Une compétitivité durable grâce à la fiscalité écologique

par  Jacques Le Cacheux

« Choc » ou « Pacte » ? Le débat sur la perte de compétitivité française s’est récemment focalisé sur le rythme de mise en œuvre d’un basculement de cotisations sociales patronales vers un autre financement, laissant entendre que le principe en était acquis. Face à la situation dégradée de l’emploi et du solde commercial de la France, alors que les éléments étayant la thèse d’une perte de compétitivité des entreprises françaises par rapport à celles de la plupart de nos partenaires s’accumulent[1], et que le taux de marge des entreprises affiche une faiblesse alarmante pour l’avenir, la nécessité d’une baisse du coût du travail semble s’imposer. Mais le rythme et les modalités font débat. Faut-il augmenter la CSG, la TVA, ou un autre prélèvement, au risque d’amputer le pouvoir d’achat des ménages dans un contexte conjoncturel déjà plus que morose ?

La conjoncture doit être gérée au niveau de la zone euro

L’opportunité du basculement d’une partie des cotisations patronales – le chiffre de 30 milliards est souvent évoqué – sur un autre prélèvement est souvent contestée au nom des risques qu’une telle stratégie ferait peser sur une croissance déjà atone : affaiblir la consommation réduirait encore davantage les débouchés des entreprises, pesant ainsi sur l’activité donc sur l’emploi et sur les marges.

Mais la France n’est dans cette situation déprimée que parce que l’Union européenne s’est engagée dans un ajustement budgétaire à marche forcée dont tout le monde – ou presque … – reconnaît aujourd’hui qu’il est contreproductif et voué à l’échec : comme l’illustre de manière navrante la situation espagnole, la quête d’une réduction du déficit budgétaire lorsque l’économie est en récession est vaine, et les efforts « vertueux » – coupes claires répétées dans les dépenses publiques et augmentations d’impôts – ne font qu’affaiblir un peu plus l’économie et aggraver le chômage, car les multiplicateurs budgétaires sont alors très élevés, comme l’avait montré Keynes, voilà plus de 70 ans !

Le soutien budgétaire à l’activité est la seule voie de sortie. Mais l’expérience des premières années du premier gouvernement socialiste reste dans toutes les mémoires : l’échec fut à la hauteur des illusions et le « tournant de la rigueur » rendit le gouvernement impopulaire. Ce qui ne pouvait fonctionner dans le contexte des premières années 1980, avec une économie moins ouverte, une politique monétaire autonome et une parité externe de la monnaie alors ajustable, le pourrait encore moins dans le contexte d’intégration plus poussée et de monnaie unique. Tenter de maintenir le pouvoir d’achat des ménages français, alors que le reste de la zone euro est en récession et que les entreprises françaises ont perdu de la compétitivité ne pourrait que creuser davantage le déficit extérieur, sans soutenir la croissance ni l’emploi.

Il faut donc poursuivre le combat européen pour obtenir que l’on ralentisse partout le rythme de réduction des déficits publics ; mettre en œuvre, dans la zone euro, une politique monétaire plus accommodante, qui aurait le double avantage de réduire les coûts des dettes, publiques et privées, les rendant ainsi plus soutenables, et d’exercer une pression à la baisse sur le taux de change de l’euro, favorisant la compétitivité externe à un moment où les banques centrales américaine et japonaise cherchent à faire baisser la valeur de leur monnaie, ce qui, mécaniquement, poussera l’euro vers le haut ; et s’engager conjointement dans une politique européenne coordonnée de soutien à la croissance, combinant financement de la recherche, investissements dans les réseaux transeuropéens de transport et d’électricité, et investissement dans l’éducation et la formation.

L’offre productive nationale doit être soutenue et stimulée

Le défaut de compétitivité de l’industrie française n’est pas réductible à un problème de coût de travail. Et l’on sait bien qu’une surenchère de modération salariale et de moins-disant social, dont on voit déjà aujourd’hui les ravages en Europe, ne peut qu’entraîner la zone euro dans une spirale déflationniste, comparable à celle que ces mêmes pays avaient vainement enclenchée dans les années 1930 pour tenter de sortir, chacun pour soi, de la Grande dépression.

