Central bank asset purchases: Inflation targeting or spread targeting?

by Christophe Blot, Jérôme Creel, and Paul Hubert

Five years after the
ECB launched its asset purchase programme (APP), the Covid-19 crisis has put
the ECB again at the center of euro area attention, with a new extension of APP
and with the creation of the Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP). The simultaneity between
APP’s extension and PEPP – they were decided within a two-week interval – could
be interpreted as arising from the pursuit of the same objective. This
interpretation may be misleading though and may bias the respective appraisal of
these policies.



The APP arrived at a
moment when the euro area was facing strong deflationary risks whereas the PEPP
was implemented when the inflation outlook was unclear (because the Covid-19
crisis is a mix of a supply, demand and uncertainty shocks) but fragmentation
risks were on the upside. Sovereign risks and increasing spreads could impair
the transmission of monetary policy across euro area countries. The declared
will by ECB officials to tackle the fragmentation of the euro area and the (temporary)
removal of the self-imposed limits on asset purchases suggest that the ECB sets
a sort of a “spread targeting” objective to the PEPP. We develop this argument
in a recent Monetary Dialogue Paper for the ECON committee of the
European Parliament. From the point of view of this “spread targeting”
objective, the PEPP is successful with both the level and volatility of
sovereign spreads at low levels (figure 1).

This outcome was
obtained without a full utilisation of the potential resources of the PEPP. The
weekly flow of purchases is even decreasing since July (figure 2). This
suggests that the signaling effect of the PEPP has been strong and credible in
taming sovereign stress. It also suggests that the ECB is not short of
ammunitions if the crisis persists or intensifies. The outcome of the PEPP was
also achieved without deviating much from the ECB capital key (figure 3),
except for France (for which the ECB capital share exceeds bond purchases) and
Italy (for which bond purchases exceed the share at the ECB capital exceeds).

The ruling of the
German Federal Constitutional Court last May has revived discussions on the
adequacy of asset purchases by the ECB.[1]
Discussions have
opposed those who think that the ECB has had “disproportionate” economic policy
effects (on public debts, personal savings and the keeping afloat of
economically unviable companies) and those who think that the distinction
between the “monetary policy objective” and “the economic policy effects
arising from the programme” is misleading. The reason is that this distinction
seems to imply that achieving the objective of the ECB – inflation at the 2%
target – can be achieved without interactions with other macroeconomic and
financial variables, which is nonsense. Moreover, this distinction gives too
much weight to the price stability objective during a real economic crisis at
the expense of all the secondary objectives that the Treaty on the Functioning
of the EU imposes to the ECB.

Finally, the success or
failure of a given policy must be assessed according to its objective(s). In
that respect, the PEPP, under the assumption that it aimed at reducing
sovereign spreads to avoid the fragmentation of the euro area, has been
effective. Although it may depart from the ECB mandate that does not explicitly
mention the reduction of sovereign spreads as a monetary policy objective, PEPP
has improved the transmission of monetary policy. In a situation where the
pandemic crisis requires a fiscal stimulus more than a fiscal consolidation and
where a rise in inflation or in real GDP is very unlikely, the accommodative
ECB monetary policy has been undeniably relevant to ensure public debt
sustainability in Europe and to remove the risk of a break-up of the euro area.


[1] It also revived discussions on the ability of the Bundesbank to
continue to be involved in unconventional monetary operations. At the end of
June 2020, the Bundestag pronounced itself in favour of the ECB and PEPP which,
in the short term, removes the threat of an early end to monetary easing. This
will however not prevent a further appeal by German plaintiffs against the ECB
and, in the longer term, a new judicial episode.




La Prime d’activité n’est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d’un licenciement

par Muriel Pucci

En janvier 2019, le gouvernement
a souhaité soutenir le niveau de revenu des salariés rémunérés au smic. Pour ce
faire, il a opté pour une réforme du barème de la Prime d’activité qui accroît
son montant de 90 euros au niveau du smic. À court terme, cela peut
paraître équivalent, pour un salarié rémunéré au smic, à une hausse de
90 euros du niveau du smic mensuel[1],
mais cela ne l’est plus si le salarié perd son emploi car alors la solution
choisie amplifie les effets du licenciement sur le revenu disponible du
travailleur.



