France : croissance malmenée

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

 

La publication, le 28 octobre, d’une croissance de l’économie française de 0,2 % au troisième trimestre 2016 constitue un signal conjoncturel conforme à notre analyse de la conjoncture de l’économie française. Ce chiffre, proche de notre dernière prévision (+0,3% prévu au troisième trimestre), reste en ligne avec notre scénario de croissance à l’horizon 2018.

En effet, après trois années de croissance très faible (0,5 % en moyenne sur la période 2012-14), un modeste rebond de l’activité s’est dessiné en France en 2015 (1,2 %), tiré par la baisse des prix du pétrole, la dépréciation de l’euro et une consolidation budgétaire moins forte que par le passé. Pour la première fois depuis 2011, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand (98 000 sur l’ensemble de l’année), favorisées par les dispositifs fiscaux réduisant le coût du travail. Cumulées à une hausse des effectifs dans le secteur non-marchand (+ 49 000) et des créations d’emplois non-salariés (+56 000), le nombre de chômeurs au sens du BIT a diminué en 2015 (-63 000, soit -0,2 point de la population active). De son côté, dynamisé par le suramortissement fiscal sur les équipements industriels, l’investissement des entreprises a connu un redémarrage en 2015 (+3,9 % en glissement annuel). 

La moins bonne performance de la croissance française par rapport à celle de la zone euro depuis 2014 s’explique, outre le fait qu’elle ait aussi mieux résisté sur la période 2008-2013, par deux éléments majeurs : d’une part, par un ajustement budgétaire plus conséquent que celui de ses voisins européens sur la période 2014-16, et d’autre part par la maigre contribution de ses exportations à la croissance, alors même que les orientations fiscales de la politique de l’offre visent à redresser la compétitivité des entreprises françaises. Or, il semblerait que les exportateurs français aient fait le choix, à partir de 2015, de redresser leurs marges plutôt que de réduire leurs prix à l’exportation, sans effet sur les volumes exportés. Si ce comportement se traduit par des pertes de parts de marché depuis plusieurs trimestres, il peut en revanche, à travers le rétablissement des situations financières des exportateurs hexagonaux, devenir un atout à plus long terme, notamment si ces marges étaient réinvesties dans la compétitivité hors-coût pour favoriser la montée en gamme des produits fabriqués en France.

En 2016, malgré un premier trimestre dynamique (+0,7 %) tiré par une demande intérieure hors stocks exceptionnellement soutenue (+0,9 %), la croissance du PIB plafonnerait à 1,4 % en moyenne sur l’année (tableau 1). Le trou d’air du milieu d’année, marqué par les grèves, les inondations, les attentats ou la fin initialement programmée du suramortissement fiscal, explique en partie la faiblesse de la reprise en 2016. Sous l’effet du redressement du taux de marge, d’un coût du capital historiquement bas et du prolongement du suramortissement fiscal, l’investissement continuerait cependant à croître en 2016 (+2,7 % en glissement annuel). Les créations d’emplois salariés marchands seraient relativement dynamiques (+149 000), soutenues par le CICE, le Pacte de responsabilité ou la prime à l’embauche. Au total, en tenant compte des non-salariés et des effectifs dans le secteur non-marchand, 219 000 emplois seraient créés en 2016. Le taux de chômage baisserait de 0,5 point sur l’année, dont 0,1 serait lié à la mise en place du dispositif « 500 000 formations », et s’établirait à 9,4 % de la population active en fin d’année. Le déficit public, quant à lui, baisserait à 3,3 % du PIB en 2016, après 3,5 % en 2015 et 4 % en 2014.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,5 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %), la politique budgétaire nationale ne pesant plus sur le PIB pour la première fois depuis sept ans. Par contre, la France doit faire face, par rapport à la prévision de printemps, à deux nouveaux chocs, l’impact négatif du Brexit sur le commerce extérieur et celui des attentats sur la fréquentation touristique. Ces deux chocs amputeraient de 0,2 point de PIB la croissance en 2017 (après 0,1 en 2016). L’économie française créerait 180 000 emplois, dont 145 000 dans le secteur marchand, et le taux de chômage se réduirait de « seulement » 0,1 point, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation. Sous l’effet de la remontée du prix du pétrole et de la baisse de l’euro, l’inflation serait de 1,5 % en 2017 (après 0,4 % en 2016). Enfin, le déficit public atteindrait 2,9 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans. Après s’être stabilisée à 96,1 % du PIB en 2015 et en 2016, la dette publique baisserait très légèrement, pour revenir à 95,8 % en 2017.

