France : des marges de croissance

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

Après plusieurs années de croissance atone (0,4 % en moyenne sur la période 2012-2014), un mouvement de reprise de l’activité semble enfin émerger en France. Avec 1,2 % en 2015 (1,4 % en glissement annuel à la fin de l’année), la croissance française est restée modeste et inférieure à la moyenne de la croissance européenne. L’année 2015 a été encore marquée par un certain nombre de points noirs, particulièrement concentrés autour du secteur de la construction et de l’investissement des administrations publiques (amputant le PIB de -0,3 point en 2015 après -0,5 point en 2014). Néanmoins, des signaux positifs sont apparus qui sont de bon augure.

Premièrement, en 2015, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois dans le secteur privé (122 000 sur l’ensemble de l’année). Deuxièmement, l’investissement des entreprises, tiré par les secteurs des biens d’équipements et de l’information-communication, s’est amélioré (+3,2 % en glissement annuel). À cela s’ajoute un certain nombre d’éléments favorables à la compétitivité : le taux de marge des entreprises a fortement augmenté, particulièrement dans les branches industrielles et les secteurs exportateurs, les parts de marché à l’exportation se sont améliorées et la balance courante, déficitaire depuis une dizaine d’années, est quasiment revenue à l’équilibre. Troisièmement, bien que son impact sur la consommation des ménages ait été limité (+0,9 % en glissement annuel), le pouvoir d’achat des ménages s’est redressé (+2 %). Cela s’est traduit par une forte remontée du taux d’épargne en 2015 (près d’1 point), laissant présager des capacités de consommation futures pour 2016. Enfin, le déficit public, à 3,5 % du PIB en 2015, a été inférieur à la cible du gouvernement et aux attentes de la Commission européenne.

L’année 2015 a été marquée par un redressement de la situation financière des agents privés et une amélioration des comptes publics. Les ménages, les entreprises et les administrations publiques abordent ainsi l’année 2016 avec de nouvelles marges de manoeuvre. Dans un contexte où l’environnement macroéconomique extérieur reste relativement porteur (prix du pétrole bas, euro compétitif et taux d’intérêts historiquement faibles), et ce malgré le ralentissement des pays émergents, Chine en tête, ou le risque de Brexit, l’économie française aborde l’année 2016 dans des conditions meilleures que par le passé. Avec une sortie progressive de la politique d’austérité, ces nouvelles capacités financières pourront soutenir la consommation, l’investissement et l’emploi. De plus, le redressement des résultats des enquêtes dans la construction laisse présager une amélioration du secteur pour l’année en cours. Ainsi, la croissance française devrait s’établir à 1,6 % en 2016 (+1,9% en glissement annuel), avec un 1er semestre 2016 relativement dynamique (+1 % sur le semestre) (tableau 3), soutenu par un rebond marqué de la consommation après une faiblesse temporaire au 4e trimestre 2015, due en partie à la douceur climatique et aux effets des attentats. À partir du troisième trimestre 2016, la croissance évoluerait sur un rythme de 0,4 % par trimestre. Au cours de l’année 2016, le nombre total d’emplois créés serait de l’ordre de 230 000 et le taux de chômage reviendrait à 9,5 % en fin d’année, soit une baisse de 0,5 point, dont 0,15 dû à la mise en place du plan de 500 000 formations. L’investissement des entreprises, soutenu par la hausse des taux de marge, la faiblesse du coût du capital et l’amélioration des perspectives d’activité, continuerait à se redresser mais à un rythme modéré (3 %) en raison des taux d’utilisation toujours inférieurs à leur moyenne historique. Le déficit public s’améliorerait de 0,4 point de PIB en 2016 (pour atteindre 3,1 % du PIB), pour moitié grâce à l’effort budgétaire structurel et pour moitié grâce à l’amélioration de la situation conjoncturelle.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,6 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %). Elle créerait 165 000 emplois, ce qui, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation, permettrait tout juste de stabiliser le taux de chômage à 9,5 % en 2017. Enfin, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans.

Si l’on reste encore loin d’une croissance vigoureuse et du niveau de chômage d’avant-crise, la France semble cependant entamer sa lente convalescence, notamment par le redressement du pouvoir d’achat des ménages, la baisse du chômage, l’amélioration de la compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public.

