois pris en tenaille face à des objectifs contradictoires, entre le soutien aux ménages et aux entreprises à court terme pour atténuer les effets du choc inflationniste et la volonté de garantir la stabilité des finances publiques à moyen terme. Le plan annoncé le 17 novembre se décompose ainsi en trois parties.

L’État pare-chocs contre l’inflation

Un premier train de mesures est mis en œuvre à court terme pour soutenir les ménages confrontés à la hausse des prix, notamment énergétiques. Le dispositif élaboré par le précédent gouvernement pour cet hiver, à savoir le plafonnement des prix du gaz et de l’électricité, est reconduit. Ainsi, pendant l’hiver 2022/2023, les ménages verront en moyenne leur facture d’énergie limitée à 2 500 livres par an, ce qui représente une économie de 900 livres prise en charge par les finances publiques pour un coût global de 24,8 milliards de livres. Ce coût reste bien sûr incertain car il dépend du prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Les dispositions seront moins généreuses durant l’exercice 2023/2024[1], avec une remontée du plafond à 3 000 livres par an, soit une réduction de l’aide de 500 livres et un coût global de la mesure ramené à 12,8 milliards selon le budget. Par rapport aux annonces du gouvernement Truss (26,8 milliards de bouclier fiscal en 2023/2024), 14 milliards pourraient ainsi être économisés sur l’exercice prochain grâce au relèvement du plafond.

Le gouvernement prévoit de réinjecter 90 % de ces 14 milliards en 2023/2024 dans des dispositifs de soutien aux ménages les plus fragiles, avec des versements à 8 millions de ménages : les bénéficiaires de prestations sociales sous condition de ressources recevront des versements de 900 livres, les retraités recevront 300 livres et les bénéficiaires de l’allocation pour les handicapés 150 livres. Le gouvernement a aussi décidé de suivre la recommandation de la Commission sur les bas salaires d’une hausse du salaire minimum de 9,7 % en avril 2023 et les prestations sociales et les retraites publiques augmenteront du montant de l’inflation en octobre 2022, soit de 10,1%.

D’autre part, pour soutenir le secteur productif, le gouvernement a maintenu, tout en le rabotant, le dispositif du gouvernement Truss d’encadrement des factures d’énergie pour les entreprises confrontées à la hausse du coût de l’énergie. Les mesures, instituées pour six mois entre le premier octobre 2022 et le 31 mars 2023, coûteraient 18,4 milliards (contre 29 milliards prévus par l’ancien gouvernement).

La reconduction des mesures d’aides aux entreprises sur l’exercice 2023/2024 n’était pas programmée au 17 novembre 2022, mais une évaluation devait être conduite par le gouvernement afin d’éclairer les décisions futures. Le 9 janvier 2023, le gouvernement a précisé ses intentions quant à la pérennité du « bouclier énergie » pour les entreprises. Ce dernier sera maintenu durant l’exercice 2023/2024, mais sera considérablement diminué en comparaison des dispositions actuelles eu égard à leur coût jugé non soutenable par Jeremy Hunt pour les finances publiques du pays. C’est ainsi que 5,5 milliards de livres sont budgétés pour l’exercice 2023/2024.

Au total, le bouclier énergie ainsi que le soutien aux ménages vulnérables et aux entreprises engage 43,2 milliards de livres pour l’exercice 2022/2023 et 30,6 milliards en 2023/2024. En ajoutant les mesures déjà prises par le gouvernement Johnson depuis mars 2022, l’engagement public atteint 64,2 milliards sur l’exercice 2022/2023 et 45,3 sur le suivant. Ramené à une base calendaire, ce soutien représente 48,2 milliards en 2022 (soit 2,2 points de PIB de 2019) et 50 milliards en 2023, ce qui place, un peu plus tardivement que les autres, le Royaume-Uni parmi les pays du continent européen les plus généreux en termes de soutien à l’économie face au choc inflationniste[2].

L’État garant de la soutenabilité des finances publiques

Au-delà du soutien à l’économie à court terme qui implique une politique très expansionniste, le nouveau gouvernement a exprimé son souci d’afficher une trajectoire des finances publiques « soutenable », c’est-à-dire qui conduit à une baisse du ratio dette/PIB à un horizon de cinq années et à une réduction du déficit en dessous de 3 % du PIB. Pour ne pas entrer en contradiction avec les mesures de soutien décidées pour les exercices 2022/2023 et 2023/2024, alors que le risque d’entrée en récession de l’économie britannique est élevé, le gouvernement a pris soin de n’enclencher le resserrement de la politique budgétaire qu’en 2024/2025.

Le plan d’austérité budgétaire dégage des ressources supplémentaires montant en charge progressivement jusqu’à 55 milliards de livres en 2027/2028, réparties entre des hausses d’impôts à hauteur de 45 % (25 milliards en 2027/2028) et des baisses de dépenses à hauteur de 55 % (30 milliards). Côté impôts sur les ménages, le gouvernement a prévu d’abaisser le seuil d’imposition des revenus au taux de 45 % de 150 000 à 125 140 livres en avril 2023, de geler les barèmes de l’impôt sur le revenu et les droits de succession aux niveaux actuels pendant deux années supplémentaires jusqu’en avril 2028, de diviser par quatre les crédits d’impôts sur les dividendes et les plus-values à partir de 2024/2025 et de limiter au 31 mars 2025 la baisse des droits sur les transactions immobilières décidée par le précédent gouvernement.

La baisse de l’impôt sur les sociétés à 19 % envisagée par Liz Truss est annulée et le taux sera porté  à 25% en avril 2023, comme annoncé avant l’arrivée de Liz Truss. Le barème des cotisations sociales sera maintenu au niveau actuel entre avril 2023 et avril 2028. En outre, les superprofits des entreprises énergétiques seront davantage taxés, avec la prolongation du dispositif actuel jusqu’en mars 2028 et l’augmentation du taux d’imposition de 25 à 35 % le premier janvier 2023 (14 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). De plus une taxe de 45 % sur les profits des producteurs d’électricité sera créée en janvier 2023 (4 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). Le gouvernement reste toutefois préoccupé par les tensions que génère l’inflation sur le système productif et a prévu une aide cumulée aux entreprises de 13,6 milliards jusqu’à 2027/2028, passant principalement par le levier des impôts locaux.

Côté dépenses, le gouvernement prévoit la mise en place d’un plan d’économies s’appuyant principalement sur le ralentissement de la progression des dépenses publiques qui ne devra pas excéder l’inflation de plus de 1 point. L’effort sera toutefois engagé à partir de l’exercice 2025/2026 tandis que certaines dépenses concernant les services publics prioritaires (santé, protection sociale et écoles) seront augmentées au cours des deux prochains exercices.

Les marchés rassérénés

En termes d’impulsion budgétaire, l’année calendaire 2022 apparaît comme la plus dispendieuse en réponse à la situation d’urgence créée par la hausse spectaculaire de l’inflation (graphique 1). En 2023, le redéploiement de la quasi-totalité des ressources libérées par la diminution du bouclier énergie vers les ménages les plus fragiles et le maintien d’un « bouclier entreprises » permettra de maintenir globalement l’engagement du gouvernement dans le plan d’urgence, sans toutefois générer d’impulsion supplémentaire significative. En revanche, en 2024, le retrait des dispositifs d’aide à court terme et l’entrée en vigueur du plan d’économies budgétaires seront à l’origine d’une impulsion budgétaire très négative, de -1,2 point de PIB. À l’horizon 2027, les dispositions annoncées par le gouvernement Sunak maintiendront une impulsion budgétaire négative, voisine de 0,5 point de PIB chaque année.

