France : moins d’austérité, plus de croissance

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En 2013, l’économie française devrait croître de 0,2 % en moyenne annuelle, ce qui lui permettrait de retrouver en fin d’année son niveau de production atteint six ans plus tôt, soit celui de fin d’année 2007. Cette performance médiocre est très éloignée du chemin qu’aurait dû normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Le potentiel de rebond de l’économie française était pourtant important : une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an sur  la période 2010-2013 était possible et aurait permis à la France d’annuler la perte de production accumulée au cours des années 2008-2009. Mais cette « reprise » a été freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Pour la seule année 2013, cette stratégie budgétaire aura amputé l’activité en France de 2,4 points de PIB.

La prise de conscience de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés a été tardive : elle a eu lieu une fois que les plans d’austérité eurent produit leurs effets négatifs sur la croissance. A la fin mai 2013, elle a poussé les autorités européennes à offrir un délai supplémentaire à six pays de l’Union, dont la France, en vue de corriger leur déficit excessif. L’allègement des exigences de la Commission constitue un ballon d’oxygène et permet au gouvernement d’amoindrir les mesures d’austérité pour 2014. Selon le budget présenté à l’automne 2013, l’effet interne de l’austérité serait ainsi atténué de 0,5 point entre 2013 et 2014, et puisque nos partenaires mènent eux aussi des politiques moins restrictives, un supplément de demande externe est anticipé. Au total, c’est donc près d’un point de croissance qui serait regagné en 2014 par rapport à 2013, grâce à l’allègement de la rigueur et ce, malgré des multiplicateurs budgétaires toujours élevés.

Dans ces conditions, la croissance devrait être de 1,3 % en 2014 en moyenne annuelle. En s’établissant à un rythme toujours inférieur à son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader le marché du travail. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 10,9 % fin 2014.

La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Le déficit public s’établirait à 3,5 % du PIB en 2014, après avoir atteint 4,1 % en 2013 et la dette brute des administrations publiques frôlerait 95 % du PIB l’année prochaine.




La zone euro écartelée

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro.

Après six trimestres de baisse, le PIB de la zone euro a renoué avec la croissance au deuxième trimestre 2013. Ce redémarrage de l’activité est un signal positif que corroborent également les enquêtes de conjoncture. Il montre que la zone euro a cessé de s’enfoncer dans les profondeurs de la dépression. Il serait cependant prématuré de conclure que la reprise est enclenchée, car ce niveau de croissance trimestriel (0,3 %) est insuffisant pour entraîner une décrue significative du chômage. En octobre 2013, le taux de chômage se stabilise à un niveau record de 12 % de la population active. Surtout, la crise laisse des stigmates et crée de nouveaux déséquilibres (chômage, précarité et déflation salariale) qui seront autant de freins à la croissance à venir, en particulier dans certains pays de la zone euro.

Plusieurs facteurs permettent d’anticiper un redémarrage de l’activité qui devrait perdurer au cours des prochains trimestres. Les taux d’intérêt souverains de long terme ont baissé, notamment en Espagne et en Italie. Cela témoigne de l’éloignement de la menace d’un éclatement de la zone euro et ce, en partie grâce au soutien conditionnel annoncé par la BCE il y a un peu plus d’un an (voir Amis des acronymes : voici l’OMT). Surtout, l’austérité budgétaire devrait s’atténuer parce que la Commission européenne a accordé des délais supplémentaires à plusieurs pays, dont la France, l’Espagne ou les Pays-Bas, pour résorber leur déficit budgétaire (voir ici pour un résumé des recommandations formulées par la Commission européenne). Par les mêmes mécanismes que nous avions décrits dans nos précédentes prévisions, il résulte de cette moindre austérité (-0,4 point de PIB d’effort budgétaire en 2013 contre -0,9 en 2013  et -1,8 en 2012) un peu plus de croissance. Après deux années de récession en 2012 et 2013, la croissance s’établirait à 1,1 % en 2014.

Cependant, cette croissance sera insuffisante pour effacer les traces laissées par l’austérité généralisée mise en œuvre depuis 2011 et qui a précipité la zone euro dans une nouvelle récession. En particulier, les perspectives d’emploi ne s’améliorent que très lentement car la croissance est trop faible. Depuis 2008, la zone euro a détruit 5,5 millions d’emplois et nous n’anticipons pas une franche reprise des créations nettes d’emploi. Le chômage pourrait diminuer dans certains pays mais cette baisse s’expliquera principalement par des retraits d’activité de chômeurs découragés. Dans le même temps, la réduction de l’austérité ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’austérité. A l’exception de l’Allemagne, les efforts de consolidation budgétaire se poursuivent dans tous les pays de la zone euro. Qu’elle passe par la réduction des dépenses publiques ou par une hausse de la pression fiscale, les ménages supporteront l’essentiel du fardeau de l’ajustement. Dans le même temps, la persistance d’un chômage de masse continuera à alimenter les pressions déflationnistes déjà à l’œuvre en Espagne ou en Grèce. Dans ces pays, l’amélioration de la compétitivité qui en résulte stimulera les exportations, mais au prix d’une demande interne de plus en plus affaiblie. La paupérisation des pays du sud de l’Europe va donc s’accentuer. En 2014, la croissance dans ces pays sera de nouveau inférieure à celle de l’Allemagne, l’Autriche, de la Finlande ou de la France (tableau).

Par conséquent, la zone euro deviendra de plus en plus hétérogène, ce qui pourrait cristalliser les opinions publiques des différents pays contre le projet européen et rendra la gouvernance de l’union monétaire encore plus difficile tant que les intérêts nationaux divergeront.

Tab_Post-17-02




La crise sur un plateau

par Xavier Timbeau

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.