Si la Prime d’activité permet
bien en général d’augmenter le revenu des personnes qui travaillent, il ne
s’agit pas d’un supplément de salaire. Et la différence est importante !
Alors qu’une augmentation du salaire s’accompagne d’un surcroît de cotisations
et donc de droits acquis aux allocations chômage et pensions de retraite
notamment, la Prime d’activité n’ouvre aucun droit. Lorsqu’un travailleur perd
son emploi, il perd à la fois son salaire et sa prime d’activité mais le
montant d’allocation chômage perçu ne dépend que du seul salaire. Ainsi, à
l’inverse des autres prestations sociales qui limitent la baisse des revenus
disponibles en période de crise, la Prime d’activité est pro-cyclique : les
sommes versées diminuent lorsque le chômage augmente.

La Prime d’activité est une
prestation sociale pour les travailleurs à bas salaire dont le montant doit garantir
aux familles un revenu disponible croissant avec le revenu d’activité des
actifs du foyer. Son calcul tient compte de l’ensemble des ressources du foyer
en accordant un statut particulier aux revenus professionnels : un euro de
revenu professionnel en plus réduit la Prime d’activité de 39 centimes, mais un
euro en plus d’une autre ressource la réduit d’un euro.

Alors
que le revenu d’activité d’une personne seule rémunérée au smic baisse de 28% à
la suite d’un licenciement, son revenu d’activité PA comprise baisse de 40%

En effet, considérons une
personne seule rémunérée au smic (1 219 €). Si elle ne dispose d’aucune
autre ressource, le montant de sa prime d’activité est de 237 euros, son
revenu disponible est donc de 1 456 euros (voir graphique 1). Si elle
perd son emploi en étant éligible au chômage indemnisé, elle percevra  878 euros au titre de l’ARE[2],
le taux de remplacement de l’ARE étant de 72 % au niveau du smic. Mais les
allocations chômage, bien qu’elles soient des revenus d’activité, n’ouvrent pas
droit à la Prime d’activité qui ne bonifie que les revenus professionnels. Outre
son salaire, le salarié perd donc également l’intégralité de sa PA et son
revenu disponible diminue de 578 euros (soit 1456 € – 878 €).

À titre de comparaison, si la Prime
d’activité était un élément de rémunération ouvrant les mêmes droits que le
salaire, le montant de l’ARE serait de 1 048 euros, soit 72% de la
somme salaire + PA. La baisse du revenu d’activité après licenciement serait de
171 euros de moins que dans le système actuel. Notons que cette différence serait
en partie compensée par les prestations sociales. Par exemple, pour une
personne seule rémunérée au smic et vivant en ville moyenne, le licenciement
pourra ouvrir droit à une aide au logement de 188 euros dans le système
actuel contre seulement 61 euros si la PA était considérée comme un
complément de salaire (voir graphique 2). Néanmoins, cette compensation par les
aides au logement n’est que partielle et, pour ce salarié, la baisse du revenu
disponible à la suite d’un licenciement reste amplifiée par le fait qu’une
partie de sa rémunération est une prestation sociale sans droits acquis (-32%
au lieu de -24% si la PA était considérée comme un complément de salaire). En
perdant son emploi, il perd 113 euros de plus (aide au logement comprise) dans
le système actuel que dans une situation fictive où la Prime d’activité
ouvrirait les mêmes droits sociaux que le salaire.

Si l’on
considère maintenant la réforme de 2019, si l’augmentation de la Prime
d’activité avait ouvert les mêmes droits qu’une hausse de salaire, un salarié
au smic perdant son emploi aurait pu bénéficier d’un montant d’ARE de
942 euros (soit 72 % de 1 219 € + 90 €), soit
64 euro de plus que dans le système actuel.

