Qui profite du contrôle des loyers ? Chronique de San-Francisco

Par Gregory
Verdugo
,

Si, d’après les sondages, il séduit de plus en plus l’opinion
publique et la gauche d’Anne Hidalgo à Bernie Sanders, le contrôle des loyers laisse
sceptique la plupart des économistes[1].
Dès les premiers cours de licence nous apprenons à nos élèves que les lois de
l’offre et la demande s’appliquent aussi sur le marché locatif. Si le contrôle
des loyers a pour conséquence de faire baisser les loyers, il entraîne aussi une
chute de l’offre de logements qui ne fait qu’aggraver le manque de logements à
l’origine des loyers élevés. Pour un économiste, la messe est dite : s’il
bénéficie aux chanceux locataires en place, le contrôle des loyers aggrave la
situation de ceux qui cherchent à se loger en asphyxiant l’offre alors que des
loyers trop élevés sonnent l’alarme sur l’urgence à l’augmenter[2].



Toutefois, les dégâts du contrôle
des loyers dépendent de la pente de la courbe d’offre de logements à louer, c’est-à-dire
de l’importance du retrait des propriétaires du marché locatif en réponse à la
baisse des prix. Or en défense du contrôle des loyers, on oppose souvent que
dans les zones tendues comme Paris, l’offre est inélastique, et le niveau des
loyers influence peu le nombre de logements offerts. Si l’offre locative est
fixe, alors le contrôle des loyers ne fait que redistribuer de pouvoir d’achat
aux locataires. Hélas, les études sont unanimes à rejeter l’hypothèse d’inélasticité
de l’offre.

L’expérience de San-Francisco : un contrôle des loyers qui « gentrifie »

Parmi les travaux les plus convaincant, un article publié cette
année par des chercheurs de l’Université de Stanford dans l’American Economic Review[3],
une des revues les plus prestigieuses en économie, examine les conséquences de l’expérience
d’extension du contrôle des loyers mise en place à San Francisco dans les
années 1990.

Initialement, la ville de San
Francisco instaura en 1979 un contrôle des loyers à tous les immeubles qui
comprenaient au moins 5 appartements construits avant cette date. Les petits immeubles
de 4 appartements et moins d’avant 1979 restèrent hors du contrôle car on les considérait
comme possédés par petits bailleurs dont on voulait protéger l’investissement.
Cette exemption était non négligeable car elle concernait 44% du parc. Mais en
1994, à la surprise générale, un référendum local qui dénonçait le rachat de
ces petits immeubles par de grands conglomérats financiers supprima cette
exemption.

Cette extension inattendue du
périmètre du contrôle des loyers a permis aux chercheurs de Stanford d’évaluer l’effet
du contrôle non seulement sur l’offre de logements mais aussi sur les caractéristiques
du voisinage en comparant des quartiers où une plus ou moins grande partie des immeubles
basculèrent soudainement dans le secteur contrôlé, les constructions datant
d’après 1980 restant exemptées (voir le graphique 1 extrait de l’article).

Les résultats sont spectaculaires.
D’abord, les auteurs montrent que le contrôle des loyers influence bien le
profil des habitants en diminuant leur mobilité. Dans les quartiers où le
contrôle a eu le plus d’importance, on observe moins de renouvellement résidentiel
dans le parc locatif qui comprend davantage de personnes âgées et de membres
des minorités. Cette plus forte stabilité résidentielle a permis de préserver une
certaine diversité de la population du parc locatif.

Mais si le parc locatif est resté
plus diverse, il s’est fortement rétréci. Les auteurs estiment que l’offre
d’appartements à louer dans les quartiers les plus affectés par l’extension du
contrôle a baissé de plus de 25% ! Cette baisse de l’offre provient à la
fois de la vente des appartements à des propriétaires occupants et de la
destruction d’anciens immeubles soumis au contrôle au profit de nouvelles
constructions sans locataires où les appartements sont occupés par leur
propriétaires.

Paradoxalement, les auteurs observent
que l’extension du contrôle des loyers, en asphyxiant l’offre locative, a accéléré
la gentrification de certains quartiers ! En effet, relativement aux
locataires d’autrefois, les nouveaux propriétaires occupants qui les remplacent
sont bien plus riches.

Quelles leçons pour Paris ?

Quelles leçons tirer de cette étude pour la France,
notamment la ville de Paris, dans le viseur des partisans du contrôle ? Tout
d’abord le contrôle des loyers mis en place à San Francisco était bien plus
léger que celui de nouveau en vigueur à Paris. Le système de San Francisco protégeait
le locataire en place en limitant les hausses de loyer à un indice annuel, tout
en laissant le loyer libre à la relocation. L’encadrement des loyers en vigueur
à Paris est plus contraignant puisqu’il régule non seulement les hausses pour
le locataire en place mais également le prix à la relocation au travers un
indice de référence. On peut donc craindre des effets plus importants sur
l’offre.

De plus, la situation parisienne montre
une baisse rapide de l’offre locative ces dernières années. Les recensements de
la population 2016 et 2011 indiquent en effet une chute de 4,4% de la
population du parc de locataires dans le privé alors que la population
parisienne ne baissait que de 2,2%[4].

Le fait qu’à la fois Paris se
dépeuple selon les derniers recensements alors que le prix de l’immobilier
augmente suggère que le marché locatif a subi un choc d’offre négatif ces
dernières années[5].

Clairement, le contrôle des
loyers n’est pas le seul ou même le principal responsable de la chute de
l’offre locative privée à Paris qui s’explique aussi par l’attrait de la location
saisonnière du type Airbnb. Mais il ne fait qu’aggraver la tendance au rétrécissement
du marché locatif.

Bien sûr, penser que le contrôle
des loyers est mauvais ne signifie pas que le laisser faire et le libre marché permet
d’aboutir à une solution équitable. Loin de là. Les loyers restent trop élevés
et les prix de l’immobilier inaccessibles dans certaines grandes villes. Mais
geler les prix revient à casser le thermomètre qui mesure la fièvre et n’offrira
pas de logement à ceux qui en cherchent.


[1] Alston, R. M., Kearl, J. R., & Vaughan, M. B., 1992, « Is There a Consensus among
Economists in the 1990’s?  », The American Economic Review,
82(2), 203-209.

https://www.jstor.org/stable/2117401

[2]
Il existe néanmoins de rares exceptions à ce constat. Comme l’ont démontré Arnott
et Igarashi, des contrôles de loyers peuvent être efficaces lorsqu’un faible nombre
de bailleurs est en situation de monopole, ce qui est loin d’être le cas en
France. Voir Arnott et
Igarashi, M., 2000, « Rent control, mismatch costs and search efficiency », Regional Science and Urban Economics,
30(3), 249-288. https://doi.org/10.1016/S0166-0462(00)00033-8

[3] Diamond, Rebecca, Tim McQuade, and
Franklin Qian, 2019, « The Effects of Rent Control Expansion on Tenants, Landlords, and
Inequality: Evidence from San Francisco  », American
Economic Review
, 109 (9): 3365-94.

https://doi.org/10.1257/aer.20181289

[4]
Le nombre de logements locatifs occupés baisse lui de 3% alors que l’ensemble
des logements ne baisse que de 2%. Calculs de l’auteur à partir des résultats
du recensement fournis par l’INSEE. Sources : https://insee.fr/fr/statistiques/4177183?sommaire=4177606&geo=DEP-75
pour 2016, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2132251?sommaire=2133011&geo=DEP-75
pour 2011.

[5]
Les économistes parlent de choc d’offre négatif lorsque, dans un marché, le
prix d’équilibre augmente alors que les quantités échangées baissent.