Salaire de référence des chômeurs : supprimer le problème ou le résoudre

par Bruno Coquet

Les allocations chômage que perçoivent
les chômeurs indemnisés remplacent une partie du salaire qu’ils recevaient
lorsqu’ils occupaient un emploi : ce salaire sert de référence au calcul
de l’allocation, il est celui auquel est appliqué le taux de remplacement et
sur la base duquel l’assureur essaie de stabiliser la consommation du chômeur ;
il représente donc une question fondamentale en matière d’assurance chômage.



Les règles en vigueur en France,
inchangées depuis des décennies, qui reposaient sur le salaire des jours
travaillés, ont été modifiées dans le cadre de la réforme de l’assurance
chômage de 2019. Les nouvelles règles qui privilégiaient un salaire mensuel
moyen englobant les jours travaillés et non-travaillés ont cependant été
invalidées par le Conseil d’État car elles engendraient « une
différence de traitement manifestement disproportionnée
 » au détriment
des chômeurs ayant occupé des emplois en contrats courts.

La règle du salaire journalier prévaut
donc à nouveau, et le sujet du « salaire de référence » est donc de
nouveau ouvert à la discussion.

Une règle problématique qui doit être
corrigée

Les règles en vigueur engendrent de très
fortes inégalités entre les chômeurs ayant des historiques d’emploi fractionnés
et les autres. Le taux de remplacement réglementaire du salaire mensuel peut en effet dépasser 100% :
en effet, lorsque le taux de remplacement est appliqué au salaire journalier
pour calculer une allocation journalière, cette dernière peut être servie tous
les jours du mois, alors que lorsqu’il était en emploi ce chômeur ne
travaillait pas forcément tous les jours de chaque mois. Il en résulte qu’un
chômeur qui ne travaille pas en activité réduite peut « gagner plus au
chômage qu’en travaillant
 ». Même si c’est loin d’être le cas général,
ce type de situation devrait néanmoins être impossible d’un point de vue réglementaire,
car préjudiciable pour les comportements et financièrement insoutenable pour
l’assureur. Ces règles devraient donc être changées.

Les règles définissant le salaire de
référence étaient bien adaptées au marché du travail des Trente glorieuses,
mais elles ont peu à peu révélé des faiblesses et craqué sous la pression de
l’usage débridé des contrats courts dans un contexte de chômage élevé.

De nombreux salariés alternent des
contrats courts et des périodes non-rémunérées. Leur revenu salarial est souvent
complété par un minimum social, la prime d’activité, etc., ce qui leur permet
de vivre sans occuper un emploi à temps plein. Lorsqu’ils ont accumulé
suffisamment de périodes d’emploi pour être éligibles à l’assurance chômage,
ils restent susceptibles d’exercer ponctuellement une emploi en contrat court,
d’autant qu’ils sont logiquement incités à le faire pour favoriser leur
employabilité et leur retour à l’emploi durable ; mais le changement vient
de ce que les périodes inter-contrats sont alors indemnisées par l’assurance
chômage.

Il en résulte un effet d’optique à
l’origine des différences d’appréciation quant au nombre de chômeurs qui
« gagnent plus au chômage qu’en travaillant » : lorsque
le nombre de jours indemnisés est réduit à proportion du nombre de jours
travaillés dans le mois, le taux de remplacement apparent devient inférieur au
taux réglementaire, et la fréquence des taux de remplacement supérieurs à 100%
diminue. En réalité les défauts de la règle restent identiques, mais ils sont masqués.

Au total la multiplication des
situations où le cumul allocations chômage/salaire est un fait, de même que les
cas où celles-ci sont plus rémunératrices que l’emploi ; et tout donne à
penser que ces possibilités ont peu à peu contribué à stimuler l’usage des
contrats courts, et les dépenses d’indemnisation afférentes. Dans tous les cas,
les règles de l’assurance chômage ne devraient pas ouvrir ce type de
possibilité, a fortiori à grande échelle.

Abracadabra : plus de problèmes de salaire de référence pour les chômeurs non-éligibles

Pour bien comprendre ce problème
complexe, ce nouveau document de travail, « Comment déterminer le salaire de référence des chômeurs
indemnisés ? »
, le décompose. Il
apparaît alors clairement que ce qui se manifeste au travers du salaire de
référence, ce sont d’abord les effets des règles d’éligibilité à l’assurance
chômage.

Les chômeurs qui n’ont pas accès à
l’assurance chômage ont un taux de remplacement nul. Pour ceux qui y ont accès,
le taux de remplacement dépasse le taux réglementaire dès lors qu’il existe des
jours non-travaillés dans leur historique d’emploi. L’intensité d’emploi exigée
par l’assurance, c’est-à-dire le nombre de jours travaillés durant la période
de référence, détermine dans quelle mesure le taux de remplacement effectif
peut dépasser le taux réglementaire.

