L’impossible programme des candidats à l’élection présidentielle

par Henri Sterdyniak

Tous les candidats devront présenter en 2012 un programme de politique économique pour 5 ans. Seront-ils raisonnables, au prix d’une forte montée du chômage, d’un optimisme aveugle, en minimisant les effets de la politique budgétaire sur l’activité, ou aventureux ? Et auront-ils le choix ?

Tous les candidats devront présenter en 2012 un programme de politique économique pour 5 ans. En 2012, le déficit public français devrait être de l’ordre de 5% du PIB.

Les candidats doivent faire deux choix : le premier, politique, est l’objectif de réduction du déficit public ; le deuxième, économique, est l’hypothèse sur la croissance spontanée de la France, avant la mise en œuvre du programme, sachant que la croissance pourrait être forte (puisque l’on est en période de sortie de crise), mais qu’elle peut être affaiblie par les politiques budgétaires restrictives des autres pays.

Considérons d’abord un candidat raisonnable. Les contraintes européennes, la surveillance des agences de notation et des marchés financiers le contraignent à présenter un programme aboutissant à l’équilibre en 5 ans, soit en 2017. Le candidat fait l’hypothèse raisonnable, conforme à l’opinion de la plupart des économistes et des institutions internationales, que la croissance avec politique budgétaire neutre serait de 2%. Raisonnable, il estime que le multiplicateur budgétaire est de 1 (une baisse des dépenses publiques  ou une hausse des impôts de 1% du PIB induit une baisse de 1% du PIB). Il doit alors présenter le programme raisonnable de la première colonne du tableau ci-dessous. Une politique budgétaire restrictive de 1% du PIB par an (de façon à gagner 5 points en 5 ans) ne suffit pas, car celle-ci réduit la croissance économique, ce qui réduit les rentrées fiscales. Il faut donc être encore plus restrictif. A la fin, l’effort budgétaire doit être de 2 points de PIB par an et la croissance ex post est nulle. Le taux de chômage atteint 14,5%. Le programme raisonnable aboutit à la catastrophe économique. De plus, le candidat raisonnable doit annoncer une hausse des impôts de 20 milliards par an et faire passer le taux de croissance des dépenses publiques à 0% (au lieu d’une croissance tendancielle de 2% par an). Sera-t-il possible de maintenir, pendant 5 ans, une  croissance nulle des dépenses publiques, compte tenu de la hausse des dépenses de santé, de retraites et de chômage (en raison de la stagnation de l’activité) ?

Comment échapper à cette catastrophe ? La méthode  mise en œuvre par le Programme de stabilité présenté par la France à Bruxelles en avril 2011 consiste à nier l’impact des politiques budgétaires restrictives sur l’activité, à prétendre que le multiplicateur budgétaire est nul. Mais comment la restriction budgétaire ne se traduirait pas par une baisse de la demande, dans une situation où les taux d’intérêt ne peuvent guère diminuer, où la France ne peut compter sur une baisse de son taux de change ? Il faut prétendre que les ménages diminueraient fortement leur taux d’épargne alors que la politique mise en œuvre se traduirait par une hausse du chômage, des impôts et une baisse des dépenses sociales. Comment justifier qu’une politique budgétaire expansionniste était nécessaire en 2009 pour soutenir l’activité et qu’une politique restrictive n’aurait pas d’effet dépressif en 2012-2017 ? Est-ce un hasard si les documents du ministère de l’Economie ne présentent plus d’évaluation chiffrée, à l’aide d’un modèle macroéconomique, de l’impact de la politique budgétaire envisagée  sur la croissance ? Comment prétendre que la croissance spontanée de la France serait de l’ordre de 2,5% dans une zone euro où tous les pays mettraient en œuvre de fortes politiques d’austérité ? Avec ce déni de la réalité, une croissance ex ante de 2,5 % par an permet d’aboutir à une croissance ex post de 2,5%, malgré un effort budgétaire de 0,75 point de PIB par an. Il suffit alors de trouver 0,25% de PIB d’impôts supplémentaires par an (25 milliards en 5 ans) et de réduire la croissance des dépenses publiques à 1% par an (ce qui, par ailleurs, n’est pas acquis).