Les gouvernements successifs ont,
avec le RSA-activité d’abord et la Prime d’activité ensuite, souhaité augmenter
le revenu des travailleurs à bas salaire au moyen d’une prestation
différentielle. Il est important de souligner que ce faisant, ils ont fragilisé
la situation de ces mêmes travailleurs en période de crise en réduisant le taux
de remplacement des allocations chômage. Au-delà, on peut craindre que les
effets de ce basculement sur le taux de remplacement des pensions de retraite
soit à l’avenir la source d’un nouvel appauvrissement des retraités. Une
solution serait qu’à l’instar de ce qui est fait pour les parents de jeunes
enfant recourant à la Prepare[3],
la Prime d’activité donne lieu au versement par la Caf de cotisations chômage
et vieillesse permettant d’éviter la baisse des taux de remplacements de ces
prestations assurantielles pour les travailleurs qui bénéficient de la Prime
d’activité.


[1] C’est le cas pour un salarié vivant seul mais pas
toujours s’il vit en couple et/ou a des enfants à charge.

Elle amplifie la perte
de revenu à la suite d’un licenciement.

[2] Le calcul est effectué ici pour un mois de 30 jours et
en négligeant la période de maintien du droit à la Prime d’activité qui peut
aller jusqu’à 3 mois.

[3] La Prepare (Prestation partagée d’éducation de l’enfant) est une aide financière versée par la Caf aux parents qui réduisent ou interrompent leur activité à la naissance d’un enfant. Elle peut, sous conditions de ressources du foyer, ouvrir droit à l’AVPF (assurance vieillesse du parent au foyer), dispositif par lequel la Caf verse des cotisations vieillesse pour garantir la continuité dans la constitution des droits à la retraite.




Liban : sortir de la spirale de l’endettement

Par Céline Antonin

La crise du Covid-19, suivie
de la double explosion meurtrière intervenue à Beyrouth le 4 août 2020 ont
frappé un pays en pleine crise économique, politique et sociale. Après deux
années de récession marquées par une baisse de PIB de -1,9 % en 2018 et de
-6,5 % en 2019 (FMI), le Liban continue en effet à s’enfoncer dans la crise.
L’inflation est galopante : en juillet 2020, l’indice des prix à la
consommation a progressé de 112 % par rapport à son niveau de juillet 2019. Le
taux de chômage est préoccupant : il atteindrait 25 % de la
population active en 2017[1]
(37% chez les jeunes), et aurait largement progressé depuis. Cette situation,
conjuguée à la corruption gouvernementale et à l’augmentation de la fiscalité
sur l’essence et le tabac, a conduit des milliers de Libanais à lancer une
série de manifestations à partir du 17 octobre 2019 pour demander le départ de
tous les partis de gouvernement. Ce mouvement apolitique, baptisé la
« révolution d’octobre » est le plus important depuis près de 15 ans.



La révolution n’est pas née du
jour au lendemain ; l’économie libanaise a souffert de plusieurs revers
depuis 2009, qui ont conduit le pays à un ratio d’endettement public insoutenable
(155 % en 2019), déclenché un défaut de paiement et nécessité d’un plan d’aide
du FMI. Ce billet analyse l’évolution de l’endettement public libanais, qui a
connu plusieurs phases depuis la fin de la guerre civile. Le pays est
aujourd’hui pris au piège d’une spirale entre charge d’intérêts élevée, déficit
public et faible croissance. Sortir de cette spirale nécessite des réformes à
la fois d’ordre économique – restructuration de la dette et réforme fiscale –
et politique.

Le Liban est le
troisième pays du monde pour le ratio d’endettement public

L’économie libanaise est une
économie « dollarisée » reposant essentiellement sur les services.
Ces derniers représentent 76 % du PIB, avec une macrocéphalie des services
financiers, immobiliers et touristiques. Le PIB par habitant représente environ
un quart de celui des États-Unis. Mais la guerre civile a laissé des
stigmates : le Liban reste fragilisé par la situation géopolitique
régionale et pâtit d’infrastructures de mauvaise qualité (routes, électricité).
La reconstruction post-guerre initiée par le gouvernement Hariri (1992-2004) a
eu un coût élevé, et le pays a accumulé une importante dette publique afin de
réhabiliter ses infrastructures en recourant à des emprunts externes et
internes. En effet, le gouvernement a été contraint d’offrir des primes de
risque élevées aux investisseurs. Ces rendements élevés ont pu évincer les
investissements dans les secteurs productifs du pays (Baldacci et al., 2003[2];
Patillo et al., 2014[3]).

