Quels sont les facteurs de la hausse des dettes publiques en zone euro de 1999 à 2019 ?

par Pierre Aldama

Entre 1999 et 2019, à la veille de la pandémie de la Covid-19, les dettes
publiques avaient augmenté en moyenne de 20 points de PIB dans les 11 plus
anciens membres de la zone euro. Cette hausse des dettes publiques est
communément attribuée aux déficits budgétaires structurels, en particulier ceux
d’avant-crise et dans les pays du « Sud ». Cependant, quelle est
vraiment la part du stock de dette publique en 2019 que l’on peut attribuer aux
déficits structurels, et celles qui sont attribuables à la croissance du PIB, à
la charge d’intérêts ou aux déficits conjoncturels ? Dans ce billet, on décompose
les variations de dette publique à partir de l’édition de décembre 2020 de l’Economic
Outlook de l’OCDE, selon ses principaux facteurs : soldes primaires
structurel et conjoncturel, charge d’intérêt, croissance du PIB nominal et
ajustements flux-stock. On montre que la contribution des déficits structurels
est généralement moins forte que communément admise et que la hausse des
dettes publiques sur la période est largement le résultat des conséquences
directes et indirectes de la double récession en zone euro.



À la veille de la crise
engendrée par la pandémie de Covid-19, le niveau moyen de la dette publique (au
sens de Maastricht) des 11 pays les plus anciens de la zone euro était de 92%
du PIB. Entre 1999 et 2019, la hausse moyenne de la dette publique dans ces 11
pays a été de 20 points de PIB, avec cependant une forte hétérogénéité (Figure
1). D’un côté, un premier groupe de pays dits « vertueux » − Allemagne,
Pays-Bas, Autriche, Finlande et Irlande − ont ramené leurs ratios d’endettement
à leur niveau de 1999, à 60% du PIB, voire à un niveau inférieur. De l’autre,
des pays dont la dette publique s’est accrue − France, Espagne, Grèce et Portugal

ou maintenue à un niveau élevé − Belgique, Italie. Peut-on en déduire
simplement qu’il y a d’un côté des pays-fourmis et de l’autre des
pays-cigales ? Sans doute pas.

En effet, tous les pays ne sont
pas entrés dans l’UEM avec les mêmes niveaux d’endettement : leur point de
départ biaise donc le constat dans la mesure où il n’informe pas de la nature
structurelle, cyclique ou liée à la dynamique des charges d’intérêt de la
politique budgétaire effectivement menée de 1999 à 2019. La hausse des dettes
publiques dans les pays cigales est-elle largement attribuable à l’accumulation
des déficits structurels, ou au contraire, à des facteurs conjoncturels et aux
conséquences des récessions en zone euro (2008-2010 et 2011-2013) ?

Dans ce billet, on décompose les variations de dette publique à partir de
l’édition de décembre 2020 de l’Economic
Outlook
de l’OCDE, selon ses principaux facteurs : soldes primaires
structurel et conjoncturel, charge d’intérêt, croissance du PIB nominal et
ajustements flux-stock. On montre que la contribution des déficits structurels
est généralement moins forte que communément admise et que la hausse des
dettes publiques sur la période est largement le résultat des conséquences
directes et indirectes de la double récession en zone euro.

La décomposition comptable de la dynamique de la dette publique

La variation de la dette publique
(en pourcentage du PIB) entre l’année t
et l’année t-1 peut se décomposer
selon 5 grands facteurs, à partir de l’équation suivante :

rt / (1+yt) dt-1 est l’effet de la charge d’intérêts, –yt / (1+yt)dt-1 est l’effet de la croissance du PIB nominal (et la somme des deux termes est le fameux effet boule-de-neige[1] de la dette publique), sptcyc est la composante cyclique du solde budgétaire primaire (hors-charge d’intérêts), sptstruc est le solde primaire structurel (ou ajusté de l’écart de production) et afst sont les ajustements flux-stock, c’est-à-dire les opérations sur l’actif et le passif des APU (Administrations publiques) qui ne sont pas comptabilisées dans le solde primaire.

Finalement, en cumulant
chacun de ces termes, on calcule les contributions à la variation totale de la
dette publique entre 1999 et 2019 (Figure 2) et année après année (Figure 3).
Enfin, les Figures 4A et 4B présentent des décompositions de la dette publique
analogues à la Figure 2 mais sur deux sous-périodes : 1999-2008 et
2008-2019.

Les cicatrices de la double récession de 2008-2010 et de
2011-2013 en zone euro

La hausse des dettes
publiques en UEM est largement expliquée par les effets conjoncturels de la
double récession de 2008-2010 et de 2011-2013 (Figure 3). Entre 2008 et 2019,
parmi les trois pays qui enregistrent les plus fortes hausses de dette publique
(Grèce, Espagne, Portugal), la hausse de l’endettement s’explique
majoritairement par des déficits primaires conjoncturels et par l’effet
boule-de-neige. La Grèce est un exemple frappant à cet égard dans la mesure où
l’effet boule-de-neige représente près des 3/5 de la hausse de la dette
publique entre 1999 et 2019, et cet effet est principalement concentré entre
2008 et 2019, avec l’effondrement du PIB en niveau. À
l’inverse, l’apparent « miracle » irlandais s’explique en réalité par
un effet massif de la croissance nominale en 2015, qui s’explique quant à lui
par la
relocalisation d’actifs immatériels existants en Irlande par des
multinationales
.

Par ailleurs, l’éventuelle contribution positive des déficits structurels à la croissance de la dette pendant la crise de 2008-2010 constitue en réalité une réponse contracyclique optimale de la politique budgétaire pendant la récession, et ne peut être interprétée en soi comme un manque de sérieux budgétaire. Ce n’est cependant le cas que dans moins de la moitié des pays étudiés : Espagne, Pays-Bas, France, Autriche, Irlande, et cela reflète en large partie pour les autres pays la pro-cyclicité des politiques budgétaires discrétionnaires en zone euro sur la période (Aldama et Creel, 2020).

Enfin, d’une façon générale,
la contribution des Ajustements Flux-Stocks s’accroît fortement après la crise
de 2008, principalement en raison au plan de sauvetage du secteur bancaire.
Dans le cas de la Grèce, la contribution négative des AFS correspond largement
au défaut de 2012.

Excédents du Nord vs. déficits
structurels du Sud de la zone euro ?

Sur la période 1999-2019, il apparaît que seulement trois pays (France, Irlande et Portugal) ont une contribution positive des déficits primaires structurels à la croissance de leur dette publique. Remarquablement, la Grèce aussi bien que l’Italie se distinguent de ces pays par une contribution négative du fait de leurs excédents structurels primaires, et on le verra par la suite, notamment du fait de l’ajustement budgétaire structurel réalisé depuis 2010 dans le cas de la Grèce. La Belgique, fortement endettée à son entrée dans l’UEM (114% du PIB) se caractérise également par une forte contribution négative de son solde primaire structurel à la croissance de la dette.

