L’impact de la grève de la RATP le 17 décembre pour l’accessibilité de l’emploi

Par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

L’accessibilité de
l’emploi est un indicateur de plus en plus utilisé en géographie urbaine (voir ici,
un exemple
pour Seattle
). Il mesure le nombre d’emplois auquel on peut accéder
en partant d’un point donné (le lieu où l’on réside). L’opération est loin
d’être simple lorsqu’on utilise non pas les kilomètres qui vous séparent de
chaque emploi mais le temps qu’il faut pour se rendre d’un point à un autre en
utilisant le système de transport en commun. Un indicateur d’accessibilité peut
être défini comme la somme de tous les emplois que l’on peut atteindre par les
transports en commun en un temps donné. Il ne s’agit bien sûr pas d’occuper
tous ces emplois, mais de mesurer les opportunités auxquelles ont accès les
individus en fonction de leur lieu de résidence.



La diffusion
d’informations très détaillées sur les systèmes de transport permet de
construire une carte de l’indicateur d’accessibilité sur une grille de point
de départ aussi fine que voulue. Cette information est librement accessible sur
un smartphone grâce au développement depuis 2005 du format GTFS (initialement
Google Transit Feed Specification, aujourd’hui le General Feed
Transit Specification
). Ile de
France Mobilité
, mais aussi la RATP ou encore la SNCF diffusent et
mettent à jour régulièrement les lignes, les horaires théoriques et les accès à
l’ensemble des réseaux de transports, ferrés comme routiers – les funiculaires
sont aussi inclus ! GTFS prévoit également un format temps réel afin de
renseigner les voyageurs sur leur temps d’attente ou leur trouver le meilleure
itinéraire pour se rendre à leur destination.

Cette information détaillée, combinée à un algorithme qui calcule les temps minimums de déplacement sous quelques contraintes (ne pas trop attendre, ne pas trop marcher, ne pas trop changer de moyen de transport) permet de construire un indicateur d’accessibilité à l’emploi par les transports en commun. La carte suivante représente l’indicateur d’accessibilité en transport en commun (métro, RER, tramway et bus) à l’emploi (localisé au niveau de l’IRIS) pour l’unité urbaine de Paris un jour normal de fonctionnement du réseau de transport. Sans surprise, les habitants du centre de l’agglomération bénéficient d’un réseau dense et rapide qui leur permet d’accéder en moins d’une heure à plus de 4 millions d’emplois (sur les 7 que compte l’aire urbaine) qui sont très concentrés eux-mêmes au centre de l’aire urbaine. Le long des lignes de RER l’accessibilité est élevée et plus on s’éloigne du réseau de transport, plus l’accessibilité à l’emploi se réduit. Cet indicateur est théorique puisqu’il ne permet pas les déplacements multimodaux (voiture puis RER, ou encore vélo+métro) et ne prends pas en compte ni la congestion (qui est un facteur essentiel pour les déplacements en voiture) ni les temps de parcours effectifs sur les réseaux ferrés. Malgré tout, il donne une bonne indication de la géographie urbaine.

La carte suivante est construite en dégradant le réseau de transport de la RATP conformément aux informations de trafic pour la journée du 17 décembre 2019. Le mouvement social conduit à la fermeture totale d’une dizaine de lignes de métro, de réductions importantes de la fréquence sur le RER A et B, les lignes de métro 3, 4, 7, 8, 9 et 11, les tramway T1, T2,  T3A, T3B, T6 et t8,  de réductions de trajet sur les lignes 8, 9 et 11 et enfin de réductions de la fréquence ou d’interruptions de trafic sur les lignes de bus. Tout ceci conduit à un allongement des temps de transport et réduit l’accessibilité de l’emploi.

La dernière carte représente la perte relative d’accessibilité. Elle résulte de la différence en pourcentage des deux précédentes.