La réalisation de telles projections à un horizon de cinq années reste toutefois hypothétique. Tout d’abord, un nouveau budget sera présenté le 15 mars. Ensuite, des élections générales auront lieu d’ici la fin 2024. Une grande incertitude prévaut donc sur l’application de ce plan. Quoi qu’il en soit, les annonces de novembre 2022 ont atteint l’objectif d’apaiser les marchés financiers puisque le rendement des obligations d’État à 10 ans était retombé, au premier décembre 2022,à son niveau d’avant les annonces budgétaires du gouvernement Truss à la rentrée (graphique 2). Dans la foulée, la livre, après s’être dépréciée de 5 % entre le 6 et le 28 septembre 2022, était aussi revenue à son niveau de début septembre.


[1] Au Royaume-Uni, l’exercice budgétaire commence le 1er avril et se termine le 31 mars de l’année suivante.

[2] Voir « Du coup de chaud au coup de froid », Département Analyse et Prévision, Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, 12 octobre 2022, pp. 35-41.




Budget 2023 et bouclier tarifaire : une évolution artistique

par Xavier Ragot

L’économiste Paul Samuelson définissait la politique économique comme un art : l’art de définir les principales priorités et les moyens adéquats.  C’est à cette définition qu’il faut juger le projet de Loi de finances 2023 tant il contient une approche inédite de la politique économique. On peut la résumer facilement :  le choix a été fait de consacrer 45 milliards d’euros, soit 1,7 point de PIB, à assurer un contrôle des prix, c’est-à-dire que tarifs réglementés de l’électricité et du gaz ne croissent pas plus de 15% pour les ménages et les petites entreprises en 2023. L’utilisation de l’outil budgétaire pour contrôler les prix participe d’un changement profond de paradigme économique en France comme en Allemagne. On assiste donc à une évolution de l’art de la politique, différente néanmoins selon les pays. Si les pays ont maintenant recours à la dette publique, la différence entre les outils utilisés est manifeste : baisse des impôts, transferts, contrôle des prix, etc. C’est dans cette grande divergence qu’il faut tout d’abord placer le débat français.



Mise en perspective internationale : le retour de la politique budgétaire

La question de l’inflation aux États-Unis est riche de leçons pour l’Europe. La hausse de l’inflation américaine n’est pas principalement le fait de la hausse des prix de l’énergie mais de la gestion de la crise Covid. Les États-Unis ont opéré un transfert massif aux ménages afin d’assurer un maintien de leur pouvoir d’achat. Les montants transférés, bien supérieurs aux montants français, ont conduit à un surcroît d’épargne qui est partiellement consommé (voir le Graphique 8 du Policy Brief 106 de l’OFCE). Comment gérer un tel choc de demande ? Le paradigme standard, oserais-je dire archaïque, est que c’est à la politique monétaire de lutter seule contre l’inflation. Dans un tel cas, des hausses massives de taux, conduisant éventuellement à une récession, sont un moyen pour lutter contre les hausses de prix et de salaires. Quel gâchis que de créer une récession, et donc une hausse du chômage et des dettes publiques, pour lutter contre l’inflation après avoir dépensé autant d’argent public !

Un second paradigme a émergé récemment (ou plutôt a été redécouvert) qui consiste à utiliser la dette publique pour maîtriser l’inflation. Lorsqu’une baisse de l’inflation se dessine, une stimulation de l’activité par une hausse du revenu des ménages (soit baisse d’impôts soit hausse des transferts) relance l’activité économique. De manière symétrique, et c’est ce qui nous intéresse ici, une inflation trop forte du fait d’un surcroît d’activité doit conduire à une hausse des impôts pour réduire à la fois la dette publique (ou financer des investissements nécessaires, comme pour la transition écologique) et réduire l’inflation. Ce paradigme porte le nom, inadéquat d’ailleurs, forgé par Abba Lerner de « finance fonctionnelle » (le terme de « keynésianisme intelligent » serait plus pertinent, que l’on présente  ici avec Côme Poirier). Pour l’écrire plus directement, c’est le moment d’augmenter les impôts aux États-Unis plutôt que d’augmenter les taux d’intérêt pour réduire la dette, lutter contre l’inflation et financer les investissements nécessaires. Arrêtons-nous sur cette dernière affirmation car elle est aussi une leçon pour le débat français :  ce qui fait sens pour un économiste ne fait aucun sens pour les politiques. Au moment où le pouvoir d’achat des ménages est érodé par l’inflation, quel homme ou femme politique va défendre une hausse des impôts pour réduire encore plus le pouvoir d’achat des ménages dans leur propre intérêt ? Il faudrait bien sûr tenir compte des inégalités, faire des hausses différenciées d’impôts qui seraient au cœur d’un intense débat politique. Á l’heure ou le débat budgétaire est bloqué aux États-Unis par les tensions politiques du mid-term, cette paralysie conduit à l’utilisation archaïque du seul outil disponible, l’outil monétaire, qui va détruire des ressources utiles. Les États-Unis nous montrent le coût économique d’un débat politique bloqué. Cette constatation plaide pour un système fiscal et des dépenses  davantage contra-cycliques et des stabilisateurs automatiques plus puissants.

Le Royaume-Uni maintenant : pays où la politique budgétaire n’est pas bloquée ! On peut affirmer qu’économiquement, la politique récente de Liz Truss fait peu de sens. Le choix d’une baisse massive d’impôts, notamment pour les entreprises et les ménages aisés, dans une période d’inflation haute, de dépréciation de la monnaie, de contraintes sur la production, des conséquences du Brexit, va conduire à une hausse de la dette publique, de l’inflation, des inégalités, avec un effet très faible, voire négatif — du fait de la hausse des taux d’intérêt — sur la croissance et le chômage. La hausse de la dette publique n’est pas un objectif en soi !

Ainsi, une hausse de la dette est à prévoir à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni mais pour des raisons différentes. Ces deux exemples montrent la singularité du choix français qui est de bloquer pour tous les ménages la hausse des prix règlementés de l’énergie, gaz et électricité, de 15% en 2023 pour un coût brut de 45 milliards. La hausse des prix de l’énergie conduit par ailleurs à des recettes supplémentaires pour l’État français car le prix de rachat pour les énergies renouvelables devient inférieur aux prix de marché. La différence entre la subvention initialement prévue et le gain maintenant estimé réduit le coût net de l’ordre de 29 milliards, selon la communication du gouvernement. Cependant, les recettes issues des prix de rachat n’étant pas affectées, elles auraient pu servir à un tout autre objectif. Ainsi, c’est bien le coût brut de 45 milliards qu’il faut considérer.

Ainsi, le bouclier tarifaire est donc un mécanisme de contrôle partiel des prix. Ce contrôle est aussi débattu au niveau européen sur le prix du gaz russe. Contrairement à l’analyse ancienne, dont un exemple est Galbraith « A theory of price control », ce contrôle des prix concerne un bien essentiellement importé, le gaz, qui sert partiellement à produire sur le territoire l’électricité, dont certains prix sont déjà réglementés. Il faut donc faire l’analyse économique de cette nouvelle forme de contrôle des prix dans le cas français.