Dans le cas de la
Grèce, on observe notamment la forte baisse de la contribution du solde
structurel primaire, qui devient même négative en 2019 : en d’autres
termes, après 2010 la Grèce a plus que compensé l’effet de ses déficits
primaires structurels antérieurs. De façon encore plus remarquable, l’Italie a
mené sur l’ensemble de la période une
politique budgétaire très rigoureuse, dans la mesure où la contribution
(négative) de son excédent structurel primaire n’a cessé de s’accroître en
valeur absolue. Dans une situation intermédiaire, le Portugal a commencé à
dégager des excédents primaires structurels, sans pour autant annuler l’effet
des déficits antérieurs à 2010. L’Irlande, parfois présentée comme la
« bonne élève » de la zone euro à la suite de la crise de 2010, n’a
pas compensé les déficits structurels enregistrés pendant la crise par des
excédents structurels post-crise (la contribution à la variation de la dette
étant stable).

Si on se focalise sur
la période pré-2008 (Figure 4A) et sur les pays dits du « Sud », là
encore, seuls la Grèce et le Portugal ont vu une contribution positive de leurs
déficits structurels à la croissance de la dette, tandis que l’Irlande,
l’Italie et l’Espagne enregistraient une contribution négative de leurs
excédents structurels primaires.

Du côté du couple
franco-allemand, la divergence est nette. La rigueur budgétaire allemande
apparaît presque extrême : même à la suite de la crise de 2008-2010, le
solde structurel primaire de l’État fédéral n’a pas
contribué positivement à la croissance de la dette, traduisant une très faible
politique discrétionnaire contracyclique (le solde structurel allemand s’est
creusé de 1 point de PIB en 2010). À l’inverse dans le cas
de la France, une bonne partie de la variation de la dette publique
s’expliquerait par les déficits structurels enregistrés aussi bien avant qu’après 2008 (Figures 4A et 4B), avec cependant
un ralentissement dans la seconde moitié des années 2010 (Figure 3). Ainsi sur
les 37 points de PIB de dette publique accumulés depuis 1999, près de 26 points
proviendraient des déficits structurels accumulés sur la période.

Bien entendu, la distinction
entre solde structurel et solde conjoncturel repose de manière critique sur
l’estimation du niveau de PIB « potentiel », c’est-à-dire de pleine
utilisation des facteurs de production, sans pressions inflationnistes. Cette
mesure est sujette à une forte incertitude et à de nombreuses critiques, comme
par exemple une trop grande sensibilité au cycle macroéconomique et à des
chocs de demande (Coibion
et al. 2018
, Fatas et Summers 2018).
Certains de ces travaux suggèrent que le niveau potentiel de l’activité
pourrait être sous-estimé. Ainsi, le biais vraisemblable dans les estimations
de PIB potentiel doit nous prévenir contre toute interprétation définitive sur
la nature structurelle vs.
conjoncturelle des déficits ou des excédents budgétaires.[2]

***

Si les dettes publiques
ont globalement augmenté en zone euro depuis 1999, ce sont les conséquences
directes et indirectes de la crise de 2008, à travers les déficits
conjoncturels, l’aggravation de l’effet boule de neige et de la faiblesse structurelle de la croissance dans
certains pays du Sud, qui en explique une large partie.

Au contraire, parmi les
pays les plus endettés aujourd’hui, la plupart ont dégagé de forts excédents
structurels primaires sur la période, tels que l’Italie ou la Belgique. La
Grèce a même plus que compensé la contribution positive de ses déficits
structurels passés. De quoi torde le coup à une grille de lecture encore trop
souvent mobilisée, celle du Nord contre le Sud, ou de la rigueur contre le
laxisme budgétaire : elle ne survit pas à une analyse simplement comptable
de la dynamique de la dette publique.


[1] L’effet
boule-de-neige de la dette publique est l’effet du différentiel  entre le taux d’intérêt payé sur le stock de
dette accumulé  et le taux de croissance de l’économie. Si ce
différentiel est positif, la dette publique tend alors à s’accroître
mécaniquement, pour un solde budgétaire primaire donné ; inversement, s’il est
négatif, la dette publique tend à se réduire mécaniquement.

[2]
Cependant en se basant sur l’Economic
Outlook
de l’OCDE, on bénéficie d’une approche homogène selon les pays, et
donc avec un biais relativement uniforme entre eux. Par ailleurs, la mesure du
PIB potentiel utilisée par l’OCDE serait vraisemblablement moins
cyclique que celles du FMI et de la Commission européenne
.




Central bank asset purchases: Inflation targeting or spread targeting?

by Christophe Blot, Jérôme Creel, and Paul Hubert

Five years after the
ECB launched its asset purchase programme (APP), the Covid-19 crisis has put
the ECB again at the center of euro area attention, with a new extension of APP
and with the creation of the Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP). The simultaneity between
APP’s extension and PEPP – they were decided within a two-week interval – could
be interpreted as arising from the pursuit of the same objective. This
interpretation may be misleading though and may bias the respective appraisal of
these policies.



The APP arrived at a
moment when the euro area was facing strong deflationary risks whereas the PEPP
was implemented when the inflation outlook was unclear (because the Covid-19
crisis is a mix of a supply, demand and uncertainty shocks) but fragmentation
risks were on the upside. Sovereign risks and increasing spreads could impair
the transmission of monetary policy across euro area countries. The declared
will by ECB officials to tackle the fragmentation of the euro area and the (temporary)
removal of the self-imposed limits on asset purchases suggest that the ECB sets
a sort of a “spread targeting” objective to the PEPP. We develop this argument
in a recent Monetary Dialogue Paper for the ECON committee of the
European Parliament. From the point of view of this “spread targeting”
objective, the PEPP is successful with both the level and volatility of
sovereign spreads at low levels (figure 1).

This outcome was
obtained without a full utilisation of the potential resources of the PEPP. The
weekly flow of purchases is even decreasing since July (figure 2). This
suggests that the signaling effect of the PEPP has been strong and credible in
taming sovereign stress. It also suggests that the ECB is not short of
ammunitions if the crisis persists or intensifies. The outcome of the PEPP was
also achieved without deviating much from the ECB capital key (figure 3),
except for France (for which the ECB capital share exceeds bond purchases) and
Italy (for which bond purchases exceed the share at the ECB capital exceeds).

The ruling of the
German Federal Constitutional Court last May has revived discussions on the
adequacy of asset purchases by the ECB.[1]
Discussions have
opposed those who think that the ECB has had “disproportionate” economic policy
effects (on public debts, personal savings and the keeping afloat of
economically unviable companies) and those who think that the distinction
between the “monetary policy objective” and “the economic policy effects
arising from the programme” is misleading. The reason is that this distinction
seems to imply that achieving the objective of the ECB – inflation at the 2%
target – can be achieved without interactions with other macroeconomic and
financial variables, which is nonsense. Moreover, this distinction gives too
much weight to the price stability objective during a real economic crisis at
the expense of all the secondary objectives that the Treaty on the Functioning
of the EU imposes to the ECB.

Finally, the success or
failure of a given policy must be assessed according to its objective(s). In
that respect, the PEPP, under the assumption that it aimed at reducing
sovereign spreads to avoid the fragmentation of the euro area, has been
effective. Although it may depart from the ECB mandate that does not explicitly
mention the reduction of sovereign spreads as a monetary policy objective, PEPP
has improved the transmission of monetary policy. In a situation where the
pandemic crisis requires a fiscal stimulus more than a fiscal consolidation and
where a rise in inflation or in real GDP is very unlikely, the accommodative
ECB monetary policy has been undeniably relevant to ensure public debt
sustainability in Europe and to remove the risk of a break-up of the euro area.