On le voit, avec une contrainte de solde public nul ex post, la politique possible dépend fortement des hypothèses économiques. Donner à un « Comité indépendant de politique budgétaire » le pouvoir de fixer les hypothèses de croissance, en s’astreignant à vérifier les contraintes européennes, comme le proposent certains économistes, revient à lui donner le droit d’imposer la politique raisonnable, celle qui conduit à la catastrophe.

Le programme aventureux consiste à oublier l’objectif de solde public, tant que la France n’est pas revenue à un niveau d’emploi satisfaisant. Ne pas viser à réduire le déficit par des politiques d’austérité, mais par le soutien à la croissance, obtenu en augmentant les impôts des plus riches pour financer des dépenses à fort impact sur la demande (prestations sociales) ou sur le potentiel de croissance (soutien aux industries vertes par exemple). Créer un système financier public pour financer un vaste programme d’adaptation à la croissance durable.

Avec une hypothèse optimiste de croissance ex ante de 3%, le déficit serait réduit à 2,5% en 2017, ce qui est suffisant pour stabiliser la dette. Cette hypothèse n’est pas si optimiste qu’il pourrait sembler : en 2012, le PIB devrait être inférieur d’environ 8% au niveau qu’il aurait atteint sans la crise financière : il s’agit de combler 5 de ces 8 points. Aucun effort budgétaire n’est requis. Reste à convaincre les marchés financiers, les agences de notation, nos partenaires européens et les institutions européennes de la crédibilité de cette stratégie, qui sera d’autant plus forte que plus de pays en Europe l’adopteront. Les candidats ont donc le choix entre la raison qui amène à la stagnation économique ; l’optimisme aveugle ou une politique aventureuse.




La BCE peut-elle faire machine arrière ?

par Christophe Blot

Le Conseil des gouverneurs de la BCE s’est réuni jeudi 8 septembre 2011 pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. Après la hausse d’un quart de point en juillet portant le principal taux directeur à 1,5 %, la dégradation récente de la situation conjoncturelle pose la question de l’opportunité de la poursuite de la hausse et même celle d’un éventuel retour en arrière sur les décisions précédentes de la BCE.

Au cours du premier trimestre 2011, l’accélération de la croissance, qui s’était établie à 0,8 % et le regain de tensions sur les prix de l’énergie qui alimentait l’inflation semblaient accréditer le scénario de la BCE d’une sortie de crise et de la nécessité d’une normalisation progressive de la politique monétaire. Pourtant, les décisions de la BCE pouvaient déjà paraître un peu hâtives au regard de l’absence de résolution pérenne de la crise budgétaire et du diagnostic porté sur le risque inflationniste (cf. Faut-il craindre un retour de l’inflation dans la zone euro ?). Par ailleurs, depuis quelques semaines, les mauvaises nouvelles se succèdent de part et d’autre de l’Atlantique témoignant de la fragilité de la reprise et reflétant la situation inextricable des finances publiques. La croissance dans l’ensemble de la zone euro a marqué le pas au deuxième trimestre puisque le PIB n’a progressé que de 0,2 % (cf. le communiqué d’Eurostat). La consommation des ménages est en baisse, l’investissement ne confirme pas le rebond du trimestre précédent et, sans une contribution du commerce extérieur positive, la croissance aurait été négative reflétant la faiblesse des ressorts internes de la croissance dans une zone où tous les pays ont fait le choix de la rigueur budgétaire. Depuis le mois de mars, les enquêtes de conjoncture se dégradent rapidement (graphique 1) ce qui se traduit dans les indicateurs avancés de la croissance par une anticipation de négative sur le deuxième semestre 2011 (cf. L’indicateur avancé zone euro).