L’économie française, bien que malmenée par de nouveaux chocs et loin d’avoir effacé tous les stigmates de la crise, se redresse peu à peu, comme en témoigne l’amélioration graduelle de la situation financière des agents économiques : hausse du taux de marge des entreprises, rebond du pouvoir d’achat des ménages, baisse du déficit et stabilisation de la dette publique.

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Chômage : forte volatilité, faible baisse

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de septembre 2016, publiés par Pôle emploi, font apparaître une baisse spectaculaire du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (-66 300 personnes en France métropolitaine). Cette forte baisse fait plus que compenser la hausse tout aussi spectaculaire du mois dernier (+50 200). Au total, sur trois mois, le recul du nombre de demandeurs d’emplois atteint 35 200, troisième baisse trimestrielle consécutive, ce qui n’avait plus été observé depuis le début de la crise au début de 2008. Le chiffre de septembre confirme ainsi le retournement progressif de la courbe des DEFM sur un horizon de temps plus long : depuis le début de l’année, les effectifs en catégorie A ont baissé de 90 000 personnes et de 59 500 sur un an. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), la baisse mensuelle est moins prononcée (-38 000 personnes), probablement parce qu’une partie des inscrits sans aucune activité a changé de catégorie après avoir retrouvé une activité réduite.

La baisse des inscrits en catégorie A au mois de septembre a bénéficié à part quasi égale aux hommes et aux femmes. Elle s’est toutefois concentrée sur les personnes les moins éloignées du marché du travail : les moins de 25 ans (-27 400, sous l’effet notamment du plan de formation) et les 25-49 ans (-37 300), ainsi que les inscrits depuis moins d’un an (-31 000 en catégorie ABC). La baisse a été marginale pour les plus de 50 ans (-1 600) et les demandeurs inscrits depuis plus d’un an (-7 100 en catégorie ABC).

Ces évolutions mensuelles très erratiques doivent à chaque fois être prises avec prudence. Les chiffres publiés par Pôle emploi sont soumis à des aléas propres à la pratique administrative. Selon Pôle emploi, elles reflètent en partie sur le passé récent la modification des règles d’actualisation d’inscription.

Focus : Le changement de règle d’actualisation et la volatilité des chiffres de Pôle emploi

Ce changement de règle, a priori anodin, a eu pour conséquence d’introduire une forte volatilité mensuelle dans les chiffres des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation : chaque mois, certains demandeurs d’emploi n’actualisent pas leur situation (soit parce qu’ils ont retrouvé un emploi, soit par oubli…) et ne sont donc plus comptabilisés comme DEFM.

A partir du mois de janvier 2016, Pôle emploi a ainsi modifié les conditions d’actualisation de la situation des demandeurs d’emploi. Avant janvier 2016, le calendrier d’actualisation était fixé selon la règle :

  • – l’ouverture de l’actualisation relative au mois m avait lieu le 3e jour ouvré avant la fin du mois m,
  • – la relance avait lieu les 8e et 9e jours ouvrés du mois m+1
  • – la clôture de l’actualisation avait lieu la veille du 12e jour ouvré du mois m+1 à 23h59, que ce jour soit ouvré ou non.

Selon ce calendrier, l’intervalle de temps pour l’actualisation reposait sur un nombre total de jours variable (compris entre 18 et 23 jours, graphique) mais d’un nombre de jours ouvrés constant (14).