[1] It also revived discussions on the ability of the Bundesbank to
continue to be involved in unconventional monetary operations. At the end of
June 2020, the Bundestag pronounced itself in favour of the ECB and PEPP which,
in the short term, removes the threat of an early end to monetary easing. This
will however not prevent a further appeal by German plaintiffs against the ECB
and, in the longer term, a new judicial episode.




L’économie européenne 2020

par Jérôme Creel

Comme chaque année, un peu avant
le printemps, l’OFCE publie dans la collection « Repères » des
Editions La Découverte un ouvrage synthétique sur l’état de l’économie
européenne et sur les enjeux de l’année à venir, L’économie
européenne 2020
. Il faut bien admettre que lors de la préparation de l’ouvrage,
dont le dernier chapitre a été achevé au tout début de l’année 2020, nous n’avions
pas anticipé que l’épidémie liée au coronavirus en Chine engendrerait la crise
sanitaire et économique globale dont nous subissons les effets depuis quelques
semaines. Aussi l’ouvrage ne répond-il pas à l’actualité essentielle du moment.
Il livre cependant quelques pistes de réflexion qui s’avéreront sans doute utiles
lorsque la phase aiguë de la crise sanitaire aura été dépassée. Ces pistes de
réflexion concernent l’impulsion politique européenne des derniers mois de
l’année 2019 et les ambitions de la nouvelle Commission européenne, les
perceptions des Européens à l’égard de l’Union européenne et les outils
macroéconomiques à mobiliser pour contrecarrer un ralentissement économique ou
une fragilisation du secteur bancaire.



Comme nous avons coutume de le
faire chaque année, est reproduite ici l’introduction de L’économie européenne 2020. Les parties de phrase en italiques sont
des ajouts visant à actualiser (un peu) le texte.

En 2020, Mesdames Christine
Lagarde et Ursula von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de
l’Europe, la première à la tête de la Banque centrale européenne et la seconde
à celle de la Commission européenne, dans un environnement européen et
international compliqué. Depuis le pic de croissance de 2017, l’activité
économique en Europe a donné de sérieux signes d’essoufflement. Dans un
contexte marqué notamment par l’incertitude politique – notamment quant à
l’évolution des tensions commerciales avec les États-Unis et à l’organisation
effective du Brexit –, et par la perspective de la fin du cycle
d’expansion américain et par la survenue
d’une crise sanitaire, économique et financière sans précédent
, se pose désormais
la question des marges de manœuvre européennes pour mener des politiques
économiques plus expansionnistes.

Du côté de la Commission
européenne, les projets ne manquent cependant pas : une nouvelle
stratégie de croissance, le Pacte vert (ou Green Deal), a pour but d’assurer
une transition écologique juste et équitable, tandis que le renouveau de
l’Europe sociale vise à assurer la justice sociale, « fondement de
l’économie sociale de marché européenne ». Il passera notamment par des
initiatives concernant les salaires minimums en Europe, le mécanisme de
réassurance chômage européen, les mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes
et les incidences à long terme du vieillissement de la population européenne.

Du côté de la Banque centrale
européenne, les changements prévus sont moins en rupture avec la présidence
précédente : poursuite des mesures non conventionnelles pour respecter le
mandat principal de la BCE et soutenir l’économie de la zone euro, et poursuite
de la mise en œuvre des politiques dites macro-prudentielles.

Cet ouvrage dresse un état des lieux de l’Union européenne et met en perspective l’ensemble des initiatives annoncées. Après avoir présenté l’état de la conjoncture européenne (avant le déclenchement de la crise sanitaire) et les effets probables de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et après avoir analysé les attentes des Européens à l’égard de l’Union européenne, l’ouvrage se concentre sur les grands thèmes mis en avant par la nouvelle Commission européenne : la nécessité de faire face au changement climatique et aux transformations des sociétés européennes. À cette fin, les questions de dette climatique européenne et celles d’inégalités environnementales en Europe sont abordées mais aussi les transformations des marchés du travail et le financement de la dépendance. Les initiatives de la Commission européenne s’inscrivent dans une période d’attentes plus critiques de la part des citoyens européens. S’ils continuent généralement à avoir un a priori positif à l’égard de la participation de leur pays à l’Union européenne, ses actions concrètes semblent engendrer une rupture entre les perdants et les gagnants de l’intégration européenne. Et les premiers, qui sont ceux qui attendent de l’UE qu’elle les protège mieux, sont aussi ceux qui expriment la confiance dans l’UE la plus faible pour mettre en place cette protection. L’ouvrage présente alors deux types de politiques susceptibles de mieux protéger les Européens : une politique budgétaire d’assurance-chômage européenne et une politique macro-prudentielle chargée d’assurer la stabilité bancaire en Europe.




La BCE face à la crise du Covid-19 : encore un effort?

par Christophe Blot et Paul Hubert

La BCE annonçait le jeudi
12 mars
une première série de mesures pour répondre au choc économique lié
au Covid-19. Cependant, ces annonces n’ont pas eu les effets escomptés sur les
marchés financiers et ont même probablement ajouté de l’incertitude. Au-delà
des craintes sur l’état de l’économie de la zone euro, la réponse de Christine
Lagarde à une question d’un journaliste durant la conférence de presse sur les
écarts de taux au sein de la zone euro a déconcerté par son décalage avec la
situation actuelle. Bien que la BCE ait annoncé un nouveau plan de rachats
d’actifs dans la soirée du 18 mars, il reste que toutes les solutions aux
problèmes de la zone euro n’ont pas encore été explorées.



Les mesures prises par la BCE

Dans la situation actuelle, l’action des banques centrales est essentielle pour soutenir la croissance et éviter que le ralentissement de l’activité et ses répercussions financières ne se transforment en crise bancaire ou des dettes souveraines. C’est la raison pour laquelle la BCE garantit aux banques l’accès à la liquidité par le biais d’opérations de refinancement et qu’elle a également renouvelé les accords avec la Réserve fédérale lui permettant d’offrir des liquidités en dollar[1]. La BCE a, dans un premier temps, annoncé qu’elle achèterait 120 milliards d’euros d’actifs supplémentaires d’ici la fin de l’année dans le cadre de son programme APP (Asset Purchase Programme). À ce montant se sont ajoutés 750 milliards d’euros dans le cadre d’un nouveau programme qualifié de PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) annoncé le 18 mars[2]. Les achats seront étalés sur l’année 2020 et seront répartis sur les différentes classes d’actifs déjà acquises par la BCE et, pour les achats de titres publics, en continuant de respecter la limite de détention par émetteur[3] et la clé de répartition selon la part dans le capital de la BCE[4], ce qui conduira la BCE à acheter une proportion plus forte de titres allemands que de titres italiens ou espagnols.

Ces achats permettront
d’assouplir les conditions de financement pour le secteur privé comme pour les États
de la zone euro, ce qui permettra d’accompagner les efforts entrepris par les
gouvernements pour soutenir l’activité. On peut ainsi espérer que ces mesures,
et notamment la deuxième annonce bien plus conséquente, permettront de calmer
les tensions qui ont de nouveau émergé sur les marchés de dette souveraine. Ces
derniers jours, les investisseurs avaient effectivement délaissé les titres
souverains de certains pays (Italie, Espagne, Portugal et dans une moindre
mesure France) au profit des titres allemands (graphique), même si le rendement
de ces derniers est reparti à la hausse ces derniers jours[5].

