Une (ré) assurance chômage européenne

par Léo Aparisi de Lannoy et Xavier Ragot

Le retour de la croissance ne peut faire oublier la mauvaise gestion de la crise au niveau européen sous son aspect économique, mais aussi social et politique. Les divergences des taux de chômage, des balances courantes et des dettes publiques entre les pays de la zone euro sont inédites depuis des décennies. Les évolutions de la gouvernance européenne doivent viser la plus grande efficacité économique pour la réduction du chômage et des inégalités tout en explicitant et en justifiant leurs enjeux financiers et politiques afin de les rendre compatibles avec des choix politiques nationaux. La constitution d’une assurance chômage européenne remplit ces critères.

L’idée d’un mécanisme européen d’indemnisation des chômeurs est une vielle idée dont les premières traces remontent au moins à 1975. Cette idée est aujourd’hui très débattue en Europe avec des propositions émanant d’économistes ou d’administrations italiennes, françaises, des études menées par des instituts allemands, dont le dernier Policy Brief de l’OFCE propose une synthèse. Cette possibilité est même évoquée dans des communications de la Commission européenne. Cette note présente les débats européens, ainsi que le système en place aux États-Unis.

Le mécanisme de réassurance chômage européen présenté dans cette note vise à financer les indemnités chômage des pays en cas de récession sévère et s’inspire pour cela de l’expérience des États-Unis. Ce mécanisme constitue un second niveau européen en plus de niveaux nationaux d’assurance chômage différents. Il permet de soutenir les chômeurs dans les pays touchés par une récession importante, ce qui contribue à soutenir la demande agrégée et l’activité tout en réduisant les inégalités dans les pays bénéficiaires, et est compatible avec une réduction des dettes publiques. Ce mécanisme n’engendre ni transferts permanents vers les pays qui ne se réformeraient pas, ni de distorsions de concurrence, ni le transfert de pouvoirs politiques relevant aujourd’hui de la subsidiarité. Il est en effet, comme c’est le cas aux États-Unis, compatible avec une hétérogénéité de systèmes nationaux.

Pour donner des ordres de grandeur, un système de réassurance, équilibré sur le cycle économique européen et sans transferts permanents entre les pays, aurait augmenté la croissance de 1,6% du PIB en Espagne au cœur de la crise, et l’Allemagne aurait reçu une aide européenne de 1996 à 1998 et de 2003 à 2005. La France aurait connu une augmentation du PIB de 0,8% en 2013 grâce à un tel système, comme le montrent des simulations présentées par des équipes européennes.

Pour accéder à l’étude complète, consulter ici le Policy Brief de l’OFCE, n°28 du 30 novembre 2017.




Taux d’activité et durée du travail : des ajustements différenciés

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité.

En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, du fait entre autres des réformes des retraites menées, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,7 point en France, de 2,7 points en Italie et de 1,8 point au Royaume-Uni (Graphique). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2016. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-5,1 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. À taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 1,2%. Il reste que les évolutions des taux d’activité résultent aussi de facteurs démographiques structurels si bien que l’hypothèse d’un retour vers les taux de 2007 est arbitraire. Pour les États-Unis, une partie de la baisse du taux d’activité s’explique par l’évolution de la structure de la population. Aussi, le chiffre de sous-emploi peut être considéré comme surévalué.

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,9 points en Allemagne, de 3,4 points en Italie et de 0,8 point en France. En Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces trois pays.

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Il faut rappeler que la baisse de la durée du travail est tendancielle, ce qui se reflète dans les évolutions observées pendant la crise indépendamment des mesures spécifiques prises pour amortir le choc sur l’emploi par des mécanismes comme le chômage partiel ou l’utilisation de comptes épargne temps. Depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux États-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.