Source : Commission européenne

Autre source d’inquiétude : la spirale dépressive s’est de nouveau emparée des marchés financiers qui ont plongé au cours de l’été en raison des tergiversations en matière de gouvernance dans la zone euro et de la fragilité supposée du système bancaire (cf. la déclaration de Christine Lagarde, Directrice générale du FMI). Les risques de défaut de la Grèce comme celui d’une contagion de la crise ne sont toujours pas écartés. Les tensions sur le marché interbancaire sont également réapparues comme le montrent l’augmentation rapide de l’écart de taux entre les prêts interbancaires garantis (taux Eurepo) et les prêts à même échéance non garantis (taux Euribor). Sans atteindre le niveau de tensions qui avait suivi la chute de la banque Lehman Brother en septembre 2008, ces écarts de taux s’envolent depuis le début du mois d’août (graphique 2). Enfin, après avoir atteint un pic à 2,8 % en avril, l’inflation a diminué progressivement à 2,5 % en août. De même, l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire excluant les composantes volatiles comme l’énergie et l’alimentaire, a reculé de 1,6 % à 1,2 % confirmant que le risque inflationniste est faible dans un contexte de chômage massif.


Source :  Datastream

Dans ces conditions, est-il pertinent de poursuivre le mouvement de hausse des taux ? La BCE a commis une erreur d’appréciation ; elle s’est engagée prématurément dans un cycle de hausse de taux. Ce faisant elle a ajouté un frein supplémentaire à une croissance déjà bridée par l’austérité budgétaire des pays de la zone euro. Cette situation rappelle celle de l’été 2008 où la BCE avait décidé d’une augmentation de son taux directeur à quelques semaines d’une tempête financière et alors même que la zone euro était déjà entrée en récession. La BCE avait dû rapidement faire machine arrière pour faire face à l’effondrement de la croissance. De même en 1937, le resserrement hâtif de la politique monétaire aux Etats-Unis avait rapidement fait replonger l’économie américaine en récession obligeant la banque centrale à baisser ensuite rapidement les taux.
La position de la BCE est donc aujourd’hui assez délicate. Elle pourrait juger qu’un retour en arrière pourrait nuire à sa crédibilité. Mais il en serait tout autant si elle s’enfermait dans un jugement erroné de la sortie de crise et des risques inflationnistes. Par ailleurs, à quelques mois de sa succession, Jean-Claude Trichet pourrait juger qu’il est plus sage de ne pas modifier l’orientation de la politique monétaire afin de ne pas mettre sous pression son successeur Mario Draghi qui doit prendre ses fonctions en novembre. Si une chute de la croissance comparable à celle de 2008-2009 paraît aujourd’hui peu probable, les tensions actuelles en matière bancaire et de finances publiques nécessitent cependant un soutien supplémentaire de la part de la politique monétaire. Avec un taux à 1,5 %, la politique monétaire reste accommodante mais une nouvelle baisse montrerait l’engagement de la BCE en faveur de la croissance. Une politique monétaire adaptée à la situation macroéconomique et financière doit aujourd’hui l’emporter sur toute considération relative à la crédibilité d’un éventuel revirement de la BCE. Enfin, une autre possibilité serait d’accélérer et d’amplifier le programme d’achats de titres publics afin de peser sur les taux d’intérêt à long terme et offrir ainsi une solution à la crise des dettes souveraines.




Quel impact de la politique budgétaire sur la croissance française?

par Eric Heyer

La bonne grille d’analyse de l’économie française est celle d’une grande économie peu ouverte et non pas celle d’une petite économie ouverte : elle est dans une situation conjoncturelle encore fortement dégradée et loin de sa position d’équilibre (chômage de masse, existence de surcapacités de production), avec des pays européens qui adoptent la même orientation de politique budgétaire.  Dans ces conditions, tout laisse conclure que les multiplicateurs budgétaires sont élevés. Ainsi, le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique :  les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1. 

A la suite d’une profonde récession, la méthode la plus adaptée à un exercice de prévision de l’activité à court terme (2 ans) consiste à évaluer le retour (vitesse et ampleur) spontané de l’économie vers son niveau d’équilibre ou potentiel mais aussi et surtout à quantifier l’impact de chocs exogènes (prix des matières premières, politique économique…) sur cette trajectoire spontanée.

Lors de notre dernière prévision, nous signalions que le potentiel de rebond de l’économie française est important : celui-ci correspondrait à une croissance spontanée de près de 4 % l’an au cours des années 2011 et 2012, permettant de rattraper, 4 ans après le début de la crise,  l’écart de production observé au cours de celle-ci.

