La java des fréquences : une explication du « krach éclair »

par Sandrine Jacob Leal[1], Mauro Napoletano[2], Andrea Roventini[3],  Giorgio Fagiolo[4]

Le 6 mai 2010, conjointement à la chute sans précédent du cours de l’E-Mini S&P 500[5], de nombreux indices boursiers américains, y compris l’indice Dow Jones, se sont effondrés en quelques minutes (les baisses enregistrées ont été de plus de 5%), et ont rebondi tout aussi rapidement, jusqu’à récupérer une grande partie des pertes observées. Au cours de ce « krach éclair », la plupart des prix des actifs ont perdu tout rôle informationnel. En particulier, plus de 20 000 transactions, portant sur plus de 300 titres, ont été exécutées à des prix bien au-delà de leur valeur avant le krach (des écarts de plus de 60% ont été notés). Certains contrats ont par exemple été exécutés à 0,01$ ou en de-deçà, ou à plus de 100 000$, avant que le prix de ces titres reviennent à leurs niveaux d’avant le krach (CFTC et SEC, 2010). Ces anomalies excessives des prix ont été associées à une évaporation soudaine de la liquidité sur le marché, à une volatilité accrue du prix des actifs et à une crise de confiance prolongée sur ces marchés (les volumes journaliers moyens sont restés à des niveaux faibles pendant plusieurs mois après cet épisode). En outre, de tels incidents peuvent être à l’origine de crises systémiques notamment du fait de pratiques de comptabilité financière basées sur la valeur de marché. Dès lors, les actifs des banques et autres institutions financières sont évalués à leur prix de marché.

Le « krach éclair » du 6 mai 2010, largement relayé dans la presse écrite, n’a pas été un événement isolé. Des épisodes similaires ont été depuis observés sur plusieurs places financières. Les effets déstabilisants des « krachs éclairs » ont incité les organismes de réglementation, les politiques et les chercheurs à s’y intéresser tout particulièrement. Au cours des quatre dernières années, de nombreuses conjectures ont été avancées pour tenter de clarifier les origines du phénomène et de proposer des mesures réglementaires capables de le prévenir et/ou de réduire ses conséquences. La plupart de ces propositions repose sur le rôle du trading à haute fréquence. Comme le suggère un rapport de la SEC de 2010, les traders à haute fréquence ont probablement joué un rôle capital dans l’amplification du krach, notamment du fait de l’afflux massif d’ordres de vente. Cependant, à ce jour, aucune explication ne s’impose vraiment et le débat sur les coûts et les avantages du trading haute fréquence ainsi que son rôle dans le déclenchement des « krachs éclairs » reste encore ouvert. Certains travaux suggèrent que les traders à haute fréquence nuisent à l’efficience des marchés, en exacerbant la volatilité des cours, en réduisant la liquidité et en alimentant parfois les « krachs éclairs ». D’autres études montrent que les traders à haute fréquence ne sont finalement que les « nouveaux » teneurs de marché, qui fournissent un flux, quasi continu, de liquidité et contribuent ainsi à réduire les coûts de transaction, et à favoriser la découverte des prix et l’efficience des marchés.

L’absence d’un consensus sur les bénéfices nets du trading à haute fréquence n’est cependant pas si surprenante. En effet, ce mode d’intervention sur les marchés, caractérisé par des algorithmes ultra-rapides, constitue une véritable innovation financière, dont l’impact social est difficile à évaluer compte tenu de la pléthore d’externalités associées, souvent imprévisibles, et de la complexité sous-jacente et avérée des marchés financiers. Dans ce contexte, les modèles multi-agents constituent une approche adaptée et efficace afin d’analyser l’impact d’innovations financières, telles que le trading à haute fréquence, sur les dynamiques de marché. Ce type de modélisation permet de concevoir des marchés artificiels au sein desquels les fluctuations de cours émergent directement des interactions entre agents hétérogènes, souvent dotés d’un éventail de stratégies de trading, pouvant aller des plus simples aux plus sophistiquées (comme celles utilisées notamment par les traders à haute fréquence).

Dans un Document de Travail de l’OFCE 2014-03, nous développons un modèle multi-agents d’un marché boursier organisé autour d’un carnet d’ordres à cours limité, dans lequel des traders à haute fréquence, hétérogènes, interagissent avec des traders à basse fréquence. L’objectif principal de ce travail est d’une part d’étudier le rôle du trading haute fréquence dans l’apparition de « krachs éclairs » et, plus généralement, de périodes de volatilité accrue sur les marchés financiers. D’autre part, il s’agit d’identifier parmi les traits distinctifs du trading à haute fréquence ceux qui sont les plus dommageables pour la stabilité des marchés et donc les plus à même d’expliquer les incidents de type « krach éclair ». Cette étude permet également de proposer des éléments de compréhension de la phase de reprise du marché à la suite du krach.