Lors de la conférence de presse
du 12 mars, Christine Lagarde a évoqué la propagation de l’épidémie à plusieurs
reprises, elle est restée étonnamment silencieuse sur les écarts (« spread »
en anglais) de taux d’intérêts. À la question d’un journaliste à ce
propos, Christine Lagarde a même déclaré que le rôle du Conseil des Gouverneurs
n’était pas de fermer les écarts de taux[6]
amplifiant immédiatement les tensions sur les marchés. Christine Lagarde est
cependant revenue un peu plus tard sur cette réponse déclarant qu’elle
s’engageait à éviter la fragmentation dans la zone euro et que des écarts de
taux élevés pénalisent la transmission de la politique monétaire.

L’erreur de communication en était-elle
une ?

Doit-on interpréter la phrase de
Christine Lagarde comme une erreur
de communication 
? Une autre interprétation est que cette réponse
spontanée de Christine Lagarde pendant la conférence de presse reflète
l’absence de consensus au sein du Conseil des gouverneurs qui avait eu lieu
dans la matinée et la réticence d’une partie des membres à prendre des
engagements sur les écarts de taux, qui contraindraient les banques centrales
de l’Eurosystème à acquérir une importante quantité de titres publics. En
particulier, cela pourrait avoir pour incidence d’enfreindre la règle de
répartition des achats de titres s’il s’avérait nécessaire d’acheter
massivement des titres souverains italiens[7]. Pour
certains membres du Conseil des gouverneurs, la BCE ne doit pas refinancer les États
et la garantie que les écarts de taux seront réduits pourrait être interprétée
comme le signal implicite d’un tel financement. Les voix discordantes qui
s’étaient exprimées en septembre 2019 à la suite des mesures expansionnistes
annoncées par Mario Draghi donnent du crédit à cette interprétation[8].

Cette hypothèse semble confirmée
par la déclaration de Robert Holzmann, gouverneur de la Banque centrale
d’Autriche, le mercredi 18 mars, jugeant que la politique monétaire de la BCE
avait atteint ses limites[9] et qui a
fait passer en moins de quelques heures les taux italiens de 2,4 à 3%. Cette
sortie a poussé la BCE à publier un communiqué de presse démentant cette
allégation tandis que sa chef économiste, Isabel Schnabel a, plus tard dans la
journée, insisté sur la capacité de la BCE à intervenir pour assurer la
transmission de la politique monétaire. Des mots aux actes, il n’y a eu qu’un
pas, franchi dans la soirée du 18 mars avec l’annonce du PEPP. Toutes les
marges de manœuvre n’étaient donc pas épuisées et les déclarations du
gouverneur autrichien, dans un contexte financier déjà très chahuté, ont en
réalité probablement poussé la BCE à corriger le tir.

Pourquoi et comment réduire les écarts de
taux ?

Pour autant, bien qu’il semble
que la BCE prenne la mesure de la crise et du risque d’un ralentissement très
brutal de l’activité, la question des écarts de taux dans la zone euro demeure
et les déclarations de Christine Lagarde ou d’Isabel
Schnabel
à propos de la fragmentation n’offrent pas de réponse adéquate sur
ce point. Le maintien de la clé de répartition pour les achats de titres va
continuer à soutenir plus activement le marché des titres allemands que celui
de la dette italienne puisque les achats sont proportionnels au PIB des États
membres. Le communiqué de la BCE indique que les achats pourront être réalisés
avec une certaine souplesse, ce qui signifie que la clé de répartition sera
respectée sur l’ensemble de la durée du programme mais pas nécessairement en continu.
Néanmoins, tant que la BCE n’aura pas remis en cause cette règle, la question
des écarts de taux subsistera.

Au-delà des potentiels
déséquilibres macroéconomiques et financiers existants, la crise actuelle résulte
avant tout d’une crise sanitaire. La réponse à cette dernière par le
confinement réduit fortement l’activité économique, ce qui pèsera sur l’emploi,
les revenus et la situation financière des entreprises. La réponse des États
au choc du Covid-19 sera en grande partie budgétaire avec des mesures destinées
à éviter les faillites d’entreprises, d’entrepreneurs, d’indépendants et
maintenir le pouvoir d’achat des ménages. De plus, avec la baisse à venir du
PIB, les ratios de déficit et de dette publique vont mécaniquement augmenter.
Ces efforts ne peuvent pas être réduits à néant par une hausse des taux qui réduirait
les marges de manœuvres et viendrait atténuer l’effet multiplicateur de la
politique budgétaire par le canal du risque souverain[10].

Christine Lagarde a d’ailleurs
appelé le 12 mars les gouvernements à mettre en œuvre les politiques adaptées et
coordonnées pour faire face au choc[11]. Dans
la mesure où cette action ne peut pas être obtenue via le budget européen qui est limité, les décisions seront
nécessairement prises par les États membres, ce qui pèsera donc sur
leur dette nationale. Cette action sera certes d’autant plus efficace qu’elle sera
coordonnée mais, étant donné la gouvernance européenne, elle restera d’abord du
ressort des États.

Il apparaît ainsi évident que la
banque centrale peut éviter une spirale où la hausse anticipée des déficits
provoque une hausse des taux, en particulier pour les pays dont la situation
macroéconomique était déjà fragile et la dette publique élevée. Pour ce faire,
le principal levier est donc de limiter une hausse des taux et l’apparition
d’écarts trop importants au sein de la zone euro. En l’absence de budget
européen, c’est à la BCE que revient la mission de coordonner implicitement les
efforts déployés par les États membres en finançant massivement les émissions de
dette liées aux plans de soutien.

La BCE pourrait ainsi annoncer
qu’elle garantit que les écarts de taux ne dépasseront pas un seuil donné
pendant le temps de crise indépendamment de toute annonce sur un montant
d’achats d’actifs. Il s’agirait d’une nouvelle version de l’OMT
– qui avait été annoncée lors de la crise des dettes souveraines en septembre
2012 par Mario Draghi – via laquelle
la BCE s’engagerait à acheter des titres de dette jusqu’à une maturité de trois
ans sans fixer de limite de montant a priori mais seulement une limite quant à
la durée de l’opération. La BCE enverrait ainsi un signal puisqu’en tant
qu’institut émetteur de la monnaie, elle a la possibilité de créer des réserves
en quantité importante, ce qui rend l’annonce crédible et efficace. Comme le
suggère Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, la conditionnalité[12] pourrait
cette fois porter sur les titres de toute maturité et limiter à la durée de la
crise liée au Covid-19 et aux mesures exceptionnelles prises pour y faire face.
Cette option rencontrera des réticences au sein du Conseil des gouverneurs
puisqu’elle conduit à envisager l’absence de limites pour les achats de titres.

Une autre solution pourrait être
de modifier, temporairement, la clé de répartition en fondant celle-ci non pas
sur le PIB des États membres mais sur les niveaux de dette[13]. En
l’état, même si le signal envoyé aux gouvernements et aux investisseurs est
rassurant, acheter une part plus élevée de dette allemande plutôt qu’italienne
ne va que très faiblement contribuer à réduire la fragmentation. Le dernier
paragraphe du communiqué de presse du 18 mars suggère que la BCE réfléchit à la
possibilité de reconsidérer la clé de répartition[14]. Le
plus tôt sera le mieux pour donner toute latitude aux États de gérer cette crise
sanitaire.