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Le dilemme de la compétitivité

Par Jean-Luc Gaffard

La compétitivité d’une nation est un sujet complexe. Certains s’insurgent contre le vocable lui-même qui ne saurait s’appliquer à une nation et n’aurait de sens que pour une entreprise. Il est vrai que si une entreprise gagne des parts de marché, elle le fait forcément au détriment de l’entreprise concurrente. Il est non moins vrai que lorsqu’un pays exporte davantage vers un autre, les revenus supplémentaires ainsi gagnés par le premier viendront, pour partie, alimenter une demande au bénéfice du second. Les bénéfices de l’un deviennent la condition des bénéfices de l’autre. Cet aller-retour justifie un commerce international dont la finalité est une meilleure utilisation des ressources de par le monde, dont les bénéfices sont partagés entre tous, voire équitablement partagés. Cette histoire a du sens. Elle signale effectivement que la compétitivité d’une nation n’est pas assimilable à celle d’une entreprise.
Pourtant, les déséquilibres globaux existent, qui se traduisent par des excédents ou des déficits commerciaux durables résultant d’écarts de compétitivité entre les entreprises des pays concernés. Ils exigent des réponses de politique économique appropriés dont l’enjeu est de rendre possible ce que d’aucuns ont appelé le voyage de retour, c’est-à-dire la mise en route de ce mécanisme qui veut que les revenus gagnés par l’un deviennent une demande pour l’autre.
C’est devant cette difficulté que la France se trouve aujourd’hui. Accumulant les déficits commerciaux depuis 2002, elle est bel et bien confrontée à un problème de compétitivité de ses entreprises sur des marchés mondiaux, sans plus avoir la possibilité de recourir à l’arme du taux de change. Clairement, le déficit commercial persistant est plus préoccupant que le déficit public et sa résorption devrait être une priorité. C’est bien pourquoi les appels se sont multipliés en faveur d’un choc de compétitivité, c’est-à-dire de mesures de politique économique susceptibles de rétablir la compétitivité des entreprises en diminuant leurs coûts de production.
Cela étant dit, un choc de compétitivité n’est pas simple à mettre en œuvre. Bien sûr, dans une économie développée, la compétitivité des entreprises est avant tout une compétitivité hors coût qui repose sur la capacité des entreprises à occuper des niches technologiques ou de marché. Mais retrouver cette forme de compétitivité exige des investissements et du temps. Aussi la compétitivité hors coût n’est elle pas indépendante de la compétitivité prix immédiate. Rétablir rapidement les taux de marge devient ainsi une condition nécessaire, sans doute non suffisante, d’un retour à la compétitivité hors coût. Une telle exigence est d’autant plus forte que l’obtention de marchés captifs par différenciation requiert des coûts de R&D et d’exploration de la clientèle souvent très importants.
La difficulté que doit affronter l’économie française vient de ce que le rétablissement nécessaire des taux de marge risque de se faire au détriment du pouvoir d’achat des ménages et donc de la demande intérieure. Les gains de compétitivité pourraient rester lettre morte si la demande finale devait s’effondrer. D’ailleurs, rien ne permet d’affirmer que le seul rétablissement des taux de marge se traduira par un regain d’investissement quand, précisément, les entreprises doivent faire face à un ralentissement sinon une chute de la demande.

Il semble bien, cependant, qu’il faille tenir les deux bouts de la chaîne : la compétitivité prix à court terme et la compétitivité hors prix à moyen terme. Rétablir rapidement les taux de marge requiert le transfert du financement de la protection sociale sur l’impôt payé par les ménages. Permettre aux entreprises de retrouver une compétitivité hors prix suppose d’améliorer encore le niveau des infrastructures et d’aider à la constitution d’écosystèmes de production alliant relations de proximité et internationalisation des processus de production. Dans l’un et l’autre cas, la question posée est celle de la stratégie fiscale et budgétaire à mettre en œuvre.
La difficulté vient de la hiérarchisation des objectifs. Si priorité est donnée à un rétablissement immédiat des comptes publics, ajouter aux ponctions fiscales déjà effectuées sur les ménages un alourdissement supplémentaire lié au transfert de charges fait effectivement courir le risque d’un effondrement de la demande. Dès lors, soit il faut admettre qu’un tel transfert n’est réellement possible qu’en situation de croissance relativement forte et le repousser à plus tard, soit il faut donner la priorité au redressement du déficit commercial sur celui des comptes publics et ne pas se lier les mains avec un objectif budgétaire trop abrupt.
Le gouvernement a décidé de maintenir le cap de la réduction du déficit public et a, de fait, reporté le choc de compétitivité en proposant, à terme d’un an ou plus, des crédits d’impôt aux entreprises notamment compensés par des hausses des taux de TVA. Le raisonnement sous-jacent est clair. La recherche de l’équilibre budgétaire est censée garantir le retour à la croissance, mais l’on se garde de peser un peu plus sur la demande en ajoutant à la ponction fiscale déjà effectuée pour tenir l’objectif des 3% de déficit public dès 2013. L’idée prévaut que, la sagesse budgétaire aidant, la reprise de l’activité sera au rendez-vous dans un délai de deux ans suivant un déroulement supposé classique du cycle conjoncturel qui aurait, en outre, l’avantage de coïncider avec le cycle électoral.
Le chemin choisi est étroit et, pour tout dire dangereux. La pression sur la demande intérieure du fait de l’austérité budgétaire reste forte. La restauration des taux de marge est retardée. N’aurait-il pas mieux fallu étaler davantage dans le temps le rétablissement des comptes publics et permettre des gains immédiats de compétitivité en choisissant les outils fiscaux adaptés ?
Bien sûr, le résultat que l’on peut attendre de l’une ou l’autre de ces stratégies est étroitement dépendant des choix effectués à l’échelle européenne. Que l’on persévère dans la voie d’une austérité généralisée et rien de bon ne pourra arriver pour personne.