Bouclier tarifaire : considérations microéconomiques

Avant de considérer les effets économiques globaux, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, il s’agit du contrôle d’un niveau général d’un prix, ce qui va bien au-delà du maintien du pouvoir d’achat. Plus précisément le maintien du pouvoir d’achat est le même pour tous les ménages ayant un tarif réglementé, 15% de hausse des prix. Le dispositif annoncé de chèque énergie exceptionnel de 100 euros ou de 200 euros pour les ménages modestes a un effet plus ciblé. L’objectif du seul maintien du pouvoir d’achat aurait pu mobiliser des outils différents. Des transferts ciblés aux ménages plus conséquents, en tenant compte des consommations énergétiques passées, du niveau de revenu, des dépenses contraintes. Plusieurs dispositifs ont été proposés comme une tarification non-linéaire du prix de l’énergie pour assurer une fourniture minimale aux ménages et faire payer les plus gros consommateurs. Ces mesures auraient permis de tenir compte plus finement des besoins des ménages. Cependant, leur complexité est réelle car les différences sont très grandes entre ménages ayant un même niveau de revenu, comme le montrent des travaux de l’ADEME et de l’OFCE. L’intérêt d’un bouclier tarifaire est la simplicité de mise en œuvre, mais il est loin de résoudre la question des effets de la crise énergétique sur les inégalités entre les ménages.

Ensuite, concernant le pouvoir d’achat moyen des ménages, il faut noter que les transferts envers les ménages pendant la période de Covid ont généré un surcroît d’épargne de l’ordre de 176 milliards d’euros, selon les dernières estimations de l’OFCE. Ainsi, les ménages français, en moyenne, ne sortent pas appauvris en terme patrimonial de la crise Covid, ce qui est la contrepartie de la hausse de la dette publique finançant ces transferts. De ce fait, le soutien aux ménages doit être considéré sous l’angle de la pauvreté et des inégalités (car tous les ménages n’ont pu épargner, l’épargne étant concentrée sur les déciles les plus élevés), non comme une question moyenne.

Le deuxième enjeu concerne les incitations à la réduction de la consommation d’énergie, de manière conjoncturelle pour faire face aux réductions des livraisons russes, et de manière structurelle pour respecter nos engagements climatiques. La hausse de 15% du prix de l’énergie conduira certes à une réduction de la consommation de l’énergie mais d’un montant inférieur à ce qui est nécessaire pour équilibrer la demande et l’offre. D’autres outils sont nécessaires pour conduire à une réduction de la consommation de l’énergie. La hausse des prix du bouclier tarifaire ne suffira pas. Certes, une justification à cette hausse limitée généralisée repose sur une maîtrise des coûts, notamment pour les ménages les plus pauvres, et à la difficulté mentionnée plus haut d’identification des ménages ayant un coût énergétique élevé. Cependant, les outils d’identification devront être mis en place afin d’introduire des mesures efficaces d’incitations fiscales et réglementaires encourageant les réductions de consommation d’énergie.

Bouclier tarifaire : l’analyse macroéconomique

Le coût budgétaire en partie financé par la dette n’est donc pas seulement un mécanisme de soutien au pouvoir d’achat des ménages. Tout d’abord, l’inflation perçue par les ménages est moindre du fait du bouclier tarifaire ; les estimations indiquent un effet direct de 2,1% sur l’inflation en 2022. Cette inflation réduite conduit à une réduction de la hausse des salaires nécessaires au maintien du pouvoir d’achat.

L’effet macroéconomique dépend alors de la situation européenne. Si la France est la seule à mettre en place un tel bouclier, l’inflation française restera plus faible que celle des autres pays ; cela s’apparente donc à une dévaluation interne. En effet, la moindre hausse des coûts de production par rapport aux autres pays se traduit par des hausses moindres de prix d’exportations dont peuvent bénéficier les exportateurs français. Cette dévaluation interne est la bienvenue car le principal problème de l’économie française est la faiblesse de ses exportations. Les estimations, avant la crise énergétique, étaient que le niveau des prix de la France était surévalué de l’ordre de 10% par rapport à la moyenne de la zone euro (voir le graphique 10, ici). L’effet de long terme de cet écart de prix ne dépendra pas de l’effet direct du bouclier fiscal qui est amené à disparaître. Il dépendra de la dynamique des salaires (effets de second tour) et des prix induits (effets de troisième tour) qui doivent être temporairement plus faibles que ceux des autres pays. Ainsi, si les niveaux d’inflation viennent à reconverger entre les pays de la zone euro, ce qui est le plus probable, le bouclier tarifaire peut avoir un effet persistent sur le niveau des prix sans en avoir sur son taux de croissance. S’il faut prendre ces estimations avec prudence, le lent rétablissement de la balance commerciale hors énergie montre qu’une amélioration de compétitivité est utile si elle est durable. Dans la période actuelle, les difficultés d’approvisionnement rendent les effets de seul court terme peu utiles.

Ensuite, si les autres pays de la zone euro s’engagent dans une même politique, soit du fait de la coordination de politique nationale, comme celle qui est discutée en Allemagne en ce moment, soit du fait d’une coordination européenne, alors c’est l’inflation moyenne de la zone euro qui sera réduite. De ce fait, la pression sera moindre sur la banque centrale pour remonter ses taux et lutter contre l’inflation. En d’autres termes, l’effet du budget sur les prix (en réduisant l’inflation par un soutien budgétaire) permettra une politique monétaire plus accommodante. Si la quantification des effets est des plus incertaines, l’exemple des États-Unis montre le danger de reposer sur la seule politique monétaire pour lutter contre l’inflation, encore plus du fait d’un choc énergétique externe.

L’évaluation de ces effets avec les outils de prévision de l’OFCE ou le modèle Threeme a conduit l’OFCE à des estimations du gain en 2022 du bouclier tarifaire et de la remise carburant. Il conduirait à une réduction directe de l’inflation de 2,1% pour un gain de PIB de l’ordre de 0,8%. Pour 2023, les estimations de l’effet sur l’inflation seraient une réduction de l’inflation supérieure à 3% et un gain en PIB à 1,5 %. Ces estimations seront affinées avec des précisions sur le budget 2023 dans le cadre des prévisions de l’OFCE. Cet ordre de grandeur montre qu’à court terme, le bouclier tarifaire n’augmente pas la dette rapportée au PIB de 1,7%, mais seulement de 0,2% du fait de l’effet sur le PIB. Les effets de long terme sont plus difficiles à estimer car ils dépendent du niveau des taux d’intérêt et de la vitesse de rétablissement du PIB. Dans tous les cas, la réduction de la dette publique dépendra d’une stratégie plus vaste d’évolution des dépenses et recettes à long terme.

Les quatre questions sur le bouclier tarifaire

L’analyse macroéconomique précédente est une défense modérée du contrôle partiel des prix. Cependant, quatre questions principales sont maintenant importantes.

La première, évoquée plus haut, concerne la nature des outils fiscaux ou réglementaires afin de maîtriser les effets sur les inégalités d’une part et d’inciter les gros consommateurs d’énergie à réduire leur consommation d’autre part. Ces derniers sont plus nombreux parmi les ménages aisés pour lesquels un signal prix en hausse de 15% sera insuffisant. Ensuite, le chèque de 100 euros, augmenté de 100 euros, va générer des effets de seuils qu’il faudra lisser. Des dispositifs additionnels sont donc nécessaires sinon il y a un risque que le bouclier tarifaire soit perçu comme une subvention partiellement financée par le gain issu du mécanisme de compensation et du prix de rachat des énergies renouvelables.