Notre modèle représente un marché dans lequel les traders à basse fréquence achètent et vendent un titre et peuvent adopter soit une stratégie de trading de type fondamentaliste soit chartiste, sur la base de leur performance. Les traders à haute fréquence se distinguent des précédents, non seulement en termes de rapidité d’intervention sur le marché, mais également en termes de règles d’activation et de comportement. Tout d’abord, contrairement aux stratégies des traders à basse fréquence, qui sont basées sur un temps chronologique, le trading algorithmique inhérent à la haute fréquence conduit naturellement ces traders à adopter des règles d’activation « event driven », c’est-à-dire qui reposent sur une mesure différente du temps, basée sur l’occurrence d’événements. En conséquence, les traders à basse fréquence, qui interviennent sur le marché à intervalles constants et exogènes, coexistent avec des traders à haute fréquence, qui participent aux échanges à une fréquence déterminée de façon endogène en fonction des variations de prix. Ensuite, les traders à haute fréquence adoptent des stratégies directionnelles qui visent à tirer profit de l’information contenue dans le carnet d’ordres, relative aux prix et aux volumes, issue des ordres des traders à basse fréquence. Enfin, les traders à haute fréquence ne conservent leurs positions ouvertes que pour de très courtes périodes et ont la particularité d’annuler fréquemment leurs ordres.

Pour analyser ce modèle, nous procédons à des simulations numériques. Nos résultats démontrent notamment que les « krachs éclairs », associés à une volatilité accrue du cours des titres, n’émergent que si les traders à haute fréquence sont présents sur le marché.

Dès lors, pourquoi les « krachs éclairs » apparaissent-ils en présence de traders à haute fréquence ? Dans ce travail, nous montrons clairement que l’émergence de « krachs éclairs » n’est pas seulement imputable à la vitesse d’action de ce type de traders, mais est davantage liée au déploiement de stratégies de trading, propres au trading à haute fréquence, leur permettant d’une part d’absorber la liquidité disponible sur le marché, créant ainsi une fourchette de cotation[6] élevée, et d’autre part de vendre massivement un titre, lorsque la liquidité fait le plus défaut sur le marché.

Enfin, nous considérons l’impact de l’annulation des ordres par les traders à haute fréquence sur la dynamique des prix. Ces comportements ont fait l’objet d’une attention toute particulière, notamment dans les débats publics récents, car ces méthodes peuvent être utilisées de façon stratégique afin d’influencer les cours à leur avantage. Les traders à haute fréquence remplissent ainsi les carnets d’ordres factices en quelques microsecondes, dans le seul but de les annuler tout aussi rapidement. Dans ce travail, nous suggérons que des niveaux élevés d’annulation d’ordres ont un effet ambigu sur ​​l’évolution des cours. Des annulations importantes d’ordres conduisent à une plus grande volatilité des titres et à des « krachs éclairs » plus fréquents, mais aussi à un rebond des cours plus rapide, réduisant ainsi la durée des « krachs éclairs ». Les annulations d’ordres, largement utilisées par les traders à haute fréquence, ont donc des conséquences plus complexes que celles avancées jusqu’à présent. Ainsi, les mesures de réglementation qui visent à limiter ces pratiques devraient tenir compte de telles dynamiques.

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[1] CEREFIGE – ICN Business School (Nancy-Metz) France, et GREDEG. Adresse: ICN Business School (Nancy-Metz) 13, rue Michel Ney, 54000 Nancy (France). Tel: +33 383173776. Fax:+33 383173080. Courriel: sandrine.jacob-leal@icn-groupe.fr

[2] OFCE, Skema Business School, Sophia-Antipolis (France), et Scuola Superiore Sant’Anna, Pise (Italie). Courriel: mauro.napoletano@sciencespo.fr

[3] Université de Verone (Italie); Scuola Superiore Sant’Anna, Pise (Italie), et OFCE, Sophia-Antipolis (France). Courriel: andrea.roventini@univr.it

[4] Scuola Superiore Sant’Anna, Pise (Italie). Courriel: giorgio.fagiolo@sssup.it

[5] Contrat à terme sur Indice S&P500.

[6] L’écart entre le prix acheteur et le prix vendeur observé dans le carnet d’ordres.




Banques centrales : le dernier rempart ?

par Xavier Timbeau, @XTimbeau

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie mondiale

La croissance du PIB est à nouveau positive dans la plupart des pays développés ! Faut-il s’en réjouir et crier victoire parce que nous sommes sortis de la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale ? Les sacrifices consentis et les sueurs froides, tout ceci a-t-il finalement payé ?