[1] La BCE a effectivement proposé des nouvelles
conditions pour les TLTRO-III (Targeted
long-term refinancing operations
) qui permettent aux banques d’obtenir un
refinancement en contrepartie des crédits qu’elles octroient aux entreprises.
Les banques pourront ainsi emprunter jusqu’à mille milliards d’euros (jusque
juin 2021) à un taux pouvant être inférieur de 25 points au taux des facilités
de dépôts, soit -0,75 %. Elle a aussi annoncé une opération de
refinancement à très long terme sans aucune conditionnalité. Cette dernière
mesure permet ainsi de répondre aux besoins de liquidité dans l’éventualité
d’une panique bancaire.

[2] Pour comparaison, l’annonce du premier programme
d’assouplissement quantitatif (APP) de la BCE était de 60 milliards d’euros sur
19 mois (de mars 2015 à septembre 2016) soit 1 140 milliards d’euros,
tandis que les achats d’actifs pour 2020 se montent à 1 050 milliards
d’euros (les 870 milliards d’euros annoncés ces derniers jours auxquels il
convient d’ajouter les 20 milliards d’euros par mois annoncés en septembre
2019, soit 180 milliards d’euros additionnels).

[3] Fixée à 33% pour les obligations souveraines. Les
Pays-Bas et l’Allemagne sont au-dessus des 30% donc très proches de la limite,
tandis que la France et l’Italie sont autour des 20%, en raison d’une dette
publique plus élevée (en % du PIB).

[4] Pour information, au 30 janvier 2020, la Bundesbank
représentait 21,4%, la Banque de France 16,6% et la Banque d’Italie 13,8%.

[5] Ce mouvement est aussi observé sur les taux
américains qui ont augmenté de 0,5 point entre le 9 et le 17 mars après avoir
fortement baissé (passant de 1,6 % début février à un creux de 0,5 %
le 9 mars). Dans un contexte de marasme boursier, la baisse du rendement
souverain américain traduisait sans doute une réallocation des portefeuilles
des investisseurs pour des actifs jugés liquides et sûrs. La contagion mondiale
de l’épidémie et du ralentissement économique et la perspective d’un soutien
budgétaire massif du gouvernement américain pourrait expliquer le surajustement
des taux américains.

[6] « We are not here to
close spreads 
».

[7] La répartition des achats de titres dans le cadre du
programme PSPP prévoit effectivement que ceux-ci soient déterminés en fonction
de la part des États
membres dans le capital de la BCE, ce qui signifie en pratique que la BCE
détient une proportion plus importante de titres allemands, puis français,
italiens…

[8] Voir Blot et Hubert (2019) pour une analyse des critiques qui avaient suivi les
mesures prises en septembre 2019.

[9] « monetary
policy has reached its limits ».

[10] Voir Corsetti, Kuester, Meier et Müller (2013).

[11] « an
ambitious and coordinated fiscal stance is now needed in view of the weakened
outlook ».

[12] Dans le cadre de l’OMT, la BCE s’engageait à acheter
les titres de dette à condition que les États adoptent un programme d’aide via le FESF / MES.

[13] Elle achète effectivement une part – du fait du poids
du PIB plus élevé de l’Allemagne – plus importante d’une dette moins élevée en
% du PIB. Cet argument est avancé et précisé dans Blot et Creel (2017).

[14] « To the extent that some self-imposed limits
might hamper action that the ECB is required to take in order to fulfil its
mandate, the Governing Council will consider revising them to the extent
necessary to make its action proportionate to the risks that we face. »




Pourquoi l’inflation européenne est-elle si faible ?

par Stéphane Auray et Edouard Challe

En septembre 2019, la Banque centrale européenne (BCE) annonçait une relance de ses politiques « non conventionnelles », incluant, en sus de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et des opérations ciblées de refinancement à long terme (targeted long-term refinancing operations, TLTRO), une baisse du taux des facilités de dépôts[i] avec une tranche de monnaie de réserve exonérée des taux négatifs de manière à limiter le coût des réserves pour les banques. Ce nouveau round de politiques accommodantes s’imposait en raison du contexte macroéconomique, marqué par un ralentissement de l’activité en zone euro et un décrochage de l’inflation.



Au début des années 2000, le taux d’inflation oscille autour de 2% et ne connaît que de légères fluctuations jusqu’à 2007 où il atteint son maximum d’avant-crise (voir le graphique 1). Il s’effondre ensuite pendant la « Grande Récession » (2008-2009) puis la crise des dettes souveraines (2011-2013). À ce jour, le taux d’inflation de la zone euro est toujours inférieur à celui d’avant 2008. Au total, entre 1999 (l’année de création de l’euro) et 2019, l’inflation moyenne en zone euro aura été relativement faible (1,7% en moyenne), et tout particulièrement depuis 2009 (1,3% en moyenne). Autrement dit, la BCE ne semble pas avoir atteint son objectif, explicité dès 2003, d’un taux d’inflation des prix à la consommation « inférieur à, mais proche de, 2 % ». Pourquoi cela ?

D’après la théorie économique, la
faiblesse de l’inflation reflète celle des coûts de production, et donc de la
demande agrégée : un niveau de demande faible se traduit par une moindre
tension sur les facteurs de production (travail, capital, énergie, matières
premières, …) et donc, toutes choses égales par ailleurs, une moindre croissance
de leurs prix. La pression concurrentielle conduit alors les entreprises à
répercuter ces faibles coûts sur leurs prix de vente, ce qui engendre une
désinflation des prix. À l’inverse, une expansion économique engendre
mécaniquement des tensions sur les facteurs de production et donc une hausse de
leur coût, laquelle est répercutée sur les prix de vente des entreprises et
fait monter le niveau général des prix. C’est la logique de de la « courbe
de Phillips », qui constitue l’un des blocs fondamentaux de la
macroéconomie monétaire depuis les années 1960. 
Ainsi, lorsque la banque centrale perd le contrôle de l’inflation, c’est
avant tout parce qu’elle a perdu le contrôle de la demande agrégée. De ce point
de vue, les pressions déflationnistes en zone euro ne sont que le reflet de
l’incapacité de la BCE à relancer suffisamment la demande.

Une explication alternative (et plausible)
à la faiblesse de l’inflation est que la BCE parvient à stimuler la demande par
ses politiques accommodantes, mais que la répercussion des variations de la
demande sur les coûts de production, et donc en définitive sur le niveau
général des prix et l’inflation, serait plus faible que par le passé – voire
aurait complètement disparu. Selon les partisans de cette théorie, la « pente
de la courbe de Phillips » serait devenue proche de zéro en zone euro, ce
qui expliquerait la perte de contrôle de l’inflation par la BCE. S’il fait
certes peu de doute que la pente de la courbe de Phillips s’est réduite aux États-Unis
depuis les années 1980, des
travaux empiriques récents conduisent néanmoins à nuancer le constat de
la « mort » de la courbe de Phillips, tant aux États-Unis qu’en zone euro. Une
autre caractéristique de la courbe de Phillips, indépendante de sa pente,
pourrait également expliquer la faiblesse de l’inflation européenne : on
sait depuis la conférence
présidentielle
de Milton Friedman au congrès de 1967 de l’American Economic Assocation  que la courbe de Phillips fait intervenir l’inflation
anticipée, en sus des tensions sur
les coûts de production, comme déterminant de l’inflation réalisée. Donc si
l’inflation anticipée décroche de sa cible alors elle tire vers le bas
l’inflation réalisée, indépendamment
du niveau de la demande. Cette inquiétude est légitime mais elle soulève deux
questions. Tout d’abord, les prévisionnistes
professionnels
régulièrement interrogés par la BCE prévoient une lente remontée
de l’inflation à l’horizon 2025 ; le décrochage des anticipations
d’inflation ne saute donc pas aux yeux. Ensuite, si la pente de la courbe de
Phillips n’est pas nulle, l’effet d’un décrochage des anticipations d’inflation
sur l’inflation réalisée devrait pouvoir être compensé par une relance
suffisamment prononcée de la demande.