La deuxième question tout aussi importante concerne les entreprises. Le bouclier tarifaire concerne les ménages et les petites entreprises, PME et TPE. Dans le cadre du budget 2023 une enveloppe de 3 milliards semble reportée pour aider les entreprises énergie-intensives. Qu’en est-il des autres entreprises ? Ne risque-ton pas une déstabilisation du tissu productif par une hausse brutale du prix de l’énergie. Cette question a créé un vif débat parmi les économistes. Des travaux d’économistes sur le cas allemand, repris par un focus du CAE, conduisaient à un effet faible sur les entreprises, soit parce qu’elles pouvaient reporter la hausse des prix sur les prix de vente, soit parce qu’elles pouvaient substituer d’autres sources aux énergies concernées. Les travaux récents de François Geerolf nuancent cette estimation optimiste. Ainsi, des outils de suivi des entreprises et la réflexion sur des outils spécifiques doivent être menés pour identifier les zones de faiblesse sans dépenses inutiles d’argent public.

La troisième question concerne la stratégie de sortie du boulier tarifaire. Ce contrôle partiel des prix ne peut durer indéfiniment car le coût budgétaire est élevé. Cette stratégie de sortie dépend bien sûr de l’anticipation des prix de l’énergie pour laquelle la plus grande incertitude prévaut. Si ces derniers reviennent à des niveaux plus modérés, ce que l’on observe pour les prix du pétrole, alors l’intérêt du bouclier tarifaire disparaîtra de lui-même. Par exemple, le soutien à la réduction du prix des carburants a disparu du PLF 2023 du fait de la réduction des prix du pétrole. Ensuite, si les prix restent élevés, une augmentation progressive et annoncée du prix de l’énergie permettra de donner de la visibilité aux ménages pour investir dans la réduction de la consommation énergétique tout en réduisant le coût budgétaire.

La quatrième question est bien évidemment la question de la politique pour faire rapidement évoluer l’offre énergétique. Le bouclier tarifaire conduit à un possible maintien de la demande énergétique à un niveau élevé par rapport à l’offre énergétique domestique. Les politiques en faveur de la hausse des capacités électriques et énergétiques nette (renouvelable, nucléaire) et de la réduction de la consommation dans le cadre de la stratégie de notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC) demandent des investissements évalués entre 1 et 2 points de PIB. Á long terme, c’est l’investissement le plus rentable. 




Sortir l’investissement public de la cible de déficit en Europe sans perturber la politique monétaire : et si c’était possible ?

par Jérôme Creel

La complexité des règles budgétaires européennes, le nouveau contexte économique avec des écarts très substantiels par rapport aux cibles de déficit mais surtout de dette héritée du traité sur l’Union européenne, et les enjeux de l’atténuation du réchauffement climatique et de la digitalisation réclament sans aucun doute une revue complète du cadre budgétaire européen. Cependant, aucun consensus n’a jusque-là émergé, à la fois sur la nécessité de la réforme du Pacte de stabilité et de croissance et sur la forme qu’elle devrait éventuellement prendre. La raison en tient sans doute pour partie à la difficulté d’appréhender les conséquences concrètes qu’un changement des règles pourrait introduire, par exemple sur l’organisation des autres politiques européennes, au premier rang desquelles figurerait la politique monétaire de la Banque centrale européenne.

Parmi les voies envisageables de réforme budgétaire figure la règle d’or des finances publiques. L’idée de la voir s’appliquer dans l’Union européenne n’est pas nouvelle et la recherche académique autour de sa pertinence a été abondante. Cette règle qui justifie de laisser l’investissement public en dehors de la norme budgétaire à respecter pourrait, par ses effets sur l’activité, l’inflation et la dette publique, avoir une incidence sur la conduite de la politique monétaire dans la zone euro. La hausse de l’investissement contribuerait-elle, par exemple, à augmenter un peu plus l’inflation, obligeant alors la Banque centrale européenne à intervenir ?

Sans évoquer explicitement l’application d’une règle d’or, le comité budgétaire européen a rappelé en juin 2021 que la logique ayant concouru à l’adoption des règles budgétaires sur les déficits et la dette publics en Europe s’inscrivait dans une réflexion sur la nature des interactions stratégiques entre politiques budgétaires et monétaires en Europe. L’argument avancé est le suivant : ces deux types de politique étant supposées poursuivre des objectifs distincts peuvent se trouver en situation de substituabilité stratégique (ou de jeu stratégique de « poule mouillée ») : chaque politique, en poursuivant son objectif, réagit aux conséquences de l’autre politique sur cet objectif en surenchérissant. In fine, la politique monétaire ayant pour objectif de stabiliser les prix devient d’autant plus restrictive que la politique budgétaire est expansionniste ; symétriquement, la politique budgétaire ayant pour objectif de renforcer l’activité est d’autant plus expansionniste que la politique monétaire est restrictive. L’imposition de règles budgétaires et la primauté accordée à la stabilité des prix dans le mandat de la banque centrale indépendante permettent d’échapper à cette surenchère de politiques économiques puisque les gouvernements voient leurs marges de manœuvre limitées. Il s’ensuit un équilibre conservateur : l’objectif de stabilité des prix l’emporte sur l’objectif d’activité. Le comité budgétaire européen rappelle cependant que la crise de Covid-19, inédite, a contribué à la complémentarité stratégique entre les politiques budgétaires et monétaires : dotées d’un objectif commun – la sortie de crise –, elles ont vu leurs effets renforcés par leur coordination. Lorsque la crise sera passée, les deux joueurs, les gouvernements d’un côté et la BCE de l’autre, reprendront leurs objectifs distincts d’avant la crise (voir aussi l’analyse de la BCE et la précision exprimée en fin de page 74).

Il m’a semblé que l’on pouvait utilement s’inspirer de ces réflexions sur les interactions stratégiques entre politiques monétaires et budgétaires européennes pour discuter des inconvénients potentiels d’adopter une règle d’or, en supposant que l’adoption d’une telle règle contribue effectivement à l’augmentation de l’investissement public. Si investissement public et politique monétaire s’avèrent être des substituts stratégiques, l’adoption d’une règle d’or des finances publiques pourrait s’interpréter comme une situation inférieure à l’équilibre institutionnel précédent (règles budgétaires sur le déficit total et primauté de l’objectif de stabilité des prix pour la banque centrale) : le changement de règle budgétaire obligerait, par exemple, la politique monétaire à surenchérir en augmentant ses taux d’intérêt après une hausse de l’investissement public du fait des tensions inflationnistes qu’il aurait engendrées. Pour échapper à la surenchère de politiques économiques, il faudrait associer à l’adoption de la règle d’or des finances publiques une coordination plus étroite entre les politiques budgétaires et la politique monétaire qui complexifierait peut-être un peu la gouvernance économique européenne. À l’inverse, si l’investissement public et la politique monétaire s’avèrent être des compléments stratégiques, l’adoption d’une règle d’or des finances publiques en Europe pourrait s’interpréter comme renforçant la stabilité économique et comme étant supérieure à l’équilibre institutionnel précédent. Il y aurait là un argument supplémentaire à l’adoption d’une règle d’or des finances publiques en Europe.