Et bien non. La croissance est positive, mais insuffisante pour induire une baisse du chômage. Y compris aux Etats-Unis, où pourtant le chômage a baissé, le taux d’emploi ne se redresse pas (graphique 1). C’est qu’on peut sortir du chômage vers l’emploi mais aussi vers l’inactivité, c’est-à-dire le retrait du marché du travail. Et c’est ce découragement des chômeurs qui domine aux Etats-Unis.

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Et si l’on attend encore un peu (au-delà de 2015) pour que cela s’arrange, on risque fort d’être déçu, comme l’indiquent nos prévisions d’avril 2014. Car en effet, cette situation sur le marché du travail alimente les pressions déflationnistes. Le graphique 2 illustre cette pression lente et continue. Le débat sur le salaire minimum, réveillé en France récemment, s’inscrit dans cette logique. En situation de chômage élevé, le fonctionnement concurrentiel du marché du travail conduit à la réduction du salaire réel, c’est-à-dire du pouvoir d’achat.

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Notons qu’il s’agit du salaire réel, car, la baisse des salaires nominaux, la pression de la concurrence sur le marché des biens ou les dévaluations fiscales provoquent des baisses de prix. C’est pourquoi les indices de prix indiquent une inflation en net ralentissement, mais sans que pour autant, quoiqu’en dise Mario Draghi (« with low inflation, you can buy more stuff »), le pouvoir d’achat s’accroisse (« les salaires ralentissent plus que les prix, Mario ! »). Ainsi, doucement, et tant que le chômage sera élevé, nous nous enfonçons dans une déflation dont la principale conséquence sera d’accroître le poids réel des dettes privées ou publiques. Or ce sont ces dettes privées, socialisées, et donc ensuite publiques, qui nous ont plongés dans cette crise. Avec la déflation, la spirale des dettes continuera et nous maintiendra dans la crise.

Pour en sortir, tous les regards se tournent vers les banques centrales. Puisqu’elles ont comme mandat la stabilité des prix, elles sont donc obligées de tout mettre en œuvre pour empêcher une telle déflation. Elles ont d’ailleurs montré une grande créativité ces derniers temps, en ajoutant à leur arsenal des politiques monétaires non-conventionnelles … dont on va chercher encore pendant des années à caractériser les modes opératoires et analyser les impacts. Au passage, on peut oublier les manuels de politique monétaire, devenus obsolètes et ringards comme un timbre-poste sur une lettre postale à côté d’un flux twitter.

Mais les banques centrales risquent de ne pas y parvenir : ce qui fait la déflation c’est le chômage. Ce qui a fait le chômage, c’est l’austérité immédiate, quand les multiplicateurs budgétaires sont élevés (et non pas étalée, comme nous l’avions proposé dans le rapport iAGS 2013). Compter sur la politique monétaire seule pour nous prémunir de la déflation est donc insuffisant. Pour vraiment sortir de la déflation, il nous faut réduire rapidement le chômage, en recourant aussi à la politique budgétaire. Les difficultés sont réelles, mais de nombreuses propositions sont sur la table (le rapport iAGS 2014 en contient quelques unes).

C’est pourquoi, malgré des chiffres positifs, les perspectives de croissance pour l’année 2014 et 2015 pour les principaux pays développés sont toujours inquiétantes.




Zone euro : Reprise ou déflation ?

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro

La zone euro va-t-elle s’engager sur la voie de la reprise ou s’enfoncera-t-elle dans une spirale déflationniste ? Les derniers indicateurs macroéconomiques émettent des signaux contradictoires à ce sujet. Le retour de la croissance se confirme avec trois trimestres consécutifs de progression du PIB. Cependant, le niveau du chômage dans la zone euro se maintient à un niveau historiquement élevé (11,9 % pour le mois de février 2014), ce qui alimente des pressions déflationnistes, confirmées par les derniers chiffres d’inflation (0,5 % en glissement annuel pour le mois de mars 2014). Si ce recul de l’inflation tient en partie à l’évolution des prix de l’énergie, il reste que l’inflation sous-jacente a glissé sous le seuil de 1 % (graphique 1). Dans ces conditions, un retournement des anticipations d’inflation ne peut être exclu, ce qui ne manquerait pas de pousser la zone euro en déflation. La BCE s’inquiète de cette situation depuis plusieurs semaines et se dit prête à agir (voir ici). Cependant, aucune piste concrète quant à la façon d’assouplir la politique monétaire et d’éviter l’ancrage des anticipations sur une trajectoire déflationniste n’a été définie.