Le coût élevé de la
reconstruction post-guerre, combiné à une charge d’intérêt importante dans un
contexte de croissance modérée a laissé les finances publiques dans un état
préoccupant. Le revenu du gouvernement libanais ne représente que 18 % du PIB,
dont 78 % proviennent des impôts. Par ailleurs, après le Japon et la Grèce,
le Liban est ainsi le troisième pays du monde pour son ratio d’endettement
public, qui atteint 155 % du PIB fin 2019 – l’équivalent de huit ans et demi de
recettes publiques (graphique 1).

La crise budgétaire
s’accompagne d’une crise monétaire et financière. La livre libanaise est
officiellement arrimée au dollar américain selon un régime de change fixe
depuis 1997, et il n’y a pas de contrôles de capitaux au sens strict. Cependant,
début 2020, les banques ont imposé des restrictions aux retraits en
dollars : tout transfert provenant de l’étranger est aujourd’hui
uniquement payé en devises locales. La rareté du dollar a conduit à une pression
importante sur les prix au marché noir et à la dépréciation de la livre
libanaise : fin août 2020, la monnaie aurait perdu environ 80 % de sa
valeur depuis octobre 2019[4].
C’est la pire dévaluation de l’histoire du Liban, d’autant plus problématique
qu’elle renchérit le prix des biens importés alors que le déficit de la balance
commerciale atteignait déjà 26,5 % du PIB en 2019. Ainsi, le Liban souffre
d’une situation de déficits jumeaux – déficit budgétaire et déficit de la
balance des transactions courantes.

Historique de
l’endettement public depuis 1993

La dynamique de l’endettement
public libanais a connu quatre phases successives au cours des trente
dernières années :

  • une première phase de hausse rapide de
    l’endettement public, entre 1993 et 2002, lors de laquelle le ratio dette
    publique/ PIB est passé de 46 % du PIB à 163 % du PIB ;
  • une deuxième phase de hausse lente de
    l’endettement public, entre 2002 et 2006, pour culminer à 183 % du PIB fin
    2006 ;
  • une troisième phase de baisse du ratio
    d’endettement entre 2006 et 2012, pour atteindre 130,4 % fin 2012 ;
  • une dernière phase de remontée lente du ratio
    d’endettement public.

Le graphique 2 illustre de quelle manière les différents moteurs de la dette publique et du PIB (déficit primaire des administrations publiques, dépenses d’intérêt, croissance du PIB réel et inflation) ont contribué à la croissance du ratio d’endettement public rapporté au PIB[5].

La période de 1993 à 2002 a
coïncidé avec une augmentation rapide de la dette publique, essentiellement
sous l’effet de deux facteurs : les déficits primaires récurrents et des
charges d’intérêt élevées sur la dette. Après la fin de la guerre et l’accord
de Taëf, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Rafic Hariri a mis en
œuvre une série de mesures pour rétablir la stabilité économique et restaurer
la confiance dans l’économie à partir d’octobre 1992. Le gouvernement libanais
a mené une politique budgétaire ouvertement expansionniste en s’engageant dans
un programme de reconstruction massif (Horizon 2000), avec un budget de 14
milliards de dollars à mettre en œuvre sur la période 1993-2002, dans le but de
réhabiliter les infrastructures endommagées du pays et de doubler le PIB par
habitant. Ce plan coûteux a toutefois été revu à la baisse et le budget initial
réduit de moitié ; l’accent a été mis sur les secteurs de l’électricité,
les routes et les transports publics, l’approvisionnement en eau et les
déchets. Le coût élevé des emprunts a par ailleurs contribué à la forte
progression de l’endettement public. Au départ, le gouvernement espérait
pouvoir compter sur un soutien financier extérieur, mais cette aide ne s’étant
pas concrétisée, le gouvernement a commencé à emprunter sur le marché intérieur
en émettant des bons du Trésor à haut rendement pour financer la phase de reconstruction.
Ainsi, le rendement des bons du Trésor nationaux a atteint 37,8 % par an en
septembre 1995, compte tenu du risque souverain élevé associé au pays, mais
aussi du niveau d’inflation élevé jusqu’en 1997 (12 % en moyenne annuelle
entre 1993 et 1997)[6]. En
conséquence, la dette publique a été multipliée par 9,5 entre 1993 et 2006.

