Quel impact du confinement et de son intensité sur la croissance ?

Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux [1]

Depuis la
prise de conscience fin février dernier de la diffusion de l’épidémie de
coronavirus hors de Chine, foyer initial de la pandémie, et la mise en place
courant mars de politiques de confinement des populations dans le monde, le
paradigme conjoncturel a radicalement changé avec des PIB attendus en forte
baisse durant l’année 2020. Concernant le premier trimestre 2020, pour lequel
une première estimation des comptes nationaux est disponible, et même si des
révisions plus importantes que d’habitude sont à attendre, la croissance de
l’activité économique paraît pouvoir être rapprochée des mesures de restriction
de l’activité prises au cours de la même période.



Compte tenu de la multiplicité des mesures de
confinement et de leur nature qualitative, il est difficile de détailler
l’ensemble des décisions prises et surtout d’exprimer leur intensité. Les
chercheurs de l’Université d’Oxford et de la Blavatnik School of Government ont
néanmoins proposé un indicateur mesurant la rigueur des réponses
gouvernementales[2]. Cet
indicateur tente de synthétiser les mesures de confinement adoptées dans 163
pays selon deux types de critères : d’une part la sévérité de la
restriction pour chacune des huit mesures répertoriées (fermeture des écoles,
des entreprises, limitation des rassemblements, annulation d’événements
publics, confinement à domicile, fermeture des transports publics, restriction des
voyages domestiques et internationaux) et d’autre part le caractère local
ou national de chaque mesure dans un pays.

Au sein de l’ensemble des mesures répertoriées, certaines ont des effets directs sur l’activité, comme les fermetures, d’autres des effets plus diffus ou redondants, comme par exemple la limitation des rassemblements, le confinement à domicile ou les restrictions imposées aux activités événementielles. Parmi les mesures qui composent l’indicateur synthétique, deux nous paraissent avoir le plus d’influence sur l’activité : la fermeture des écoles (qui empêche l’activité des parents pour garder les enfants s’ils ne télétravaillent pas) et la fermeture plus ou moins étendue des entreprises et des commerces. Selon la méthodologie conçue par l’Université d’Oxford, le degré de sévérité des mesures est caractérisé sur une échelle conventionnelle allant de 0 (mesure inexistante) à 3 ou 4 dans leur application la plus contraignante. Par ailleurs, selon qu’une mesure est nationale ou reste simplement localisée géographiquement, son impact sur l’activité peut être différencié, caractéristique que nous avons prise en compte[3]. Au final, nous avons reconstruit un indice de sévérité à partir de ces deux seuls critères en appliquant la méthodologie de l’Université d’Oxford pour obtenir un indicateur davantage ciblé sur les effets économiques du confinement (Graphique 1).

À partir de
ces indicateurs, on peut juger de la sévérité des confinements par
pays sous l’angle de la précocité de leur mise en œuvre et de la
contrainte imposée par les mesures de fermeture et leur généralisation (Tableau
1 ).

Après les
premières mesures de confinement adoptées par la Chine courant janvier,
l’Europe est rapidement devenue l’épicentre de la pandémie, conduisant les pays
à prendre progressivement des mesures de fermetures. L’Italie a été le premier
pays développé à prendre de telles mesures : localement dès le 22 février
avec des fermetures très contraignantes dans une dizaine de communes, étendues
le 8 mars aux régions de Lombardie et de Veneto, avant d’être généralisées à
l’ensemble du pays dès le 10 mars.

Les autres
pays européens ont suivi tour à tour pour freiner la propagation du virus face
à la saturation des capacités hospitalières. L’Espagne et la France ont ainsi
mis en place des mesures strictes de confinement. L’Espagne à partir du 9 mars localement
puis le 16 au niveau national pour les écoles, et enfin le 14 mars pour la
plupart des entreprises (mesure qui a été étendue le 30 mars à l’ensemble des
entreprises non essentielles) ; la France à partir du 2 mars avec la fermeture
d’une centaine d’écoles dans l’Oise et dans diverses villes (Normandie, …),
puis la fermeture nationale des écoles le 16 mars et la fermeture totale des
entreprises non essentielles le 17 mars.

