La baisse des bourses risque-t-elle d’amplifier la crise ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

La crise du Covid-19 fera inévitablement plonger l’économie mondiale en récession en 2020. Les premiers indicateurs disponibles – hausse des inscriptions au chômage ou au chômage partiel – témoignent déjà d’un effondrement inédit de l’activité. En France, l’évaluation de l’OFCE suggère que le PIB serait amputé de 32 % pendant le confinement. Cette baisse s’explique principalement par la mise à l’arrêt des activités non-essentielles et par la baisse de la consommation. Le choc pourrait cependant être amplifié par la prise en compte d’autres facteurs (hausse de certains taux souverains, chute du prix du pétrole, mouvements de capitaux et de change parmi d’autres) et notamment par la panique financière qui a gagné l’ensemble des places boursières depuis la fin février.



Dès
le 24 février 2020 et la première forte baisse journalière, les principaux
indices boursiers ont amorcé une décrue qui s’est fortement accentuée les
semaines du 9 et du 16 mars et ce malgré les annonces de la Réserve
fédérale
puis de la BCE
(graphique 1). Au 25 avril, la chute est de 28 % pour l’indice CAC40 (avec
un creux à -38 % mi-mars), 25 % pour l’indice allemand et près de -27 %
pour l’indice européen Eurostoxx. Ce krach boursier pourrait faire resurgir les
craintes d’une nouvelle crise financière, quelques années après celle des subprime. D’ailleurs, la chute du CAC 40
dans les premières semaines a été plus forte que celle observée dans les mois
qui ont suivi la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers en
septembre 2008 (graphique 2).

Si
les répercussions à court terme de la crise du Covid-19 pourraient être plus
violentes que celle de la crise financière de 2008, l’origine de la crise est
bien différente et conduit à reconsidérer l’impact de la panique boursière. De
fait, dans le cas précédent, il s’agissait à l’origine d’une crise bancaire
nourrie par un segment spécifique du marché immobilier américain, les subprime. Et c’est cette crise
financière qui a provoqué la baisse de la demande et la récession par le biais
de multiples canaux : hausse des primes de risque, rationnement du crédit,
effets de richesse financière et immobilière, incertitude, … Si on retrouve
bien certains de ces éléments aujourd’hui, ils s’interprètent cependant comme
la conséquence d’une crise sanitaire. Mais si la crise est au départ
indéniablement sanitaire et économique, peut-elle déclencher un krach boursier ?

Une
autre façon de poser la question consiste à se demander si la baisse des
bourses s’explique entièrement par la crise économique. En effet, le prix d’une
action est censé refléter l’évolution future des profits de cette entreprise.
Par conséquent, l’anticipation d’une récession, car la demande – consommation
et investissement – et l’offre sont contraintes, doit se traduire par une
baisse du chiffre d’affaires et des profits futurs et donc par une baisse du
prix des actions.

Il
pourrait cependant y avoir une amplification du choc financier si la baisse des
cours boursiers est plus importante que celle induite par la baisse du profit
des entreprises. La question est épineuse mais il est possible de donner une
évaluation d’un éventuel sur-ajustement boursier et donc d’une possible
amplification financière de la crise. L’exercice que nous avons mené consiste à
comparer l’évolution des anticipations de profits (par les analystes
financiers) depuis le début de la crise du Covid-19 et la baisse des actions. Si
on se concentre sur les entreprises du CAC40, ces anticipations de profits pour
l’année prochaine ont été réduites à la baisse au cours des 3 derniers mois de
13,4%[1].
Cette baisse devrait donc se refléter intégralement dans la variation de l’indice.
On observe de fait que la baisse a été bien plus importante : -28 %.
Il y aurait donc une amplification du choc financier d’un peu moins de 15
points de pourcentage.

Ce
sur-ajustement peut s’expliquer, entre autres, par l’incertitude qui règne
aujourd’hui sur les évolutions des périodes de confinement à travers le monde
et donc sur la reprise économique, ainsi que par le choc pétrolier qui se
déroule de façon concomitante et dont les déterminants sont à la fois
économiques et géopolitiques. Ce sur-ajustement n’est donc peut-être pas
totalement irrationnel (au sens de l’efficience – supposée –  des marchés financiers), mais il n’en reste
pas moins qu’il a entraîné de fortes variations du patrimoine financier des
ménages et entreprises.

Ces
variations ne sont pas neutres pour la croissance économique. Du côté des
ménages, elles contribuent à ce qu’on appelle les effets de richesse sur la
consommation : la variation du patrimoine d’un ménage lui procure un
sentiment de richesse qui le pousse à augmenter sa consommation[2].
Cet effet est d’autant plus fort dans les pays où les actifs des ménages sont majoritairement
financiarisés. Si une large part du patrimoine des ménages est composée
d’actions, l’évolution des cours boursier influence fortement cet effet de
richesse. La part des actions (ou des parts de fonds d’investissement) dans le
patrimoine financier est assez proche en France et aux Etats-Unis,
respectivement 27 et 29 %. Cependant, ces actifs représentent une part
bien plus important du revenu disponible des ménages américains : 156%
contre 99,5% en France. Les ménages français sont donc moins exposés aux
variations des cours boursiers. Les travaux empiriques suggèrent d’ailleurs
généralement un effet de richesse plus important aux Etats-Unis qu’en France[3].

Du
côté des entreprises, ces variations des valorisations boursières ont un effet
sur les décisions d’investissement via
les contraintes collatérales. Lorsqu’une entreprise s’endette pour financer un
projet d’investissement, la banque lui demande des actifs en garantie. Ces actifs
peuvent être soit physiques soit financiers. Dans le cas d’une hausse des
marchés actions, les actifs financiers d’une entreprise prennent de la valeur
et lui permette d’avoir accès à plus de crédit[4].
Ce mécanisme est potentiellement important aujourd’hui. Alors que les
entreprises ont des besoins de trésorerie très importants pour faire face à
l’arrêt brutal de l’économie, la forte baisse de leurs actifs financiers leur
restreint ainsi l’accès à ces lignes de crédit. Même si les facteurs
d’amplification financière ne se réduisent pas au choc financier, l’évolution
récente du prix de ces actifs donne cependant une première indication de la
réaction du système financier aux crises sanitaire et économique en cours.  


[1] Les données proviennent d’Eikon Datastream qui fournit pour chaque entreprise le consensus des analystes sur le profit par action (Earnings Per Share, EPS) pour l’année à venir et l’année suivante. Nous avons ensuite calculé la moyenne pondérée des poids de chaque entreprise du CAC40 au sein de l’indice de la variation de ces anticipations au cours des trois derniers mois. Le fait que la baisse de 13,4% des anticipations de profit pour l’année prochaine donne lieu à une baisse de 13,4% du cours boursiers est faite sous l’hypothèse que les profits au-delà de l’année prochaine ne sont pas valorisés, ou, dit autrement, que leur valeur actuelle nette est nulle, ce qui revient à dire que la préférence pour le présent des investisseurs est très forte aujourd’hui.

[2] De façon plus formelle, on parle d’une propension à
consommer qui augmente au fur et à mesure que le patrimoine augmente. Les
effets de richesse peuvent distinguer s’il s’agit de patrimoine uniquement
financier ou incluant également le patrimoine immobilier.

[3] Voir Antonin, Plane et Sampognaro (2017) pour une synthèse de ces estimations.

[4] Voir Ehrmann et Fratzscher (2004)et Chaney, Sraer et Thesmar (2012)pour des évaluations empiriques de ce canal de transmission via le prix des actions ou les prix immobiliers respectivement.