L’année 2002 a marqué une
inflexion dans la dynamique de l’endettement : la hausse s’est poursuivie,
mais à un rythme beaucoup plus lent, sous l’effet d’une baisse des charges
d’intérêt et d’une maîtrise des déficits budgétaires. En 2002, la conférence de
Paris II[7],
qui prévoyait pour le Liban une aide internationale de 4,4 milliards de dollars
permettant de restructurer la dette publique (allongement des maturités et baisse
des taux d’intérêt), a eu des effets positifs, en rétablissant la confiance
dans l’économie libanaise. Les taux d’intérêt sur les bons du Trésor libanais
ont baissé de 16,1 % à 9,2 %, demeurant à un niveau très élevé malgré la
faiblesse de l’inflation. La Banque du Liban et les banques commerciales
libanaises se sont lancées dans des programme d’annulation, d’échange et de
refinancement de la dette. Par ailleurs, le pays a commencé à dégager des
excédents budgétaires primaires, notamment grâce à l’introduction de la taxe
sur la valeur ajoutée au taux de 10 % en février 2002. La loi de finances
de 2003 prévoyait ainsi de ramener le déficit public à 7,3 % du PIB contre
14 % en 2002, d’élargir l’assiette fiscale et de diminuer le service de la
dette. La dette a cependant continué à croître, notamment en raison d’une
croissance modérée, avec une période marquée par de nombreux épisodes
d’instabilité politique, notamment l’assassinat du Premier ministre Hariri en
février 2005 ou la guerre avec Israël à l’été 2006.

Entre 2007 et 2012, la très
forte croissance du PIB réel, couplée avec une forte inflation et la poursuite
de la baisse des charges d’intérêt, a permis la décroissance du ratio
d’endettement public. La croissance rapide a été stimulée par les dépenses de
reconstruction après la guerre de juillet 2006, l’abondance de liquidités liée
à la hausse des recettes pétrolières régionales, le rétablissement de la
confiance à la suite de l’accord de Doha, l’élection d’un nouveau président en
mai 2008 et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Tous ces facteurs
ont créé un climat d’affaires favorable et alimenté les entrées de capitaux
étrangers et la demande globale. Le déclenchement de la crise financière de
2008 a eu également un impact positif sur l’économie libanaise, les actifs de
la diaspora libanaise fuyant pour des refuges plus sûrs – comme le Liban –, à
cause de l’accroissement des incertitudes financières internationales et la
baisse des prix et des taux sur les marchés financiers internationaux. Pendant
quatre années consécutives (de 2007 et 2010), le taux de croissance du PIB a
atteint en moyenne 9,2 %. En conséquence, le ratio d’endettement a baissé
pour atteindre 130 % du PIB en 2012.

Depuis 2012, la faiblesse de
la croissance du PIB – 1,4 % en moyenne entre 2011 et 2018 – et la fin de la
consolidation budgétaire expliquent l’augmentation du niveau d’endettement
public. En raison de la faiblesse de la croissance, à partir de 2012, une
grande partie des progrès réalisés entre 2007 et 2012 a été annulée. Par
ailleurs, les recettes de l’État sont restées à un niveau faible
(14,5 % du PIB en moyenne entre 2012 et 2019), par rapport à l’ampleur des
dépenses publiques (23,5 % sur la même période). À partir de 2012, les intérêts
de la dette ont augmenté sans aucun signe de stabilisation. La situation s’est
aggravée à partir de 2018, date à laquelle le Liban est entré en récession et
le solde budgétaire s’est creusé pour atteindre -10 % du PIB (graphique 3).