Après un recul du PIB de 0,4 % en 2013, la croissance redeviendra positive dans la zone euro : 1,3 % en 2014 puis 1,6 % 2015. Pour autant, à ce rythme de croissance, la plupart des pays de la zone euro garderont un écart de production ouvert, reflétant l’idée que la zone euro se trouve sur une trajectoire de sortie de crise ralentie. En effet, bien que les efforts de réduction des déficits vont s’atténuer, les politiques budgétaires seront encore pro-cycliques. En outre, les conditions de financement vont continuer à s’améliorer. La fin de la crise des dettes souveraines, notamment grâce aux annonces de la BCE de juillet et de septembre 2012[1], a permis de réduire les primes de risques sur le marché des obligations d’Etat. L’impact de cette réduction des taux longs de marché s’est en partie répercuté sur les taux d’intérêt bancaires et les conditions d’offre de crédits sont globalement moins restrictives qu’elles ne l’étaient entre le début de l’année 2012 et la mi-2013. Mais il reste que cette croissance sera insuffisante pour enclencher une véritable dynamique de reprise débouchant sur une réduction rapide et significative du chômage. Il ne baisserait en effet que très modérément passant de 11,9 % au premier trimestre 2014 à 11,3 % en fin d’année 2015. Alors que l’Allemagne serait dans une situation de quasi plein-emploi,  le chômage de masse en Espagne et dans les autres pays du sud de l’Europe perdurerait (graphique 2). Le chômage se stabiliserait en Italie et continuerait d’augmenter en France.

Or, cette situation de sous-emploi est la source du risque déflationniste. Elle pèse sur la dynamique des salaires et contribue à la faiblesse de l’inflation sous-jacente. Celle-ci est en effet nulle en Espagne en mars 2013 et négative en Grèce et au Portugal. Pour l’ensemble de la zone euro, nous n’anticipons pas à court terme de déflation, mais la faiblesse de la croissance accroît la probabilité que les anticipations des agents privés ne s’ancrent sur un tel scénario.

La situation de la zone euro rappelle celle du Japon au cours des années 2000. Le pays est entré en déflation en 1999[2] après la récession liée à la crise asiatique. Ensuite, malgré une croissance moyenne de 1,4 % entre 2000 et 2006, les prix ne sont pas repartis à la hausse et la Banque centrale n’a pas trouvé les moyens de sortir de ce piège malgré des politiques monétaires expansionnistes. C’est précisément cette dynamique qui menace la zone euro aujourd’hui et tous les moyens qui permettront de l’éviter (politique monétaire, politique budgétaire et coordination des politiques salariales[3]) doivent être mobilisés.

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[1] En juillet, le Président de la BCE, Mario Draghi, déclarait en effet que la BCE sauverait l’euro « quoi qu’il en coûte ». En septembre, la BCE annonçait la création d’une nouvelle opération (l’OMT, voir le post de Jérôme Creel et de Xavier Timbeau) lui donnant la possibilité d’acheter sans limite des titres de dette souveraine.

[2] Il faut mentionner un premier passage en déflation en 1995 après trois années de croissance atone.

[3] Tous ces éléments sont détaillés dans le précédent rapport iAGS (2014).




France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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La BCE, ou comment devenir moins conventionnel

par Jérôme Creel et Paul Hubert

La situation économique morose de la zone euro, avec ses risques de déflation, amène les membres de la Banque centrale européenne (BCE) à réfléchir à de nouveaux assouplissements monétaires quantitatifs, comme en attestent les récentes déclarations des banquiers centraux allemand, slovaque et européen. De quoi pourrait-il s’agir et ces mesures pourraient-elles être efficaces pour relancer l’économie de la zone euro ?

Les assouplissements quantitatifs, bien souvent qualifiés de QE (pour Quantitative Easing), regroupent plusieurs types différents de politique monétaire non-conventionnelle. Pour les définir, il convient de commencer par caractériser la politique monétaire conventionnelle.

La politique monétaire conventionnelle consiste à modifier le taux d’intérêt directeur (celui des opérations dites de refinancement à moyen terme) par des opérations dites d’open-market pour influencer les conditions de financement. Ces opérations peuvent modifier la taille du bilan de la banque centrale, notamment par le biais de la création monétaire. Il y a donc là un écueil dans la distinction entre politiques conventionnelle et non-conventionnelle : l’augmentation de la taille du bilan de la banque centrale ne suffit pas pour caractériser une politique non conventionnelle.

A contrario, une politique d’assouplissement quantitatif, non-conventionnelle, donne lieu stricto sensu à une augmentation de la taille du bilan de la banque centrale, mais sans création monétaire immédiate supplémentaire : le supplément de liquidités fourni par la banque centrale aux banques commerciales sert à augmenter les réserves de celles-ci auprès de la banque centrale, à charge pour elles d’utiliser in fine ces réserves à l’acquisition ultérieure de titres ou à l’octroi de crédits. Ces réserves, qui sont des actifs sûrs des banques commerciales, permettent d’assainir leurs propres bilans : la proportion d’actifs risqués diminue, celle des actifs sûrs augmente.

