L’économie européenne 2018 : l’hymne aux réformes

par Jérôme Creel

L’OFCE vient de publier L’économie européenne 2018. L’ouvrage dresse un bilan de l’Union européenne (UE) après une période de fortes tensions politiques mais dans un climat conjoncturel raffermi qui devrait être propice aux réformes, avant que s’enclenche le processus de séparation entre l’UE et le Royaume-Uni.

De très nombreuses questions économiques et politiques cruciales pour mieux appréhender l’avenir de l’UE sont au sommaire de l’ouvrage : l’histoire de son intégration et les risques de désintégration, l’amélioration récente de sa conjoncture, les enjeux économiques, politiques et financiers du Brexit, l’état de la mobilité du travail en son sein, sa politique climatique, la représentativité de ses institutions européennes, et les réformes de sa gouvernance économique, tant budgétaires que monétaires.

L’année 2018 est une année charnière avant les élections au Parlement européen au printemps 2019 mais aussi avant les vingt ans de l’euro, le 1er janvier 2019. La question des performances de l’euro sera centrale. Or, en 2018, la croissance du produit intérieur brut passera enfin bien au-dessus de son niveau d’avant-crise, grâce à la reprise de l’investissement des entreprises et au soutien de la politique monétaire, et désormais sans entrave de la part des politiques budgétaires.

L’année 2018 sera aussi celle du début des négociations sur les relations économiques et financières futures entre le Royaume-Uni et l’UE, après qu’en fin d’année 2017, les deux parties ont su trouver un terrain d’accord sur les modalités de sortie du Royaume-Uni. La croissance retrouvée de l’UE réduira les coûts éventuels du divorce d’avec les Britanniques et pourrait aussi accroître le désintérêt des Européens pour cette question.

Le Brexit aurait pu servir de catalyseur pour réformer l’Europe ; que ses modalités puissent désormais sembler moins cruciales au futur fonctionnement de l’UE ne doit pas retentir sur les réformes dont a besoin l’UE, en les faisant apparaître comme superflues. Dans les domaines politiques et monétaires, le besoin est grand de renforcer la représentativité démocratique des institutions (parlement, banque centrale) et d’assurer la légitimité de l’euro. Dans le domaine budgétaire comme dans celui des migrations, l’expérience passée a démontré la nécessité de disposer d’outils coordonnés pour mieux gérer les crises économiques et financières futures.

Il y a donc urgence à revitaliser un projet vieux de plus de soixante ans qui a su assurer la paix et la prospérité en Europe mais qui manque de souplesse face aux imprévus (les crises), qui manque de souffle face aux impératifs de la transition écologique, et qui manque singulièrement de créativité pour renforcer les convergences en son sein.




Le nouveau traité européen, l’euro et la souveraineté

par Christophe Blot

Le 2 mars 2012, 25 pays de l’Union économique et monétaire (UEM) ont adopté un nouveau traité prévoyant de renforcer la discipline budgétaire. A peine fut-il adopté[1], ce traité a fait l’objet de contestation, François Hollande ayant annoncé qu’il souhaitait le renégocier s’il était élu afin de mettre en avant la nécessité de se préoccuper de la croissance. Il ne fait aucun doute qu’un tel retour sur un traité âprement négocié serait mal perçu par un certain nombre de nos partenaires européens. Pour autant, la question du bien-fondé d’un renforcement de la discipline budgétaire en période de crise mérite d’être posée.

Que faut-il penser de ce nouveau traité ? Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno ont montré les potentiels effets récessifs des règles introduites par le nouveau dispositif. A ces effets macroéconomiques, il faut ajouter que le Traité ne répond toujours pas à une question essentielle et qui devrait être au cœur du projet européen : la souveraineté.

En 1998, soit un an avant le lancement de l’euro, Charles Goodhart[2] publiait un article dans lequel il évoquait la spécificité de l’Union économique et monétaire (UEM) au regard de la théorie et de l’histoire monétaire. En effet, Goodhart rappelle que la monnaie est quasi-systématiquement indissociable de l’expression d’une souveraineté politique et budgétaire. Or, dans le cadre de l’UEM, ce lien est brisé puisque l’euro et la politique monétaire sont contrôlés par une institution supranationale sans pour autant qu’émerge l’expression d’une souveraineté européenne, les décisions de politique budgétaire restant notamment décentralisées et encadrées par la Pacte de stabilité et de croissance. Goodhart conclut alors que la création de l’euro laisse présager des tensions auxquelles nous devrions être attentifs.

La crise actuelle de la zone euro montre que cette mise en garde était fondée. Elle permet surtout d’apporter un autre éclairage, politique celui-là, à la crise. La question de la soutenabilité de la dette et du respect des règles masque en effet le problème fondamental – le pêché originel – de l’euro : la monnaie unique est condamnée si elle ne procède pas d’une souveraineté politique et budgétaire. S’il existe des exceptions, elles sont le fait de micro-Etats qui ont abandonné leur souveraineté monétaire à des voisins bien plus puissants économiquement et politiquement. La zone euro n’est pas le Vatican.

La renégociation du Traité ou l’ouverture de nouvelles négociations en vue de la ratification d’une Constitution européenne est donc non seulement urgente mais indispensable à la pérennité du projet européen. Au-delà des objectifs incontournables de la croissance, de l’emploi, de la stabilité financière ou du développement durable, dont il faut constamment rappeler qu’ils sont au cœur de la construction européenne, en témoigne leur inscription à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, toute nouvelle négociation devrait désormais aborder la question de la souveraineté politique et budgétaire européenne et donc, en corollaire, celle du transfert des souverainetés nationales.

Il faut préciser qu’une telle réflexion sur la mise en œuvre d’une souveraineté européenne n’est pas incompatible avec l’existence de règles. Aux Etats-Unis, la majorité des Etats ont adopté des règles d’équilibre budgétaire depuis la moitié du XIXe siècle et après qu’un certain nombre d’entre eux avait fait défaut (voir C. R. Henning et M. Kessler[3]). Cependant, ces règles ont été adoptées à l’initiative des Etats et ne sont pas inscrites dans la Constitution américaine. Des propositions pour inscrire une règle d’équilibre budgétaire à l’échelon fédéral dans la Constitution sont cependant d’actualité. Elles n’ont pour l’instant pas abouti et sont contestées en raison du risque d’affaiblissement du pouvoir stabilisateur du budget fédéral. Aux Etats-Unis, les ressources de l’Etat fédéral représentaient 19 % du PIB avant la crise contre un budget européen qui ne dépasse pas 1 % du PIB, qui doit toujours rester à l’équilibre et ne peut donc être utilisé à des fins de régulation macroéconomique. La stabilisation des chocs aux Etats-Unis se fait ainsi par le biais du budget fédéral non contraint, ce qui compense la faible réactivité des politiques budgétaires locales contraintes par les règles d’équilibre. Si la zone euro doit trouver sa propre voie, il reste que l’euro ne doit plus être un instrument aux mains de la seule Banque centrale européenne : elle doit devenir le symbole de la souveraineté politique et budgétaire de tous les citoyens de la zone euro.


[1] Sa mise en œuvre ne sera néanmoins effective qu’après un processus de ratification dans les 25 pays. Ce processus pourrait être long et incertain puisque l’Irlande a annoncé l’organisation d’un référendum.

[2] Voir « The two concepts of money: implications for the analysis of optimal currency areas », Journal of European Political Economy vol.14 (1998) pages 407-432.

[3] « Fiscal federalism : US history for architects of Europe’s fiscal union », (2012) Peterson Institute for International Economics.