A compter de janvier 2016, la règle a changé : pour un mois donné, l’actualisation est ouverte le 28 de ce mois (sauf pour les mois de février où l’actualisation est ouverte le 26) et est clôturée le 15 du mois suivant :

  • – envoi par Pôle emploi des déclarations de situation mensuelle (DSM, le 28 du mois m en général ou le 26 en février) ; cet envoi se fait principalement par internet, plus marginalement par courrier postal ;
  • – ouverture de la télé-actualisation (le lendemain de l’envoi des DSM) ;
  • – retours d’actualisation par les demandeurs d’emploi, suivis le cas échéant du calcul et de la mise en paiement de l’allocation par Pôle emploi (pour les demandeurs d’emploi indemnisés, l’actualisation déclenche le versement de l’allocation) ;
  • – repérage par Pôle emploi des demandeurs d’emploi n’ayant pas encore actualisé leur situation ;
  • – relance des demandeurs d’emploi n’ayant pas encore actualisé leur situation (le 11 et le 12 du mois m+1) ; cette relance s’effectue par téléphone, SMS, ou courrier postal ;
  • – clôture de l’actualisation (le 15 du mois m+1 à 23h59).

Il a résulté de ce changement de règles une diminution des nombres moyens de jours d’actualisation, totaux ou ouvrés, une atténuation de la volatilité du nombre total de jours d’actualisation (compris entre 17 et 19 jours) et surtout l’apparition d’une variabilité du nombre de jours ouvrés (compris entre 11 et 14 jours), qui n’existait pas auparavant. Or les jours ouvrés étant plus propices à l’actualisation de situation que les jours fériés, leur plus grande variabilité retentit sur les cessations d’inscription pour défaut d’actualisation. Les mois incluant un nombre important de jours ouvrés affichent des cessations d’inscription moins nombreuses et inversement (graphique). Les évolutions exceptionnellement erratiques des inscrits en catégorie A ces deux derniers mois relèvent en partie de ce phénomène, avec un nombre de jours ouvrés en août (14) qui a favorisé les réinscriptions sur les listes de l’Agence, et par voie de conséquence, un dégonflement des défauts d’actualisation qui s’est répercuté en une forte augmentation des inscrits. Le mouvement inverse s’est produit en septembre avec un nombre de jours ouvrés (13) en diminution. En octobre, ce nombre diminuera encore, pour atteindre 11, ce qui pourrait provoquer à nouveau une hausse des défauts d’actualisation et un effet favorable sur le nombre d’inscrits à Pôle emploi.

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Le chômage en quelques chiffres

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Jusqu’où les taux d’intérêt peuvent-ils être négatifs ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 11 juin 2014, la Banque centrale européenne décidait de fixer un taux négatif sur les facilités de dépôts ainsi que sur les réserves excédentaires détenues par les établissements de crédit de la zone euro. Ce taux a été ensuite réduit à plusieurs reprises et s’élève à -0,40 % depuis mars 2016. On peut s’interroger sur le fait que des agents, ici les banques commerciales, acceptent de payer un intérêt pour des dépôts laissés auprès de la BCE. Dans un article sur les causes et conséquences des taux négatifs, nous expliquons comment la banque centrale parvient à imposer des taux négatifs, quel est leur limite à la baisse et discutons des coûts de cette politique pour les banques.

Pour conduire la politique monétaire, la BCE impose aux banques commerciales de la zone euro d’avoir un compte auprès de la BCE, utilisé pour satisfaire les exigences de réserves obligatoires[1] et pour participer aux opérations d’octroi de liquidités. Ce compte peut être aussi utilisé pour effectuer des transactions de compensation entre banques commerciales. Les réserves obligatoires sont rémunérées à un taux fixé par la BCE. Au-delà de ce montant, les banques ne reçoivent en temps normal aucune rémunération. Par ailleurs, la BCE propose également une facilité de dépôts permettant aux banques de placer des liquidités auprès de la BCE pour une durée de 24 heures et rémunérées au taux des facilités de dépôts.

Avant 2008, les banques commerciales détenaient uniquement les réserves dont elles avaient besoin pour satisfaire les exigences de réserves obligatoires (graphique). L’encours de réserves excédentaires[2] était très faible : moins de 1 milliard en moyenne avant 2008. Il en était de même pour l’encours des facilités de dépôts : 321 millions en moyenne. Depuis la crise, la BCE s’est substituée au marché interbancaire et est intervenue pour fournir des liquidités en quantité abondante. En participant aux différents programmes d’achat de titres de la BCE (QE, quantitative easing), les banques reçoivent également des liquidités qui sont placées sur ce compte de réserves si bien que l’encours cumulé des réserves excédentaires et des facilités de dépôts atteint 987 milliards d’euros en septembre 2016. Les taux négatifs ne s’appliquent donc pas à l’ensemble des opérations de politique monétaire mais uniquement sur cette fraction des liquidités laissées en dépôts par les banques (pour un actif total des banques de la zone euro de 31 000 milliards d’euros). Au taux actuel, le coût annuel  direct pour les banques est ainsi de 3,9 milliards d’euros.

Dans la mesure où les banques ne sont pas tenues de détenir ces réserves excédentaires, on peut se demander pourquoi elles acceptent de supporter ce coût. Pour répondre à cette question, il faut examiner les possibilités d’arbitrage avec d’autres actifs qui pourraient être utilisés comme substitut aux réserves excédentaires. Les réserves sont en fait une monnaie[3] émise par les banques centrales uniquement à l’intention des banques commerciales et sont de fait un actif très liquide. Or, sur le marché monétaire, les taux sont également négatifs si bien que les banques sont indifférentes entre avoir des réserves excédentaires et placer leurs liquidités sur le marché interbancaire à une semaine ou acheter des titres du Trésor émis par le gouvernement français ou allemand par exemple, dont le rendement est également négatif.

 

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En fait, le meilleur substitut aux réserves serait de détenir directement du cash. La substitution pourrait donc s’opérer au sein même de la base monétaire si les banques demandaient la conversion des réserves excédentaires et des facilités de dépôts en billets qui ont les mêmes propriétés en termes de liquidité et ont un intérêt nominal nul. Actuellement, il faudrait alors convertir 987 milliards de réserves sous forme de billets, ce qui en doublerait presque l’encours ; la quantité de billets en circulation était de 1 096 milliards d’euros en septembre 2016. Le fait que les agents puissent disposer d’un actif ne portant pas intérêt est l’argument justifiant que les taux nominaux ne puissent pas être négatifs. En pratique, cet arbitrage ne se fait pas dès que le seuil de taux négatif est franchi dans la mesure où il existe des coûts à la détention de monnaie sous forme de billets. Le taux nominal peut donc être négatif. On peut cependant considérer qu’il existe un seuil à partir duquel la détention de cash est préférée. Ce coût de détention de grandes quantités d’argent n’est pas précisément connu mais il semble non négligeable et en tout cas supérieur au 0,4 % chargé par la BCE aujourd’hui. De fait, aucune substitution ne semble avoir été opérée aujourd’hui puisque la croissance de l’encours de billets en circulation n’a pas particulièrement augmenté depuis la mise en place du taux négatif (graphique). Une évaluation faite par Jackson (2015) indique que les différents coûts liés à la détention de monnaie sous forme de pièces et de billets pourraient aller jusqu’à 2 %, valeur qui pourrait constituer une contrainte effective (ELB) pour la baisse des taux.

Au-delà du coût que représentent les taux négatifs pour les banques, il convient de considérer les bénéfices attendus d’une telle politique et le cadre global dans lequel ils s’inscrivent. Conjointement aux taux négatifs, la BCE permet aux banques, via le programme TLTRO II, de se financer elles-mêmes à des taux négatifs et les incite ainsi doublement (via le coût des réserves excédentaires et via le taux auquel elles se financent) à octroyer des crédits à l’économie réelle.

 

[1] Les établissements de crédit sont en effet tenus de laisser en réserves sur ce compte, une fraction des dépôts collectés auprès des agents non financiers. Voir ici pour plus de détails.

[2] Montant des réserves au-delà des réserves obligatoires.

[3] Avec les billets émis, elles forment ce qu’on appelle la base monétaire, également appelée M0.




L’optimisme des banquiers centraux a-t-il un effet sur les marchés ?

par Paul Hubert et Fabien Labondance

Les « esprits animaux », aussi appelés « erreurs d’optimisme et de pessimisme » ou « sentiments » contribuent aux fluctuations macroéconomiques comme mis en lumière par Pigou (1927), Keynes (1936), ou plus récemment Angeletos et La’O (2013)[1]. La quantification de tels concepts inobservables apparaît cruciale pour comprendre comment les agents économiques forment leurs anticipations et prennent leurs décisions, qui à leur tour influencent l’économie. Dans un récent document de travail, nous étudions cette question en analysant la communication des banques centrales et en évaluant ses effets sur les anticipations de marchés de taux d’intérêt.