Un autre type de politique monétaire non-conventionnelle, l’assouplissement qualitatif (ou Qualitative Easing), consiste à modifier la structure du bilan de la banque centrale, généralement côté actif, mais sans modifier la taille du bilan. Il peut s’agir pour la banque centrale d’acquérir des titres plus risqués (non triple A) au détriment de titres moins risqués (triple A). Ce faisant, la banque centrale atténue la part de risque au bilan des banques auprès desquelles elle a acquis ces titres risqués.

Un dernier type de politique monétaire non-conventionnelle consiste à mener à la fois une politique d’assouplissement quantitatif et qualitatif : c’est l’assouplissement du crédit (ou Credit Easing). La taille du bilan de la banque centrale et le risque induit augmentent de concert.

Parmi les politiques monétaires non-conventionnelles attribuées à la BCE, on cite souvent les opérations d’octroi de liquidités à long terme (3 ans) et à taux d’intérêt bas, entreprises en novembre 2011 et février 2012 et qualifiées d’opérations VLTRO (Very long term refinancing operation). S’agissait-il effectivement d’opérations non-conventionnelles de grande ampleur ? D’une part, ces opérations n’ont pas porté sur des montants de 1 000 milliards d’euros, mais sur des montants nets plus proches de 500 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable, après corrections des remboursements des banques auprès de la BCE. D’autre part, les opérations de LTRO font partie de l’arsenal conventionnel de politique de la BCE. Enfin, ces opérations auraient été en partie stérilisées : les crédits octroyés par la BCE aux banques commerciales auraient été compensés par des ventes de titres par la BCE, modifiant ainsi la structure de l’actif de la BCE. On peut donc conclure que les opérations de VLTRO ont été, pour partie, « conventionnelles » et, pour partie, « non-conventionnelles ».

Il en va différemment du mécanisme de Securities Market Programme qui a consisté, de la part de la BCE, à acquérir sur les marchés secondaires des titres de dette publique pendant la crise des dettes souveraines. Ce mécanisme a conduit à augmenter la taille du bilan de la BCE, mais aussi le risque induit : cette politique d’assouplissement du crédit a bel et bien été une politique non-conventionnelle.

Compte tenu des différentes définitions existantes à propos de ces politiques non-conventionnelles, il est utile de rappeler que la BCE communique expressément sur les montants qu’elle a consentis dans le cadre qu’elle a défini comme étant caractéristique de ses politiques non-conventionnelles (Securities held for monetary policy purposes). Ces montants sont représentés dans le graphique ci-après. Ils témoignent de la fréquence et de l’ampleur des activités monétaires que la BCE définit donc elle-même de non-conventionnelles.

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Les 3 différentes mesures représentées sur ce graphique (taille du bilan de la BCE, montant des LTRO et montant des Securities held for monetary policy purposes) sont exprimées en milliards d’euros. Les deux premières ont connu une hausse au 4e trimestre 2008 après la faillite de Lehman Brothers tandis que la troisième mesure de politique non-conventionnelle n’a commencé qu’en juin 2009. On remarque ensuite une nouvelle vague conjointe d’approfondissement de ces mesures lors de la fin d’année 2011. A la suite de cet épisode, le montant des opérations de LTRO était égal à 1 090 milliards d’euros et représentait environ 10 % du PIB de la zone euro (9 400 Mds€), soit un tiers environ du bilan de la BCE, tandis que le montant des Securities held for monetary policy purposes n’était que de 280 milliards d’euros, soit 3 % du PIB de la zone euro, et environ 4 fois moins que les opérations de LTRO. Il est intéressant de noter que la politique monétaire de la BCE, qui dépend de la demande de liquidités des banques, s’est modifiée en 2013. On peut interpréter la réduction de la taille du bilan comme le signe d’une politique moins expansionniste ou comme une baisse de la demande de liquidités en provenance des banques. Dans le premier cas, il s’avèrerait que cette stratégie de sortie des politiques d’assouplissement monétaire était sans doute trop précoce au regard de la conjoncture européenne, d’où le recours évoqué récemment à de nouvelles mesures non-conventionnelles.

Jusque-là, ces mesures ont été introduites officiellement afin de restaurer les canaux de transmission de la politique monétaire de la BCE à l’économie réelle, canaux qui dans certains pays de la zone euro ont été brouillés par la crise financière et de la zone euro. Le moyen de restaurer ces canaux a consisté à injecter des liquidités dans l’économie et à augmenter les réserves du secteur bancaire afin d’inciter les banques à accorder à nouveau des prêts. Un autre objectif de ces politiques est d’envoyer un signal aux investisseurs sur la capacité de la banque centrale à assurer la stabilité et la pérennité de la zone euro, matérialisé par le célèbre « whatever it takes »[1] prononcé par Mario Draphi le 26 juillet 2012.