Enfin, indépendamment des discussions
autour de la forme de la courbe de Phillips, certains commentateurs avancent
parfois des raisons « structurelles » aux pressions déflationnistes
de la dernière décennie, plutôt que de l’attribuer à la faiblesse de la demande,
ou à la moindre transmission des tensions sur la demande aux coûts. Selon cette
théorie, la pression concurrentielle à laquelle sont soumises les entreprises
se serait intensifiée, notamment en raison de l’ouverture au commerce
international et des nouvelles technologies. Cette concurrence accrue forcerait
les entreprises européennes (et mondiales) à comprimer leurs marges, ce qui
exercerait une pression baissière permanente sur les prix. Ces mécanismes ne
peuvent pourtant pas expliquer la faiblesse de l’inflation en zone euro. En
effet, le prix de vente d’une entreprise est (tautologiquement) le coût
unitaire de production multiplié par le facteur de marge. La pression concurrentielle
peut certes faire baisser le facteur de marge, mais cela ne peut être que très
progressif, et surtout transitoire puisque
le facteur de marge ne peut tomber en dessous de 1 (sans quoi le prix de vente
serait inférieur au coût unitaire de production et l’entreprise aurait intérêt
à fermer). Enfin, et c’est là le plus important, cette baisse graduelle du
facteur de marge devrait pouvoir être compensée par une variation du coût
unitaire de production, dont on vient de voir qu’il dépendait de la demande
agrégée. Ainsi, une banque centrale ciblant un certain niveau d’inflation (ce
qui est le cas de la BCE, ainsi que de la majorité des grandes banques
centrales) devrait en principe pouvoir annuler tout effet de la baisse
tendancielle des marges sur les prix en stimulant suffisamment la demande
agrégée. Tout ceci nous ramène au point de départ : pour comprendre
l’excès de déflation (ou du moins de désinflation) en zone euro, il nous faut
comprendre pourquoi la demande agrégée y est trop faible, et pourquoi la BCE ne
parvient pas à la relancer.

L’origine de la crise économique qui a frappé l’économie mondiale à partir de 2008 est aujourd’hui assez bien comprise. Au départ, un choc financier de grande ampleur a provoqué une explosion des primes de crédit (voir graphique 2), accompagnée, dans un certain nombre de pays, d’une phase de désendettement des ménages (graphique 3). La hausse des primes de crédit limite l’activité des emprunteurs risqués (ménages et entreprises), et le désendettement des ménages freine mécaniquement et durablement leur demande de consommation, tant en biens durables qu’en biens non durables. Par ailleurs, en zone euro, le choc initial de 2008-2009 a été prolongé par la crise des dettes souveraines, laquelle a provoqué une retombée en récession à partir de 2011. Sans remèdes adéquats, les chocs de demande négatifs de ce type ont tendance à s’amplifier d’eux-mêmes car ils font augmenter le chômage, ce qui fait baisser le revenu, la demande de consommation, et ainsi de suite – selon la logique du fameux « multiplicateur keynésien ». Ce faisant, ces chocs entraînent une pression baissière durable sur la production et sur l’inflation.

Selon la théorie (et la pratique) de la politique monétaire conventionnelle, il est à la fois souhaitable et possible de contrer efficacement de tels chocs de demande négatifs : il suffit que la banque centrale ajuste sa « posture » (stance) en penchant de manière suffisamment prononcée contre le vent de la déflation (en baissant ses taux directeurs, qui sont des taux d’intérêt nominaux à court terme). La banque centrale doit alors être suffisamment « réactive » : elle doit faire varier ses taux directeurs (qui sont des taux d’intérêt nominaux) plus de un pour un en réponse aux variations du taux d’inflation, de sorte que le taux d’intérêt réel (c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal moins l’inflation) chute lorsque l’inflation baisse, et inversement. C’est seulement sous cette condition que la banque centrale peut stimuler la demande agrégée et donc relever le taux d’inflation à la suite d’un choc de demande négatif (et inversement comprimer la demande lorsque l’inflation est trop élevée). La BCE s’est précisément engagée dans cette politique conventionnelle au début de la crise, en baissant ses différents taux directeurs de plus de 300 points de base en moins d’un an à partir de l’été 2008 ; puis de nouveau à partir de 2009, pour finalement atteindre un taux de 0% sur les opérations principales de refinancement (et -0,5% sur les réserves excédentaires, hors exemption, depuis septembre dernier).

Une fois ce stade atteint, il devient risqué de s’engager en territoire négatif de manière encore plus agressive, notamment en baissant davantage le taux d’intérêt sur les réserves excédentaires, car les banques pourraient en principe massivement demander à la banque centrale la conversion de leur monnaie de réserve (qui est électronique et inscrite au compte de la banque auprès de la banque centrale) en billets de banques physiques, dont la rentabilité nominale est de… 0% ! Rappelons simplement ici qu’un billet ne change pas de valeur nominale au cours du temps. Ainsi, une fois atteinte la « borne zéro » sur les taux d’intérêt, la banque centrale devient « passive » et non plus active car ses taux d’intérêt directeurs (collés à zéro, ou à des valeurs proches de zéro) ne peuvent plus répondre de manière suffisamment prononcée aux variations de l’inflation autour de sa cible. Un cercle vicieux se met alors en place, qui tend à entretenir la faiblesse de la demande agrégée et de l’inflation (cf. graphique 4) : comme le taux d’intérêt nominal ne baisse plus suffisamment à la suite des pressions déflationnistes, celles-ci engendrent une hausse du taux d’intérêt réel (d’après la relation de Fisher), laquelle affaiblit encore plus la demande agrégée (selon logique de la courbe IS). La baisse de la demande renforce les pressions déflationnistes initiales (en raison de la courbe de Phillips), ce qui conduit les agents économiques à anticiper une inflation faible, élève encore davantage le taux d’intérêt réel, et ainsi de suite. C’est pourquoi il est si difficile de redresser l’inflation et ses anticipations dans cette configuration macroéconomique, qui est celle dans laquelle se débat la zone euro depuis déjà un certain nombre d’années. Si les différentes politiques non conventionnelles mises en œuvres par la BCE ont permis de limiter la spirale déflationniste, elles n’ont pu totalement en éliminer les effets.


[i] La
Banque centrale européenne a trois taux directeurs officiels : (i) le taux
sur la facilité de dépôt
, auquel est rémunérée la monnaie de réserve excédentaire
que les banque détiennent sur leur compte auprès de la banque centrale ;
(ii) le taux
sur les opérations principales de refinancement
, auquel se refinancent les
banques, contre collatéral, à échéance d’une semaine; et (iii) le taux
d’intérêt sur les prêts marginaux
, qui est le taux débiteur auquel les
banque peuvent emprunter en urgence et au jour le jour auprès de la BCE.