Notre étude a pour objectif de quantifier le « sentiment » véhiculé par la communication des banques centrales à travers les déclarations de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) et la Reserve fédérale américaine (Fed) puis nous testons si cet optimisme ou ce pessimisme transmis dans ces déclarations affecte la structure par terme des anticipations de taux d’intérêt à court terme.

Le principal défi consiste à mesurer un concept aussi peu tangible que le « sentiment » de la banque centrale. Dans un premier temps, nous quantifions la tonalité employée par la BCE et la Fed dans leurs déclarations de politique monétaire en employant une analyse textométrique qui s’appuie sur trois dictionnaires de mots « positifs » et « négatifs »[2]. Précisons que l’objectif ici n’est pas de mesurer l’orientation du discours (expansionniste ou restrictif par exemple) mais bien de quantifier l’usage de mots à tonalité positive ou négative afin de mesurer la tonalité globale du discours indépendamment de son message de fond. Le sentiment se conçoit comme une composante indépendante des fondamentaux économiques et des décisions de politique monétaire[3]. Dit autrement, nous cherchons à savoir si l’usage de certains mots plutôt que d’autres, indépendamment du message communiqué, affecte les marchés financiers.

 Le graphique 1 montre l’évolution de la tonalité des discours des banquiers centraux, calculée sur la base des trois dictionnaires, entre 2005 et 2015 pour la BCE et la Fed. Cette tonalité est corrélée au cycle économique : le discours est plus optimiste (tonalité positive) durant les périodes de croissance et plus pessimiste (tonalité négative) durant les périodes de récession. On retrouve ainsi à travers notre mesure de tonalité les récessions de 2008-2009 en zone euro et aux Etats-Unis, ainsi que la crise des dettes souveraines en 2012-2013 en zone euro. La tonalité des banquiers centraux semble donc être le produit d’une combinaison entre l’évaluation des banques centrales de l’état actuel et futur de l’économie, et du sentiment qu’elles véhiculent.

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Après avoir isolé la composante de « sentiment » des variables quantifiant la tonalité, nous mesurons l’impact de ce sentiment sur la variation des anticipations de taux d’intérêt à court terme, mesurées par des swaps de taux d’intérêt (OIS – pour Overnight Indexed Swaps), pour des maturités allant de 1 mois à 10 ans. Parce que ce sentiment est communiqué le jour de la décision de politique monétaire, nous vérifions également que nous ne mesurons pas l’effet de la décision en elle-même.

Nos résultats montrent qu’un discours dont le sentiment est positif (i.e. optimiste) a un effet positif sur les anticipations de taux d’intérêt à des maturités allant de 3 mois à 10 ans dans la zone euro et à des maturités de 1 à 3 mois et de 1 à 3 ans aux Etats-Unis. L’effet culminant se situe autour des maturités de 1 et 2 ans à la fois dans la zone euro et aux Etats-Unis. Nous montrons également que cet effet est persistant et tend à prendre de l’ampleur dans le temps (cf. graphique 2). Nous trouvons aussi que l’effet du sentiment dépend de la précision du signal, de sa taille et de son signe (l’effet du pessimisme est plus fort que celui de l’optimisme, par exemple), ainsi que du niveau de l’inflation ou de la croissance.

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Ces résultats montrent que les marchés ne réagissent pas uniquement au message de fond mais également à la façon dont il est véhiculé par les banquiers centraux. Le sentiment des banquiers centraux influence la formation des anticipations de taux d’intérêt et semble indiquer l’évolution future du sentier des taux directeurs. Dans un contexte où les observateurs scrutent avec attention le moindre détail qui pourrait révéler la date à laquelle la Fed augmentera à nouveau son taux d’intérêt, ce travail ouvre de nouvelles pistes de recherche et suggère qu’il pourrait être utile de tester si le sentiment véhiculé lors des derniers discours de Janet Yellen pourrait en être un bon indicateur.

