Economie française : ralentissement durable ou passager ?

Par l’équipe France de l’OFCE

Ce vendredi 27 avril, l’Insee publiait les comptes nationaux pour le premier trimestre 2018. Avec une croissance de 0,3 %, l’économie française semble marquer le pas alors même qu’après cinq années atones (0,8 % en moyenne sur la période 2012-16), la reprise s’était enfin matérialisée en 2017 avec une hausse du PIB de 2 %.

Si le profil trimestriel de la croissance du PIB de 2018 devrait être marqué par le calendrier des mesures fiscales qui vont affecter le pouvoir d’achat (hausse de la fiscalité indirecte et de la CSG) et donc la trajectoire de la consommation des ménages, cet effet, anticipé dans nos prévisions de printemps (Tableau), ne devrait être que provisoire. Le pouvoir d’achat des ménages devrait s’accroître au cours des trimestres suivants avec une forte accélération en fin d’année sous l’impulsion de la baisse de la taxe d’habitation et de la seconde tranche de baisse de cotisations sociales.

Ainsi, la dynamique de consommation, faible au premier semestre et forte au second, conduira à une accélération de la croissance tout au long de l’année, de 0,3 % au premier trimestre à 0,7 % en fin d’année. En 2019, sous l’effet de la montée en charge des mesures fiscales de soutien au pouvoir d’achat des ménages, ce dernier augmenterait de 2,4 % (après 1,6 % en 2018) dynamisant la consommation sur l’ensemble de l’année (2,2 % en 2019 après 1,5 % en 2018), et ce malgré une nouvelle hausse de la fiscalité indirecte.

La croissance de l’investissement des entreprises devrait rester robuste en 2018 et en 2019, soutenue par l’amélioration continue du taux de profit, un coût du capital toujours bas et une demande dynamique qui maintient le taux d’utilisation à un niveau élevé. Après plusieurs années de contraction, l’investissement des administrations publiques repartirait à la hausse en 2018 et 2019, avec le déploiement progressif du Grand Plan d’Investissement et l’objectif de préserver l’investissement des collectivités locales. L’investissement des ménages ralentirait comme l’indique le retournement des enquêtes de demande de logement et des perspectives de mises en chantier, en lien probablement avec la réduction des moyens budgétaires alloués au logement et avec l’attentisme sur le marché de la construction à la suite des discussions à attendre autour du projet de loi ELAN.

Le regain des exportations, confirmé par l’orientation favorable des enquêtes, les niveaux records des taux de marges des exportateurs et la vigueur de l’investissement productif se traduiraient par une hausse des parts de marché à l’exportation. Au sein d’un environnement économique porteur en zone euro, le commerce extérieur ne serait plus un frein à la croissance de la France en 2018 et 2019.

Avec une croissance robuste en 2018 et en 2019, les créations d’emplois, portées par le secteur marchand, resteraient dynamiques (194 000 en 2018 et 254 000 en 2019), ce qui permettrait de réduire le taux de chômage à 8,4 % fin 2018 et terminer l’année 2019 à 7,9 % (contre 8,6 % au quatrième trimestre 2017). En revanche, la forte baisse des nouveaux contrats aidés en 2018 pèserait sur la vitesse de réduction du chômage malgré la montée en charge du Plan Formation et de la Garantie jeunes.

La réduction du déficit public sera lente (2,4 % du PIB en 2018 et 2,5 % en 2019 après 2,6 % en 2017), mais ceci masque la forte amélioration du solde public, qui atteindrait 1,6 % en 2019 hors mesure ponctuelle liée à la transformation du CICE en baisses de cotisations sociales. Toutefois, la réduction du déficit serait suffisante pour assurer la sortie du bras correctif du Pacte de stabilité et entamer une décrue de la dette publique (de 97 % du PIB en 2017 à 95,4 % en 2019).

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L’indicateur avancé : pas de retournement du cycle de croissance

par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE pour la France, bâti sur les enquêtes de conjoncture publiées par l’INSEE le 24 avril, la croissance de l’économie française aurait été de +0,5 % au premier trimestre 2018, en repli de 0,2 point par rapport au quatrième trimestre 2017 (+0,7 %). Pour le deuxième trimestre, la croissance devrait revenir au voisinage de +0,4 %, révisée en baisse d’un peu moins de 0,1 point par rapport à l’évaluation du mois dernier.