Quelles marges de manœuvre pour la politique budgétaire en zone euro face aux menaces de ralentissement ?

par Christophe Blot, Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Raul Sampognaro

L’activité économique en Europe a
donné des signes d’essoufflement qui se sont traduits par un ralentissement en
2018, amplifié en 2019. La croissance du PIB de la zone euro a progressé de 1,2
% au troisième trimestre 2019 en glissement annuel contre 1,6 % un an plus tôt
et 3 % fin 2017. Les perspectives pour 2020 restent moroses et la croissance se
maintiendrait à un rythme de 1,2 % tirée notamment vers le bas par le
ralentissement allemand et la stagnation de l’Italie. Surtout, les risques sur
le scénario de croissance restent principalement orientés à la baisse, ce qui
pose la question de la capacité des autorités budgétaires à réagir pour amortir
un choc négatif et empêcher une éventuelle récession dans un contexte qui reste
marqué par un niveau des dettes publiques bien plus élevé qu’avant la Grande
Récession de 2009.



Dans un Policy
Brief
récent, nous discutons l’évolution de la dette publique et déterminons
quelle devrait être l’orientation des politiques budgétaires des pays de la
zone euro permettant d’atteindre un objectif de 60% de dette publique par
rapport au PIB en 2040. Nos analyses suggèrent qu’un assainissement budgétaire supplémentaire
semble irréaliste dans certains pays (France, Italie, Espagne et Belgique),
remettant en question la crédibilité de cet objectif. Certains pays – Allemagne
en tête – bénéficient cependant de marges de manœuvre pour conduire une
politique budgétaire plus expansionniste, ce qui permettrait non seulement
d’amortir le choc négatif en cours mais aussi d’atténuer les besoins de
consolidation devant être effectués par les autres pays. Il reste cependant que
la convergence vers un ratio de dette publique de 60 % du PIB à l’horizon
2040 pour l’ensemble des pays se traduirait par une réduction de la croissance
dans la zone euro, notamment dans les pays qui accusent déjà un retard de
croissance, renforçant de fait l’hétérogénéité. Comme l’ont montré les
précédents rapports iAGS et iASES. Ces
simulations rappellent que l’orientation de la politique budgétaire en zone
euro doit tenir compte des conséquences qu’elle génère en termes de croissance
du PIB – et par conséquent d’emploi – et de la vitesse de réduction de la dette
publique. Les autorités budgétaires n’échapperont pas à cet arbitrage entre des
objectifs qui peuvent être concurrents.

Cet arbitrage se fait dans un
contexte où les taux d’intérêts nominaux souverains s’établissent à des niveaux
historiquement bas, même négatifs, dans nombreux pays de l’union monétaire. Ce
scénario de taux bas semble être causé par des facteurs structurels
(démographie, montée des inégalités, ralentissement du tendanciel de
productivité) et pourrait être durable. Or, un niveau de taux plus bas facilite
l’ajustement de la dette et donne de l’espace fiscal aux États.
Nous illustrons cet effet en analysant l’impact (modéré) du taux d’intérêt sur
l’exigence de consolidation budgétaire. Ainsi, l’ampleur des marges de manœuvre
budgétaires dépendra fortement de la vitesse d’ajustement de la dette publique souhaitée
et du niveau des taux d’intérêt.




Taux d’intérêt négatifs : un défi ou une opportunité pour les banques européennes ?

Par Whelsy Boungou

Cela fait maintenant cinq ans que
les banques commerciales, notamment celles de la zone euro, font face à un
nouveau défi, celui de continuer à générer du profit en environnement de taux
d’intérêt négatifs.

A l’aube de la crise financière
mondiale de 2007-2008, plusieurs banques centrales ont implémenté de nouvelles
politiques monétaires dites « non-conventionnelles ». Ces dernières,
majoritairement les programmes d’achats massifs d’actifs (communément appelé Quantitative Easing, QE) et l’orientation
prospective sur les taux d’intérêt (Forward
guidance
), visent à sortir les économies de la crise en favorisant une
amélioration de la croissance économique tout en évitant un niveau d’inflation
trop faible (voire déflationniste). Depuis 2012, six banques centrales en
Europe (Bulgarie, Danemark, Hongrie, Suède, Suisse et Zone euro) et la Banque
du Japon ont progressivement introduit des taux d’intérêts négatifs sur les dépôts
et les réserves des banques, en complément aux mesures non-conventionnelles
déjà en vigueur. Par exemple, le taux des facilités de dépôts de la Banque
centrale européenne est désormais à -0.40% (voir graphique 1). En effet, comme
indiqué par Benoît Cœuré [1] l’implémentation des taux négatifs visent à taxer
les réserves excédentaires des banques afin que celles-ci les utilisent pour
augmenter l’offre de crédit.



Cependant, l’implémentation des taux négatifs a suscité au moins deux inquiétudes quant à ses effets potentiels sur la rentabilité et sur la prise de risques des banques. Premièrement, l’introduction de taux négatifs pourrait entraver la transmission de la politique monétaire s’ils réduisent les marges d’intérêt des banques et donc leur rentabilité. En outre, La baisse des taux de crédit pour les nouveaux prêts et la réévaluation de l’encours des prêts (principalement à taux variable) compriment la marge d’intérêt nette des banques lorsque le taux de dépôt ne peut être inférieur à zéro (Zero Lower Bound). Deuxièmement, en réponse aux effets sur les marges, les banques pourraient soit réduire la part des prêts non productifs dans leur bilan, soit rechercher d’autres actifs plus rentables que le crédit bancaire (“Search-for-yield“).  Dans un article récent [2], à l’aide de données de panel de 2442 banques des 28 pays membres de l’Union européenne sur la période 2011-2017, nous analysons les effets des taux négatifs sur le comportement des banques en termes de profitabilité et de prise de risque. Plus précisément, nous nous sommes posé trois questions : (i) Quels sont les effets des taux négatifs sur la profitabilité des banques ? (ii) Les taux négatifs encourageraient-ils les banques à prendre plus de risques ? (iii) La pression imposée aux marges nette d’intérêt par les taux négatifs inciterait-elle les banques à prendre plus de risque?

Au terme de notre analyse,  nous mettons en évidence la présence d’un
effet de seuil quand les taux d’intérêt passent en dessous de la barre de zéro.
Comme nous pouvons le voir sur le graphique 2, une réduction du taux de dépôts
des banques centrales (positif et négatif) de 1% a réduit les marges nettes
d’intérêt des banques de 0.429% lorsque les taux sont positifs, et de 1.023%
lorsqu’ils sont négatifs. Ainsi, les taux négatifs ont des effets plus grands
sur les marges nettes d’intérêt des banques comparé aux taux positifs. Ce
résultat justifie, en effet, la présence d’un effet de seuil à zéro. De plus, en
réponse à cet effet négatif sur les marges (et afin de compenser les pertes),
les banques ont réagi en augmentant leurs activités non liées aux taux
d’intérêt (frais de gestion de comptes, commissions, etc.). Par conséquent, sur
le court et le moyen terme rien ne justifiait le recours à des positions plus
risquées de la part des banques. Cependant, la question de la prise de risque
pourrait éventuellement se poser si les taux négatifs le restent pendant une
longue période et que les banques continuent à enregistrer des pertes sur les
marges nettes d’intérêt.