Deux chocs exogènes freineront ce retour au potentiel. Le premier est lié à l’envolée des prix des matières premières : absorbé principalement par les ménages, ce choc pèsera sur leur pouvoir d’achat et limitera leurs dépenses. Ce mécanisme, également à l’œuvre dans les autres pays occidentaux, provoquera un ralentissement de leur économie et donc de leur demande adressée à la France. En cumulé, ce choc de pouvoir d’achat diminuera  d’1 point la croissance de l’économie française au cours de la période 2011-2012. Le second est lié à la politique budgétaire : à partir de 2011, les grands (et petits) pays développés, face à la montée de leur dette et au creusement de leur déficit public, vont mettre en place des politiques de restrictions budgétaires. La généralisation de cette stratégie portera un coup de frein à la croissance économique,  évaluée à  2,8 points de PIB au cours des années 2011-2012.

Si l’évaluation d’un choc de pouvoir d’achat est relativement consensuelle, il n’en va pas de même pour l’incidence de la politique budgétaire sur l’activité.

Quelle valeur du multiplicateur budgétaire ?

Depuis la Grande Dépression, la pensée économique se partage autour de l’évaluation de l’impact de la politique budgétaire. Dans l’histoire de la pensée économique, deux grandes écoles théoriques s’opposent sur l’impact attendu à court terme d’une politique budgétaire sur l’activité économique ((A long terme, l’efficacité d’une politique budgétaire disparaît. )). D’un côté, l’école dite « keynésienne » considère qu’une augmentation d’un point de PIB des dépenses publiques (ou d’une baisse équivalente des impôts) doit donner lieu à une augmentation du PIB de plus d’un pourcent : on parle alors strictement d’effet multiplicateur keynésien. De l’autre, il existe une série d’arguments théoriques qui mettent en cause les capacités de la politique budgétaire à engendrer une augmentation plus que proportionnelle du PIB. Dans cette école, il faut alors distinguer ceux qui concluent en faveur d’un multiplicateur budgétaire positif (quoiqu’inférieur à l’unité) de ceux qui concluent en faveur d’un multiplicateur budgétaire négatif ; dans ce dernier cas, on parlera strictement de multiplicateurs budgétaires anti-keynésiens.

De nombreux travaux empiriques ont tenté de trancher ce débat théorique. Une revue de la littérature sur ce sujet nous enseigne  que le multiplicateur budgétaire est toujours positif et que sa valeur serait d’autant plus élevé que :

  1. Les politiques budgétaires sont synchrones dans les pays partenaires ;
  2. L’instrument utilisé est centré sur les dépenses publiques plutôt que sur la fiscalité (Haavelmo (1945) (( Haavelmo T. (1945), “Multiplier effects of a balanced budget”, Econometrica, vol. 13, n°4, octobre, pp. 311-318.));
  3. La politique monétaire est inefficace (FMI (2010) ((FMI (2010), “Recovery, Risk, and Rebalancing”World Economic Outlook, chapitre 3, octobre. ));

Dans un article récentl’OFCE à mis en avant un 4e facteur, lié à la situation conjoncturelle : le multiplicateur serait d’autant plus élevé que l’économie se situe en bas de cycle.

Que pouvons-nous dire dans le contexte économique actuel ?

La mise en place de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens (critère 1), centrées sur la réduction des dépenses publiques (critère 2) et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » (critère 3) décrit un contexte de multiplicateur élevé.

Seule l’hypothèse selon laquelle la crise économique ne s’est pas contentée de provoquer une chute de la production mais a également pu avoir un fort impact sur le potentiel économique des économies de la zone pourrait rendre la stratégie actuelle de consolidation budgétaire optimale (critère 4): sous cette hypothèse, la hausse du chômage structurel serait identique à celle du chômage observé et les multiplicateurs budgétaires seraient faibles à court terme et nuls à long terme.

Si en revanche le potentiel de croissance des économies n’a pas été significativement modifié au cours de cette crise, alors l’efficacité apparente de cette stratégie budgétaire disparaîtrait et viendrait conforter les 3 premiers critères, renforçant son caractère austère.