Dans un récent document de travail avec Mathilde Viennot, nous nous penchons sur l’efficacité des politiques conventionnelles et non-conventionnelles pendant la crise financière. Nous estimons les effets de l’instrument conventionnel et des achats de titres dans le cadre des politiques non-conventionnelles de la BCE (Securities held for monetary policy purposes) sur les taux d’intérêt et volumes de nouveaux crédits consentis sur différents marchés : prêts aux entreprises non-financières, aux ménages, marché des dettes souveraines, marché monétaire et celui des dépôts.

Nous montrons que les politiques non-conventionnelles ont permis de réduire les taux d’intérêt sur le marché monétaire, celui des titres souverains et des prêts aux entreprises non-financières. Ces politiques n’ont cependant pas eu d’effets sur les volumes de prêts accordés. Dans le même temps, il s’avère que l’instrument conventionnel, dont l’inefficacité a été l’une des justifications à la mise en place des mesures non-conventionnelles, a eu l’effet attendu sur quasiment tous les marchés étudiés, et d’autant plus dans les pays du Sud de la zone euro que dans ceux du Nord sur le marché des titres souverains à 6 mois et des prêts immobiliers aux ménages.

Il semble donc que les politiques non-conventionnelles ont eu des effets directs sur le marché des titres souverains et des effets indirects, en permettant de restaurer l’efficacité de l’instrument conventionnel sur les autres marchés. Une des raisons permettant d’expliquer le faible impact des deux instruments sur les volumes de prêts accordés tient à la nécessité pour les banques commerciales[2] de se désendetter et de réduire la taille de leur bilan en ajustant leur portefeuille d’actifs pondérés des risques, ce qui les a poussées à accroître leurs réserves plutôt que d’assurer leur rôle d’intermédiation et à réclamer une rémunération relativement plus élevée pour chaque exposition consentie. Ces comportements, bien que légitimes, nuisent à la transmission de la politique monétaire : les taux baissent mais le crédit ne repart pas. Il semble dès lors important que la politique monétaire ne repose pas exclusivement sur le secteur bancaire. Si une nouvelle vague d’opérations non-conventionnelles devait être entreprise, il faudrait qu’elle soit concentrée directement sur l’acquisition de titres souverains ou d’entreprises privées afin de contourner le secteur bancaire. Grâce à ce contournement, on assisterait certainement à des effets d’amplification de la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. Et ce serait bienvenu pour échapper au risque de déflation dans la zone euro.[3]

 


[1] « La BCE mettra en œuvre tout ce qu’il faudra pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant. »

[2] Le raisonnement du désendettement s’applique aussi à leurs clients : les agents non-financiers.

[3] Voir le post de Christophe Blot et le récent rapport du CAE par Agnès Bénassy-Quéré, Pierre-Olivier Gourinchas, Philippe Martin et Guillaume Plantin sur ce sujet.




Vers une meilleure gouvernance dans l’UE ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Vers une meilleure gouvernance dans l’UE ? Tel était le sujet de la 10e Conférence EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenue le 24 mai 2013 à Varsovie. « Towards a better governance in the EU? »,  le numéro 132 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE, publie des versions révisées de douze des communications présentées à cette conférence, rassemblées autour de quatre thèmes : gouvernance budgétaire, analyse des politiques budgétaires, gouvernance bancaire, questions macroéconomiques.

La crise financière mondiale de 2007 et la crise des dettes souveraines de la zone euro à partir de 2009 ont mis en lumière des défauts de la gouvernance dans l’UE. L’analyse de ces défauts et les propositions d’amélioration de la gouvernance font l’objet d’intenses débats entre économistes, dont la Conférence EUROFRAME a donné une illustration.

Comment renforcer l’Union Economique et Monétaire entre des pays qui restent foncièrement différents ? Comment sortir par le haut de la crise financière et économique, de la crise des dettes publiques, de l’austérité budgétaire et de la dépression ? Peut-on mettre en place une gouvernance de la zone euro, qui garantisse la solidité de la monnaie unique, qui évite le creusement des disparités entre Etats membres, qui leur donne les marges de manœuvre nécessaires, tout en leur interdisant les politiques non-coopératives, que ce soit la recherche excessive de compétitivité et d’excédents extérieurs ou le gonflement irresponsable de leurs dettes publiques ou extérieures ?

Au fil des articles de ce numéro, le lecteur verra apparaître plusieurs points de vue qui sont autant de voies possibles pour l’Europe :

–          Certains pensent qu’il faut revenir au Traité originel, supprimer les mécanismes de solidarité, interdire à la Banque centrale d’acheter les dettes des pays membres, imposer à ceux-ci de se financer sur les marchés financiers, qui, échaudés par l’expérience grecque, seront maintenant plus vigilants et imposeront des primes de risques aux pays qu’ils jugent laxistes. Mais ceci est-il compatible avec l’unicité de l’euro ? Les marchés sont-ils compétents en matière macroéconomique ? Les pays de la zone euro peuvent-ils accepter d’être abaissés au rang de pays sans souveraineté monétaire, dont la dette publique est considérée comme risquée et qui ne contrôlent pas leur taux d’intérêt ?