IMG1_post25-4Tabe_post25-4Les publications successives des enquêtes confirment depuis quelques mois le tassement de l’opinion des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE. Les climats des affaires restent certes à un niveau élevé, mais leur évolution récente laisse penser qu’ils ont atteint leur pic conjoncturel au tournant de 2017 et de 2018.

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Au stade actuel, il convient d’être prudent quant à l’interprétation de ces signaux. D’abord, les séries d’enquêtes ne sont pas exemptes de volatilité à l’échelon mensuel et cette volatilité se manifeste aussi sur les hauts de cycle, comme on l’a vu en 2007, avec des mouvements ponctuels contraires à l’orientation générale des données. Ensuite, la confiance reste largement supérieure à sa moyenne de longue période dans toutes les branches, laissant entendre que l’activité reste supérieure à sa croissance de moyen terme. Par conséquent, même si la croissance va probablement ralentir au premier semestre 2018, ce passage à vide ne serait aucunement le signal d’une inversion du cycle de croissance en cours en l’état actuel de l’information sur les enquêtes.

Un tel signal serait donné par le passage du taux de croissance du PIB sous le taux de croissance de long terme (que l’on peut assimiler au taux de croissance potentiel de l’économie), évalué par l’estimation de l’indicateur à +0,3 % par trimestre, seuil dont les prévisions actuelles sont encore éloignées.

Le passage à vide peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèsera, au premier semestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief N°30, 15 janvier 2018). L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, à la hausse du tabac et à la fiscalité écologique devrait retentir négativement sur la consommation des ménages. Cet effet négatif de la fiscalité serait toutefois ponctuel et devrait jouer en sens inverse au second semestre, avec la montée en charge de certaines mesures visant à soutenir le pouvoir d’achat. Les données quantitatives disponibles jusqu’en février, l’indice de production industrielle et la consommation des ménages en biens confirment ces inquiétudes, avec des acquis de croissance négatifs au premier trimestre, respectivement -1 et -0,2 %. En revanche, l’indice de production dans les services affiche un dynamisme non démenti, avec une progression de +1,6 % en janvier, portant son acquis de croissance pour le premier trimestre à +1,8 %.

 




La BCE reste préoccupée par la faiblesse de l’inflation

Par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

Le Président de la Banque centrale européenne, M. Mario Draghi, a annoncé récemment que l’augmentation du taux directeur de la BCE interviendrait « bien après » la fin des mesures d’achats massifs de titres obligataires (prévue pour septembre 2018), principalement émis par les Etats de la zone euro, et à un « rythme mesuré ». La hausse du taux directeur pourrait donc intervenir vers la mi-2019, soit quelques semaines avant la passation de pouvoir entre Mario Draghi et son successeur.

Lors de son audition trimestrielle face aux parlementaires européens, Mario Draghi a fait preuve de prudence à propos de l’intensité et de la pérennité de la reprise économique[1]. A l’écouter, la zone euro n’aurait pas forcément refermé son écart de production (le PIB réalisé resterait en deçà de son potentiel) malgré la reprise des derniers trimestres. Ce n’est donc pas le moment de modifier l’orientation de la politique monétaire au risque de fragiliser cette reprise. Il est par ailleurs indéniable que les effets de la reprise ne se matérialisent pour le moment que très lentement et progressivement dans des hausses de salaires, ce qui explique en partie pourquoi le taux d’inflation de la zone euro reste en deçà de sa cible de moyen terme.

Le Président de la BCE a aussi fait preuve de confiance dans le fait que les entreprises ancrent progressivement leurs anticipations de prix (et de salaires) sur la cible d’inflation de la BCE, soit 2% par an. Mario Draghi est aussi apparu très confiant dans l’efficacité de la politique monétaire. Il a annoncé que les mesures entreprises depuis 2014 contribueraient à une augmentation (cumulative) de 2 points de pourcentage, respectivement de la croissance réelle et de l’inflation entre 2016 et 2019.