Sur ce point crucial, la forte stimulation due aux politiques économiques rend plus hypothétique l’évaluation de la nouvelle trajectoire potentielle de l’économie et complexifie le choix de la politique de sortie de crise et du tempo de sa mise en place. Pour autant, la violence du choc initial permet, semble-t-il, de lever toute ambiguïté dans le cas des pays développés : même à considérer que cette crise ait eu un impact puissant sur la croissance potentielle de l’économie, cela ne permettrait toutefois pas d’annuler les surcapacités engendrées par celle-ci et accumulées depuis trois ans.

Tableau 1. Quel autre scénario de sortie de crise ? Le cas d’une politique budgétaire neutre en lieu et place de la politique d’austérité annoncée.
Résumé de l’impact d’une politique budgétaire neutre  sur le taux de chômage et les finances publiques
En  écart de point de % par rapport au scénario central
2011 2012
PIB 1,7 1,1
Solde des APU (en point de PIB) -0,6 -0,6
Taux de chômage -0,9 -1,5
Sources : INSEE ; calculs OFCE e-mod.fr.

Il est également possible d’enrichir cette analyse en l’abordant cette fois sous l’angle du chômage et non plus sous celui de la production : depuis le début de cette crise, le chômage a connu une hausse aussi brutale que spectaculaire en passant de 7,2 % en début d’année 2008 à 9,3 fin 2010. Cette hausse du chômage ne peut pas être considérée comme une hausse du chômage d’équilibre: au cours de la période, il n’y pas eu de modifications notables des institutions ou des pratiques sur le marché du travail, déterminants principaux du chômage d’équilibre. Certes, à court terme, le chômage d’équilibre a pu être modifié par une mauvaise allocation sectorielle des ressources en capital ou en main-d’œuvre. De la réallocation peut également découler une baisse de productivité. Mais, en tout état de cause, rien ne permet de conclure à une hausse durable du chômage d’équilibre. Ainsi, la situation actuelle est bien une situation de sous emploi involontaire par rapport à celle que l’on pourrait avoir, sans inflation, avec la pleine utilisation de la main-d’œuvre disponible.

Dans ces conditions tout laisse conclure que les multiplicateurs sont élevés : la situation conjoncturelle est encore fortement dégradée et loin de sa position d’équilibre (chômage de masse, existence de surcapacités de production) ; la politique monétaire peine à mordre ; et tous les pays développés sont dans la même configuration et vont donc conduire la même politique.

La bonne grille d’analyse théorique est alors celle d’une grande économie peu ouverte et non pas celle d’une petite économie ouverte.  Ainsi, le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique :  les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1.

Une simulation de politique budgétaire neutre indique que le choix de consolidation budgétaire proposé par les pays développés va empêcher l’enclenchement d’un enchaînement vertueux : sans elle, la croissance dans l’hexagone aurait été supérieure de 1,7 point en 2011 et de 1,1 point en 2012 (tableau 1). Cela aurait permis au taux de chômage d’entamer une décrue significative (-1,5 point), pour finalement s’établir à 7,8 % en 2012, niveau proche de celui qui prévalait avant la crise. Le déficit des APU aurait bénéficié également de ce surcroît d’activité : celui-ci se serait réduit, certes moins que dans le cas de la politique d’austérité annoncée (5 points de PIB), en atteignant 5,6 points de PIB en 2012 (tableau 1). En élevant le taux de chômage de 1,5 point par rapport à la situation de référence, à savoir celle sans politique budgétaire restrictive, le coût d’une réduction de 0,6 point de PIB du déficit des APU apparaît extrêmement élevé.





Fin de la prime à la casse : les effets négatifs sont à venir

par Hervé Péléraux et Mathieu Plane

Dans une note parue au début de l’été 2011, nous expliquions pourquoi le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendrait au deuxième trimestre 2011. Nous estimions à -0,4 % sa contribution au PIB français durant ce trimestre. L’épisode de la prime “Fillon” ne se démarque guère des expériences passées : en créant des effets d’aubaine temporaires, les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période.