La baisse des dépenses sociales ne peut donc pas être une réponse, alors que les besoins augmentent de toute part en raison de la montée du chômage et de la précarité de la situation d’un nombre croissant de ménages, salariés et retraités. Baisser les salaires, comme le font certains pays (Grèce et Irlande, notamment), soit directement, soit par le biais d’une augmentation du temps de travail sans accroître la rémunération, n’est pas non plus une solution, car cette déflation salariale déprimerait un peu plus la demande et nourrirait un nouveau cycle de moins-disant salarial en Europe.

Améliorer la compétitivité-coût en allégeant les charges sur les salaires peut faire partie de la solution. Mais cette option n’enverra pas forcément aux entreprises les bons signaux et n’entraînera pas nécessairement une baisse de leurs prix de vente ou une augmentation des embauches : des gains d’aubaine sont inévitables, et la plus grande aisance financière est susceptible de profiter aux actionnaires autant qu’aux clients ou aux salariés. Les allègements de cotisations sociales peuvent être ciblés, sur certains niveaux de rémunération, mais ils ne peuvent pas être sectoriels, ni conditionnels, au risque de violer les règles européennes de la concurrence.

Il convient également d’inciter et d’aider les entreprises françaises à moderniser leurs capacités d’offre. La nouvelle Banque publique d’investissement peut y contribuer, en finançant des projets prometteurs. Mais on peut également jouer sur la fiscalité des bénéfices des sociétés, notamment en recourant aux incitations à l’investissement et à la recherche que permettent les crédits d’impôt et règles d’amortissement : c’est un moyen de jouer plus directement sur les incitations des entreprises et de conditionner les soutiens publics à des comportements susceptibles d’améliorer leur compétitivité.

La fiscalité écologique, levier de compétitivité soutenable

Sur quels prélèvements basculer le coût de ces allègements au profit des entreprises ? Les discussions sur les mérites et inconvénients respectifs de la TVA et de la CSG abondent. Contentons-nous de rappeler ici que la TVA a été créée pour anticiper la baisse des protections tarifaires, à laquelle elle se substitue très efficacement sans discriminer sur le marché national entre produits nationaux et importations, mais en exonérant les exportations : une hausse de TVA ne diffère donc guère d’une dévaluation, avec des avantages et des inconvénients très similaires, notamment en ce qui concerne le caractère non coopératif au sein de la zone euro. Mais rappelons aussi (voir notre post de juillet 2012) que la consommation est aujourd’hui relativement moins taxée en France qu’il y a quelques années, et moins que chez nombre de nos partenaires européens.

Recourir à une véritable fiscalité écologique aurait, au regard des autres options de financement des allègements, le grand avantage de favoriser les secteurs les moins polluants et les moins dépendants des énergies fossiles – amoindrissant du même coup nos problèmes de soldes extérieurs, pour partie imputables à nos importations d’énergie – et de mettre en place les bonnes incitations de prix et de coûts, tant pour les entreprises que pour les consommateurs. En particulier, engager sérieusement la transition énergétique suppose que l’on institue une fiscalité carbone ambitieuse, mieux conçue que celle qui, en 2009, a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. Sa création, et son entrée en vigueur progressive, doivent être accompagnées d’une réforme des prélèvements directs sur les revenus des ménages et des principales allocations sous conditions de ressources, pour éviter les « usines à gaz » de compensation (cf. l’article dans l’ouvrage « Réforme fiscale », avril 2012).

Un « choc de compétitivité » donc, mais surtout un « pacte de compétitivité soutenable », qui incite les entreprises française à s’engager sur les bons sentiers, ceux des choix d’avenir.


[1] Voir notamment le post du 20 juillet 2012.




