Dégressivité des allocations-chômage : que peut-on attendre ?

Par Bruno
Coquet

La dégressivité des allocations
chômage est populaire, car sa mécanique intuitive de pression financière sur
les chômeurs a la force de l’évidence. Vingt ans après sa suppression, la
dégressivité sera réintroduite en 2021, pour les chômeurs ayant un salaire de
référence supérieur 4 500€.

Les gains immédiats de la
dégressivité en termes de sorties du chômage et de baisse des dépenses
d’assurance à court terme sont le plus souvent au rendez-vous. En pratique, la
dégressivité n’est cependant en vigueur que dans une petite minorité de pays
comparables à la France, mais sous des formes à la fois moins ciblées et moins
sévères. En effet, cette formule fait face à une
forte opposition des chômeurs concernés et de la littérature économique. Replacée dans le panorama complet des différents aspects de
l’assurance chômage, cette formule a en effet de nombreuses conséquences
délétères, si bien que la théorie économique comme les évaluations conduisent
très majoritairement préférer des profils constants, ou même progressifs.



L’assureur qui choisit la
dégressivité doit veiller à ce que les problèmes en matière de retour à
l’emploi soient avérés, et solubles par la vertu des incitations attribuées à cette
formule. De ce point de vue, les faits tels qu’ils sont actuellement documentés
ne sont pas propices à la dégressivité, en particulier pour les chômeurs qui
seront visés : en effet, les chômeurs indemnisés sont nettement plus
actifs que les autres dans leur recherche d’emploi, et ce d’autant plus qu’ils
sont diplômés, qualifiés et âgés ; en outre, ceux-ci ont également les
taux de remplacement les plus faibles, leur salaire de réserve n’est pas
excessif, et ils le réduisent
très fortement pour retrouver un emploi. Il existe donc un fort risque que la
dégressivité les contraigne au déclassement et à l’insolvabilité, qui sont
précisément les deux principaux effets du chômage non-indemnisé que l’assurance
chômage a pour objet d’éviter.

L’assureur doit également
inclure la dégressivité dans un ensemble simple, clair et cohérent de règles, qui
optimise ses effets positifs et prévient ses effets indésirables. Les modalités
et paramètres de la dégressivité qui va entrer en vigueur soulèvent plusieurs
questions importantes :

  • La règle manque de clarté,
    laissant une marge d’interprétation pour une application plus large que ce qui
    est communément admis. Si tel était le cas, une inversion fâcheuse des
    incitations en découlerait, avec à la clé 1,2Md€ d’économies, au lieu des
    460Mo€ attendus par l’Unedic en année de croisière.
  • Le coefficient de
    dégressivité fixé à –30% est particulièrement prononcé par rapport aux pratiques
    observées ailleurs. Cette réduction de l’allocation prend ainsi les
    caractéristiques d’une taxe sur l’absence de reprise d’emploi, alors même que
    les chômeurs concernés remplissent leurs obligations (car sinon ils seraient
    sanctionnés). Ce prélèvement amènera le taux de remplacement en-dessous de 40%,
    donc significativement moins que ce qu’exige l’objectif de maintien de la
    consommation, mais aussi moins que la norme de 
    45% établie par la Convention n°102 à laquelle se réfère habituellement
    l’Unedic. En outre, le coefficient de dégressivité retenu affecte la
    contributivité du régime, puisque les contributions sont désormais fortement
    croissantes avec le salaire, tandis que les allocations suivent une pente
    opposée.
  • La dégressivité s’applique
    de manière précoce, indépendamment de la durée potentielle des droits et donc
    des caractéristiques des chômeurs, ce qui engendrera des incitations
    hétérogènes. Une date de dégressivité qui n’est pas relative à la durée des
    droits équivaut à revisiter la cohérence entre règles d’éligibilité et droits
    alloués. De plus, un seuil de salaire ne se justifie guère si l’objectif est de
    stimuler la reprise d’emploi.
  • La dégressivité va toucher
    ou épargner des chômeurs selon leur statut, donc sans lien avec un comportement
    ou un choix de leur part. Et dans ce cas, les inégalités entre les chômeurs
    ayant accès à des dispositifs dérogatoires (par exemple le CSP) ou seulement au
    droit commun de l’ARE vont devenir considérables, sans que ni leur salaire antérieur,
    ni la cause de leur entrée au chômage, leur comportement de recherche d’emploi,
    ou encore le marché du travail auquel ils sont confrontés ne les distinguent.
  • La dégressivité ne
    s’appliquera pas en fonction de l’âge du chômeur, mais selon sa date d’entrée
    au chômage, ce qui est difficilement compréhensible au regard de l’efficacité
    comme de l’équité.

Le nouveau document de travail publié le 7 décembre 2020 « Dégressivité des allocations chômage : que peut-on en attendre ? » actualise le cadre théorique décrit dans des travaux antérieurs (OFCE Policy Brief n°4, 2016 ; Document de Travail OFCE n°01-17) et la situation factuelle qui préside à l’instauration de la dégressivité. Il s’intéresse également à certaines imperfections dans les principes ou les paramètres du dispositif qui entrera bientôt en vigueur. Des solutions opérationnelles sont proposées, qui ont pour point commun d’essayer de simplifier et d’uniformiser les règles, d’éviter le creusement d’inégalités, et d’augmenter l’efficience de l’assurance chômage.