Dans un article paru récemment, j’ai donc étudié la substituabilité ou la complémentarité stratégique entre politique monétaire et investissement public, afin de mieux cerner leurs besoins de coordination dans l’Union européenne, a priori plus élevés en cas de substituabilité stratégique qu’en cas de complémentarité stratégique. Pour cela, j’ai utilisé un modèle vectoriel-autorégressif en panel en données annuelles entre 1995 et 2020 pour l’ensemble des pays de l’Union européenne à 27. L’exercice reste exploratoire, le modèle sous-jacent est réduit à 4 variables (taux d’intérêt de long terme, taux d’inflation, investissement public et dette publique) et ses résultats ne doivent pas être surestimés. Ils témoignent cependant d’une situation assez intéressante (voir figure ci-dessous) : un choc sur l’investissement public n’a pas d’impact défavorable sur l’inflation et ne fait pas remonter les taux d’intérêt.  Pour l’expliquer, on peut arguer du fait que l’investissement a à la fois un effet favorable sur la demande et sur l’offre. Dans le même temps, la hausse des taux d’intérêt ne conduit pas à une modification de l’investissement public, tout cela dans le cadre budgétaire européen actuel.

Ces résultats empiriques tendent à montrer qu’investissement public et politique monétaire ont jusque-là agi de manière complémentaire, ce qui pourrait alors justifier de relâcher les contraintes pesant sur les politiques budgétaires. Cela ne devrait cependant pas se faire sans un contrôle régulier des liens entre politique monétaire et investissement public dans le nouveau cadre budgétaire et sans une coopération politique renforcée sur la nature des investissements publics effectivement réalisés.




L’économie européenne sous présidence française

par Jérôme Creel

La nouvelle édition de L’économie européenne 2022 se concentre cette année sur les enjeux de l’après-crise de la Covid-19 pour le fonctionnement de l’Union européenne et principalement sur les questions budgétaires et monétaires. Elle éclaire ainsi quelques-uns des projets annoncés fin 2021 pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Depuis le 1er janvier 2022, la France a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne pour un semestre. À ce titre, la France va établir les objectifs à long terme de l’Union européenne et élaborer un programme définissant les thèmes et les grandes questions qui seront traités par le Conseil. Elle ne le fera cependant pas seule et pas seulement pour six mois car la règle en vigueur inscrite dans le Traité de Lisbonne depuis 2009 veut que chaque État membre présidant le Conseil de l’Union européenne établisse ses objectifs et le programme avec les deux autres États qui le précéderont ou lui succéderont dans ce rôle. La France formera ainsi un trio avec la Tchéquie et la Suède. La continuité des travaux du Conseil est donc assurée sur des périodes successives de 18 mois.



Toujours depuis 2009 et le Traité de Lisbonne, la présidence du Conseil de l’Union européenne se distingue de la présidence permanente du Conseil européen dont le rôle est principalement d’ordre administratif (préparation des Conseils) ou de représentation (lors des sommets internationaux). La présidence du Conseil de l’Union européenne conserve un rôle d’impulsion des travaux législatifs du Conseil tandis qu’elle partage avec la présidence du Conseil européen un rôle d’intermédiaire et de producteur de consensus entre les États membres, objectif devenu de plus en plus complexe et donc crucial, à réaliser au fil des élargissements de l’Union européenne.

La présidence française a ceci de particulier qu’elle précédera une période de vacance d’une année d’un représentant de la zone euro à la présidence tournante. Cela n’est sans doute pas sans importance dans le choix de la France de certains grands chantiers de réforme pour le premier semestre 2022, notamment celui du cadre budgétaire européen.

Les priorités de la présidence française se reflètent dans la devise qu’elle a adoptée : « Relance, Puissance, Appartenance » : la relance pour permettre à l’Union européenne de réussir les transitions écologique et numérique ; la puissance pour défendre et promouvoir les valeurs et les intérêts des Européens ; et enfin l’appartenance par la culture, les valeurs et l’histoire commune. Dans son discours du 9 décembre 2021 en vue de présenter les priorités de la présidence française, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a défini trois grands axes autour desquels s’articuleront les activités de la présidence : mettre en œuvre un agenda pour une souveraineté européenne, bâtir un nouveau modèle européen de croissance et créer une Europe à taille plus « humaine » dont le point d’orgue pourrait être la conclusion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en mai 2022.

La défense de la souveraineté européenne consistera à maîtriser les frontières en poursuivant trois axes : la gestion des flux migratoires, la politique de défense et la stabilité et la prospérité du voisinage direct de l’Union européenne. La gestion des flux migratoires passera par un pilotage politique plus régulier de l’espace Schengen de libre circulation des personnes et par une meilleure organisation des flux migratoires extra-européens, notamment par l’harmonisation des règles en matière d’asile ou d’accompagnement des réfugiés ou des migrants. Sur les questions de défense, devenues sans doute plus urgentes après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la présidence française ambitionne de présenter l’état des menaces stratégiques qui pèsent sur l’Union européenne et d’aboutir, après les travaux menés depuis la présidence allemande notamment, à la définition d’une souveraineté stratégique européenne. Pour assurer une meilleure stabilité de son voisinage direct, principalement l’Afrique et les Balkans, la présidence française vise à intensifier les investissements européens, y compris dans les domaines de l’éducation, de la santé et du climat.

Du côté de l’agenda de croissance, la France poursuit les ambitions de la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen en faveur de la transition vers une économie bas carbone et vers la digitalisation et la création d’un marché unique du numérique. Pour cela, la présidence française souhaite parachever l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux. Elle envisage également que les règles budgétaires européennes accordent la priorité aux investissements nécessaires à l’achèvement de cette double transition. La présidence française souhaite aussi améliorer l’équilibre entre ambition climatique, justice sociale et maintien de la compétitivité. Pour cela, elle espère la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et l’adoption de clauses de réciprocité (ou clauses miroirs) dans les exigences environnementales et sociales des futurs accords commerciaux. Enfin, la France veut contribuer à la création de « bons emplois », qualifiés, de qualité et mieux rémunérés. Sur le plan européen, cela passera par l’adoption des directives sur le salaire minimum en Europe et sur la transparence salariale pour renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’ouvrage L’économie européenne 2022, s’il cherche à analyser en priorité les enjeux de l’après-crise de la Covid-19 pour le fonctionnement de l’Union européenne, et principalement les débats budgétaires et monétaires qu’ils soulèvent, éclaire également certains projets de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

L’ouvrage présente tout d’abord un état des lieux conjoncturel de la zone euro. Coordonné par Christophe Blot, le chapitre expose les conditions de la reprise économique en 2022, notamment le maintien de conditions monétaires souples et le renoncement à l’austérité budgétaire précoce dans un contexte sanitaire en voie d’amélioration. L’incertitude prévaut cependant quant à l’intensité de la reprise attendue, et ce d’autant plus désormais qu’à la crise sanitaire succède une crise géopolitique majeure sur le continent européen.

L’ouvrage dresse ensuite un premier bilan du nouvel outil de gestion Next Generation EU (par Caroline Bozou, Jérôme Creel et Francesco Saraceno). Ce programme européen est dédié à la reprise et à la résilience après la crise de la Covid-19. Le chapitre présente les différentes innovations du programme, ses effets économiques attendus et les conséquences qu’elles pourraient avoir sur l’intégration budgétaire future des États membres.

Le chapitre suivant (par Christophe Blot, Caroline Bozou et Jérôme Creel) revient sur la révision stratégique de la Banque centrale européenne intervenue en juillet 2021. Le chapitre discute des raisons qui doivent inciter les banques centrales à revoir leur stratégie de politique monétaire à intervalles réguliers. Il présente ensuite les différents éléments de cette révision en mettant l’accent sur la définition de la cible d’inflation avant d’exposer des stratégies de révision alternatives qui tolèreraient des écarts plus durables et plus importants de l’inflation à sa cible.