Un secteur automobile sinistré

Le secteur automobile a traversé une crise sans précédent lors de la récession de 2008/09. La production de la branche « matériels de transport » a reculé de plus de 20 % entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2009. A titre de comparaison, au cours de la crise de la  première moitié des années 1990, la production avait reculé de 17 % entre le premier trimestre 1990 et le quatrième trimestre 1993, soit moins en quatre années à l’époque qu’en un an en 2008/09.

La baisse de la production n’a été que la réponse des constructeurs à l’effondrement des marchés intérieurs et extérieurs. Au plus fort de la récession, la consommation de matériels de transport par les ménages a reculé de 11 % sur un an en 2008, les achats des entreprises de 28,5 % et les exportations de 27 %, soit au total une contraction des débouchés du secteur de 18,5 % (contre 14 % en quatre ans lors de la crise de la première moitié des années 1990). C’est dire l’ampleur du choc auquel a été confronté le secteur automobile.

La crise financière, qui a démarré à l’été 2007, s’est dangereusement aggravée avant la mise en place, dans le dernier trimestre de 2008, de plans de sauvetage visant à soutenir les établissements de crédit en difficulté et à restaurer la confiance au sein du système financier. Cette crise a paralysé l’activité de crédit des banques aux entreprises et aux particuliers. L’investissement productif, mais aussi les segments de la consommation des ménages qui dépendent du crédit, comme les achats d’automobiles majoritairement financés par emprunt, ont été les vecteurs de transmission de la crise de la sphère financière vers la sphère réelle.

Des mesures de soutien efficaces…

Pour tenter de relancer l’activité du marché, le gouvernement a institué en décembre 2008 un système de « primes à la casse » visant à stimuler les achats d’automobiles et calqué sur celui déjà mis en place dans le passé (primes Balladur en 1994, Juppé en 1996 ((Ce système avait déjà été expérimenté lors du creux conjoncturel des années 90. Pour soutenir la consommation, le gouvernement Balladur avait mis en place entre février 1994 et juin 1995 une subvention de 762 euros (5000 francs) pour la mise au rebut de véhicules vieillissants contre l’achat d’un véhicule neuf. Ce dispositif a été institué à nouveau peu de temps après entre octobre 1995 et octobre 1996, avec les primes Juppé comprises entre 5000 francs (762 euros) et 7000 francs (1067 euros) selon la catégorie du véhicule. )). Ce système consistait à offrir une prime, 1000 euros jusqu’au 31 décembre 2009 (prime « Fillon 1 ») ramenée à 700 euros jusqu’au 1er juillet 2010 (prime « Fillon 2 ») et enfin à 500 euros jusqu’au 31 décembre 2010 (prime « Fillon 3 »), pour l’achat d’une automobile neuve en remplacement d’un véhicule de plus de 10 ans. Ce mécanisme vise à inciter les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Il a pour effet de concentrer, sur un intervalle de temps limité à sa durée d’application, des achats qui autrement auraient été étalés dans le temps. La vague de ventes qui en résulte pour les constructeurs permet ainsi de soutenir ponctuellement le secteur automobile quand il traverse des difficultés temporaires. Une partie des ventes supplémentaires suscite un courant d’importations de voitures qui profite bien sûr aux constructeurs étrangers et pas aux constructeurs nationaux, mais la plupart des partenaires commerciaux de la France ont aussi mis en place simultanément de tels dispositifs qui ont en retour bénéficié aux exportations françaises d’automobiles.

L’effet de la mesure s’est développé tout au long de 2009 (graphique 1), avec, comme en 1994 et 1996, une montée en charge progressive qui a culminé à la veille de la diminution du bonus de 1000 à 700 euros au 1er janvier 2010. Beaucoup d’acheteurs, c’est en tout cas ce que l’expérience suggère, ont en effet tendance à « attendre la dernière minute » pour profiter de l’avantage. Il en a résulté une poussée des immatriculations en fin d’année 2009, qui s’est d’ailleurs reproduite à l’identique en fin d’année 2010 avant la disparition complète de l’avantage au 1er janvier 2011 ((Le passage de la prime de 700 à 500 euros au 1er juillet 2010 n’a par contre pas provoqué la même ruée en juin, probablement parce que le marché « digérait » encore la poussée des achats de 2009. )).