–          D’autres estiment qu’il faut aller progressivement vers une Europe fédérale, où les pouvoirs européens auraient en charge la politique budgétaire de chacun des Etats membres ; ceci devrait s’accompagner d’une démocratisation des instances de l’Union allant jusqu’à une certaine forme d’union politique. Mais peut-on gérer de façon centralisée des pays dont les conjonctures, les structures économiques et sociales diffèrent, qui ont besoin de stratégies différenciées ? La zone euro n’est-elle pas trop hétérogène ? Chaque pays peut-il accepter de soumettre ses choix sociaux et économiques à des arbitrages européens ?

–          D’autres estiment que la monnaie unique entre pays trop hétérogènes est impossible, que la garantie inconditionnelle des dettes publiques sera refusée par les pays du Nord, alors qu’elle est indispensable pour maintenir l’unité de la zone euro, que l’Europe est incapable d’organiser une stratégie commune mais différenciée, que les différentiels accumulés en matière de compétitivité nécessitent de forts réajustements de parité en Europe. Il faut laisser les taux de change refléter les situations différenciées des pays membres : forte baisse des monnaies des pays du Sud, forte montée des taux de change des pays du Nord, en retournant au SME, ou même à la flexibilité des change. Chaque pays sera alors placé devant ses responsabilités : les pays du Nord devront relancer leur demande intérieure, ceux du Sud devront utiliser leurs gains de compétitivité pour reconstruire un secteur exportateur. Mais aucun pays ne demande ce saut dans l’inconnu, dont les conséquences financières pourraient être redoutables.

–          Certains enfin, dont nous sommes, estiment qu’il faut que les dettes publiques redeviennent des actifs sans risques, garanties par la BCE, dans le cadre d’une coordination ouverte des politiques économiques des pays membres, visant explicitement le plein-emploi et la résorption concertées des déséquilibres de la zone. Mais cette coordination n’est-elle pas un mythe ? Un pays peut-il accepter de modifier ses objectifs de  politique économique pour améliorer la situation de ses partenaires ? Les méfiances entre pays européens ne sont-elles pas trop fortes aujourd’hui pour que chacun accepte de garantir les dettes publiques de ses partenaires ?

Telles sont les questions qui traversent ce numéro, lequel nous l’espérons, apporte une contribution utile aux débats sur la gouvernance de l’UE à l’approche des élections européennes.

 

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[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni).

[2] Ce numéro est publié en langue anglaise.




Logement locatif : une Clameur inquiétante …

par Pierre Madec

Comme chaque semestre, l’observatoire des loyers Clameur a publié début mars ses chiffres de conjoncture du marché de l’immobilier locatif[1]. Loyers de marché qui ralentissent, demandes de logement et offres locatives en baisse, mobilité résidentielle au plus bas, voici quelques-uns des constats dressés par l’observatoire. Des conclusions qui, selon leurs auteurs, « n’engagent guère à l’optimisme ». Ces résultats sont-ils si « préoccupants »? Pourquoi est-il important de les relativiser ?

Selon Clameur, dont les résultats diffèrent souvent sensiblement de ceux fournis par l’OLAP[2], les loyers de marché ont augmenté en 2013 de 0,6% et de de 0,2% en ce début d’année 2014. L’observatoire pointe du doigt le risque important de baisse généralisée à l’ensemble du marché locatif privé. Pour appuyer leurs propos, les auteurs insistent sur le fait qu’en 2013, les loyers de marché ont augmenté moins vite que l’inflation qui s’établissait selon l’INSEE à 0,7%.

Certes les loyers ont cru moins rapidement que l’ensemble des prix à la consommation, ce qui a conduit à une baisse relative du rendement immobilier de certains propriétaires, mais à contrario leur évolution a été plus rapide que celle par exemple du pouvoir d’achat des ménages qui n’a augmenté par unité de consommation que de 0,5% en 2013 selon l’INSEE…

De même, nous sommes tentés d’opposer aux inquiétudes des auteurs, concernant l’érosion des loyers de marché, nos inquiétudes (anciennes) portant sur l’explosion des taux d’effort des ménages[3]. Entre 2005 et 2011, la dépense nette de logement des ménages locataires du parc privé a augmenté de 18,4% quand le revenu avant impôt n’évoluait que de 7,5%. Sur la période, le taux d’effort des locataires du secteur s’accroissait de 2,5 points pour atteindre 27% (INSEE, 2014).