Le quatrième chapitre (par Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco et Matthieu Tarbé) s’interroge sur la nature des relations entre politique monétaire et politique budgétaire : complémentaires afin de poursuivre les mêmes objectifs ou substituables car poursuivant des objectifs distincts ? Dans le premier cas, le besoin de coordination est généralement moins grand que dans le second. Le chapitre montre qu’avec l’avènement des politiques monétaires non conventionnelles, les besoins de coordination se sont plutôt renforcés, un point à garder à l’esprit dans les réformes à venir du cadre budgétaire européen.

Les deux chapitres qui suivent (l’un par Jérôme Creel et Xavier Ragot, l’autre par Xavier Timbeau) reviennent sur plusieurs changements structurels qui modifient la réflexion sur les règles budgétaires européennes : la montée importante des dettes publiques nationales, les charges d’intérêt au plus bas et l’émission d’une dette européenne commune. Le premier des deux chapitres expose les nombreuses propositions de réforme. Dans ce contexte inédit, deux voies de réforme du cadre budgétaire européen semblent souhaitables : l’une, radicale, avec le passage d’une coordination par des critères numériques à une coordination politique des politiques budgétaires, et l’autre, plus incrémentale, avec des règles assouplies associées à la pérennisation de NGEU. Le deuxième chapitre utilise la modélisation Debtwatch pour quantifier l’impact de différents scénarios de réduction des dettes publiques en Europe. La réduction des dettes imposerait à une bonne partie des États membres de la zone euro une austérité longue et peu compatible avec les autres objectifs à moyen et long terme, et ce sans gain économique véritable par ailleurs.

Le septième chapitre (par Catherine Mathieu) présente un bilan de l’application de l’accord du 24 décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le commerce de marchandises, la pêche, les services financiers, et l’Irlande du Nord. Les indicateurs suggèrent que le Brexit a eu un impact sur l’économie britannique qui reste cependant difficile à distinguer de celui du choc provoqué par la crise sanitaire.

Enfin, le dernier chapitre (par Tom Bauler, Vincent Calay, Aurore Fransolet, Mélanie Joseph, Eloi Laurent et Isabelle Reginster) expose les enjeux et les défis de la « transition juste » en Europe en proposant une définition claire et opérationnelle de cette notion. Il en explore ensuite les voies d’opérationnalisation au niveau politique. Enfin, il propose l’ébauche de tableaux de bord utiles à la mise en place d’une action publique dédiée aux objectifs de transition juste.

Le présent ouvrage ne traite pas de l’ensemble des grands axes de la présidence française du Conseil de l’Union européenne mais les lecteurs intéressés pourront toujours utilement se reporter aux éditions précédentes qui livrent des analyses toujours d’actualité sur certains d’entre eux. Je pense notamment aux chapitres sur « L’Europe au défi de la nouvelle immigration » (par Grégory Verdugo), sur « L’Europe face aux défis numériques » (par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou) et sur les « Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen » (par Éric Heyer et Pierre Madec) de l’édition de 2019, à ceux sur « La dette climatique en Europe » (par Paul Malliet et Xavier Timbeau) et sur « Polarisation et genre sur le marché du travail » (par Guillaume Allègre et Grégory Verdugo) de l’édition de 2020, ou encore à celui sur « Le Green Deal européen : juste une stratégie de croissance ou une vraie transition juste ? » (par Éloi Laurent) de l’édition de 2021.

Le présent ouvrage partage ainsi avec son objet, l’économie européenne, une dimension de continuité et de longue haleine.




Pour l’instauration d’un dialogue budgétaire en Europe

par Jérôme Creel

La succession des crises a renouvelé l’intérêt pour une
réforme du cadre budgétaire européen (voir, par exemple, OFCE
Policy Brief
2021
). Parmi les très nombreuses propositions de réforme des
règles sur les déficits, les dépenses ou les normes, seules quelques-unes
mentionnent la dimension démocratique du processus budgétaire européen à mettre
en œuvre.



Aussi, en complément des propositions de normes budgétaires
(fiscal standards) de Blanchard et
al.
(2021)
, j’ai récemment plaidé (Creel,
2021
) en faveur d’une responsabilité accrue des politiques budgétaires
nationales vis-à-vis d’un organe démocratique européen et proposé d’établir un
dialogue budgétaire entre les gouvernements de l’UE et le Parlement européen
(PE).

Propositions récentes
et leur mise en application

L’application des règles ou de nouvelles normes budgétaires
soulève la question de leur mise en œuvre et des institutions qui en sont
chargées. Blanchard et al. (2021), et Martin
et al. (2021)
dans une certaine mesure, préconisent un rôle de
surveillance plus important pour le Comité budgétaire européen (CBE) et/ou la
Commission européenne, ainsi qu’un organe judiciaire pour statuer sur les
différends. Ceci peut poser un certain nombre de problèmes. Si la Commission et
le CBE possèdent les compétences techniques nécessaires à la surveillance
budgétaire, ils ne disposent pas de la jurisprudence nécessaire pour jouer le
rôle d’arbitre. De plus, le CBE n’est qu’un comité consultatif sur les
questions budgétaires et devrait voir ses statuts révisés pour être adapté au
contrôle et à l’application des normes budgétaires. En revanche, le rôle
d’arbitre revient naturellement et habituellement à la Cour de justice de
l’Union européenne qui dispose de la jurisprudence mais ne possède pas les compétences
techniques pour apprécier les écarts par rapport aux normes.

Bien qu’il n’y ait pas d’options faciles, celles mentionnées
ci-dessus nécessiteraient certainement des modifications des traités européens.
Il ne s’agit pas d’un obstacle insurmontable mais cela retardera davantage
l’adoption des normes budgétaires.

Un dialogue
budgétaire

Quelles que soient les conclusions futures de la révision du
cadre budgétaire de l’UE (statu quo, adoption de nouvelles règles, adoption de
normes), la conformité et l’application immédiates seront la clé du succès de
la réforme, non seulement au niveau macroéconomique général (la gestion
budgétaire dans l’UE doit produire à la fois la stabilité macroéconomique et la
soutenabilité de la dette) mais aussi pour l’opinion publique européenne.

Certes, une opinion publique européenne n’existe pas.
Néanmoins, les opinions publiques européennes ont des représentants : ce sont
les membres du Parlement européen (MEP). Par conséquent, une modification non
contraignante de la législation européenne actuelle, comme la création d’un
dialogue budgétaire, peut être envisagée. Il s’agirait d’établir des auditions
régulières des ministres des Finances devant le Parlement européen. Hallerberg
et al. (2011)
ont fait une proposition dans ce sens il y a dix ans.
Les circonstances actuelles, à savoir le renouvellement de la réflexion sur les
politiques budgétaires (Blanchard et
Summers, 2020
), les crises économiques fréquentes et la montée du populisme
donnent sans doute un nouvel élan à la promotion d’un dialogue budgétaire entre
les différents niveaux d’autorités politiques de l’UE, y compris, par
conséquent, avec son institution la plus démocratique et la plus européenne :
le Parlement.