 

[1] Angeletos, George-Marios, et Jennifer La’O (2013), « Sentiments », Econometrica, 81(2), 739-780 ; Keynes, John Maynard (1936), General Theory of Employment, Interest and Money, London, Palgrave Macmillan; et Pigou, Arthur Cecil (1927), Industrial Fluctuations, London, Palgrave MacMillan.

[2] Nous utilisons trois dictionnaires différents : celui centré sur la communication des banques centrales d’Apel et Blix-Grimaldi (2012),  celui développé par Loughran et McDonald (2011) pour un contexte financier, et le General Inquirer’s Harvard dictionary recensant les mots positifs et négatifs de la vie de tous les jours. Ces dictionnaires listent les mots ou expressions connotés positivement ou négativement. La différence entre le nombre de mots positifs et négatifs indique la tonalité du texte : s’il y a plus d’expressions positives que négatives, la tonalité sera optimiste et inversement, pessimiste. Voir Apel, Mikael, et Marianna Blix-Grimaldi (2012), « The information content of central bank minutes », Riksbank Research Paper Series, n° 92 ; Loughran Tim, et Bill McDonald (2011), « When is a Liability not a Liability? Textual Analysis, Dictionaries, and 10-Ks », Journal of Finance, 66 (1), 35-65 ; et http://www.wjh.harvard.edu/~inquirer/.

[3] Cf. Angeletos et La’O (2013).




Le CICE est-il le bon instrument pour améliorer la compétitivité française ?

par S. Guillou, T. Treibich, R. Sampognaro, L. Nesta

Le 29 septembre 2016, France Stratégie a remis son rapport d’évaluation des effets du CICE. Le rapport conclut à une absence d’effet de court terme sur les exportations, allant à l’encontre de l’effet attendu du CICE sur la compétitivité des entreprises françaises. Parallèlement, la dégradation du solde commercial français qui se poursuit en 2013 et 2014 ne contredit pas ce résultat.  Faut-il en conclure que le CICE n’est pas un bon outil pour améliorer la compétitivité et augmenter la valeur des exportations ? Nos résultats montrent qu’on devrait s’attendre à terme à un effet positif du CICE sur les exportations compris entre 1,5 et 5,0 milliards d’euros grâce à une baisse du coût du travail équivalente à la créance CICE de 2013, soit 1% de la valeur exportée ou 0,25% du PIB. Cet effet de moyen terme ne contredit pas les résultats des autres équipes évaluant le CICE (TEPP et LIEPP). Nous privilégions en effet la thèse de l’attentisme des entreprises face à cette mesure nouvelle pour expliquer les faibles effets de court terme.

 

Trois équipes de chercheurs (TEPP, LIEPP et OFCE) ont été mandatées par France Stratégie pour réaliser une étude sur données d’entreprises, avec pour mission d’identifier un changement de comportement des entreprises en réponse au CICE. Elles ont bénéficié pour ce faire d’un accès aux créances déclarées (le crédit d’impôt potentiel) et consommées (le crédit d’impôt effectivement reçu, dépendant du montant d’impôt dû par l’entreprise) par les entreprises françaises. L’équipe de l’OFCE s’est focalisée sur le volet « compétitivité » du crédit d’impôt. Précisément, l’objectif a été d’évaluer l’impact potentiel du CICE sur les exportations des entreprises.

Les mécanismes par lesquels le CICE peut améliorer la compétitivité reposent à court terme (i) sur la baisse des prix induite par une baisse du coût du travail, (ii) l’augmentation des moyens de financement pour faire face aux coûts d’entrée sur les marchés étrangers (par exemple, coûts de distribution, adaptation des produits), et à plus long terme (iii) sur l’impact des investissements d’amélioration de la qualité (compétitivité hors-prix) permis par l’augmentation des marges due au CICE. Ainsi, sur la période d’observation disponible – l’année la plus récente à ce jour étant 2014 – c’est-à-dire à court terme, seul le canal de la compétitivité-prix pouvait être attendu.