À l’autre
bout du spectre, la sévérité des fermetures d’entreprises est restée faible en
Allemagne (fermeture simplement recommandée) et a été appliquée plus
tardivement que dans les autres pays (le 22 mars). En revanche, la fermeture
des écoles a été totale, avec une mise en œuvre en deux temps, à savoir des
fermetures à l’échelon local dès le 26 février suivies d’une généralisation au
pays le 18 mars. Quant au Royaume-Uni, le gouvernement a fait le choix de
confiner plus tardivement, avec une fermeture des écoles le 23 mars[4]. La
fermeture des entreprises a en revanche été concomitante de la France mais
beaucoup moins sévère. Les États-Unis ont aussi conduit un confinement souple
avec l’absence de mesures nationales au premier trimestre, même si ces
dernières ont entraîné localement des fermetures totales d’écoles et d’entreprises
non essentielles. Parmi les pays avancés, seule la Suède se distingue par
l’absence de mesures fortes de confinement[5].

Pour évaluer
dans quelle mesure les politiques de confinement ont pu avoir un impact sur
l’activité économique, nous nous sommes appuyés sur les indices de sévérité des
fermetures (écoles et entreprises/commerces) calculés précédemment. Ces
indicateurs, calculés en moyenne sur le premier trimestre, ont été rapprochés
des taux de croissance du PIB sur la même période par le biais d’une
corrélation. La corrélation établie ainsi apparaît clairement négative, avec un
coefficient de corrélation de -0,76 (Graphique 2).
Au vu du degré de sévérité des fermetures, on pourrait s’attendre à ce que certains
pays révisent leur PIB à la baisse (Irlande, Pologne, Pays-Bas, Grèce, Corée
par exemple), et d’autres à la hausse (Espagne, France, Portugal, Belgique). Certaines
révisions ont déjà eu lieu en ce sens entre la première version des comptes du
premier trimestre publiée fin avril et celle publiée fin mai, de -5,8 à -5,3 %
pour la France et de -4,7 à -5,3 % pour l’Italie[6]. En
revanche, les États-Unis, la Suède et le Danemark affichent une évolution du
PIB qui semble conforme à la sévérité des restrictions qu’ils ont mises en
œuvre[7]. La
Chine quant à elle, pays d’où est partie la pandémie, a passé plus des 2/3 du
premier trimestre en confinement. Selon la première estimation, le PIB chinois
a baissé de 10,7 % au premier trimestre 2020 en rythme trimestriel, soit
nettement plus que les autres pays, ce qui semble en ligne avec l’ampleur du
confinement qui y a sévi même si des révisions en hausse sont possibles.

Naturellement, cette corrélation reste imparfaite dès lors que les comportements des agents économiques peuvent être affectés autrement que par les mesures obligatoires. Par exemple, la crainte de la contamination peut ainsi repousser des achats impliquant des contacts sociaux même en l’absence de contraintes légales. De plus, le caractère anxiogène de la crise peut pousser à la constitution d’une épargne de précaution.


[1] Ce
texte est issu du Policy brief «
Évaluation de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de
confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », OFCE Policy brief, n° 69, 5 juin 2020.

[2] Voir Hale Thomas, Sam Webster, Anna
Petherick, Toby Phillips, et Beatriz Kira (2020), Oxford COVID-19 Government Response Tracker, Blavatnik School of
Government.

[3] Les
mesures locales ont été pondérées conventionnellement par 0,5 dès lors qu’elles
peuvent avoir un effet sur l’activité globale.

[4] Le
gouvernement avait initialement fait le pari de l’immunité collective en
laissant se propager le virus au sein de la population.

[5] Il est à
noter que ce pays a enregistré par ailleurs des résultats moins bons en matière
de mortalité que ses voisins nordiques.

[6] Voir
sur ce point, Le Bayon S., Péléraux H., « Les comptes nationaux à
l’épreuve du coronavirus », le Blog
de l’OFCE
, 12 juin 2020.

[7] Le chiffre agrégé pour la
Suède masque toutefois des évolutions contrastées entre la demande intérieure
qui a régressé et le commerce extérieur qui affiche une contribution
positive ; voir sur ce point Dauvin M., Sampognaro R., « Suède et
covid-19 : l’absence de confinement ne permet pas d’éviter la récession »,
le Blog de l’OFCE, 30 juin 2020.