Les effets redistributifs de la politique monétaire de la BCE

par Jérôme Creel et Mehdi El Herradi

À quelques semaines de la présidence de la Banque centrale européenne
(BCE) par Christine Lagarde, il peut être utile de s’interroger sur le bilan de
ses prédécesseurs, non pas seulement sur les questions macroéconomiques et
financières mais aussi sur les inégalités. Depuis quelques années en effet, la
problématique des effets redistributifs des politiques monétaires occupe un
espace important, autant sur le plan académique qu’au niveau des discussions de
politique économique.



L’intérêt pour ce sujet s’est développé
dans un contexte marqué par la conjonction de deux facteurs. D’abord, un niveau persistant
des inégalités de revenus et de patrimoine
qui peinent à se
résorber. Ensuite, l’action volontariste des banques centrales dans les
économies avancées après la crise de 2008 pour soutenir la croissance,
notamment à travers la mise en place de mesures dites « non-conventionnelles »[1].
Ces dernières, qui se manifestent principalement par des programmes de Quantitative Easing, sont soupçonnées
d’avoir augmenté les prix des actifs financiers et, de ce fait, favorisé les
ménages les plus aisés. En parallèle, la politique des taux bas se traduirait
par une réduction des revenus d’intérêt sur les actifs à rendement fixe,
détenus en majorité par les ménages à faible revenu. À l’inverse, les effets réels de la politique monétaire,
notamment sur l’évolution du taux de chômage, pourrait favoriser le maintien en
emploi des ménages à faible revenu. Ce débat qui a initialement fait irruption
aux États-Unis, s’est aussitôt invité au niveau de la zone
euro
, après que la BCE ait entamé son programme de QE.

Dans une étude
récente
, en se focalisant sur 10 pays de la zone euro entre 2000 et
2015, nous avons analysé l’impact des mesures de politique monétaire de la BCE –
à la fois conventionnelles et non-conventionnelles – sur les inégalités de
revenus. Pour cela, nous avons mobilisé trois indicateurs clés : le coefficient
de Gini avant et après redistribution ainsi qu’un rapport interdécile (le ratio
entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres).

Trois résultats principaux ressortent
de notre étude. D’une part, une politique monétaire restrictive produit un
impact modeste sur les inégalités de revenus, peu importe l’indicateur d’inégalité
retenu. D’autre part, cet effet est principalement tiré par les pays de l’Europe
du sud, particulièrement en période de politique monétaire conventionnelle.
Enfin, nous constatons que les effets redistributifs des politiques monétaires
conventionnelles et non-conventionnelles ne sont pas significativement
différents.

Ces résultats suggèrent donc que les
politiques monétaires menées par la BCE depuis la crise ont eu probablement un
impact insignifiant, voire éventuellement favorable sur les inégalités de
revenus. La normalisation à venir de la politique monétaire de la zone euro
pourrait au contraire augmenter les inégalités. Bien que cette augmentation
puisse être limitée, il est important que les décideurs l’anticipent.


[1]
Pour une analyse des effets attendus des politiques non conventionnelles de la
BCE, voir Blot et al. (2015).