Note technique : les cartes présentées sont réalisées à partir de données et logiciels en données ouvertes. La carte routière est la carte Open Street Map téléchargée sur le site data.gouv.fr le 15/12/2019. Le fichier GTFS est celui publié par Ile de France mobilité et téléchargé le 12/12/2019. Les données d’emploi à l’IRIS sont celles pour l’année 2009 issues du dispositif CLAP de l’INSEE téléchargé sur data.gouv.fr en octobre 2019. Seule l’année 2009 est disponible la maille IRIS. OpenTripPlanner (version 1.4) est utilisé pour le calcul des isochrones à partir de la carte OSM et des données GTFS IDFM. Enfin, nous utilisons R et RStudio et notamment les packages tidyverse, tidytransit et tmap pour traiter les différentes données et produire les cartes. Le code sera prochainement disponible.




La BCE a-t-elle perdu la tête ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 12 septembre 2019, la BCE a
annoncé une série de nouvelles mesures d’assouplissement de sa politique
monétaire assez représentative de l’arsenal de mesures maintenant à disposition
des banques centrales. En effet, il a non seulement été décidé d’une réduction
de taux d’intérêt – celui des facilités de dépôts – mais aussi de reprendre les
achats d’actifs à compter du 1er novembre 2019, de lancer une
nouvelle vague d’octroi de liquidités en contrepartie des crédits accordés par
les banques de la zone euro. Au cours d’une de ses dernières réunions à la tête
de la BCE, Mario Draghi a également innové en introduisant un système de palier[1]
pour la rémunération – à taux négatif depuis juin 2014 – des réserves
excédentaires. Enfin, il a également souligné que la BCE conditionnerait une
normalisation des taux seulement lorsque l’inflation convergera vers la cible
de 2 % indiquant également que cette convergence serait appréciée à l’aune
de l’évolution de l’inflation sous-jacente.

Ces annonces ont fait l’objet de
vives critiques à la fois d’anciens banquiers centraux européens mais également
au sein même du Conseil des Gouverneurs de la BCE ; la représentante
allemande du Directoire ayant même démissionné de ses fonctions le 31 octobre.



Dans un Policy
Brief
, nous analysons les motivations qui ont conduit la BCE à
prendre de nouvelles mesures de soutien. La faiblesse de l’inflation depuis
plusieurs années, la perte d’ancrage des anticipations et les perspectives d’un
ralentissement économique justifient une politique monétaire qui reste
accommodante. Nous discutons également des différentes critiques émises. Notre
analyse suggère qu’elles sont faiblement fondées. Premièrement, il a été avancé
que des taux d’intérêt bas pourraient augmenter le taux d’épargne des ménages
en raison d’un effet de revenu[2].
Nous montrons que cela ne se matérialise pas sur les données récentes. Nous
n’observons une telle corrélation que pour l’Allemagne, et ce déjà avant 2008,
ce qui jette un doute sur le sens de la causalité. Deuxièmement, il est avancé
que les bénéfices des banques sont menacés en raison des faibles taux
d’intérêt. Les données montrent cependant que les bénéfices des banques n’ont
pas baissé et se redressent même depuis 2012. Troisièmement, en utilisant un
indicateur des déséquilibres financiers, nos analyses suggèrent qu’il n’y
aurait pas de bulles sur les marchés immobilier et boursier de la zone euro
considérés dans leur ensemble.


[1] Rappelons que les banques de la zone euro sont tenues
de conserver, auprès de la BCE, des réserves dites obligatoires en fonction des
dépôts qu’elles collectent. Les réserves excédentaires sont les liquidités
laissées par les banques sur leur compte auprès de la BCE, au-delà des réserves
obligatoires. Avant la décision du 12 septembre, l’intégralité des réserves
excédentaires était rémunérée au taux des facilités de dépôts. Celui-ci étant
négatif, ces réserves étaient de fait taxées. Depuis, les réserves excédentaires
sont exonérées de ce taux négatif tant qu’elles ne dépassent pas un certain
seuil – un multiple des réserves obligatoires – fixé par la BCE.

[2] L’impact du taux d’intérêt sur l’épargne peut être
décomposé en deux effets : substitution et revenu. Selon l’effet de
substitution, la baisse des taux réduit l’incitation à épargner au profit de la
consommation. L’effet de revenu suggère que les ménages souhaitent maintenir un
certain niveau de revenu de leur épargne. Ainsi, en réduisant les gains à l’épargne,
cet effet indique que les ménages vont épargner plus pour maintenir ce niveau
de revenu souhaité.