Au grand dam des professionnels de la location immobilière qui s’alarment du caractère « préoccupant »  de l’érosion apparente des loyers, cette dernière serait a contrario une relativement bonne nouvelle pour les locataires …

De manière plus générale, l’argumentaire tendant à démontrer à quel point le marché locatif privé se trouve dans une spirale récessive inquiétante en étudiant exclusivement le « loyer de marché » et son évolution peut sembler déroutant. Pour étudier les loyers du parc locatif privé, différents indicateurs sont à disposition : l’évolution du loyer de marché certes, mais aussi celle du loyer moyen, des loyers en cours ou au renouvellement de bail, des loyers des premiers baux, ou encore l’évolution des loyers lors de la relocation. Chacun de ces indicateurs apporte des informations différentes et complémentaires sur les mécanismes à l’œuvre sur le marché locatif.

Le loyer de marché représente la valeur moyenne des logements mis en location à une date T. Une hausse (baisse) des loyers de marché ne signifie donc pas que les loyers ont augmenté (baissé) mais que les loyers du stock disponible à la location à la date T ont augmenté (baissé) par rapport à ceux du stock disponible en T-1. Cette précision, bien que pouvant paraître triviale, est importante.

En effet, l’évolution qui conditionne en grande partie à la fois l’augmentation du rendement locatif du propriétaire bailleur et la perte de pouvoir d’achat induite par un déménagement pour le locataire, est en réalité l’évolution des loyers à la relocation. Celle-ci renseigne sur les augmentations de loyers opérés lors d’un changement de locataire. A titre d’exemple, selon l’OLAP, au 1er Janvier 2013 en agglomération parisienne, le loyer avant relocation s’établissait en moyenne à 16,3€/m² et les loyers après relocation était en moyenne de 18,6€/m². A la relocation, les loyers ont donc augmenté de 14%.

De même, les auteurs s’inquiètent de la baisse historique des taux de mobilité résidentielle[4]. Bien que cette baisse tendancielle dans le parc locatif privé pose problème, elle est probablement explicable en partie, et comme le souligne l’observatoire, par une dégradation significative d’un certain nombre d’indicateurs économiques nationaux (augmentation du chômage, dégradation de la confiance des ménages, …) mais aussi par la hausse (excessive) des prix de l’immobilier et des loyers depuis maintenant une décennie.

Une fois l’ajustement des loyers (à la stabilité ou à la baisse) opéré, les locataires retrouveront leur mobilité d’antan … De plus, en encadrant les loyers à la relocation, la loi ALUR (étudiée de nombreuse fois par l’OFCE – ici ou encore ) a justement pour objectif d’augmenter la mobilité des résidents ; les locataires devant quitter leur logement ayant un saut de loyer à la relocation moindre à franchir.

En réalité, le seul risque soulevé par Clameur qui mérite vraiment l’attention est celui concernant l’offre locative. En effet, une baisse durable de l’offre locative (-120 000 logements entre 2011 et 2013) est problématique et ce surtout en zone tendue. Si la loi ALUR a vocation à engendrer un cercle vertueux d’érosion des loyers et des prix de l’immobilier et de maintien des rendements locatifs, cet ajustement sera long et peut entraîner à moyen terme une baisse de l’offre locative compte tenu de la diminution possible, au cours de la période, des rendements locatifs.

Pour soutenir cette offre locative privée, le gouvernement ne peut pas, à l’heure actuelle, compter sur l’investissement locatif neuf qui, malgré l’instauration du dispositif Duflot, est atone. De même, l’augmentation de la vacance locative (+12% depuis 2008) laisse penser que les tensions sur le marché locatif privé sont à même de durer.

Les pouvoirs publics peuvent agir pour enrayer ces phénomènes. Le durcissement récent de la taxation des logements vacants (allongement de la durée d’habitation ouvrant droit à exonération, …) va dans la bonne direction. En parallèle, des actions en faveur du logement social doivent être engagées. Bien que le temps de la construction diffère sensiblement du temps politique, le développement d’une offre locative sociale crédible ne peut que servir un parc privé en proie au blocage et où les déséquilibres entre offre et demande semblent insolubles.

 


 

[1] CLAMEUR, pour Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux, est un observatoire des loyers associant l’ensemble des acteurs professionnels de la location (Crédit Mutuel, Bouygues Immobilier, Century 21, Crédit Foncier, FONCIA, SeLoger.com, …).

[2] L’OLAP pour Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne est une association « loi 1901 » regroupant à parts égales locataires et propriétaires qui publie chaque année un rapport annuel complet de l’évolution des loyers en agglomération parisienne et dans certaines villes de province. Ses méthodes d’évaluation des loyers tendent à être généralisées dans le cadre de la mise en place de la loi ALUR.

[3] Défini comme le rapport entre dépenses de logement (loyer + charges) et revenu.

[4] Défini comme la part de ménages changeant de logement au cours de l’année.