 

[1] Coeuré 
B.,  (2016).  Assessing 
the  implication  of 
negative  interest  rate. 
Speech  at  the 
Yale  Financial  Crisis Forum in New Haven. July 28, 2016.

[2] Boungou W., (2019). Negative Interest Rates, Bank Profitability and Risk-taking. Sciences Po OFCE Working Paper n° 10/2019.




Italie : sortir du double piège de l’endettement élevé et de la faible croissance

Par Céline Antonin, Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Francesco Vona

Depuis 20 ans, l’Italie apparaît prisonnière d’une faible croissance, d’un endettement élevé et de faiblesses structurelles, exacerbées par la Grande récession de 2008. Ainsi, en 2018, le PIB par habitant en volume, corrigé des parités de pouvoir d’achat, atteint le même niveau qu’en 1999 (graphique 1). L’Italie est désormais devancée par l’Espagne ; elle est également le seul des quatre grands pays de la zone euro qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise. Dans un Policy brief intitulé « Italie : sortir du double piège de l’endettement élevé et de la faible croissance », après avoir étudié l’historique de l’endettement public, nous tentons de cerner les causes de la stagnation italienne, qui s’illustre également par la baisse de la productivité globale des facteurs (graphique 2). Le graphique 2 montre que cette productivité globale des facteurs en Italie a connu une baisse cumulée de 7,9 % au cours des 20 dernières années. Ceci contraste avec les gains d’efficacité enregistrés en France et en Allemagne, où la productivité a augmenté respectivement de 4,1 % et 7,9 %.

Nous mettons notamment en exergue quatre faiblesses structurelles qui rongent le pays : le biais de spécialisation vers les secteurs à faible contenu technologique, la petite taille (« nanisme ») des entreprises et son impact sur la productivité, la collusion et le népotisme qui entraînent une mauvaise allocation des talents et des ressources, et enfin la fracture Nord-Sud et ses conséquences sur le marché du travail. Ces faiblesses nous inspirent quatre recommandations politiques pour une relance de la croissance en Italie. Au préalable, nous sommes convaincus que pour résoudre les problèmes de l’Italie, seule une approche mixte prenant en compte les interactions entre facteurs de demande et facteurs d’offre structurels est pertinente. Parmi les pistes de solutions, nous plaidons pour des politiques industrielles favorisant l’accumulation des connaissances et l’apprentissage, et pour une relance de l’investissement public. Nous préconisons également l’introduction d’un salaire minimum, et la facilitation des politiques de reconversion professionnelle. Il nous paraît également indispensable de parachever l’Union bancaire et de résoudre le problème des prêts non performants afin d’améliorer la solidité du secteur bancaire italien. Enfin, nous concluons que le sort de l’Italie est inextricablement lié à celui de l’Europe et que l’Italie a besoin de davantage d’Europe pour retrouver le chemin de la croissance.

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Les règles budgétaires en Europe, à débattre

Pierre Aldama et Jérôme Creel

Au sommet de la zone euro de décembre 2018, les chefs d’Etat et de gouvernement ont donné un sérieux coup de frein aux réformes de la gouvernance budgétaire : parmi les objectifs assignés au budget commun de la zone euro qu’ils appelaient de leurs vœux,  la fonction de stabilisation économique a disparu. C’est dommage dans la mesure où cette fonction est le point faible des règles budgétaires effectivement poursuivies par les Etats membres.

Dans un article récent, nous avons évalué comment les gouvernements répondent, par les outils budgétaires à leur disposition, aux informations sur l’évolution de la dette publique ou de la conjoncture dont ils disposent au moment de prendre leurs décisions budgétaires. Ainsi, au lieu d’évaluer les propriétés des règles budgétaires sur des données éventuellement révisées a posteriori, nous les évaluons « en temps réel ».[1]

Trois résultats principaux ressortent de notre étude. D’une part, les gouvernements européens assurent la soutenabilité de leurs dettes publiques, en améliorant leur solde budgétaire lorsque la dette publique augmente. D’autre part, nous trouvons une tendance à la consolidation budgétaire en bas de cycle dans la zone euro : la politique budgétaire y est plutôt déstabilisatrice. Enfin, les Etats membres de la zone euro adoptent un comportement que l’on ne retrouve pas dans les pays non-européens de notre échantillon : contrairement à eux en effet, les Etats membres de la zone euro continuent de stabiliser leurs dettes publiques en bas de cycle et pendant les années de crise. Ainsi la politique budgétaire des pays de la zone euro apparaît-elle assez nettement à contretemps et à contre-emploi.

L’ensemble des résultats obtenus pour la zone euro plaide pour une réforme des règles budgétaires européennes, mais pas forcément dans le sens le plus généralement admis. La question de la stabilisation de la dette publique ne semble pas primordiale dans la mesure où elle est d’ores et déjà assurée par les politiques budgétaires mises en œuvre. Il conviendrait plutôt de rééquilibrer les objectifs de ces politiques budgétaires en faveur de la stabilisation macroéconomique, surtout si aucun mécanisme commun – un budget de la zone euro – n’est créé à cet effet. Les politiques budgétaires européennes ont grand besoin d’être plus souples, moins normatives, et centrées sur les propriétés de stabilisation macroéconomique. Puisqu’une aucune avancée n’est envisagée au plan européen, il faudrait renforcer les stabilisateurs automatiques nationaux, en augmentant la progressivité fiscale et la réactivité des dépenses sociales aux variations de l’activité économique pour faire face, individuellement et collectivement, au prochain retournement conjoncturel.

[1] Un, sinon le premier article consacré à l’évaluation des règles budgétaires à partir de données « en temps réel » est Golinelli et Momigliano (Journal of Policy Modeling, 2006). On trouvera une synthèse de cette littérature dans Cimadomo (Journal of Economic Surveys, 2016).




L’euro-isation de l’Europe

par Guillaume Sacriste, Paris 1-Sorbonne et Antoine Vauchez, CNRS et Paris 1-Sorbonne

Dans le dernier article de La Revue de l’OFCE (n° 165, 2019) accessible ici, les auteurs analysent l’émergence d’un nouveau gouvernement européen, celui de l’euro, construit pour une large part à la marge du cadre institutionnel de l’Union. Ce faisant, il rend compte d’un processus de transformation de l’Europe (Union européenne et États membres), qu’on qualifie ici « d’€-isation de l’Europe », autour de trois dimensions : 1) la formation en son cœur d’un puissant pôle des Trésors, des banques centrales et des bureaucraties financières nationales et européennes ; 2) la consolidation d’un système de surveillance européen des politiques économiques des États membres ; 3) la progressive re-hiérarchisation des priorités politiques et des politiques publiques de l’Union européenne comme des États membres autour d’une priorité donnée à la stabilité financière, à l’équilibre budgétaire et aux réformes structurelles. L’article permet ainsi de redéfinir la nature des « contraintes » que la gestion de la monnaie unique fait peser sur les économies des États membres, des contraintes moins juridiques que socio-politiques, moins extérieures et surplombantes qu’immanentes et diffuses, et au final étroitement liées à la position clé désormais occupée par le réseau transnational de bureaucraties financières dans la définition des problèmes et des politiques européennes.