La Banque mondiale[8]
(2020) compare le Liban aux autres pays ayant connu une crise de l’endettement
public (Islande, Irlande, Grèce, Chypre, Argentine) et montre que le Liban a
abordé la crise économique et sanitaire avec un équilibre budgétaire plus
dégradé que chacun de ces pays. Par ailleurs, seule l’Islande avait une balance
des paiements courants plus dégradée que le Liban aujourd’hui. 

Une dette publique essentiellement domestique

Au début de la période de
reconstruction après la guerre, entre 1993 et 2001, le gouvernement libanais a
d’abord eu recours à de lourds emprunts sur le marché intérieur et a ainsi
accumulé des dettes en monnaie locale pour répondre à ses besoins de financement.

Le ministère des Finances a
commencé à émettre des euro-obligations[9]
dès 1994, mais c’est en 1998 que le gouvernement de Rafic Hariri a demandé au
Parlement l’autorisation de convertir une partie de la dette en dollars. Par ailleurs, la conférence de Paris I de
2001 a favorisé l’utilisation par le Liban des marchés internationaux des
capitaux[10]. La
dette publique détenue en devises étrangères – essentiellement en dollars – est
ainsi passée de 22 % à 51 % de la dette totale détenue entre 1998 et 2004 (graphique
4). Après avoir culminé en 2004, la dépendance du gouvernement à l’égard de la
dette en monnaie étrangère a baissé au profit de la dette en monnaie locale.
Elle peut être partiellement attribuée à l’intervention de la Banque du Liban
auprès des banques commerciales. Depuis, la part de la dette en monnaie
extérieure dans la dette brute totale a régressé pour se stabiliser autour d’un
tiers.

L’existence de cet endettement
en dollars fait peser un risque sur le gouvernement libanais, qui ne peut faire
jouer la planche à billets pour rembourser une dette en monnaie étrangère. Néanmoins, l’essentiel de la dette libanaise
(en monnaie locale et étrangère) est détenu domestiquement, par le secteur
bancaire libanais et la Banque du Liban : en 2019, les non-résidents ne
détenaient que 13 % de la dette totale[11],
ce qui protège la souveraineté du pays des pressions extérieures, limite le
risque de défiance des investisseurs et donc de faillite.

Quelles
solutions ?

Le temps est compté pour le
Liban : en mars 2020, le pays a inauguré le premier défaut de paiement de
son histoire en annonçant qu’il ne serait pas en mesure de rembourser une dette
de 1,2 milliards de dollars arrivant à échéance.

Mais l’aide internationale
piétine. Lors de la Conférence économique pour le développement par les
réformes et avec les entreprises (Cedre), en 2018, les bailleurs de fonds
au Liban avaient promis une aide de 11 milliards de dollars en prêts et
dons, suspendue au feu vert du FMI. Or, les négociations sur un premier plan de
sauvetage de 10 milliards de dollars ont été interrompues par des dissensions
internes à la délégation libanaise. Les discussions achoppent notamment sur
l’ampleur des pertes du système bancaire du pays et le moyen de les éponger. Le
gouvernement chiffre à 68 milliards de dollars les pertes du secteur
financier libanais (50 milliards pour la Banque du Liban et
18 milliards pour les banques privées). Il prévoit une restructuration du
système bancaire libanais avec la mise à contribution des actionnaires et
détenteurs d’obligations, alors que l’Association des banques du Liban se
refuse à reconnaître les pertes et propose son propre plan de sauvetage.