Le secteur automobile a rapidement profité de ce dispositif de soutien, avec une reprise de la production de la branche « matériels de transport » de 15 % en quatre trimestres depuis le point bas du premier trimestre 2009, une hausse de la consommation des ménages en matériels de transport de 13 % et, grâce au même type de mesure mis en place chez les partenaires, un regain d’exportations de 22 %. Même si les niveaux d’avant-crise ne sont pas dépassés, – et le retour à la croissance ne doit pas faire oublier que sur trois ans l’activité du secteur est encore en recul au début 2011 – au moins la spirale baissière a-t-elle été enrayée.

1. Immatriculation de véhicules de tourisme neufs

 

En milliers, cvs

Source : INSEE.

… qui n’ont qu’un caractère temporaire

La contrepartie de ces vagues d’achat a été un reflux massif du marché une fois minoré, ou éteint, le dispositif. Les primes ne permettent pas, et c’est ce que montre aussi l’expérience passée, d’accroître durablement les ventes. Le passage en creux des immatriculations sous la moyenne de longue période après les primes « Balladur » et « Juppé » en témoigne. Les primes créent un effet d’aubaine temporaire qui pousse les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Mais il ne s’agit bien ici que d’accélérer la prise de décision d’un renouvellement. L’épuisement du stock de véhicules pouvant prétendre au bénéfice de la mesure, ou l’arrivée à échéance du dispositif, provoque par la suite un contrecoup à la baisse à la mesure de l’engouement précédent. Par exemple, durant l’intervalle de trois mois qui a séparé les primes « Balladur » des primes « Juppé », les immatriculations mensuelles moyennes ont reculé de 13 % par rapport à la moyenne mensuelle observée pendant la période d’application du dispositif. De même, dans les trois mois qui ont suivi la fin de la prime « Juppé », la moyenne mensuelle des immatriculations a chuté de 24 % par rapport à la moyenne de la période pendant laquelle la mesure a été effective.

L’année 2010 ne se démarque pas des expériences passées en montrant que les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période. Simplement le recul des immatriculations en 2010, à la suite du passage de la prime « Fillon 1 » à la prime « Fillon 2 » pendant les six premiers mois de l’année, a-t-il été moins prononcé que dans les années 90 du fait du maintien d’un bonus.

La disparition complète de l’avantage, laissait attendre, après une dernière ruée chez les concessionnaires à la fin de 2010, un repli massif des ventes au premier trimestre. De fait, après s’être accrues de respectivement 18 et 11 % en novembre et en décembre 2010, les immatriculations se sont repliées de 13,7 % en janvier. Mais elles ont rebondi en février, 8,5 %, avant de rendre le terrain regagné en mars, -8,9 %. Au total, la moyenne des immatriculations sur les trois mois qui ont suivi la date de fin de la prime « Fillon 3» est supérieure de 6,6 % à la moyenne qui prévalait pendant la période d’application des dispositifs « Fillon » (2009 et 2010), ce qui n’avait été le cas ni dans l’intervalle entre les dispositifs « Balladur » et « Juppé », ni à la fin des primes « Juppé », ni même à la fin de la prime « Fillon 1» en janvier 2010.

Un reflux différé… mais qui se dessine

Contrairement à ce que l’expérience pouvait laisser augurer, l’ajustement attendu semble donc cette fois avoir tardé. Selon les comptes nationaux, la croissance de la consommation des ménages en matériel de transport s’est maintenue au 1er trimestre (+2,3 %), alors qu’elle avait chuté de 6 % au 1er trimestre 2010 à la fin du dispositif « Fillon 1 », de 16 % à la fin de la prime Balladur au troisième trimestre 1995, et de 18 % au quatrième trimestre 1996 à la fin des primes « Juppé » (tableau 1). Il semble donc bien y avoir une spécificité dans le cas présent, qui peut tenir à deux raisons majeures. D’abord le délai entre la prise de commande et l’immatriculation ou la livraison du véhicule introduit un retard dans la comptabilisation de l’achat effectif. Si davantage de commandes supplémentaires que dans les exemples antérieurs ont été passées dans les tous derniers jours d’existence de la mesure, davantage d’immatriculations et de livraisons qu’à l’accoutumé ont été reportées au premier trimestre, ce qui a maintenu la croissance de la consommation d’automobiles. Ensuite, il semble que les constructeurs se soient dans une certaine mesure substitués aux pouvoirs publics pour prolonger les bonus afin d’éviter un choc négatif trop violent.