Six années après le début de la crise financière et économique, l’accélération attendue de la croissance mondiale en 2014 (tableau 1) aurait pu laisser espérer la fin du marasme. Certes, la crise des dettes souveraines en zone euro est terminée, ce qui constitue une étape importante, mais, au-delà de quelques chiffres positifs, rien n’indique que la crise est finie. L’activité en zone euro a atteint un plateau et les mécanismes à l’origine de la crise des dettes souveraines dans la zone – la crainte du défaut sur les dettes publiques ou privées – peuvent faire replonger à tout instant les économies, des États-Unis comme de l’Europe, du Royaume-Uni comme celle du Japon.

tab1prev_blog2210

 

La crise est globale et présente des caractéristiques peu ou jamais observées dans le passé. Ainsi, les taux d’intérêt souverains sont exceptionnellement bas, sauf dans les pays dont les marchés financiers doutent, mais dont le poids dans la masse globale de dette publique est faible. Cela indique une situation de trappe à liquidité où la politique monétaire conventionnelle a atteint ses limites et où la capacité des institutions monétaires à énoncer un avenir auto-réalisateur est cruciale. Or, comme pendant la crise de 1929, le débat fait rage sur cette capacité et suscite beaucoup d’interrogations quant à la sortie de crise. La politique monétaire est au cœur de cette incertitude : les mesures extraordinaires mises en place retiennent-elles les économies au bord du gouffre ? Les retirer est-il opportun ? Ou bien n’a-t-on fait qu’improviser un pis-aller dont les conséquences inflationnistes seront la source d’une prochaine crise ?

L’activité économique, mesurée par le PIB de l’ensemble de la zone euro, ne se contracte plus. Pour autant, la situation de sous-activité ne se résorbe pas. Or, tant que les économies restent en situation de sous-activité, les effets de la crise persistent et se diffusent au cœur des sociétés. Que l’on observe le PIB par tête, les écarts de production ou le chômage, les indicateurs nous décrivent un plateau, largement en deçà de 2007. Ainsi, la persistance du chômage au-dessus de son niveau d’équilibre gonfle-t-elle les cohortes de chômeurs non-indemnisés ou de longue durée. Le niveau élevé du chômage pèse sur la cohésion sociale et menace les sociétés bâties sur l’intégration par le travail. Les chômeurs sont renvoyés vers les solidarités familiales ou vers les filets de protection sociale, eux-mêmes soumis à la consolidation budgétaire. Les jeunes entrant sur le marché du travail retardent leur accès à l’emploi et porteront longtemps les stigmates de ce chômage initial sur leurs salaires ou leurs carrières.

Mais le chômage a une incidence plus large. La peur de perdre son emploi, de voir son entreprise fermée ou délocalisée se diffuse à ceux qui ont un emploi et dont les salaires finissent par être affectés ou qui sont contraints d’accepter des conditions de travail dégradées. C’est ainsi que l’Europe du Sud s’engage dans la déflation salariale et, par le jeu de la concurrence, y entraînera les pays voisins.

Cette absence de reprise ne doit pas surprendre. Un programme généralisé et massif de consolidation budgétaire a été conduit dans les pays développés. Le cumul des impulsions de 2008 à 2013 permet de faire le bilan de la stimulation des économies pendant la récession de 2008/09 puis de la consolidation qui a suivi (tableau 2).

tab2prev_blog2210

 

Le débat sur les multiplicateurs budgétaires, à partir des analyses empiriques basées sur des modélisations structurelles ou l’examen systématique des épisodes historiques, valide la causalité allant des impulsions budgétaires vers les écarts de production. Une grande part de l’écart de production en 2013 résulte de la consolidation budgétaire. Il n’y a pas d’effet permanent de la crise sur l’activité, mais la conséquence d’une austérité budgétaire sans précédent.

Les pays développés se sont engagés dans cet effort de consolidation sous la pression des marchés financiers, relayée par les autorités européennes. La crainte de difficultés pour financer la dette publique (dont le renouvellement se fait dans des proportions importantes chaque année et dont la maturité  est de l’ordre de 10 ans dans les pays développés), voire la crainte de perte de l’accès au financement, s’est matérialisée par une hausse des taux souverains et n’a pas laissé beaucoup de possibilités aux États. Pour regagner du crédit, il fallait prouver sa capacité à réduire son déficit, quel qu’en soit le prix. La consolidation qui en a résulté n’a été faite que de façon préventive. Les exemples grec, mais aussi portugais, espagnol ou italien illustreraient le risque à ne pas avoir des finances publiques ordonnées. Pour certains, dont les économistes de la Commission européenne, c’est en fait la consolidation massive engagée dans les pays membres qui a permis de mettre fin à la crise de la zone euro. Il existe pourtant une explication alternative et lourde de sens quant à l’opportunité de la consolidation budgétaire : le rôle pris par la Banque centrale européenne et les engagements solidaires implicites des pays de la zone euro ont été plus convaincants que les politiques économiques qui ont prolongé et aggravé la récession.

Le désendettement public et privé des économies est la clef de la sortie de la crise. Il nécessite une stratégie claire et raisonnable combinant retour de l’activité et réduction du chômage, maintien des taux d’intérêt souverains à un niveau bas et consolidation budgétaire à un rythme bien tempéré. Cette stratégie demande une maîtrise du calendrier, une constance dans la politique suivie, une coordination entre États et entre agents économiques au sein des États. En zone euro, elle repose sur un engagement crédible des Etats membres vers l’assainissement budgétaire à moyen terme et un engagement de la Banque centrale européenne pour que les écarts de taux soient réduits au maximum. La discipline budgétaire par les marchés ne fonctionne pas, il faut lui opposer la volonté politique de la stabilité économique.