L’objectif principal du dialogue budgétaire serait de créer
les conditions d’une coordination renforcée et continue des politiques budgétaires
(et également monétaires) dans l’UE tout au long de l’année. Au cours des
auditions ou témoignages trimestriels des ministres des Finances devant le PE,
en séance plénière ou devant la Commission des affaires économiques et
monétaires du PE, les ministres présenteraient leur Loi de finances
(préparatoire et finale) et leurs analyses de soutenabilité de la dette.
L’initiative de dialogue budgétaire peut également fournir l’occasion d’un
dialogue public avec la Banque centrale européenne.

Avantages d’un
dialogue budgétaire

Le dialogue budgétaire offrirait une arène pour une
véritable discussion européenne des politiques budgétaires nationales devant
les représentants des opinions publiques européennes. Bien que le PE n’ait pas
le pouvoir de retarder l’adoption d’un budget national, la discussion pourrait
offrir plus de transparence sur la conformité de chaque gouvernement avec les règles
ou normes communes. Dans ce nouveau cadre, les politiques budgétaires des
gouvernements de l’UE seraient considérées comme des biens publics pour
l’ensemble de l’UE. À cet égard, le dialogue budgétaire pourrait s’appuyer sur
l’article 10 du Traité sur l’Union européenne (TUE) qui stipule que toutes les
décisions de l’UE sont fondées sur la démocratie représentative. L’article
10(4) du TUE stipule notamment que : « Les partis politiques au
niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique
européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union ».

Deuxièmement, le dialogue budgétaire offrirait une
transparence sur la manière dont chaque gouvernement tient compte du contexte
général de l’UE dans l’élaboration de ses politiques. Le dialogue budgétaire
tendrait à produire une meilleure internalisation des retombées des politiques budgétaires
nationales sur leurs pays partenaires, générant ainsi une coordination budgétaire
plus efficace dans l’UE.

Troisièmement, un dialogue budgétaire donnerait au PE un
rôle plus important, mais sans doute symbolique, et une plus grande implication
dans les affaires budgétaires, ce qui réduirait les critiques contre la
technocratie et l’éventuelle mauvaise perception du PE par les électeurs. Les
auditions publiques mettraient en lumière les responsabilités distinctes des
ministres des Finances nationaux et des députés européens dans la préparation
et le déroulement des politiques budgétaires nationales tout en permettant aux
ministres des Finances d’argumenter sur leur position budgétaire et d’en
débattre avec les représentants européens.

Quatrièmement, à ce jour, il n’existe pas d’événement public
régulier organisant une discussion conjointe des politiques budgétaires de l’UE
avec le PE et la BCE, bien qu’il y ait quatre événements de ce type par an pour
une discussion des politiques monétaires de l’UE entre le PE et la BCE : les
dialogues monétaires. Les auditions trimestrielles du président de la BCE au PE
ont leurs avantages et leurs inconvénients (Claeys
et Dominguez-Jimenez, 2020
). La réforme du dialogue monétaire pourrait être
à l’ordre du jour, afin de le rendre plus pertinent dans le débat économique. À
cet égard, l’adoption d’un dialogue budgétaire en complément du dialogue
monétaire pourrait donner un double élan à la transparence et au contrôle
démocratique des politiques économiques de l’UE.

Limites ou lacunes
d’un dialogue budgétaire ?

Un dialogue budgétaire peut faire l’objet de nombreuses
critiques, auxquelles il est possible d’apporter des contre-arguments.

Tout d’abord, des discussions générales sur les politiques
budgétaires européennes, et peut-être sur leurs éventuels effets de débordement
sur les pays partenaires, ont lieu lors des conseils réunissant les ministres
des Finances et lors des réunions de l’Eurogroupe. Cependant, ces discussions
ne sont ni publiques ni systématiques. Les discussions à huis clos entre
ministres des Finances pourraient être complétées par des discussions publiques
et transparentes devant le PE.

Deuxièmement, le Semestre européen fournit déjà un cadre
pour la coordination des politiques économiques dans l’Union européenne. Il
permet aux pays de l’UE de discuter de leurs programmes économiques et
budgétaires et de suivre les progrès accomplis à des moments précis de l’année.
Toutefois, le Semestre européen est principalement un exercice entre deux
parties, un État membre et la Commission jusqu’à ce que des recommandations à
certains États
soient éventuellement adressées au Conseil. Il n’implique pas directement les
gouvernements de l’UE et le PE et ne constitue pas un dispositif complet de
coordination ex ante entre tous les
États membres de l’UE.

Troisièmement, les gouvernements de l’UE sont déjà
responsables devant leurs parlements nationaux et ne sont pas responsables
devant le PE car les politiques fiscales et budgétaires restent souveraines.
Cependant, les effets budgétaires de débordement externes peuvent ne pas être
(suffisamment) pris en compte par les parlements nationaux et peuvent donc
exposer l’ensemble de la zone à des situations budgétaires globales
insatisfaisantes. L’objectif du Comité budgétaire européen (CBE) est
précisément de donner des conseils sur l’orientation budgétaire appropriée dans
l’UE, en lien avec les Hauts conseils de finances publiques (HCFP) nationaux qui
contrôlent le respect des règles budgétaires nationales dans les États membres
et renforcent ainsi la responsabilité interne des gouvernements. La
responsabilité d’apprécier les effets de débordement des politiques budgétaires
européennes n’est cependant pas claire : il n’est pas certain en effet
qu’elle incombe à une institution. Enfin, le recours à des institutions
indépendantes pose toujours la question de leur représentativité
démocratique : les membres du CBE et des HCFP étant nommés, ces instances
restent très technocratiques.

Quatrièmement, les députés européens peuvent ne pas disposer
d’informations suffisantes sur les politiques budgétaires appropriées et
peuvent donc être incapables de remettre en question les ministres des Finances
nationaux. Si le CBE est censé conseiller la Commission européenne, un organe
similaire pourrait bien voir le jour pour conseiller le PE et réduire
l’éventuelle asymétrie d’information entre les députés et les ministres lors
des dialogues fiscaux.

Cinquièmement, il existe déjà de nombreux freins et
contrepoids à l’utilisation des outils budgétaires dans l’UE. Outre les règles
budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance et leur surveillance par les
HCFP et le CBE, l’UE a mis en place un dialogue économique entre le PE, la
Commission et l’Eurogroupe. Il peut aussi exister des échanges de vues occasionnels
avec les ministres des Finances des États membres au PE. L’instauration d’un
dialogue économique régulier avec les États membres est problématique pour le
PE qui n’a pas de compétence juridique en la matière. Cependant, il existe
certains cas où il y a une base légale pour inviter les États membres (par
exemple, les pays de la zone euro sous surveillance renforcée à la suite d’un
programme d’ajustement macroéconomique ou d’une procédure de déficit excessif)
mais ils restent spécifiques et rares. Depuis sa création en 2012, il n’y a eu
que dix-sept dialogues économiques et cinq échanges de vues avec un ministre
des Finances impliquant quinze États membres de l’UE. Des dialogues budgétaires
réguliers et structurés feraient une grande différence : il n’y aurait pas
de stigmatisation des ministres des Finances, comme c’est le cas aujourd’hui,
car l’ensemble d’entre eux seraient auditionnés et plus seulement ceux sous
programme.