L’usage des données d’entreprises et de salariés pour réaliser cet exercice d’évaluation est exigé par l’hypothèse d’hétérogénéité des réponses. La meilleure réponse des exportateurs au CICE (baisse des prix ou hausse du taux de marge) peut être spécifique à chaque entreprise. Elle dépendra de l’élasticité-prix de sa demande extérieure, du degré de différenciation de son produit, ainsi que de la part du travail dans son coût de production. Utilisant les informations sur l’hétérogénéité des entreprises, notamment sur la distribution des salaires par entreprise, mais aussi sur les produits exportés, il est possible de solliciter plusieurs dimensions qui vont singulariser la réponse des entreprises à une variation exogène des coûts du travail, et déterminer la sensibilité de leurs exportations au coût du travail. Cette sensibilité – dite directe – est attendue négative (une baisse du coût du travail augmentant les exportations) mais elle peut être hétérogène parmi les entreprises exportatrices. Afin d’évaluer l’amélioration de la compétitivité-prix des entreprises induite par le CICE, nous avons exploré par ailleurs le canal dit indirect, c’est-à-dire le comportement de transmission des baisses de coût vers les prix des exportations.

La difficulté de l’exercice d’évaluation (déjà souligné dans Guillou, 2015) tient en 1) la disponibilité des données d’observations, limitées à 2014, soit à peine deux ans après la mise en place de la politique ; 2) l’impossibilité d’établir un solide contrefactuel (ou groupe de contrôle), c’est-à-dire un groupe d’entreprises très semblables à celles recevant le CICE mais ne le recevant pas. En effet, la quasi-totalité des entreprises sont éligibles au CICE, et celles qui ne le reçoivent pas ont un profil très particulier puisqu’elles n’ont que des salariés au-dessus de 2,5 SMIC. Selon nos calculs, 96% des entreprises juridiquement éligibles sont concernées par le CICE et elles rassemblent 97% des salariés. Les entreprises non traitées – celles dont le salaire de l’ensemble des salariés est supérieur à 2,5 SMIC – sont plutôt une exception statistique dans le paysage français.

Face à ces difficultés, l’équipe de l’OFCE a choisi d’évaluer ex ante la sensibilité des exportations à des variations exogènes du coût du travail. Notre approche a consisté à estimer les élasticités des exportations à des variations exogènes du coût du travail unitaire (c’est-à-dire corrigé de la productivité du travail) à partir d’une relation d’équilibre issue d’un modèle de concurrence monopolistique. Le modèle théorique attend des exportations qu’elles varient de façon inverse au coût du travail. Il s’agit d’une relation d’équilibre, c’est-à-dire qu’elle devrait se produire une fois l’ensemble des ajustements réalisés, et n’est donc pas forcément une relation immédiate.

L’élasticité des exportations au coût du travail unitaire a été estimée sur la période 2009-2013 pour l’ensemble des exportateurs français. L’identification repose sur l’hétérogénéité des entreprises en termes des variations exogènes de leur coût du travail unitaire, en contrôlant des effets sectoriels et temporels, et des évolutions des exportations propres à l’entreprise. L’exogénéité des variations du coût du travail est obtenue en l’instrumentant par le coût du travail de la zone d’emploi de l’entreprise, à secteur donné.

En termes d’évaluation de l’amplitude de l’effet sur les exportations qu’on est en « droit » d’attendre du CICE, nous trouvons un effet non négligeable malgré de faibles élasticités. Comme décrit dans notre contribution, mise à disposition par France Stratégie en toute transparence, cet effet, non négligeable, repose sur l’hypothèse que la créance CICE se transmet intégralement à la baisse des coûts salariaux unitaires (CSU). Nos résultats montrent qu’on devrait s’attendre à un effet positif du CICE sur les exportations compris entre 1,5 et 5,0 milliards d’euros grâce à une baisse du coût du travail équivalente à la créance CICE de 2013, soit 1% de la valeur exportée ou 0,25% du PIB. Si la créance CICE de 2014 se transmet intégralement à la baisse des CSU, la hausse permise des exportations devrait s’établir, à terme, entre 2,9 et 7,6 milliards d’euros, soit 1,3% des exportations et 0,3% du PIB. Ces estimations constituent vraisemblablement les valeurs hautes de la fourchette de réponse. L’effet agrégé cache une hétérogénéité de réponses : la réaction de la marge intensive des exportateurs au CICE est d’autant plus importante que leur taux de marge est faible et/ou qu’elles sont plus exposées au CICE.