Avec un besoin brut de
financement estimé à 30 points de PIB par le FMI, la restructuration de la dette de l’Etat semble inévitable. Elle
pourrait prendre la forme d’un moratoire ou d’un rééchelonnement portant sur les
intérêts de la dette et sur le principal. En effet, la maturité de la dette est
d’environ 5 ans pour la dette en devises locales et 7 ans pour la dette en
devises étrangères (FMI, 2019). Les intérêts de la dette représentent une
charge financière considérable (9,1 % du PIB en 2019). Un autre moyen serait
d’échanger les obligations publiques contre des obligations à plus longue
échéance ou à taux plus faible en négociant avec les banques commerciales,
principales détentrices de la dette, en échange d’une garantie de l’État.
Une fausse bonne idée serait de renoncer à la parité fixe entre livre libanaise
et dollar, et de laisser la livre se dévaluer pour alléger le poids des
remboursements. Cela alourdirait le paiement des intérêts sur la dette
extérieure (les fameuses euro-obligations) et par ailleurs, cela dégraderait
fortement la balance commerciale libanaise, dans la mesure où le Liban importe
la plupart de ses biens (-26,5 % du PIB en 2019).

Sur le plan budgétaire, une
réforme fiscale d’envergure s’impose afin d’instaurer
un système fiscal moderne
capable de financer les dépenses publiques. Cette
réforme permettrait d’une part de soutenir l’investissement public
(modernisation, grands travaux…), d’autre part de réduire les fortes
inégalités. Cela suppose un véritable changement de paradigme, car la
protection sociale et les réformes de l’État ont été constamment reléguées au
second plan. Ainsi, comme l’écrit Lydia Assouad, les revenus sont extrêmement
concentrés, le top 1% et le top 10 % de la population adulte recevant en
moyenne respectivement 25 et 55 % du revenu national[12].

Il faudrait élargir la base des revenus taxables, et rendre
le système fiscal plus progressif
. Le système fiscal libanais est
cédulaire, c’est-à-dire que chaque source de revenus est imposable à part selon
son propre régime et ses propres taux. Les revenus tirés de l’impôt sur les
sociétés et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques sont parmi les
plus faibles au sein des pays de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du
Nord), juste derrière la Jordanie. En 2015, les taxes sur les revenus et les
profits ne représentaient que 3,8 % du PIB, contre 4,1 % pour la TVA (FMI,
2017[13]).
En effet, les différents taux marginaux supérieurs d’imposition sont faibles
par rapport aux autres pays[14],
et pourraient être revus à la hausse.

Par ailleurs, une transparence accrue sur les revenus et le
patrimoine des ménages
permettrait de collecter plus efficacement l’impôt,
et de réprimer l’évasion fiscale. D’après le FMI (FMI, 2017) et sur la base des
travaux de Fenochietto et Pessino (2013)[15],
la performance du système fiscal libanais est inférieure à la moyenne des pays
comparables du Moyen Orient. Ainsi, la capacité fiscale du Liban – le niveau
théorique maximum de recettes fiscales qu’un pays peut atteindre – est estimée
à 34 % du PIB. Or, le niveau réel de recettes fiscales ne représente que 15 %
du PIB ; par conséquent l’effort fiscal – défini comme le rapport entre
recettes réelles et capacité fiscale – n’est que de 44 % au Liban contre
une moyenne de 60 % pour des pays de la région (voir FMI, 2017).

Ces réformes budgétaires ne
peuvent réussir sans une transformation politique
profonde du pays
, qui consiste à éliminer le clientélisme et le népotisme
 wasta »). Le système de
gouvernance « confessionnel », instauré par la constitution du Liban
de 1926, permet aux élites de capter et de redistribuer la plupart des ressources
selon un principe clientéliste[16].
Il existe par ailleurs de nombreux obstacles à la libre concurrence : le
coût élevé du crédit bancaire, le faible montant des crédits octroyés par les
banques[17],
ou encore les barrières administratives et légales.

Malgré cette grave crise
économique et politique, le Liban reste à ce jour paré de certains atouts :
son économie libérale réaffirmée par l’accord de Taëf de 1989, la libre
mobilité des capitaux, un important réseau de filiales bancaires à l’étranger, le
haut niveau d’éducation de la population, et surtout une diaspora de taille
exceptionnelle – trois fois la population libanaise – qui joue un rôle crucial
dans l’économie. Les envois de fonds de la diaspora ont ainsi atteint 7,2
milliards de dollars en 2018, soit environ 12 % du PIB d’après la Banque
mondiale. C’est sur ces atouts que le Liban doit à présent capitaliser pour
transformer le pays en profondeur, politiquement et économiquement.