Faut-il faire payer par les ménages un choc de compétitivité ?

par Henri Sterdyniak

La France souffre d’un problème industriel. Sa balance courante est passée d’un excédent de 2,6 % du PIB en 1997 à un déficit de 1 en 2007, puis de 2 % en 2012 alors que l’Allemagne passait d’un déficit de 0,4% de son PIB en 1997 à un excédent de 5,7. La question du redressement productif de la France est posée. Faut-il organiser un transfert important des ménages aux entreprises pour un choc de compétitivité ou pour redresser le taux de marge des entreprises ? Nombreux sont ceux qui préconisent un tel choc (dont le MEDEF, mais aussi la CFDT). Il s’agirait de réduire les cotisations sociales employeurs (d’au moins 30 milliards d’euros) et d’augmenter en contrepartie les prélèvements portant sur les ménages. Cette question est analysée de façon détaillée dans la dernière Note de l’OFCE (n°24 du 30 octobre 2012).Quelle mesure ?

Il ne saurait être question de réduire des cotisations sociales des salariés car celles-ci ne financent que des prestations retraite et chômage, donc des prestations contributives qui dépendent des cotisations versées et ne peuvent être financées par l’impôt. Seules, les cotisations employeurs destinées à la famille ou à l’assurance-maladie peuvent être diminuées. Encore faut-il trouver une ressource de remplacement, la TVA ou la CSG ?

En fait, il y a guère de différence entre une hausse de la CSG et une hausse de la TVA. Dans les deux cas les ménages doivent perdre du pouvoir d’achat. Dans le cas d’une hausse de la TVA, ce serait par la hausse des prix. Toutefois l’inflation se répercute automatiquement sur le SMIC et les prestations sociales et, après négociations salariales, sur les salaires, de sorte que le gain de compétitivité/rentabilité des entreprises risque d’être temporaire, sauf si les indexations étaient suspendues. Au contraire, les victimes de la hausse de la CSG ne pourraient profiter de mécanismes automatiques d’indexation et devraient accepter la baisse de leur pouvoir d’achat. Utiliser la CSG permet une mesure plus durable.

Le grand enjeu sur le plan macroéconomique est celui de  la réaction des entreprises qui devront arbitrer entre maintenir leurs prix pour reconstituer leurs marges ou baisser leurs prix pour gagner en compétitivité.

Plaçons-nous dans un pays où le PIB vaut 100, qui exporte et importe 25. La part des salaires (y compris les cotisations sociales) et la consommation vaut 80 ; la part des profits et de l’investissement est 20. A court terme, les salaires et les retraites sont fixes. La réforme consiste à baisser de 5 le montant des cotisations employeurs (soit 5% du PIB), en augmentant d’autant la CSG. Deux scénarios peuvent être retenus selon la politique de fixation de prix des entreprises.

Dans le premier cas, les entreprises maintiennent leurs prix et augmentent leurs marges. Ex post, il n’y a aucun gain de compétitivité mais bien une hausse de la rentabilité des entreprises. Les salaires subissent une perte de 6,25 % de leur pouvoir d’achat (soit 5/80). La relance de l’investissement compensera-t-elle la baisse de la consommation ? Prenons des hypothèses standards, soit une propension à consommer les salaires de 0,8 ; à investir les profits  de 0,4 ; un multiplicateur de 1. Le PIB baisse à court terme de 2 % et l’emploi chute d’abord puis peut se rétablir à terme grâce à la substitution travail/capital. La mesure est coûteuse en pouvoir d’achat et le gain en emploi n’est pas assuré.

Dans le deuxième cas, les entreprises répercutent totalement la baisse des cotisations dans leur prix à la production, qui baissent de 5 % ; les prix à la consommation diminuent de 4 % (car les prix des produits importés restent stables). Le pouvoir d’achat des salaires ne baisse que de 1%. Les gains de compétitivité sont de 5%. Les gains en commerce extérieur compenseront-ils la baisse de la consommation ? Avec des élasticité-prix à l’exportation de 1 et à l’importation de 0,5, le PIB augmente de 1,25% . La mesure est moins douloureuse.