Il faut rappeler que nos résultats reposent sur l’hypothèse que le CICE constitue une baisse du coût du travail, et donc, toutes choses égales par ailleurs, du coût de production. Cependant, quel en a été l’usage ? A la suite de cette baisse du coût de production, l’entreprise peut décider de réduire ses prix, augmenter ses marges ou embaucher. Au-delà de l’évaluation globale sur les exportations, notre étude a donc eu pour objectif d’évaluer l’arbitrage prix-taux de marge choisi par les entreprises.

Assimiler le CICE à une baisse du coût du travail, est-ce une hypothèse valable ? Si le CICE est en pratique une baisse d’impôt, le calcul du CICE par l’entreprise ne dépend que de la masse salariale sous le seuil de 2,5 SMIC. Par conséquent, les instances qui régissent la comptabilité tant nationale (INSEE) que privée (Autorité des Normes Comptables) interprètent le CICE comme une baisse des charges d’exploitation associées au travail. Cette hypothèse serait contrariée si le CICE avait permis des augmentations de salaires à postes et qualifications constants, ce qui n’a pas été observé avec robustesse.

Ces résultats ne sont pas contraints par une hypothèse sur le montant de transmission de la variation du coût du travail vers les prix. En effet, cette baisse du coût du travail a pu se traduire par une transmission incomplète vers les prix, et par conséquent par une transmission vers les marges des entreprises ou leur trésorerie. Nos résultats montrent que la transmission de la variation des coûts du travail au prix est loin d’être complète. De fait notre second exercice d’estimation (le canal indirect décrit ci-dessus) indique qu’en moyenne seul un tiers d’une baisse des coûts se traduirait en baisse des prix. Cela laisse entendre que les marges ont automatiquement répercuté environ 70% du gain du CICE. Plus généralement, nos estimations révèlent que les exportations sont sensibles au coût du travail en raison d’une faible différenciation des produits en moyenne. L’absence d’effet constaté en 2013 et en 2014 par des évaluations en double différence (voir LIEPP) et correspondant à la conclusion générale du rapport de France Stratégie ne contredit pas forcément nos résultats. Notre travail permet notamment d’inférer sur les causes d’absence de réaction. Les exportations ne sont pas insensibles par nature à une baisse du coût du travail (l’élasticité estimée aurait alors été nulle). L’absence de réaction au CICE à court terme pourrait s’expliquer de trois manières : 1)    Si les entreprises ont augmenté les salaires, elles n’ont pas connu de baisse du coût du travail. Notre hypothèse de travail serait contredite (comme l’objectif de la politique) et les effets sur les exportations seraient plus faibles ;2)    Si les entreprises ont substitué du capital par du travail (afin d’augmenter leur créance CICE) et ainsi diminué leur productivité, alors leur coût du travail unitaire a pu être stable ou a pu augmenter[1] ;3)    Si les entreprises doutent de la pérennité de la mesure, elles peuvent avoir un comportement attentiste et réagiront en différé. Par exemple, elles ne vont pas changer leur catalogue de prix sans être sûres de pouvoir bénéficier durablement de la mesure dans les années suivantes. Cette phase d’attentisme pourrait expliquer l’absence de réaction des exportations à la variable CICE dans le court terme. Nous privilégions la dernière hypothèse, ce qui nous conduit à dire que dans le moyen terme, les exportations devraient répondre positivement au stimulus du CICE. Notre contribution montre qu’au-delà de la nécessaire évaluation empirique ex-post, il reste fondamental de comprendre les mécanismes théoriques par lesquels le CICE peut agir sur la trajectoire économique. En particulier, ceci permet de mieux appréhender pourquoi ses effets se sont matérialisés ou pas en 2013 et 2014.

 

[1] On rappelle que le coût du travail unitaire est défini comme le ratio du salaire horaire sur la productivité horaire du travail. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, si la productivité du travail diminue, le coût du travail unitaire augmente.