[1] D’après
le ministère du Travail libanais, voir http://www.databank.com.lb/docs/Unemployment%20in%20Lebanon%20Findings%20and%20Recommendations%202019%20ECOSOC.pdf

[2] Baldacci , E., A. Hillman et N. Kojo (2003), « Growth,
Governance and Fiscal Policy Transmission Channels in Low-Income Countries »,
Working Paper, 03/237, International
Monetary Fund, Washington D.C.

[3] Patillo, C., H. Poirson et L. Ricci (2004), « What
Are the Channels Through Which External Debt Affects Growth? », Working Paper, 04/15, International
Monetary Fund, Washington D.C.

[4] Calcul effectué d’après la
plateforme lebaneselira.org qui a lancé un algorithme d’intelligence
artificielle (IA) proposant une estimation quotidienne du taux de change sur le
marché noir entre le dollar américain et la livre libanaise.

[5] Pour
comprendre le calcul « technique » des contributions des différentes
composantes à la dynamique de la dette publique, on pourra se reporter au
document de travail : C. Antonin, M. Guerini, M. Napoletano, F. Vona,
« Italy: Escaping the high-debt and low-growth trap », Sciences Po OFCE Working Paper, n°
07/2019.

[6]
Une question connexe concerne les interactions entre politique monétaire et
budgétaire : dans un intéressant article sur le Liban, Ayoub, Creel et
Farvaque (2008) concluent que la période 1991-2005 constitue le retour à une
période de domination monétaire, autrement dit à un régime
« ricardien ». Voir Ayoub, H., Creel, J., et Farvaque, E. (2008), « Détermination
du niveau des prix et finances publiques: le cas du Liban », 1965-2005. Revue
d’économie du développement
, 16 (3):, pp. 115-141.

[7]
La conférence de Paris II, réunissant les responsables de 23 États et
institutions internationales, prévoyait un soutien financier extérieur, avec
3,1 milliards de dollars alloués à la restructuration de la dette, et 1,3
milliard de dollars de prêts bonifiés.

[8] Banque
mondiale, Lebanon’s economic update,
avril 2020, https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/publication/economic-update-april-2020

[9] Les euro-obligations sont des titres obligataires
émis par le Ministère des Finances libanais, lui permettant de s’endetter sur
les marchés internationaux en dollars. Leur nom provient des
« eurodollars », apparus dans les années 1950 en raison de l’afflux
de dollars sur le continent européen à travers le Plan Marshall.

[10]
La France a convoqué la première réunion avec les institutions internationales
(Banque mondiale, Banque européenne d’investissement, Commission européenne),
dite conférence de Paris I, le 23 février 2001, afin de récolter une aide
internationale.

[11] FMI, IMF Country Report No. 19/312,
Lebanon, octobre 2019.

[12]
Lydia Assouad, « Rethinking the Lebanese economic miracle: The extreme
concentration of income and wealth in Lebanon 2005-2014 », World Inequality Lab Working papers, n° 2017/13.

[13]
International Monetary Fund/IMF (2017), Lebanon: Selected Issues: IMF
Country Report No. 17/20
, International Monetary Fund, Washington DC.

[14]
Le taux marginal supérieur est par exemple de 25 % pour l’impôt sur le revenu et
de 14 % pour la taxe foncière.

[15]
Fenochietto, R. et C. Pessino, 2013, « Understanding Countries’ Tax Effort »,
IMF Working Paper, n° 13/244, Washington:
International Monetary Fund.

[16]
Assemblée nationale, « Rapport d’information sur le Liban », n° 3865,
22 juin 2016.

[17] Gaspard T. K.
(2004). A political economy of Lebanon, 1948-2002: the limits of
laissez-faire
, Leideb, Boston, Brill.