Enfin, il existe un risque de « nationalisation »
du débat au sein du PE. Les députés européens situés dans l’opposition au plan
national peuvent engager des discussions avec leur ministre des Finances sur
des questions qui sont plus d’intérêt national qu’européen. C’est un défaut qui
s’est déjà manifesté lors des dialogues monétaires ou lors de la récente
intervention du Président de la République française. Par conséquent, il est
essentiel d’organiser les dialogues budgétaire et monétaire de manière à éviter
les biais nationaux et à souligner que les députés européens représentent les
intérêts de tous les citoyens
européens. Bien qu’il n’y ait pas de solution parfaite, les membres de la
commission ECON pourraient jouer le rôle d’intermédiaire en recueillant les
questions et les réactions aux présentations des ministres, contribuant ainsi à
atténuer la « nationalisation » des débats politiques européens afin
que se dégage un dialogue véritablement européen sur les questions d’ordre
budgétaire.

References

Blanchard O., Á. Leandro et J. Zettelmeyer, 2021, « Redesigning EU Fiscal Rules: From Rules to Standards », Economic Policy (à paraître).

Blanchard O. et L. H. Summers, 2020, « Automatic stabilizers in a low-rate environment », American Economic Review Papers and Proceedings, n° 110, pp. 125-130.

Claeys G. et M. Dominguez-Jimenez, 2020, « How Can the European Parliament Better Oversee the European Central Bank? », Study for the ECON Committee, European Parliament.

Creel J. , 2021, « Establishing a Fiscal Dialogue in Europe », Comparative Economic Studies (à paraître).

Hallerberg M., B. Marzinotto et G. B. Wolff, 2011, « How effective and legitimate is the European semester? Increasing the role of the European Parliament », Bruegel Working Paper, n° 2011/09.

Martin P., J. Pisani-Ferry et X. Ragot, 2021, « Pour une refonte du cadre budgétaire européen », Note du Conseil d’Analyse Economique, n° 63.




Tensions sur les prix aux États-Unis : quel impact de la politique budgétaire américaine ?

par Elliot Aurissergues, Christophe Blot et Caroline Bozou

Les derniers chiffres de l’inflation aux États-Unis confirment la tendance observée depuis plusieurs mois. En octobre 2021, les prix à la consommation ont progressé sur un an de 6,2 %. Le phénomène est certes mondial mais, parmi les pays industrialisés, il est particulièrement notable outre-Atlantique. En effet, sur la même période, l’inflation en zone euro s’est établie à 4,1 %. Une telle progression de l’inflation n’avait pas été observée depuis la fin des années 1990 et suscite donc toute l’attention dans le débat de politique économique aux États-Unis, notamment parce qu’elle fait écho à une controverse amorcée dès le début du mandat de Joe Biden à propos de la relance budgétaire votée en mars 2021. Bien que cette inflation soit en partie tirée par l’évolution du prix de l’énergie, il n’en demeure pas moins que les tensions se sont rapidement amplifiées. Hors composantes énergie et alimentation, l’inflation dépasse 4 % depuis juin 2021 suggérant un risque de surchauffe pour l’économie américaine. Si le contexte macroéconomique européen ne permet pas d’identifier un risque équivalent pour la zone euro, il n’en demeure pas moins qu’une hausse durable de l’inflation américaine pourrait avoir des répercussions sur la zone euro. Au-delà des effets sur la compétitivité, la dynamique de l’inflation américaine pourrait influencer l’évolution des taux et la conduite de la politique monétaire de la Réserve fédérale et de la BCE.



Quel que soit l’indicateur – indice des prix à la consommation ou déflateur de la consommation –, les prix ont nettement accéléré depuis mars 2021 (graphique)[1]. La composante énergie est certes importante mais n’explique pas totalement cette dynamique puisque les derniers chiffres pour les indices sous-jacents, c’est-à-dire corrigés des prix de l’énergie et des biens alimentaires, indiquent une augmentation en glissement annuel de 4,6 % pour l’IPC et de 3,6 % pour le déflateur de la consommation[2]. Il faut de plus noter que cette évolution reflète un rattrapage par rapport à l’année 2020 où l’inflation était particulièrement modérée dans le contexte de la pandémie et du coup d’arrêt brutal de l’activité. Ainsi, en moyenne sur l’année 2020 et 2021, jusqu’en octobre, le déflateur de la consommation progresse de 2,1 %, en ligne avec la cible adoptée par la Réserve fédérale[3]. Les tensions récentes reflètent évidemment la dynamique de la reprise économique mondiale post-confinement, à laquelle participent largement les États-Unis, qui a provoqué de fortes tensions sur les prix de l’énergie mais également sur l’offre comme en témoignent les difficultés d’approvisionnement sur certains biens et la flambée du coût du fret maritime.

Au-delà de ces facteurs mondiaux, se pose la question d’un phénomène inflationniste qui pourrait être intrinsèquement lié à la politique économique américaine. Avant même les discussions récentes sur le vote du budget 2022, le total des mesures prises d’abord par l’administration Trump puis celle de Joe Biden pour faire face à la crise Covid atteint 5 200 milliards de dollars, ce qui représente plus de 23 points de PIB de l’année 2019. Ces dépenses effectuées sur 2020 et 2021 représentent une relance inédite ces quarante dernières années. La nécessité des mesures proposées par Joe Biden et votées par le Congrès en mars 2021 était certes consensuelle, mais son ampleur a suscité beaucoup de débats car la reprise était déjà amorcée et l’économie bénéficiait déjà, et comme encore aujourd’hui, des mesures de soutien budgétaire votées en 2020 et d’une politique monétaire fortement expansionniste[4]. Une politique économique – budgétaire et monétaire – aussi expansionniste peut-elle provoquer la surchauffe de l’économie et alimenter le retour de l’inflation comme le craignent des économistes tels que Lawrence Summers ou Olivier Blanchard ou au contraire, l’effet sur l’inflation est-il surestimé, comme le suggèrent d’autres analyses ? Nous analysons ce débat dans un Policy Brief de l’OFCE en précisant notamment les conditions pouvant conduire à une augmentation durable de l’inflation. Ce risque dépendra de la taille des multiplicateurs mesurant l’effet des plans de relance sur l’activité et le chômage, de la position de l’économie américaine par rapport à son potentiel et de l’évolution des anticipations d’inflation, autant d’aspects sur lesquels planent quelques incertitudes.


[1]
L’indice des prix à la consommation (IPC) est calculé à partir d’une enquête
consistant à relever les prix d’un panier de biens moyens consommés par un
ménage représentatif. Le déflateur de la consommation est issu de la
comptabilité nationale et représente le système de prix qui permet le passage
de la consommation en valeur à la consommation en volume. Voir La désinflation
importée
dans la Revue de l’OFCE, 2019, n° 162, pour plus de détails
sur la différence entre ces deux mesures de l’inflation.           

[2]
Non corrigé de l’énergie et des prix alimentaires, le déflateur de la
consommation augmentait de 4,4 %. Les données pour le déflateur font
référence au mois de septembre tandis que la publication des indices de prix à
la consommation est plus rapide, les derniers chiffres publiés étant ceux du
mois d’octobre.

[3] Le
déflateur des prix à la consommation est l’indicateur retenu par la Réserve
fédérale pour évaluer la stabilité des prix aux États-Unis.

[4]
Deux autres projets ont été annoncés ensuite : 
un plan d’investissement en infrastructures (American Jobs Plan)
et un ensemble de mesures en faveur des ménages (American Families Plan).
Il ne s’agit pas de mesures spécifiques à la crise mais de mesures censées
marquer l’orientation de la politique budgétaire sur les huit prochaines
années. Ces plans sont en cours de discussion au Congrès dans le cadre du vote
du budget 2022.