Mais cette stratégie à finalité commerciale n’aurait, quoi qu’il en soit, qu’un caractère temporaire. De même, le stock de commandes hérité de la fin du dispositif « Fillon », probablement épuisé à l’heure actuelle, ne pourra plus s’opposer au reflux des ventes effectives. Tout laisse à penser donc que le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendra au deuxième trimestre 2011. Premièrement les chiffres du mois d’avril 2011 montrent une chute brutale de la consommation en automobiles, celle-ci reculant de plus de 10 % en l’espace d’un mois et renouant avec les niveaux de juin 2010 ou de décembre 2008. Deuxièmement, les immatriculations de véhicules neufs, qui ont chuté de près de 14 % au mois d’avril 2011 ont très faiblement rebondi au mois de mai 2011 (0,9 %). Au final, si la consommation en automobiles se stabilisait en mai et juin à son niveau d’avril 2011, celle-ci baisserait de 11 % au deuxième trimestre 2011, contribuant pour -0,7 % à la croissance de la consommation des ménages et pour -0,4 % à la croissance du PIB (voir tableau). Au moins pour sa composante consommation des ménages, la forte croissance du PIB enregistrée au 1er trimestre 2011, n’est donc pas reproductible au deuxième.

 





Bienvenue à nos lecteurs

par Philippe Weil, président de l’OFCE

Ce blog est un travail collectif de l’OFCE qui présente sous une forme simple, rapide et attrayante ses analyses des grandes questions de politique économique, ses recherches et ses prévisions macroéconomiques.

L’OFCE n’est pas monolithique, il s’exprime – en toute indépendance et sans esprit partisan – par la voix de ses chercheurs. Il n’y a pas  de pensée unique de l’OFCE. Derrière la diversité des approches et la variété des sujets qui seront abordés dans ce blog, la seule unité est celle que donne la rigueur de l’analyse économique.

L’OFCE est désormais présent dans la blogosphère pour y accomplir sa mission : animer le débat public, susciter la réflexion, poser des questions et apporter, quand cela est possible, la les réponses que suggèrent la théorie économique et les travaux empiriques.
L’OFCE est un observatoire (français des conjonctures économiques) mais, comme Jean-Marcel Jeanneney et Jean-Paul Fitoussi avant moi, j’entends qu’il observe pour influencer, qu’il analyse pour contribuer. L’OFCE n’est pas un Monday morning quarterback qui, du confort des tribunes, étudierait après coup le match du weekend et décernerait avec morgue bons et mauvais points en ignorant allègrement les difficultés auxquelles font face les décideurs. Rien de cela ici, juste une tentative humble mais déterminée d’enrichir le débat public.

*Le comité de rédaction du blog de l’OFCE est dirigé par Jérôme Creel et composé d’ Éric Heyer, Hélène Périvier et Francesco Saraceno



To our English-speaking friends

by Philippe Weil, president of OFCE

Yes, I know, it looks like we are ignoring you by launching in French this collective blog of OFCE, the French Economic Observatory. Le français is a beautiful language but not all of you may understand it. We must make sure our primary audience – the community of French policy makers, journalists, business people and academics – can read us and not all of them, alas, can (yet) do it dans la langue de Shakespeare. So please forgive us if most of this blog is in French.

We will post for you in English, though, from time to time (hopefully with an increasing frequency!) when we want to make sure we can reach you. The mission entrusted to OFCE is to bring the insights of economics to bear on the analysis of the business cycle and of the policy challenges facing the country. In our globalized world,  most of our contributions are relevant beyond France. So, please, bookmark this blog and keep an eye on it, you too are our target audience and we will not forget you!