Faut-il le faire ?

Le gouvernement devra demander aux ménages d’accepter une baisse de leurs revenus, alors même que ceux-ci ont déjà perdu 0,5 % de pouvoir d’achat en 2012, que la consommation stagne en 2011 et 2012, que la France est en situation de récession, que la demande est déjà trop faible.

La France doit-elle s’engager dans la stratégie allemande : gagner de la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat des ménages sachant que cette stratégie est perdante au niveau de la zone euro ? Certes, ceci remplacerait la dévaluation aujourd’hui impossible dans la zone euro, mais nuirait à nos partenaires européens (qui pourraient réagir de même à notre détriment) et ne garantirait pas de gains de compétitivité vis-à-vis des pays hors zone euro, ces derniers dépendant surtout de l’évolution du taux de change de l’euro. Une telle mesure ne remplace pas une réforme de l’organisation de la politique économique de la zone euro. Enfin, il faut du temps pour que les gains de compétitivité se traduisent en reprise de la croissance. Ainsi, de 2000 à 2005, la croissance française a été de 7,8% (1,55% par an), la croissance allemande de 2,7% (0,55% par an). La France peut-elle se permettre de perdre encore 5 points de PIB ?

La France est dans une situation intermédiaire entre les pays du Nord qui ont réalisé de forts gains de compétitivité au détriment du pouvoir d’achat et les pays du Sud qui ont connu des hausses de salaires excessives. En base 100 en 2000, le niveau du salaire réel en 2011 est à 97,9 en Allemagne, à 111,2 en France (soit une hausse de 1% par an, correspondant aux gains tendanciels de compétitivité du travail). Qui est dans l’erreur ? Faut-il que l’on demande à tour de rôle aux salariés des pays de la zone euro de gagner en compétitivité sur les salariés des pays partenaires en acceptant des baisses de salaires ?

Le taux de marge des entreprises françaises était de 29,6 % en 1973. Il a chuté à 23,1 % en 1982, puis s’est redressé à 30,2 % en 1987.  Il était de 30,8 % en 2006, soit un niveau satisfaisant. La baisse  survenue depuis (28,6 % en 2011) s’explique par la chute de l’activité et la rétention de main-d’œuvre. Elle n’a pas été causée par la hausse de la fiscalité ou des augmentations excessives des salaires. Globalement, la part des profits est revenue à un niveau historiquement satisfaisant. Mais en 1973, la FBCF était de l’ordre des profits, alors qu’elle est plus basse de 3 points de valeur ajoutée actuellement et que la part des dividendes nets versés a nettement augmenté. Quels engagements prendraient les entreprises en termes d’investissement et d’emploi en France en échange d’une mesure qui augmenterait fortement leurs profits ? Comment éviter qu’elles n’augmentent leurs dividendes ou leurs investissements à l’étranger ?

Recourir ainsi à la dévaluation interne suppose que la France souffre essentiellement d’un déficit de compétitivité-prix. Or, la désindustrialisation a, sans doute, d’autres causes plus profondes. Les entreprises préfèrent se développer dans les pays émergents ; les jeunes refusent les carrières industrielles mal rémunérées, dont l’avenir n’est pas assuré ; la France ne réussit ni à protéger ses industries traditionnelles, ni à se développer dans les secteurs innovants ; le secteur financier a préféré les joies de la spéculation au financement de la production et de l’innovation, etc. Ceci ne serait pas résolu par une dévaluation interne.

La France a besoin d’un sursaut industriel, Il faut mettre en œuvre une autre stratégie : c’est la croissance qui doit reconstituer les marges des entreprises ; c’est la politique industrielle (via la Banque publique d’investissement, le Crédit impôt-recherche, les pôles de compétitivité, le soutien aux entreprises innovantes comme à certains secteurs menacés et la planification industrielle) qui doit assurer le redressement productif. Celui-ci doit être financé par la BPI dont les capacités d’action doivent être suffisantes et les critères d’intervention précisés.