Si la prévision de retour de l’inflation à sa cible en 2019 par la BCE est contredite par Hasenzagl et al. (2018), on y retrouve ces mêmes déterminants de l’inflation européenne. Dans une étude récente, nous montrons aussi que les deux principaux déterminants de l’inflation dans la zone euro sont les anticipations d’inflation et la croissance des salaires. Sans ancrage des premières sur la cible de moyen terme de la BCE et sans effet de second tour de la politique monétaire sur les salaires, l’inflation ne reviendra pas à sa cible à court terme. Les réformes structurelles ont peut-être accru le PIB potentiel comme le prétend Mario Draghi, mais elles ont jusqu’à présent plus certainement pesé sur les évolutions salariales et de prix.

 

[1] Une fois par trimestre un dialogue monétaire est organisé entre le Président de la BCE et les membres de la Commission des Affaires monétaires du Parlement européen. Ce dialogue permet au Président de la BCE d’expliquer l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro et d’exprimer son point de vue sur des sujets définis en amont.




La désinflation manquante est-elle un phénomène américain uniquement ?

par Paul Hubert, Mathilde Le Moigne

La dynamique de l’inflation après la crise de 2007-2009 est-elle atypique ? Selon Paul Krugman : « si la réaction de l’inflation (ndlr : aux Etats-Unis) avait été la même à la suite de la Grande Récession que lors des précédentes crises économiques, nous aurions dû nous trouver aujourd’hui en pleine déflation… Nous ne le sommes pas. » En effet, après 2009, l’inflation aux Etats-Unis est demeurée étonnamment stable au regard de l’évolution de l’activité réelle. Ce phénomène a été qualifié de « désinflation manquante ». Un tel phénomène s’observe-t-il dans la zone euro ?

En dépit de la plus grande récession depuis la crise de 1929, le taux d’inflation est resté stable autour de 1,5% en moyenne entre 2008 et 2011 aux Etats-Unis, et de 1% en zone euro. Est-ce à dire que la courbe de Phillips, qui lie l’inflation à l’activité réelle, a perdu toute validité empirique ? Dans une note de 2016, Olivier Blanchard rappelle au contraire que la courbe de Phillips, dans sa version originelle la plus simple, reste un instrument valable pour appréhender les liens entre inflation et chômage, et ce en dépit de cette « désinflation manquante ». Il note cependant que le lien entre les deux variables s’est affaibli parce que l’inflation dépend de plus en plus des anticipations d’inflation, elles-mêmes ancrées à la cible d’inflation de la Réserve fédérale américaine. Dans leur article de 2015, Coibion et Gorodnichenko expliquent cette désinflation manquante aux Etats-Unis par le fait que les anticipations d’inflation sont plutôt influencées par les variations des prix les plus visibles, comme par exemple les variations du prix du baril de pétrole. On observe d’ailleurs depuis 2015 une baisse des anticipations d’inflation concomitante à la baisse des prix du pétrole.

La difficulté à rendre compte de l’évolution récente de l’inflation, au travers de la courbe de Phillips, nous a conduits à évaluer, dans un récent article, ses déterminants potentiels et à examiner si la zone euro a également connu un phénomène de « désinflation manquante ». Sur la base d’une courbe de Phillips standard, nous ne retrouvons par les conclusions de Coibion et Gorodnichenko lorsque l’on considère la zone euro dans sa totalité. Dit autrement, l’activité réelle et les anticipations d’inflation décrivent bien l’évolution de l’inflation.

Cependant, ce résultat semble provenir d’un biais d’agrégation entre les comportements d’inflation nationaux au sein de la zone euro. En particulier, nous trouvons une divergence notable entre les pays du nord de l’Europe (Allemagne, France), exhibant une tendance générale à une inflation manquante, et les pays davantage à la périphérie (Espagne, Italie, Grèce) exhibant des périodes de désinflation manquante. Cette divergence apparaît néanmoins dès le début de notre échantillon, c’est-à-dire dans les premières années de la création de la zone euro, et semble se résorber à partir de 2006, sans changement notable au cours de la crise de 2008-2009.

Contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis, il apparaît que la zone euro n’a pas connu de désinflation manquante à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009. Il semble au contraire que les divergences d’inflation en Europe sont antérieures à la crise, et tendent à se résorber avec la crise.