La réforme de 2019 a profondément
modifié les règles d’éligibilité : période de référence raccourcie de 28 à
24 mois, seuil minimum d’éligibilité relevé de 4 à 6 mois, restriction des rechargements
de droits. Ces nouvelles règles impliquent que 400 000 chômeurs ne seront
plus éligibles (la moitié pourrait cependant le devenir avec un décalage de 12
mois au moins). De plus, le passage du seuil minimal d’éligibilité à 6 mois sur
les 24 derniers replie l’éventail des salaires, en ce sens que le salaire
mensuel moyen sur la période de référence qui pouvait être jusqu’à 7 fois
moindre que le salaire journalier des jours travaillés quand l’éligibilité
était fixée à 4 mois parmi 28 ne peut désormais être que 4 fois moindre au
maximum (6/24). Si la formule du salaire de référence ne changeait pas, le taux
de remplacement maximum passerait donc d’environ 7 à 4 fois le taux
réglementaire du seul fait du changement d’éligibilité.
Enfin, environ 1 million de chômeurs verraient la durée de leurs droits
réduite, parce qu’ils acquièrent leurs droits en plus de 24 mois. Les
restrictions d’éligibilité visant la récurrence au chômage des contrats courts
toucheront donc en réalité fortement des chômeurs issus d’emplois stables et
peu fractionnés.

Pour ces chômeurs
désormais inéligibles dont le taux de remplacement devient nul, ou ceux dont
l’allocation baissera du seul fait du durcissement des règles d’éligibilité,
une discussion restreinte au salaire de référence qui n’inclurait pas les
règles d’éligibilité ne changera rien.

Le problème tel qu’il était posé,
c’est à dire « plus de 20% des chômeurs ont un taux de remplacement net
supérieur à 100%
 » est supprimé pour environ la moitié des chômeurs
concernés, par ces seules restrictions de l’éligibilité et non par la règle
censurée du salaire de référence. Cela a plusieurs conséquences : d’une
part les faits qui ont justifié la modification de la règle du salaire de
référence sont moins beaucoup prégnants, d’autre part une discussion restreinte
aux règles du salaire de référence ne changera rien à la situation des chômeurs
devenus inéligibles ou ceux dont l’allocation baissera du seul fait des règles
d’éligibilité.

La nouvelle règle censurée du salaire
de référence arasait ce qu’il reste des taux de remplacement supérieurs à 100%,
et supérieurs au taux réglementaire. Si la réforme n’avait changé que cette
règle en laissant intacts les paramètres d’éligibilité, un plus grand nombre de
chômeurs précaires seraient restés éligibles avec une indemnisation réduite,
mais le problème du taux de remplacement tel qu’il était posé aurait aussi
disparu. Plus exactement la nouvelle règle aurait déplaçé le problème :
par souci de ne pas spolier les chômeurs concernés, le capital de droits (durée
potentielle des droits en jours x allocation journalière) tel qui ressortait de
l’ancienne règle, aurait été maintenu en allongeant la durée potentielle des
droits en sorte de compenser la baisse de l’allocation journalière issue de la
nouvelle règle. Ce faisant les inégalités de taux de remplacement étaient supprimées,
mais des inégalités quasiment équivalentes apparaissaient dans les durées potentielles
des droits, ce qui impliquait l’abandon de facto de la règle d’or « 1
jour travaillé / 1 jour indemnisé
 ».

Au total, la double-lame de la réforme
a supprimé le problème plutôt qu’elle ne l’a résolu. Il reste nécessaire de
revoir la définition du salaire de référence à remplacer, mais il est
souhaitable de le faire en cohérence avec les règles d’éligibilité.

Le salaire de référence :
nécessairement imparfait, au plus près du revenu assuré

Vouloir contrôler le salaire de
référence sans auparavant bien contrôler l’éligibilité et la manière dont les
chômeurs constituent leur historique d’emploi, aboutit nécessairement à une
formule imparfaite, inégalitaire, diffusant de mauvaises incitations. Ces
variables ne peuvent clairement pas être conçues indépendamment les unes des
autres.

Il n’existe cependant pas de formule
magique du salaire de référence. Une fois les chômeurs départagés par les
règles d’éligibilité, il est clairement souhaitable de tenir compte de la
régularité avec laquelle les nouveaux entrants en indemnisation ont acquis
leurs droits, et du caractère involontaire des périodes entre deux contrats lorsque
l’historique d’emploi est fractionné. Ces critères sont objectifs, en ce sens
qu’ils réfèrent aux comportements ou aux contributions des chômeurs lorsqu’ils
étaient salariés, ce qui les rend bien préférables à des paramètres abstraits tels
des « diviseurs » qui visent seulement à contraindre arbitrairement le
résultat de la formule du salaire de référence, sans lien avec les caractéristiques
du chômeur. Enfin, en dernier lieu, il est alors beaucoup plus facile de
déterminer une formule du salaire de référence réaliste, lisible, à mi-chemin
des deux extrêmes imparfaits que sont d’une part le salaire journalier des
seuls jours travaillés sur lequel s’appuie l’ancienne règle, ou le salaire
moyen sur la période servant à ouvrir les droits qui devait la remplacer en
2019.