Comment rétablir l’équilibre commercial de la France*

par Eric Heyer

Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault s’est engagé à rétablir la balance commerciale de la France, hors énergie, d’ici à la fin du quinquennat. Sans revenir sur cette curiosité qui consiste à soustraire de l’analyse commerciale de la France le déficit énergétique, comme si ce dernier ne comptait pas dans la dépendance de la France vis-à-vis du reste du monde, nous allons tenter d’examiner les différentes solutions que le gouvernement pourrait appliquer pour y parvenir.

La première solution est de ne rien faire et d’attendre que la politique d’austérité mise en place dans l’hexagone par l’intermédiaire des baisses des dépenses publiques et des hausses d’impôts casse le pouvoir d’achat des ménages. Aidée par la hausse du chômage et l’épargne de précaution des ménages qui en résulte, la consommation des Français baisserait. Or une partie de celle-ci est réalisée hors de France, ce qui limiterait alors les importations de la France en provenance de l’extérieur et améliorerait, toutes choses égales par ailleurs, notre balance commerciale.

Cette solution, vous l’aurez compris, n’est non seulement pas vertueuse, puisqu’elle s’appuie sur une baisse du pouvoir d’achat des salariés et une hausse du chômage, mais a également peu de chance d’aboutir car elle suppose que les exportations françaises ne suivent pas le même chemin que les importations et continuent de croître. Or, nos pays partenaires s’engageant dans la même stratégie de retour rapide à des finances publiques équilibrées, leurs politiques d’austérités réduiront, par le même mécanisme que décrit précédemment pour la France, leur demande intérieure et par là même leurs importations dont une partie forment nos exportations.

En conséquence, et puisque les plans d’austérité sont plus conséquents chez nos partenaires que chez nous, il y a une probabilité forte pour que nos exportations décroissent plus vite que nos importations, aggravant alors notre déficit commercial.

La deuxième solution consiste à accroître nos exportations. Dans un contexte de croissance faible, voire négative, chez nos partenaires européens qui constituent 60 % de nos échanges, cela ne peut passer que par des gains de parts de marché. La baisse du coût du travail paraît être le moyen le plus rapide pour y parvenir. Mais baisser les charges salariales dans un contexte de retour à l’équilibre des finances publiques ne peut se réaliser qu’en les transférant vers un autre impôt : c’est la logique de la « TVA sociale » mise en place par le gouvernement précédent mais abrogée par le nouveau qui semble pencher davantage vers un transfert sur la CSG dont l’avantage est d’avoir une assiette plus large, touchant l’ensemble des revenus, y compris ceux du capital.

Mais, outre le fait que cette stratégie n’est pas coopérative puisqu’elle s’apparente à une dévaluation compétitive et consiste pour l’essentiel à gagner des parts de marché sur nos partenaires de la zone euro, rien n’indique que celle-ci sera suffisante. En effet, rien n’empêcherait nos partenaires à utiliser le même procédé et ce d’autant plus que leur situation économique s’avère davantage dégradée que la nôtre, ce qui annulerait tout ou partie des gains potentiels de compétitivité.

La dernière solution consiste alors à améliorer notre compétitivité en augmentant la productivité de nos salariés et en se spécialisant dans des secteurs à forte valeur ajoutée, non soumis à la compétitivité des pays émergents à bas coûts.

Cette stratégie, de moyen terme, nécessite la mise en place de politiques favorisant l’innovation, la recherche et le développement, la formation continue. Elle passe également par une montée en gamme de nos produits traditionnels comme l’automobile mais aussi par  une spécialisation dans des secteurs d’avenir.

La nécessité d’une transition écologique vers un mode de production plus économe en énergie peut être ce secteur d’avenir et donc la solution à notre déficit extérieur.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture.